[The Sbire 3 - le dénouement]

1.
Carmélia se tenait assise, légérement courbée sur elle-même, les mains attachées. Ses cheveux masquaient partiellement son regard tandis qu’elle se tortillait légèrement, comme une créature souffrante et privée de ses mouvements. En face d’elle, un homme l’interrogeait :
« Etes vous consciente de la gravité de votre situation ?
- Nous savons ce que nous avons fait ! Nous plaidons coupable d’avoir voulu améliorer l’humanité.
- Vous connaissiez toutes les victimes ? s’enquit-il en posant sur la table quelques clichés pris par la Garde. Regardez celle-ci, elle s’appelait Miniska. Quelqu’un ou quelque chose l’a apparemment forcé à propulser son crâne contre des débris de verre…
- Nous pensons qu’elle s’est suicidée.
- Elle ne s’est PAS suicidé. Elle a martelé la table douze fois avec sa tête ! C’est de la sorcellerie, un acte de possession ! Nous avons besoin de vos réponses, Carmélia. Ils ont abusé de vous, ils ont profité de vos faiblesses pour vous manipuler. Nous ferons tout pour vous éviter la potence mais il faut que vous nous aidiez à comprendre… »


2.
Ils sont tombés. Les uns après les autres. Les complices du Sbire. Le jugement fut sans appel.
« Andreus Correlli, coupable de crimes contre les citoyens du Roi. Peine capitale.»
La marteau du juge claqua. Mais personne n’était réellement satisfait. Une mascarade. Les noms tombaient sans que nous sachions réellement leurs implications. Les descentes et les fouilles furent nombreuses, menées dans l’espoir de retrouver les quelques personnes qui avaient disparues depuis. Comment s’appellait-t-elle, cette elfe ? J’avais entendu son nom à plusieurs reprises. « Le Vent de la Mode ». J’ai trouvé une photographie d’elle, dans l’un des laboratoires au milieu des clones.

C’était immonde.


3.
Carmélia se redressa, le visage fermé. Elle ne parvenait pas à accrocher son regard et ses mains tremblaient. L’homme glissa près d’elle une feuille vierge et un petit crayon de bois. Ce qu’elle dessina ensuite laissa l’inspecteur perplexe. C’est un éclat de rousseur qui teintait la chevelure de la silhouette que Carmélia traçait aisément sur le papier froissé. Une ressemblance frappante avec la jeune fille de l’autre jour, remarqua l’homme. Sollyne.
« Au commencement, elles étaient deux, racontait Carmélia. Deux sœurs.
- Diane … et Amandyne, n’est-ce pas ?
- Leur père, souvent absent, les aimait plus que tout. Leur mère… n’a jamais voulu comprendre.
- Comprendre quoi ?
- L’amour … ne passe que par la douleur. C’est ce que Diane pensait. C’est ce qu’elle ressentait, rejetée par sa mère. Mais également par ce petit garçon. Seule… elle était seule. Et la douleur, elle a décidé d’y mettre un terme. Oui, oui, oui !
- Les incendies à bois-de-bûcher. C’était Diane ?
- Les villageois ne dormaient plus, les cauchemars devenaient de plus en plus fréquents, les nuits de plus en plus agitées. L’horreur grandissait, non loin de là. Profitant de l’absence du père, ils se sont débarassés de Diane, et d’Amandyne. Ils ont libéré le Mal qu’ils cherchaient à contenir. Oh oui !»
Carmélia esquissa quelques derniers traits, révélant alors une maison, enserrée par la forêt.
« Savez vous où se trouve la maison que vous venez de dessiner ? demanda l’homme.
- Nous y avons dormi, répondit-elle avec un grand sourire. Nous y avons dormi. Ca oui. »


