Rêves et cauchemars

Hurlevent, quartier commerçant, sur la place bondée de monde. Observant la place, contre un mur, se tient un jeune homme grand, tout en finesse. Quelques mèches noires passent de temps à autre devant ses yeux caramels et son visage fin à la peau pâle sous laquelle coure des veines noires, selon le vent. Il est vêtu d'un long manteau bordeaux, d'une chemise trop large pour lui de la même teinte, et d'un pantalon noir, des bottes écarlates aux pieds. Sous le manteau, on peut voir clairement le fourreau noir décoré de feuilles d'argent, maintenu par la ceinture, racler le sol. L'épée qu'il contient est démesurément longue par rapport au bras du jeune homme. La poignée taillée dans un os visiblement, est assez longue pour que celui qui la manie se serve de ses deux mains.

Il observe la place, semblant chercher quelque chose ou quelqu'un. Au bout d'un moment il finit par pousser un long soupir et tourne les talons, s'en allant d'une démarche lente. Il observe les visages des personnes se trouvant sur son chemin, en tournant les yeux, les détaillant tout en continuant son chemin. Il finit par arriver à la fontaine au dessus du port de la cité humaine et s'arrête. Personne aux alentours...C'est rare.

Dans sa main droite, un mouchoir en soie bleu clair, tâché de sang déjà séché depuis longtemps, dans sa main gauche, un long bâton en acier. Il finit par murmurer d'une voix tremblante de rancœur.

-Pourquoi vous me laissez seul...? Je l'ai pas déjà assez été ? Pourquoi est-ce que je suis celui qu'on laisse sans soutien ? Pourquoi je suis toujours celui qui en prend le plus dans la gueule quand je fais une connerie ? Pourquoi moi mes faiblesses servent à me frapper encore plus fort alors que les autres sont toujours réconfortés par leurs proches ? Est-ce que j'ai encore des proches en fait ?

Il finit par se laisser tomber contre la fontaine, en larmes.

-Je fais de mon mieux...toujours...et pourtant on continue d'exiger plus...toujours plus...Et en retour j'ai de plus en plus de malheurs...C'est quoi la solution ?

Un être vêtu d'une longue robe noire se forme doucement à côté du jeune homme, venant lui attraper le visage avec tendresse d'une main sans aucun doute féminine, essuyant les larmes du jeune homme qui l'observe sans rien dire, triste au possible. Elle finit par murmurer à l'oreille du jeune homme, en le prenant dans ses bras.

-Si elle t'a rendu triste...Oublie la...Ne donne pas ton cœur à n'importe qui petit prince...

Une autre forme prend lentement place de l'autre côté du jeune homme. C'est une femme également, elle enlace le garçon, comme une mère le ferait.

-Darsin...mon fils...Souviens-toi de ce que je t'ai dit...

Soudain tout prend une couleur terne alors que le garçon se relève, dégainant lentement l'épée à son côté. Une jeune femme en face de lui, elle doit avoir à peu près son âge. Elle a des cheveux et des yeux gris. Elle lui adresse un sourire. Lui s'approche, laissant son épée racler les pavés qui se transforment lentement en brins d'herbes. La ville elle, prend lentement l'apparence d'une jungle. Darsin serre lentement, avec force, la poignée de sa lame et s'arrête devant la jeune femme souriante. Il place sa deuxième main sur la poignée et en poussant un cri de rage il envoie son épée frapper d'un coup de taille en direction du flanc. L'épée s'arrête avant de toucher sa cible et tombe doucement à terre, le jeune homme qui la tenait, crachant du sang, alors que griffes et épées sortent de son ventre. Les formes des deux femmes l'ayant réconfortés sont présentes à ses côtes. De leur visage, n'est visible que leur bouches, affichant un sourire satisfait. Elles répètent d'une voix moqueuse.

-Tu as échoué ! Encore une fois échoué ! Tu échouuuuuuuué parce que tu es un petit enfant ! Echoué ! Encore un échec !

