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Un mètre quarante, déjà effronté

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Un mètre quarante, déjà effronté Empty Un mètre quarante, déjà effronté

Message  Edward K. Mer 13 Nov 2013, 16:45

Douzième jour du huitième mois de l'an vingt-deux


Le crépuscule illuminait le promontoir. Dalret laissait choir ses cheveux bruns sur son visage courroucé. La corde autour du cou pour complicité de meurtre ? C'était pour ce crime-ci qu'il allait être pendu ? Douce ironie, qui aurait pu le faire sourire, si la minuscule foule de Comté-de-Darrow ne s'amusait pas à lui jetter dessus caillasses et récoltes pourries. Tandis que le bourreau plaçait lentement le bout de sa botte sur le tabouret, Dalret relevait le nez, bien décidé à mourrir la tête haute, jugé criminel ou non. Ses poignets serrés dans son dos par des liens, il se contentait de crisper ses poings, il grinçait des dents, attendant le moment fatal.

Un ménestrel semblait jouer, presque joyeusement, au milieu de la dizaine de personnes qui patientaient pour la mort du criminel capturé. Au loin, à l'entrée du modeste Comté, un gamin avançait vers la foule. Dalret posa son potentiel dernier regard sur cette silhouette, à contre-jour, le soleil couchant derrière le dos. D'une vraie caricature de mercenaire, le gamin semblait presque déguisé. Un bandeau noir au front, une tenue de cuir beige plutôt médiocre, trouée à divers endroits. Le gamin, d'apparence âgé de la dizaine, sautillait d'un pied sur l'autre. Le plus choquant n'était pas sa tenue, non, c'était l'espingole trop grande pour lui qu'il avait en main, qui rajoutait une dose de ridicule au déguisement de petit bohémien itinérant.

Le gamin marchait toujours, encore, il ne s'arrêtait pas, l'arme toujours en main, pointée vers le sol. Il écarta quelques citoyens de son petit bras droit potelé, pour se faire un chemin. Il finit par monter sur le promontoir. Oui, le lieu d'exécution. La scène de théâtre des décès, la corde, le pilori. L'enfant montait sur l'estrade de bois, sous les yeux stupéfaits de la foule, et même du ménestrel, qui arrêtait sa chansonnette pour se joindre à la réaction des citoyens d'une bouche bée. Le bourreau, lui, enleva lentement son pied du tabouret, accordant un court sursis de quelques minutes à Dalret. Il pivota vers le jeune armé, puis l'interrogea du regard.

"Hors d'ici, petit. Ce n'est pas un spectacle pour les marmots. Tu n'as rien à faire sur cette place à cette heure-ci. siffla le bourreau, plutôt pressé de finir son sale boulot quasi-quotidien.

-Je suis ici pour faire une bonne action. répondit simplement l'enfant. D'une voix claire, néanmoins enfantine, ce qui ne manqua pas de faire sourire le bourreau.

-Je m'apprêtais à en faire une. Veux-tu pousser le tabouret, diablotin ? ricana l'homme, ce qui ne manqua pas d'arracher quelques vives protestations à la foule. Des "Ne faites pas faire ça à un gamin !" ou d'autres "Non ! Virez le gamin et épargnez-lui le spectacle !" piaillaient ça et là.

Dalret, lui, arquait un faible sourcil, épuisé, il allait d'absurdités en absurdités. Arrêté pour un si pauvre crime, puis peut-être sauvé par un pauvre fou juvénile ? Il secoua doucement la tête. Pour lui, patienter avec cette potence si proche était un réel supplice, une humiliation publique.

Le petit leva brusquement son arme, les bras tremblant sous son poids. Il mit en joue le bourreau, plus plissa sa paupière droite. Il visait, vraiment. Son doigt glissa sur la détente. L'homme se figea, Dalret, à un mètre à côté, lui aussi, se crispa d'une sueur froide. Que faisait-il ?

-GAMIN ! Tire-toi d'ici et va pleurer dans les jupons de ta mère, sombre débile ! fit l'homme, yeux écarquillés. Menacé en public par un gamin capricieux ? Le bourreau ne permettrait pas cela. Il avança sa main puissante vers le visage du jeune, puis...

Un fracas tonitruant se fit entendre. Le gosse avait tiré. Cependant, le bourreau était toujours debout, et le petit homme au regard déterminé était tombé sur le plancher du promontoir, sur le fessier, l'arme à ses pieds. Tout les mouvements qui s'en suivirent furent les plus intenses de la courte journée de Dalret. Le tir dévié avait touché le bois de la potence, et Dalret avait tourné la tête pour s'assurer que le bruit de bois craquelant provenait bien de la poutre de soutien du poteau de la corde. Aussitôt, il bondit sur le bourreau, l'homme toujours sonné par le bruit et par la balle qui avait frôlé sa chevelure.

C'était pile ou face. Dalret risquait de se pendre lui-même, ou bien de faire craquer la poutre endommagée, pour se libérer et s'enfuir, en profitant de l'agitation causée par le bonhomme turbulent.

Ce fut face. Encore une fois, la chance souriait à Dalret. Quel...heureux destin, pour le criminel ! Ses deux pieds attérirent dans le dos du bourreau, qui fut plaqué au sol dans un craquement de plancher sinistre. Sans plus attendre, il poursuivit sa course, sous les yeux ébahis de la foule dispersée qui était à moitié occupée à courrir en tout sens se mettre à l'abri du gamin fou dangereux. Gamin fou dangereux, qui lui, pleurnichait au sol. Il semblait s'être prit une giffle bien méritée, et le bourreau à moitié écrasé sous les pieds de Dalret pouvait en témoigner, si son nez ne s'était pas aplati entre deux malheureuses planches.

La corde toujours au cou, avec un bout de poutre en son prolongement, Dalret sauta de l'estrade, sans s'en soucier. Alors, parmis les cris des citoyens effrayés, il entendit le jeune sauveur l'appeller d'une voix tremblante.

-Et moi ? Tu ne me remercies pas ? faisait-il, comme sur le ton d'un défi, les bras croisés, la mine boudeuse, le fusil trop lourd posé sur ses cuisses. Il était resté assis à même le plancher de l'estrade, et fixait Dalret, de son petit regard furibond, le bandeau en travers du visage, ses petites joues gonflées.

Dalret se permit un sourire, puis secoua la tête. Alors que les gardes locaux n'allaient pas tarder à arriver, lui, ne pouvait pas se permettre d'assouvir le caprice de son jeune ange gardien. Mais le gamin ne l'entendait pas de cette oreille, à première vue. A peine Dalret fut retourné pour emprunter le chemin de sa fuite, le petit se jetta sur son dos comme s'il montait sur un trotteur des plaines. Le brun étouffa un grognement, mais ne cilla pas pour autant, il courrait, avec un petit gamin effronté sur les épaules. Celui-ci brandissait une arme, et criait de sa petite voix tremblante des paroles de liberté et de foi avec trente-six fautes de syntaxe.

Alors qu'ils courraient hors du Comté, Dalret, entre deux respirations saccadées, s'éclaircissait la gorge pour s'adresser à l'enfant cramponné à ses épaules :

-C'est quoi ton prénom à toi, petit ?

Le gamin réajusta la position de son petit bandeau, leva le regard sur la lumière crépusculaire, qui illuminait son angélique visage enjoué.

-Edward."
Edward K.
Edward K.


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