Les clefs de la Connaissance
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Les clefs de la Connaissance
Passé et Devenir
Une légère brise soufflait sur Tirisfal.
Dans le jardin à l’abandon, la fontaine autrefois éclatante sous le soleil d’été, n’était aujourd’hui qu’un pâle souvenir de sa beauté d’autrefois. La pierre fissuré de la base jusqu’à son centre. Les nombreuses feuilles mortes voletaient çà et là, orphelines d’un chêne ou d’un hêtre non loin. Les herbes folles grignotaient lentement du terrain sur les dalles autrefois entretenue, aujourd’hui délaissé des esprits des hommes. Ce théâtre de l’oubli et du passé, laissé à lui-même avait quelque chose de mélancolique pour Amon. Comme la maison d’une enfance enfouie sous les gravats du déni. Sur l’un des bancs qui entourait ce lieu du passé, une silhouette contemplait ce triste spectacle, portant une robe d’un rouge profond, couleur du sang bouillonnant. Les mains croisées sur ses genoux, régulant son souffle sur la brise fraiche, sa cape claquant autour de lui, comme battant la mesure. Ses cheveux d’un noir de jais encadraient son visage aux traits arrogants et hautains. Son bouc finement taillé terminait ce tableau calculé avec soin et précision.
Puis lentement, un nouveau souffle s’éleva, contraire aux bourrasques, chargé d’énergie propre. Les cheveux de l’homme se hérissèrent presque sous l’influence de l’électricité statique, alors que l’air s’emplissait de la puissance des arcanes, par à-coup, comme la marée montante. Des volutes de puissance brute tourbillonnaient lentement frôlant parfois Amon dans un crissement aigue, dégageant une odeur rance de chair brulée. L’esprit de l’Archiviste s’éleva lentement parmi les courants d’arcane, prenant conscience de son entourage bien plus qu’au-delà de son simple regard. La sève des arbres coulait avec la violence des chutes d’eau de la Throndoril, Les ronflements sourds de la terre sous ses pieds lui apparurent comme le chant mélodieux d’un orchestre, symphonie parfaite et sans fausse note. Chaque élément de son entourage n’était plus forme, couleur ou son, mais enchainement méthodique d’une série d’équation et d’énumération aux formules maitrisés.
Lentement, alors qu’il laissait l’énergie affluer toujours plus, son corps devenant simple vecteur des courants telluriques, les plus infimes secrets du jardin s’ouvraient à lui, les grossiers verrous du temps se brisaient devant le flot de son pouvoir, avec tant d’aisance qu’il en ressentait une pointe de vanité, la Sainte Lumière lui pardonne. Le parfum des arcanes l’enivrait, alors que son regard perçait à présent chaque variation dans les pierres, végétaux et même dans la brise, série mathématique à la fois si complexe, mais l’esprit entrainé d’Amon à déchiffrer les courants mystique n’était en rien obstrué par ces défis, bien au contraire. Chaque système d’équation était pour lui une friandise dont il se délectait, la résolvant d’une pensé rendu brulante par le pouvoir qui se déversait à présent de son enveloppe physique, comme une fontaine.
Le corps d’Amon n’avait pas bougé d’un iota, parcourut de la puissance brute des arcanes, série d’éclairs fourchus qui courraient sur sa robe et sa peau, hérissant ses poils et faisant frémir l’étoffe. Ses yeux grands ouverts laissant filtrer une lumière bleuté, contemplant un monde fait d’énumérations et de séries de chiffres.
Vous voyez les frontières, les objets et le temps. Je contemple l’infinie et ses clefs.
La flamme écarlate de son tabard semblait presque s’animer d’une vie propre, alors que les courants se faisaient toujours plus puissants, donnant naissance à une tempête d’énergie dans le jardin du monastère en ruine. Croissant à chaque battement de cœur, les flots de puissance faisant tressauter les plus petites pierres. Comme un monstre s’éveillant de son sommeil, un esprit troublé aurait pu voir ici la naissance d’une étoile, d’un astre brulant et aveuglant. Les dernières barrières s’effondraient une à autre, alors que l’enveloppe charnelle de l’Archiviste s’agitait, pris de convulsion sous les flots ininterrompus d’arcane. Alors que la force des courants telluriques semblait prête à imploser sous l‘accumulation déraisonné, il se cambra, serrant les poings et brisant le sortilège, ramenant l’esprit de l’homme dans son corps, le tirant brutalement de son élévation pour le projeter avec force sur le plan physique.
Le jardin retrouva en un instant le calme passé, les feuilles retombant au sol, la pierre cessant de s’agiter. L’Archiviste se releva, s’appuyant sur son bâton, et sourit, avant de prendre la direction de l’imposante bâtisse derrière lui.
