Là où rôdent les fauves
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Là où rôdent les fauves
Le pauvre matelot s’effondra sur la table, cassant l’un des pieds, et les chopes de bières et d’hydromels tombèrent au sol dans un grand bruit. Mais l’incident eu l’effet d’un simple claquement de fouet au cœur de la tempête. Dans la taverne, il était l’heure à laquelle les soldats et les portefaix venaient dilapider leur maigre solde dans ce lieu de débauche. Jeux d’argents, filles de joie, et petits trafics en tout genre se mêlaient à une puissant odeur de tabac froid, et de feuillerêve. Relents âcres à faire rougir un curé, et flaque de vomit dans les coins. Normal, pour un jour d’affluence, le « Glorieux », navire de commerce de deux cents tonneaux était rentré au port le matin, apportant avec lui une flopé de braves marins fatigué par deux mois de voyage, et n’ayant qu’une seule envie, qu’un désir, aller se perdre dans les bras des catins des bas quartier, chercher à effleurer les portes du paradis, juste un soir.
Une serveuse aux attributs plus qu’attrayant allait de table en table, portant un lourd plateau de chopes de bière de houblon, sa lourde chevelure rousse encadrant son visage rieur, rayonnant comme une auréole de feu autour des traits angéliques. Bien connue, elle l’était. Et les habitués de la taverne la haranguaient en riant, la gratifiant d’une tape sur sa croupe lorsqu’elle passait à portée, ce à quoi elle répliquait de son déhanchement provocateur, et un rire cristallin, menant à la baguette les mâles du lieu de sa voix claire. Non loin, derrière le comptoir, Robertha, la matrone et tenancière éponyme de l’établissement observait d’un œil maternel ce rassemblement hétéroclite, qu’elle aimait à appeler « son monde », ou encore, « sa basse-cour ». Elle les connaissait bien, ses « petits ». George, le barbier, avec son air grognon – quoi qu’avec une femme comme la sienne, même le soleil de Tanaris paraissait bien gris- ; Hugues, ce faux-noble aux vêtements rongés par les mites, qui n’avait de bleu non le sang, mais juste ce petit mouchoir en soie qu’il agitait constamment pour se donner un air. Ce vieux monsieur Jalet, un vieux vétéran unijambiste, borgne, complètement sourd et dont les repas se prenaient tous avec une paille… et surtout, un sacré coquin, présent chaque soir… et pas pour l’hydromel !
Elle se prit à sourire, mélange sucré-salé de nostalgie et de quiétude tranquille, passant un coup de chiffon sur le comptoir, s’écartant un peu pour laisser passer son mari, second associé de l’établissement. Comme toujours quand elle le voyait, un voile apaisant se glissait sur ses épaules. Si sa crinière n’avait plus les tons fauves de sa jeunesse, et que ses tempes grisonnantes semblaient gagner chaque jour du terrain, il n’avait pas perdu de l’éclat du regard, celui qui embrase et enflamme les cœurs. Elle lui adressa un fin sourire entendu, auquel il répondit, amusé. Nul doute de la complicité tacite entre ces deux personnes, comme un lien invisible, tissé et renforcé par des années de proximité et de confiance réciproque.
Deux silhouettes s’approchèrent lentement du comptoir, dissimulées sous de lourdes capes en soie aux reflets bleutés. La première, imposante, était bien connue de Robertha, et elle sourit en se rendant vers le fond de l’établissement, près du comptoir, et écarta la lourde tenture qui masquait l’arrière salle en laissant passer les deux personnes. L’imposante silhouette, dans un grincement d’acier, le visage camouflé sous les ombres de sa capuche, inclina légèrement la tête en guise de salut, avant de pénétrer dans la pénombre.
