La fin de la RavenClaws
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La fin de la RavenClaws
Le réfugié porta une main à la large blessure passée qui décorait son cou. Sa voix était éteinte, blanche, et résonnait comme une vieille flûte de pan.
« Il pleuvait, cette nuit-là. Il pleuvait sans doute... Il pleut toujours aux mariages, et aux enterrements... »
Ses yeux gris se perdirent au loin, et dans leur iris tacheté, grossi par des larmes trop longtemps retenues, on voyait la forêt noire reprendre vie. On voyait les vallons et les collines se dresser à nouveau, les brèches dans le sol se refermer d'elles-même. On voyait...
L'averse s'abattait depuis des jours. Le cataclysme avait totalement retourné le terrain, et le vieux domaine du grabataire Stryjbjorn Avaeros se tapissait toujours dans un recoin difficile d'accès, dans la falaise. Un seul minuscule trajet boueux et mal pavé remontait sur un tertre qui servait, accessoirement, de cimetière rudimentaire.
Cet isolement total, que le vieux Stryjbjorn avait choisi, arrangeait bien les nouveaux locataires. Un groupe de parias, une nuit sans lune, avaient repris l'héritage de leur chef, Lorgar Avaeros. Après avoir descendu les quelques gardes personnels de l'ancien officier disciplinaire, ils avaient officieusement repris les rennes du domaine en le coupant une bonne fois pour toute de sa communication avec l'extérieur.
Parias. Assassins. Fuyards de l'autorité de l'alliance. Ils avaient trouvé leur bannière, leur point de chute, sur ce petit monticule de rochers noirs battus par les vents et les tempêtes. Lorsque de Gilnéas et de Hautebrande affluèrent les réfugiés que l'alliance, par leur nature, avait rejeté, ils avaient ouvert les bras. Lorgar était un grand visionnaire. Il voyait un grand futur pour leur organisation, dont le nombre grandissait à mesure que la tête se fendait sous leurs pieds dans le grand cataclysme. Il voulait lui-même oublier l'image de l'ennemi numéro un que les grands pontes des terres du Roy lui avaient grâcieusement accordée. Il sauvait ses semblables : des parias, des bandits, parfois d'anciens défias. Tous des Hommes en revanche. C'était là sa fierté, d'avoir su discerner entre les concepts futiles des rangs sociaux ou du passé la lueur mourante des âmes en peine.
Cette fameuse nuit. Cette nuit, où il pleuvait si fort, ils comprirent trop tard que la reprise de Gilnéas allait causer leur perte. Car ils étaient sur le chemin de l'alliance, qui avaient, sur leurs grandes cartes de peaux d'ours, décidé que le domaine abandonné serait un point stratégique.
Cette fameuse nuit.
Ils débouchèrent les vieux vins sirupeux de la cave d'Avaeros pour les verser dans de larges coupes d'argent terni, pour fêter ensemble la victoire inattendue de leur dernière exaction dans les Maleterres. Leurs amures portaient encore les larges plaies des griffes nérubiennes qu'ils avaient bravées dans les comtés déchus. Et ils levèrent ces coupes à leur survie, et à celle des réfugiés qui, parfois malades, mutilés, hantaient les murs du domaine depuis des semaines.
Et lorsque la terre s'ébranla une fois de plus, tous dans leurs yeux lurent la même conclusion : ça n'était pas un simple tremblement. Par les larges vitraux, on voyait de fiers gradés sonner le cor de guerre sous les étendards bleus qui claquaient au vent comme le fouet des diables. Les épées étaient tirées au clair, les arbalètes prêtes à faire pleuvoir leurs carreaux. Et sans doute les blindés suivraient de près. Ils étaient tous là pour signer la fin du domaine et de leurs exactions. Le temps qu'ils se fraient un passage le long de la corniche érodée, ils pourraient tenter d'ériger une dernière fois leurs défenses de fortune.
On leva, des tranchées creusées dans les jardins, des rangées de palissades de bouleau et de chêne, affutées en hâte, et quelques canons volés se préparaient à cracher la poudre sur les balcons de bois vermoulu. C'était la guerre.
On tenta de mettre à l'abri les réfugiés, mais déjà au dehors les flèches pleuvaient sur les hommes, les femmes, et les enfants.
« FEU A VOLONTE, LA LUMIERE SAURA SAUVER LES INNOCENTS ! ». Mais les carreaux n'avaient pas de jugement. Ils s'abattaient sur les fuyards blessés en un tapis noir d'horreur et de mort. La pluie rebondissait sur les joues blanches et les plaies béantes de ceux que la lumière avait décidé de ne pas sauver. On dut fermer les portes sur ceux qui n'avaient pas été assez rapides, les condamnant à une mort inéluctable, mais nécessaire.
