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Attise [Harmonie]

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Attise [Harmonie] Empty Attise [Harmonie]

Message  Jaëlil Dim 12 Sep 2010, 03:00

Avertissement: Contenu pouvant vraiment choquer pour certaines scènes. Merci d'en prendre note.


Je passe ma langue sur les lèvres, elles sont sèches. C'est râpeux, je dois avoir une haleine de cheval. Ma paume droite se passe contre ma paume gauche, nerveusement: J'ai encore peu de sensations au bout de mes doigts. Je sens juste que la chair a gondolé. Ca me fait grimacer, je crois. J'aime pas l'idée de gondoler. Je me demande, fugacement, si ça ne va pas se propager, si je ne vais me mettre à danser comme une feuille jetée au feu, puis je chasse l'idée. Ridicule. Je pose les yeux sur mon voisin et je l'imagine gondoler. Ca me plait déjà plus. J'y reste.

Je sais pas combien de temps j'y suis restée. Assez pour que le voisin n'y soit plus, du moins pas en face. Je ne sais pas si j'ai dormi. Je frotte ma paume droite contre ma paume gauche. C'est toujours gondolé, mais ça commence à faire mal. C'est bien, enfin, je crois. Ca veut dire que c'est toujours les miennes, puisque je les sens. Je repasse ma langue sur mes lèvres. Cette fois, je peux sentir mon haleine. On dirait une jument.

Je me relève, ça craque. Je fais sursauter les gens autour. Je les vois sans les fixer, du coin des yeux. Pas besoin de regarder les gens en face pour savoir quand ils bougent. Je reste debout le temps que le vertige passe, que je reprenne contact avec mon corps. J'ai la gerbe, en fait. D'avoir trop faim. Il faut que je boive, je pense, même si j'ai le ventre qui fait mal de son envie de se vider. Je reste plantée là un moment, puis je vais m'accrocher aux barreaux.

Le froid sur mon front me fait un bien fou, coulant dans ma migraine dont je ne me souvenais plus. Je soupire, j'inspire. Ca sent encore le sang et le feu ici. La fin des émeutes.

Quelque chose de rouge et de vif trace un chemin devant mes yeux. C'est une braise qui est tombée, j'en suis sure. Je cille. J'attends le feu. Qui ne vient pas.

Avec cette foutue paille, on va tous flamber. Je suis accrochée aux barreaux comme si les tenir allait empêcher le feu d'approcher. Rien ne vient. Je reste là, jusqu'à ce que mes membres se décrochent seuls. Mes doigts craquent quand je les rouvre. C'est un bruit amusant, mais quand je referme, ça ne le fait plus. Je crois qu'il y a un coin dans la geôle pour faire ses besoins. J'y vais. J'ai fini par vomir aussi. Enfin, au goût différent dans ma bouche, je pense que c'est ça.

Y'en a un qui me parle et de sa bouche sort quelque chose de brumeux. De la fumée de forge, ça a la même odeur. Je le regarde, je ne sais pas combien de temps. Il est parti que la fumée danse encore. C'est marrant. Je soufflerais de la fumée, je m'inquièterais. Mais bon. Il avait l'air de trouver ça normal. On nous sert un bouillon que je bois d'un trait. Ca fait mal de boire, mais j'ai trop soif. Trop faim. Je finis par m'endormir, comme une masse.

Je ne sais pas combien de jours ont passé comme ça. Les mêmes. Les braises qui tombent, sans que ça brûle, les gens qui fument comme des cheminées. Les gardes qui passent, qui parlent, je comprends rien d'à ce qu'ils disent. Ils me parlent, parfois, mais j'arrive pas à répondre. Je ne sors que des gargouillis. Ca doit être que j'ai avalé de la fumée, moi aussi. J'ai attrapé une braise, à un moment, et je l'ai regardée grésiller dans ma paume. Je sentais rien, juste l'odeur, pas la douleur. Pourtant, je commence à avoir les paumes qui pèlent. J'ai mangé, ça aussi. Ca avait un goût plutôt doux.

Les autres dans la cellule ont arrêté d'essayer de me parler. Juste un qui m'a écartée des barreaux alors que j'y cognais ma tête, pour sentir mieux la fraîcheur et ma peau. Vrai qu'arrêter m'a fait moins mal. Avec le recul, c'était idiot, ouais, mais j'avais juste besoin de le faire. Comme faire peler mes mains.

J'ai réussi à répondre à un garde, juste un mot, ça doit être à force de me frotter la gorge. On m'a sortie de la geôle, on m'a assise devant un type qui a plissé le nez. Il doit trouver que je pue, remarque, je peux qu'être d'accord. Je me concentre pour garder la bouche fermée, sinon, je bave, ça donne l'air idiot je pense. Je me frotte le visage, ça va tout de suite mieux. Retrouver mon visage et mes mains. On me donne à boire, c'est frais, ça change. Ca me fend en deux des dents jusqu'au ventre.


    _Ouais, bon... Ca va se régler vite, petite. Ton nom c'est ?
    _Dorine, fait celui qui m'a tirée de geôle, qui garde sa main sur mon épaule.
    _C'était à elle de répondre, hein.
    _Pardon.
    _Ton nom, petite ?
    _Dooorine, je réponds, après un moment à rouler ma langue dans ma bouche.
    _En entier ?
    _Shay. Do-ri-ne Shay.
    _C'est bien. Bon, tu sais où tu es ?


Il est marrant avec ses questions à deux cuivres. J'ai du mal à savoir même différencier mon cul de ma tête, et il faut que je lui fasse une carte. Je fronce les sourcils, il se penche vers moi, avec un air gentil qui me donne envie de serrer les poings. Je serre les genoux, ça se voit moins.

    _Tu es en prison. Dans la prison de Hurlevent, qu'il fait en articulant bien. Tu sais ce que ça veut dire ?
    _Bah... Que j'suis en prison.
    _Oui, Dorine. C'est bien.
    _Ouais, que je fais, en regardant une braise courir et tomber, s'écraser sur son tas de papiers sans le brûler. Con de feu, que je marmonne en plus.
    _Pardon ?
    _Ouais.
    _Bon. Tu te souviens de ce qu'il s'est passé avant que tu arrives ?


Je l'aime pas. Ca y est, je l'aime pas. Chaque fois que j'essaie d'y repenser, c'est la même chose. Je vois des flammes, un grand bâton en feu, y'a un goût atroce dans ma bouche, et j'ai une envie de courir comme si j'avais la Camarde aux trousses. Ca manque pas. Le gars qui tenait mon épaule me tient les deux, me rassurant comme on parle à un gros chien. L'autre me sourit comme à une morveuse.

    _Écoute, je pense qu'on a fait une erreur. Tu vois, tu as été agressée... Enfin, sans doute, et un monsieur est mort devant toi. Tu comprends Dorine ?
    _Euh... Ouais...
    _C'est bien, fait-il en se penchant et en me tapotant la main. Tu sais, on t'a enfermée parce qu'avec les émeutes, c'était difficile d'enquêter. Il se passait beaucoup, beaucoup de très vilaines choses, Dorine.
    _D'accord...
    _Mais, qu'il ajoute en me frottant la tête -Je serre les genoux très fort, tu n'es pas une vilaine fille Dorine, et on l'a compris, alors on va te remettre dehors, et tout ira bien pour toi.
    _D'a... D'accord... C'est gentil...


Je me concentre sur ma respiration pour ne pas siffler. Dehors ne me donne pas plus envie que dedans. Dehors, j'ai l'impression qu'il y pleut du feu constamment. J'ai pas envie. J'ai aucune putain d'envie. Mais je dodeline comme une demeurée, les suivant quand ils me passent un baquet pour me laver, qu'ils me rendent ce qu'ils disent être mes frusques. Je me rhabille. Ils me mettent devant un miroir.

Ils me plaignent alors que je me regarde. Pauvre fille, qu'ils disent, complètement traumatisée. Pauvre fille, regarde ses paumes, elle a dû essayer d'arrêter le gars qui a fait ça en tenant le tison à pleines mains. Pauvre fille, il lui a peut être fait plus qu'on croit. Pauvre fille, faut mettre la main sur qui a fait ça. Et moi, je me regarde. Mon visage. C'est mon visage. J'ai du mal à y croire. Je cille, je me touche les joues. Si, c'est moi.

Et je suis dehors. Le ciel est bleu, je suis étonnée. Ca ne pleut pas du feu. Y'a pas de bâton rouge. Pas d'odeur de chair qui grésille. Je suis étonnée. Mais à mesure que j'avance dans les rues, je retrouve mes jambes, mon pas, mes repères. Plus de braise qui tombe. Ca me manque presque. Je me rends compte que je marche encore que la nuit est tombée. Je regarde les rues, les gens, jusqu'à retrouver la maison où je suis sensée vivre, comme on dit. Je frappe. Il m'ouvre. Il grimace. J'ai pas le temps de saluer mon oncle qu'il m'envoie des pièces à la face en me disant de dégager. Je ramasse. Je vais vers le port.

Je sais pas si l'eau m'apaise ou m'énerve, mais j'ai réussi à dormir. J'ai repensé à ce qu'ils disaient en regardant mes mains. Cet homme recroquevillé qu'on trouait avec un tison sorti de la forge. Sous mes yeux, ouais. J'ai ri quand je me suis réveillée, au petit jour, avec la bruine. Le tison chaud qui traçait un trait rouge sous mes yeux, sur le corps.

Et de mes mains.


Dernière édition par Harmonie Brandin le Jeu 16 Sep 2010, 20:52, édité 1 fois
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Message  Jaëlil Dim 12 Sep 2010, 04:28

    _Harmonie.


J'ai pas le temps de cligner des yeux que la baffe part. Ca m'en renverse par terre. Je pleure pas, je suis trop grande pour ça. C'est ce que je me dis alors que j'ai les yeux qui se remplissent. Ma tante vient me prendre dans ses bras et je la repousse en me relevant. Je regarde mon oncle qui serre les dents.

