Lorgan
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Lorgan
Lorgan est un enfant adorable. La seule chose que je pourrais lui reprocher serait de me vouer une affection inconditionnelle que je ne mérite certainement pas.
Je range la fiole vide de Greghory sous la caisse retournée qui me sert de table basse. Une nuit. Je peux encore tenir une nuit sans ressentir ni fatigue ni sommeil...
Ensuite ?
~ Tu mourras sans savoir pourquoi... ~
Et bien ensuite je peux toujours attendre de voir si la prédiction de Dayane se réalise.
~ J'aurais préféré qu'Olivia soit morte... ~
Ou exaucer Nath.
La petite main chaude de Lorgan se loge dans la mienne, me ramenant à la réalité. Cette nuit sera courte. En ville commencent les festivités de l'été mais nous prenons la direction opposée, celle qui mène à la forêt. Nous quittons les sentiers. Je réalise alors qu'Angron avait raison concernant son fils. Il n'émane nulle crainte du garçonnet alors que nous nous avançons à travers les broussailles, dans une pénombre croissante.
Je ralentis, le poussant à faire de même. Nous restons un moment immobiles, à écouter et sentir notre environnement. J'attends aussi que ses yeux s'habituent à l'obscurité.
Je lui fais sentir ce qui nous entoure, la fougère, la menthe poivrée, les nèfles sauvages, je lui indique le territoire des loups qu'il nous faudra contourner.
Notre marche est longue mais Lorgan ne se plaint pas. Je ne réalise sa fatigue que lorsque son pas devient moins sûr, alors qu'il trébuche plus fréquemment sur ce terrain accidenté. J'imagine qu'il tient son obstination d'au moins l'un de ses parents, voire des deux.
Nous nous reposons alors à l'abris d'un buisson de chèvrefeuille, afin que les fleurs odorantes masquent notre présence.
Je lui raconte alors le langage du non-dit. J'essaie de lui expliquer l'odeur de la peur, celle qui te place comme une proie, ainsi que les indices prémices du désespoir qui peut pousser un animal acculé à attaquer. Mon timbre est bas, presque ronronnant... ces confidences, c'est aussi une partie de ce que je suis. Je m'interromps souvent, mon récit entrecoupé d'informations concernant notre environnement. Bruissement d'un mulot ou d'un campagnol non loin de nous, froissement des plumes d'une chouette, le vent dans les arbres nous charriant une odeur d'herbe coupée, les pas légers d'un petit chevreuil entrain de brouter.
Malgré toute la volonté et la concentration dont Lorgan fait preuve, la léthargie commence à le gagner. Je lui demande alors s'il est fatigué.
"- Un peu" avoue t-il à mi voix, le tressaillement de ses muscles me transmettant un tout autre message.
"- Je vais te porter..."
"- Non !" Je sens derrière sa dénégation toute l'éducation dont il a du bénéficier.
Je soupire. L'orgueil du mâle dès huit ans. Misère...
"- Je vais donc te demander de participer à un dernier exercice. D'une part tu ne devras pas avoir peur, car la peur aiguise les instincts des prédateurs. Ensuite... tu devras t'accrocher."
Sans lui laisser le temps de m'interroger, je rive mon regard au sien. Même sous ma forme humaine, mes pupilles captent la faible clarté nocturne, la concentrant pour rendre à mes yeux cette opalescence si caractéristique. Mon corps se modifie sous l'impulsion de la Bête, une transformation effrayante dans cet environnement enténébré, j'essaie d'en atténuer le choc en maintenant son attention sur mon seul regard, priant pour que le magnétisme ait quelqu'impact sur l'enfant. D'un sombre opalescent, mes iris se fendent, s'ouvrent verticalement sur des prunelles de félidé, aux reflets de citrine. Je reste moi même, ma conscience n'a pas changé, contrairement à la perception de mon environnement.
Lorgan semble fasciné, ravi peut être d'avoir trouvé un gros chat pour compagnon de jeu. Je suis assez grande au garrot pour lui servir de monture, il lui suffirait de se coucher sur mon dos, agripper mon encolure.
Je me replie sur mes pattes avant dans une invitation tacite, perçois bientôt le poids et la chaleur de l'enfant sur mon dos. Il sent l'humain bien sûr, il sent aussi la forêt, la bruyère et le chèvrefeuille. Lorgan porte sur lui toute l'histoire de notre soirée. Mes foulées sont longues et souples, le bercent confortablement. Je constate son assoupissement à mesure que sa prise se relâche sur mon pelage.
Notre retour se déroule sans encombre. Je borde Lorgan dans mon lit, m'adosse au montant de chêne en inspirant profondément. Les effets du remède de Greghory sont entrain de se dissiper. Je devrais descendre et plonger mon visage dans l'eau fraîche de l'abreuvoir mais hésite à quitter le chevet de l'enfant endormi.
Dans ma torpeur, je revis l'entraînement d'une après midi. Une armure sombre, rutile en reflets moirés, un estramaçon dont la garde reste au niveau de la taille, la lame étincelante sous la lumière vespérale. J'essaie de le contourner en allongeant mes foulées mais il semble lire mes mouvements, se tourne en fermant mon angle d'attaque. Je bondis par dessus la frappe de taille qui tente de me faucher, estime la vitesse de la lame, reprend mon trot. Je dois passer sous sa garde, chercher le corps à corps tout comme l'avait fait Aenethia.
La lame disparait de mon champs de vision, le plat s'abat vers ma truffe, provoque un miaulement de surprise alors que je rentre la tête dans les épaules pour protéger la partie la plus sensible de mon museau. Le coup atteint le front dont l'ossature est plus solide, je m'étire pour mordre l'avant bras, mes crocs se refermant sur le gantelet. Je crois enfin le tenir, jusqu'à ce que son poing vienne percuter mon flanc à découvert, me coupant brièvement la respiration.
Nous reculons l'un de l'autre, la pointe de la claymore s'aligne avec sa jambe arrière vers le sol, exposant l'ensemble de son corps. La garde bœuf.
Je sais comment Lisa va jaillir du côté pour tracer un long arc en diagonale. Je peux bondir au dessus si je prends préalablement assez de vitesse.
Mes griffes soulèvent la poussière du sol, mes foulées s'allongent, mes pattes se rassemblent au dernier moment, se détendent...
"- ASSEZ !"
