Contes et petites histoires
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Contes et petites histoires
Hop ! Je copie éhontément ce bon Tousansons en ouvrant un sujet pour les contes récités à l'occasion de la Veillée de Forgefer chaque mois. Jet rapide, la version ici ne correspondra pas toujours au mot près à l'histoire racontée IG !
Nathan Eonath Hodgkin
Re: Contes et petites histoires
Dame Océan et le pêcheur
Laissez-moi vous parler des rivages où mon histoire prend place.
De ses rivages, de ses récifs, de sa côte déchirée, de ses sables et de ses coraux, de ses algues noires comme des chevelures de femme dans les profondeurs.
Dame Océan régnait là-bas en maîtresse incontestée. Le moindre esquif à fendre de sa proue ses eaux jalouses risquait le plus cruel des châtiments ; il y avait pourtant, niché sur un promontoire, un petit village qui abritait dans ses flancs de chaume et de terre cuite un pêcheur suffisamment hardi pour l'affronter tous les jours.
Il s'appelait Aed. C'était un homme à la carrure solide, à la barbe fournie, aux bras vigoureux et hâlé par le reflet des eaux.
Chaque matin avant l'aube, il poussait sa proue dans les écumes paresseuses du rivage, pour s'en aller braver Dame Océan et ramener aux siens suffisamment de poissons pour que leur ventre soit plein.
Il s'en allait la défier le cœur joyeux, plein d'amusement et plein de joie. C'était, en vérité, un excellent marin : il jouait avec la mer depuis tant d'années qu'il avait appris à éviter ses pièges les plus traîtres et les plus sournois.
Il s'en allait à elle comme un courtisan auprès d'une amante rétive ; il jetait effrontément ses filets dans ses eaux, chevauchait sans vergogne son dos houleux et rentrait, éreinté certes, mais jamais bredouille, jamais !
Dame Océan, dans son royaume sous-marin, en conçut beaucoup d'agacement et de fureur.
Elle gronda contre lui, fit tournoyer des courants meurtriers autour de sa barque, fouetta le sable de ses lames de fond, mais rien n'y fit ! le pêcheur lui échappait toujours.
Alors, avec le temps, sa colère se mua en autre chose. Elle commença à le convoiter, ce petit pêcheur, ce petit morceau de viande insolent qui déjouait avec tant de facilité tous ses pièges et démêlait tous ses rets.
Ainsi, un matin, Dame Océan décida que, à sa manière cruelle et possessive, elle était tombée amoureuse.
Ce matin-là, comme chaque matin, Aed le pêcheur fit glisser sa proue dans l'eau. Il alla naviguer en haute-mer, là où ses filets avaient le plus de chance de ramener de nombreuses prises.
Mais alors que sa ligne vibrait, et que la coque de son petit esquif tremblait sous les hochements de l'eau salée, dans un grand grondement, un grand tonnerre, un grand vacarme, Dame Océan surgit des eaux et se présenta à lui.
Qu'elle était immense, et terrifiante ! Avec sa peau nacrée, ses cheveux semblables à des algues noires, ses mains festonnées de bernicles, ses bijoux tout de sel brillant et de coraux ! Le pêcheur crut son heure venue : à trop défier la mer, celle-ci avait décidé de lui montrer son véritable visage et, il en était persuadé, elle allait de ce pas le mener dans les profondeurs.
Pourtant il n'en fut pas ainsi.
Dame Océan, de toute sa hauteur, pointa sur le pêcheur un ongle interminable.
Et de sa voix tonitruante comme un millier de cors elle lui déclara qu'au lieu de le noyer, elle avait décidé de faire de lui son compagnon dans l'En-Dessous-De-La-Surface, et ce pour l'éternité.
Elle ajouta, enfin, que ce choix ne souffrait d'aucun recours.
Prostré dans sa barque, Aed tremblait. Il se risqua à répondre, et sa voix lui parut aussi fragile et fluette qu'un cri de pinson.