    _Dorine j'te dis. Dorine ! C'te gamine a la tête trop dure. On va pas pouvoir la garder.
    _Ca va pas ?! Fait ma tante, en me reprenant dans ses bras d'un coup, si vite qu'elle me fait basculer en arrière. On peut pas la laisser, elle deviendrait quoi ?
    _Laisse-la à sa mère.
    _Elle la foutrait au caniveau.
    _Bah... Bah... Et merde ! Pourquoi il a fait ça !
    _Tu sais très bien, on y reviendra pas. Mais on peut pas laisser la gosse !
    _Quel con, mais quel con ! Il s'attendait à quoi à rejoindre cette bande de... Et sa gamine, il a pensé à sa gamine ?
    _Justement, que minaude ma tante avec une voix très douce, tu vois bien que personne s'occupe de cette pauv'gosse. On peut pas la laisser comme ça... C'est notre famille.
    _Bordel mais c'est justement notre famille qu'on va risquer ! Et putain, c'était que ton frère !
    _Ben on peut pas, voilà ! C'est qu'une enfant, ils vont pas nous enfermer pour une enfant !
    _La putain de fille d'un foutu défias !
    _Enfin, pas devant elle !


Le silence, d'un coup. Je sens bien que ça pèse même si j'ai pas vraiment compris tous les mots. Je grimace, je renifle. Ca l'amadoue. Il se penche vers moi. Me prend la main. Il a vraiment de grandes mains. Ca me fait penser que j'ai hâte d'être adulte, pour voir autre chose que des gens qui se penchent.

    _Bon, on va jouer à un jeu... Tu veux bien jouer à un jeu ?
    _Nan, que je réponds, butée.
    _Putaiiiin, qu'il râle, alors qu'il se relève, le poing tournant.
    _S'il te plait. On a très envie de jouer avec toi, tu sais, dit ma tante avec sa voix gentille.
    _Vous m'foutez la paix après ?
    _Enfin, ce langage ! Qu'elle s'exclame.
    _Bah, ça c'est bien qu'elle a vu son père, fait mon oncle, qui rit cette fois. Qui se penche. Reprend. Bon, on va jouer à un grand jeu et en échange on te laissera tranquille. D'accord ?
    _Ouais.
    _On ne dit pas ouais, lâche ma tante, vexée.
    _Oui.
    _On est tes parents. Et tu t'appelles Dorine. Dorine, ça te va ?
    _... J'aurais une pomme ?
    _Ouiii, soupire-t-il, même deux.
    _Super !


J'ai mangé mes deux pommes en jouant toute seule dans le grenier toute la soirée. Ils m'appellent Dorine, je réponds papa ou maman. Si ça les amuse. Moi je sais que si je veux quelque chose, je murmure bas, Tonton, et j'ai mon cadeau. Enfin, ça a marché les premiers mois, et avec le temps, c'était surtout une dérouillée que je prenais. Alors je le fais plus. Mais ça m'empêche pas, seule, devant mon miroir, de chercher le visage de mes parents, et de me répéter. Harmonie. Harmonie Brandin. Brandin Harmonie. Je sais pas où est mon père. Ils veulent pas en parler. Je sais où est ma mère, je l'ai croisée avec son nouveau mari. Elle m'a surement reconnue, puisqu'elle m'a donné un coup de pied quand je me suis approchée. Elle a crié, ça m'a rappelé le temps où elle était avec papa. Ca m'a fait du bien, mais le coup de pied m'a fait vraiment mal, alors ça aussi j'ai arrêté.

Petit à petit, je comprends ce que veulent dire certaines choses. Défias, par exemple. Mais pas que. Foutre barbe, aussi. Ils sont amusants les nains pas loin de chez nous. J'aime bien les guetter. Tonton a fini par me laisser apprendre chez eux, puisqu'il paraît que je suis un vrai garçon manqué doublé d'une tête de mule pire que Tata. Mais c'est de famille, qu'il ajoute. Je m'en fiche, moi, tant que je peux jouer avec les tisons. Je pourrais regarder le métal fondre des heures.

Ils disent souvent que si je suis sage et que je garde bien mes petits frères et soeurs -Mes cousins- on retournera à Forgefer. C'est la seule chose qui me motive à les supporter. C'est difficile avec ces gamins, ils remuent, ils veulent jouer, mais ensemble, à des trucs idiots. Moi je préfère être seule. J'ai toujours préféré être seule. J'ai inventé un jeu génial, mais maman -Tata- l'a interdit. C'était bien pourtant de les enfermer dans le placard jusqu'à ce qu'ils pleurent plus. Ca leur apprenait à se taire. C'est ma mère qui me l'a appris ce jeu, quand je l'ai dit à maman -Tata- elle ne m'a pas punie, elle m'a pris dans ses bras. J'ai pas trop compris pourquoi, mais ça a l'air pratique, alors j'ai noté l'idée dans ma tête. Ca resservira.

Mes petits frères et soeurs -Mes cousins- ne m'aiment pas en grandissant mais moi non plus, alors on est tranquilles. En fait, il y a pas grand monde que j'aime, ça dérange que les autres. Je suppose que c'est logique. J'ai fini par avoir le droit de ne plus suivre l'école, maintenant que je sais assez écrire, et que de toute façon ça coute trop cher pour ce que j'en fais.

Papa -Tonton- m'a regardée bizarrement quand il a su que je m'intéressais à l'architecture, aux poulies, à la maçonnerie. J'ai dévié en parlant de la poudre, des mécanismes, des canons de la ville, des bateaux. Je sais ce qu'il pense. Il faut juste que je fasse attention.

Maman -Tata- insiste pour que je me prenne des robes, que je me coiffe, elle dit que je deviens une jolie fille et qu'il faut pas que je gâche ça. Je crois qu'elle pense que j'ai oublié qu'elle est seulement ma tante, alors j'ai rien dit sur ma mère que j'ai recroisée et qui fait maintenant plus vieille peinture décorée que femme, mais le vieux qui la porte en trophée a l'air encore content de son investissement et j'ai pas voulu vexer Maman -Tata. Je l'ai laissée m'habiller, me coiffer, me sortir en me faisant remarquer que les gens me trouvaient jolie. J'ai pas aimé. J'ai vraiment pas aimé.

J'ai eu envie de me couper les cheveux, mais la dernière fois que j'ai fait un truc comme ça, ils ont fait la gueule, mes petits frères -Cousins- se sont moqués de moi jusqu'à ce que je les tabasse bien, j'ai été punie, et j'avais du mal à me reconnaître dans la glace. Ca m'arrive de plus en plus souvent. Je reste longtemps à me regarder dans les miroirs, à chercher les figures. J'ai oublié le visage de mon père depuis le temps, et je retrouve plus celui de ma mère derrière le maquillage. Ils me trouvent bizarre. Je les trouve cons. On est quitte.

Je suis bien quand je suis en tenue, avec le masque des forgerons, et les gants, et tout ce qu'il faut, près des forges. J'aime bien regarder les braises voleter. On est bien, comme ça. On est un peu tous pareils. On s'identifie vite. Oui, je me sens bien comme ça. Dommage que je puisse pas le rester trop longtemps.

Les émeutes reprennent, à ce qu'il paraît. J'aimerai bien approcher, rien qu'une fois. Mais c'est interdit. Bah, je trouverai un truc à faire faire aux mioches, et j'irai la nuit.
Jaëlil
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Message  Jaëlil Dim 12 Sep 2010, 13:06

Je roule le tison dans ma main gantée, en essayant de sentir la chaleur à travers le cuir épais. Ces gants, je les adore. Ils sont polis par le feu, lisses, brillants, durs. J'adore les mettre, forcer leur manque de souplesse en essayant de bien fermer le poing. Et je reprends le tison, que j'empoigne cette fois, pour fouiller les braises du feu sous la forge, remuer, touiller dans le ventre du four, et voir toutes ces étincelles voleter. C'est mieux que de la magie. Personne ne peut rien contre ça. Moi non plus. J'adore touiller la forge. C'est ce que j'aime le plus au monde je crois.

Je regarde les nains fondre leurs métaux dans la forge bien entretenue, mes pièces en poche et mon pain dans le bec. Je mâche, je déglutis, je pense à rien. Je le sens venir, mais je pense toujours à pas grand chose. Je suis bien dans ma bulle, j'ai pas envie qu'il vienne, j'ai envie de rester vide à regarder les choses fondre.


    _Hé, salut Dorine...


Ma bulle, c'est terminé, je reprends une bouchée et je tourne la tête vers lui puisqu'il faut bien que je tourne la tête vers lui. J'en ai marre de voir sa gueule, son sourire, dès que j'entends sa voix. Ca a beau être logique que ça soit relié, je m'y fais pas. Et je le regarde sourire, alors que je mâche plus fort. Il reprend.

    _Ca va ?.. T'as l'air en forme.


Je retire un gant pour m'essuyer la bouche, replier ma serviette sur ce qu'il reste de mon sandwich et je hoche la tête. J'ai remarqué que si je remue pas un peu quand on m'adresse la parole, ça devient pire, alors je le fais, même si ça commence à vraiment me fatiguer de bouger à chaque fois. Il sourit un peu plus, s'assoit à côté de moi, je me décale un peu plus loin, il rattrape la distance que j'ai mis. Bon, c'est pas grave. Je regarde la forge avec obstination.

    _Dis, j'me disais, p'têt qu'on... Qu'on pourrait s'voir, tous les deux, qu'il me sort comme s'il avait mis deux mois à trouver cette phrase tellement il l'a articulée longtemps.
    _Ben on se voit, là, que je fais en le regardant. Ca le fait bloquer, et il reprend.
    _Oui, mais je veux dire, en dehors du boulot.
    _Ah, que je dis, en m'essuyant la bouche encore, pour tâter mes lèvres aussi.
    _Ca te dirait alors ?


Je sais pas quoi répondre tellement ça me paraît idiot. J'en hausse les épaules, en espérant vaguement qu'il comprenne que j'aimerais bien qu'il arrête d'exister, et il me frappe l'épaule avec un rire qui ressemble à celui de ma petite soeur -Cousine.

    _Super, bah, dis, Dorine, hein, j'te raccompagne ce soir, hein, ça sera chouette. Hein.


Plus ça va moins je comprends les gens. J'en ai pas l'envie non plus, mais celui là est vraiment bas sur l'échelle de la logique primaire. Je le regarde partir et se retourner en me regardant de temps en temps et en me faisant des petits signes, on dirait un canard qui se dandine. Je me mets à imaginer qu'il est d'un coup un canard et que les nains se mettaient à le plumer, ça me fait sourire. Il le voit. Je crois que j'ai fait une erreur, là.

