Pistolero

Valdo fit tinter les pièces d'or dans la bourse de cuir qui pendait à sa ceinture.

"- On peut s'arranger." Hasarda t-il avec un sourire poli.

Face à lui, le gobelin haussa un sourcil glabre, observant l'elfe de bas en haut. La fine silhouette du queldorei à la peau hâlée n'était pas très imposante, enveloppée dans son large cache-poussière de cuir. Confiant en la capacité de destruction des deux molosses ogres qui l'encadraient, le gobelin fit craquer ses doigts. Autour du petit groupe, la taverne était plongée dans un silence pesant, chose des plus inhabituelles pour un établissement de ce genre à cette période de la nuit, à Booty Bay. Les clients observaient leurs chopes sans y toucher, la mine basse, tentant d'ignorer la "transaction" qui avait lieu non loin le plus discrètement possible.
Skizzle s'avança, se plantant face à l'elfe. Ou plutôt face à ses genoux. Des plus désappointant...

"- Mok ! "

L'un des deux ogres s'agenouilla avec peine, la main posée au sol, paume retournée vers le plafond obscurci et enfumé. Le gobelin prit place et put ainsi être amené à la hauteur des yeux de l'elfe, fixant son débiteur avec l'air le plus menaçant qu'il était capable de se donner.

"- Content de pouvoir contempler le jaune de tes yeux de faon d'aussi prêt, Skizzle."

L'elfe affichait toujours son petit sourire crispant, mais mis à part ce détail, le reste de ses traits avenants restait des plus impassible.

"- Je n'ai rien à faire de ton or ! Cette fille que tu m'as volée m'en aurait rapporté mille fois plus avant de ne plus pouvoir servir ! Peux-tu me payer mille fois le contenu de ta bourse, pied-tendre ?"

L'elfe soupira tout en lissant son bouc noir, une pantomime de réflexion se lisant sur son visage. Il énonça sa phrase d'un ton joyeux.

"- Une telle beauté n'avait rien à faire dans ton commerce poisseux, Skizzle. Et puis, je ne te l'ai en rien volée !" Ricana t-il avant d'ajouter avec un clin d'oeil : "C'est elle qui a choisi de me suivre."

Le petit être vert lui adressa un regard haineux, sifflant entre ses larges dents pointues. Ses oreilles tremblotaient sous l'effet de la rage contenue.

"- Rends-moi la fille, et on en reste là. Autrement, je serais contraint d'annoncer à Revilgaz la mort d'un de ses agents les plus talentueux."

Les deux gardes du corps du gobelin grognèrent en tapant leurs masses contre le plat de leur larges mains, comme pour donner plus de poids aux arguments de leur minuscule employeur. Valdo afficha un air faussement contri.

"- Hélas mon bon Skizzle, même si je le voulais, je ne le pourrais pas. Elle se trouve à des lieux et des lieux de ce trou puant qui est le notre. Mais entre nous, je pense qu'elle est bien plus tranquille chez sa famille à laquelle tu l'avais ravie que dans le bordel immonde qui te sert de gagne-pain."

Réprimant un grognement, le gobelin fit une petite série de gestes frénétiques destinés à son ogre afin que ce dernier le repose à terre. Sa petite voix criarde résonna dans l'établissement ou planait un silence de mauvaise augure, ponctué de quelques toussotements bien vite réprimés.

"- Alors nous allons avoir un problème tous les deux. Qu'as-tu à me proposer, autre que ta vie, pour me dédommager ?"

Valdo se déplaça nonchalamment vers son siège et se saisit du chapeau à large bord qui était accroché au dossier. Le déposant sur son crâne, il le rajusta avec soin et profusion de mouvements exagérés. Il se retourna face aux malfrats, faisant à nouveau mine de réfléchir, son regard d'un bleu flamboyant passant du gobelin aux ogres, des ogres au reste de la salle. Skizzle grinça des dents. L'elfe préparait quelque chose, c'était limpide, et le gobelin préférait éviter tout risque superflu. Un geste de la main et les deux cogneurs allèrent encadrer le queldorei de leur masse ventripotente. Ce dernier mit fin à sa réflexion en claquant des doigts en direction de Skizzle, qui sursauta de frayeur.

"- Une danse !"

Le gobelin ecarquilla les yeux.

"- Une danse ?!"

Sans répondre, l'elfe exécuta un salut grandiloquent avant de se lancer dans une sorte de gigue des plus singulière, faisant grincer en rythme le parquet vermoulu sous les pas cadencés de ses bottes de cuir. Les deux gorilles ogres le fixaient, ne surent pas trop comment réagir à cette réaction des plus inattendues. En principe, les personnes sensées se trouvaient plutôt effrayées ou intimidées par leur présence...