Par les vitraux au sud, des agents du SI:7 préparaient leur incursion, mais furent repoussés en hâte. Lorsque la première vague de soldats se heurta aux palissades acérées, Nesban le Trouble-Mort grimpa dans la tour « Anatomie » et libéra Zeita, l'ange noir, dont les ailes de fer s'ouvrirent dans un crissement. Elle brisa les vitres de la tour et prit son envol autour du champ de bataille.
A l'intérieur, nos héros barricadaient portes et fenêtres avec l'énergie du désespoir. Certains s'asseyaient déjà sur les marches, perdant dans leur esprit embrumé les rêves qu'ils abandonnaient.
Coups de canons. Quelques gyrocoptères rasaient de près les ardoises noires des toits et larguaient quelques soldats et des bombes. La structure même du domaine commençait à ployer.
Aux abords de deux heures du matin, les soldats avaient commencé à pénétrer dans la minuscule citadelle improvisée, et sur la cime baignée par la lune, on voyait quelques blindés s'aligner. Les vitraux volaient rapidement en éclat, fauchant les mercenaires alors qu'ils couraient dans les étages. Tous succombaient au feu destructeur de l'Alliance, mourant dans le combat jusque dans les vieilles chambres abandonnées. La chair était déchirée par les épées de justice, trempée du sang des innocents, et s'abattait sans la moindre pitié sur les crânes nus de vieillards déjà aux portes de la mort.
Si les parias avaient pu gagner du temps en les contenant un instant dans le grand hall, ils savaient que leurs minutes étaient comptées. Retranché dans le bar avec Marcus et ses sbires, Mhyrskian fut parmi les premiers à tomber. S'ils voulaient avoir une chance de sauver le peu de réfugiés qui avaient survécu, il fallait créer une diversion colossale. Le Trouble-mort se réfugia en hâte dans la grande Tour, dont on ferma les herses, poursuivi par un des seuls contingent qui avait réussi à avancer assez loin dans le domaine, menés par le capitaine Finkley. L’espoir se mourait dans la boue qui baignait le hall alors que les chants de guerre de l’alliance et le bruit des machines de guerres ressemblait à un requiem leur étant destiné. C’est à cet instant que la tour « Anatomie » vola en éclat dans une explosion sans pareille.
Lorsque Lorgar Avaeros rendit l'âme sur le seuil du domaine, devant les rangs alignés, le coeur de chaque résident ressentit leur inexorable fin. La diversion avait été créée, Suiri, Aezen et quelques parias remontèrent le col avec un rang de réfugiés par le nord.
Les bottes d'acier foulèrent la pluie fangeuse du rez-de-chaussée, où flottaient les cadavres sanglants des résidents du domaine. Le Sergent Hartman joua du bout de son épée frappée du sceau royal dans l'eau, et leva les yeux vers le manoir. Ils avaient payé. Tous.
Larkin roulait des yeux, perdant tout son sang, appuyé contre le mur tapissé du couloir central. Son sourire dément n'avait pas quitté son visage, alors qu'il était aux portes de la mort Agacé par cette résistance passive, le sergent leva son fusil, et y mit fin d'une balle bien placée.
« Le dingue » glissa le long du mur, et s'effondra dans une bannière déchirée, imprimée du symbole du Corbeau noir. Le sang rouge de Larkin baigna un moment le tissu, et donna l'impression, un court instant, que l'animal le tenait dans ses serres ensanglantées.
La Ravenclaws avait été écrasée, cette nuit-là, et le domaine Avaeros s'était éteint comme une bougie. Il s'était effondré comme un château de carte.
La douce ironie voulut qu'à l'alliance ce lieu soit arraché, avec la même force qu'ils avaient décapité les fuyards des terres du nord, par les bataillons noirs de la Reine Banshee.
Le réfugié ferma ses yeux, des larmes perlant le long de ses joues, il prit une grande inspiration avant de diriger son regard vide vers son interlocuteur « Nous avons tout perdu ce soir là, nos proches, notre cause, notre foyer, notre espoir... L’alliance nous a brisés... Maintenant partez, il nous reste du chemin » Le réfugié versa encore une larme avant de repartir vers la petite caravane de réfugiés et de brigands composée à grande partie de mutilés aussi bien physiquement que mentalement.