Ca me fait penser aux gnomes et à tout ce que j'ai envie de les jeter dans la forge pour voir s'ils grésillent d'abord avant de fondre ou s'ils fondent avant d'exploser un peu, tellement qu'ils m'énervent à ramener leur science chaque fois qu'ils me prennent à bricoler un truc. La dernière fois, j'ai tout arrêté, et je suis restée sans bouger à regarder ce gnome pendant qu'il m'expliquait avec ses mots qui existent pas pourquoi je faisais de la merde, et il a fallu bien dix bonnes minutes avant qu'il s'arrête, me regarde et pige qu'il valait mieux qu'il trouve quelqu'un d'autre devant qui remuer. J'ai mis autant avant d'arrêter de fixer l'endroit où il était.

Les gnomes, c'est comme les gosses. J'aime pas. Ca couine, c'est petit, et il y a beau avoir pas mal de gens qui doutent pas de leur utilité dans le monde, je la trouve pas flagrante. J'en ai vu un se brûler dans une erreur de manipulation et j'aurais tellement, tellement aimer appuyer et appuyer et appuyer encore jusqu'à ce qu'il arrête de crier et que sa petite gorge s'écrase sous...


    _Hé Dorine, attends-moi !


Sous la présence de l'autre canard que les nains sont pas foutus de plumer. Je suis énervée, ça y est. Il vient poser sa main sur mon épaule et me la frotter, en gloussant comme une bourgeoise, je le regarde en coin. D'habitude les gens s'en vont quand je fais ça, mais il s'accroche comme mon petit frère -Cousin- quand il veut tellement qu'on joue même s'il sait que ça m'énerve et qu'il sait ce qui arrive quand je m'énerve, alors je dis rien et il cause. Il commente la ville comme si on la connaissait pas, je réponds pas, il propose de faire un détour, j'avance quand même, il continue.

On arrive devant la porte qu'il s'appuie au chambranle du coude, en se frottant les cheveux. Je frappe, j'attends qu'on m'ouvre, puisque je suis celle qui rentre le plus tard. Il continue de me raconter des trucs qui me font de nouveau l'imaginer avec un bec de canard, et je me demande quel son il ferait si je lui écrasais la gorge là maintenant. Mon petit frère -Cousin- m'ouvre, s'en va aussitôt -J'ai dû y aller fort la dernière fois, c'est bien- et la semi-volaille me retient le bras. Je tourne la tête, il approche ses lèvres, je les reçois en pleine joue après avoir tourné la tête encore. Il rigole comme un idiot, je grogne, j'entre, je claque la porte. J'ai envie de mordre. Où est mon petit frère.

Je ne l'ai pas trouvé avant le repas, tant pis. Et, à table avec tout le monde, après avoir donné la moitié de ce que j'ai gagné -Je mens toujours un peu sur la somme- maman -Tata- me dit que c'est bien que je commence à avoir un bon ami, qu'il faudra que je l'amène pour dîner bientôt, me demande son prénom. Je n'ai pas envie de répondre et ça a l'air de l'amuser alors que d'habitude ça la vexe, alors je quitte la table avant de lui envoyer l'assiette dans la face, avec un sourire et une excuse parce que si j'ai pas un sourire et une excuse devant papa-maman ils deviennent vraiment plus présents. Je les préfère absents. J'aimerais bien qu'ils le soient longtemps.

J'ai cherché la marque sur ma joue toute la soirée, j'en avais une à force de la gratter. Je crois que j'ai vu ma joue gondoler.
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Message  Jaëlil Dim 12 Sep 2010, 16:59

J'ai la tête dans le sac. Je sais même pas où je suis. J'ouvre ma main, je ferme ma main, j'ouvre ma main, je ferme ma main. La chair est un peu grasse, j'ai dû percer une cloque. Je regarde. J'ai percé une cloque. Ca suinte. J'appuie. Ca fait mal. C'est bien ma main.

Je m'y appuie pour me redresser, je ne reconnais pas la chambre. Bon, il fait jour, si la fenêtre en face fonctionne bien. D'ailleurs, je ne me suis jamais demandé si les fenêtres ça pouvait déconner. Je me dis que ça serait bien de fermer la mâchoire. Je frotte mon visage. C'est moite, sur ma joue. Ah, oui, la cloque. Je sonne le rassemblement de mes idées en m'approchant de la fenêtre. Hurlevent. Ca au moins je reconnais. Le verre est froid quand j'y appuie mon visage. Qu'est-ce que je fous ici ?

Ca me revient. Je suis au port, j'ai dormi, il fait déjà jour et je viens de me réveiller. Je me suis dit qu'il faut que j'aille au boulot. Parce que je vais au boulot quand il commence à faire jour, d'habitude, même si d'habitude je sors pas de prison. Mais les nains n'ont pas tous l'air d'accord pour une fois. Beaucoup n'ont pas trop fait attention à moi, comme d'ordinaire, mais il y en a deux trois pour se tourner vers moi et s'approcher.


    _Foutreux, toi l'môme, c'fait bien une branlée d'jours qu't'es pas v'nue et tu t'ramènes l'bouche en coeur que ça ? Qu't'ai croyons à la cathé ?
    _Gaillard, fait un autre qui lui prend le bras, c'leu piote qu'on a r'trouvé 'vec l'gars troué.
    _Ah beh, qu'il bredouille alors en me regardant comme si j'étais devenue elfe, beh, beh t'l'as troué ou bien ?
    _Hé, les monteurs d'brebis, que dit un troisième, avec un accent plus fort mais des mots mieux formés, regardez vu la carrure d'la mioche, l'jour où elle bute un bourgeois j'veux bien avoir une plume dans l'fond'ment. Il m'avise comme l'autre, de bas en haut, et il me fait. Bon, ben t'es sortie d'prison ?
    _Ouais, que je réponds en me grattant la joue.
    _Et y t'ont dit quoi les gardes ?
    _Que j'étais une gentille fille.
    _Bon, tu r'prends l'boulot, et j'veux pas t'entendre chouiner, qu'il ajoute en montrant mes mains.


Je remue la tête et je vais prendre mes gants. C'est une journée comme les autres où je retrouve ma forge, mes repères, mon calme et tout ce qui va avec, surtout quand je remue le tison dans le gros ventre de la forge. Des images bizarres me viennent et la forge a crié une ou deux fois, mais personne n'a rien dit et ça m'a mise plutôt de bonne humeur. Juste qu'à la pause prévue pour les repas, j'avais forcément rien puisque maman -Tata, ou personne, je sais plus- n'a rien pu me donner. Je me demande où je vais dormir, et l'idée de ne pas dormir à l'endroit que je connais me fait couler une lente sueur froide le long de l'échine. J'en ai les mains qui tremblent et la gorge nouée. Je regarde la forge, le feu, elle crie, elle se gondole, ça va mieux. Je me frotte les mains dans les gants, je me touche longuement les bras. Je suis là, c'est bien moi, alors ça va.

Ca me dit toujours pas ce que je fous dans cette chambre. Ah, oui. Le canard. La volaille humaine. Enfin, le type, là. Qui s'approche de moi à la fin de la journée, qui m'appelle, Dorine, Dorine, je suis tellement content de te voir, et qu'il me prend dans ses bras et qu'il me serre et qu'il me dit que tout est fini maintenant. Il jacte tellement que j'ai pas le temps d'en placer une, ni pour lui dire de la fermer, ni pour le cogner un bon coup, alors je laisse faire en attendant que ça passe. Il me serre à nouveau, et il renifle, puis il s'écarte un peu en me disant.


    _Euh... Dorine ? Tu euh, tu t'es euh, lavée depuis ?
    _A la prison je crois, je réponds en rajustant mon gilet dont il a déplacé la manche.
    _Oh, qu'il minaude en pinçant les lèvres, je vois, ben euh... Enfin, t'peux retourner chez ton père ou ?


Je vois une braise rouge danser et je la suis du regard, fascinée, tournoyer, se poser sur sa joue droite et commencer à la faire cuire sans qu'il ne la remarque, pendant que je sens quelque chose monter du fond de mes tripes comme pour les tourner de l'intérieur. Il prend un air triste, bizarre, me frotte l'épaule en me dérangeant encore la manche que je remets d'aplomb aussitôt.

    _Non mais j'veux dire, on te soutient, nous, personne croit à ces rumeurs. Tiens je, tiens je...
    _J'ai faim, que je dis pour dire quelque chose, et parce que c'est vrai.
    _D'accord ! Qu'il s'exclame avec un sourire, avant de le perdre et de bafouiller. J'veux dire, j't'invite, chez moi, 'fin, pour la Lumière tu vois.


Je réponds rien, et il m'entraine, alors je le suis. Tout le long du repas, devant le silence du père qui me regarde comme un gnome devant une mine gobeline, devant les sourires angoissés de la mère et l'air fier de la moitié de canard qu'ils ont comme fils -J'arrive plus à lui voir le bec depuis qu'il a la joue brûlée- je me demande ce que je fous là. Je mâche, j'avale, et je me redemande encore une fois ce que je fous là. Je n'ai plus faim, ça au moins c'est réglé, et j'ai même un bon bain pour me réchauffer. J'y ai lavé mes frusques et je me suis roulée dans un lit en collant mon nez dans mes fringues pour pas sentir l'odeur des autres. Ca me dérangeait pas en prison, enfin, je crois. Enfin, je me souviens plus. Enfin, je m'en fous.

Ca y est, je sais pourquoi je suis là. J'y suis allée. C'est logique au fond. Oui. J'ai pas envie d'y rester. Va falloir que je trouve vite un coin à moi pour me faire un nid si je veux pas me retrouver encore à table entre trois regards qui s'appuient. J'ai pas l'habitude qu'on me regarde. J'aime pas du tout qu'on me regarde. Je me dis qu'une braise qui s'enfonce dans des yeux ça doit être joli, et qu'il faudra que j'essaie, et je me demande par qui commencer, le père, la mère, le canard, et je vois une forme recroquevillée qui supplie alors qu'un bâton rouge s'enfonce en faisant un bruit de graisse qui frétille et j'appuie j'appuie j'appuie jusqu'à ce que ça force trop et que j'entende plus le bruit et je retire et ça fume comme je voyais les bouches des gens fumer et ça a la même odeur et je recommence encore en ne disant rien mais en ayant l'impression de hurler comme le machin ramassé à mes pieds hurle et il hurle fort on dirait qu'il va se déchirer la gorge j'aime bien continue alors je recommence encore et on frappe à la porte.