Il lui dit que c'était là un honneur, oui, un grand, un très grand honneur, mais qu'il ne pouvait la rejoindre sans régler avant cela ses affaires terrestres. Il ajouta, bien sûr, qu'il viendrait avec elle en toute joie et en toute liberté pour l'adorer jusqu'à la fin des temps, pourvu qu'elle lui laisse, oh, rien de bien méchant ! Dix ans de délai.
Dix ans, disait-il, serait un temps bien suffisant pour le pauvre mortel qu'il était, et qu'était-ce que dix ans au regard de l'éternité ?
Ce n'était rien, en effet. Un battement de cil, un battement de cœur pour celle qui règne sur toutes les mers du monde. Oui ! Un rien de rien du tout.
Aussi, toute satisfaite de sa propre grandeur, et se croyant magnanime, Dame Océan lui accorda les dix ans demandés. Dix ans pour dire adieu à sa vie d'enfant de la terre ; après cela, elle enverrait ses hérauts le chercher, pour lui tenir compagnie pour toute l'éternité.
Aed rentra au village le plus vite que ses rames purent porter son bateau. Pour la première fois depuis longtemps, depuis bien des temps, il rentra les mains vides, et ses yeux étaient plein d'effroi, et son visage était pâle comme la mort.
Son épouse, qui s'appelait Catryn, l'enlaça et le serra contre son cœur.
« Me diras-tu ce qui te hante ? » lui demanda-t-elle en versant sur son épaule ses cheveux, qui étaient roux comme du feu.
Mais Aed le pêcheur ne dit rien, non, il ne dit rien ; il avait peur des conséquences de son aveu, il espérait aussi, au fond, que Dame Océan oublierait sa promesse.
Dix ans, c'était un temps long, bien long, et les caprices des divinités sont passagères ; sa Majesté des Eaux Salées s'enticherait d'un autre coureur des flots, et son souvenir à lui plongerait dans le néant.
C'est ce qu'il espéra. C'est ce qu'il crut. Et le temps passa, et les années passèrent.
Aed le pêcheur lançait ses filets plus près de la côte, se risquait moins loin dans les eaux noires, n'allait pas impudiquement défier les courants près des récifs. Il craignait que les hérauts de Dame Océan ne le reconnaissent et ne le hèlent.
Car il n'oubliait pas, non, sa rencontre avec la mer incarnée.
Et les années passèrent, et le temps passa.
Et le visage d'Aed se creusa, et sa barbe, et son front se dégarnirent, prenant la couleur du sel et de l'écume. Et ses mains commencèrent à trembler. Et son regard se voilà d'une peur qui refusait de le quitter.
Alors Catryn, son épouse, l'enlaça et le serra contre son cœur.
Elle versa sur son épaule ses cheveux, qui étaient roux comme du feu.
Elle lui demanda : « Me diras-tu ce qui te hante ? » et, cette fois, Aed avoua tout, raconta tout.
« Demain, murmura-t-il, le dernier jour des dix années prendra fin. Demain, les hérauts de Dame Océan viendront me chercher. »
Et Catryn sourit, posant un doigt sur ses lèvres.
« Non, dit-elle, car je serai là. »
A l'aube, la mort dans l'âme, Aed le pêcheur fit glisser sa proue dans les eaux.
Tout était calme, les vagues léchaient le sable sans hâte aucune, la lumière rasante du point du jour brillait à l'horizon. Il vogua un peu, en recherche d'un endroit où lancer ses filets.
Quand il les lança, une brume se leva, et le sang du pêcheur se glaça dans ses veines : « Voilà, pensa-t-il, ce sont les hérauts qui viennent me chercher ! » Il se sentit perdu mais, alors qu'il allait recommander son âme à la Lumière, un chant puissant, haut et clair, fier et fort, déchira le ciel troublé, fendit la brume en deux.