4.
23h30. J’ai vu des choses que je n’aurais jamais dû voir. L’horloge de Bois-de-bûcher résonnait encore dans ma tête. Les aiguilles tournaient à l’envers et des hurlements provenaient du puits. Je m’y suis penché et j’ai vu. Cette chose rampait le long de la paroi, décharnée et le regard plein de haine, ses mouvements étaient saccadés comme brisés par le Temps. Comme si le Temps lui-même se déformait, se tordait de douleur. Et la mare boueuse que je peinais à éclairer de ma faible lanterne prenait la couleur du sang. Je fus pris de convulsions, je me voyais hors de mon propre corps. Ce moment paraissait si long que je crus mourir. Lorsque je m’éveillai, j’étais seul. Le village vide. L’horloge fixe. Je me suis approché de l’ancienne demeure des Szanislav, la maison de Diane. Je croyais qu’elle avait brûlé. Pourtant tout était en ordre. J’ai ramassé un cadre, éclaté sur le sol. Quel effroi lorsque je m’aperçus présent dans ce cadre. Je tenais un crâne comme si la mort me narguait. Je ne me souviens pas du reste, mais celle que je cherchais n’était pas à Bois-de-bûcher . Juste de vieux fantômes, de la poussière et des villageois emmurés dans le silence.


5.
L’homme avait appelé le Major. Cette jeune femme, perspicace et charismatique, prit soin d’écouter le rapport. Elle avait le regard étincelant et portait de temps à autres la main sur son ventre, rassurée que l’affaire prenne fin et que les menaces qui pesaient sur elle se soient estompées.
« Regardez, Major. Fit-il en montrant le dessin de Carmélia. C’est une vieille bicoque, dans la forêt des pins argentés. On était pas loin ! On était juste à coté et on a rien vu.
- Vous pensez qu’Avdeï Szanislav y trouve refuge ?
- Ou quelque chose d’autre, Major. Quelque chose d’autre. »

Un détachement de la Garde fut envoyé sur place. Ils fouillèrent la contrée, non loin de Bois-de-bûcher, non loin d’Ombrecroc. Et finirent par encercler la demeure que la jeune fille avait dessiné.

(à suivre)

Cette rumeur ne tarda pas a atteindre les oreilles dépressives de la prêtresse aux cheveux blancs. Horrifiée, tremblante, elle ne voulait y croire. Mais son désespoir, et l'insupportable absence de sa compagne la rongeait. Elle avait beau se plonger dans ses devoirs cléricaux pour ignorer ce qui n'était que des rumeurs, le doute et le besoin irraisonné de savoir la rongeaient, interrompant ses prières, nouant ses tissages. Finalement, n'en pouvant plu, elle se dirigeât timidement vers la cour de justice en espérant en savoir plus.
Ayant toujours caché sa relation aux pouvoirs publics, de peur d'être harcelée, elle ne pouvait se présenter en tant que compagne. C'est donc en tant que prêtresse qu'elle s'adressa au greffier, cherchant à obtenir cette dite gnomographie, ou un indice concernant l'elfe de la nuit habitant au vent de la mode.

6.
Je repartis de Bois-de-bûcher, déçu de n’avoir rien trouvé à part une douce frayeur et des vertiges. Je repassais les faits. 23h30. L’assassinat des deux fillettes par leur propre mère et les vilageois. Je ne comprenais pas la méthode. Pourquoi le puits ? Pourquoi condamner leur source ? Ils avaient accusé Diane de sorcellerie. Les incendies, c’était elle. Ils pensaient qu’elle ne trouverait pas la mort dans le feu. Ils ont continué à vivre, trois jours, en entendant les gémissements d’Amandyne, qui avait survécu à la chute, contrairement à sa sœur. Ils n’ont rien fait. J’étais écoeuré par leur comportement, approuvant au plus profond de moi la malédiction qui pesait sur leurs épaules.


7.
Les gardes enfoncèrent la porte qui s’écrasa au sol en dégageant un tapis de poussière qui remonta vers le plafond. Après quelques secondes, ils purent observer l’état de la pièce dans laquelle ils venaient de mettre un pied. De nombreuses machines infernales y étaient stockées.
« Ce n’est pas vrai, fit l’un des nains en soufflant sur une petite maquette représentant la maison de Cendrelle. Ils avaient tout prévu ! ».
Le Major Eriane gardait un œil méfiant sur chaque objet de la bicoque. Elle avançait prudemment tandis que ses hommes fouillaient les lieux. Des chaînes, des cordes, des rouages, des scies. Et puis enfin, une autre maquette, dissimulée sous un drap blanc portant l’étiquette « Le Chef d’œuvre ». Elle retira brusquemment le voile.

