Jours de peine, nuit sans lune
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Jours de peine, nuit sans lune
Assis dans ce qui semble être un camp militaire, un homme occupé à aiguiser ses lames replonge dans son passé. Solitaire. Seul résonne le chuintement de l'acier sur la pierre.
L'haleine glacée de l'hiver, soufflée par le vent du Nord, nimbait les conifères d'une mince couverture de givre qui luisait doucement, scintillante, à la lueur de la lune complète. L'Enfant Bleu s'était d'ores et déjà réfugié dans l'étreinte de l'horizon, seule restait la Dame Blanche qui traînait sa majesté fantomatique à travers l'étendue sombre du ciel nocturne.
Alors que le monde endormi résonnait uniquement du grincement des arbres agités par le vent, les odeurs elles semblaient figées dans l'air cristallin, comme gelées, spectrales; la bise répandait seulement le parfum du froid et des premières neiges.
Lui courait dans cet univers restreint par la nuit, solitaire, grisé par sa course. Le vent dans sa fourrure, le sol sous ses pattes, la lumière blafarde, le silence de l'absolu autour de lui l'enivraient, l'incitant à s'élancer toujours plus vite, vers ce lointain qui se devinait à peine, noyé par l'épaisseur de l'obscurité immobile.
Mais la conscience de la meute le retenait et le fit finalement ralentir et s'arrêter.
Levant la gueule vers le visage pâle de la lune, il se mit à hurler; aucune nécessité de signaler les proies ou de préciser sa position dans ce cri, rien d'autre que le besoin de chanter sa solitude, rien d'autre qu'un pauvre arpège froid, une mélopée comme amoindrie par l'absence. Il chantait, chantait sa solitude, son éloignement, son abandon. Seul, tête dressée, ses yeux d'ambre vert clos, sa fourrure frémissant sous la morsure vive de la bise.
Le silence explosa autour de lui et l'espace d'un instant, la forêt sembla à l'écoute, polarisant sur lui son attention séculaire; vigilante, attentive avec cette intensité particulière qui se braque sur celui qui brise le profond silence du sommeil, elle tourna son regard sans yeux vers lui, dérisoire silhouette tissée d'ombres nocturnes.
Et, dans le lointain, la meute répondit.
Chant sauvage aux multiples voix emmêlées, il s'élevait à travers le ciel, puissante et réconfortante harmonie. Prodigieuse alchimie des sons, le hurlement des loups portait une sensation grisante d'unité.
Étrangement rassuré, il reprit sa course.
Nous sommes un, à jamais.
L'haleine glacée de l'hiver, soufflée par le vent du Nord, nimbait les conifères d'une mince couverture de givre qui luisait doucement, scintillante, à la lueur de la lune complète. L'Enfant Bleu s'était d'ores et déjà réfugié dans l'étreinte de l'horizon, seule restait la Dame Blanche qui traînait sa majesté fantomatique à travers l'étendue sombre du ciel nocturne.
Alors que le monde endormi résonnait uniquement du grincement des arbres agités par le vent, les odeurs elles semblaient figées dans l'air cristallin, comme gelées, spectrales; la bise répandait seulement le parfum du froid et des premières neiges.
Lui courait dans cet univers restreint par la nuit, solitaire, grisé par sa course. Le vent dans sa fourrure, le sol sous ses pattes, la lumière blafarde, le silence de l'absolu autour de lui l'enivraient, l'incitant à s'élancer toujours plus vite, vers ce lointain qui se devinait à peine, noyé par l'épaisseur de l'obscurité immobile.
Mais la conscience de la meute le retenait et le fit finalement ralentir et s'arrêter.
Levant la gueule vers le visage pâle de la lune, il se mit à hurler; aucune nécessité de signaler les proies ou de préciser sa position dans ce cri, rien d'autre que le besoin de chanter sa solitude, rien d'autre qu'un pauvre arpège froid, une mélopée comme amoindrie par l'absence. Il chantait, chantait sa solitude, son éloignement, son abandon. Seul, tête dressée, ses yeux d'ambre vert clos, sa fourrure frémissant sous la morsure vive de la bise.
Le silence explosa autour de lui et l'espace d'un instant, la forêt sembla à l'écoute, polarisant sur lui son attention séculaire; vigilante, attentive avec cette intensité particulière qui se braque sur celui qui brise le profond silence du sommeil, elle tourna son regard sans yeux vers lui, dérisoire silhouette tissée d'ombres nocturnes.
Et, dans le lointain, la meute répondit.