La voix tonne, impérieuse, bien différente de celle qu'utilise le chevalier d'ordinaire. La Bête feule de terreur car la lame est levée au dessus de moi, prête à s'abattre. L'élan brisé, je me plaque au sol, oreilles couchées, la queue passée sous mon corps. Les muscles frémissent, autant sous l'effet de l'injonction soudaine que de l'instinct animal.
Puis tout s'arrête, Angron redevient Angron, le timbre de sa voix finit de dissiper les tensions, il analyse, explique, rassure. Je réponds à son compliment d'un coup de langue râpeuse sur sa joue sans qu'il ne s'en offusque.
Sur ce dernier souvenir, un sommeil sans rêve m'étreint sans que je ne puisse faire quoique ce soit pour l'en empêcher.
Je range la fiole vide de Greghory sous la caisse retournée qui me sert de table basse. Une nuit. Je peux encore tenir une nuit sans ressentir ni fatigue ni sommeil...
Ensuite ?
~ Tu mourras sans savoir pourquoi... ~
Et bien ensuite je peux toujours attendre de voir si la prédiction de Dayane se réalise.
~ J'aurais préféré qu'Olivia soit morte... ~
Ou exaucer Nath.
La petite main chaude de Lorgan se loge dans la mienne, me ramenant à la réalité. Cette nuit sera courte. En ville commencent les festivités de l'été mais nous prenons la direction opposée, celle qui mène à la forêt. Nous quittons les sentiers. Je réalise alors qu'Angron avait raison concernant son fils. Il n'émane nulle crainte du garçonnet alors que nous nous avançons à travers les broussailles, dans une pénombre croissante.
Je ralentis, le poussant à faire de même. Nous restons un moment immobiles, à écouter et sentir notre environnement. J'attends aussi que ses yeux s'habituent à l'obscurité.
Je lui fais sentir ce qui nous entoure, la fougère, la menthe poivrée, les nèfles sauvages, je lui indique le territoire des loups qu'il nous faudra contourner.
Notre marche est longue mais Lorgan ne se plaint pas. Je ne réalise sa fatigue que lorsque son pas devient moins sûr, alors qu'il trébuche plus fréquemment sur ce terrain accidenté. J'imagine qu'il tient son obstination d'au moins l'un de ses parents, voire des deux.
Nous nous reposons alors à l'abris d'un buisson de chèvrefeuille, afin que les fleurs odorantes masquent notre présence.
Je lui raconte alors le langage du non-dit. J'essaie de lui expliquer l'odeur de la peur, celle qui te place comme une proie, ainsi que les indices prémices du désespoir qui peut pousser un animal acculé à attaquer. Mon timbre est bas, presque ronronnant... ces confidences, c'est aussi une partie de ce que je suis. Je m'interromps souvent, mon récit entrecoupé d'informations concernant notre environnement. Bruissement d'un mulot ou d'un campagnol non loin de nous, froissement des plumes d'une chouette, le vent dans les arbres nous charriant une odeur d'herbe coupée, les pas légers d'un petit chevreuil entrain de brouter.
Malgré toute la volonté et la concentration dont Lorgan fait preuve, la léthargie commence à le gagner. Je lui demande alors s'il est fatigué.
"- Un peu" avoue t-il à mi voix, le tressaillement de ses muscles me transmettant un tout autre message.
"- Je vais te porter..."
"- Non !" Je sens derrière sa dénégation toute l'éducation dont il a du bénéficier.
Je soupire. L'orgueil du mâle dès huit ans. Misère...
"- Je vais donc te demander de participer à un dernier exercice. D'une part tu ne devras pas avoir peur, car la peur aiguise les instincts des prédateurs. Ensuite... tu devras t'accrocher."
Sans lui laisser le temps de m'interroger, je rive mon regard au sien. Même sous ma forme humaine, mes pupilles captent la faible clarté nocturne, la concentrant pour rendre à mes yeux cette opalescence si caractéristique. Mon corps se modifie sous l'impulsion de la Bête, une transformation effrayante dans cet environnement enténébré, j'essaie d'en atténuer le choc en maintenant son attention sur mon seul regard, priant pour que le magnétisme ait quelqu'impact sur l'enfant. D'un sombre opalescent, mes iris se fendent, s'ouvrent verticalement sur des prunelles de félidé, aux reflets de citrine. Je reste moi même, ma conscience n'a pas changé, contrairement à la perception de mon environnement.
Lorgan semble fasciné, ravi peut être d'avoir trouvé un gros chat pour compagnon de jeu. Je suis assez grande au garrot pour lui servir de monture, il lui suffirait de se coucher sur mon dos, agripper mon encolure.
Je me replie sur mes pattes avant dans une invitation tacite, perçois bientôt le poids et la chaleur de l'enfant sur mon dos. Il sent l'humain bien sûr, il sent aussi la forêt, la bruyère et le chèvrefeuille. Lorgan porte sur lui toute l'histoire de notre soirée. Mes foulées sont longues et souples, le bercent confortablement. Je constate son assoupissement à mesure que sa prise se relâche sur mon pelage.
Notre retour se déroule sans encombre. Je borde Lorgan dans mon lit, m'adosse au montant de chêne en inspirant profondément. Les effets du remède de Greghory sont entrain de se dissiper. Je devrais descendre et plonger mon visage dans l'eau fraîche de l'abreuvoir mais hésite à quitter le chevet de l'enfant endormi.
Dans ma torpeur, je revis l'entraînement d'une après midi. Une armure sombre, rutile en reflets moirés, un estramaçon dont la garde reste au niveau de la taille, la lame étincelante sous la lumière vespérale. J'essaie de le contourner en allongeant mes foulées mais il semble lire mes mouvements, se tourne en fermant mon angle d'attaque. Je bondis par dessus la frappe de taille qui tente de me faucher, estime la vitesse de la lame, reprend mon trot. Je dois passer sous sa garde, chercher le corps à corps tout comme l'avait fait Aenethia.
La lame disparait de mon champs de vision, le plat s'abat vers ma truffe, provoque un miaulement de surprise alors que je rentre la tête dans les épaules pour protéger la partie la plus sensible de mon museau. Le coup atteint le front dont l'ossature est plus solide, je m'étire pour mordre l'avant bras, mes crocs se refermant sur le gantelet. Je crois enfin le tenir, jusqu'à ce que son poing vienne percuter mon flanc à découvert, me coupant brièvement la respiration.