Je décolle mon visage de la vitre et j'essuie la trace que j'y ai laissé. Mon visage, ma ville. Je me retourne. Il demande s'il peut entrer. Je réponds que je suis nue. Il dit ah. Je dis oui. Il dit que c'est l'heure d'aller au travail. Je dis ah. Il dit oui. Je dis j'arrive. Il dit j'attends. Je m'habille, j'ouvre. Il a attendu. On y va.

On avance le long des rues calmes, beaucoup trop calmes depuis la fin des émeutes, avec des gens qui avancent beaucoup plus tranquilles et même avec des sourires et des enfants. J'aime pas. Je tiens dans ma main le sandwich que la mère du volatile m'a donné avec un sourire inquiet comme si j'allais lui manger la main avec, et je n'écoute pas ce qu'il me dit même s'il parle beaucoup. Je pense aux endroits où je pourrais m'installer rapidement, surement près des forges, parce que c'est pas cher vu que c'est miteux, et qu'avec le bruit et l'odeur de la forge je devrais être assez calme. Et que j'ai quand même l'impression que ça va pas terrible quand je suis énervée. Donc ça sera mieux si je suis calme. Je me frotte le visage. C'est mouillé.

Ah, ouais, la cloque.
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Message  Jaëlil Jeu 16 Sep 2010, 03:55

J'ai mis du temps à rentrer chez moi ce soir. Pas parce que j'ai eu du mal à trouver, ça m'est arrivé qu'une fois, ça. Parce qu'il fallait que je sème quelqu'un. Tata -Ou maman, un truc comme ça- est venue au quartier pour me voir et elle m'a suivie un moment avant de comprendre que je voudrais pas lui parler. Pas que je l'aime pas, mais j'ai pas envie de l'inviter chez moi. J'ai mis une semaine, par là, à trouver une piaule rien que pour moi. Une semaine à manger à la table du père de la mère et du canard, parce que si je refusais il insistait jusqu'à ce que je craque et j'ai pas envie de lui faire avaler un tison en public. Ca me ferait trop d'emmerdes. Ils ont même pas de petit frère. Ils me regardent toujours, je sais qu'ils me guettent. C'est contagieux, même. Y'a de plus en plus de personnes qui me guettent.

J'enfonce ma tête dans mes épaules et je me dis que je devrais peut être économiser de quoi avoir un manteau pour rabattre la capuche sur mon visage. Comme ça au moins ils ne verraient pas mes yeux. J'aime pas qu'ils me regardent. La rue est déserte mais je sais qu'ils m'épient aux fenêtres. Celle-ci est éclairée, il doit m'avoir attendue. Celle-ci y'a pas de lumière, c'est juste qu'il est plus malin, et qu'il doit l'avoir éteinte. Je me gratte la nuque pour chasser la sensation du regard. Je guette. Tata -Maman, l'autre, peu importe- n'est pas là, mais ça fait trois fois que j'hésite à entrer. On sait jamais, qu'elle se cache par là. Finalement, j'ai trop faim et vraiment envie de m'assoir depuis le temps que je bats le pavé avec ma charge sur le dos, alors j'entre, si elle me suit, je l'égorge, et je serais tranquille comme ça.

Je me dis que, oui, ça aurait été une mauvaise idée de parler à Tata-Maman parce qu'elle aurait forcément voulu entrer chez moi, et que rien qu'à l'odeur c'est une mauvaise idée. Heureusement que j'ai ce que je porte, je vais pouvoir finir de monter mon point de feu moi-même. Ca sera bien pour évacuer un peu. Faut que je nettoie le mur aussi. Demain. Je suis trop fatiguée.

Je m'assois sur ce qui me sert de lit et je me mets bien dos au coin du mur. Il est épais, j'ai vérifié, rien ne le traversera. Là je suis chez moi dans mon monde et personne ne peut m'atteindre. Je tâtonne de la main jusqu'à ma cache à couteaux, que j'ai à portée si jamais on force ma porte. Et je me calme. Petit à petit. Je déglutis plusieurs fois avant de me lever pour aller me chercher à boire. Je bois, et je vérifie ma porte avant de m'affaler pour de bon. C'est vraiment pas bon quand je suis énervée. Ca finira par me jouer des tours. J'ai jeté mes bottes plus loin et je me masse les jambes. J'ai mal, c'est bien. Ca me calme assez quand c'est comme ça. Je sens bien que c'est bien mes jambes. Une fois, j'ai vu mes jambes se tordre et partir en cendres comme des bâtons qu'on met au dessus du foyer, j'avais tellement peur que j'ai regardé sans bouger ni hurler, jusqu'à ce que je me serre les mollets assez fort pour étrangler le feu et le chasser. Y'a des braises à l'intérieur de moi. Et elles sortent quand je m'énerve. Je vois pas d'autre explication.

J'ai pas envie de brûler alors il faut que je me calme. Je regarde le mur et je m'allonge tout à fait. Y'a encore des couteaux plantés dessus, ça ferait vraiment mauvais genre si quelqu'un entrait. J'ai dessiné des silhouettes et je m'entraine dessus. Y'en a même une qui ressemble pas mal à mon petit frère-cousin, je suis assez fière de moi, il est plutôt réussi. C'est peut être qu'il me manque. Mais j'ai pas envie non plus d'aller le voir. Il faut que je me relève pour monter le foyer et les tuyaux d'évacuation de mon point de feu, que je puisse fondre chez moi. J'ai pu regarder un gnome se bricoler ça y'a pas longtemps et je lui ai piqué l'idée. Je me relève, malgré la fatigue, pour le faire. Sinon, l'odeur va filtrer des murs et des gens vont entrer. Et si des gens entrent je vais perdre mon calme. Et si je perds mon calme ça sera encore pas terrible. Je m'agenouille près de l'endroit où j'ai commencé à monter la machine et je soulève le drap. Ouais. Le gnome commence à pourrir.

Je suis crevée de pas avoir dormi et j'ai l'impression de voir des petites braises flotter partout, mais c'est surement dû au manque de sommeil parce que je suis de très bonne humeur. J'ai juste fini de monter ma forge à moi et elle fonctionne bien. J'ai regardé, elle évacue comme il faut, juste deux trois retouches pour pas que le proprio de ma piaule râle ou veuille aller voir. J'ai commencé à tailler dans le gnome pour le fondre avec les scories que j'avais ramené, ça a fait un genre de mélange dégueulasse que j'ai jeté avec le reste près des grandes forges. Les gens doivent le sentir en fait que je brûle dedans. Parce qu'aujourd'hui ils me regardent moins. Ils me regardent encore trop mais ils me regardent déjà moins. Ce soir, je finis d'évacuer le gnome et je dors, après je reprends l'entrainement.

Je suis devant mon bouquin et ma forge personnelle qui ronfle et qui ronronne adorablement. Ca fait une poignée de jour que je l'ai montée et je l'ai déplacée un peu, pour pouvoir dormir à côté. Je l'entends ronfler et gronder. Et j'aime beaucoup. Je sais pas où j'ai eu ce livre. Y'a beaucoup de choses chez moi dont je sais pas trop d'où elles viennent, même si je sais que c'est moi qui les ai amenées. Le gnome est ressorti, ça c'est bon, mes couteaux je crois que c'est quand l'autre canard avec ses parents m'a invitée au Tord-Boyaux. Les couteaux étaient jolis et j'en ai gardé quelques uns. Je crois. Enfin je crois surtout que je m'en fous d'où ils viennent. Le livre est très récent, il sent le neuf, c'est pas une odeur que j'aime beaucoup. Il parle des maçons de Hurlevent et de leur révolte, leur organisation, leur chute. C'est vrai que c'est pas vieux. Je crois. J'essaie de me souvenir. J'y arrive pas, tant pis.

Le proprio a voulu entrer la dernière fois pour prendre le loyer et j'ai dû inventer plein de trucs pour pas ouvrir la porte. Il est pas comme l'autre volaille, que je dise que je suis nue ça le fait juste rire lui. Il a dit que ça pourrait arranger une part de mon loyer mais que je devais pas rêver. J'ai dit que je rêvais pas de mon loyer. Il a fini par partir, mais je dois repeindre mon mur et cacher tout ça. Ma forge est pas assez grande pour un gros bedonnant comme lui. Ca m'énerve de pas avoir de coin à moi. Il faut que j'aie un coin à moi. Pour brûler. Sinon je vais flamber en dedans et ça va recommencer. Mais je regardais ma forge tout à l'heure, après avoir lu mon livre et caressé mes couteaux, et je crois que j'ai une idée. Une grande idée.

Me faut un chiffon rouge.


Dernière édition par Harmonie Brandin le Jeu 16 Sep 2010, 12:39, édité 1 fois
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Message  Jaëlil Jeu 16 Sep 2010, 04:42

Je pense aux murs de la maison des parents de la volaille, à la table du salon et aux repas où ils me regardent en coin pendant que je me demande ce qu'il fout là. Ce canard vaguement humain trône au milieu de ma piaule et n'arrête pas de piailler pendant que je serre le mur avec mon dos pour être sûre que rien ne pourra s'infiltrer derrière moi. J'ai bu, je crois, il m'a invitée encore, et j'ai tellement plus d'argent après avoir acheté ce qu'il me fallait pour ma forge que j'ai bien dû accepter. Et il parle et il parle et il parle et j'ai envie de gerber. J'ai trop bu, bon sang, et ça jacte et ça jacte je comprends rien à ce qu'il déballe. Et je me demande ce qu'il fout là.

