[Dissoute][Alliance] La Côterie

Commençons en musique :

Toute légende a sa part de vérité. Toute légende est née d'un fait réel.

- Un auguste inconnu

Une nuit sombre s'abattait en ce soir d'hiver sur la cité, battue par la neige. Les citoyens, grelottants, n'avaient pas tardé à clore la porte de leur logis, verrouillant le loquet afin de s'assurer une sécurité rudimentaire. Le sommeil avait gagné la ville, plus tôt que de raison, engourdis par ce froid mordant. Et pourtant, une silhouette se dessinait dans l'ombre, fugace passage à travers les ruelles, gagnant le simple château qui la surplombait. Après de pénibles minutes de marche, elle s'engouffra dans le dit château, rejoignant une autre silhouette dans une petite pièce adjacente à la lueur d'une chandelle vacillante. A cette lueur l'on pouvait reconnaître le seigneur du domaine, et une simple femme, inconnue par bien des hommes, qui pourtant étaient liés d'une manière qui occultait leur différence. C'est au regard de nombreux baisers que la faible lumière disparaît dans un souffle, replongeant les lieux dans une obscurité ambiante.

Et c'est lors de cette étreinte que les lourdes portes en bois du château sortent de leurs gonds pour s'effondrer avec fracas sur le sol de pierre, les échardes volant comme la poussière, le cri des assaillants munis de fourches, de piques et d'autres instruments de fermes allant se répercuter sur les murs pavés de teintures et de peintures. Leurs cris sont rauques, gras, similaires aux cri de bêtes. Leurs torches sont allumées, au gré de la friction de leurs briquets et de leurs amadous, et ils vont se disperser dans le château. Les pièces sont pillées, et les sauvages se déversent dans les étroits couloirs à la manière d'une vermine, allant fouiller chaque endroit.
Et, indubitablement, ils finissent par trouver le Seigneur et sa Concubine. Celle-ci est tirée par les cheveux, malgré les cris de protestations de son amant. Aux cris se mêlent les larmes, amères gouttes au goût salé. Sans égards, la Concubine est malmenée, et dirigée vers la place centrale de la cité. Là, les frileux citoyens ont ouvert leur petite fenêtre pour ajouter leurs rugissements à cette cohue, tandis qu'un bûcher est dressé. Dans ce concert d'hurlements, l'on pouvait distinguer ça et là "sorcière", "meurtrière", "abomination". Fatalement, ignorant les supplications de la femme, l'un des assaillants laisse sa torche lui échapper des mains, qui alla se déposer contre le bois du bûcher. Les cris s'arrêtèrent, et tous observèrent cette femme abandonnée au supplice de la crémation, ses hurlements de douleur et de peine jaillissant de sa gorge à s'en rompre, en échos aux cris de rage de son amant, maîtrisé et qui ne peut rester que simple spectateur de cette scène.

Après un quart d'heure qui sembla durer plusieurs éternités, les citoyens relâchèrent le seigneur. Il n'était plus capable de pleurer. Et ils s'étaient vengés. L'homme n'aurait plus goût à la vie, et le véritable châtiment n'est pas de le tuer, mais de le laisser errer, séparé de son âme sœur. Il alla s'enfermer de lui même dans sa plus haute tour, pour ne plus en sortir, n'ouvrant la porte que pour prendre la nourriture portée par ses serviteurs, et son seul contact avec le monde extérieur incarné par un oiseau messager, arrivant de temps à autres. Personne ne sait ce qu'il accomplissait, enfermé dans cet étage, seul et blessé, mais de cette réclusion est né un livre. "Contes et légendes d'Alterac".

La légende ne raconte pas ce chapitre. La légende n'aura gardé que la part sombre d'une relation passionnelle, occultant la philosophie de deux êtres semblables. La légende n'aura gardé que la part d'horreur de leurs actes. On ne retiendra d'eux que la tuerie dont ils auront été l'origine.

Ils s'étaient trouvés au détour d'une ruelle, loin du plein centre de la cité. Leurs regards s'étaient captés. Et entre eux, gisant le corps d'un homme que la femme venait de poignarder. Le Seigneur s'était approché, et l'avait serrée dans ses bras. Prenant dans la paume de sa main la douce main qui tenait le poignard, d'où perlait encore quelques gouttes de sang. Un baiser scella leur rencontre, sans qu'un mot ne soit échangé. L'image même d'un choc, d'un amour semblant décidé par Elle. Il s'émerveilla de ce pouvoir de vie ou de mort. Un coup de stylet déciderait de la survie ou non de l'être visé. Au nom de leur amour, de leur rencontre, ils continueront, et perpétueront ce qu'il venait de se déroule.
Au fil des mois, il se dressa autour d'eux une toile, et la renommée du Seigneur et de la Concubine atteint des sommets au sein de la pègre. Fonctionnant tel des mercenaires, ils distribuaient mort en échange de paiement, en honneur à leur amour et à leur rencontre. Le Seigneur recevait le contrat, et la Concubine l’exécutait. Ils avaient leur signature. La victime était traitée dans le plus grand des respectés, positionnée dans une posture mortuaire, deux pièces d'argent sur les yeux pour lui offrir sépulture. Leur bonheur était complet, et de leur amour naquit deux jumeaux, fils et fille. Mais mort-nés. Dès lors, ce fut tel un tragique présage, et tout alla de mal en pis. L'un de leurs contrats échoua, et la Concubine vit son identité dévoilée. Elle fut chassée par quelques chasseurs de primes. Et fut dérobée au Seigneur, à même ses bras. La suite est connue.

Mais l'histoire n'a pas retenu ce simple fait : les meurtres continuèrent, toujours signés de la même manière.