« Il pleuvait, cette nuit-là. Il pleuvait sans doute... Il pleut toujours aux mariages, et aux enterrements... »
Ses yeux gris se perdirent au loin, et dans leur iris tacheté, grossi par des larmes trop longtemps retenues, on voyait la forêt noire reprendre vie. On voyait les vallons et les collines se dresser à nouveau, les brèches dans le sol se refermer d'elles-même. On voyait...
L'averse s'abattait depuis des jours. Le cataclysme avait totalement retourné le terrain, et le vieux domaine du grabataire Stryjbjorn Avaeros se tapissait toujours dans un recoin difficile d'accès, dans la falaise. Un seul minuscule trajet boueux et mal pavé remontait sur un tertre qui servait, accessoirement, de cimetière rudimentaire.
Cet isolement total, que le vieux Stryjbjorn avait choisi, arrangeait bien les nouveaux locataires. Un groupe de parias, une nuit sans lune, avaient repris l'héritage de leur chef, Lorgar Avaeros. Après avoir descendu les quelques gardes personnels de l'ancien officier disciplinaire, ils avaient officieusement repris les rennes du domaine en le coupant une bonne fois pour toute de sa communication avec l'extérieur.
Parias. Assassins. Fuyards de l'autorité de l'alliance. Ils avaient trouvé leur bannière, leur point de chute, sur ce petit monticule de rochers noirs battus par les vents et les tempêtes. Lorsque de Gilnéas et de Hautebrande affluèrent les réfugiés que l'alliance, par leur nature, avait rejeté, ils avaient ouvert les bras. Lorgar était un grand visionnaire. Il voyait un grand futur pour leur organisation, dont le nombre grandissait à mesure que la tête se fendait sous leurs pieds dans le grand cataclysme. Il voulait lui-même oublier l'image de l'ennemi numéro un que les grands pontes des terres du Roy lui avaient grâcieusement accordée. Il sauvait ses semblables : des parias, des bandits, parfois d'anciens défias. Tous des Hommes en revanche. C'était là sa fierté, d'avoir su discerner entre les concepts futiles des rangs sociaux ou du passé la lueur mourante des âmes en peine.
Cette fameuse nuit. Cette nuit, où il pleuvait si fort, ils comprirent trop tard que la reprise de Gilnéas allait causer leur perte. Car ils étaient sur le chemin de l'alliance, qui avaient, sur leurs grandes cartes de peaux d'ours, décidé que le domaine abandonné serait un point stratégique.
Cette fameuse nuit.
Ils débouchèrent les vieux vins sirupeux de la cave d'Avaeros pour les verser dans de larges coupes d'argent terni, pour fêter ensemble la victoire inattendue de leur dernière exaction dans les Maleterres. Leurs amures portaient encore les larges plaies des griffes nérubiennes qu'ils avaient bravées dans les comtés déchus. Et ils levèrent ces coupes à leur survie, et à celle des réfugiés qui, parfois malades, mutilés, hantaient les murs du domaine depuis des semaines.
Et lorsque la terre s'ébranla une fois de plus, tous dans leurs yeux lurent la même conclusion : ça n'était pas un simple tremblement. Par les larges vitraux, on voyait de fiers gradés sonner le cor de guerre sous les étendards bleus qui claquaient au vent comme le fouet des diables. Les épées étaient tirées au clair, les arbalètes prêtes à faire pleuvoir leurs carreaux. Et sans doute les blindés suivraient de près. Ils étaient tous là pour signer la fin du domaine et de leurs exactions. Le temps qu'ils se fraient un passage le long de la corniche érodée, ils pourraient tenter d'ériger une dernière fois leurs défenses de fortune.
On leva, des tranchées creusées dans les jardins, des rangées de palissades de bouleau et de chêne, affutées en hâte, et quelques canons volés se préparaient à cracher la poudre sur les balcons de bois vermoulu. C'était la guerre.
On tenta de mettre à l'abri les réfugiés, mais déjà au dehors les flèches pleuvaient sur les hommes, les femmes, et les enfants.
« FEU A VOLONTE, LA LUMIERE SAURA SAUVER LES INNOCENTS ! ». Mais les carreaux n'avaient pas de jugement. Ils s'abattaient sur les fuyards blessés en un tapis noir d'horreur et de mort. La pluie rebondissait sur les joues blanches et les plaies béantes de ceux que la lumière avait décidé de ne pas sauver. On dut fermer les portes sur ceux qui n'avaient pas été assez rapides, les condamnant à une mort inéluctable, mais nécessaire.
Par les vitraux au sud, des agents du SI:7 préparaient leur incursion, mais furent repoussés en hâte. Lorsque la première vague de soldats se heurta aux palissades acérées, Nesban le Trouble-Mort grimpa dans la tour « Anatomie » et libéra Zeita, l'ange noir, dont les ailes de fer s'ouvrirent dans un crissement. Elle brisa les vitres de la tour et prit son envol autour du champ de bataille.