Et c'était Catryn qui, sur le rivage, lançait sa voix au-dessus de l'écume. Et c'était Catryn qui, par son chant, lançait un pont par-delà les eaux, pour guider Aed jusqu'au rivage, jusqu'à la terre ferme, jusqu'à chez lui.
Le lendemain, la proue d'Aed fut la proie de courants tourbillonnants. Le surlendemain, des algues molles s'emmêlèrent à ses rames. Le jour suivant encore, une tempête noire et furieuse se leva sur les flots.
Mais à chaque fois, Catryn chantait sur le rivage. A chaque fois, la magie de sa voix rappelait Aed jusqu'à chez lui et, heureux, ils se pressaient longuement l'un contre l'autre.
Cela ne pouvait pas durer.
Dame Océan, dans l'écrin de ses profondeurs, s'impatientait.
Quand elle découvrit la vérité, elle entra dans une telle colère que la terre sous les eaux se fracassa et se fendit en longues balafres, que les eaux fouettées par sa colère s'élevèrent jusqu'au ciel, jusqu'au Seigneur Vent qui dormait paisiblement entre deux nuages.
Ces eaux levées portaient avec elle la voix de Dame Océan, qui s'adressa à Sa Majesté des Airs de la manière la plus outrée qui soit.
« Vois, Seigneur Vent ! Vois cette femme qui ose défier ta magie en fendant de sa voix les airs, tes enfants ! Entends comme son chant est pur : n'est-il pas le pire outrage à tes propres cris ? »
Et Seigneur Vent prêta l'oreille, et il perçut dans le vacarme l'écho tenace de la voix de Catryn.
Descendant de son haut perchoir, il mêla sa colère à celle de Dame Océan, fureur emmêlée à la fureur, haine glacée contre jalousie froide.
De ses crocs, il déchira l'écume qui était la frange de la robe de Dame Océan et, entre ses doigts habiles, en fit de longs et blancs oiseaux, qui aussitôt s'envolèrent pour se percher sur le rivage.
Tapis chacun dans leur domaine, Seigneur Vent et Dame Océan attendirent leur vengeance.
L'aube vint.
Aed le pêcheur, le cœur léger, fit glisser sa proue dans des eaux paisibles et calmes.
Il s'en étonna, et se réjouit : « Dame Océan semble avoir abandonné le combat », se dit-il en voguant lentement vers la haute-mer.
Loin de là, sur le rivage, Catryn leva les bras vers les cieux.
Elle ouvrit la bouche, ferma les yeux.
Mais au moment où sa voix sortit de sa gorge, les blancs oiseaux jusque là perchés dans le sable autour d'elle se précipitèrent ;
de leurs becs aigus, ils déchirèrent la gorge de la chanteuse, ils déchirèrent sa voix elle-même, oui, en fins petits lambeaux qu'alors ils avalèrent.
Au soir tombé, Aed, insoucieux, prêta l'oreille. Il attendait le chant qui depuis des jours le conduisait en sûreté jusqu'au rivage, jusqu'à chez lui.
Lorsque la voix tant attendue s'éleva enfin, son cœur vibra d'une joie forte ; il se mit à ramer sans méfiance, au creux du monde liquide que la nuit enténébrait.
Il vogua, vogua, vogua. De loin en loin, la voix de son aimée le guidait.
Le chemin lui parut-il plus long qu'à l'ordinaire ? L'eau sous sa proue lui sembla-t-elle plus agitée qu'auparavant ? Nul ne le sait.
Mais son esquif, guidé par la voix trompeuse qui, écho volé, s'envolait hors de la gorge des blancs oiseaux, alla se fracasser, frêle coquille, contre les récits traîtres de la côte, puis sombra à tout jamais.
Nul ne revit jamais Aed le pêcheur. Nul ne revit jamais Catryn la chanteuse.
Mais si vous apercevez l'un de ces blancs oiseaux, prenez garde !
