Renaissance.
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Renaissance.
Depuis les mois qu’elle se terre dans ce petit port de la côte Est, elle a appris à ne montrer d’elle que le nécessaire.
Un nom d’emprunt, une peau sombre de fille du Sud, des yeux d’un bleu profond dont la candeur sincère ne gomme pas la maturité douloureuse d’une ancienne blessure, des cheveux de jais qu’elle ramène négligemment en queue de cheval, une silhouette fine et musclée, toujours aussi vive mais plus pleine, plus femme, un torse que l’on dit avenant, dont elle sait user pour plaire aux clients de Wiley, mais sans ostentation, à peine plus échancré qu’il ne le faut pour leur donner envie de passer commande deux ou trois fois de suite au lieu d’une.
Bref, comme le disent les clients réguliers de l’auberge de Cabestan pour parler d’elle, « c’t’un un joli brin de fille que t’as trouvée là comme serveuse, Wiley ! »
Eshaïna, Khadija, Minah, Djane, Leslye, Camelia… quelle importance cela fait-il désormais. Celle que les clients hélent d’un « Hey ma jolie ! Apporte nous donc une autre bouteille de rhum ! » déambule chaque soir entre les tables, sourit, absente aux rires et aux blagues salaces, les sert gentiment sans un mot, les laissant reluquer son gilet largement échancré, frôler d’une main baladeuse ses jambes qui dansent sous la jupe, sa taille qu’ils n’auront jamais plus d’une seconde sous les doigts, incapables d’imaginer qu’ils ont devant leurs yeux avinés et rieurs une fille de Détrousseurs donnée pour morte, un ex-Sergent de la Garde Urbaine de Hurlevent, une ancienne estafette de l’armée de Theramore, une ex-pirate des mers du Sud, une jeune femme qui, malgré son jeune âge, semble avoir tout vu, tout entendu, tout expérimenté, tout appris, tout intégré de la vie, même le pire. Surtout le pire.
Dans un port grouillant d’êtres de toutes races, sur les docks d’un port qui vibre sous le soleil des Tarides les filles à la peau sombre peuvent presque passer inaperçues. C’est ce qui l’a finalement amenée là. L’aubergiste n’a pas cherché à savoir grand chose, un prénom, un sourire, une attitude réservée mais amicale, la dite Camélia a même pu prendre le logement laissé vacant par celle qui avait lâché Willy pour suivre un marin de passage.
Six mois de paix. Nonobstant les clients un peu trop entreprenants qu’il avait fallu parfois éjecter, Khad’ a fini par trouver un point d’équilibre. Il y a bien de temps en temps quelques cauchemars qui la ramènent dix ans en arrière, dans une scène d’horreur digne des histoires les plus sordides d’Azeroth, avec une petite maison du désert, et une petite fille cachée sous un lit attendant que le pire advienne, mais le temps passe doucement.
De temps en temps, un jeune garçon blond vient hanter ses nuits.
Malheureusement le rêve, doux et tendre, souvenir bien réel d’une dernière nuit au camp, ce sentiment de plénitude auréolé d’une lumière qui file au loin tandis que Khadija s’évertue à la suivre, ce rêve qu’elle espère pourtant chaque soir, se termine à chaque fois en cauchemar.
Elle est à nouveau dans le Clan, à terre au milieu des hommes, Neal, le jeune garçon transformé en jeune homme rit d’elle comme son père le faisait, elle est emportée, blessée, niée… et elle se réveille alors en nage, la main sur le cou, étouffant de peur, au bord de la noyade.
Lorsque c’est ce cauchemar qui la réveille, chaque fois elle se lève, sort de chez elle, quelle que soit l’heure de la nuit, court à perdre haleine de chez elle à la mer, file vers le petit coin secret qu’elle a découvert un jour, se déshabille en hâte et se jette à l’eau comme on se jette dans une source de rédemption, ou de renaissance espérée.
Longtemps, ces nuits là, elle nage, sous l’eau, yeux fermés, tournant et retournant dans la mer chaude, comme un fœtus dans le ventre de sa mère, faisant des roulades, se lavant de toute cette horreur qui l’habite encore au creux de ses rêves.
Au petit matin, épuisée, vierge de tout souvenir douloureux, elle rentre chez elle, presque à l’aveugle, et se plonge dans un sommeil sans rêve jusqu’au midi.
Elle est là depuis six mois, pourquoi pas six ans, six siècles, six vies… Khad’ ne veut plus se poser de questions, malgré les appels inconscients de sa mémoire, malgré les sensations troubles que quelque part quelqu’un l’appelle et la cherche, malgré une sorte de certitude qui grandit, elle devrait se remettre en marche et trouver son chemin.
Elle ne veut plus…. elle ne voulait plus…. jusqu’à ce jour de juin 32.
Un nom d’emprunt, une peau sombre de fille du Sud, des yeux d’un bleu profond dont la candeur sincère ne gomme pas la maturité douloureuse d’une ancienne blessure, des cheveux de jais qu’elle ramène négligemment en queue de cheval, une silhouette fine et musclée, toujours aussi vive mais plus pleine, plus femme, un torse que l’on dit avenant, dont elle sait user pour plaire aux clients de Wiley, mais sans ostentation, à peine plus échancré qu’il ne le faut pour leur donner envie de passer commande deux ou trois fois de suite au lieu d’une.
Bref, comme le disent les clients réguliers de l’auberge de Cabestan pour parler d’elle, « c’t’un un joli brin de fille que t’as trouvée là comme serveuse, Wiley ! »
Eshaïna, Khadija, Minah, Djane, Leslye, Camelia… quelle importance cela fait-il désormais. Celle que les clients hélent d’un « Hey ma jolie ! Apporte nous donc une autre bouteille de rhum ! » déambule chaque soir entre les tables, sourit, absente aux rires et aux blagues salaces, les sert gentiment sans un mot, les laissant reluquer son gilet largement échancré, frôler d’une main baladeuse ses jambes qui dansent sous la jupe, sa taille qu’ils n’auront jamais plus d’une seconde sous les doigts, incapables d’imaginer qu’ils ont devant leurs yeux avinés et rieurs une fille de Détrousseurs donnée pour morte, un ex-Sergent de la Garde Urbaine de Hurlevent, une ancienne estafette de l’armée de Theramore, une ex-pirate des mers du Sud, une jeune femme qui, malgré son jeune âge, semble avoir tout vu, tout entendu, tout expérimenté, tout appris, tout intégré de la vie, même le pire. Surtout le pire.
Dans un port grouillant d’êtres de toutes races, sur les docks d’un port qui vibre sous le soleil des Tarides les filles à la peau sombre peuvent presque passer inaperçues. C’est ce qui l’a finalement amenée là. L’aubergiste n’a pas cherché à savoir grand chose, un prénom, un sourire, une attitude réservée mais amicale, la dite Camélia a même pu prendre le logement laissé vacant par celle qui avait lâché Willy pour suivre un marin de passage.
Six mois de paix. Nonobstant les clients un peu trop entreprenants qu’il avait fallu parfois éjecter, Khad’ a fini par trouver un point d’équilibre. Il y a bien de temps en temps quelques cauchemars qui la ramènent dix ans en arrière, dans une scène d’horreur digne des histoires les plus sordides d’Azeroth, avec une petite maison du désert, et une petite fille cachée sous un lit attendant que le pire advienne, mais le temps passe doucement.
De temps en temps, un jeune garçon blond vient hanter ses nuits.
****************
« Les tentes sont arrangées en cercles sous le soleil brûlant de midi, rien ni personne ne bouge, le campement est écrasé de chaleur. Le feu au milieu des cercles concentriques est presque éteint, seules brûlent encore quelques braises sous lesquelles les femmes ont ce matin déposé des tubercules enrobées de feuilles de palmier. Les légumes cuisent lentement répandant une odeur douceâtre qui se mêle au parfum des fleurs de feu qui s’insinue entre les tentes, furetant de ci de là pour égayer les quelques nez restés éveillés.