A l'intérieur, nos héros barricadaient portes et fenêtres avec l'énergie du désespoir. Certains s'asseyaient déjà sur les marches, perdant dans leur esprit embrumé les rêves qu'ils abandonnaient.
Coups de canons. Quelques gyrocoptères rasaient de près les ardoises noires des toits et larguaient quelques soldats et des bombes. La structure même du domaine commençait à ployer.
Aux abords de deux heures du matin, les soldats avaient commencé à pénétrer dans la minuscule citadelle improvisée, et sur la cime baignée par la lune, on voyait quelques blindés s'aligner. Les vitraux volaient rapidement en éclat, fauchant les mercenaires alors qu'ils couraient dans les étages. Tous succombaient au feu destructeur de l'Alliance, mourant dans le combat jusque dans les vieilles chambres abandonnées. La chair était déchirée par les épées de justice, trempée du sang des innocents, et s'abattait sans la moindre pitié sur les crânes nus de vieillards déjà aux portes de la mort.
Si les parias avaient pu gagner du temps en les contenant un instant dans le grand hall, ils savaient que leurs minutes étaient comptées. Retranché dans le bar avec Marcus et ses sbires, Mhyrskian fut parmi les premiers à tomber. S'ils voulaient avoir une chance de sauver le peu de réfugiés qui avaient survécu, il fallait créer une diversion colossale. Le Trouble-mort se réfugia en hâte dans la grande Tour, dont on ferma les herses, poursuivi par un des seuls contingent qui avait réussi à avancer assez loin dans le domaine, menés par le capitaine Finkley. L’espoir se mourait dans la boue qui baignait le hall alors que les chants de guerre de l’alliance et le bruit des machines de guerres ressemblait à un requiem leur étant destiné. C’est à cet instant que la tour « Anatomie » vola en éclat dans une explosion sans pareille.
Lorsque Lorgar Avaeros rendit l'âme sur le seuil du domaine, devant les rangs alignés, le coeur de chaque résident ressentit leur inexorable fin. La diversion avait été créée, Suiri, Aezen et quelques parias remontèrent le col avec un rang de réfugiés par le nord.
Les bottes d'acier foulèrent la pluie fangeuse du rez-de-chaussée, où flottaient les cadavres sanglants des résidents du domaine. Le Sergent Hartman joua du bout de son épée frappée du sceau royal dans l'eau, et leva les yeux vers le manoir. Ils avaient payé. Tous.
Larkin roulait des yeux, perdant tout son sang, appuyé contre le mur tapissé du couloir central. Son sourire dément n'avait pas quitté son visage, alors qu'il était aux portes de la mort Agacé par cette résistance passive, le sergent leva son fusil, et y mit fin d'une balle bien placée.
« Le dingue » glissa le long du mur, et s'effondra dans une bannière déchirée, imprimée du symbole du Corbeau noir. Le sang rouge de Larkin baigna un moment le tissu, et donna l'impression, un court instant, que l'animal le tenait dans ses serres ensanglantées.
La Ravenclaws avait été écrasée, cette nuit-là, et le domaine Avaeros s'était éteint comme une bougie. Il s'était effondré comme un château de carte.
La douce ironie voulut qu'à l'alliance ce lieu soit arraché, avec la même force qu'ils avaient décapité les fuyards des terres du nord, par les bataillons noirs de la Reine Banshee.
Le réfugié ferma ses yeux, des larmes perlant le long de ses joues, il prit une grande inspiration avant de diriger son regard vide vers son interlocuteur « Nous avons tout perdu ce soir là, nos proches, notre cause, notre foyer, notre espoir... L’alliance nous a brisés... Maintenant partez, il nous reste du chemin » Le réfugié versa encore une larme avant de repartir vers la petite caravane de réfugiés et de brigands composée à grande partie de mutilés aussi bien physiquement que mentalement.
Therod Aoun'dore
La fin du Trouble-Mort
Coup de canon. Un vitrail vola en éclat alors que le projectile se fracassait contre la façade. Ralenti par ses énormes bottes de métal, Nesban tourna à l'angle. Au bout d'un interminable couloir, une porte s'ouvrait à la volée sous les coups d'un bélier de bronze.
POUR WRYNN, ATTRAPPEZ-LE ! ATTRAPPEZ LE TROUBLE-MORT !
Les épées étaient sorties au clair. Les murs chargés de tableaux anciens s'ébranlèrent, et les cadres se fracassèrent au sol. Par une des fenêtres, on vit un démolisseur forcer le portail de fer forgé, et rouler sans mal sur les défenses de fortune qu'ils avaient établis.