Aucun de leurs cris ne vous guidera en sécurité, car leurs plaintes, en vérité, ne sont que les échos d'un deuil éternel.
De ses rivages, de ses récifs, de sa côte déchirée, de ses sables et de ses coraux, de ses algues noires comme des chevelures de femme dans les profondeurs.
Dame Océan régnait là-bas en maîtresse incontestée. Le moindre esquif à fendre de sa proue ses eaux jalouses risquait le plus cruel des châtiments ; il y avait pourtant, niché sur un promontoire, un petit village qui abritait dans ses flancs de chaume et de terre cuite un pêcheur suffisamment hardi pour l'affronter tous les jours.
Il s'appelait Aed. C'était un homme à la carrure solide, à la barbe fournie, aux bras vigoureux et hâlé par le reflet des eaux.
Chaque matin avant l'aube, il poussait sa proue dans les écumes paresseuses du rivage, pour s'en aller braver Dame Océan et ramener aux siens suffisamment de poissons pour que leur ventre soit plein.
Il s'en allait la défier le cœur joyeux, plein d'amusement et plein de joie. C'était, en vérité, un excellent marin : il jouait avec la mer depuis tant d'années qu'il avait appris à éviter ses pièges les plus traîtres et les plus sournois.
Il s'en allait à elle comme un courtisan auprès d'une amante rétive ; il jetait effrontément ses filets dans ses eaux, chevauchait sans vergogne son dos houleux et rentrait, éreinté certes, mais jamais bredouille, jamais !
Dame Océan, dans son royaume sous-marin, en conçut beaucoup d'agacement et de fureur.
Elle gronda contre lui, fit tournoyer des courants meurtriers autour de sa barque, fouetta le sable de ses lames de fond, mais rien n'y fit ! le pêcheur lui échappait toujours.
Alors, avec le temps, sa colère se mua en autre chose. Elle commença à le convoiter, ce petit pêcheur, ce petit morceau de viande insolent qui déjouait avec tant de facilité tous ses pièges et démêlait tous ses rets.
Ainsi, un matin, Dame Océan décida que, à sa manière cruelle et possessive, elle était tombée amoureuse.
Ce matin-là, comme chaque matin, Aed le pêcheur fit glisser sa proue dans l'eau. Il alla naviguer en haute-mer, là où ses filets avaient le plus de chance de ramener de nombreuses prises.
Mais alors que sa ligne vibrait, et que la coque de son petit esquif tremblait sous les hochements de l'eau salée, dans un grand grondement, un grand tonnerre, un grand vacarme, Dame Océan surgit des eaux et se présenta à lui.
Qu'elle était immense, et terrifiante ! Avec sa peau nacrée, ses cheveux semblables à des algues noires, ses mains festonnées de bernicles, ses bijoux tout de sel brillant et de coraux ! Le pêcheur crut son heure venue : à trop défier la mer, celle-ci avait décidé de lui montrer son véritable visage et, il en était persuadé, elle allait de ce pas le mener dans les profondeurs.
Pourtant il n'en fut pas ainsi.
Dame Océan, de toute sa hauteur, pointa sur le pêcheur un ongle interminable.
Et de sa voix tonitruante comme un millier de cors elle lui déclara qu'au lieu de le noyer, elle avait décidé de faire de lui son compagnon dans l'En-Dessous-De-La-Surface, et ce pour l'éternité.
Elle ajouta, enfin, que ce choix ne souffrait d'aucun recours.
Prostré dans sa barque, Aed tremblait. Il se risqua à répondre, et sa voix lui parut aussi fragile et fluette qu'un cri de pinson.
Il lui dit que c'était là un honneur, oui, un grand, un très grand honneur, mais qu'il ne pouvait la rejoindre sans régler avant cela ses affaires terrestres. Il ajouta, bien sûr, qu'il viendrait avec elle en toute joie et en toute liberté pour l'adorer jusqu'à la fin des temps, pourvu qu'elle lui laisse, oh, rien de bien méchant ! Dix ans de délai.