Ils sont tous les deux allongés sous une tente du troisième cercle, celui des marchandises, à moitié nus, dans les bras l’un de l’autre, la jeune fille brune et le jeune homme blond. Elle passe doucement la main sur son torse, paume puis dos de la main, inlassablement. C’est comme un jeu, une vague qu’elle s’amuse à dessiner. Il frissonne, pressant sa main sur son bras. Elle n’a pas conscience de l’état d’excitation qui commence à le prendre. Elle est là sans être là, presque déjà partie, dans ses préparatifs, ses questionnements, ses rêves de liberté.
Elle va partir, il va la perdre et il hésite, encore. Depuis le temps qu’ils s’aiment comme des enfants, doit-il lui dire ce qu’elle ne voit pas, ou ne veut pas voir. Il la désire, il la veut pour lui, il veut qu’elle soit sienne, mais… même si elle n’en parle jamais, il sait ce qu’elle subit chez elle. Comment être homme sans être comme celui-là, il ne sait pas.
Il soupire doucement et ferme les yeux, il préfère encore rêver d’elle quand elle n’est pas là, trouver seul le répit du corps plutôt que d’afficher son ignorance et d’affronter sa colère, des pleurs ou, pire, son rejet.
La main de la jeune fille s’est arrêtée, elle écoute sa respiration, sent que quelque chose ne va pas et se redresse pour le regarder. Il se tourne légèrement vers elle, ramenant une jambe sur l’autre, espérant cacher le désir qui l’anime et maintenant l’obsède. Puis il tente un sourire, essayant d’avoir l’air neutre.
Son regard le transperce. Elle fronce les sourcils, sondant les pensées, l’éclat différent des yeux, le trouble du regard, le frémissement perceptible du corps. Elle comprend d’un coup et se rassoit, s’écartant vivement de lui.
….. Khad’…...
Le vent s’est levé, soulevant les coins de la toile de coton qui les sépare du reste du monde. De légères particules de bois brûlé glissent sur le sable et viennent se coller sur les parois internes de la tente. Elle ramène ses jambes contre elle, les enferme de ses bras, dans cette jupe qui lui sert de protection imaginaire, et pose sa tête sur ses genoux, l’air désemparé.
… je sais bien… tu n’es pas comme lui, je le sais, c’est juste que…
Il s’assoit à son tour et la prend dans ses bras, il a juste l‘intention de la consoler. Il éprouve alors le besoin de parler, d’abord pour la rassurer, puis, peu à peu, pour se dire, se dévoiler, raconter ses craintes et ses rêves.
Et c’est là, sans qu’il s’y attende, sans geste, sans acte, sans rien de tout ce qu’il avait imaginé devoir faire pour qu’elle s’épanouisse, juste par le souffle doux des mots, la douceur du ton, l’offrande de ce qui l’anime, c’est là que la magie tant espérée opère. Guidée par le son de sa voix, elle s’abandonne petit à petit et s’offre enfin à lui….
***********
Malheureusement le rêve, doux et tendre, souvenir bien réel d’une dernière nuit au camp, ce sentiment de plénitude auréolé d’une lumière qui file au loin tandis que Khadija s’évertue à la suivre, ce rêve qu’elle espère pourtant chaque soir, se termine à chaque fois en cauchemar.
Elle est à nouveau dans le Clan, à terre au milieu des hommes, Neal, le jeune garçon transformé en jeune homme rit d’elle comme son père le faisait, elle est emportée, blessée, niée… et elle se réveille alors en nage, la main sur le cou, étouffant de peur, au bord de la noyade.
Lorsque c’est ce cauchemar qui la réveille, chaque fois elle se lève, sort de chez elle, quelle que soit l’heure de la nuit, court à perdre haleine de chez elle à la mer, file vers le petit coin secret qu’elle a découvert un jour, se déshabille en hâte et se jette à l’eau comme on se jette dans une source de rédemption, ou de renaissance espérée.
Longtemps, ces nuits là, elle nage, sous l’eau, yeux fermés, tournant et retournant dans la mer chaude, comme un fœtus dans le ventre de sa mère, faisant des roulades, se lavant de toute cette horreur qui l’habite encore au creux de ses rêves.
Au petit matin, épuisée, vierge de tout souvenir douloureux, elle rentre chez elle, presque à l’aveugle, et se plonge dans un sommeil sans rêve jusqu’au midi.
Elle est là depuis six mois, pourquoi pas six ans, six siècles, six vies… Khad’ ne veut plus se poser de questions, malgré les appels inconscients de sa mémoire, malgré les sensations troubles que quelque part quelqu’un l’appelle et la cherche, malgré une sorte de certitude qui grandit, elle devrait se remettre en marche et trouver son chemin.
Elle ne veut plus…. elle ne voulait plus…. jusqu’à ce jour de juin 32.
Khadija
Re: Renaissance.
Impossible de lui cacher la vérité. Ses yeux d’un bleu intense, le timbre de sa voix, la douceur de sa peau, le frémissement de sa main lorsqu’elle l’avait servi et avait effleuré sa manche, l’intensité de son regard, sa démarche, sa façon de déjouer les questions….. elle était bien toujours la même.
C’était évident qu’il la reconnaîtrait au premier regard, au premier mot, au premier geste. Elle le savait, mais n’avait pas pensé qu’elle même serait trompée par sa carrure, ses cheveux moins blonds, plus courts, plus drus, une voix plus posée, une tristesse profonde dans l’attitude générale et cette cicatrice qui lui barrait le nez.
Ce n’est qu’en posant les yeux sur la pierre oblongue noire aux stries vertes qu’elle l’avait reconnu avec certitude. Elle avait porté la main à son cou, cherchant la même pierre posée là pendant des années. Mais elle était depuis des mois reléguée au fin fond d’une malle et sa main avait juste effleuré la peau du cou, laissant voir son désarroi.
« C’est quoi vot’ nom ? » - « Halix…. Et vous ? » - « …..Camelia ». Il avait explosé de rire.« Camelia ?!? Mais c’t’un nom d’fleur ça ! » -« Et alors… z’êtes qui, vous, pour dire des trucs pareils ! C’m’a faute à moi si ma mère a voulu m’ appeller par un nom d’fleur ? ». Ils s’étaient regardés un moment, puis il avait lâché dans un souffle. « C’est joli Camelia…. A moins que j’puisse dire… Khad ? »
Ainsi donc il l’avait retrouvée…
Elle le mangeait des yeux tandis qu’il racontait ses lettres, détournées par son père, qui l’avaient mis en danger. La stupéfaction du Clan de comprendre qu’il l’avait sauvée, sa mise au ban, son enfermement dans une cage, comme celles des femmes qu’on attrapait pour les revendre, la punition décidée par son père à elle, un combat à mains nues, et à mort, Marrick trichant et sortant une dague de sa botte, Neal devenu fou de rage lui sautant à la gorge et l’étranglant à l’aide de la chaine qui liait ses mains ensemble, les hommes du Clan le tabassant à mort, le laissant à moitié crevé sur le sable rouge de l’arène de fortune, le vieux Liank venant le ramasser pour le soigner, les hommes du Clan décidant d’une « offrande à la Mer », l’emmenant sur l’eau après l’avoir entaillé au flanc gauche, la noyade, galets aux pieds, le couteau dans le fond des eaux, celui qui lui avait permis de la sauver elle, et enfin la libération, épuisé, en sang, blessé de partout et se cachant dans la même grotte qui lui avait permis de revivre, deux années plus tôt.
« T’as tué mon père ?!? » Khad n’en revenait pas. « Toi ? Toi, t’as tué mon père ?!? ». Le jeune homme hochait la tête, honteux d’un tel acte. « Ca d’vait arriver…. D’puis l’temps que j’en rêvais… j’te d’mande pardon… » Elle l’avait longuement regardé, perplexe, puis avait lâché, maussade. « Euh…. C’tait mon père mais bon… c’pas comme si j’allais l’regretter, hein… c’t’un salaud… méritait pas mieux… »
Neal avait hoché la tête, le regard brillant, vrillé au sien, une vague lueur de reconnaissance le rendant aux yeux de Khad’ aussi beau et attirant que dans son rêve. Elle avait souri, un bref instant, puis s’était rembrunie devant l’image de celui qu’il était devenu après son départ. Un homme du Clan comme les autres, de ceux qui traitaient les femmes comme des objets. Il soupira.