Nous reculons l'un de l'autre, la pointe de la claymore s'aligne avec sa jambe arrière vers le sol, exposant l'ensemble de son corps. La garde bœuf.
Je sais comment Lisa va jaillir du côté pour tracer un long arc en diagonale. Je peux bondir au dessus si je prends préalablement assez de vitesse.
Mes griffes soulèvent la poussière du sol, mes foulées s'allongent, mes pattes se rassemblent au dernier moment, se détendent...
"- ASSEZ !"
La voix tonne, impérieuse, bien différente de celle qu'utilise le chevalier d'ordinaire. La Bête feule de terreur car la lame est levée au dessus de moi, prête à s'abattre. L'élan brisé, je me plaque au sol, oreilles couchées, la queue passée sous mon corps. Les muscles frémissent, autant sous l'effet de l'injonction soudaine que de l'instinct animal.
Puis tout s'arrête, Angron redevient Angron, le timbre de sa voix finit de dissiper les tensions, il analyse, explique, rassure. Je réponds à son compliment d'un coup de langue râpeuse sur sa joue sans qu'il ne s'en offusque.
Sur ce dernier souvenir, un sommeil sans rêve m'étreint sans que je ne puisse faire quoique ce soit pour l'en empêcher.
Heliven
Re: Lorgan
Les enquêtes devraient toujours commencer par une belle après midi ensoleillée, comme ce fût le cas ce jour là. Nous nous étions réunis pour retrouver la trace de Lorgan, enlevé quelques jours auparavant au sein même de l'abbaye en Elwynn où il résidait.
C'est naturellement là bas que les recherches commencèrent. Le groupe se composait d'Hedwe et de son vieux chien, facétieusement nommé Fendrel, d'Aenethia, de Sergent, d'Angron et de moi même.
Un prêtre était mort en protégeant Lorgan. Au delà des traces de sang, une odeur de soufre, de bois humide et cendre se mêlait à l'empreinte olfactive de l'enfant. La piste menait à une petite clairière au delà du sentier juste devant le bâtiment, où Aenethia pu déceler des traces de passage, des branchages tassés et piétinés au milieu des buissons.
Je tournais en rond. Il n'y avait toujours que les deux marques olfactives. Pas de monture. Il n'y avait que deux marques olfactives et je connaissais les deux. Celle de Lorgan bien sûr.. et celle du dragon noir qu'Angron avait tué.
Il l'avait tué, j'en étais certaine. La tête avait été séparée du corps, la tête avait été enterrée, puis déterrée et enterrée à nouveau, afin de changer la cache. Je pouvais décrire avec exactitude l'odeur de putréfaction qui en émanait.
D'après Sergent, la gemmélité chez les dragons était peu probable. Par ailleurs, Hedwe réapparu avec d'autres indices confondant.
Elle revenait de chez le précepteur de Lorgan, avec un livre qui mentionnait Norgan le preux et la chasse aux dragons. L'anagramme n'était pas très difficile et la couverture du livre, sous mon odorat de félidé, dévoilait les empreintes du dragon, celles d'un homme qui devait être le précepteur de Lorgan, et celle de la sueur. Des amants.
Voilà qui expliquait comment le drake avait su où trouver Lorgan.
Ce qui n'expliquait pas comment ce dragon avec cette fragrance précise, pouvait avoir enlevé Lorgan. Par acquis de conscience, nous nous dirigions vers le corps que nous avions laissé aux loups. J'imaginais déjà mon odorat assailli par les relents putrides mais il n'en fût rien, seul un tas de pierres informes nous attendait. Hedwe souleva l'un d'eux, le délogeant du tumulus... nous craignions, ou espérions, trouver le corps du grand reptile.
Il ne se trouvait là que des pierres, des pierres et aucune odeur de mort, seulement quelque chose de confus et piquant pour les sinus.
Sergent en discerna de l'arcane, trop d'arcane, assez sans doute pour animer les pierres dans une illusion de dragon.
Je détalais vers la cité, vers la caserne.
La tête. La tête qui sentait la mort comme si je plongeais le nez dedans. Mes pattes retournèrent la terre avec frénésie. Une pierre encore, en forme de demi crâne de drake, friable comme la craie. Le reliquat fût délicatement saisit entre mes mâchoires, puis je retournais vers le groupe d'enquête. Ainsi, nous avions été bernés.
Aenethia nous mena ensuite jusqu'au cimetière qu'elle avait découvert pendant son vol d'inspection. Les tombes en avaient été retournées, les stèles brisées. Pendant que le croque mort menait le groupe à sa compagne, je suivais l'odeur de brûlé jusqu'à la maison au sommet de la colline. Le toit en avait été calciné portant des traces de lutte. Le dragon... mais contre qui ? Je délaissais le bâtiment pour rejoindre les autres, au moment où la compagne du croque mort invoquait... ses goules.
Tout s'est passé très vite, Aenethia chargeant son arme pour tirer dans le tas, Sergent usant de magie divine, Hedwe et cet objet qui provoqua une terrible détonation. Seul Angron restait sous le choc, éprouvé, peinant à rester debout. Puis la créature incanta, organisant sa fuite sous couvert de la débâche de ses morts vivants. Sans doute l'histoire aurait-elle du se terminer là.
Nous n'aurions alors pas compris à quel point le dragon noir était doué pour animer la pierre. Nous n'aurions pas eu à nous battre contre le golem minéral et surtout, nous ne serions pas entrés dans cette crypte d'où émanaient les sombres arcanes. La piste était limpide, tout était trop facile. L'atmosphère de la crypte avait un goût de poussière, un parfum de piège.
Tout au fond de ce caveau, une cage suspendue entre la voûte et le sol. Un Lorgan appelant son père à l'aide. Un cri déchirant.
La scène du passé tourne en boucle, comme une scène au présent, hante l'esprit tel un songe persistant.
Hedwe avance. Comme dans un rêve, un feu arcanique prend, consume la cage, consume l'enfant.
Aenethia brise la chaîne, la cage descend. Le cri consume l'âme.
Un visage méconnaissable, une grimace de souffrance pure qui s'estompe derrière les flammes.
Angron est inconscient, Sergent vérifiant la magie à l’œuvre sur les restes du corps.
Un corps calciné, recroquevillé, qui est bien un corps d'enfant.
Sauf qu'aucun enfant n'est porté disparu dans les environs de Sombre Comté.
