Cinq Histoires
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Le Toucher
♦ ♦ ♦ Fallendria “Kisaho” Sunblossom est à la tête d’une guilde neutre vendant divers artefacts et outils magiques au noir dans tout l’Azeroth. Le jour, il lui arrive de se travestir en homme et de porter masque et cape pour jouer un personnage appelé le “Maître-Chat”, maître de guilde de Fortunes. Elle aurait perdu la mémoire après un incident dont on ne parle plus depuis plus de cinquante ans - personne ne sait si elle n’a réellement aucun souvenir sa vie dite “d’avant”, ou si elle a toujours tout fait pour l’oublier. L’aventurière sale et l’héritière Sunblossom sont pourtant bien la même personne.
“Ne me regarde pas comme ça.”
Les yeux de l’antiquaire renforçaient la nausée de son fournisseur. L’estomac noué et renversé de l’elfe était un résultat du mélange des restes du trajet en zeppelin, du vin de Quel’Thalas, et de sa santé mentale bancale.
L’un s’était toujours inquiété du manque de communication de l’autre - l’autre ne souhaitait tout simplement pas communiquer. Il n’y avait jamais rien à dire. Il y avait là près de quatre mois qu’ils ne s’étaient pas vus. Lorsque le Grand Méchant Excavateur rentrait d’un aussi long voyage, on ne voulait surtout pas le déranger.
Mais ce soir là semblait être spécial, et Enthario jugea bon d’aller soutenir son compagnon marchand, lui qui titubait et empestait l’alcool. Il referma la porte derrière son employeur et l'amena vers le siège le plus proche. Ils étaient seuls dans la boutique. Il faisait nuit.
Il n’osa pas poser de questions et s’assit tout à côté. Elle, ne se mit à parler qu’après un bon quart d’heure, ses yeux abordant le vide, la face inexpressive.
“Peut-être que je mérite ce que je vis. Il y a peut-être une chose que j’ai fait de travers dans une vie antérieure. Peut-être une horreur que j’ai commise et dont je ne me souviens plus, alors la chance décide de me tourmenter sans jamais se lasser.” L’ami se voulait rassurant, mais elle n’y croyait plus. Elle retira tout de suite sa main de la sienne et plongea sa tête dans ses poings, repliée sur elle-même.
“Arrête. Arrête ça! Arrête de m’appeler. Pleurer Kisaho, geindre Kisaho, murmurer Kisaho, c’est là tout ce que tu sais faire pour me rassurer? Ce n’est même pas mon nom. C’est une invention, une machine. Une machine...”
Son corps finit par avoir un petit mouvement de balancier. Ce dernier battait la mesure de longues et douloureuses secondes.
“... Je ne me souviens plus des cinquantes premières années de ma vie, tout ce que j’en sais viens de toi et de ton frère, d’archives volées à la cité. Je ne sais plus ni chanter ni danser, et même après avoir délibérément abandonné ma féminité, je la cherche encore… Je la vois dans les autres femmes, j’aimerais avoir leur chevelure. Mais j’ai coupé la mienne et je la martyrise avec une teinture corbeau qui ne me va pas. J’aimerais avoir leur famille. Mais mon corps, après avoir subit des choses dont je ne me souviens pas, ne veut plus donner d’enfants. J’aimerais leur légèreté et leur amour des choses simples, mais je ne suis plus impressionnable, je ne suis plus naïve, et je ne veux pas porter un masque autre que celui du cynisme.”
“Et, quand j’ai effleuré le bonheur, on me l’a arraché, comme si je n’y avais pas droit. La mort a emporté mes compagnons de voyage, ou le temps les a rendu moins tolérants vis à vis de mes caprices, de mes crises, de mon instabilité. Ils sont partis, ils ont disparus… Et ceux qui me restent...”
Sa tête se détacha de ses mains et elle avisa pleinement l’autre être de la pièce pour la première fois.