"Khad’… Je t’ai tant espérée… J’ai jamais pu m’y faire, t'sais… Je jouais un rôle, pour tenter d'vivre malgré tout, malgré ton départ, mais j'y croyais pas moi même, j'trichais, avec eux, mais surtout avec moi … J’étais sur l'fil du rasoir, en permanence, fort pour eux, mais tellement fragile en d'dans….Te revoir ce jour là... ça m'a fait un choc, salutaire, et si j’ai pas su t'le montrer, tu dois comprendre que d'cet instant là... ma vie a basculé…"
Il avait l’air sincère et ses mots sonnaient juste, elle se leva et tout en ramassant les verres et la bouteille de rhum à laquelle ils n’avaient guère touché, elle s’adressa à lui comme s’ils s’étaient quittés la veille.
"Tu veux voir mon chez moi ? C’t'une p'tite maison pas loin… si tu veux, j’peux t’loger un moment.. ‘fin… si t’es pas pressé d’repartir tout de suite…."
Il avait accepté, sur le moment, mais s’était ravisé plus tard lorsqu’elle était revenue de son service chez Wiley. Il avait trouvé un campement dans lequel il pensait pouvoir rester quelques jours.
Khadija regardait le campement, sa tente, le feu, quelques effets dans une caisse, des sacs. Debout jambes tendues, elle se sentait partir au loin, retourner dans sa solitude, ses cauchemars, ses baignades nocturnes pour se laver de tout. Lui essayait de faire comme s’il ne la sentait pas se refermer, cherchant deux verres, une bouteille d’alcool à partager, un truc à dire ou à faire.
« J’ai dit ou fait quelque chose de mal ? ». Elle avait beau essayer d’avoir le ton neutre, elle sentait qu’elle était au bord de l’explosion. Il soupira, dépité. « Mais non… j't’assure que non… je…. tu comprends bien que j'peux pas dormir chez toi… ce serait pas bien, ce s’rait… ». Du pied elle avait repoussé le verre rempli qu’il avait posé devant elle, le rhum se déversa sur la terre. « J’comprends pas… Tu veux quoi ? Tu m’cherches pendant des mois et une fois qu’tu m’as trouvée, tu m’repousses ? ».
Neal la regarda, la respiration lourde, puis sans un mot s’approcha du feu, en sortit une branche rougie de feu et la jeta sur la tente qui prit feu immédiatement.
« Mais.. ?!? ». Elle se redressa d’un bond et courut vers la tente. « Mais t’es débile !!! ». Elle aperçut les effets qui risquaient de brûler et entreprit de les dégager du brasier naissant. « Dégage toi de là Khad ! ». Elle ne bougeait pas, continuant de repousser les sacs, le corps secoué d’une toux sèche au milieu de la fumée âcre de la toile. Il l’attrapa par la taille et la posa à même son épaule, l’emportant au loin. « Hey !!! Lâche moi ‘spèce de brute !!! ». Elle riait. Elle gigotait tout en gloussant et attrapa son cou pour tenter de se dégager.
Son visage s’approcha du sien, sa bouche effleura sa joue. Le temps se figea. Plus un mot ni un geste, de part et d’autre, seul comptait ce contact des lèvres de Khad sur la peau de Neal. D’un geste souple et maîtrisé, il la reposa à terre et la regarda longuement, la respiration sifflante et le regard affolé.
C’est elle qui la première rompit le silence. D’un regard alentour, elle montra l’étendue des dégâts. « Ben j’vois pas comment tu vas pouvoir dormir là, main’nant… ». Il acquiesça d’un hochement de tête, reprenant contenance, et mit sur le dos du cheval qui les avait emmenés jusque là le seul sac resté intact. Un livre en tomba. « La voute céleste et les constellations d’Azeroth ». Elle le ramassa et l’ouvrit lentement, admirant les images illustrées.
« Tu m’apprendras ? » - « T’es sérieuse ? ». – « … J’ai l’air de pas l’être ? » - Non… Mais ça n’intéresse personne ce genre de choses…Et puis… c’pas très… masculin». Elle avait ri, légèrement moqueuse. « Ben faut croire que j’suis pas comme tout le monde… Pis c’est débile de dire ça… on s’en fiche de ce que pensent les autres, non ?». Il l’avait aidée à grimper à cran sur son cheval des montagnes. Tout en l’enlaçant par la taille, elle avait chuchoté. «Pas masculin…. C’que tu peux être coincé des fois….. ».
Une fois dans le lit, empêtrés l’un et l’autre de craintes diverses, c’est encore elle qui rompit la glace. « Bon ben moi j’ai envie de dormir dans tes bras…. C’possible, tu crois, ou…. Tu vas pas pouvoir ? ». Il avait de nouveau éclaté de rire, ce rire enfantin qui la ravissait. « J’suis tellement fatigué qu’tu peux dormir tranquille, j’vais tomber comme une masse dans les deux secondes ! ». Elle avait acquiescé, confiante et s’était blottie dans ses bras comme elle faisait dix ans plus tôt. «J’suis contente que tu sois là, t’sais… ». « J’suis content aussi, Khad… ».
Un simple baiser sur le front, et le sommeil les emporta très vite. Juste avant de sombrer Khad esquissa un sourire. Pas besoin d’espérer le rêve ce soir, il n’y aurait donc pas non plus de cauchemar cette nuit…
C’était évident qu’il la reconnaîtrait au premier regard, au premier mot, au premier geste. Elle le savait, mais n’avait pas pensé qu’elle même serait trompée par sa carrure, ses cheveux moins blonds, plus courts, plus drus, une voix plus posée, une tristesse profonde dans l’attitude générale et cette cicatrice qui lui barrait le nez.
Ce n’est qu’en posant les yeux sur la pierre oblongue noire aux stries vertes qu’elle l’avait reconnu avec certitude. Elle avait porté la main à son cou, cherchant la même pierre posée là pendant des années. Mais elle était depuis des mois reléguée au fin fond d’une malle et sa main avait juste effleuré la peau du cou, laissant voir son désarroi.
« C’est quoi vot’ nom ? » - « Halix…. Et vous ? » - « …..Camelia ». Il avait explosé de rire.« Camelia ?!? Mais c’t’un nom d’fleur ça ! » -« Et alors… z’êtes qui, vous, pour dire des trucs pareils ! C’m’a faute à moi si ma mère a voulu m’ appeller par un nom d’fleur ? ». Ils s’étaient regardés un moment, puis il avait lâché dans un souffle. « C’est joli Camelia…. A moins que j’puisse dire… Khad ? »
Ainsi donc il l’avait retrouvée…
Elle le mangeait des yeux tandis qu’il racontait ses lettres, détournées par son père, qui l’avaient mis en danger. La stupéfaction du Clan de comprendre qu’il l’avait sauvée, sa mise au ban, son enfermement dans une cage, comme celles des femmes qu’on attrapait pour les revendre, la punition décidée par son père à elle, un combat à mains nues, et à mort, Marrick trichant et sortant une dague de sa botte, Neal devenu fou de rage lui sautant à la gorge et l’étranglant à l’aide de la chaine qui liait ses mains ensemble, les hommes du Clan le tabassant à mort, le laissant à moitié crevé sur le sable rouge de l’arène de fortune, le vieux Liank venant le ramasser pour le soigner, les hommes du Clan décidant d’une « offrande à la Mer », l’emmenant sur l’eau après l’avoir entaillé au flanc gauche, la noyade, galets aux pieds, le couteau dans le fond des eaux, celui qui lui avait permis de la sauver elle, et enfin la libération, épuisé, en sang, blessé de partout et se cachant dans la même grotte qui lui avait permis de revivre, deux années plus tôt.