Amon se tenait droit, s’appuyant sur son bâton parcourut de temps à autres d’éclairs de pouvoir à peine canalisé. Dans le couloir de la bibliothèque abandonnée, son œil critique observait les deux ou trois hommes en livré rouge sang qui s’affairaient à rassembler les rares ouvrages et manuscrits en bon état. A l’image des lieux délabrés, les sbires de l’arcaniste portaient sur eux des tenus délabrés, côtes de maille rapiécés, vêtements en lambeaux et plaques d’armure écaillés. Seul leur tabard semblait encore recevoir l’attention et l’entretient de leurs porteurs. Si l’Archiviste arborait un air sérieux et sûr de lui, son regard se posant sur chaque détail de la scène avec beaucoup d’attention, les hommes de mains avaient les yeux hagards, le ton pâle et les traits tirés, presque maladif. Sous leurs casques cramoisis, leurs cheveux étaient collés à leur crâne par une sueur froide. Retenant parfois un haut le cœur, ils allaient et venaient dans les coursives de la bibliothèque du monastère en ruine, accumulant dans des sacs en toile des rouleaux de parchemins que leur indiquait l’homme en robe. Amon semblait peu de soucier de l’état des croisés – s’ils pouvaient encore porter ce nom- et ne leur adressait aucun regard, concentré sur les rayonnages presque vide du fait des pillages répétés des mécréants impies. Ho, non qu’il n’était pas conscient de l’état de ses sbires, mais il n’avait nul besoin de les voir pour ressentir leur mal être.
Au fil des années, l’Archiviste avait développé ce don de ressentir les auras des probabilités proches. A force d’exercices, d’entrainements, de pratique méthodique et studieuse, il avait su apprendre à lire les infimes variations telluriques de son entourage, afin d’en déterminer l’influence de ses interlocuteurs. Il y a quelques années encore, il aurait dû se concentrer pleinement, et réciter avec force les énumérations et formules algébriques lui permettant de rendre sa conscience plus sensible à son entourage. Mais depuis, ses talents avaient grandi, et il n’avait nul besoin de s’élever pour ressentir les auras grossiers des hommes de mains. Ils étaient effrayés, tant par ce lieu chargé de souvenir que par lui.
Amon fit quelques pas dans le couloir principal. Ses pieds foulèrent le tapis cramoisi, couvert par endroit de parchemins froissés. De chaque côté, les étagères de la grande bibliothèque s’élevaient a plus de trois mètres de hauteur. La plupart étaient vide, ou ne contenaient plus que des bribes d’ouvrages inintéressants, vestiges en ruine de l’immense savoir autrefois détenu entre les hauts murs de la bibliothèque du monastère écarlate. L’Archiviste serra le poing gauche alors que la colère naissait en son cœur, sa main droite se crispant sur la hampe de son bâton d’arcaniste, son Memoriam, artefact puissant remit par son ancien maître en personne, le Seigneur Doan. Un éclair de puissance courut de son avant-bras jusqu’aux cristaux bleutés qui surmontait le bâton, éclairant un peu plus les lieux. Les sbires tournèrent la tête vers l’homme aux cheveux de jais, se raidissant par instinct. Amon secoua la tête, récitant tout bas les énumérations basiques, se concentrant non pas sur ses émotions, mais sur les équations qui formaient son entourage, se calmant immédiatement. Non, ce n’était pas son genre de se laisser aller aux pitoyables variations d’humeurs qui formaient la base et la faiblesse de son genre, mais face au spectacle de toutes ses connaissances bafoués par de vulgaires pilleurs, le dégout lui emplissait la bouche, saveur amer.
Laissant ses hommes de main s’afférer, il se rendit vers la pièce circulaire qui tenait lieu de sanctuaire, même dans ce lieu saint. Ici aussi, les murs autrefois couvert des plus précieux ouvrages n’étaient plus que l’ombre d’eux même. Sur la droite, un pan entier s’était effondré, rependant sur le sol des parchemins jaunis, des livres écornés, et des cartes déchirés.
Amon se signa, murmurant une prière à la Sainte Lumière, s’avançant au centre de la pièce. Il ferma les yeux, laissant sa conscience s’élever lentement, son esprit guidé par les premières formules algébriques. Il apprécia les dimensions parfaites de l’endroit. Ses formes harmonieuses, son rayon si subtil, l’omniprésence des chiffres premiers, du nombre d’or, des systèmes d’équation alléchant par leur complexité. Tout en cet endroit était guidé par un parfum enivrant de perfection et de sainteté. S’il n’avait pas été concentré sur l’exploration des courants telluriques de la pièce, Amon aurait sûrement été ému par la symbiose parfaite des notions numéraire et des relents de prières à Sa gloire. Il se revit, bien des années auparavant, agenouillé face au Maître Doan, en compagnie d’un grand nombre d’apprentis, écoutant avec humilité les enseignements du grand arcaniste. Il se revit recevoir son bâton, symbole de son titre et de sa charge. Il revit la fierté dans le regard de son maître. Il revit le Memoriam passer entre ses mains, le léger picotement quand le bois bénit avait touché ses paumes.
Inspirant profondément, l’Archiviste laissa le courant à peine agités se reposer lentement. Il jeta un dernier regard circulaire dans ce lieu si cher à ses yeux, et inclina la tête, humble salut aux fantômes du passé, pour leur rappeler la promesse passée sur les cendres de leur œuvre.
Il sorti de la pièce, faisant taper son bâton au sol à chaque pas, sans vraiment s’en servir comme d’une aide. Et sans se retourner il quitta les lieux, la lourde porte en bois de chêne se fermant seule après lui, avec le bruit sourd d’un jugement sans appel.
Amon
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