“Ceux qui me restent ne sont là que parce qu’ils se sentent endettés. Ils ne m’avoueraient jamais ce qu’ils éprouvent réellement vis à vis de mon attitude et de mes choix. Est-ce là tout ce que je suscite ? Je ne serais donc qu’un... qu’un objet de pitié ? Ou peut-être cherches-tu en moi l’enfant que tu as connu il y a plus d’un demi-siècle, en vain ? Espères-tu la revoir faire surface, derrière cette masse à la culture humaine, au goût prononcé pour les vêtements masculins ? Peut-être te dis-tu parfois “ne serait-ce pas mieux si cette femme redevenait la Fallendria que j’ai connu” ? Veux-tu que je me pende à ton cou et que je te souffle que je me souviens de toi ?”
Le sourire amer qui lui fendait le visage fendit aussi l’âme de son interlocuteur. La provocation était tout ce qui lui restait. Et bien qu’elle ait prié en secret pour qu’il s’offusque d’une telle accusation, Enthario ne fit que baisser la tête et fuir son regard.
Le visage de Kisaho s’éteignit.
“... Va-t-en, Tourne-Aube. Je ne veux plus jamais te voir.”
“Ne me regarde pas comme ça.”
Les yeux de l’antiquaire renforçaient la nausée de son fournisseur. L’estomac noué et renversé de l’elfe était un résultat du mélange des restes du trajet en zeppelin, du vin de Quel’Thalas, et de sa santé mentale bancale.
L’un s’était toujours inquiété du manque de communication de l’autre - l’autre ne souhaitait tout simplement pas communiquer. Il n’y avait jamais rien à dire. Il y avait là près de quatre mois qu’ils ne s’étaient pas vus. Lorsque le Grand Méchant Excavateur rentrait d’un aussi long voyage, on ne voulait surtout pas le déranger.
Mais ce soir là semblait être spécial, et Enthario jugea bon d’aller soutenir son compagnon marchand, lui qui titubait et empestait l’alcool. Il referma la porte derrière son employeur et l'amena vers le siège le plus proche. Ils étaient seuls dans la boutique. Il faisait nuit.
Il n’osa pas poser de questions et s’assit tout à côté. Elle, ne se mit à parler qu’après un bon quart d’heure, ses yeux abordant le vide, la face inexpressive.
“Peut-être que je mérite ce que je vis. Il y a peut-être une chose que j’ai fait de travers dans une vie antérieure. Peut-être une horreur que j’ai commise et dont je ne me souviens plus, alors la chance décide de me tourmenter sans jamais se lasser.” L’ami se voulait rassurant, mais elle n’y croyait plus. Elle retira tout de suite sa main de la sienne et plongea sa tête dans ses poings, repliée sur elle-même.
“Arrête. Arrête ça! Arrête de m’appeler. Pleurer Kisaho, geindre Kisaho, murmurer Kisaho, c’est là tout ce que tu sais faire pour me rassurer? Ce n’est même pas mon nom. C’est une invention, une machine. Une machine...”
Son corps finit par avoir un petit mouvement de balancier. Ce dernier battait la mesure de longues et douloureuses secondes.
“... Je ne me souviens plus des cinquantes premières années de ma vie, tout ce que j’en sais viens de toi et de ton frère, d’archives volées à la cité. Je ne sais plus ni chanter ni danser, et même après avoir délibérément abandonné ma féminité, je la cherche encore… Je la vois dans les autres femmes, j’aimerais avoir leur chevelure. Mais j’ai coupé la mienne et je la martyrise avec une teinture corbeau qui ne me va pas. J’aimerais avoir leur famille. Mais mon corps, après avoir subit des choses dont je ne me souviens pas, ne veut plus donner d’enfants. J’aimerais leur légèreté et leur amour des choses simples, mais je ne suis plus impressionnable, je ne suis plus naïve, et je ne veux pas porter un masque autre que celui du cynisme.”