Il m'a suivie, surement, j'ai pas dû faire attention. Mes murs sont repeints, mes couteaux sont rangés, ma forge ronfle. Je me répète que ça va en me serrant bien fort le poignet. Ma main a envie de cramer et de lui enfourner le visage dans la gueule de ma forge qui s'ouvre plus grand et je me dis qu'elle a surement raison que ça serait rapide pas de cri et que ça sentirait juste les plumes grillées et que personne ferait attention et que je serai bien chez moi rien que moi juste moi le feu et moi le feu et moi le feu et moi et il s'est arrêté de parler en me regardant.

Je le regarde. Il me regarde. Je cille. Il sourit. Je renifle. Il fait la gueule. Je me frotte le nez. Il dit.


    _Euh... Dorine ?
    _Ouais, quoi ?
    _T'en penses quoi, alors ?
    _Ben, que je fais en essayant à peine de me souvenir de ce qu'il disait avant d'embrayer, c'est pas facile à dire.
    _Ah, qu'il répond avec le sourire qui revient, moi, tu vois, j'ai vraiment l'impression qu'on est proches, et ce que j'adore chez toi c'est que je sens que tu me comprends, tu vois ? T'es toujours à l'écoute et toujours là pour me soutenir et même si tu parles pas trop j'sais que t'as un coeur d'or.


Je cille encore, et je remue la tête comme une poule tellement je sais pas quoi répondre. Il rit, devient rose comme un cochon de lait et tend les bras pour me serrer contre lui. Je reste contre le mur alors il garde les mains à mes épaules, qu'il se remet à frotter. C'est vraiment un tordu ce gars. Il approche la tête en mettant la bouche en coeur, alors je le repousse, il se relève en disant qu'il comprend et que lui non plus il veut rien gâcher, je dis que oui, voilà, il sourit comme un con, je regarde ma forge qui s'éteint presque, il me dit à demain, je dis ouais, il me dit qu'il tient à moi, je lui réponds à demain. Il s'en va. Je regarde ma forge qui s'éteint. Ca suffit pas. Ca suffit pas. Ca suffit vraiment pas. Je me sens pas bien et je commence à tourner sur place et j'ai beau me frotter le visage j'ai l'impression qu'il est parti en cendres. Ca va pas, ça va pas ça va pas il faut que je fasse quelque chose et vite, et je sais quoi faire mais je sais pas si je vais le faire et il faut que je le fasse il le faut maintenant, alors je retourne à ma forge et je prends un de mes couteaux et je mets la lame dans le feu mourant. Je me sens un peu mieux, juste un peu, juste le temps de me dire que je vais arrêter là, mais à l'idée de plus rien faire je me sens de nouveau comme si j'allais crever, j'ai soif, j'ai envie de chialer alors que ça fait des années que je l'ai pas fait, alors j'enlève mon gant. Je regarde ma main, ma paume toute lisse et rose. Le médecin qui a fait mes bandages en dernier, ça m'a coûté une fortune ça aussi, il m'a dit que les mains ça avait des dessins qui étaient l'identité des gens et que les miens avaient disparus, avalés par le feu à cause du fer chaud. Lui ça avait l'air de le faire marrer. Je savais pas pourquoi sur le coup mais ça m'a vraiment dérangée. Vraiment. J'en avais froid sur le dos et les tripes en ébullition. J'ai trouvé mon idée dans le livre et c'était tellement logique finalement que je comprends pourquoi la forge se foutait presque de ma gueule ces derniers temps.

J'ouvre ma main. Je ferme ma main. Je regarde la chair lisse et rose et sans identité, puis je la tourne. Et je regarde le beau dessin d'engrenage que la lame a fait. Le feu m'a rendu mon identité. Un bel engrenage en chair boursouflée. J'ai vraiment super mal, ça m'a tout à fait calmée. Je remets le gant, et rien que le contact de la peau brûlée sur le cuir me rappelle qui je suis. J'ai pas de nom et c'est pas grave. Tout le monde s'en fout du nom des rouages. Je suis une défias. Je sais que je peux demander à ceux que je croise dans la rue comment est faite leur maison, y'en a pas un seul qui saura me répondre. Mais moi je le sais. Je peux voir des mécanismes et montrer qui fait quoi dans la machine. Eux non. Mais eux n'en sont pas. Eux, ce sont des ennemis et des traitres et c'est pour ça que je les aime pas.

Maintenant ça va. Je suis vraiment calme. J'ai bien rangé le bouquin et j'ai taillé une bonne douzaine de chiffons rouges pour en faire un qui soit bien. Je suis peut être douée en poulies, mais la couture c'est vraiment pas mon truc. Dans trois jours c'est le jour où je me repose d'habitude. Je vais pas rester à Hurlevent, cette fois. Cette fois j'irai à Ruisselune. Le livre dit que j'y trouverai plus rien, mais c'est là qu'on était avant et où il paraît qu'il reste des nôtres, et quand je me gratte la main je me dis qu'il faut quand même que je prenne contact avec eux. Ca me semble logique. Qu'on s'organise un peu.

C'est pas parce que le chef est mort qu'on l'est tous. C'est ce que ça veut dire, l'engrenage. Si on en fait sauter un de l'ensemble, la machine bloque, mais on peut tous se remplacer. Dans trois jours j'y vais. Enfin. Quel jour on est ?
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Message  Jaëlil Dim 26 Sep 2010, 01:55

J'ai compté, c'est la douzième fois que j'y vais. Neuf fois, sûr. Les trois autres, j'en sais rien, j'ai pas retrouvé ce que j'en avais ramené. Y'a des moments, je sais, je déconne un peu. Je suis pas débile, je me rends compte que tout le monde ne voit pas les braises ni n'entend les forges. Moi j'entends la ville, le feu et ces abrutis qui viennent pavaner devant la cathédrale. Je sais bien que je déraille un peu. Parfois je rêve et je crois que c'est vrai, mais faut bien que je me dise que non. Et tout le monde sait qu'il y a que ces cons de chamans pour entendre le feu jacter. Je suis pas une illuminée.

La volaille me colle toujours. Il me fait chier, mais c'est devenu une habitude, un peu comme de devoir surveiller mes vieilles peaux aux mains parce que ça peut s'infecter et que je peux pas me permettre de les montrer à un doc' maintenant. Lui c'est comme une croûte. Faut pas l'arracher, sinon ça revient pareil en pire. Alors je le supporte, et au moins il me permet de savoir si j'ai déconné récemment ou pas. Ca m'a repris une fois ou deux. J'aime pas, j'aime pas, j'aime pas du tout. Mais c'est qu'une question d'équilibre. Je suis forte à ça.

J'ai approché Ruisselune. Neuf ou douze fois. C'est calme depuis la fin. C'est beaucoup trop calme, comme les rues. Y'a des restes, comme les moissonneurs, que j'aime bien. J'étais comme une gamine quand j'en ai vu un, d'ailleurs, et j'ai commencé à le réparer, mais ça a l'air franchement rouillé. Je ferais mieux de le refaire de toute pièce, mais j'ai envie de le garder comme ça. Tant pis s'il grince. Je l'ai caché dans des recoins de montagne et j'y passe tout mon temps libre. Je l'ai appelé Papa, je sais pas pourquoi. Je m'entraine à côté de lui avec mes couteaux. Je compte plus les loups que j'ai écorchés, de toute façon, ramener les morceaux ça devient louche à force.

En tous cas, ça va mieux depuis que je répare Papa et qu'il s'est mis à marcher. Bon, juste un pas et un essieu a lâché, mais je vais pouvoir réparer. Cette conne de forge est moins causante, et les gens me regardent plus du tout. Un nain m'a dit que ça faisait bien deux ans cette histoire et qu'on avait toujours pas trouvé qui avait fait le coup, et j'ai mis un moment à comprendre qu'il parlait du soir avec les braises et le tison et la prison, alors j'ai rien dit. Il m'a regardée de bas en haut et il a dit que j'étais une pauvre gamine bien courageuse quand même, et il s'est remis au boulot, moi aussi. Je vais bien, ça me rendrait presque méfiante tellement j'ai l'habitude qu'il me pleuve des emmerdes. En tous cas j'ai fait mon essieu avec du rab' d'une commande, je l'amène dès que je peux.

J'ai réparé Papa et le ciel est un peu couvert. Pas pluvieux, juste couvert et lourd, c'est un bon moment pour essayer d'approcher plus près. Je me suis dit, aujourd'hui je vais jusque dans l'école, il paraît qu'il y avait un sale type qui y était avant. Alors je me suis approchée et je suis même devant. Je me demande s'il y a des fantômes dans le coin, tellement y'a personne et que même les oiseaux et les bestioles se taisent. Je suis terrée dans mon coin à regarder et à guetter, et j'entends du bruit. C'est sûr, c'est un pas, alors j'avance, presque ventre à terre, et ça file derrière moi, jusque dans la vieille école, en faisant craquer une planche. Je suis. J'y vais. Il fait noir, mais ça va. Je suis tendue, mais je suis chez moi. Je suis les traces dans la poussière jusqu'à ce que ça tire trop sur mes yeux, et j'avance encore, et je suis percutée. Il est grand, lourd, j'ai mon couteau, je le pointe en roulant un peu.

Il a un masque rouge et il se fout de moi. Il dit que je suis une trainarde, une traitresse, ou une gamine bourgeoise qui se cherche des sensations. Il dit qu'il vaut mieux que je me casse avant qu'il me casse, il me tourne presque le dos alors que j'ai toujours mon couteau dans la main. Je me dis, ça y est, je déconne. Ce type existe pas. C'est pas la première fois. Il me réclame mon masque en disant qu'il faut que je le mérite, je lui donne, parce que je le mérite donc je vais le ravoir, et il me dit d'aller faire un truc con au milieu des gnolls du coin. C'est pas la première fois que je déconne comme ça. Mais ça va m'entrainer. Et y'a personne, alors c'est pas grave. J'ai égratigné des gnolls, je crois. Et j'ai trouvé une planque aussi. Il dit qu'il s'appelle le Vieux. Et il dit que je m'appelle Gamine. Et que j'ai juste mérité de faire mes preuves. Il va m'entrainer. Je déconne utile, c'est bien.