Chant sauvage aux multiples voix emmêlées, il s'élevait à travers le ciel, puissante et réconfortante harmonie. Prodigieuse alchimie des sons, le hurlement des loups portait une sensation grisante d'unité.
Étrangement rassuré, il reprit sa course.
Nous sommes un, à jamais.
Dernière édition par La Dame le Dim 07 Avr 2013, 13:31, édité 1 fois
La Dame
Re: Jours de peine, nuit sans lune
Esquilles de Lumière
La Horde avait déferlé, hurlante, deux ans auparavant et depuis les rumeurs de la guerre ne cessaient de s'étendre. A cette époque, nous autres Maerith nous tenions plutôt à l'écart de tout cela, même si le Comte et sa dame accomplissaient leur devoir de paladins.
A cette époque, j'errais déjà seul dans les couloirs du manoir, enfant sombre et taciturne. Je côtoyais de fait peu mes propres parents, et aucun autre enfant. On me montrait peu, on me tenait à l'écart de tous, prétextant une constitution fragile. Certes, les rumeurs couraient déjà sur mon ascendance, mais j'étais trop jeune pour les saisir pleinement.
On a tenté à partir de ces années de m'inculquer les manières de la noblesse; d'enfant sauvage, je devins petite ombre, apparaissant et disparaissant à son gré. J'étais toujours à demi plongé dans les ténèbres. Je fuyais celles et ceux qui étaient chargés de mon éducation. Étonnamment, on m'accordait cela.
Toutefois, je n'étais pas le seul à rôder dans le manoir. Je me sentais souvent observé, et dans ces moments-là, je m'imaginais le bâtiment hanté.
Ce ne fut pas une enfance particulièrement malheureuse.
Puis, alors que je devais approcher de ma cinquième année, Père fut à nouveau présent, Mère avec lui. Ma vie a alors changé. J'apparaissais quelques fois en public, et, même si je parvenais à m'isoler la plupart du temps, nul ne pouvait fuir impunément Arkhat Lightdream Maerith. Ah... Je le voyais alors comme un grand homme, droit, sévère mais juste, auréolé de cette Lumière que j'évitais sans pouvoir m'empêcher de l'admirer.
Oui, nous étions une famille de paladins. Nous servions la très Sainte.
A partir de ces années-là, j'ai commencé à changer. Je n'étais certes pas un enfant normal, mais j'étais suffisamment malin pour me rendre compte que mon éducation était trop disparate. Les années passant, ce sentiment se renforçait. Il était clair pour tout le monde que je n'étais pas destiné à hériter du titre de mon père.
Pire que cela, la Lumière refusait de me répondre, malgré les longues séances de prières et de méditation.
Bien sûr que je croyais en Elle. Je La voyais souvent à l’œuvre, et sa puissance ardente, séculaire, m'aveuglait. J'étais un enfant de l'ombre.
Une nouvelle fois repoussé dans les ténèbres, mon existence prit encore un tour différent. Qu'allait-on faire de moi ?
Père me retenait auprès de lui pour d'infinies discussions autour des thèmes de la patrie, de la famille, du devoir. Nous étions au cœur de Lordaeron, j'y étais donc bien sensible. A cet âge-là, j'avais fini par avoir une sœur, et j'aurais bientôt un frère ou une autre sœur, mais, de nous deux, j'étais celui qui polarisait le plus d'attention et d'efforts de la part de notre père.
"Nous sommes un, à jamais, disait-il. Telle est, comme tu le sais, notre devise. La famille est notre première valeur, et cela sera ton rôle : protéger les nôtres. Sans ta famille, tu n'es plus rien; elle est ta force, ton honneur, ta richesse et ton seul but. Il n'y a rien d'autre qui compte. Les amis et les amours vont et viennent, ils n'ont aucune substance. La famille était là avant toi, elle est là pour toi, et tu dois t'assurer qu'elle sera là après toi. Comprends-tu ?"
Je hochais la tête, convaincu.
Les années continuèrent à défiler et la famille à s'agrandir. Une deuxième sœur était née, après deux frères; outre les rumeurs de jumeaux perdus, nous étions désormais six fils et filles Maerith.
Seul descendant aux cheveux noirs, je demeurais à l'écart des rouquins, enfants plus joyeux dont l'éducation les destinaient à la cour et à la noblesse.
"Fenhris ! Regarde !"