“Et, quand j’ai effleuré le bonheur, on me l’a arraché, comme si je n’y avais pas droit. La mort a emporté mes compagnons de voyage, ou le temps les a rendu moins tolérants vis à vis de mes caprices, de mes crises, de mon instabilité. Ils sont partis, ils ont disparus… Et ceux qui me restent...”
Sa tête se détacha de ses mains et elle avisa pleinement l’autre être de la pièce pour la première fois.
“Ceux qui me restent ne sont là que parce qu’ils se sentent endettés. Ils ne m’avoueraient jamais ce qu’ils éprouvent réellement vis à vis de mon attitude et de mes choix. Est-ce là tout ce que je suscite ? Je ne serais donc qu’un... qu’un objet de pitié ? Ou peut-être cherches-tu en moi l’enfant que tu as connu il y a plus d’un demi-siècle, en vain ? Espères-tu la revoir faire surface, derrière cette masse à la culture humaine, au goût prononcé pour les vêtements masculins ? Peut-être te dis-tu parfois “ne serait-ce pas mieux si cette femme redevenait la Fallendria que j’ai connu” ? Veux-tu que je me pende à ton cou et que je te souffle que je me souviens de toi ?”
Le sourire amer qui lui fendait le visage fendit aussi l’âme de son interlocuteur. La provocation était tout ce qui lui restait. Et bien qu’elle ait prié en secret pour qu’il s’offusque d’une telle accusation, Enthario ne fit que baisser la tête et fuir son regard.
Le visage de Kisaho s’éteignit.
“... Va-t-en, Tourne-Aube. Je ne veux plus jamais te voir.”
Soeur Anne
La Vue
♦ ♦ ♦ Ythes de Heathersong est un enfant de Gilnéas, un arcaniste surdoué et le très jeune héritier de la Maison Heathersong. Après avoir fait face aux évènements du Cataclysme et s'être fait infecté comme bon nombre de ses semblables, après avoir retrouvé une stabilité mentale toute relative et fui le pays aux côtés de Grisetête et d'autres survivants, Ythes et près de quarante-sept membres de son foyer - sang et serviteurs confondus - se retrouvent en situation précaire à Hurlevent. Il rend quelques services douteux pour avoir accès aux archives de la ville... Et après avoir déniché un contrat de mariage qu'il pensait au début faux, réussit à s'immiscer au sein de la Maison Sombragon, de lointains cousins Hurleventois. La maîtresse des lieux accorde l'asile à tous les Heathersong dans le but d'agrandir sa propre famille - le Manoir des Carmines est grand et ils y vivaient en petit nombre avant leur arrivée. Ythes tente de s'emparer du pouvoir et de prendre la place de la matriarche en trois ans. Il échoue quelques mois avant cette seconde histoire, lorsque Alexandre, héritier des Sombragon, revient d'une campagne dans le Nord des Royaumes de l'Est. Pardonné en apparence, les dégâts causés par son ambition restent immenses...
“Tout cela est de votre faute. Votre faute!”
Une silhouette en surplombe une autre - celle qui crie est debout, celle qui fait silence est au sol. Elle a été battue.
Les deux corps des deux hommes découpent les dames blanches visibles au loin. Les lunes étaient si grandes et l’apparence de ces deux personnages était si noire qu’on aurait cru à un spectacle d’ombres, à les regarder depuis la colline.
Le vent dresse un mur entre les protagonistes, parlant à leur place pendant un moment de silence. Le plus grand reprend.
“Comme une tumeur, vous avez grandi en silence. J’ai dû attendre que vous frappiez pour me soucier de vos actes. Pas une fois vous n’avez abandonné. Pas UNE fois vous n’avez lâché prise. J’applaudirai votre tenacité si elle n’avait pas fait disparaître les deux seules personnes qui comptent à mes yeux - ma mère victime de votre sortilège… Et maintenant ma cousine en fuite, parce que vous vouliez vous en prendre à elle et à son premier né.”