On est plusieurs, maintenant. J'ai pas retenu le nom de tout le monde. Il a dit qu'il me présenterait. Qu'il faut que je trouve un boulot en ville. Ca tombe bien, des années que j'en ai un. Eux, c'est pas des gens que je fais qu'imaginer. Y'en a une, Tiph', je crois que c'est un peu la chef. Enfin, c'est elle qui coordonne. On va faire dégager ces cons et ces crevards de notre ville, c'est ce que le Vieux a dit, et ils sont tous d'accord. Je leur montrerai Papa un jour, quand il sera prêt. J'ai des idées. J'ai des tas d'idées. Même si j'aime pas l'idée d'en parler à d'autres, faut bien que je me dise que je pourrais rien toute seule. J'en parlerai, oui.

Je suis retournée au boulot. Le demi canard m'a dit qu'il s'était inquiété, parce qu'hier je suis pas venue. J'étais malade, ça arrive, que j'ai dit, et il a dit que sa mère allait me faire des tartes. Je me suis retenue de lui en coller deux et j'ai souri. Je suis de bonne humeur en ce moment. Ca brûle sagement. Sous contrôle. Y'en a un des nôtres qui regardait le feu bizarrement quand j'ai sorti mon briquet. Si ça se trouve, c'est un tordu comme la volaille. Faut croire que je les attire. J'ai pas non plus trop envie de trainer avec des dingues. Enfin, comme a dit le Vieux, on fait avec les outils qu'on a. Tant qu'ils sont pas mauvais.
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Message  Jaëlil Mer 06 Oct 2010, 05:44

J'ai taché la robe. Quelle conne je fais. J'ai taché la robe. Je peux pas la rendre dans cet état là, la mère de la volaille va se douter de quelque chose, j'ai vraiment pas les moyens d'en racheter une et ça se verra tout de suite que c'est pas la même et nettoyer, c'est ni mon truc ni garanti que ça marche. Et plus je tripote le tissu, plus j'étale, pire c'est. Je me dis, avec de la teinture, peut être. J'imagine pas la tête qu'elle va faire. Une tête de mère-poule capable de pondre un demi canard ça doit donner quelque chose d'épais.

Je passe mes mains sur mes joues, je respire, je souffle. C'est qu'une robe, y'a des tas de raisons de perdre une robe, je vais trouver un moyen d'arranger cette histoire de robe rien de grave là dedans rien de grave sinon je fais bruler toute la maison et ça pleuvra des cendres dans le quartier et ce sera joli je trouverai un coin pour regarder je me demande si le canard va gondoler comme j'imagine ou s'il essayera de voler il faudrait que j'essaie sur un vrai pour voir tiens est-ce qu'il y a un canard ici ? Je relève la tête, c'est pas chez moi. Je me frotte le visage encore, mais moins longtemps. Faut que je me concentre.

Je suis en robe. C'est normal. Je l'ai empruntée à la mère du canard après être venue chez les pintades pour manger ces saloperies de tartes qu'elle m'avait faites. J'ai souri tout bien comme il faut et elle m'a trouvée en forme et moins timide que d'habitude, et elle a dit que c'était bien, j'ai dit oui, elle a dit oui aussi. Je me suis arrangée pour la voir seule ensuite, selon un plan que j'avais prévu avec soin -Je dois encore avoir les schémas chez moi d'ailleurs, faudra que je les brûle- en disant que j'allais faire la vaisselle avec elle. Maman ma tante appelait ça nos moments entre femmes. C'est là où elle m'a dit que les robes, c'était important, parce que les hommes réfléchissaient beaucoup moins quand on avait une belle robe. Je pensais pas que ça me servirait un jour de savoir changer les canards en veaux. Comme quoi.

Elle avait l'air surexcitée que je lui demande une robe, comme si c'était un cadeau que je lui faisais. J'ai pas compris, mais j'ai l'habitude, j'ai juste dit merci beaucoup. Elle a ri quand j'ai répondu « au boulot madame » quand elle m'a demandé où je comptais voir son fils la prochaine fois, alors j'ai ri aussi, et elle avait l'air encore plus contente. Elle a dit que ça serait notre secret et qu'elle espérait qu'on soit sages mais pas trop quand même. Bon, ça m'arrange, pas besoin de trouver le prétexte pour la convaincre -Schémas trois et cinq obsolètes. J'ai renoncé à comprendre.

C'est pas chez moi ici, vu qu'il y a un miroir. J'aime pas les miroirs. C'est pratique, mais j'aime pas, depuis que je me suis vue gondoler dedans. J'évite de regarder, sauf quand il faut vraiment. C'est vrai que je suis pas mal en robe. J'ai l'air d'une pétasse qui crève d'envie d'aller à Darnassus mais c'est un peu les standards ici. Je resserre les ficelles du corset. J'ai mis des plombes à comprendre comment ça marchait, alors maintenant j'en profite. Ce qu'il faut pas faire.

C'est le Vieux qui a demandé. Pas une robe, enfin, pas directement. Mais je voyais pas comment faire autrement pour lui ramener un type vivant. Je me retourne. Je me penche. Ca va, il respire encore, et même qu'il me regarde en serrant les dents. Vrai que ça doit faire mal. J'ai taché la robe. Je me rapproche du miroir pendant qu'il m'insulte à voix basse, je suis trop loin pour lui clouer le bec avec le pied, il a de la chance. Ca a aspergé le tissu de devant, le blanc, et le sang ça part mal sur du blanc.

Mon plan était bon. Prendre la jolie robe, attendre juste avant la tombée de la nuit, mettre la jolie robe, surveiller le type qui fait ses rondes entre la ferme avec les trois vaches brunes et celle avec les deux chevaux d'attelage qui sont marqués au fer, et l'approcher. A surveiller les guetteurs, à les entendre bavarder, j'ai pu voir lequel d'entre eux était nigaud au point de suivre une fille qui viendrait lui parler comme s'ils se connaissaient et qui habitait seul. J'avais mon plan sur je sais plus quelle feuille vu qu'il y a des nouveaux arrivants et qu'ils embauchent, alors je m'étais dit que je pouvais prétendre vouloir aller servir des nobliaux tellement paumés qu'ils sont obligés d'aller se coller dans une ferme, mais je pense que j'aurais pas été convaincante. C'est vrai. Avec une robe ils réfléchissent moins. Quand je lui ai demandé si on pouvait aller chez lui il a carrément arrêté de penser, je crois.

Ca vit vraiment dans des taudis les gardes, on dirait chez moi. Sauf que chez moi ça sent autrement. Je me retourne vers le veau. Il a l'air con, attaché avec ses draps et le pantalon sur les chevilles. Ca me fait rire. Il recommence à grogner, sauf quand je m'approche. S'il parle c'est qu'il est plutôt vivant. J'ai planté qu'une fois dans le mou, le reste j'ai cogné. Si un sanglier y survit il devrait faire pareil. Au moins le Vieux sera content. C'est moins simple que d'en finir tout de suite n'empêche. Et ça résout pas mon problème de robe. Je fouille ses affaires. Pas de robe. Ca m'énerve. Ca m'énerve. Ca m'énerve ça m'énerve ça m'énerve vraiment et il faut pas que je déconne parce que sinon je vais cuire le veau et le Vieux m'a pas demandé un rôti. J'enlève mes gants pour regarder mes mains, ma cicatrice et mes paumes lisses. Le veau regarde aussi, et il vire au blanc. Il supplie, d'un coup. Il dit qu'il dira rien, qu'il répètera jamais, qu'il fera ce que je veux et que d'ailleurs il est d'accord, c'est dégueulasse ce qu'ils nous ont fait. Je lui dis, ta gueule, il me répond, oui mais me faites pas de mal. Je dis oui mais ta gueule s'il te plait, il secoue la tête de bas en haut en pinçant les lèvres.

Faut vraiment que j'enlève la robe, ça le rend trop bête. J'enlève mon couteau que j'avais coincé comme l'autre sous le premier tissu, contre le ventre. La prochaine fois, je serrerai moins le corset, j'ai vraiment eu du mal à retirer la lame et je me suis surement coupée. Je retire la robe après m'être battue avec les cordons et le veau se remet à dire que non vraiment il était franchement d'accord avec nous et que ces nobles ben voilà mais que lui il était pas noble et qu'on pouvait être amis. Je serre bien mon couteau alors que j'ai une idée qui me calme tout de suite tellement elle est géniale.

Il marche lentement mais moi aussi j'ai la tête dans le sac de pas avoir dormi, alors je le motive avec la pointe de ma première lame. Dans le coin où il habite, à cette heure-là, y'a plus de loups que de gardes et il le sait, alors il se tait autant que moi. Il fait encore franchement nuit mais j'ai repéré le coin. Mon sac est lourd de la robe humide, mais il a fait un bon travail à la frotter tout ce qu'il pouvait en témoignage de notre amitié. J'ai dit, qu'en échange, j'allais lui présenter Papa, et qu'on serait amis vraiment après. J'ai bien serré les noeuds, même proche on l'entend pas gémir. Il a pas eu l'air de comprendre quand je lui ai présenté Papa dans la cache, mais je l'ai allumé, et là il a compris qu'il valait mieux qu'il bouge pas trop. Tant qu'il comprend pas que Papa est un peu cassé, ça devrait marcher. Moi je dois aller au boulot de toute façon, c'est l'heure et j'aime pas ne pas être à l'heure.

Je suis en train de manger quand le demi canard vient me voir avec les joues roses et les yeux brillants, et rien que sa voix casse mon humeur. Il parle pendant que je pense à la cache et que j'imagine le veau qui s'est aperçu qu'il était pas encore un boeuf, qui rampe dehors et qui va prévenir tout le monde. Je guette à droite, à gauche, juste des yeux, si des gardes sont là, et le canard me frotte encore l'épaule. Je le regarde. Il me dit, alors, je lui dis, euh, il me répond.