Dix ans, disait-il, serait un temps bien suffisant pour le pauvre mortel qu'il était, et qu'était-ce que dix ans au regard de l'éternité ?
Ce n'était rien, en effet. Un battement de cil, un battement de cœur pour celle qui règne sur toutes les mers du monde. Oui ! Un rien de rien du tout.
Aussi, toute satisfaite de sa propre grandeur, et se croyant magnanime, Dame Océan lui accorda les dix ans demandés. Dix ans pour dire adieu à sa vie d'enfant de la terre ; après cela, elle enverrait ses hérauts le chercher, pour lui tenir compagnie pour toute l'éternité.
Aed rentra au village le plus vite que ses rames purent porter son bateau. Pour la première fois depuis longtemps, depuis bien des temps, il rentra les mains vides, et ses yeux étaient plein d'effroi, et son visage était pâle comme la mort.
Son épouse, qui s'appelait Catryn, l'enlaça et le serra contre son cœur.
« Me diras-tu ce qui te hante ? » lui demanda-t-elle en versant sur son épaule ses cheveux, qui étaient roux comme du feu.
Mais Aed le pêcheur ne dit rien, non, il ne dit rien ; il avait peur des conséquences de son aveu, il espérait aussi, au fond, que Dame Océan oublierait sa promesse.
Dix ans, c'était un temps long, bien long, et les caprices des divinités sont passagères ; sa Majesté des Eaux Salées s'enticherait d'un autre coureur des flots, et son souvenir à lui plongerait dans le néant.
C'est ce qu'il espéra. C'est ce qu'il crut. Et le temps passa, et les années passèrent.
Aed le pêcheur lançait ses filets plus près de la côte, se risquait moins loin dans les eaux noires, n'allait pas impudiquement défier les courants près des récifs. Il craignait que les hérauts de Dame Océan ne le reconnaissent et ne le hèlent.
Car il n'oubliait pas, non, sa rencontre avec la mer incarnée.
Et les années passèrent, et le temps passa.
Et le visage d'Aed se creusa, et sa barbe, et son front se dégarnirent, prenant la couleur du sel et de l'écume. Et ses mains commencèrent à trembler. Et son regard se voilà d'une peur qui refusait de le quitter.
Alors Catryn, son épouse, l'enlaça et le serra contre son cœur.
Elle versa sur son épaule ses cheveux, qui étaient roux comme du feu.
Elle lui demanda : « Me diras-tu ce qui te hante ? » et, cette fois, Aed avoua tout, raconta tout.
« Demain, murmura-t-il, le dernier jour des dix années prendra fin. Demain, les hérauts de Dame Océan viendront me chercher. »
Et Catryn sourit, posant un doigt sur ses lèvres.
« Non, dit-elle, car je serai là. »
A l'aube, la mort dans l'âme, Aed le pêcheur fit glisser sa proue dans les eaux.
Tout était calme, les vagues léchaient le sable sans hâte aucune, la lumière rasante du point du jour brillait à l'horizon. Il vogua un peu, en recherche d'un endroit où lancer ses filets.
Quand il les lança, une brume se leva, et le sang du pêcheur se glaça dans ses veines : « Voilà, pensa-t-il, ce sont les hérauts qui viennent me chercher ! » Il se sentit perdu mais, alors qu'il allait recommander son âme à la Lumière, un chant puissant, haut et clair, fier et fort, déchira le ciel troublé, fendit la brume en deux.
Et c'était Catryn qui, sur le rivage, lançait sa voix au-dessus de l'écume. Et c'était Catryn qui, par son chant, lançait un pont par-delà les eaux, pour guider Aed jusqu'au rivage, jusqu'à la terre ferme, jusqu'à chez lui.
Le lendemain, la proue d'Aed fut la proie de courants tourbillonnants. Le surlendemain, des algues molles s'emmêlèrent à ses rames. Le jour suivant encore, une tempête noire et furieuse se leva sur les flots.