« T’as tué mon père ?!? » Khad n’en revenait pas. « Toi ? Toi, t’as tué mon père ?!? ». Le jeune homme hochait la tête, honteux d’un tel acte. « Ca d’vait arriver…. D’puis l’temps que j’en rêvais… j’te d’mande pardon… » Elle l’avait longuement regardé, perplexe, puis avait lâché, maussade. « Euh…. C’tait mon père mais bon… c’pas comme si j’allais l’regretter, hein… c’t’un salaud… méritait pas mieux… »
Neal avait hoché la tête, le regard brillant, vrillé au sien, une vague lueur de reconnaissance le rendant aux yeux de Khad’ aussi beau et attirant que dans son rêve. Elle avait souri, un bref instant, puis s’était rembrunie devant l’image de celui qu’il était devenu après son départ. Un homme du Clan comme les autres, de ceux qui traitaient les femmes comme des objets. Il soupira.
"Khad’… Je t’ai tant espérée… J’ai jamais pu m’y faire, t'sais… Je jouais un rôle, pour tenter d'vivre malgré tout, malgré ton départ, mais j'y croyais pas moi même, j'trichais, avec eux, mais surtout avec moi … J’étais sur l'fil du rasoir, en permanence, fort pour eux, mais tellement fragile en d'dans….Te revoir ce jour là... ça m'a fait un choc, salutaire, et si j’ai pas su t'le montrer, tu dois comprendre que d'cet instant là... ma vie a basculé…"
Il avait l’air sincère et ses mots sonnaient juste, elle se leva et tout en ramassant les verres et la bouteille de rhum à laquelle ils n’avaient guère touché, elle s’adressa à lui comme s’ils s’étaient quittés la veille.
"Tu veux voir mon chez moi ? C’t'une p'tite maison pas loin… si tu veux, j’peux t’loger un moment.. ‘fin… si t’es pas pressé d’repartir tout de suite…."
Il avait accepté, sur le moment, mais s’était ravisé plus tard lorsqu’elle était revenue de son service chez Wiley. Il avait trouvé un campement dans lequel il pensait pouvoir rester quelques jours.
Khadija regardait le campement, sa tente, le feu, quelques effets dans une caisse, des sacs. Debout jambes tendues, elle se sentait partir au loin, retourner dans sa solitude, ses cauchemars, ses baignades nocturnes pour se laver de tout. Lui essayait de faire comme s’il ne la sentait pas se refermer, cherchant deux verres, une bouteille d’alcool à partager, un truc à dire ou à faire.
« J’ai dit ou fait quelque chose de mal ? ». Elle avait beau essayer d’avoir le ton neutre, elle sentait qu’elle était au bord de l’explosion. Il soupira, dépité. « Mais non… j't’assure que non… je…. tu comprends bien que j'peux pas dormir chez toi… ce serait pas bien, ce s’rait… ». Du pied elle avait repoussé le verre rempli qu’il avait posé devant elle, le rhum se déversa sur la terre. « J’comprends pas… Tu veux quoi ? Tu m’cherches pendant des mois et une fois qu’tu m’as trouvée, tu m’repousses ? ».
Neal la regarda, la respiration lourde, puis sans un mot s’approcha du feu, en sortit une branche rougie de feu et la jeta sur la tente qui prit feu immédiatement.
« Mais.. ?!? ». Elle se redressa d’un bond et courut vers la tente. « Mais t’es débile !!! ». Elle aperçut les effets qui risquaient de brûler et entreprit de les dégager du brasier naissant. « Dégage toi de là Khad ! ». Elle ne bougeait pas, continuant de repousser les sacs, le corps secoué d’une toux sèche au milieu de la fumée âcre de la toile. Il l’attrapa par la taille et la posa à même son épaule, l’emportant au loin. « Hey !!! Lâche moi ‘spèce de brute !!! ». Elle riait. Elle gigotait tout en gloussant et attrapa son cou pour tenter de se dégager.
Son visage s’approcha du sien, sa bouche effleura sa joue. Le temps se figea. Plus un mot ni un geste, de part et d’autre, seul comptait ce contact des lèvres de Khad sur la peau de Neal. D’un geste souple et maîtrisé, il la reposa à terre et la regarda longuement, la respiration sifflante et le regard affolé.
C’est elle qui la première rompit le silence. D’un regard alentour, elle montra l’étendue des dégâts. « Ben j’vois pas comment tu vas pouvoir dormir là, main’nant… ». Il acquiesça d’un hochement de tête, reprenant contenance, et mit sur le dos du cheval qui les avait emmenés jusque là le seul sac resté intact. Un livre en tomba. « La voute céleste et les constellations d’Azeroth ». Elle le ramassa et l’ouvrit lentement, admirant les images illustrées.
« Tu m’apprendras ? » - « T’es sérieuse ? ». – « … J’ai l’air de pas l’être ? » - Non… Mais ça n’intéresse personne ce genre de choses…Et puis… c’pas très… masculin». Elle avait ri, légèrement moqueuse. « Ben faut croire que j’suis pas comme tout le monde… Pis c’est débile de dire ça… on s’en fiche de ce que pensent les autres, non ?». Il l’avait aidée à grimper à cran sur son cheval des montagnes. Tout en l’enlaçant par la taille, elle avait chuchoté. «Pas masculin…. C’que tu peux être coincé des fois….. ».
Une fois dans le lit, empêtrés l’un et l’autre de craintes diverses, c’est encore elle qui rompit la glace. « Bon ben moi j’ai envie de dormir dans tes bras…. C’possible, tu crois, ou…. Tu vas pas pouvoir ? ». Il avait de nouveau éclaté de rire, ce rire enfantin qui la ravissait. « J’suis tellement fatigué qu’tu peux dormir tranquille, j’vais tomber comme une masse dans les deux secondes ! ». Elle avait acquiescé, confiante et s’était blottie dans ses bras comme elle faisait dix ans plus tôt. «J’suis contente que tu sois là, t’sais… ». « J’suis content aussi, Khad… ».
Un simple baiser sur le front, et le sommeil les emporta très vite. Juste avant de sombrer Khad esquissa un sourire. Pas besoin d’espérer le rêve ce soir, il n’y aurait donc pas non plus de cauchemar cette nuit…
Khadija
Re: Renaissance.
Ainsi c’était une erreur. Une incompréhension de plus. Un espoir déçu. Une renaissance avortée.
Bien. Qu’il en soit ainsi. La venue de Neal l’avait fait sortir du bois, elle devait se décider à reprendre le chemin. Seule ? … seule, si cela devait être.
Khadija déposa la lettre maladroitement écrite sur la table de nuit de la chambre qui les avait accueillis une nuit, une seule, à Baie du Butin. Il ne s’était rien passé, si ce n’était un baiser. Un baiser très fort, inédit, lumineux, improbable. Il aurait pu se passer autre chose mais ni l’un ni l’autre n’était en mesure de dépasser ses craintes, il ne s’était donc rien passé.
Par contre, le lendemain qui s’annonçait rédempteur n’avait été que douleur. Neal ne savait pas voir autre chose que sa peine d’avoir quitté le Clan sans possibilité de retour. Khadija n’en pouvait plus de ne pas se sentir à la hauteur. Rien de bon ne pouvait sortir de tout ça.
Après une soirée passée à l’attendre en pleurant alors qu’il se terrait quelque part dans un bar ou un coin seul à se morfondre, Khadija lui écrivit une simple lettre où elle lui conseillait de retourner voir le Clan pour avoir les réponses qu’elle ne savait pas lui donner. Plus tard disait-elle, nous pourrons peut-être nous retrouver. Elle ne donnait ni date, ni lieu, ni rendez vous. A quoi bon.
Une fois la lettre posée, son sac fait, elle prit le dernier bateau pour Kalimdor, sans que personne ne sache où elle allait.
Bien. Qu’il en soit ainsi. La venue de Neal l’avait fait sortir du bois, elle devait se décider à reprendre le chemin. Seule ? … seule, si cela devait être.
