Kholodnyï
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Kholodnyï
Je laisse derrière moi le seuil d'une surprenante maison sylvestre. Si l'agencement des pièces et la présence du mobilier s'apparente à une demeure classique, la profusion de végétaux donne l'impression que la forêt s'y intègre elle aussi. L'étage quant à lui provoque un inexplicable sentiment de malaise, auquel je préfère ne pas penser pour l'instant.
Le sentier débouche directement sur un défilé d'arbres centenaires. Leurs frondaisons denses tendent un voile enténébré sur le sol tourbeux, accentuant l'obscurité, plus encore par cette nuit sans lune. Je n'hésite pas, d'une inspiration à l'autre mes contours se fondent, mes os se contractent, les muscles se densifient pour rouler sous une pelage fourni, mes mains malhabiles deviennent pattes souples, nerveuses, munies de griffes rétractiles. Mes sens se réadaptent, m'offrant un monde aux nuances de gris, de noirs, de bleu nuit, les parfums d'écorce de pin, de cèdre, d'acacias en fleurs, la tiédeur de la terre, molle sous les coussinets, la fraîcheur du trèfle qui se tasse sous mes pas feutrés. Et puis la présence du lion noir que j'avais si longtemps cherché. Je croise ses prunelles de citrine, vives, étincelantes comme des joyaux parfaits. La curiosité couve dans son regard attentif, Kholodnyï est assis, droit, le port de tête altier, orgueilleux. Nul doute qu'il s'agisse là d'un alpha, à traiter avec la plus grande prudence.
Je m'approche pour pousser son épaule du museau, signalant ainsi le départ de la chasse, avant de me faufiler entre les fourrés. Bientôt mes foulées s'allongent, tout aussi silencieuses que celles du félin qui m'accompagne cette nuit. Lorsque la brise se lève, son parfum musqué se mêle à celui des fougères noires qui nous entourent, formant un bouquet capiteux, enivrant, m'inspirant le même sentiment de sécurité qu'avec...
Je pile à cette pensée, mes pattes s'enfonçant dans le sol meuble, entrainant le regard interrogateur du lion qui a ralentit et fait maintenant demi tour. Je n'ai pas pu répondre à la question de la partenaire de Khol, je ne sais pas pourquoi Fendrel m'ignore à présent. Peut être qu'il souhaite à présent m'oublier, tout comme son passé... Peut être que je devrais courir et ne plus m'arrêter...
Le mâle me mordille gentiment l'oreille pour me rappeler au présent. Son museau tendu vers une clairière, un coup de langue râpeuse frotte ma joue, je pousse un grondement sourd avant de réaliser ce qu'il me signale depuis un moment. Une promesse de repas, sous la forme d'une petite harde de daims abrités par quelques cerisiers sauvages aux troncs noueux. Nous nous plaçons face au vent avant de commencer notre approche, contournant le gibier chacun de notre côté. Nos proies somnolent pour la plupart, seuls deux d'entre eux veillent, les oreilles tournées vers l'avant, le museau frémissant.
Le vent qui tourne, une brindille qui craque ou simplement l'instinct jouant pour eux, en l'espace d'une fraction de seconde l'alerte des données. Les daims piquent à travers la clairière, nous les poursuivons à un rythme effréné. Vient le moment terrible où la harde s'étire, séparant les plus vigoureux des autres... la silhouette d'un retardataire se détache, ombre à présent identifiable comme une proie facile.
Je me concentre sur lui, lui qui lutte pour sa survie, feintant entre les aulnes du sous bois. Les courbes sont serrées, ses bonds de cabris surpassant d'adresse mes bonds de félin. Je perds du terrain, dérape un instant de trop sur un rocher lissé par le lichen. Le daim aurait pu gagner s'il ne s'était effondré, projeté au sol par le lion noir jaillit du fourré. Saisit à la gorge par les mâchoires puissantes, son sort est fait, le repas est servi. Mes griffes déchirent la peau, mes crocs cisaillent les chairs. Le sang chaud nous sert d'hydromel, coule délicieusement sur la langue comme un nectar providentiel.