Le c?ur noir de Nesban battit plus fort et cogna contre sa poitrine décharnée. Il fallait qu'il sauve sa peau léprosée, qu'il sauve sa non-vie. Sur son épaule, Magda hurlait à la mort en pleurant des larmes sèches, qui ne coulaient pas de ses orbites vides. Le chevalier impie tourna à gauche, puis à droite. En face de lui, une grande baie-vitrée était pulvérisée par un obus bien placé.
Magda, MAGDA, BAISSE LES HERSES !
La petite fille bondit sans hésiter de l'épaule de son père, et se suspendit de tout son poids à la grosse chaine noire devant l'entrée de la tour centrale. Trois rangées de herses se fermèrent dans un fracas, aux barreaux desquels Nesban s'agrippa en observant sa fille, de l'autre côté.
Les canaux d'évacuation, mon enfant, monte par les canaux !
Trainant son petit doudou imprégné de sang pourri, la gamine décharnée hocha vivement la tête, la bouche ouverte pour mieux haleter, et ouvrit un conduit assez gros pour un chat de gouttière à droite de la herse, avant de ramper à l'intérieur en poussant de petits couinements d'effort.
Nesban se retourna vers l'interminable escalier qui grimpait jusqu'à la tour « Anatomie ». Il regarda un instant ses blessures. Des balles, des flèches. Une épée, encore plantée dans l'épaule, avait traversé son armure noire. Épuisé, il relâcha l'étreinte d'impie qu'il avait sur son corps, et laissa sa cuirasse partir en fumée noire. Il se retrouva, presque nu, couvert de sang, à grimper en rampant les marches du paradis.
Du paradis, oui, car on ne monte pas pour aller en enfer, songea-t-il. En contrebas, les soldats se pressaient contre les herses. Les mauvais meurent, mais les héros, aussi... Qu'était-il ? Un monstre ? Un symbole ? N'était-il pas le bouc-émissaire des souffrances des peuples ?
« Je ne suis qu'un des gladiateurs qu'on jette dans l'arène pour nourrir la populace du sang de leur frère ». Coup de bélier. La tour s'ébranla. Il lui semblait qu'on essayait de forcer son propre crâne. La douleur vrilla son tympan, alors qu'il caressait du bout des doigts la porte de la serre, désormais condamnée.
Sa femme, morte. Rien ne comptait plus à présent que l'accomplissement de sa destinée. Il fit un dernier effort et émergea dans son laboratoire, d'où il voyait la forêt des pins, et la mer grise qui s'étalait dans la brume. Il observa, derrière les vitraux, les soldats qui se pressaient aux portes, et qui annonçaient à grands cris de guerre sa propre perte. Machinalement, il regarda sa main, comme pour se demander ce qu'il avait fait de sa vie, et de sa non-vie. Sa vue se brouilla un peu. Il porta le regard sur le cadre sur son bureau. Vladimir. Papa. Du bout des lèvres, où perlaient des caillots de sang, il murmura.
« J'ai honoré notre lignée... Que veux-tu d'autre, à présent ? Un peu de musique, peut-être... oui... un peu de musique... »
D'un geste brusque, il alluma le vieux phare, dont l'ampoule grésilla, et balança un rayon puissant sur l'horizon. Des milliers de lynx et de phalènes se collèrent contre les baies vitrées, aveuglés par cette lumière. Dans un grincement métallique, Magda poussa le petit portique du canal d'évacuation, et rejoignit son père d'un pas un peu trainant. Ses petits pieds résonnaient comme des gouttes d'eau sur le carrelage froid et humide de la tour. Elle prit instinctivement la main de son père, et regarda avec lui cette myriade d'insectes qui voulaient voir, de près, la mort d'un monstre.
D'un geste lent, et posé, Nesban ajusta le tourne-disque, qui crépita avant de diffuser une marche funèbre lente, celle qu'il écoutait chaque soir. Il alluma un cigare avec un léger sourire aux lèvres. Les reflets du phare firent reluire ses dents en or, et pour la première fois elles parurent immaculées. La lumière était si crue que son corps entier en semblait baigné. Il aurait pu ressembler à un ange. La musique allait en crescendo, elle couvrait le vacarme même de la bataille. Alors il se retourna vers son atelier, et regarda les immenses bocaux de formol, où ses enfants dormaient encore.
Zeita, la veuve noire. Ses grandes ailes de fer repliées autour d'elle, elle somnolait comme un nouveau-né. A chaque explosion son corps sursautait. Elle entrouvrit ses yeux, et de ses pupilles noires regarda son père.