Khadija déposa la lettre maladroitement écrite sur la table de nuit de la chambre qui les avait accueillis une nuit, une seule, à Baie du Butin. Il ne s’était rien passé, si ce n’était un baiser. Un baiser très fort, inédit, lumineux, improbable. Il aurait pu se passer autre chose mais ni l’un ni l’autre n’était en mesure de dépasser ses craintes, il ne s’était donc rien passé.
Par contre, le lendemain qui s’annonçait rédempteur n’avait été que douleur. Neal ne savait pas voir autre chose que sa peine d’avoir quitté le Clan sans possibilité de retour. Khadija n’en pouvait plus de ne pas se sentir à la hauteur. Rien de bon ne pouvait sortir de tout ça.
Après une soirée passée à l’attendre en pleurant alors qu’il se terrait quelque part dans un bar ou un coin seul à se morfondre, Khadija lui écrivit une simple lettre où elle lui conseillait de retourner voir le Clan pour avoir les réponses qu’elle ne savait pas lui donner. Plus tard disait-elle, nous pourrons peut-être nous retrouver. Elle ne donnait ni date, ni lieu, ni rendez vous. A quoi bon.
Une fois la lettre posée, son sac fait, elle prit le dernier bateau pour Kalimdor, sans que personne ne sache où elle allait.
Khadija
Re: Renaissance.
Midi. La chaleur est écrasante sur le petit marché installé aux portes de Gadgetzan et les parfums de légumes chauffés au soleil saturent l’air ambiant. Les enfants crient, les marchands hèlent, des hommes rient, des femmes pépient, la foule bigarrée va et vient et Khadija évolue lentement entre les étals, sa jupe bleu ciel balayant le sol terreux autour de ses pieds nus.
Après l’avoir rejointe à Cabestan Neal est reparti vers le Sud, la laissant meurtrie. Il comptait retourner au Clan et espérait qu’elle l’accompagne. Elle a refusé. Mais une fois parti, elle a couru chez elle préparer un sac et s’est empressée de trouver une caravane pour le Sud.
Depuis son arrivée elle le cherche. Son regard passe des étals aux passants, des badauds aux portes non loin, elle l’espère, elle l’attend, sans trop oser se l’avouer. Pourvu qu’il ne soit pas déjà parti…
« Eshaaa !!!! Eshaïna, c’est bien toi ? »
La femme qui vient de lui prendre le poignet lui hurle au visage sa surprise et sa joie. Khadija recule par instinct, cherchant à dégager son bras, terrifiée d’entendre ainsi son prénom crié dans la foule.
« Esha ! C’est moi ! Leïla ! Me dis pas que tu me reconnais pas tout de même, si ? »
Khadija hoche la tête, dégageant son poignet de la main de la femme. Leïla est une amie de sa mère, une de celles qui l’ont incitée à partir se cacher dans les montagnes, une de celles qui ont donc participé à l’horreur qui a suivi. Le cœur de Khadija se referme, ses bras se serrent contre sa poitrine, elle voudrait être à des milliards de kilomètres de ce lieu qui commence à l’étouffer.
«Mais que deviens tu ? Raconte moi ! J’ai su que tu avais fui avec l’aide de Neal ! Tu sais où il est maintenant ? Ils ont voulu le tuer et du coup il s’est enfui aussi… Tu savais qu’il avait eu un fils avec Naïna ? ».
Khadija regarde partout autour d’elle, apeurée, puis prend la main de la femme et l’entraîne à sa suite. « Pas là. »
Dans un coin d’une auberge où les clients vont et viennent avec beaucoup de bruit, Khadija s’est assise face à la femme qui parle toujours avec vivacité, racontant ce qui s’est passé et se passe encore au Clan, sans prendre aucunement ombrage des œillades lourdes de sens de Khadija qui aimerait un peu plus de discrétion.
« Il n’aime pas cette femme. Il lui a fait un enfant pour faire plaisir à son père, ce fils là n’est pas l’enfant de l’amour, il me l’a dit. » Khadija parle d’une voix sourde et tremblante, luttant contre l’émotion qui est au bord de ses lèvres.
La femme rit de bon cœur, comme si tout cela n’était qu’une vaste mascarade. «Ca ! C’est sûr que Jordan couve cet enfant comme si c’était le sien ! Et je s’rais pas étonnée qu’il partage de temps en temps le lit de Naïna ! ». Khadija s’assombrit un peu plus, la sueur sur son front trahissant la nausée qui commence à gagner.
« Et ça t’fait rire ? Tu l’sais, non, que Marrick m’a violée, qu’il m’a même enceintée… et tu trouves ça drôle que les hommes décident de nos corps comme des leurs ? T’as donc aucune fierté ? … ». Elle boit cul sec le verre de rhum qu’elle s’est fait servir et le pose avec force sur la table. « Finalement t’es comme ma mère… Z’êtes toutes les mêmes…, des sal… ». La femme pose violemment sa main sur le bras de Khadija et le serre. « Tais toi. Tu ne sais pas ce que tu dis. Jamais ta mère t’aurait laissée si elle avait imaginé, un seul instant, qu’il la remplacerait avec toi. Jamais, tu m’entends ? ».
Khadija cligne des yeux, sous l’effet de l’alcool ou de la tristesse, et fait signe au gobelin doté d’un plateau qu’elle veut le même, tout de suite. Leïla suit des yeux le manège de la jeune femme et soupire.
« Alors tu t’es mise à boire, toi aussi ? ». Khadija hausse une épaule. « Oui… d’puis l’aut’jour… quand Neal m’a dit qu’il avait un enfant... ». La femme sursaute et la regarde intensément. « Il est par là ? Où ça ? Il veut faire quoi ? Ne le laisse pas repartir là bas, ils vont le tuer, pour de bon cette fois ci… ».
Khadija boit de nouveau d’une traite le second verre de rhum apporté par le serveur, esquissant un petit sourire triste. « Il a pas l’air décidé à s’laisser tuer… d’t’te façon, il m’écoute pas et il veut voir son fils… ». Elle repose le verre sur la table, cherche vaguement le gobelin des yeux puis soupire le voyant plus loin, trop loin pour passer commande.
«Elle est où ?». Son ton est légèrement pâteux et flou, l’alcool servi dans l’auberge est particulièrement fort. « Qui ça ? ». Leïla a parfaitement compris mais n’est pas très à l’aise. Khadija part d’un rire hystérique. « Tu t’fiches de moi ? ». Leïla soupire longuement, laissant son regard parcourir la salle puis tente de regarder la jeune femme dans les yeux, sans succès. « Si je te dis qu’elle a cherché à te faire venir dans les montagnes… que c’est Liank qui l’en a empêchée parce qu’il savait qu’il vous retrouverait et vous tuerait, toutes les deux … qu’elle n’a eu de cesse d’essayer de te sauver… qu’elle n’a pas supporté de savoir comment Marrick te traitait… est ce que tu vas me croire ? ».
Khadija part dans un immense éclat de rire triste et rageur, faisant se retourner sur elle l’ensemble de la salle. « Non mais…. tu t’fiches vraiment d’moi là !!! Elle a cherché à m‘sauver ?!? Pendant tout l’temps où il faisait c’qu’il voulait d’moi et que personne disait rien ?!? Non mais !!! ». La jeune femme hurle si fort de rire, un rire devenu mauvais, que tous se taisent et la regardent, dans un silence terrifiant de malaise.
Leïla se lève et la prend par la main. « Ca suffit, on sort, j’ai quelque chose à te montrer. »
Après l’avoir rejointe à Cabestan Neal est reparti vers le Sud, la laissant meurtrie. Il comptait retourner au Clan et espérait qu’elle l’accompagne. Elle a refusé. Mais une fois parti, elle a couru chez elle préparer un sac et s’est empressée de trouver une caravane pour le Sud.