(...)

8.
Je soupirais, étalé sur mon fauteuil, un verre de scotch à la main. Je ressassais les images, les liens, les témoignages lorsqu’on frappa à ma porte. C’était une jeune femme dont les lèvres étaient brisées par l’inquiétude, les traits tirés par les cernes et coiffé d’un chignon. Vaya Sunberry. Pouvais-je lui faire confiance ? De toute manière, je stagnais. Je la fis entrer, lui proposais de s’asseoir et de goûter à mes alcools. Elle déclina poliment, rentrant dans le vif du sujet. Elle voulait voir la photographie. Je la lui montrais, détaillant ses réactions. Elle était écoeurée, sa main proche de sa bouche, et son regard entre effroi et colère. Puis son doigt s’arrêta sur un détail qui m’avait échappé. Une ombre finement tracée à l’arrière plan, à peine visible mais la silhouette lui semblait familière :
« Dr Waxxin ! »
Impossible de mettre la main sur lui, pourtant je me souviens que la Garde était si proche du but. Quelque chose a pu leur échapper.

9.
Le Major caressa du doigt les bords de la maquette.
« Pourquoi « Le Chef d’œuvre », Major ? demanda l’un des gardes.
- Nous sommes tous là, répondit-elle calmement. Regardez ! »
Elle montra du doigt les nombreux figurants créés à base d’argile, qui entouraient la scène macabre. Elle les nomma, un par un, les victimes d’abord, celles qui ont survécu. Puis les autres, plus nombreux, les proches des victimes. Tous étaient représentés d’argile et de peinture. Et au centre, l’elfe. Jaylini. Ecartelée et enserrée de barbelés, un triste vêtement de feraille qui recouvrait son corps nu, entre les rouages d’une machine immense. La maquette arrivait presque à rendre l’odeur du fer et du sang. Les figurants étaient tous vétus de beaux habits d’apparat.
« Ils avaient prévu un bal, déduisit le Major. Ils voulaient réunir tout le monde ! »
Les gardes fouillèrent encore la pièce mais ne trouvèrent ni cave, ni porte camouflée.
Eriane s’apprétait à remettre le voile sur la maquette lorsqu’une ombre qu’elle n’avait pas remarquée se faufila entre ses jambes et se rua vers la porte pour disparaitre dans la forêt.

10.
Les jours ont passé. Lynael nous avait rejoint sur place, en plein cœur de la forêt des pins argentés. Depuis l’arrestation d’Andreus Correlli, les meurtres liés au Sbire avaient cessé et la Garde, désormais dirigée par le Commandant Eriane, était à nouveau débordée par l’affaire des vers. Nous nous sentions seuls. Vaya hésitait à rentrer dans la vieille demeure du Dr Waxxin ; la moindre odeur lui rappelait cette créature néfaste qu’elle avait affrontée, avec Jaylini, quelques années auparavant. Les gardes avaient emporté la plupart des maquettes et machines dangereuses. Il ne restait plus rien sauf quelques meubles en bois, poussiéreux et grinçants. Lynael se pencha, avec prudence, sous l’une des commodes et passa sa main pour y déloger un petit cavalier noir.
« Rien n’arrive par hasard » se dit-elle à voix basse, en repensant aux paroles d’Aehna.
Elle se redressa pour me montrer la pièce et sa voix se posa, calme et confiante :
« Je sais où est Jaylini ! »

Vaya restait silencieuse quelques temps, stupéfaite par cette annonce soudaine à laquelle elle n'espérait plus.
Elle regardait Lynael, tendue par l'angoisse et l'espoir qui naissaient à nouveau en elle en elle.
Elle ne voulait encore y croire c'était trop soudain, rien n'était encore sûr.
Elle était peut être blessée, ou morte.

Les traits de son visage fondaient tandis que s'effondrait la résolution désespérée qui lui avait permis de tenir jusque là. Ses jambes tremblaient, elle faillit perdre l'équilibre avant de bredouiller "o...où?" du bout de ses lèvres malhabiles.

(possibilité de jouer la libération de Jaylini IG à partir du 31, 1er septembre.)