Gan'eha, le molosse. Ses quatre yeux s'ouvrirent également, et il écarta ses six bras démesurés, en adressant à son père un regard lancinant.
Momy, ç'aurait peut-être été l'adolescent rebelle, au fond... Replié dans ses centaines de tentacules à pointes noires, il adressa un sourire étrange à son père, un sourire enfantin.
Magda, remontée sur l'épaule de Nesban, observa ses frères et soeur, la bouche entrouverte. La famille s'était agrandie. Il était temps. Le Trouble-mort s'avança jusqu'à son bureau, et observa longuement le portrait de son père. Il n'en avait gardé qu'une brochure de journal, prise le jour de son exécution. Le titre intégral donnait « Le vilain petit canard d'une noblesse déchue ». Oui, c'était bien là toute la vocation des Romansky, après tout. Etre différent. Suivre sa propre voie.
Fracas de verre. Les trois nouveaux-nés brisèrent leur cellule en hurlant. Sous les carapaces de métal, les parasites prirent rapidement le contrôle de leur corps, et ils s'approchèrent de leur père, lentement. Nesban ne se retourna pas. Il connaissait leurs pensées, leurs émotions. Zeita échappa une larme de ses orbites d'obsidienne. Sa bouche tordue articula « Pa...pa... ». Puis il donna l'ordre.
Dans un cri, elle brisa une des baies vitrées et prit son envol. Au passage, elle attrapa deux armes sur le ratelier et fondit, depuis les airs, sur les ennemis en contre-bas. Gan'eha piétina les débris de verre et, s'agrippant aux pierres, il descendit avec une agilité hors du commun. Momy, lui, resta immobile. Il ne voulut pas partir. Il s'approcha de Nesban et, encore humide, posa une main sur l'épaule de son père.
Le Trouble-mort fondit en larme, serrant Magda dans ses bras. Il était l'heure, hélas. Leurs pas, dans les escaliers. Ils venaient souiller le sanctuaire de sa progéniture, et mettre en danger le travail de toute une vie. Il monta le volume de la marche funèbre pour qu'elle emplisse chaque parcelle de ce phare. La porte vola en éclat.
Le capitaine tira une longue épée blanche au clair, et sous son casque bleu-et-or, siffla.
C'en est fini de votre course, Trouble-mort. Vous allez périr, vous, et vos choses. Voici votre heure !
Sanglotant, Nesban lui sourit. Ses larmes devinrent peu à peu l'expression d'une joie intense. Il tira de sa boite de cigare un petit objet de manufacture gobeline, observa le capitaine, et dans un souffle, conclut.
C'en est fini. Voici votre heure.
On entendit le choc dans toute la forêt. De la base au sommet, étage par étage, la tour Anatomie vola en éclat. Ses pierres se disloquèrent, le phare s'éteignit et dans un grincement s'effondra sur lui-même. Dans le monticule de poussière et de débris qui s'abattaient sur le sol, des dizaines de corps en uniforme tombaient, eux aussi disloqués. La déflagration gagna les étages, brulant les escaliers marche après marche. Chaque charge qui explosait était comme une petite fin du monde, qui monta en crescendo. Les plantes presque vivantes d'Yshera se consumèrent dans de longs sifflements de douleur, alors que leurs troncs étaient soufflés par la violence de l'explosion. L'incendie gagna en un instant le sommet de la tour. Les débris, les outils, les établis, les corps, les machines, tout tournoya dans une ronde infernale. Au milieu de cette scène, Nesban souriait toujours au capitaine. Ils étaient figés dans le temps, le pouce du mort-vivant fermement appuyé sur le détonateur, les larmes de son fils, et l'étreinte effrayée et à la fois si douce de Magda.
Tout disparut dans un souffle.
« Je n'aime pas l'ironie. Un maitre de la mort devrait choisir la sienne ».
Le temps retrouva son fil normal. Les dernières pierres retombaient sur le champ de bataille. Plus rien ne restait de la tour « Anatomie », ni des projets impossibles d'un homme peut-être trop ambitieux.
Au dessus d'une colonne de fumée, Zeita poussa une longue plainte. Ses ailes de fer battirent l'air un long moment, et sa mélopée résonna dans toute la région, comme un concert de violons.
Elle pleurait comme pleurerait une fille sur le tombeau de son père aimé.
Elle pleurait la mort de son père.
L'alliance doit payer.
POUR WRYNN, ATTRAPPEZ-LE ! ATTRAPPEZ LE TROUBLE-MORT !