Depuis son arrivée elle le cherche. Son regard passe des étals aux passants, des badauds aux portes non loin, elle l’espère, elle l’attend, sans trop oser se l’avouer. Pourvu qu’il ne soit pas déjà parti…
« Eshaaa !!!! Eshaïna, c’est bien toi ? »
La femme qui vient de lui prendre le poignet lui hurle au visage sa surprise et sa joie. Khadija recule par instinct, cherchant à dégager son bras, terrifiée d’entendre ainsi son prénom crié dans la foule.
« Esha ! C’est moi ! Leïla ! Me dis pas que tu me reconnais pas tout de même, si ? »
Khadija hoche la tête, dégageant son poignet de la main de la femme. Leïla est une amie de sa mère, une de celles qui l’ont incitée à partir se cacher dans les montagnes, une de celles qui ont donc participé à l’horreur qui a suivi. Le cœur de Khadija se referme, ses bras se serrent contre sa poitrine, elle voudrait être à des milliards de kilomètres de ce lieu qui commence à l’étouffer.
«Mais que deviens tu ? Raconte moi ! J’ai su que tu avais fui avec l’aide de Neal ! Tu sais où il est maintenant ? Ils ont voulu le tuer et du coup il s’est enfui aussi… Tu savais qu’il avait eu un fils avec Naïna ? ».
Khadija regarde partout autour d’elle, apeurée, puis prend la main de la femme et l’entraîne à sa suite. « Pas là. »
Dans un coin d’une auberge où les clients vont et viennent avec beaucoup de bruit, Khadija s’est assise face à la femme qui parle toujours avec vivacité, racontant ce qui s’est passé et se passe encore au Clan, sans prendre aucunement ombrage des œillades lourdes de sens de Khadija qui aimerait un peu plus de discrétion.
« Il n’aime pas cette femme. Il lui a fait un enfant pour faire plaisir à son père, ce fils là n’est pas l’enfant de l’amour, il me l’a dit. » Khadija parle d’une voix sourde et tremblante, luttant contre l’émotion qui est au bord de ses lèvres.
La femme rit de bon cœur, comme si tout cela n’était qu’une vaste mascarade. «Ca ! C’est sûr que Jordan couve cet enfant comme si c’était le sien ! Et je s’rais pas étonnée qu’il partage de temps en temps le lit de Naïna ! ». Khadija s’assombrit un peu plus, la sueur sur son front trahissant la nausée qui commence à gagner.
« Et ça t’fait rire ? Tu l’sais, non, que Marrick m’a violée, qu’il m’a même enceintée… et tu trouves ça drôle que les hommes décident de nos corps comme des leurs ? T’as donc aucune fierté ? … ». Elle boit cul sec le verre de rhum qu’elle s’est fait servir et le pose avec force sur la table. « Finalement t’es comme ma mère… Z’êtes toutes les mêmes…, des sal… ». La femme pose violemment sa main sur le bras de Khadija et le serre. « Tais toi. Tu ne sais pas ce que tu dis. Jamais ta mère t’aurait laissée si elle avait imaginé, un seul instant, qu’il la remplacerait avec toi. Jamais, tu m’entends ? ».
Khadija cligne des yeux, sous l’effet de l’alcool ou de la tristesse, et fait signe au gobelin doté d’un plateau qu’elle veut le même, tout de suite. Leïla suit des yeux le manège de la jeune femme et soupire.
« Alors tu t’es mise à boire, toi aussi ? ». Khadija hausse une épaule. « Oui… d’puis l’aut’jour… quand Neal m’a dit qu’il avait un enfant... ». La femme sursaute et la regarde intensément. « Il est par là ? Où ça ? Il veut faire quoi ? Ne le laisse pas repartir là bas, ils vont le tuer, pour de bon cette fois ci… ».
Khadija boit de nouveau d’une traite le second verre de rhum apporté par le serveur, esquissant un petit sourire triste. « Il a pas l’air décidé à s’laisser tuer… d’t’te façon, il m’écoute pas et il veut voir son fils… ». Elle repose le verre sur la table, cherche vaguement le gobelin des yeux puis soupire le voyant plus loin, trop loin pour passer commande.
«Elle est où ?». Son ton est légèrement pâteux et flou, l’alcool servi dans l’auberge est particulièrement fort. « Qui ça ? ». Leïla a parfaitement compris mais n’est pas très à l’aise. Khadija part d’un rire hystérique. « Tu t’fiches de moi ? ». Leïla soupire longuement, laissant son regard parcourir la salle puis tente de regarder la jeune femme dans les yeux, sans succès. « Si je te dis qu’elle a cherché à te faire venir dans les montagnes… que c’est Liank qui l’en a empêchée parce qu’il savait qu’il vous retrouverait et vous tuerait, toutes les deux … qu’elle n’a eu de cesse d’essayer de te sauver… qu’elle n’a pas supporté de savoir comment Marrick te traitait… est ce que tu vas me croire ? ».
Khadija part dans un immense éclat de rire triste et rageur, faisant se retourner sur elle l’ensemble de la salle. « Non mais…. tu t’fiches vraiment d’moi là !!! Elle a cherché à m‘sauver ?!? Pendant tout l’temps où il faisait c’qu’il voulait d’moi et que personne disait rien ?!? Non mais !!! ». La jeune femme hurle si fort de rire, un rire devenu mauvais, que tous se taisent et la regardent, dans un silence terrifiant de malaise.
Leïla se lève et la prend par la main. « Ca suffit, on sort, j’ai quelque chose à te montrer. »
Khadija
Re: Renaissance.
L’air est étouffant, le sable chaud qui s’engouffre sous sa jupe est presque brûlant et ses pieds, qu’elle a sortis des petites sandales de peau qui la blessaient, ne sont plus que chair endolorie.
Elle marche sans un mot derrière Leïla depuis maintenant près de trois heures, sans une plainte, pas même un murmure. La femme est bien plus habituée qu’elle à marcher dans ce sable qui fuit sous leurs pieds et ralentit leur marche. Pas de vie en ville, de bottes pour se chausser, de marches pieds nus sur l’herbe tendre qui jouxte le lac, de promenades à dos de cheval, Leïla est une femme de Détrousseurs, une femme du désert, elle a de la corne sous la plante des pieds. Celle de Khadija a disparu depuis des mois, et n’est pas près de se reformer. La douleur qui fait grimacer Khadija la rappelle sans cesse à la réalité, elle a fui ce désert depuis plus de deux ans, elle n’est plus des leurs, elle en a même perdu les défenses corporelles.
La marche est épuisante, les montagnes qui bordent le désert au sud des ruines de Sudelune sont bien plus hautes que dans son souvenir. Mais est-elle vraiment déjà venue si loin, sans doute pas, et certainement pas si haut dans la montagne. Elle n’a pu qu’apercevoir de loin le dernier campement « humain », celui de l’expédition Marshal où Leïla est allée remplir leurs gourdes d’eau, lui intimant l’ordre de rester cachée derrière les rochers.
Elle a déjà bu toute l’eau de sa gourde et elle a déjà soif, elle regrette amèrement d’avoir bu autant de rhum avant de partir. Boire de l’alcool déshydrate, voilà pourquoi les Détrousseurs ne boivent pas avant de partir en voyage dans le désert.
De fil en aiguille, elle repense à son père, sobre lorsqu’il revenait de « chasse » mais très vite saoul et la plupart du temps dans un tel état de rage qu’il ne pouvait plus rien faire d’autre que gueuler, frapper, blesser, à la limite de la tuerie, toujours à la limite, un état qu’elle ne comprenait pas. Elle tremble en se remémorant le lit sous lequel elle se cachait tandis qu’il battait sa mère et la violait, puis qu’il venait la chercher pour finir de déverser sur elle la colère qui le tenait encore, à coups de ceinturon. Pourquoi cette colère… elle ne sait pas, elle s’est toujours demandé pourquoi sa mère supportait tout ça, comme si elle expiait une faute, ou que cela lui convenait.
Soufflant de fatigue dans l’écharpe qu’elle a enroulée autour de son visage pour se protéger du sable qui s’incruste partout, Khadija tente de s’occuper l’esprit.