Leur voix se font de plus en plus lointaines alors que le jeune homme se réveille en sursaut, en sueur dans un grand lit décoré de satin, dans une chambre de sa demeure à Strangleronce. Il tourne lentement la tête vers sa droite, ressentant un déchirement au cœur en observant l'absence de présence qui lui semble désormais si étrange.

-Un cauchemars...C'était qu'un cauchemar...

Il se glisse lentement sur la droite et s'endort en respirant son odeur à elle. En s'endormant il murmure à plusieurs reprises le même prénom...

-Cyrielle...Cyrielle...Cyrielle...

-REVIENS IMMEDIATEMENT !

La voix est féminine et pourrait être agréable si elle ne grondait pas. Malheureusement, c'est une voix qu'il a trop entendu. Depuis quand les petites soeurs ordonnaient aux grands frères ?

-Ca ne va pas être possible pour le moment, vois-tu je suis actuellement en assez mauvais état, suite à tout ce que j'ai subi ces derniers jours.

-REVIENS MOI IMMEDIATEMENT DARSIN !

-Roh la ferme.

-REVIENS TOUT DE SUITE !

-Je ne comprends vraiment pas pourquoi mère t'a adopté Scorie, tu es ennuyante au possible, toujours à pleurnicher sur ton sort, de plus tu fais ta crise d'adolescence, ce qui est est assez fatiguant. Qui plus est, tu essayes de faire preuve d'autorité, alors que tu n'en as pas la moindre once. Tes ordres sont stupides, incensés, inutiles, en gros, tu ne les donnes que pour te donner l'impression d'être aux commandes, chose qui est évidemment fausse, sauf si tu tiens à te condamner.

La douleur est intense. Mais il continue son sermont, trop habitué à cette torture. Il continue car il a besoin de l'humilier, comme elle tente de l'humilier lui. Elle pense arriver à le briser. Il rit de ses efforts. Il n'a plus grand chose à perdre, il a même à y gagner.

Plus grand chose à perdre car son épouse a cédé. Définitivement. Et il lui a mentit. Il lui a dit qu'il resterait avec elle. Il a arrêté d'être sincère, voyant que ça ne servait plus à rien.

Partir. Il lui faut trouver un moyen pour partir.

Non...Il l'a déjà fait. Mais même loin il n'échappe à leurs griffes. Il est leur prisonnier. Lorsqu'il accepte enfin cette idée, une rage monte en lui, il tente d'hurler, mais aucun son ne sort de sa bouche, figée en un hurlement.

Il ne veut pas rester prisonnier. Il ne veut pas obéir à sa petite soeur. Ou plutôt à celle qui l'a été.

Il se tord de douleur, en hurlant silencieusement sa rage. Il se griffe le torse, et regarde avec horreur les lambeaux de peau grisâtres se séparer de son corps. Il se retourne, tentant de se mettre à genoux. Il crache. Du sang. Et autre chose. La pierre qu'il observe fume doucement, en disparaissant sous ses yeux.

Sa bouche finit enfin par exprimer sa volonté. Sa voix résonne dans les couloirs de pierre.

-AIDEZ MOI ! AIDEZ MOI !

Le réveil en sursaut. La douleur qui le ronge. Il n'arrive plus à distinguer le cauchemar de la réalité. Des larmes. Elles coulent de ses yeux. Il regarde la main qui vient les essuyer. Sa main. Il n'arrive pas à distinguer sa couleur. Lorsqu'il la regarde dans un premier temps, elle est grise. Il fronce ensuite les sourcils, pleurant de plus belle et elle reprend sa couleur habituelle.

-AIDEZ MOI ! JE VOUS EN SUPPLIE AIDEZ MOI !

