Renaître de Theramore

L'après-coup

Hurlevent, au cœur d'une nuit fraiche d'été. Une nuit qui a eu son lot de chagrins et de lamentations, de deuils et de prières, la première après la disparition de Theramore. Des civils, des soldats, une poignée de blessés et quelques aventuriers, c'est tout ce qu'il restait des habitants de la cité humaine de Kalimdor, tout ceux qui avaient pu passer les portails arcaniques avant que la bombe n'explose. On avait directement pris en charge les rescapés qui étaient apparus, hurlants, terrorisés, dans la tour des mages. Les blessés avaient été amenés à la Cathédrale, les civils logés gracieusement par les habitants et les soldats répartis dans les différents points de commandement pour donner leurs comptes rendus des évènements. Quant aux aventuriers, ils s'étaient dispersés, habitués, pour la plupart, aux atrocités de la guerre.

Dans les rares tavernes encore ouvertes commence le ménage du soir. Quelques ivrognes sont jeté sur les pavés de la cité, ils y passeront probablement la nuit; entre un pavé sec et un vent glacial. Ça et là, quelques clients s'attardent, racontant des rumeurs, pas toujours claires, sur les évènements de la journée à des taverniers à l'écoute, mais pas toujours intéressés. C'est dans cette ville, en ce soir, dans une de ces tavernes, au Solitaire Bleu, qu'il est assis, une bouteille de whisky Tirassien posé sur la table, un verre carré dans la main, le regard vague fixé sur les remous du liquide iodé se balançant dans le fond du verre. On pourrait le prendre pour un ivrogne habitué des lieux si ses origines ne se devinaient pas au premier regard; les cheveux roux et longs, les yeux vert, le teint halé, richement vêtu d'une tenue d'un vert émeraude éclatant, bien que légèrement sale, et, surtout, un tabard blanc aux bordures dorés avec une ancre, dorée également, sur le devant.

Il est donc là, assis à la table sous l'escalier de gauche du Solitaire Bleu, perdu dans ses pensées, ses souvenirs, ceux qu'il n'a pas oubliés, du moins. Les images se bousculent dans sa tête, se succédant de manière effrénée et chaotique, sans ordre aucun : l'incursion de la Horde dans Theramore, l'image du zeppelin et de la bombe, puis les gens qui hurlent, qui se précipitent, se bousculent, une explosion enflammée, l'explosion du portail, la mort, la corruption, La bataille de la veille au soir, le torrent d'énergie qui traverse son corps, sa mère qui pleure, les blessés, Archandre, le plus enclin à cacher ses émotions, la peur dans les yeux, Akh et Rugon introuvables, les obsèques de son frère, Valadilenne qui lui hurle quelque chose d'inaudible dans la panique, la rage qui se déverse dans son esprits, assombri tout, le canon qui explose, la peur, son père qui meurt...

Ses yeux s'ouvrent, sa main, crispée sur le verre, rougeoie, le whisky dans son verre bouillonne, une légère vapeur s'échappe du verre. La dernière image ne s'en va pas, gravée dans le chaos sans nom qu'est son esprit, l'instant exact où tout bascule. Dans une déchirure viscéral infâme, il le voit, le visage pétrifié par l'horreur qui lui est infligée, les yeux écarquillés par la peur, défiguré par l'horrible agonie alors que son corps se sépare en deux. Puis c'est les mêmes émotions qui reviennent : la peur, la rage, la colère, la douleur, la haine, la vengeance. Un distillat de violence qui suinte de chaque pore de sa peau. Son corps bouillonne, son âme fulmine, son esprit est égaré. Petit a petit il ravale sa colère, grain par grain, il sent son ventre se contracter de douleur, sa mâchoire grince puis se décontracte, ses muscles se relâchent, sa main se décrispe, petit à petit il pose le verre et son regard baisse en intensité, son corps s’apaise puis son âme se tord de chagrin mais son esprit tien la barre, rien ne transparait. Il prend son verre encore bouillant, le rempli à raz-bord puis avale le tout d'un trait, et voilà que son âme se tait.