Les épées étaient sorties au clair. Les murs chargés de tableaux anciens s'ébranlèrent, et les cadres se fracassèrent au sol. Par une des fenêtres, on vit un démolisseur forcer le portail de fer forgé, et rouler sans mal sur les défenses de fortune qu'ils avaient établis.
Le c?ur noir de Nesban battit plus fort et cogna contre sa poitrine décharnée. Il fallait qu'il sauve sa peau léprosée, qu'il sauve sa non-vie. Sur son épaule, Magda hurlait à la mort en pleurant des larmes sèches, qui ne coulaient pas de ses orbites vides. Le chevalier impie tourna à gauche, puis à droite. En face de lui, une grande baie-vitrée était pulvérisée par un obus bien placé.
Magda, MAGDA, BAISSE LES HERSES !
La petite fille bondit sans hésiter de l'épaule de son père, et se suspendit de tout son poids à la grosse chaine noire devant l'entrée de la tour centrale. Trois rangées de herses se fermèrent dans un fracas, aux barreaux desquels Nesban s'agrippa en observant sa fille, de l'autre côté.
Les canaux d'évacuation, mon enfant, monte par les canaux !
Trainant son petit doudou imprégné de sang pourri, la gamine décharnée hocha vivement la tête, la bouche ouverte pour mieux haleter, et ouvrit un conduit assez gros pour un chat de gouttière à droite de la herse, avant de ramper à l'intérieur en poussant de petits couinements d'effort.
Nesban se retourna vers l'interminable escalier qui grimpait jusqu'à la tour « Anatomie ». Il regarda un instant ses blessures. Des balles, des flèches. Une épée, encore plantée dans l'épaule, avait traversé son armure noire. Épuisé, il relâcha l'étreinte d'impie qu'il avait sur son corps, et laissa sa cuirasse partir en fumée noire. Il se retrouva, presque nu, couvert de sang, à grimper en rampant les marches du paradis.
Du paradis, oui, car on ne monte pas pour aller en enfer, songea-t-il. En contrebas, les soldats se pressaient contre les herses. Les mauvais meurent, mais les héros, aussi... Qu'était-il ? Un monstre ? Un symbole ? N'était-il pas le bouc-émissaire des souffrances des peuples ?
« Je ne suis qu'un des gladiateurs qu'on jette dans l'arène pour nourrir la populace du sang de leur frère ». Coup de bélier. La tour s'ébranla. Il lui semblait qu'on essayait de forcer son propre crâne. La douleur vrilla son tympan, alors qu'il caressait du bout des doigts la porte de la serre, désormais condamnée.
Sa femme, morte. Rien ne comptait plus à présent que l'accomplissement de sa destinée. Il fit un dernier effort et émergea dans son laboratoire, d'où il voyait la forêt des pins, et la mer grise qui s'étalait dans la brume. Il observa, derrière les vitraux, les soldats qui se pressaient aux portes, et qui annonçaient à grands cris de guerre sa propre perte. Machinalement, il regarda sa main, comme pour se demander ce qu'il avait fait de sa vie, et de sa non-vie. Sa vue se brouilla un peu. Il porta le regard sur le cadre sur son bureau. Vladimir. Papa. Du bout des lèvres, où perlaient des caillots de sang, il murmura.
« J'ai honoré notre lignée... Que veux-tu d'autre, à présent ? Un peu de musique, peut-être... oui... un peu de musique... »
D'un geste brusque, il alluma le vieux phare, dont l'ampoule grésilla, et balança un rayon puissant sur l'horizon. Des milliers de lynx et de phalènes se collèrent contre les baies vitrées, aveuglés par cette lumière. Dans un grincement métallique, Magda poussa le petit portique du canal d'évacuation, et rejoignit son père d'un pas un peu trainant. Ses petits pieds résonnaient comme des gouttes d'eau sur le carrelage froid et humide de la tour. Elle prit instinctivement la main de son père, et regarda avec lui cette myriade d'insectes qui voulaient voir, de près, la mort d'un monstre.
D'un geste lent, et posé, Nesban ajusta le tourne-disque, qui crépita avant de diffuser une marche funèbre lente, celle qu'il écoutait chaque soir. Il alluma un cigare avec un léger sourire aux lèvres. Les reflets du phare firent reluire ses dents en or, et pour la première fois elles parurent immaculées. La lumière était si crue que son corps entier en semblait baigné. Il aurait pu ressembler à un ange. La musique allait en crescendo, elle couvrait le vacarme même de la bataille. Alors il se retourna vers son atelier, et regarda les immenses bocaux de formol, où ses enfants dormaient encore.