Nous jouons paresseusement avec la moelle d'un fémur, avant de sombrer dans une torpeur bienheureuse. Je m'étire, pattes en avant, creusant le dos à la manière des chats, baillant à m'en décrocher la mâchoire. Un brin de toilettage mutuel s'impose avant que nous ne nous roulions en boule, contre un rocher, abrités du vent. Le sommeil me gagne, bercé par des scènes d'une vie courante. Une pile de vélins, noircis par une encre aux reflets indigo, la lueur dansante des chandelles, l'odeur d'un chiffon huilé passé sur le plat d'une lame, des rapports encore... sur les plaintes, sur les prisonniers, sur les recrues, sur les affaires en cours, le parfum des reliures de cuir, l'image d'une silhouette assise à son secrétaire, luttant contre le sommeil pour tracer les dernières lignes d'un compte rendu...
Fen, Colmoda, Azunaï, ainsi que les autres dont les noms me sont encore inconnus... je les revois, les traits tirés par la fatigue, par les longues nuits de veille, par l'inquiétude... Pourquoi... quelle satisfaction en tirerez-vous... ?
Vous ne recevrez aucune reconnaissance des habitants de cette cité que vous vous évertuez à protéger, tout au mieux un "c'est normal", et à la moindre erreur "c'est inacceptable"...
Vous aurez à faire avec le pire : le menteur, le criminel de mauvaise foi, le fou, le possédé, le demi dieu qu'il aurait mieux valu ignorer...
Au moins, face à l'adversité, vous pouvez compter les uns sur les autres, c'est tout le bien que je vous souhaite...
Le battement d'aile d'un papillon frôle mes moustaches de chat. Mon museau frémit, mes paupières s'entrouvrent avec une langueur toute féline. Le soleil est bien plus haut que je ne me l'imagine. Je me dresse brusquement sur mes antérieurs, surprise que le changement de luminosité ne m'ait pas alerté.
Face à moi, Kholodnyï est assis, me dominant de toute sa hauteur, son ombre couvrant exactement l'endroit où je dormais quelques instants plus tôt.
Avec un grognement qui s'apparente à un soupir, mes contours s'étirent, laissent bientôt place à une silhouette humaine. Je l'enlace alors en grommelant "vous êtes bien tous les mêmes..."
Le sentier débouche directement sur un défilé d'arbres centenaires. Leurs frondaisons denses tendent un voile enténébré sur le sol tourbeux, accentuant l'obscurité, plus encore par cette nuit sans lune. Je n'hésite pas, d'une inspiration à l'autre mes contours se fondent, mes os se contractent, les muscles se densifient pour rouler sous une pelage fourni, mes mains malhabiles deviennent pattes souples, nerveuses, munies de griffes rétractiles. Mes sens se réadaptent, m'offrant un monde aux nuances de gris, de noirs, de bleu nuit, les parfums d'écorce de pin, de cèdre, d'acacias en fleurs, la tiédeur de la terre, molle sous les coussinets, la fraîcheur du trèfle qui se tasse sous mes pas feutrés. Et puis la présence du lion noir que j'avais si longtemps cherché. Je croise ses prunelles de citrine, vives, étincelantes comme des joyaux parfaits. La curiosité couve dans son regard attentif, Kholodnyï est assis, droit, le port de tête altier, orgueilleux. Nul doute qu'il s'agisse là d'un alpha, à traiter avec la plus grande prudence.
Je m'approche pour pousser son épaule du museau, signalant ainsi le départ de la chasse, avant de me faufiler entre les fourrés. Bientôt mes foulées s'allongent, tout aussi silencieuses que celles du félin qui m'accompagne cette nuit. Lorsque la brise se lève, son parfum musqué se mêle à celui des fougères noires qui nous entourent, formant un bouquet capiteux, enivrant, m'inspirant le même sentiment de sécurité qu'avec...
Je pile à cette pensée, mes pattes s'enfonçant dans le sol meuble, entrainant le regard interrogateur du lion qui a ralentit et fait maintenant demi tour. Je n'ai pas pu répondre à la question de la partenaire de Khol, je ne sais pas pourquoi Fendrel m'ignore à présent. Peut être qu'il souhaite à présent m'oublier, tout comme son passé... Peut être que je devrais courir et ne plus m'arrêter...