« Ma mère m'a dit, hein, elle sait pas garder un secret. Alors, tu sais, pour notre rendez-vous...
_Ah, que je fais alors que je tâte mon sac pour sentir mon couteau parce que ça me rassure, ben.
_C'est quand tu veux, mais je pense que vendredi ça serait bien, hein, je t'emmènerai au restaurant et tout, on aura la paye.
_Euh, ouais.
_Ah, et elle m'a dit de te dire que tu pouvais la garder la robe. »

Putain, c'était bien la peine. Au moins j'ai compris pourquoi la mère gloussait. Faut vraiment qu'elle soit aussi conne que sa progéniture pour être contente de le voir se faire écerveler du peu qu'il a. Ou peut être plus fine qu'elle en a l'air, et qu'elle est contente d'enfin se débarrasser de son rejeton. Bah. Je suis pas si énervée, finalement. C'est pas un échec. J'ai le veau, j'ai l'excuse, j'ai la robe et j'aurais même à manger à l'oeil. Ce soir je livre le veau au Vieux, et s'il a bougé je flambe sa mère comme je lui ai promis, dans trois jours s'il reste des traces sur la robe je me renverserais un truc dessus au restaurant. Et je la teindrais en rouge. C'est moins salissant le rouge.
Jaëlil
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Message  Jaëlil Mer 27 Oct 2010, 09:31


J'ai plus pleuré depuis qu'un marteau m'est tombé sur le pied quand j'étais môme, je crois, et qu'on m'a appris à pleurer pour quelque chose. Ca fait longtemps. Ca me manquait pas. Mais là je chiale, et je chiale tellement que je n'arrive pas à m'énerver de faire autant la gosse. Papa est abimé et il a un rouage enrayé dans le bras, surement un pignon qui a sauté, ça lui fait des sursauts bizarres. Je déteste. On dirait le gnome, il faisait pareil avant de ne plus remuer, je déteste. Je déteste que Papa fasse le gnome qui crève. Ca y est, je m'énerve. Au moins je peux remuer. Je passe derrière, je prends une barre et je fais sauter le rouage, parce que je peux pas réfléchir là, et il faut que je réfléchisse maintenant. Ca vrille, ça fait un bruit criard, ça grince, des étincelles.

Le bras ne bouge plus. J'ai bien aimé les étincelles, mais je préfère que ça arrête de remuer comme ça. Papa se range, reprend sa posture normale, même s'il penche un peu. Forcément, il lui manque un poids. La pression a cassé trois dents au rouage que je ramasse. Trois dents. Ce connard a osé péter trois dents à mon père. Je compterai les siennes, tiens. On verra qui a gagné.

Le Vieux a constaté que mon boeuf était bien un garde et il m'a dit, c'est bien, fais-en ce que t'en veux. Et on est reparti sur autre chose. Franchement, j'ai pas compris, et je me suis sentie un peu con d'avoir fait tout ça juste pour que le Vieux dise ça, mais bon, c'est moi qui déconne, faudra bien que j'assume. Le boeuf a supplié quand on était tous autour de lui, avec Tiphanie et les autres, ils ont même dit au revoir à Papa quand j'ai refermé la trappe et qu'on est tous parti vers la vraie mission. Je ne m'en souviens plus trop d'ailleurs, de cette mission, je crois que c'était chiant et que je me suis pris la tête avec un des nôtres qui sent le rat crevé et qui fait des commentaires sur toutes les filles qu'il croise, surtout de dos. Faut pas que je déconne s'il est des nôtres, alors je prends sur moi mais faudrait pas non plus qu'il me prenne pour une grue.

Je sais qu'on a eu un couac et que c'est pour ça que j'ai dormi sous un escalier, ouais, on avait choisi une autre planque parce que la terre tremble et que ça serait con qu'elle s'effondre sur nous, alors on a pris un bâtiment abandonné. Sauf qu'il était déjà occupé. Tiphanie m'a dit ensuite que je devais pas tuer sans qu'on m'ait donné l'ordre. J'ai rien répondu. Je pensais trop à ce que j'allais bien pouvoir faire du boeuf, où j'allais bien pouvoir planquer Papa si la terre tremblait vraiment et que c'était pas moi qui déconnait cette fois. Et puis, je me doute que répondre que j'avais pas trop fait attention lui aurait pas plu. Quand un type est inutile et qu'il répond pas, on s'encombre pas, c'est tout. Et quand y'en a un autre qui sait se défendre et qui lui pète un bras, merde, elle aurait plutôt du me dire merci quand je l'ai planté dans le dos. Quelqu'un s'est pris une balle aussi. Ou alors c'était elle la balle. Et une autre le bras. Oh, je sais plus, je m'en fous. La terre tremble vraiment, ça c'est important. Ca veut dire que ma planque à moi peut s'effondrer, et que les bâtiments de Hurlevent peuvent vraiment tomber.

Nos bâtiments. Ceux qui ont été construits de nos mains. On devient quoi si ça tombe ? Juste des ruines. Et on vient me faire chier parce que j'ai le couteau rapide. J'en parlerai au Vieux, tiens. Vendredi approche, je sais toujours pas quoi faire du boeuf qui gémit dans ma planque que j'ai pas encore rouverte, et une des forges s'est fendue après une secousse. Bon sang j'ai rarement vu quelque chose de plus beau que ce métal qui se répand par terre et qui fait fumer le sol, avec les nains qui braillent et les badauds qui paniquent. Y'a le chef qui m'a félicitée d'être bien restée calme et d'avoir su réagir en faisant tourner la coulée, mais c'était pas pour la détourner des gens, c'était parce que je voulais voir le feu liquide couler vers les scories et tout purifier et faire briller le noir et faire s'envoler le métal en éclats. Y'a rien de plus beau que ça. Rien. J'ai cru chialer. Les gens sont d'un con. Ils pensaient qu'à leurs petites pattes qu'ils auraient pu griller. Remarque, heureusement que personne s'est arrosé avec le métal en fusion, parce que ça aurait pué et ça aurait gâché un peu.

Je suis revenue vers ma planque avant le rendez-vous. C'est qu'on a eu une journée de libre et que le chef a rallongé un peu de monnaie pour ma bravoure -Belle crise de fou rire que j'ai pu contenir, je m'améliore tiens- et il faut attendre que ça refroidisse avant de réparer la forge, voir où sont les dégats. Au final, c'était vraiment beau mais ça m'arrange pas. Moins de boulot, c'est moins de détente, et je suis assez nerveuse comme ça. Le canard a voulu m'accompagner mais je lui ai dit que je devais me faire belle et il a ri comme un phoque -Il me fera le tour du monde celui-là- et il m'a foutu la paix. J'ai toute la journée pour gérer le problème.

Ca gémit dedans comme d'habitude quand je commence à enlever toutes les pierres et les rondins que je mets dessus pour pas qu'on trouve la trappe. Il gratte à l'intérieur, il a dû essayer de sortir. On peut faire confiance à personne. Je rentre, j'avise, rien s'est effondré. Bon. Il a l'air pâle, le boeuf, quand je me penche vers lui, vu qu'il est en boule dans un coin maintenant, et il me dit qu'il a soif. Ca sent la pisse, ici.


« Ben, j'ai pas trop d'eau, à part la mienne.
_Pitié... J'ai fait que lécher la goutte qui tombe dans le coin quand il pleut, j'en peux plus...
_Je suis pas là pour parler cuisine, c'est qu'il y a un soucis, que je fais, et comme il me regarde comme le veau qu'il est, je reprends. Je sais pas quoi faire de toi.
_Me tue pas, qu'il crie d'un coup. J'dirais rien à personne, promis.
_C'est pas le soucis, tu sais. Ca m'embête, j'aurais bien aimé pas avoir fait ça pour rien, tu comprends. »

Il répond rien, me regarde avec des yeux vides, je me désintéresse. Je regarde Papa et je le tire de son mode veille comme disent les ingénieurs avec une bourrade. Et d'un coup je vois des étoiles. Rouges. De la douleur, pas du feu. J'ai embrassé le mur à côté, j'ai même rebondi, et j'ai la tête qui sonne comme trois cloches. Il a une barre dans la main et je suis sonnée, mais pas assez pour pas prendre mon couteau. Je rampe comme je peux sous les pattes de Papa, et ça me frappe le pied. Putain, qu'est-ce que ça fait mal, et qu'est-ce qu'il peut brailler ! Ca fait un drôle de bruit de métal qui résonne quand je me redresse, et que j'essaie de retrouver le haut du bas et ce connard de type, et je réalise. Il tabasse Papa. Je hurle, d'un coup, et Papa se met à remuer, et j'entends les piques à moisson qui se remettent en route, Papa avance, ça hurle, ça grince, je hurle aussi, j'entends des choses qui craquent, qui lâchent, qui éclatent, et ça hurle, ça hurle, ça hurle, je suis arrosée d'un truc chaud et visqueux, ça grince encore, ça hurle plus, Papa avance contre le mur en déraillant.

Je retombe sur le cul. Et je me mets à chialer. Parce que j'ai mal, parce que j'ai rien pigé, et parce qu'il a frappé Papa qui remue bizarrement.

Au final, j'ai compté, j'ai retrouvé quatorze dents. Gagné. Ca lui fera les pieds à ce connard. Enfin j'imagine. Y'a mon restau gratuit qui m'attend et je suis franchement pas présentable. Je boitille en plus. Putain de mauvaise journée. Je suis énervée, je suis énervée, je suis tellement énervée que je pense que je vais bouffer du canard ce soir si je me calme pas avant parce que c'est sûr que là je vais déconner, je cherche un truc à faire, et puis j'ai l'idée. Tellement simple et tellement bonne que j'en reviens pas que personne n'y ait pensé avant. Je remets Papa en veille et je recouvre tout vite fait, et je vais ramper vers le coin du boeuf. Visiblement, ça a été visité, on s'inquiète surement, mais la clé marche encore. Et il a un miroir.

J'ai vraiment une pauvre gueule. Je me nettoie, je me coiffe, je m'essuie dans ses fringues et j'en fais un bandage pour mon pied. J'ai morflé. J'ai un violent bleu sur l'épaule, aussi, ça doit être là qu'il m'a frappée au départ, même si j'ai pas tellement senti. J'avais un peu de sang sur le côté de la tête, mais c'est parti avec le savon et ça se voit pas trop. Je mettrais une fleur et ça sera bien, tiens. Je me regarde. Ouais. Présentable. Plus que la robe à mettre chez moi et ça sera bon. Après tout ça, j'ai vraiment faim. Je l'aurai pas volé mon repas.

Je prépare mon instant de détente et je m'éloigne. Vrai, c'est tellement simple que je m'étonne de pas y avoir pensé plus souvent. J'ai compté, si je vais assez vite par le second chemin que je peux emprunter -D'après mes notes je peux le prendre avant le crépuscule- j'ai une heure pour regarder. Y'a pas à dire. Y'a rien de plus beau que le feu. Dommage qu'ils l'aient vu si vite. Bah, j'ai gardé un morceau à faire bruler chez moi.

