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Resurgences

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Message  Endherion Mer 04 Mar 2009, 16:46

L'air était lourd, vicié, apesanti d'odeurs âcres qui prenaient la gorge et les tripes : la chair brûlée. Tout autour des fumerolles dégageaient encore leurs exhalaisons délétères qu'aucun vent ne venait disperser. La mort régnait en maître, accompagnée de ses amies putrescence et malédiction. Rien ne devait subsister, rien ne subsisterait.

Au cœur de ce qui ne méritait pas le nom de champ de bataille tant celle-ci avait été inégale, Akhmôn et Naphrat se tenaient dos à dos, immobiles, jaugeant de leur regard irradié la scène de carnage dont ils étaient les auteurs imprescriptibles : autour d'eux et de la goule qu'Akhy était parvenu à soumettre à sa terrible volonté, d'ultimes flammèches achevaient de ronger ce qui pouvait l'être. Un peu plus loin le toît d'une masure s'effondra dans un grand nuage de chaume embrasé. Et quand le feu et le sang ne se mêlaient pas, c'est parce que ce dernier était gelé, à l'instar des quelques murs de terre séchée couverts de givre jusqu'à mi hauteur là où le sol n'était pas boursouflé par l'horrible pestilence que les deux combattants venaient de répandre.

Des corps sans nombre, sans âge, sans vie, gisaient ici et là, maigres reliques de ce qui avait été l'instant d'avant un petit hameau paisible à la vie bien réglée sous le joug des Ecarlates. Il n'en restait rien sinon de quoi alimenter l'un de ces innombrables charniers ou bûchers qui signaient, comme autant de cicatrices sur la terre souillée, la progression des armées du roi-liche. Oh, ils n'avaient pas fait l'erreur de croire que les quelques murs de ce coin tranquille resteraient sans défense. Des soldats étaient venus, éclatants de rouge et de blanc puis bientôt de sang et de neige, de cette neige fine et légère, quelques flocons à peine, qui tombait timidement et ferait d'ici quelques heures le linceul de ces combattants au destin achevé.

Ils restaient aux aguets, immobiles, les mains serrées et les pieds fermement campés au sol. L'éternité aurait pu s'écouler avant qu'ils ne rompent leur sinistre formation, leur binôme aussi fatal que destructeur. Leurs regards scrutaient les ombres, fouillant chaque recoin, avides d'y découvrir une nouvelle menace, encore un peu de vie à digérer, à ronger, à déchirer comme une nouvelle offrande à celui à qui ils devaient tout. Un vagissement, lointain, brisa le silence un court instant. Plutôt un râle d'agonie auquel ne répondit qu'un rapide coup d'œil de l'un de ces maudits avant que ce bruit ne s'éteigne de lui-même.

Puis, sans qu'un mot eut été prononcé, leurs gigantesques épées couvertes de sang et de runes luisantes s'abaissèrent enfin jusqu'à ce que leur pointe, méthodiquement, s'enfonce dans le cœur de ceux qui avaient peut-être cru, l'espace d'un instant, venir à bout de leur effroyable puissance. Lentement elles frôlaient le sol, sinistres maraudeuses, en quête d'une dernière chaleur, d'une ultime étincelle de vie à éteindre, d'une vie vacillante qu'elles ne se contentaient pas de prendre mais sur lesquelles elles plongeaient, brutales, et ravissaient dans un chuintement métallique, malsaine jouissance à la gloire de celui qui, par l'entremise de ses noirs serviteurs, manifestait sa toute-puissance. La mort était venue, rapide délivrance pour les plus chanceux dont l'acier noir avait déchiqueté les chairs, effroyable douleur pour les autres que d'infectes maladies, pestes, chancres, furoncles et bubons avaient défiguré dans d'indicibles tourments et dont la peau avait éclaté, rongée de fièvres en quelques trop longs instants.

A deux ils étaient venus, à deux ils allaient repartir, sans un mot, anges de la mort au noir manteau, ne laissant derrière eux rien qui fut vivant. Ils libérèrent chaque âme de son corps putrescent pour mieux l'offrir à leur seigneur et maître. Le bruit qu'ils avaient perçu auparavant s'éleva de nouveau, cri d'enfant plutôt que plainte. Naphrat finit d'arracher la porte de ses gonds de cuir et pénétra dans la pièce unique d'une maison dévastée sur laquelle le toit menaçait de s'écrouler. Là elle écarta la table qui avait basculé contre un mur, renversant avec elle le berceau qui y avait été déposé. Deux yeux gris grand ouverts, qui n'avaient pas vu le monde depuis plus d'un mois semblèrent la dévisager dans le silence retrouvé. Elle porta la main à sa dague. L'acier maléfique crissa dans son fourreau en même temps qu'elle tirait le panier d'osier hors de sa cachette improvisée...



Naphrat se redressa tout d'un bloc, les yeux exorbités. Le souffle lui manquait tant elle avait dû crier dans son sommeil. Hébétée, elle se sentait hoqueter, submergée par l'horreur de ce qui n'était pas un rêve tant la réalité l'accablait. L'homme allongé à ses côtés l'enlaça immédiatement dans une étreinte puissante, comme s'il craignait qu'elle se débatte et se blesse. Longtemps ses mots apaisants restèrent sans effet sinon celui de libérer, une fois la terreur dissipée, des flots de larmes qui semblaient ne pas devoir finir et la secouaient de spasmes douloureux.

Le cauchemar s'arrêterait-il un jour ?
Endherion
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