Le plus élevé dégage son regard de celui qu’il méprise. Il est blond et beau, il possède des yeux d’un bleu clair à en glacer d’amour le coeur de n’importe quel jeune fille - mais une tunique rouge sous l’acier trempé trahit son tempérament de feu.
Le plus bas détourne lui aussi le regard. Lui a les traits plus doux, ses cheveux sont auburn et ses yeux d’un miel des plus brillants et des plus délicieux - n’importe quelle femme s’y attarderait aussi quelques minutes.
Tous les deux ont un charme certain et pourtant des traits qui, comme leurs valeurs, diffèrent en tout point. L’un est carré. L’autre est long. L’un porte un libram et prie. L’autre effleure les mauvaises magies du bout des doigts. Ils porteraient pourtant le même sang, d’après des archives humaines de l’ancien temps.
Le brun baisse la tête mais son visage ne touche pas le sol. Son regard transperce le centre de cette nouvelle terre, mais tout ce qu’il voit n’est que l’herbe bleutée de cette vallée inconnue. Il souffle quelques mots et redresse finalement le chef.
“Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour survivre.”
La lame du chevalier se glisse sous le cou du gilnéen dès qu’il commence à parler. Mais rien ne l’en dissuade. Son coeur brûle. Le miel cherche le saphir, s’y plonge. Lui qui est d’ordinaire si peu loquace veut parler.
“Vous ne vous rendez pas compte de votre chance, Alexandre.” Continue-t-il. “ ‘Le cataclysme ne sera jamais une excuse suffisante’, vous dîtes? J’ai vu la mer avaler ma maison toute entière. Les loups dévorer mes voisins. Les soldats infectés achevés, de mes mains ou de celles de mes compagnons de routes. Qu’il reste encore une cinquantaine de Heathersong en vie relève du miracle. Les miens s'entre-tuent encore pendant que nous parlons pour un héritage sur des terres perdues. Vous avez encore ce manoir. Vous avez encore tant d’or, tant de contacts, tant… Tant de choses que j’aimerais avoir. La vie faisait que nous étions bien plus nombreux que vous - j’ai voulu me servir de cela. Comment ne pas profiter de cette situation? Comment ne pas penser à sa propre survie?” Le jeu d’ombre laisse deviner qu’il s’est pris un coup de pommeau.
“Vous avez abusé de notre hospitalité!” Il se prend un autre coup.
“Vous nous avez menti! Vous nous avez volé!” Il se prend un autre coup.
“Vous voulez que je vous pardonne?” Il se prend un autre coup.
“Vous” La jambe métallisée file dans ses côtes.
“voulez” Le revers du bras tape sa tempe.
“que” Il est saisi par les épaules et jeté au sol.
“je” L’épée est lâchée et on en vient aux mains.
“vous” Il est jeté de nouveau.
“pardonne?” Il est saisi de nouveau, mais l’autre coup ne vient pas. Ils se regardent, plutôt.
Ils se regardent longtemps, d’ailleurs. Le dégoût lisible sur le visage du paladin se transforme lentement en regard inquisiteur. C’était là une véritable question. Il était perdu. Son frêle cousin le mage ne semblait pas vouloir se battre, et le paladin se sentait mal d’avoir pensé qu’il s’agissait là d’un combat. L’autre avait levé le drapeau blanc il y a de cela des heures. Ce n’était pas le moment pour parler du passé. Ce n’était pas le moment de penser à autre chose qu’à l’endroit où ils s’étaient retrouvés à l’absurdité complète de la situation.
… Mais non. Pour chaque pièce d’or qu’Ythes avait volé à la banque de Sombragon, il avait assisté Alexandre dans ses campagnes. Pour chaque pique qu’il envoyait au blond, il y avait une blessure qu’Alexandre lui-même avait ravivé au sein du brun.