Sauf que ce corps... est bien celui de Lorgan Manus, fils d'Angron et Lisa Manus.
***
Le déni.
Les remords.
La culpabilité.
Les larmes.
La douleur.
Le vide.
J'accuse le coup mais saute les étapes car la douleur d'Angron balaie la mienne comme un fétu de paille. J'admire Hedwe, si stable, si posée. Hedwe qui trouve les mots qui lui permettent de pleurer, Hedwe qui canalise la haine et la colère. Il s'agit là de justice, pas de vengeance, il ne doit pas l'oublier, ni diriger sa vindicte contre tous les dragons noirs. J'admire Hedwe qui pousse l'empathie jusqu'à proposer de s'effacer pour nous laisser seuls. Hors elle est importante, elle est celle qui rationalise Angron, je calque mon attitude sur ses mots, berce l'homme en émettant une vibration monocorde, qui n'est ni une note ni un ronronnement, tente de le réconforter à ma manière.
Dans l'infirmerie, Aubiane arrive en trombe. Le même cycle se répète, le déni, les remords, la culpabilité...
Hedwe interrompt le cycle des "si" par quelques phrases un peu abruptes et un flacon de spiritueux.
Mon corps réclame le repos, les derniers changements de forme ont été laborieux.
Je demande à rester pour la nuit... et quelque chose de vilain s'éveille en moi lorsqu'Aubiane en fait de même.
La jalousie, insidieuse, empoisonne mon être.
Je me roule en boule au pied du lit, à même le parquet, rivant sur elle un regard de froide méfiance, à deux doigts de montrer les crocs.
Ce n'est pas le moment, Angron a besoin de tout le soutient possible. Même si elle l'aime encore, même si la rivalité fait bouillir mon sang.
C'est moi après tout, qui l'ai volé à elle. Je ne devrais avoir aucune légitimité.
Alors mes paupières se ferment, mon esprit sombre vers une crypte éclairée par un enfant qui se consume.
Plus tard, dans la nuit, je sentirai Angron me ramener à lui, son poids contre mon dos, les sanglots qui font vaciller son corps comme à l'orée d'une métamorphose.
La douleur d'un père perdant son fils, un gouffre dans son âme, semblable au vide qui remplace la pierre rouge sur la garde de l'épée. Une gemme qui n'est aucune des seize vertus... la pierre dont je comprends enfin l'origine.
[hrp] Avec mes remerciements aux organisateurs et participants de l'animation. [/hrp]
C'est naturellement là bas que les recherches commencèrent. Le groupe se composait d'Hedwe et de son vieux chien, facétieusement nommé Fendrel, d'Aenethia, de Sergent, d'Angron et de moi même.
Un prêtre était mort en protégeant Lorgan. Au delà des traces de sang, une odeur de soufre, de bois humide et cendre se mêlait à l'empreinte olfactive de l'enfant. La piste menait à une petite clairière au delà du sentier juste devant le bâtiment, où Aenethia pu déceler des traces de passage, des branchages tassés et piétinés au milieu des buissons.
Je tournais en rond. Il n'y avait toujours que les deux marques olfactives. Pas de monture. Il n'y avait que deux marques olfactives et je connaissais les deux. Celle de Lorgan bien sûr.. et celle du dragon noir qu'Angron avait tué.
Il l'avait tué, j'en étais certaine. La tête avait été séparée du corps, la tête avait été enterrée, puis déterrée et enterrée à nouveau, afin de changer la cache. Je pouvais décrire avec exactitude l'odeur de putréfaction qui en émanait.
D'après Sergent, la gemmélité chez les dragons était peu probable. Par ailleurs, Hedwe réapparu avec d'autres indices confondant.
Elle revenait de chez le précepteur de Lorgan, avec un livre qui mentionnait Norgan le preux et la chasse aux dragons. L'anagramme n'était pas très difficile et la couverture du livre, sous mon odorat de félidé, dévoilait les empreintes du dragon, celles d'un homme qui devait être le précepteur de Lorgan, et celle de la sueur. Des amants.
Voilà qui expliquait comment le drake avait su où trouver Lorgan.
Ce qui n'expliquait pas comment ce dragon avec cette fragrance précise, pouvait avoir enlevé Lorgan. Par acquis de conscience, nous nous dirigions vers le corps que nous avions laissé aux loups. J'imaginais déjà mon odorat assailli par les relents putrides mais il n'en fût rien, seul un tas de pierres informes nous attendait. Hedwe souleva l'un d'eux, le délogeant du tumulus... nous craignions, ou espérions, trouver le corps du grand reptile.
Il ne se trouvait là que des pierres, des pierres et aucune odeur de mort, seulement quelque chose de confus et piquant pour les sinus.
Sergent en discerna de l'arcane, trop d'arcane, assez sans doute pour animer les pierres dans une illusion de dragon.
Je détalais vers la cité, vers la caserne.
La tête. La tête qui sentait la mort comme si je plongeais le nez dedans. Mes pattes retournèrent la terre avec frénésie. Une pierre encore, en forme de demi crâne de drake, friable comme la craie. Le reliquat fût délicatement saisit entre mes mâchoires, puis je retournais vers le groupe d'enquête. Ainsi, nous avions été bernés.
Aenethia nous mena ensuite jusqu'au cimetière qu'elle avait découvert pendant son vol d'inspection. Les tombes en avaient été retournées, les stèles brisées. Pendant que le croque mort menait le groupe à sa compagne, je suivais l'odeur de brûlé jusqu'à la maison au sommet de la colline. Le toit en avait été calciné portant des traces de lutte. Le dragon... mais contre qui ? Je délaissais le bâtiment pour rejoindre les autres, au moment où la compagne du croque mort invoquait... ses goules.
Tout s'est passé très vite, Aenethia chargeant son arme pour tirer dans le tas, Sergent usant de magie divine, Hedwe et cet objet qui provoqua une terrible détonation. Seul Angron restait sous le choc, éprouvé, peinant à rester debout. Puis la créature incanta, organisant sa fuite sous couvert de la débâche de ses morts vivants. Sans doute l'histoire aurait-elle du se terminer là.
Nous n'aurions alors pas compris à quel point le dragon noir était doué pour animer la pierre. Nous n'aurions pas eu à nous battre contre le golem minéral et surtout, nous ne serions pas entrés dans cette crypte d'où émanaient les sombres arcanes. La piste était limpide, tout était trop facile. L'atmosphère de la crypte avait un goût de poussière, un parfum de piège.