Le mâle me mordille gentiment l'oreille pour me rappeler au présent. Son museau tendu vers une clairière, un coup de langue râpeuse frotte ma joue, je pousse un grondement sourd avant de réaliser ce qu'il me signale depuis un moment. Une promesse de repas, sous la forme d'une petite harde de daims abrités par quelques cerisiers sauvages aux troncs noueux. Nous nous plaçons face au vent avant de commencer notre approche, contournant le gibier chacun de notre côté. Nos proies somnolent pour la plupart, seuls deux d'entre eux veillent, les oreilles tournées vers l'avant, le museau frémissant.
Le vent qui tourne, une brindille qui craque ou simplement l'instinct jouant pour eux, en l'espace d'une fraction de seconde l'alerte des données. Les daims piquent à travers la clairière, nous les poursuivons à un rythme effréné. Vient le moment terrible où la harde s'étire, séparant les plus vigoureux des autres... la silhouette d'un retardataire se détache, ombre à présent identifiable comme une proie facile.
Je me concentre sur lui, lui qui lutte pour sa survie, feintant entre les aulnes du sous bois. Les courbes sont serrées, ses bonds de cabris surpassant d'adresse mes bonds de félin. Je perds du terrain, dérape un instant de trop sur un rocher lissé par le lichen. Le daim aurait pu gagner s'il ne s'était effondré, projeté au sol par le lion noir jaillit du fourré. Saisit à la gorge par les mâchoires puissantes, son sort est fait, le repas est servi. Mes griffes déchirent la peau, mes crocs cisaillent les chairs. Le sang chaud nous sert d'hydromel, coule délicieusement sur la langue comme un nectar providentiel.
Nous jouons paresseusement avec la moelle d'un fémur, avant de sombrer dans une torpeur bienheureuse. Je m'étire, pattes en avant, creusant le dos à la manière des chats, baillant à m'en décrocher la mâchoire. Un brin de toilettage mutuel s'impose avant que nous ne nous roulions en boule, contre un rocher, abrités du vent. Le sommeil me gagne, bercé par des scènes d'une vie courante. Une pile de vélins, noircis par une encre aux reflets indigo, la lueur dansante des chandelles, l'odeur d'un chiffon huilé passé sur le plat d'une lame, des rapports encore... sur les plaintes, sur les prisonniers, sur les recrues, sur les affaires en cours, le parfum des reliures de cuir, l'image d'une silhouette assise à son secrétaire, luttant contre le sommeil pour tracer les dernières lignes d'un compte rendu...
Fen, Colmoda, Azunaï, ainsi que les autres dont les noms me sont encore inconnus... je les revois, les traits tirés par la fatigue, par les longues nuits de veille, par l'inquiétude... Pourquoi... quelle satisfaction en tirerez-vous... ?
Vous ne recevrez aucune reconnaissance des habitants de cette cité que vous vous évertuez à protéger, tout au mieux un "c'est normal", et à la moindre erreur "c'est inacceptable"...
Vous aurez à faire avec le pire : le menteur, le criminel de mauvaise foi, le fou, le possédé, le demi dieu qu'il aurait mieux valu ignorer...
Au moins, face à l'adversité, vous pouvez compter les uns sur les autres, c'est tout le bien que je vous souhaite...
Le battement d'aile d'un papillon frôle mes moustaches de chat. Mon museau frémit, mes paupières s'entrouvrent avec une langueur toute féline. Le soleil est bien plus haut que je ne me l'imagine. Je me dresse brusquement sur mes antérieurs, surprise que le changement de luminosité ne m'ait pas alerté.
Face à moi, Kholodnyï est assis, me dominant de toute sa hauteur, son ombre couvrant exactement l'endroit où je dormais quelques instants plus tôt.
Avec un grognement qui s'apparente à un soupir, mes contours s'étirent, laissent bientôt place à une silhouette humaine. Je l'enlace alors en grommelant "vous êtes bien tous les mêmes..."
Heliven
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