J'ai sursauté, bondit de côté, un éclair lumineux luisant brièvement en lisière de mon champ de vision. Je me suis vivement retourné vers Sherlotta, qui, les yeux écarquillés, visiblement étonnée de ma réaction, se tenait à mes côtés.
"C'était... c'était juste une bénédiction qu'Aemilia m'a apprise ..."
J'ai regretté la brutalité de ma réaction. Peut-être que si j'avais agi autrement, le présent serait tout à fait différent.
J'ai forcé mes muscles à se détendre et me suis efforcé de lui sourire. Elle avait huit ans à l'époque, et moi deux de plus. Sa gentillesse et son indulgence m'étaient totalement incompréhensibles, mais elle était comme un rayon de lumière dans mon monde d'ombres, une lumière radieuse, rassurante, loin d'être aveuglante.
Sherlotta, ma sœur préférée.
- "Désolé, ai-je grommelé, tu m'as surpris."
Elle a souri à son tour.
- "Pourquoi restes-tu toujours seul ? Viens avec nous", a-t-elle chuchoté, comme si elle voulait éviter d'effaroucher un chat sauvage, une main tendue vers moi.
Elle désignait les autres. Nos frères. Bien malgré moi, je me suis à nouveau tendu.
- "C'est que ... Vous êtes des nobles, vous. Tous sages, et ... Lumineux."
Méditant mes mots, Sherlotta a observé nos frères jouant dans une flaque de soleil.
- "Mais tu es comme nous."
Je n'ai pas saisi la main tendue, et cela aussi je le regrette profondément. Mais pour moi, ce jour-là, c'était comme si un monde nous séparait. J'avais beau l'apprécier, je ne pouvais pas lui expliquer. J'ai préféré fuir.
Par la suite, il lui arrivait de plus en plus de venir s'assoir à mes côtés pour de longues conversations. Elle essayait de comprendre, de me comprendre.
Mais il était toutefois un peu trop tard. J'avais été élevé ainsi. Et quelques décennies n'étaient pas parvenues à me changer.
Dernière édition par La Dame le Ven 09 Mai 2014, 12:43, édité 2 fois
La Dame
Re: Jours de peine, nuit sans lune
D'acier
"Lève-toi et reprends ta lame."
Cinglante, la voix d'Encanis avait claqué, et je me suis exécuté.
Encanis.
Homme étrange au regard de glace, sévère et secret. C'était l'homme que père avait choisi pour me former. Encanis m'apprenait à utiliser les ombres.
En véritable furtif, il était bardé d'une armure de cuir sombre, sobre et discrète, qui cachait des dizaines de lames en tout genre et de toutes tailles. Il s'agissait d'un noble, évidemment. Selon père, il était baron. Lord Encanis Malgwen, de la Maison Stenmar. A l'époque, je n'en avais jamais entendu parler. Aujourd'hui, j'en sais à peine plus. Ces gens-là se mêlent d'affaires louches mais ne sont répertoriés nulle part. Une Maison fantôme.
Ce jour-là, la pluie battait les pavés sans relâche, ruisselant des toitures et formant des milliers de ruisselets qui allaient se perdre dans les caniveaux embourbés. Le ciel de plomb ne laissait passer aucune lumière alors que la capitale semblait écrasée par les trombes d'eau.
Nous avancions là-dedans, invisibles sous nos lourdes capes détrempées, jusqu'à parvenir sous un porche éclairé par une lanterne vacillante. Il se tenait là, comme une des ombres mouvantes et dansantes projetées par la flamme. Quiconque ignorant qu'il se trouvait ici ne l'aurait pas remarqué.
Les ombres.
Il en est sorti et est venu vers nous, son visage noyé dans l'obscurité régnant sous son capuchon. Il nous attendait.
Père et lui ont discuté alors que je l'observais. Ses mouvements avaient une fluidité presque animale, et il dégageait une aura de danger, de violence contenue, latente.
Puis, son capuchon s'est tourné vers moi et j'ai entrevu deux yeux, de glace et d'acier. J'étais cloué sur place par ce regard calme et sans gêne qui me jaugeait, froid, indifférent. Il s'est détourné.
Qui était cet homme ? Que voulait-il ? Pourquoi un Comte lui adressait-il une telle déférence ?
Je n'avais pas peur. Ce mystère m'attirait irrésistiblement, les ombres m'appelaient et m'invitaient à les rejoindre dans leur danse...
Une main s'est posée sur mon épaule, brisant leur charme hypnotique. Encanis avait disparu.
