Princesse Nadhja Zimbrosca

"Hé t'as vu ça Roger sur la place commerçante? Y a une fille qui vient de Tanaris, elle danse pieds nus et elle chante des trucs qu'on comprend pas tous les mots! Princesse Nadhja Zimbro..struc qui finit en A je crois son petit nom"

Hubert regarda son complice, d'un air curieux, dans la pénombre de la pile de caisses, qui leur servait de cachette présentement.

"Une danseuse de Tanaris mon vieux?? T'es sur de ce que t'avances? On a pas vu de caravane de là bas depuis des plombes!"

Roger roula des yeux d'une façon exaspérée.

"Tou n'as qu'à aller voir par toi même!"

Hubert éclata de rire à l'accent de son vieil ami, qui se voulait chantant et qui était plutôt yoyotant.

"Ye té souis allons voir cette beauté!

Ils laissèrent là leurs sombres plans de vol à la tire sur l'étal du boucher et se dirigèrent vers la place avec un air joyeux.

Ils furent très rapidement cueillis par un rythme endiablé joué sur un tambourin et des applaudissement en cadence, visiblement une foule s'était déjà rassemblée et avait l'air d'apprécier le spectacle.

Nadhja dansait là, au milieu d'un grand cercle de curieux, virvoletait, sa longue robe rouge vif claquant autour d'elle, avec une fougue exceptionnel. Elle se mit à chanter, d'une voix chaleureuse et envoutante, une voix se marriant à la perfection aux tintements de tous ses bracelets, aux poignets et au chevilles, à son déhanché incroyable.

"Tanaris! Tanaris! mon âme, mon coeur, mon mirage
Ye te chante, ye te danse, ye suis à toi ma sauvage,
Moi ye connais oun endroite où les gobelines règnent,
Mon pays c'est céloui de la soif et de la peine!"

Ses pieds nus battant la candence et son tambourin s'animant de plus belle sous ses mains, elle placa sa main droite sur sa hanche et continua à chanter. Hubert et Roger n'en revenaient pas, fallait bien avouer qu'elle avait du chien la petiote!

"Tanaris, Tanaris, nomade mystérieuse sous ton voile dé sable
Souviens toi dé nos nuits, pieds nous sour tes tables!
Danses avec moi Tanaris, Tanaris, mon adorable!
Sorcière vaudou, qu'as tu fais dé nous autres, pobre misérables?"

Elle jouait ses paroles, levant les bras au ciel, comme pour implorer sa clémence, quelle comédienne! Quelle fraîcheur! Tu rigoles c'est chaud comme le soleil ça mon gars! Le public était ravi, suspendu aux lèvres et aux mouvement de la princesse.

"La seule chose qui coule encore dans nos veines c'est ton rouge soleil
C'est l'écume dé té tord boyaux, qui nous brûle les entrailles!
Y'ai voyagé sour dé longues routes, ma yamais, non yamais Merveille
Ye n'ai pou trouver plous riches qué tes canailles!"

Elle sortit une poignée de pièces de monnaie de sa poche et fit mine de les jeter au dessus de son épaule, avec désinvolture, avant de les remettre à leur place, enchaînant quelques pas endiablés.

"Bat-lé-déserte, bandits dé grand chemin!
Oh portefaix, racloure dé pirates, hommes à catins!
Rassemblons nous et lévons nos verres bien haut,
Tant qu'on respire encore c'est qu'on résiste aux mojos!"

Nad se mit brièvement à danser comme une trollesse, appuyant bien ses mouvements, sous les cris de surprise et les rires de la foule.

"Tanaris! scorpidés, basilics, guèpes ou hyènes,
Quand oune caravane marchande arrive jousqu'ici,
C'est qu'elle était protégée par la magie d'oune prophétie,
Superstitiones, dé bout dou monde, par dizaines!"

Nad tourna plusieurs fois sur elle même, descendant lentement sur ses genoux, en faisant tourner un foulard rouge autour d'elle, puis se relevant doucement...

"La liberté ici sé limite à sourvivre, à boire si t'y arrive,
Saigne oun chardon dé rosée et marche, marche jousqu'a la rive!
Tou sais, qué c'est pas les dragones qui viendront t'sauver,
Mais bel et bièn oun roc dé feu qui viendra té bouffer."

Elle fit mine de claquer des dents en battant des bras comme si c'était des grandes ailes d'oiseau, sauvagement, et la foule frissona malgré elle, devant son air farouche!

"Y'ai marché, y'ai marché aux longues routes,
Ma yamais ye n'ai croisé, nomades plous heureux
Y'ai marché, marché au bout dou monde,
Et yamais ye n'avais vou autant d'hommes chanceux!"


Elle exécuta une série de roues, avec panache, laissant apparaître son jupon en dentelles blanches entre deux, sa robe lui remontant sur la tete avec un gonflant étonnant. Elle finit par se figer devant son public, leva le poing en l'air et cria plus encore qu'elle ne chanta les deux derniers couplets de sa chanson, d'une attitude révolutionnaire.

"Et même quand chaque jour est oune guerre
Qui n'se lit que sour les visages
Ici on n'parle pas d'sa misère
Et encore moins dé son courage."

Elle tapa trois fois sur son tambourin, séchement et s'empara de quelque chose dans sa poche, de manière mystérieuse.

"Nous férons cé qué nous voudrons,
Libres penseurs d'oune autre faction,
Au bras dé fers nous t'écraserons,
Sans plous dé façons, avant dé té chanter not'chanson!"

Elle exécuta soudain un saut périlleux avant, un saut périlleux arrière puis disparut dans une pluie d'etoiles, sans doute le résultat d'une poudre qu'elle avait visiblement jetée en l'air à un moment donné... Elle réapparut légérement plus loin, pour courrir revenir saluer son public en s'inclinant bien bas, en faisant de grandes révérences, le sourire jusqu'aux oreilles.

Le public donna l'ovation à la chanteuse et une pluie de petites pièces s'abattit à ses pieds, pièces qu'elle ramassa avec dextérité, les fourrant dans ses poches, avec des clins d'oeil, des sourires et des merci à ses admirateurs.

Nadhja glissa finalement sa saccoche contre elle, en bandoulière, sur son épaule et s'en alla après un dernier signe gentil de la main, sous l'oeil médusé des quelques badauds curieux de voir ce que la princesse allait faire après son quart d'heure de succès.

Hubert et Roger, un peu dépités de la voir partir sitôt passèrent du coup l'après midi à l'agneau à se saouler en pleurant sur leur sort, de ne jamais pouvoir trouver une femme pareille à aimer.

Nad quant à elle, de sa démarche décontractée, sa saccoche se balancant à ses cotés, finit par arriver près du lac, au milieu de la foret. Là elle s'allongea dans l'herbe avec un plaisir évident et plongea ses yeux d'un vert éclatant sur le ciel, ses longs cheveux noirs étalés autour d'elle, comme un soleil noir.

Nad aimait sa liberté et sa solitude, elle aimait la vie qu'elle s'était choisit, une vie de nomade, sans foi ni loi, sans attaches, une vie de simplicité et de complicité avec les gens, avec la nature, avec l'essence même de la vie.