Mais à chaque fois, Catryn chantait sur le rivage. A chaque fois, la magie de sa voix rappelait Aed jusqu'à chez lui et, heureux, ils se pressaient longuement l'un contre l'autre.
Cela ne pouvait pas durer.
Dame Océan, dans l'écrin de ses profondeurs, s'impatientait.
Quand elle découvrit la vérité, elle entra dans une telle colère que la terre sous les eaux se fracassa et se fendit en longues balafres, que les eaux fouettées par sa colère s'élevèrent jusqu'au ciel, jusqu'au Seigneur Vent qui dormait paisiblement entre deux nuages.
Ces eaux levées portaient avec elle la voix de Dame Océan, qui s'adressa à Sa Majesté des Airs de la manière la plus outrée qui soit.
« Vois, Seigneur Vent ! Vois cette femme qui ose défier ta magie en fendant de sa voix les airs, tes enfants ! Entends comme son chant est pur : n'est-il pas le pire outrage à tes propres cris ? »
Et Seigneur Vent prêta l'oreille, et il perçut dans le vacarme l'écho tenace de la voix de Catryn.
Descendant de son haut perchoir, il mêla sa colère à celle de Dame Océan, fureur emmêlée à la fureur, haine glacée contre jalousie froide.
De ses crocs, il déchira l'écume qui était la frange de la robe de Dame Océan et, entre ses doigts habiles, en fit de longs et blancs oiseaux, qui aussitôt s'envolèrent pour se percher sur le rivage.
Tapis chacun dans leur domaine, Seigneur Vent et Dame Océan attendirent leur vengeance.
L'aube vint.
Aed le pêcheur, le cœur léger, fit glisser sa proue dans des eaux paisibles et calmes.
Il s'en étonna, et se réjouit : « Dame Océan semble avoir abandonné le combat », se dit-il en voguant lentement vers la haute-mer.
Loin de là, sur le rivage, Catryn leva les bras vers les cieux.
Elle ouvrit la bouche, ferma les yeux.
Mais au moment où sa voix sortit de sa gorge, les blancs oiseaux jusque là perchés dans le sable autour d'elle se précipitèrent ;
de leurs becs aigus, ils déchirèrent la gorge de la chanteuse, ils déchirèrent sa voix elle-même, oui, en fins petits lambeaux qu'alors ils avalèrent.
Au soir tombé, Aed, insoucieux, prêta l'oreille. Il attendait le chant qui depuis des jours le conduisait en sûreté jusqu'au rivage, jusqu'à chez lui.
Lorsque la voix tant attendue s'éleva enfin, son cœur vibra d'une joie forte ; il se mit à ramer sans méfiance, au creux du monde liquide que la nuit enténébrait.
Il vogua, vogua, vogua. De loin en loin, la voix de son aimée le guidait.
Le chemin lui parut-il plus long qu'à l'ordinaire ? L'eau sous sa proue lui sembla-t-elle plus agitée qu'auparavant ? Nul ne le sait.
Mais son esquif, guidé par la voix trompeuse qui, écho volé, s'envolait hors de la gorge des blancs oiseaux, alla se fracasser, frêle coquille, contre les récits traîtres de la côte, puis sombra à tout jamais.
Nul ne revit jamais Aed le pêcheur. Nul ne revit jamais Catryn la chanteuse.
Mais si vous apercevez l'un de ces blancs oiseaux, prenez garde !
Aucun de leurs cris ne vous guidera en sécurité, car leurs plaintes, en vérité, ne sont que les échos d'un deuil éternel.
Nathan Eonath Hodgkin
Re: Contes et petites histoires
Merci!!
Encore une fois elle m'a beaucoup plu et je serais ravie de la transmettre sur les camps médiévaux irl.
Encore une fois elle m'a beaucoup plu et je serais ravie de la transmettre sur les camps médiévaux irl.
Samildanache
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