Pas une si mauvaise soirée.
Jaëlil
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Message  Jaëlil Mer 17 Nov 2010, 08:08

Le monde devient fou. C'est pas possible autrement. J'ai beau avoir bu plus que ma part, c'est certain, c'est le monde qui s'est mis à déconner, pas moi.

Ca a commencé après le restau. Ca je m'en souviens pas, c'est juste que je suppose que ça s'est bien passé vu comment le demi canard me colle. Et qu'il rougit, et qu'il minaude, j'ai rarement eu autant envie de lui refaire le bec. Mais j'ai pas vraiment eu le temps d'y penser. Y'a une mission qui s'est mal passée. Et une autre ensuite. On est mauvais, on est juste mauvais, et les deux espèces de bourgeoises mal dégrossies qu'on se trimballe ont pas aimé que je leur dise. Déjà, on a bossé pour un paumé, je sais pas pourquoi, je me souviens plus, mais forcément ça a pas plu au Vieux. Je crois que c'était une histoire des cadavres laissés derrière. Qu'est-ce qu'on en a à foutre. Je veux dire, que les gardes savent qu'on bute des gens. Y'a quoi de neuf ? Du coup on a trainé une caisse pour lui, piquée à d'autres. J'vois pas le rapport, mais bon, j'ai l'habitude. C'est une habitude qui commence à m'énerver mais j'ai l'habitude.

Bref. Le Vieux nous a parlé à Tiphanie et moi, et à la façon qu'il avait de causer à Tiphanie je me suis demandée si je déconnais vraiment. Je me suis pincée, j'ai joué avec mon briquet, j'ai regardé, j'me suis même brûlé la main, il était encore là. Merde. S'il existe vraiment, je dis quoi ? Du coup, quand il m'a interrogée, j'ai répondu un peu à côté. Merde. Si je déconne pas, en fait ? J'ai vidé deux trois bouteilles, du coup, avant d'aller à la mission. Le Vieux a dit de savoir ce qu'il se tramait, et pourquoi on était pris pour des cons. Et d'aller chercher un ancien ami qui lui avait un peu manqué de loyauté et qui n'était plus trop un ami depuis. Et qui allait devenir un terreau pour les plantes ensuite.

Jusque là pas de problème. Sauf que les bourgeoises ont fait leurs ribaudes. Y'a Tiphanie qui a été encore plus conne que d'habitude quand on a vu qu'ils trimbalaient des trucs similaires comme par hasard à la première mission, comme des caisses ça par exemple, mais non, elle a pas voulu être intelligente et regarder le trafic. Elle a dit, la mission c'est de ramener monsieur Je-sais-plus-son-nom-et-je-m'en-fous, je lui ai dit, tu me fais chier, elle a dit, on en parlera plus tard, j'y ai répondu non, et je me la suis fermée. Et là, y'a l'autre pétasse qui s'est plantée devant moi, qui a braillé des trucs genre c'est moi la chef, alors tu la fermes, j'ai rien répondu, et elle a continué un moment comme ça. Je me suis concentrée sur mes lames et les surprises que j'avais emportées pour pas la planter, parce que j'avais qu'une envie, c'était de faire sauter un oeil de sa petite face de noblionne vite fait. Elle est avec nous que parce que le Vieux la tripote, je suis pas aveugle -Et maintenant, c'est sûr, je déconne pas du tout.

Je sais pas ce que Tiphanie a voulu prouver ensuite, mais ils étaient deux fois plus nombreux que nous et elle a foncé dans le tas. J'avais promis de fermer ma gueule et de pas les sortir de la merde si elles s'y mettaient, alors je m'en suis pas mêlée et j'ai récupéré ce que la cible gardait contre son gros ventre visqueux et j'ai suivi la cible jusqu'à ce qu'on la choppe. Et j'ai été la seule qui a pensé à couvrir nos traces. Mais quelle bande de peigne-cul, franchement. Des incapables. Et une putain. En plus, une de mes grenades a merdé. Saloperie de pluie. Je déteste la pluie. Quand ils se sont ramassés à la planque pour faire les tours de garde et soigner les bobos, j'ai regardé ce que le mec avait laissé comme matos, et comme c'est des gros idiots, pas un a voulu les prendre ou les regarder. Tant pis. C'est des branques, ça restera des branques, vu qu'ils veulent pas de mes conseils. On aurait pu être amis.

J'vais en parler au Vieux après une nuit à côté de Papa et un moment à touiller la forge toute neuve. Ca m'a fait du bien. Je le croise en ville, je me dis, j'ai de la chance, on part se planquer, et je lui raconte. Et il me dégoute. Il dit que je connais pas le sens d'une bande. Que j'ai pas mérité ma soie. C'est lui qui est sensé juger, et il veut pas savoir comment ça se passe vraiment ? Ben qu'il aille se la troncher, sa pétasse ! C'est sûr que raconté par elle ça doit être tout rose. Et après il se demande pourquoi on revient blessés et arnaqués. Il veut pas comprendre. D'accord. Faut que je me tire. Je me casse en lui lâchant ce que je pense, et même si je lui tourne le dos je sens que ça a fait mouche. Je me mets à courir. Pas parce que j'ai peur. On est en pleine ville, il va pas risquer comme ça. Non, j'ai pas peur. Je me suis remise à chialer.

Je les déteste. Je les déteste. Je les déteste. Je les déteste. Je les hais. Je les déteste. Je les déteste. Je les déteste. Je les déteste tous. Je les déteste. Je les déteste. Je vais les buter. Je les déteste. Je les déteste. J'en peux plus de chialer. Je les déteste. Je suis en train de boire et de boire et de boire parce que les forges sont fermées et que je les déteste tous. Je croyais qu'on était une bande, pas un ramassis d'une crétine, d'une pute, d'un clampin et d'un maquereau. J'ai jamais eu de problème à être seule. Juste que je leur faisais confiance, un peu. Et je bois pour pas déconner, mais plus je bois moins j'ai l'impression que ça marche. Et je chiale. Et je chiale. Faut que je fasse un truc, mais j'ai même plus la force. Et y'a un de ces pauvres types qui brame l'apocalypse qui se penche vers moi et qui me dit qu'il comprend ma détresse et que c'est normal mais qu'il y a de l'espoir. Je lui demande s'il veut venir chez moi.

J'arrive pas à enlever la tache sur le mur. Ca m'a même pas soulagée et j'ai fait ça comme une cochonne. Y'en a partout, je sais plus quel jour on est. Ca va bientôt puer en plus, surtout que j'ai mis des tripes un peu à droite un peu à gauche. Ca craint, je vais finir par déborder, et tout ce à quoi je pense c'est boire, voir le feu ou aller buter un de ces cons. Ca va commencer à puer chez Papa, je peux pas le laisser comme ça non plus. Y'a de plus en plus de gardes dans les rues. Je vais pas pouvoir trainer les restes et ma forge est lente. Je les mets petit à petit, mais je suis maladroite en plus. Et j'ai mal à la main droite. Je crois que je me suis arraché la peau du dessus. Enfin je crois que c'est moi. Je sais plus. J'étais en colère je crois. J'ai envie de vomir là. Et puis mon mur explose.

Comme ça. Il a explosé. Ca hurle dans tous les coins dehors. Ca souffle, y'a du vent, des cris, des éclairs, et une putain de foutue pluie. J'ai pas le temps de me dire que ça y est, j'ai craqué vraiment, que je vois un garde se faire foudroyer par un nuage qui remue. Et des gens qui hurlent encore. Ca a l'air d'être vrai. A la foudre qui tombe sur ma forge, je me pose plus la question. Je cours. Ca hurle comme avant. Comme l'autre jour. Comme aux émeutes. La garde va chercher des coupables. Faut que je le prévienne avant qu'ils arrivent cette fois. Avant qu'il y ait le feu partout. J'aimerais bien. Mais c'est de la pluie cette fois. De la pluie. Et des éclairs.

Je ne cours plus. Je reste à regarder le monde qui s'effondre et je peux pas m'empêcher de trouver ça beau. Ils ont peur tous et ça emplit l'air autant que la foudre, le vent est assez fort pour nous arracher du sol. Les premières tuiles se détachent et s'écrasent, dans les flaques qui commencent déjà. Les gens pleurent, ils s'enferment, mais cette fois les murs ne les protègent pas. J'entends un grand craquement derrière moi, c'est ma piaule qui achève de tomber, et ça couine dedans, comme des rats piégés, je crois que ça me fait rire. J'avance, je regarde un de ces nuages qui me regarde aussi, je crois. De petits yeux faits d'étincelles brillantes. Je le trouve magnifique. Il s'avance vers moi, se retourne contre un type qui l'assaille avec une épée, qui se fait griller jusqu'à l'avant bras. C'est merveilleux de voir ça. Comme ça scintille, ces éclairs, sur la plaque des armures. J'avance dans mon quartier, j'admire. Et d'un coup, je vois.

Ils ont pété ma forge.

J'ai défoncé la porte du Vieux à temps. Personne était encore venu le chercher sauf l'idiote et le couillon. Pas la pétasse, ça m'arrange. Je l'aurais bien jetée dans le canal vite fait, en passant. C'est pas le moment -Ils ont pété ma forge, merde. Il veut bien partir, cette fois, ils pourront pas l'emmener dans les geôles. Je lui dis qu'ils ont pété ma forge, il me cogne, ça va mieux. Ils ont quand même pété ma forge. Mais on est ensemble. Il regarde la ville, il se fout en rogne, ça tombe bien, je le suis aussi. Il me donne des ordres, aux autres aussi. C'est simple, c'est sensé. On reforme une bande, une vraie. Même s'ils ont pété ma forge, même s'ils foutent notre ville à sac. On leur reprendra. On reconstruira. Et cette fois, au lieu d'attendre le paiement, on le prendra. J'ai plus envie de boire. J'ai envie de venger. De nous venger nous, Papa, ceux qui ont tout construit, et d'éclater le reste. La ville tombe. Je crois que Dorine y est morte. Ca me plairait bien de l'enterrer.
Jaëlil
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