Les évènements qui suivirent se déroulèrent en l'espace d'à peine quelques secondes.

Reniflant un coup fourré, le gobelin se rua à couvert derrière une chaise, hurlant ses mots d'une voix suraiguë.

"- Idiots ! C'est une distra..."

La fin de son avertissement fut noyé sous le son de deux coups de feu. Valdo se tenait droit entre les deux ogres aux boîtes crâniennes exposées, bras écartés, un pistolet fumant dans chaque main.

D'où les avait-il sorti ? Skizzle ne l'avait même pas vu porter la main au holster ! Sortant deux armes à feu à sa taille, le gobelin commença à les charger compulsivement de toute la poudre qu'il avait sur lui, en répandant plusieurs pincées à côté.

Plusieurs clients se ruaient vers la sortie, tandis que la plupart des autres renversaient les tables de bois épais en guise de protections de fortune. Seul un orc et un nain restaient assis à leur table au milieu de la cohue, imperturbables, leurs chopes de bières à la main, l'air morose.

Skizzle jeta un œil derrière son couvert, mais il n'y avait plus aucune trace du pistolero...son instinct de conservation le titilla juste à temps et il rentra rapidement la tête dans ses épaules, juste avant qu'une balle ne fasse éclater la partie supérieure du dossier de la chaise derrière laquelle il se dissimulait. Il avait cependant eu le temps de notifier l'origine du coup de feu. Il couru jusqu'à une table renversé, faisant feu de ses minuscules pistolets sur les bouteilles d'alcools divers qui étaient rangées au dessus du bar. Il exécuta une dernière roulade avec un ricanement dément et s'abrita sous la table à côté de deux marins humains aux mines patibulaires. Il sorti un cigare et l'alluma avec un sourire mauvais de son briquet.

A couvert derrière le comptoir, Valdo rechargeait paisiblement son six-coups. Ce Skizzle "l'Embrouille" manquait indéniablement de classe...ses pensées furent interrompues par une pleine douchée d'alcool et le son des rires du gobelin.
Puis ce fut le son d'un briquet qui se fit nettement entendre, quelque part sur sa droite...
Avec un juron, le pistolero bondit hors du bar, à l'instant même ou la lueur d'une flammèche tremblotante fendait les airs en direction du lieu ou il s'abritait. Le son d'une petite déflagration retentit, puis celui du crépitement des flammes. Le gobelin se mit à rire de plus belle, derrière sa table. L'idiot venait de livrer sa position exacte à l'elfe..

Rengainant son arme, il ecarta les pans de son manteau, révélant le harnachement de cuir qui recouvrait son torse, auquel étaient fixés pas moins de six holsters. Chacun d'entre eux portait une plaque de cuivre gravée d'un simple nom. Sa main délicate caressa presque amoureusement l'un d'eux dont la plaque portait l'indication "Roberta" avant d'en sortir l'arme qu'il contenait : un pistolet massif au canon large et court. Valdo vint se poser derrière la table renversée derrière laquelle le gobelin se tordait d'un rire nerveux, et visa soigneusement. Il enclencha le chien de son arme qui produisit un cliquetis métallique audible. Les rires stoppèrent. Valdo laissa sa voix claire et chantante briser le silence qui s'était à nouveau établi.

"- Ca manque un peu de musique ici, tu ne trouve pas Skizzle ? Laisse moi te présenter mon amie Roberta. Et surtout, apprécie sa voix."

Il fit feu, l'arme produisant un vacarme impressionnant compte tenu de sa taille, laissant un trou béant dans la table. S'avançant d'un pas léger tout en rechargeant, Valdo contourna le meuble. Il eu un petit sourire de satisfaction en contemplant le cadavre déchiqueté du gobelin, baignant dans son sang quelques mètres en arrière. Aucun des deux humains qui se trouvaient à ses côtés n'avait été touché, même si ils étaient visiblement secoués, à en juger par leurs expressions.

Rajustant son chapeau et son manteau, le pistolero se dirigeait vers la sortie quand une silhouette massive lui barra la route, se découpant dans la lumière. L'humain large et gras releva son tablier et dégaina...son calepin et un morceau de fusain.

"- Le stock d'alcool. La table. Le bar. Les frais de dérangement, et pour finir vos consommations." Il déchira le feuillet et le tendit à l'elfe.

Se raclant la gorge, Valdo fit tinter les pièces d'or dans la bourse de cuir qui pendait à sa ceinture.

"- On peut s'arranger ?" Hasarda t-il avec un sourire poli.

(j'adore )

(moi aussi ! )

(Excellent )