Ythes était l’homme qui avait ramené Alexandre à la raison - certes, il était revenu pour éviter qu’il ne vole son héritage, mais il était tout de même revenu grâce à lui.
Ythes n’était pas aussi mauvais qu’il voulait bien le laisser paraître. Il suffisait de le voir soulever sa jeune soeur et lui faire la lecture pendant les veillées. Il suffisait de le voir mettre son intelligence au service de l’armée pour le bien des communautés humaines qu’il côtoyait.
Il suffisait d’avoir passé la porte des ténèbres à ses côtés. Et c’est ce qu’Alexandre avait fait.
Il le relâche. Ythes se masse la gorge puis la mâchoire, jette un regard du coin de l’oeil au paladin.
“... Vous n’êtes pas à la tête de la Horde de Fer après tout, j’imagine que je ne devrais pas vous tenir responsable de notre… Du… De cette situation.”
“J’ai ma part de responsabilité quant à notre présence ici, mais il est vrai que je n’ai pas ouvert la porte moi-même. Allons aider la guilde la plus proche et ne parlons plus d’Azeroth, Alexandre. Il est possible que nous n’y remettions plus jamais les pieds.”
“J’aurais aimé une meilleure mort - une mort loin de vous.”
“Nous mourrons tous les deux en héros, si nous devons le faire ici.”
Puis Alexandre lui donna la main pour le relever, on soigna ses plaies sans autre forme de procès, et ils repartirent en direction d'Elodor.
“Tout cela est de votre faute. Votre faute!”
Une silhouette en surplombe une autre - celle qui crie est debout, celle qui fait silence est au sol. Elle a été battue.
Les deux corps des deux hommes découpent les dames blanches visibles au loin. Les lunes étaient si grandes et l’apparence de ces deux personnages était si noire qu’on aurait cru à un spectacle d’ombres, à les regarder depuis la colline.
Le vent dresse un mur entre les protagonistes, parlant à leur place pendant un moment de silence. Le plus grand reprend.
“Comme une tumeur, vous avez grandi en silence. J’ai dû attendre que vous frappiez pour me soucier de vos actes. Pas une fois vous n’avez abandonné. Pas UNE fois vous n’avez lâché prise. J’applaudirai votre tenacité si elle n’avait pas fait disparaître les deux seules personnes qui comptent à mes yeux - ma mère victime de votre sortilège… Et maintenant ma cousine en fuite, parce que vous vouliez vous en prendre à elle et à son premier né.”
Le plus élevé dégage son regard de celui qu’il méprise. Il est blond et beau, il possède des yeux d’un bleu clair à en glacer d’amour le coeur de n’importe quel jeune fille - mais une tunique rouge sous l’acier trempé trahit son tempérament de feu.
Le plus bas détourne lui aussi le regard. Lui a les traits plus doux, ses cheveux sont auburn et ses yeux d’un miel des plus brillants et des plus délicieux - n’importe quelle femme s’y attarderait aussi quelques minutes.
Tous les deux ont un charme certain et pourtant des traits qui, comme leurs valeurs, diffèrent en tout point. L’un est carré. L’autre est long. L’un porte un libram et prie. L’autre effleure les mauvaises magies du bout des doigts. Ils porteraient pourtant le même sang, d’après des archives humaines de l’ancien temps.
Le brun baisse la tête mais son visage ne touche pas le sol. Son regard transperce le centre de cette nouvelle terre, mais tout ce qu’il voit n’est que l’herbe bleutée de cette vallée inconnue. Il souffle quelques mots et redresse finalement le chef.
“Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour survivre.”
La lame du chevalier se glisse sous le cou du gilnéen dès qu’il commence à parler. Mais rien ne l’en dissuade. Son coeur brûle. Le miel cherche le saphir, s’y plonge. Lui qui est d’ordinaire si peu loquace veut parler.
