[Shaori] Une journée ordinaire

Le soleil se lève, discrètement par-dessus les toits de la ville. Les oiseaux piaillent depuis quelques temps déjà et l’activité des hommes commence à se faire entendre. Des pas battent le pavé, par moment un bruit de charrette, un hennissement de cheval, troublent le calme matin. La lumière du jour se pose délicatement sur le visage de la draeneï encore endormie.

Un instant passe, quelques minutes sans doute. A la longue, les doux bruits finissent par pousser la dormeuse à ouvrir un œil. Elle se redresse et regarde machinalement entre les planches défoncées formant son volet. Elle s’en détourne sans rien dire et plonge ses mains dans une petite écuelle non loin. Elle reste un instant à regarder l’eau se cristalliser doucement autour de ses doigts avant de passer ses mains sur son visage encore endormit.

Comme un automate, elle s’habille, se coiffe et se regarde dans le miroir terni. Son visage inexpressif et son regard vide peinent à se refléter sur la surface usée. Elle prend ses affaires et sort du débarras qui lui sert de chambre. Après quelques pas, la voici dans la rue.

- « Poisson frais ! Poisson Frais ! Pêché de ce matin ! Goûtez mon poisson frais ! »
- « Fruits de Strangleronce ! Importation directe ! »
- « Allez ! Allez mes sieurs et dames ! Venez profiter de cette offre exceptionnelle ! »
- « Hey ! Fais gaffe avec ton eleck ! T’as faillit m’écraser le pied ! »
- « Des animaux de compagnie pour tous les goûts ! Égaillez votre triste vie d’aventurier ! »
- « Maman ! Maman ! J’peux avoir un dragonnet ? »

La draeneï erre sur la place du marché, posant son regard vide sur ce qui l’entoure.

- « Rejoignez l’Oeil Écarlate ! et combattez le Fléau de la bonne manière, la seule, la vraie ! »
- *murmures* « Des écarlates recrutant en pleine rue ?! »
- *murmures* « Laisses, sont fous. Vaut mieux passer son chemin… »

Le bruit de ses sabots sur le sol attirent un instant son attention. Comme si elle les entendait pour la première fois. Elle lève la tête et observe l’arbre devant l’hôtel des ventes. Le bruissement des feuilles dans la brise du matin semble apaiser l’errante. Son regard s’emplit d’une certaine mélancolie pendant un très bref instant. Puis, elle détourne la tête et recommence à marcher sans but.

- « Tu vas continuer cette comédie encore longtemps ? »

Une voix très faible, mais insistante résonne dans sa tête. Une voix froide et métallique, ni agressive, ni mielleuse, tout juste à peine agacée.

- « Tu m’écoutes ? Je t’ai demandé si tu allais continuer ce cirque encore longtemps ? »
- « Je dois m’intégrer. » répondit la draeneï à voix haute.
- « C’est pas en marchant comme un zombie que ça arrivera ! »
- « Oui. Je vais m’asseoir et attendre. »
- « Crénom !! T’as rien comprit ma pauvre ! T’es pas de cette ville ! T’es même pas de ce monde ! Pire que tout, t’es même pas vraiment en vie ! Tu crois qu’il va suffire de te poser à un endroit pour… t’intégrer… ?! »
- « ça arrivera. Des gens sont déjà venus me parler »
- « Ouais… une bibliothécaire, un voleur, un autre chevalier, un mendiant, une gnome qui est partie en hurlant et une personne t’ayant prise pour quelqu’un d’autre ! La belle affaire !! Et ils sont où maintenant, hein ? Dis moi ? Hein ?! »
- « Je ne sais pas »

La draeneï continuait de parler à voix haute, toujours sur un ton neutre. Elle n’attirait même pas le regard des autres passants. Il faut dire que tant de choses étranges arrivaient en ville, qu’une personne parlant toute seule semblait banal. Se faisant, elle continue de marcher un peu et vient s’asseoir sur un perron, face à la fontaine.

- « Tu sais pas ! Tu sais pas ! Tu m’énerves ! »
- « Je n’y peux rien, c’est comme ça »
- *soupire* « Oui… je sais… ce n’est pas de ta faute. », répondit la voix sur un ton plus calme.

Une autre draeneï s’approche de notre amie.

- « Hey, salut ! Vous n’seriez pas joaillière par hasard ? »
-la voix parle : « Vas-y ! C’est ta chance ! Réponds lui quelque chose ! Engages la conversation ! »
- « Non. », répondit notre amie, à l’inconnue, sur un ton monotone
- la voix reprend : « Pauvre cruche… »
- « Ah… bon d’accord… merci tout de même »

L’inconnue fît une petite révérence et s’éloigna. S’en suivit un grand moment de silence avant que la voix ne recommence à se faire entendre.

- « T’es vraiment irrécupérable… »
- « Pourquoi ? »
- *gros soupire*

L’errante restait là, assise, à contempler les allées et venues des gens sur la place. Son regard dans le vide, elle semblait attendre qu’on la remarque, patiemment, heures après heures.
Le ciel se couvrit et une fine pluie commença à mouiller le sol. Presque aussitôt, l’agitation de la ville se calma. Les vendeurs rentèrent leurs marchandises, les passants se mirent à l’abri. Elle, elle restait là, assise sur son perron, à peine abritée. Elle écoutait le clapotis des gouttes s’écrasant autour d’elle. L’habituel chat perdu qui lui tenait parfois compagnie, sorti de nulle part pour se mettre à l’abri près de sa maîtresse par intermittences. Le chat se frotta contre son bras, et, sans y faire attention, elle se mit à le caresser lentement en retour.

- « Tout n’est peut être pas perdu après tout… »
- « Pourquoi ? », répliqua la draeneï à la voix qui lui parlait
- « Rien, rien… »
- « D’accord. »

La pluie continua jusqu’au soir, et naturellement, notre errante ne vit pas grand monde ce jour-là. Son ami chat parti en quête d’un meilleur endroit et elle, comme à son habitude, retourna toute seule à ce qui lui tenait lieu de maison. Ainsi s’acheva la journée d’une errante, une journée bien ordinaire.