Tout au fond de ce caveau, une cage suspendue entre la voûte et le sol. Un Lorgan appelant son père à l'aide. Un cri déchirant.
La scène du passé tourne en boucle, comme une scène au présent, hante l'esprit tel un songe persistant.
Hedwe avance. Comme dans un rêve, un feu arcanique prend, consume la cage, consume l'enfant.
Aenethia brise la chaîne, la cage descend. Le cri consume l'âme.
Un visage méconnaissable, une grimace de souffrance pure qui s'estompe derrière les flammes.
Angron est inconscient, Sergent vérifiant la magie à l’œuvre sur les restes du corps.
Un corps calciné, recroquevillé, qui est bien un corps d'enfant.
Sauf qu'aucun enfant n'est porté disparu dans les environs de Sombre Comté.
Sauf que ce corps... est bien celui de Lorgan Manus, fils d'Angron et Lisa Manus.
***
Le déni.
Les remords.
La culpabilité.
Les larmes.
La douleur.
Le vide.
J'accuse le coup mais saute les étapes car la douleur d'Angron balaie la mienne comme un fétu de paille. J'admire Hedwe, si stable, si posée. Hedwe qui trouve les mots qui lui permettent de pleurer, Hedwe qui canalise la haine et la colère. Il s'agit là de justice, pas de vengeance, il ne doit pas l'oublier, ni diriger sa vindicte contre tous les dragons noirs. J'admire Hedwe qui pousse l'empathie jusqu'à proposer de s'effacer pour nous laisser seuls. Hors elle est importante, elle est celle qui rationalise Angron, je calque mon attitude sur ses mots, berce l'homme en émettant une vibration monocorde, qui n'est ni une note ni un ronronnement, tente de le réconforter à ma manière.
Dans l'infirmerie, Aubiane arrive en trombe. Le même cycle se répète, le déni, les remords, la culpabilité...
Hedwe interrompt le cycle des "si" par quelques phrases un peu abruptes et un flacon de spiritueux.
Mon corps réclame le repos, les derniers changements de forme ont été laborieux.
Je demande à rester pour la nuit... et quelque chose de vilain s'éveille en moi lorsqu'Aubiane en fait de même.
La jalousie, insidieuse, empoisonne mon être.
Je me roule en boule au pied du lit, à même le parquet, rivant sur elle un regard de froide méfiance, à deux doigts de montrer les crocs.
Ce n'est pas le moment, Angron a besoin de tout le soutient possible. Même si elle l'aime encore, même si la rivalité fait bouillir mon sang.
C'est moi après tout, qui l'ai volé à elle. Je ne devrais avoir aucune légitimité.
Alors mes paupières se ferment, mon esprit sombre vers une crypte éclairée par un enfant qui se consume.
Plus tard, dans la nuit, je sentirai Angron me ramener à lui, son poids contre mon dos, les sanglots qui font vaciller son corps comme à l'orée d'une métamorphose.
La douleur d'un père perdant son fils, un gouffre dans son âme, semblable au vide qui remplace la pierre rouge sur la garde de l'épée. Une gemme qui n'est aucune des seize vertus... la pierre dont je comprends enfin l'origine.
[hrp] Avec mes remerciements aux organisateurs et participants de l'animation. [/hrp]
Heliven
Re: Lorgan
Trop d'air, trop d'humidité, chaque battement d'aile du griffon nous transporte, Lorgan et moi, un peu plus loin d'Angron. J'aimerai retrouver le contact rassurant de la terre, ce sol que je refuse de fixer trop longtemps de peur de m'y précipiter... au lieu de quoi je me concentre sur le plumage blanc de nôtre monture.
La pluie fête notre arrivée à Atreval, moire le paysage de couleurs ternes : gris du ciel sur gris de la citadelle, gris de l'écorce des bouleaux, gris du vallon encaissé où se terre la cité, gris encore l'acier des amures et des pointes des flèches des balistes.
Un homme grisonnant s'avance, sa silhouette longiligne se détachant du portail d'un imposant donjon. Il ressemble à Fendrel, souriant et affable, avec quelque chose de trouble dans le fond de son regard. James Wester se présente, nous accueille avec civilité et bienveillance. Le vieil ami d'Angron me propose même d'assister aux cours avec Lorgan.
Pas aujourd'hui. L'appel de l'exploration est plus vivace, la Bête a besoin d'appréhender notre nouvel environnement, aussi temporaire soit-il. Quelques instants plus tard je m'éloigne en direction des flancs escarpés de la montagne qui nous enclave.
Je pourrais me glisser dans ma peau de chat, mais durant cette quinzaine, je désire faire mes preuves en tant qu'humaine. Mes vêtements me collent au corps, mêlant pluie et sueur. Avancer est difficile et m'ébrouer n'y change rien, hormis plaquer un peu plus mes cheveux en travers du visage.
- Demoiselle ?
Le son est en contrebas, il porte mieux que ce dont je m'attendais. Je grelotte, le froid va s'insinuer si je n'accélère pas.
- Demoiselle, attendez !
La voix, baryton angoissé, est trop proche. Quelqu'un est sur mes talons et je maudis la pluie d'avoir altéré mon odorat.
Cheveux bruns coupés courts, regard clair contrasté par des pommettes rougies par l'effort et la rigueur du temps, je ne lui donne pas plus d'une vingtaine d'années, et ce malgré son regard grave. Je penche la tête sur le côté, comme si le changement d'angle pouvait modifier ma perception de lui.
- At..tendez... monsieur Wester m'a demandé... de vous servir de guide.
Plusieurs répliques me viennent à l'esprit, pratiquement toutes visent à le débouter. Jusqu'à ce que la Bête n'éclaire mon regard d'une lueur joueuse. Je descends jusqu'à lui, croise un regard rougissant qui confirme l'indécence de ma tenue. La Bête balaie mes états d'âme, je vois ma main se lever pour lui toucher l'épaule.
- Chat...
Je n'attends pas de voir s'il comprend, je reprends mon escapade, rapide, jusqu'à ce que mon pied ne dérape sur une pierre moussue. Mes chaussons de daim dégringolent au pied de ce guide qui me fixe avec effarement. Il ne pipe mot, suit une parallèle en contrebas. Une poignée de secondes plus tard, je réalise qu'il maintient cette distance. Mes oreilles ne perçoivent ni une respiration sifflante, ni lourde d'essouflement. Il pourrait accélérer, ne le fait pas. J'interromps mon ascension pour l'observer, le souffle saccadé.