Epuisé par ses incessants cris, par sa douleur, il rampe. Il avance à tâtons. Pourquoi a-t-il crié ? Ca ne lui ressemble pas. Pourqoi a-t-il hurlé à l'aide ? Il ne demande pas d'aide. Il finit par arrêter de ramper, et regarde les alentours. Rien n'a changé. Il n'a pas bougé. Il se recroqueville sur lui-même, ne sachant même plus si ce geste même est effectué ou s'il ne l'a pas juste imaginé.

Mais la voix résonne encore et le ramène à la réalité.

-Reviens Darsin !

La souffrance n'a pas diminué. Il délire toujours. Il essaye de s'accrocher à ce qu'il est cependant. Il s'agrippe à ce qui lui reste de raison.

Un souvenir. Il lui faut un souvenir auquel se rattacher.

Qui sommes nous ?

Darsin Soltern.

Où vivons-nous ?

Dans la Vallée de Strangleronce.

A quel souvenir s'accrocher ?

Celui d'un foyer peut-être ?

Non. A quel souvenir souhaites-tu t'accrocher ?

Mirran ? C'est ridicule, je me demande mon avis à moi même alors que je n'arrive même plus à distinguer le vrai du faux...

Concentre-toi. Mirran c'est pas mal comme souvenir.

Et pas douloureux.

Et pas douloureux. Mais est-ce que c'est ce à quoi tu veux te raccrocher ?

Je peux essayer avec maman sinon. Mais c'est plus douloureux déjà.

N'essayes pas alors. Il faut quelque chose qui te permettre de sortir un peu de cette douleur. De ce mal qui nous ronge.

Plus facile à dire qu'à trouver. Chaque souvenir est relié à un autre souvenir, c'est ça la vie...

Ne prends qu'une portion de vie. Cherche. Il n'y en a pas une où le calme a été assez long pour t'y accrocher ?

Non. Il va falloir trouver autre chose. Sauf si penser à Mirran marche.

On pense que c'est la bonne solution alors ce n'est pas la bonne solution.

Sauf si on pense effectivement juste.

On ne pense pas juste lorsqu'on est fou.

Je ne me trouve pas fou pour le moment.

Ben voyons, tu parles peut-être avec quelqu'un ?

...C'est vrai que là, je paraît moins crédible d'un seul coup...

Et oui. On va garder Mirran en dernier recours.

On pourrait essayer...l'étude ?

Non. Mon esprit est assez fatigué comme ça, je ne vais pas lui imposer du travail en plus...

Quoi alors ?

Les paysages peut-être ?

J'en ai vu des très beaux oui. Mais j'étais rarement seul, et la plupart des beaux endroits que j'ai pu observer, je les ai partagés avec des gens que j'aime.

Mauvaise idée alors. Réfléchis !

Plic. Plic. Plic. Les gouttes d'eaux tombent devant lui.

Tu as entendu ? Il pleut.

Si tu l'as entendu, je l'ai également entendu.

Les tremblements cessent lentement. Il garde les yeux fermés, savourant le bruit des gouttes d'eau tombant autour de lui. Il savoure cet instant de répit. Cet instant de tranquillité. Il amène doucement ses doigts à ses lèvres, les humidifiant avec un peu d'eau de pluie, passant sa langue dessus.

Le tonnerre gronde. La pluie bat de plus en plus fort son corps. Il subit avec plaisir cette averse, qui pour lui est une véritable éclaircie. Il ouvre les yeux, et regarde le ciel noir, qui s'illumine parfois suite aux éclairs. La pluie le fait cligner des yeux à plusieurs reprises.

Le temps passe. Il ne sait plus s'il s'agit de secondes, de minutes ou d'heures. Peut-être même des jours qui sait ? La seule chose qui importe, c'est cet orage qui lui sert de refuge.

Le temps passe encore. Les nuages et la pluie prennent la teinte du sang qui sort à peine des veines. Le tonnerre est gris. La pierre verte. Il cligne des yeux. Plus de pluie. Plus de nuages.

Tu vois que tu peux le faire ?

Oui...Il faut continuer...Il faut que je trouve un moyen d'y repenser...Aide moi !