Il y a une dizaine d'années, en Ashenvale

Dans la tranquillité des abords du campement Chanteguerre, un garde orc laisse son regard vagabonder sur les frondaisons de la forêt sacrée d'Orneval.

- "Grom'ka, Korgutt." C'est une voix puissante et rauque qui vient de le saluer, un peu plus fort qu'à l'accoutumée. Une voix qui lui signifie qu'il baille aux corneilles. La voix de son chef.

- "Gr...Grom'ka, Sergent." Il sait qu'il est fautif, et attend, résigné, sa punition. C'est normal, il a failli à sa tâche, entâché son honneur.

Cependant, le sergent ne semble que peu s'en soucier, de son honneur. Au lieu de lui signifier sa punition, il fait trois pas pour arriver à hauteur de Korgutt, s'arrête, et tire une longue bouffée sur sa pipe, taillée dans ce bois même que leurs bûcherons abattent.

Un petit temps s'écoule, les trilles des oiseaux meublant joyeusement le calme du sous-bois, interrompu par la cloche du dernier service, dans le lointain.

Quelques secondes s'égrennent encore avant que Korgutt n'ose tourner la tête vers son supérieur.

Le Sergent Of'karn sourit.

- "Bon, je suppose que ça doit lui arriver aussi, même si c'est la première fois que j'y assiste." se dit la jeune sentinelle.

Un autre laps de temps s'écoule avant que le cadet n'ouvre la bouche, gêné par le silence.

- "La... La récolte a été bonne, Sergent ?"

- "Oui, Korgutt. Nous allons pouvoir approvisionner correctement Orgimmar en bois de construction. Nos femmes vont pouvoir dormir à l'abri de la mousson, qui s'annonce sévère. As-tu trouvé femme, korgutt ?

- "Oui, Sergent. La réponse est empreinte de fierté. Elle s'appelle Nakaïs, et c'est une vaillante chasseresse ! Elle attend notre enfant, qui ne va plus tarder à venir !

- "Très bien. Alors assure-toi que ce camp reste debout. Telle est ta mission. C'est ton premier tour de garde ?

- "Oui Sergent. Je viens d'être affecté à ce poste, depuis Orgrimmar."

- "Bien. La nuit tombe. Je vais rejoindre le campement. Soit attentif, les elfes rôdent. Ne te retourne pas tout de suite si tu entends du bruit."

Le vieil orc s'éloigne sur ces paroles, envoyant des ronds de fumée à la pleine Lune. La nuit s'annonce belle, et des chants retentissent du campement, là-bas, à quelques dizaines de mètres.

Korgutt veille.

La Lune prend lentement possession du ciel, qui s'emplit d'étoiles en son honneur. Korgutt la regarde passer, voyant dans l'astre divin le visage de sa femme.

Bientôt, il sera père. Son enfant naîtra dans une capitale digne de la Horde de Thrall, une horde qui tend la main aux autres races, pour construire ensemble un avenir sans la Légion...

Si seulement les elfes de la nuit n'étaient pas si bornés...

Le jeune orc s'appuie sur sa hache, réfléchissant au meilleur moyen de rapprocher les peuples.

...Tout à sa réflexion, il n'entend pas arriver la forme derrière lui, jusqu'à ce qu'elle lui assène un coup de poing sur l'épaule en riant très fort.

- "Korgutt, haha !! C'est comme ça que tu montes la garde ? Fais gaffe, ces chiennes d'elfettes font moins de bruit que moi, et je ne tiens pas à me retrouver égorgé dans mon sommeil ! Haha ! Tiens, bois donc un coup ! dit le nouvel arrivant avec un grand sourire avinné.

Korgutt sourit aussi : que son ami Runta ait pensé à lui lui réchauffe le coeur autant que l'alcool qui coule dans sa gorge. L'orc jovial attise le feu, et les deux se mettent à rêver ensemble d'exploits extraordinaires face à la Légion en mordant à belles dents le poulet dérobé à la fête.

Seul le chant des oiseaux anime la forêt à présent. Une brise légère fait bruisser les feuilles violettes des arbres d'Orneval. La Lune a disparu à l'horizon, l'aube ne va plus tarder.

La sentinelle frémit du frisson qui caractérise le passage de la nuit au jour. Mine de rien, il a hâte de le voir, le jour : les récits d'attaques elfes qu'il a entendu au coin du feu ne sont pas pour le rassurer, et elles sont sur leur terrain...

Tout à ces pensées, la sentinelle se met à scruter le moindre recoin d'ombre. Le plus léger mouvement le fait susauter, et pointer sa lance. La paranoïa monte en lui : se buisson a-t-il bougé, ou non ? Et cette branche, là-haut ? Ce qui brille là-bas, sont-ce des gouttes d'eau ou des yeux ? Cette racine en est-elle vraiment une ?

Cette trille venait-elle d'un oiseau ?

Le jeune orc sent la panique le gagner. Il doute de tout, des goutelettes de sueur perlent sur son front, ses mains deviennent moites sur la hampe de sa lance. Il s'ébroue, reprend courage. C'est un guerrier orc ! Il n'a pas peur des ombres, ni du vent !

Il plante, résolu, sa lance en terre, et se campe, stable et puissant, devant les braises. Il ne sera pas dit que lui, Korgutt, face honte aux esprits de ses ancêtres, à sa famille et à...

"Tchack !"

Un bruit mat vient de retentir derrière lui.

Il manque de se retourner, mais se souvient au dernier moment de l'avertissement de son sergent : "Ne te retourne pas tout de suite."

C'est ainsi qu'il la voit. Une ombre flottante qui tend le bras vers lui, comme au ralenti. Fasciné par les deux étoiles qui le fixent, il n'esquive qu'au dernier moment la griffe de métal qui l'entaille au menton. Trop lent ! Il recule encore, bute dans quelque chose et tombe à la renverse !

Ses yeux paniqués cherchent du secours, ses mains cherchent un appui, se blessent sur une pointe de métal, ses yeux suivent, s'ouvrent d'horreur, c'est une étoile de métal fichée mortellement dans la gorge de Runta ! Ses oreilles le ramènent à l'elfe : elle vient de dégainer un long sabre courbe et s'avance sur lui.