La paroi lisse et abrupte bloque mon ascension. Rien ne révèle que plus loin, le passage se montrerait plus praticable.
- Il faudrait des ailes pour visiter au delà...
Je souris à cette remarque, sachant comme il serait aisé pour certains d'avoir "des ailes", puis j'éternue, réalisant soudain qu'avec cet arrêt, l'humidité me saisit.
- Nous devrions rentrer Demoiselle.
Il se trouve deux pas en contrebas, trempé comme une souche. Il se trouve aussi exactement à l'endroit le plus probable dans le cas d'une chute. En y repensant, il s'est toujours positionné de manière à me réceptionner en cas de faux pas.
- Heliven. Je ne mérite pas le titre de "demoiselle" à vous faire crapahuter ainsi sous la pluie. Oui... rentrons.
Le soulagement se lit sur son visage, il n'a l'air ni épuisé ni contrarié par cette eau qui ne cesse de nous tomber dessus. La descente est plus lente, plus prudente, je réalise alors que mon guide est probablement un habitué des lieux. Avec l'entrée dans la cité, la gêne devient croissante.
- Qu'ya t-il...?
- Vous..., son regard se détourne, vous devriez rapidement aller à votre chambre, vous sécher. Allumer un feu pour vous réchauffer... changer de... hum vêtement.
- Heliven ! Heliven ! Faut qu'j'te raconte Fordring !
La porte s'ouvre avec fracas, sur une chambre en apparence vide. Un tas de vêtements humides traine dans un coin de la pièce alors que le drap du lit a quant à lui disparu.
- Heliven ?
La petite voix aigue de Lorgan laisse transparaître une inquiétude touchante mais nous ne répondons pas. Dans mon regard fiévreux couve celui de la Bête. D'ici je vois ses pieds, il porte de petites bottines souples à lacets, bientôt ses genoux touchent le parquet, puis sa joue contre le bois, le visage se glissant sous le sommier, puis sa main se tend vers moi.
J'essaie de reculer, sans gronder ni montrer les dents, mon dos se cale contre le mur du fond. Froid. Serrer les dents pour empêcher mes mâchoires de claquer. Se cacher. Attendre d'aller mieux. Je voudrais expliquer tout celà à Lorgan mais l'enfant ne semble pas l'entendre de cette manière.
Contact frais du bout de des doigts de l'enfant sur mon front... puis plus rien. Pas un mot, pas une remontrance ou une parole pour me faire sortir de ma cache. Je somnole... rêve que je rencontre Angron dans une ruelle sombre de Forgefer. Il semble à bout de force, comme s'il prenait trop sur lui.
Je pourrais presque sentir le parfum de sa peau... mêlé à celui d'une autre. Je refrène alors la bouffée de jalousie qui embrase mon être. Je le désire libre de toute entrave, ce noeud n'a pas lieu d'être, il... est miens. L'est-il ? A mesure que nous parlons, quelque chose semble se dénouer, autant en lui qu'en moi. Angron me manque, faiblement, je l'appelle...
- Heliven ! Heliven !
La petite voix de Lorgan me sort de mes rêveries, excitée, ravissante dans ces notes piquetées et cascadantes.
- Regarde ce qu'on t'a trouvé !
Odeur de viande rouge, mêlée à celle d'herbes. Je penche la tête sur le côté, l'eau à la bouche. Gibier, chamois, des tranches très fines, parfum d'huiles et d'aromates, je m'extirpe de mon abri pour m'approcher de l'assiette, le drap glisse sur mon épaule droite mais Lorgan n'a d'yeux que pour l'intérêt que je porte à mon repas.
La viande est fraîche, fondante au point qu'elle se délite d'elle même contre mon palais. Je reconnais aussi le thym, la sauge, le laurier sauvage, l'huile est probablement d'olive. Les lamelles de viande disparaissent rapidement, englouties par mon estomac affamé, Lorgan lui est aux anges, ravi que son cadeau m'ait autant plus.
- Je peux faire mes devoirs ici ?
Je dodeline l'équivalent d'un acquiescement avant de m'installer confortablement sur l'épais tapis, contre le mur. L'enfant s'installe contre moi et commence à noircir sa feuille de lignes serrées.
Les jours suivants s'écoulent paisiblement, j'évite de sortir lorsqu'il pleut, préférant somnoler au coin du feu dans ma chambre. Nos hôtes s'inquiètent un peu mais l'enfant les rassure, je ne suis pas morose, chaque sieste me laisse avec un sourire ravi. Avant l'heure du coucher, j'ai toujours une histoire pour Lorgan, elle n'est issue d'aucun livre, ne comporte aucune princesse ni aucun dragon. En réalité elle ne comporte qu'un seul personnage.
- Il était une fois, un chevalier à qui il importait peu de s'endormir sur la paille. Le soleil n'est plus mais lui tâche de maintenir une lumière et une chaleur intérieure... pour soutenir son supérieur qui est aussi son amie, pour appliquer la justice en ce fief... pour rester courtois même si parfois il craque un peu. Tient, aujourd'hui il a cherché un chat, tu ne saurais pas pourquoi ?
Ma question provoque des gloussements de conspirateur. J'ébourriffe ses cheveux dans un geste amical, le laissant conclure mon histoire.
- Il me manque...
- A moi aussi Lorgan. Apprend tout ce que tu peux ici, afin d'avoir des histoires à lui raconter à nôtre retour.
La pluie fête notre arrivée à Atreval, moire le paysage de couleurs ternes : gris du ciel sur gris de la citadelle, gris de l'écorce des bouleaux, gris du vallon encaissé où se terre la cité, gris encore l'acier des amures et des pointes des flèches des balistes.
Un homme grisonnant s'avance, sa silhouette longiligne se détachant du portail d'un imposant donjon. Il ressemble à Fendrel, souriant et affable, avec quelque chose de trouble dans le fond de son regard. James Wester se présente, nous accueille avec civilité et bienveillance. Le vieil ami d'Angron me propose même d'assister aux cours avec Lorgan.
Pas aujourd'hui. L'appel de l'exploration est plus vivace, la Bête a besoin d'appréhender notre nouvel environnement, aussi temporaire soit-il. Quelques instants plus tard je m'éloigne en direction des flancs escarpés de la montagne qui nous enclave.