Quelle faute sa mère a-t-elle bien pu commettre pour subir aussi longtemps la colère de son père… Pourquoi n’avait-elle jamais vu les choses sous cet angle… sa mère subissait la Loi des hommes du Clan, telle était la raison qu’elle imaginait, enfant, comme seule réponse possible à ses terreurs. Il devait y avoir une autre raison, puisqu’elle s’est finalement enfuie, la laissant seule avec ce fou qui l’a prise pour femme, elle, sa propre fille.
Seule… non, elle n’était pas seule, car il y avait Neal. Neal le tendre compagnon de ses moments de profond désarroi, toujours présent, silencieux, attendant qu’elle ait fini de pleurer, de hurler sa rage, de se vider de cette colère qui lui faisait horreur. Une colère qui ressemblait à celle de son père disait-elle en pleurant.
Elle passe ses doigts sous le foulard et essuie d’un revers de main le sable qui est venu se coller à ses lèvres, resongeant au dernier baiser dans cette chambre de l’auberge. Un baiser, unique, qui l’a tout d’abord transportée loin en arrière, dans cet émoi de leur dernière après midi passée sous la tente avant qu’elle ne s’enfuit, puis très rapidement transportée ailleurs, dans une sensation qu’elle n’a pas comprise, tourbillon d’émotions contradictoires et violentes, jouissance et peur mélangées. Un baiser qui l’a laissée inerte dans ses bras, prête à tout accepter sans pouvoir se défendre, empêcher, se refuser.
Khadija tremble malgré la chaleur étouffante du vent qui l’enveloppe, elle sait que quelque chose d’elle s’est dit dans ce baiser qu’elle n’a pas voulu, pas pu, apprécier. Par peur… mais de quoi ?
Enfin Leïla semble freiner sa course, cherchant des yeux quelque chose, posant sa main en visière au dessus de ses yeux, le corps courbé sous le vent gorgé de sable qui les repousse vers l’aval. Elle émet un long cri, sorte de mélopée stridente qui semble être un signe de ralliement. Des oiseaux de proie, vautours sans doute, tournoient autour des deux femmes, comme s’ils indiquaient leur présence à d’autres.
"Pilipilpipilipilipilipilipiliii !"
Une silhouette apparaît tout à coup au loin sur le versant ouest, en aval d’un pic escarpé. La silhouette, haute et large, recouverte d’un grand manteau et d’une capuche qui cachent ses formes, lève un bras en signe de reconnaissance. Leïla crie de joie et se tourne vers Khadija.
"Ca y est Esha ! Nous voilà presque arrivées, courage !"
Elle marche sans un mot derrière Leïla depuis maintenant près de trois heures, sans une plainte, pas même un murmure. La femme est bien plus habituée qu’elle à marcher dans ce sable qui fuit sous leurs pieds et ralentit leur marche. Pas de vie en ville, de bottes pour se chausser, de marches pieds nus sur l’herbe tendre qui jouxte le lac, de promenades à dos de cheval, Leïla est une femme de Détrousseurs, une femme du désert, elle a de la corne sous la plante des pieds. Celle de Khadija a disparu depuis des mois, et n’est pas près de se reformer. La douleur qui fait grimacer Khadija la rappelle sans cesse à la réalité, elle a fui ce désert depuis plus de deux ans, elle n’est plus des leurs, elle en a même perdu les défenses corporelles.
La marche est épuisante, les montagnes qui bordent le désert au sud des ruines de Sudelune sont bien plus hautes que dans son souvenir. Mais est-elle vraiment déjà venue si loin, sans doute pas, et certainement pas si haut dans la montagne. Elle n’a pu qu’apercevoir de loin le dernier campement « humain », celui de l’expédition Marshal où Leïla est allée remplir leurs gourdes d’eau, lui intimant l’ordre de rester cachée derrière les rochers.
Elle a déjà bu toute l’eau de sa gourde et elle a déjà soif, elle regrette amèrement d’avoir bu autant de rhum avant de partir. Boire de l’alcool déshydrate, voilà pourquoi les Détrousseurs ne boivent pas avant de partir en voyage dans le désert.
De fil en aiguille, elle repense à son père, sobre lorsqu’il revenait de « chasse » mais très vite saoul et la plupart du temps dans un tel état de rage qu’il ne pouvait plus rien faire d’autre que gueuler, frapper, blesser, à la limite de la tuerie, toujours à la limite, un état qu’elle ne comprenait pas. Elle tremble en se remémorant le lit sous lequel elle se cachait tandis qu’il battait sa mère et la violait, puis qu’il venait la chercher pour finir de déverser sur elle la colère qui le tenait encore, à coups de ceinturon. Pourquoi cette colère… elle ne sait pas, elle s’est toujours demandé pourquoi sa mère supportait tout ça, comme si elle expiait une faute, ou que cela lui convenait.
Soufflant de fatigue dans l’écharpe qu’elle a enroulée autour de son visage pour se protéger du sable qui s’incruste partout, Khadija tente de s’occuper l’esprit.
Quelle faute sa mère a-t-elle bien pu commettre pour subir aussi longtemps la colère de son père… Pourquoi n’avait-elle jamais vu les choses sous cet angle… sa mère subissait la Loi des hommes du Clan, telle était la raison qu’elle imaginait, enfant, comme seule réponse possible à ses terreurs. Il devait y avoir une autre raison, puisqu’elle s’est finalement enfuie, la laissant seule avec ce fou qui l’a prise pour femme, elle, sa propre fille.
Seule… non, elle n’était pas seule, car il y avait Neal. Neal le tendre compagnon de ses moments de profond désarroi, toujours présent, silencieux, attendant qu’elle ait fini de pleurer, de hurler sa rage, de se vider de cette colère qui lui faisait horreur. Une colère qui ressemblait à celle de son père disait-elle en pleurant.
Elle passe ses doigts sous le foulard et essuie d’un revers de main le sable qui est venu se coller à ses lèvres, resongeant au dernier baiser dans cette chambre de l’auberge. Un baiser, unique, qui l’a tout d’abord transportée loin en arrière, dans cet émoi de leur dernière après midi passée sous la tente avant qu’elle ne s’enfuit, puis très rapidement transportée ailleurs, dans une sensation qu’elle n’a pas comprise, tourbillon d’émotions contradictoires et violentes, jouissance et peur mélangées. Un baiser qui l’a laissée inerte dans ses bras, prête à tout accepter sans pouvoir se défendre, empêcher, se refuser.
Khadija tremble malgré la chaleur étouffante du vent qui l’enveloppe, elle sait que quelque chose d’elle s’est dit dans ce baiser qu’elle n’a pas voulu, pas pu, apprécier. Par peur… mais de quoi ?
Enfin Leïla semble freiner sa course, cherchant des yeux quelque chose, posant sa main en visière au dessus de ses yeux, le corps courbé sous le vent gorgé de sable qui les repousse vers l’aval. Elle émet un long cri, sorte de mélopée stridente qui semble être un signe de ralliement. Des oiseaux de proie, vautours sans doute, tournoient autour des deux femmes, comme s’ils indiquaient leur présence à d’autres.
"Pilipilpipilipilipilipilipiliii !"
Une silhouette apparaît tout à coup au loin sur le versant ouest, en aval d’un pic escarpé. La silhouette, haute et large, recouverte d’un grand manteau et d’une capuche qui cachent ses formes, lève un bras en signe de reconnaissance. Leïla crie de joie et se tourne vers Khadija.
"Ca y est Esha ! Nous voilà presque arrivées, courage !"
Khadija
Re: Renaissance.
Les créatures qui déambulent entre les lourdes tentures de lin crème fascinent Khadija. Assise comme les autres sur une des grandes nattes colorées, en cercle et face au feu qui crépite dans la nuit, elle suit des yeux les "êtres-chats", qui s’activent ici et là au milieu des humains et de quelques gobelins qui partagent le repas du soir.