Zeita, la veuve noire. Ses grandes ailes de fer repliées autour d'elle, elle somnolait comme un nouveau-né. A chaque explosion son corps sursautait. Elle entrouvrit ses yeux, et de ses pupilles noires regarda son père.
Gan'eha, le molosse. Ses quatre yeux s'ouvrirent également, et il écarta ses six bras démesurés, en adressant à son père un regard lancinant.
Momy, ç'aurait peut-être été l'adolescent rebelle, au fond... Replié dans ses centaines de tentacules à pointes noires, il adressa un sourire étrange à son père, un sourire enfantin.
Magda, remontée sur l'épaule de Nesban, observa ses frères et soeur, la bouche entrouverte. La famille s'était agrandie. Il était temps. Le Trouble-mort s'avança jusqu'à son bureau, et observa longuement le portrait de son père. Il n'en avait gardé qu'une brochure de journal, prise le jour de son exécution. Le titre intégral donnait « Le vilain petit canard d'une noblesse déchue ». Oui, c'était bien là toute la vocation des Romansky, après tout. Etre différent. Suivre sa propre voie.
Fracas de verre. Les trois nouveaux-nés brisèrent leur cellule en hurlant. Sous les carapaces de métal, les parasites prirent rapidement le contrôle de leur corps, et ils s'approchèrent de leur père, lentement. Nesban ne se retourna pas. Il connaissait leurs pensées, leurs émotions. Zeita échappa une larme de ses orbites d'obsidienne. Sa bouche tordue articula « Pa...pa... ». Puis il donna l'ordre.
Dans un cri, elle brisa une des baies vitrées et prit son envol. Au passage, elle attrapa deux armes sur le ratelier et fondit, depuis les airs, sur les ennemis en contre-bas. Gan'eha piétina les débris de verre et, s'agrippant aux pierres, il descendit avec une agilité hors du commun. Momy, lui, resta immobile. Il ne voulut pas partir. Il s'approcha de Nesban et, encore humide, posa une main sur l'épaule de son père.
Le Trouble-mort fondit en larme, serrant Magda dans ses bras. Il était l'heure, hélas. Leurs pas, dans les escaliers. Ils venaient souiller le sanctuaire de sa progéniture, et mettre en danger le travail de toute une vie. Il monta le volume de la marche funèbre pour qu'elle emplisse chaque parcelle de ce phare. La porte vola en éclat.
Le capitaine tira une longue épée blanche au clair, et sous son casque bleu-et-or, siffla.
C'en est fini de votre course, Trouble-mort. Vous allez périr, vous, et vos choses. Voici votre heure !
Sanglotant, Nesban lui sourit. Ses larmes devinrent peu à peu l'expression d'une joie intense. Il tira de sa boite de cigare un petit objet de manufacture gobeline, observa le capitaine, et dans un souffle, conclut.
C'en est fini. Voici votre heure.
On entendit le choc dans toute la forêt. De la base au sommet, étage par étage, la tour Anatomie vola en éclat. Ses pierres se disloquèrent, le phare s'éteignit et dans un grincement s'effondra sur lui-même. Dans le monticule de poussière et de débris qui s'abattaient sur le sol, des dizaines de corps en uniforme tombaient, eux aussi disloqués. La déflagration gagna les étages, brulant les escaliers marche après marche. Chaque charge qui explosait était comme une petite fin du monde, qui monta en crescendo. Les plantes presque vivantes d'Yshera se consumèrent dans de longs sifflements de douleur, alors que leurs troncs étaient soufflés par la violence de l'explosion. L'incendie gagna en un instant le sommet de la tour. Les débris, les outils, les établis, les corps, les machines, tout tournoya dans une ronde infernale. Au milieu de cette scène, Nesban souriait toujours au capitaine. Ils étaient figés dans le temps, le pouce du mort-vivant fermement appuyé sur le détonateur, les larmes de son fils, et l'étreinte effrayée et à la fois si douce de Magda.
Tout disparut dans un souffle.
« Je n'aime pas l'ironie. Un maitre de la mort devrait choisir la sienne ».
Le temps retrouva son fil normal. Les dernières pierres retombaient sur le champ de bataille. Plus rien ne restait de la tour « Anatomie », ni des projets impossibles d'un homme peut-être trop ambitieux.
Au dessus d'une colonne de fumée, Zeita poussa une longue plainte. Ses ailes de fer battirent l'air un long moment, et sa mélopée résonna dans toute la région, comme un concert de violons.
Elle pleurait comme pleurerait une fille sur le tombeau de son père aimé.
Elle pleurait la mort de son père.
L'alliance doit payer.
Therod Aoun'dore
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