Je pourrais me glisser dans ma peau de chat, mais durant cette quinzaine, je désire faire mes preuves en tant qu'humaine. Mes vêtements me collent au corps, mêlant pluie et sueur. Avancer est difficile et m'ébrouer n'y change rien, hormis plaquer un peu plus mes cheveux en travers du visage.
- Demoiselle ?
Le son est en contrebas, il porte mieux que ce dont je m'attendais. Je grelotte, le froid va s'insinuer si je n'accélère pas.
- Demoiselle, attendez !
La voix, baryton angoissé, est trop proche. Quelqu'un est sur mes talons et je maudis la pluie d'avoir altéré mon odorat.
Cheveux bruns coupés courts, regard clair contrasté par des pommettes rougies par l'effort et la rigueur du temps, je ne lui donne pas plus d'une vingtaine d'années, et ce malgré son regard grave. Je penche la tête sur le côté, comme si le changement d'angle pouvait modifier ma perception de lui.
- At..tendez... monsieur Wester m'a demandé... de vous servir de guide.
Plusieurs répliques me viennent à l'esprit, pratiquement toutes visent à le débouter. Jusqu'à ce que la Bête n'éclaire mon regard d'une lueur joueuse. Je descends jusqu'à lui, croise un regard rougissant qui confirme l'indécence de ma tenue. La Bête balaie mes états d'âme, je vois ma main se lever pour lui toucher l'épaule.
- Chat...
Je n'attends pas de voir s'il comprend, je reprends mon escapade, rapide, jusqu'à ce que mon pied ne dérape sur une pierre moussue. Mes chaussons de daim dégringolent au pied de ce guide qui me fixe avec effarement. Il ne pipe mot, suit une parallèle en contrebas. Une poignée de secondes plus tard, je réalise qu'il maintient cette distance. Mes oreilles ne perçoivent ni une respiration sifflante, ni lourde d'essouflement. Il pourrait accélérer, ne le fait pas. J'interromps mon ascension pour l'observer, le souffle saccadé.
La paroi lisse et abrupte bloque mon ascension. Rien ne révèle que plus loin, le passage se montrerait plus praticable.
- Il faudrait des ailes pour visiter au delà...
Je souris à cette remarque, sachant comme il serait aisé pour certains d'avoir "des ailes", puis j'éternue, réalisant soudain qu'avec cet arrêt, l'humidité me saisit.
- Nous devrions rentrer Demoiselle.
Il se trouve deux pas en contrebas, trempé comme une souche. Il se trouve aussi exactement à l'endroit le plus probable dans le cas d'une chute. En y repensant, il s'est toujours positionné de manière à me réceptionner en cas de faux pas.
- Heliven. Je ne mérite pas le titre de "demoiselle" à vous faire crapahuter ainsi sous la pluie. Oui... rentrons.
Le soulagement se lit sur son visage, il n'a l'air ni épuisé ni contrarié par cette eau qui ne cesse de nous tomber dessus. La descente est plus lente, plus prudente, je réalise alors que mon guide est probablement un habitué des lieux. Avec l'entrée dans la cité, la gêne devient croissante.
- Qu'ya t-il...?
- Vous..., son regard se détourne, vous devriez rapidement aller à votre chambre, vous sécher. Allumer un feu pour vous réchauffer... changer de... hum vêtement.
- Heliven ! Heliven ! Faut qu'j'te raconte Fordring !
La porte s'ouvre avec fracas, sur une chambre en apparence vide. Un tas de vêtements humides traine dans un coin de la pièce alors que le drap du lit a quant à lui disparu.
- Heliven ?
La petite voix aigue de Lorgan laisse transparaître une inquiétude touchante mais nous ne répondons pas. Dans mon regard fiévreux couve celui de la Bête. D'ici je vois ses pieds, il porte de petites bottines souples à lacets, bientôt ses genoux touchent le parquet, puis sa joue contre le bois, le visage se glissant sous le sommier, puis sa main se tend vers moi.
J'essaie de reculer, sans gronder ni montrer les dents, mon dos se cale contre le mur du fond. Froid. Serrer les dents pour empêcher mes mâchoires de claquer. Se cacher. Attendre d'aller mieux. Je voudrais expliquer tout celà à Lorgan mais l'enfant ne semble pas l'entendre de cette manière.
Contact frais du bout de des doigts de l'enfant sur mon front... puis plus rien. Pas un mot, pas une remontrance ou une parole pour me faire sortir de ma cache. Je somnole... rêve que je rencontre Angron dans une ruelle sombre de Forgefer. Il semble à bout de force, comme s'il prenait trop sur lui.
Je pourrais presque sentir le parfum de sa peau... mêlé à celui d'une autre. Je refrène alors la bouffée de jalousie qui embrase mon être. Je le désire libre de toute entrave, ce noeud n'a pas lieu d'être, il... est miens. L'est-il ? A mesure que nous parlons, quelque chose semble se dénouer, autant en lui qu'en moi. Angron me manque, faiblement, je l'appelle...
- Heliven ! Heliven !
La petite voix de Lorgan me sort de mes rêveries, excitée, ravissante dans ces notes piquetées et cascadantes.
- Regarde ce qu'on t'a trouvé !
Odeur de viande rouge, mêlée à celle d'herbes. Je penche la tête sur le côté, l'eau à la bouche. Gibier, chamois, des tranches très fines, parfum d'huiles et d'aromates, je m'extirpe de mon abri pour m'approcher de l'assiette, le drap glisse sur mon épaule droite mais Lorgan n'a d'yeux que pour l'intérêt que je porte à mon repas.
La viande est fraîche, fondante au point qu'elle se délite d'elle même contre mon palais. Je reconnais aussi le thym, la sauge, le laurier sauvage, l'huile est probablement d'olive. Les lamelles de viande disparaissent rapidement, englouties par mon estomac affamé, Lorgan lui est aux anges, ravi que son cadeau m'ait autant plus.
- Je peux faire mes devoirs ici ?
Je dodeline l'équivalent d'un acquiescement avant de m'installer confortablement sur l'épais tapis, contre le mur. L'enfant s'installe contre moi et commence à noircir sa feuille de lignes serrées.