“Vous ne vous rendez pas compte de votre chance, Alexandre.” Continue-t-il. “ ‘Le cataclysme ne sera jamais une excuse suffisante’, vous dîtes? J’ai vu la mer avaler ma maison toute entière. Les loups dévorer mes voisins. Les soldats infectés achevés, de mes mains ou de celles de mes compagnons de routes. Qu’il reste encore une cinquantaine de Heathersong en vie relève du miracle. Les miens s'entre-tuent encore pendant que nous parlons pour un héritage sur des terres perdues. Vous avez encore ce manoir. Vous avez encore tant d’or, tant de contacts, tant… Tant de choses que j’aimerais avoir. La vie faisait que nous étions bien plus nombreux que vous - j’ai voulu me servir de cela. Comment ne pas profiter de cette situation? Comment ne pas penser à sa propre survie?” Le jeu d’ombre laisse deviner qu’il s’est pris un coup de pommeau.
“Vous avez abusé de notre hospitalité!” Il se prend un autre coup.
“Vous nous avez menti! Vous nous avez volé!” Il se prend un autre coup.
“Vous voulez que je vous pardonne?” Il se prend un autre coup.
“Vous” La jambe métallisée file dans ses côtes.
“voulez” Le revers du bras tape sa tempe.
“que” Il est saisi par les épaules et jeté au sol.
“je” L’épée est lâchée et on en vient aux mains.
“vous” Il est jeté de nouveau.
“pardonne?” Il est saisi de nouveau, mais l’autre coup ne vient pas. Ils se regardent, plutôt.
Ils se regardent longtemps, d’ailleurs. Le dégoût lisible sur le visage du paladin se transforme lentement en regard inquisiteur. C’était là une véritable question. Il était perdu. Son frêle cousin le mage ne semblait pas vouloir se battre, et le paladin se sentait mal d’avoir pensé qu’il s’agissait là d’un combat. L’autre avait levé le drapeau blanc il y a de cela des heures. Ce n’était pas le moment pour parler du passé. Ce n’était pas le moment de penser à autre chose qu’à l’endroit où ils s’étaient retrouvés à l’absurdité complète de la situation.
… Mais non. Pour chaque pièce d’or qu’Ythes avait volé à la banque de Sombragon, il avait assisté Alexandre dans ses campagnes. Pour chaque pique qu’il envoyait au blond, il y avait une blessure qu’Alexandre lui-même avait ravivé au sein du brun.
Ythes était l’homme qui avait ramené Alexandre à la raison - certes, il était revenu pour éviter qu’il ne vole son héritage, mais il était tout de même revenu grâce à lui.
Ythes n’était pas aussi mauvais qu’il voulait bien le laisser paraître. Il suffisait de le voir soulever sa jeune soeur et lui faire la lecture pendant les veillées. Il suffisait de le voir mettre son intelligence au service de l’armée pour le bien des communautés humaines qu’il côtoyait.
Il suffisait d’avoir passé la porte des ténèbres à ses côtés. Et c’est ce qu’Alexandre avait fait.
Il le relâche. Ythes se masse la gorge puis la mâchoire, jette un regard du coin de l’oeil au paladin.
“... Vous n’êtes pas à la tête de la Horde de Fer après tout, j’imagine que je ne devrais pas vous tenir responsable de notre… Du… De cette situation.”
“J’ai ma part de responsabilité quant à notre présence ici, mais il est vrai que je n’ai pas ouvert la porte moi-même. Allons aider la guilde la plus proche et ne parlons plus d’Azeroth, Alexandre. Il est possible que nous n’y remettions plus jamais les pieds.”
“J’aurais aimé une meilleure mort - une mort loin de vous.”
“Nous mourrons tous les deux en héros, si nous devons le faire ici.”
Puis Alexandre lui donna la main pour le relever, on soigna ses plaies sans autre forme de procès, et ils repartirent en direction d'Elodor.
Soeur Anne
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