Juste après lui, la seconde personne, bien plus fine et moins haute de stature, portant toutefois comme lui une lourde cape bleuté et une capuche en soie qui couvrait les traits de son visage, s’arrêta un instant près de Robertha. Elle leva un peu le nez, dévoilant un sourire éclatant, des canines si blanches qu’on y associait bien aisément le rouge vif du sang et de la chair. Les quelques cheveux assez long pour glisser sur ses tempes dansaient dans des reflets d’argent, soulignant ses lèvres fines qui s’étirait dans un rictus bien connu de la tenancière, mais dans le souvenir remontait à plusieurs semaines. Le renard gris inclina à son tour la tête, presque respectueuse pour une fois, et s’engagea à la suite de son compère dans l’arrière salle obscure, à la frontière des ténèbres et de la lumière, dans l’ombre ou rôdent les fauves.
Une serveuse aux attributs plus qu’attrayant allait de table en table, portant un lourd plateau de chopes de bière de houblon, sa lourde chevelure rousse encadrant son visage rieur, rayonnant comme une auréole de feu autour des traits angéliques. Bien connue, elle l’était. Et les habitués de la taverne la haranguaient en riant, la gratifiant d’une tape sur sa croupe lorsqu’elle passait à portée, ce à quoi elle répliquait de son déhanchement provocateur, et un rire cristallin, menant à la baguette les mâles du lieu de sa voix claire. Non loin, derrière le comptoir, Robertha, la matrone et tenancière éponyme de l’établissement observait d’un œil maternel ce rassemblement hétéroclite, qu’elle aimait à appeler « son monde », ou encore, « sa basse-cour ». Elle les connaissait bien, ses « petits ». George, le barbier, avec son air grognon – quoi qu’avec une femme comme la sienne, même le soleil de Tanaris paraissait bien gris- ; Hugues, ce faux-noble aux vêtements rongés par les mites, qui n’avait de bleu non le sang, mais juste ce petit mouchoir en soie qu’il agitait constamment pour se donner un air. Ce vieux monsieur Jalet, un vieux vétéran unijambiste, borgne, complètement sourd et dont les repas se prenaient tous avec une paille… et surtout, un sacré coquin, présent chaque soir… et pas pour l’hydromel !
Elle se prit à sourire, mélange sucré-salé de nostalgie et de quiétude tranquille, passant un coup de chiffon sur le comptoir, s’écartant un peu pour laisser passer son mari, second associé de l’établissement. Comme toujours quand elle le voyait, un voile apaisant se glissait sur ses épaules. Si sa crinière n’avait plus les tons fauves de sa jeunesse, et que ses tempes grisonnantes semblaient gagner chaque jour du terrain, il n’avait pas perdu de l’éclat du regard, celui qui embrase et enflamme les cœurs. Elle lui adressa un fin sourire entendu, auquel il répondit, amusé. Nul doute de la complicité tacite entre ces deux personnes, comme un lien invisible, tissé et renforcé par des années de proximité et de confiance réciproque.
Deux silhouettes s’approchèrent lentement du comptoir, dissimulées sous de lourdes capes en soie aux reflets bleutés. La première, imposante, était bien connue de Robertha, et elle sourit en se rendant vers le fond de l’établissement, près du comptoir, et écarta la lourde tenture qui masquait l’arrière salle en laissant passer les deux personnes. L’imposante silhouette, dans un grincement d’acier, le visage camouflé sous les ombres de sa capuche, inclina légèrement la tête en guise de salut, avant de pénétrer dans la pénombre.
Juste après lui, la seconde personne, bien plus fine et moins haute de stature, portant toutefois comme lui une lourde cape bleuté et une capuche en soie qui couvrait les traits de son visage, s’arrêta un instant près de Robertha. Elle leva un peu le nez, dévoilant un sourire éclatant, des canines si blanches qu’on y associait bien aisément le rouge vif du sang et de la chair. Les quelques cheveux assez long pour glisser sur ses tempes dansaient dans des reflets d’argent, soulignant ses lèvres fines qui s’étirait dans un rictus bien connu de la tenancière, mais dans le souvenir remontait à plusieurs semaines. Le renard gris inclina à son tour la tête, presque respectueuse pour une fois, et s’engagea à la suite de son compère dans l’arrière salle obscure, à la frontière des ténèbres et de la lumière, dans l’ombre ou rôdent les fauves.
Valerian Nasgard
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