Les jours suivants s'écoulent paisiblement, j'évite de sortir lorsqu'il pleut, préférant somnoler au coin du feu dans ma chambre. Nos hôtes s'inquiètent un peu mais l'enfant les rassure, je ne suis pas morose, chaque sieste me laisse avec un sourire ravi. Avant l'heure du coucher, j'ai toujours une histoire pour Lorgan, elle n'est issue d'aucun livre, ne comporte aucune princesse ni aucun dragon. En réalité elle ne comporte qu'un seul personnage.
- Il était une fois, un chevalier à qui il importait peu de s'endormir sur la paille. Le soleil n'est plus mais lui tâche de maintenir une lumière et une chaleur intérieure... pour soutenir son supérieur qui est aussi son amie, pour appliquer la justice en ce fief... pour rester courtois même si parfois il craque un peu. Tient, aujourd'hui il a cherché un chat, tu ne saurais pas pourquoi ?
Ma question provoque des gloussements de conspirateur. J'ébourriffe ses cheveux dans un geste amical, le laissant conclure mon histoire.
- Il me manque...
- A moi aussi Lorgan. Apprend tout ce que tu peux ici, afin d'avoir des histoires à lui raconter à nôtre retour.
Heliven
Re: Lorgan
« - Heli Heli ! Regarde ! »
Pelotonnée dans un ballot de paille, la jeune femme endormie n'entrouvrit un oeil qu'après un long moment de tergiversation interne.
Sur fond de ciel nuageux se détachait quelque chose de trop grand et statique pour une chauve souris, trop petit pour un dragon.
Lorgan tira sur le fil, provoquant l'embardée du cerf volant. D'une voix flûtée, l'enfant bruita le grondement du reptile par un « grouu » menaçant ainsi que les arabesques aériennes de son jouet par des « shhhh » houleux.
« - Dis Heli, tu veux faire la princesse ? »
L’œil se referma aussi sec, Heliven feignant avec talent le coma profond.
La petite main de Lorgan vint secouer l'épaule de la femme chat.
« - Je peux aussi te montrer un jeu de balle ! »
Devant le manque de réaction, l'enfant se mit à faire rebondir la balle, d'abord sur le sol, puis vers le ballot de paille où s'était affalé la jeune femme. Rebond. Rien. Rebond. Rien.
Rebond...
« - Mraaaa »
Une main preste vint plaquer la balle contre l'angle, entre le ballot et la terre, avant de la pousser vers Lorgan, dénotant une Heliven à présent totalement réveillée. Le visage de Lorgan s'éclaira d'un grand sourire, tout fier d'avoir sorti la féline de sa sieste. Ils jouèrent pendant un moment à faire des passes, le tout sans que la jeune femme ne prenne sa forme féline.
« - Ca va Heli ? »
Finit-il par lui demander, non sans passer ses bras autour du cou de sa future maman. Tous deux s'affalèrent dans la paille, le ballot complètement défait après cette maltraitance sauvage. Ensuite seulement il fit ce qu'elle faisait toujours, il la regarda. Pas seulement avec ses yeux, avec tous ses sens. Lorgan se souvint qu'elle avait minimisé ses mouvements lors de leurs jeux, qu'elle somnolait plus profondément qu'habituellement, et surtout qu'elle n'avait pas choisit sa forme animale de toute la matinée.
« - Mmmh je vais faire une sieste finalement. Tu restes avec moi ? »
Alors qu'Heliven acquiesçait en baillant, Lorgan arrangea la paille et le foin pour former un nid douillet, orienté vers le soleil hivernal. Puis ils s'y blottirent face à face, profitant de la chaleur emmagasinée dans cet abri improvisé. Lorgan tint la main d'Heliven, parce qu'il était du devoir d'un Chevalier de veiller sur les princesses, les faibles, les chats et les personnes verticalement contrariées (il avait du un peu reformuler parce qu'Heliven et Ceralynde affirmaient n'entrer dans aucune des deux premières catégories).
Pelotonnée dans un ballot de paille, la jeune femme endormie n'entrouvrit un oeil qu'après un long moment de tergiversation interne.
Sur fond de ciel nuageux se détachait quelque chose de trop grand et statique pour une chauve souris, trop petit pour un dragon.
Lorgan tira sur le fil, provoquant l'embardée du cerf volant. D'une voix flûtée, l'enfant bruita le grondement du reptile par un « grouu » menaçant ainsi que les arabesques aériennes de son jouet par des « shhhh » houleux.
« - Dis Heli, tu veux faire la princesse ? »
L’œil se referma aussi sec, Heliven feignant avec talent le coma profond.
La petite main de Lorgan vint secouer l'épaule de la femme chat.
« - Je peux aussi te montrer un jeu de balle ! »
Devant le manque de réaction, l'enfant se mit à faire rebondir la balle, d'abord sur le sol, puis vers le ballot de paille où s'était affalé la jeune femme. Rebond. Rien. Rebond. Rien.
Rebond...
« - Mraaaa »
Une main preste vint plaquer la balle contre l'angle, entre le ballot et la terre, avant de la pousser vers Lorgan, dénotant une Heliven à présent totalement réveillée. Le visage de Lorgan s'éclaira d'un grand sourire, tout fier d'avoir sorti la féline de sa sieste. Ils jouèrent pendant un moment à faire des passes, le tout sans que la jeune femme ne prenne sa forme féline.
« - Ca va Heli ? »
Finit-il par lui demander, non sans passer ses bras autour du cou de sa future maman. Tous deux s'affalèrent dans la paille, le ballot complètement défait après cette maltraitance sauvage. Ensuite seulement il fit ce qu'elle faisait toujours, il la regarda. Pas seulement avec ses yeux, avec tous ses sens. Lorgan se souvint qu'elle avait minimisé ses mouvements lors de leurs jeux, qu'elle somnolait plus profondément qu'habituellement, et surtout qu'elle n'avait pas choisit sa forme animale de toute la matinée.
« - Mmmh je vais faire une sieste finalement. Tu restes avec moi ? »
Alors qu'Heliven acquiesçait en baillant, Lorgan arrangea la paille et le foin pour former un nid douillet, orienté vers le soleil hivernal. Puis ils s'y blottirent face à face, profitant de la chaleur emmagasinée dans cet abri improvisé. Lorgan tint la main d'Heliven, parce qu'il était du devoir d'un Chevalier de veiller sur les princesses, les faibles, les chats et les personnes verticalement contrariées (il avait du un peu reformuler parce qu'Heliven et Ceralynde affirmaient n'entrer dans aucune des deux premières catégories).
Heliven
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