Des bols en terre cuite, remplis de nourritures variées, sucrées, salées, douces ou amères, passent de mains en mains, des outres suivent et se déversent dans de petits verres de céramique blanche, des rires fusent de part et d’autre, quelques éclats de voix, des tractations amusées, des secrets, des ordres, une femme et un homme, habillés pareillement, créent un fond sonore étrange, mélopée envoûtante d’une voix féminine claire et sensuelle et d’une percussion basse, virile et chaude. En ce soir d’été dans les hauteurs des montagnes du sud ouest de Tanaris, l’ambiance est étonnante, tout à la fois harmonieuse et détonante, mélange de tension et d’assurance, d’étrangeté et d’ancestralité.
Depuis leur arrivée, Leïa a d’abord présenté Khadija aux humains comme "la fille d’une amie", puis aux « êtres chats », les Tol’Vir, comme "sa fille", en prononçant le "sa" dans un murmure teinté de fierté et de respect. Toutes ces présentations ont eu pour effet de rendre les humains simplement aimables ou attirés par son joli minois, tandis que les créatures aux quatre pattes et aux visages de félins la regardent avec une sorte de déférence qui la mettrait presque mal à l’aise.
Très vite, la nuit tombant, toutes les personnes présentes en ces lieux ont été conviées à se rassembler sous la grande tente placée au cœur d’un campement qui rappelle à Khadija ceux qu’elle a connus avec les Détrousseurs. Un campement organisé en cercles concentriques autour d’une sorte de place centrale où tous se retrouvent pour dîner, palabrer, décider, autour d’un chef.
Mais justement, où est donc le chef ? Parmi tous ceux qui sont assis autour du feu, personne ne semble avoir d’ascendant sur les autres, aucun de ces hommes et de ces femmes, tous assis sur les nattes apparemment sans hiérarchie, ne semble être traité comme un chef. Probablement y a t-il une autre tente pour les chefs, à l’écart de la foule qui s’anime autour d’elle, se dit Khadija. Elle est tellement étonnée par le mélange des êtres qu’elle en oublie de se servir et de manger, se contentant de faire passer les bols et les outres sans s’en préoccuper.
Leïa est très occupée à discuter avec trois humains, deux hommes et une femme, qui, sans cesse, reportent leurs regards sur Khadija en hochant la tête. Nul doute qu’ils parlent d’elle, et cela l’agace. Elle sent la tension monter en elle et s’apprête à se lever pour leur dire trois mots quand tout à coup, d’un seul et même mouvement, les voix se taisent et les gestes se figent. Un léger murmure glisse entre les lèvres. "Voilà le Prince…".
Toutes les têtes, y compris celle de Khadija qui suit le mouvement des autres, se tournent alors vers une tenture que deux gardes Tol’Vir soulèvent avec cérémonie. Voilà donc le chef qui arrive. Il est imposant, non par sa taille, imposante certes, mais pas plus que celle des gardes de la même race, mais par sa prestance, son regard perçant, son visage serein et plein d’assurance, ses vêtements recouverts d’or, ses bijoux et la tiare ouvragée en forme de cornes de bélier qui indique son rang.
Un autre murmure parcourt alors l’assemblée, peut-être le nom du Prince ou une phrase rituelle que Khadija ne comprend pas et tous se lèvent, puis s’inclinent très bas en signe de respect. Le prince avance lentement, hochant doucement la tête, et c’est alors que Khadija «la» voit. Une femme humaine suit le Prince, comme si elle était son épouse, ou en tout cas suffisamment proche de lui pour qu’il la pousse légèrement par la taille, comme il le ferait de sa compagne.
Khadija se fige, les yeux écarquillés, parcourant de haut en bas la silhouette qu’elle croit reconnaître.…. Mais oui… c’est bien sa mère ! Kalïcha, sa mère, est là aux côtés du prince Tol’Vir, transfigurée, le visage serein et doux, mais altière, presque princière, habillée de soie et d’or. Belle à couper le souffle, elle pose un regard sûr et doux sur Khadija qui sent alors ses jambes se dérober sous elle et s’évanouit au beau milieu des bols encore pleins de nourriture.
Des bols en terre cuite, remplis de nourritures variées, sucrées, salées, douces ou amères, passent de mains en mains, des outres suivent et se déversent dans de petits verres de céramique blanche, des rires fusent de part et d’autre, quelques éclats de voix, des tractations amusées, des secrets, des ordres, une femme et un homme, habillés pareillement, créent un fond sonore étrange, mélopée envoûtante d’une voix féminine claire et sensuelle et d’une percussion basse, virile et chaude. En ce soir d’été dans les hauteurs des montagnes du sud ouest de Tanaris, l’ambiance est étonnante, tout à la fois harmonieuse et détonante, mélange de tension et d’assurance, d’étrangeté et d’ancestralité.
Depuis leur arrivée, Leïa a d’abord présenté Khadija aux humains comme "la fille d’une amie", puis aux « êtres chats », les Tol’Vir, comme "sa fille", en prononçant le "sa" dans un murmure teinté de fierté et de respect. Toutes ces présentations ont eu pour effet de rendre les humains simplement aimables ou attirés par son joli minois, tandis que les créatures aux quatre pattes et aux visages de félins la regardent avec une sorte de déférence qui la mettrait presque mal à l’aise.
Très vite, la nuit tombant, toutes les personnes présentes en ces lieux ont été conviées à se rassembler sous la grande tente placée au cœur d’un campement qui rappelle à Khadija ceux qu’elle a connus avec les Détrousseurs. Un campement organisé en cercles concentriques autour d’une sorte de place centrale où tous se retrouvent pour dîner, palabrer, décider, autour d’un chef.
Mais justement, où est donc le chef ? Parmi tous ceux qui sont assis autour du feu, personne ne semble avoir d’ascendant sur les autres, aucun de ces hommes et de ces femmes, tous assis sur les nattes apparemment sans hiérarchie, ne semble être traité comme un chef. Probablement y a t-il une autre tente pour les chefs, à l’écart de la foule qui s’anime autour d’elle, se dit Khadija. Elle est tellement étonnée par le mélange des êtres qu’elle en oublie de se servir et de manger, se contentant de faire passer les bols et les outres sans s’en préoccuper.
Leïa est très occupée à discuter avec trois humains, deux hommes et une femme, qui, sans cesse, reportent leurs regards sur Khadija en hochant la tête. Nul doute qu’ils parlent d’elle, et cela l’agace. Elle sent la tension monter en elle et s’apprête à se lever pour leur dire trois mots quand tout à coup, d’un seul et même mouvement, les voix se taisent et les gestes se figent. Un léger murmure glisse entre les lèvres. "Voilà le Prince…".
Toutes les têtes, y compris celle de Khadija qui suit le mouvement des autres, se tournent alors vers une tenture que deux gardes Tol’Vir soulèvent avec cérémonie. Voilà donc le chef qui arrive. Il est imposant, non par sa taille, imposante certes, mais pas plus que celle des gardes de la même race, mais par sa prestance, son regard perçant, son visage serein et plein d’assurance, ses vêtements recouverts d’or, ses bijoux et la tiare ouvragée en forme de cornes de bélier qui indique son rang.
Un autre murmure parcourt alors l’assemblée, peut-être le nom du Prince ou une phrase rituelle que Khadija ne comprend pas et tous se lèvent, puis s’inclinent très bas en signe de respect. Le prince avance lentement, hochant doucement la tête, et c’est alors que Khadija «la» voit. Une femme humaine suit le Prince, comme si elle était son épouse, ou en tout cas suffisamment proche de lui pour qu’il la pousse légèrement par la taille, comme il le ferait de sa compagne.
Khadija se fige, les yeux écarquillés, parcourant de haut en bas la silhouette qu’elle croit reconnaître.…. Mais oui… c’est bien sa mère ! Kalïcha, sa mère, est là aux côtés du prince Tol’Vir, transfigurée, le visage serein et doux, mais altière, presque princière, habillée de soie et d’or. Belle à couper le souffle, elle pose un regard sûr et doux sur Khadija qui sent alors ses jambes se dérober sous elle et s’évanouit au beau milieu des bols encore pleins de nourriture.
Khadija
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