Dernière édition par La Dame le Ven 09 Mai 2014, 12:43, édité 1 fois
La Dame
Re: Jours de peine, nuit sans lune
Un bruit de pas résonne, faisant cesser l'activité du Comte qui détache son regard de l'acier pour le poser sur l'arrivant.
C'est un homme bien plus âgé que lui qui s'assoit à ses côtés, placé de façon à pouvoir garder un œil sur l'ensemble du camp. Un visage fatigué, marqué, aux traits durs, dans lequel luit un regard vif.
"Novan. Tu ne devais pas surveiller Elodin ?" lui demande paisiblement le Comte, s'attirant un regard agacé du vétéran à la mention du sergent fou.
"- Allez-vous réellement nous mener au Val-d'Or ?
- Oui."
La réponse est froide, aussi froide que l'acier toujours entre les mains de l'homme.
Novan Wellis garde le silence quelques instants.
"- Nous ne sommes qu'une quarantaine" fait-il finalement remarquer. "Et nos officiers sont... inexpérimentés."
Le Comte le dévisage jusqu'à ce qu'il finisse par détourner le regard.
"- Aiglepic enverra, selon le lord Branner, deux cent hommes. Nous ne risquerons donc pas grand chose là-bas. Et en cas de traîtrise de Kiel, nous pourrons intervenir plus efficacement."
Il marque une pause, baisse le regard vers sa lame, posée en travers de ses genoux.
"Quant à nos officiers... Je t'accorde que Bast est jeune. Mais c'est une forte tête, et il est malin. Il n'aura aucun problème à gagner le respect de ses hommes. Elodin..."
Le silence est plus long, cette fois.
"J'ignore son âge. Il a l'air aussi jeune que Bast, mais plus ancien que toi."
Novan lâche un grognement.
"- Il est fou. Il n'y a rien à en tirer, j'ai essayé."
Le Comte laisse échapper un rire.
"- Laisse-le agir à sa guise, et, à défaut de lui accorder ta confiance, accorde-la moi. Il a su me convaincre et je me porte garant de lui.
- Vous êtes aussi fou que lui, Comte."
Ils se mettent alors à observer le sergent en question, occupé à tracer du bout du doigt des runes colorées sur la surface sale d'un miroir terni, grimaçant à son reflet. S'il était vêtu comme un prince, de velours et de soieries sorties d'on ne sait où, rien dans sa tenue n'accrochait la lumière, et aucun bijou ne tintait dans sa parure.
Novan grogne de nouveau comme un ours bourru et se lève, mécontent. Le Comte l'observe un moment invectiver Elodin qui répond par des piques affreusement justes.
Puis l'acier capte son regard et le voile des souvenirs retombe sur lui.
C'est un homme bien plus âgé que lui qui s'assoit à ses côtés, placé de façon à pouvoir garder un œil sur l'ensemble du camp. Un visage fatigué, marqué, aux traits durs, dans lequel luit un regard vif.
"Novan. Tu ne devais pas surveiller Elodin ?" lui demande paisiblement le Comte, s'attirant un regard agacé du vétéran à la mention du sergent fou.
"- Allez-vous réellement nous mener au Val-d'Or ?
- Oui."
La réponse est froide, aussi froide que l'acier toujours entre les mains de l'homme.
Novan Wellis garde le silence quelques instants.
"- Nous ne sommes qu'une quarantaine" fait-il finalement remarquer. "Et nos officiers sont... inexpérimentés."
Le Comte le dévisage jusqu'à ce qu'il finisse par détourner le regard.
"- Aiglepic enverra, selon le lord Branner, deux cent hommes. Nous ne risquerons donc pas grand chose là-bas. Et en cas de traîtrise de Kiel, nous pourrons intervenir plus efficacement."
Il marque une pause, baisse le regard vers sa lame, posée en travers de ses genoux.
"Quant à nos officiers... Je t'accorde que Bast est jeune. Mais c'est une forte tête, et il est malin. Il n'aura aucun problème à gagner le respect de ses hommes. Elodin..."
Le silence est plus long, cette fois.
"J'ignore son âge. Il a l'air aussi jeune que Bast, mais plus ancien que toi."
Novan lâche un grognement.
"- Il est fou. Il n'y a rien à en tirer, j'ai essayé."
Le Comte laisse échapper un rire.
"- Laisse-le agir à sa guise, et, à défaut de lui accorder ta confiance, accorde-la moi. Il a su me convaincre et je me porte garant de lui.
- Vous êtes aussi fou que lui, Comte."
Ils se mettent alors à observer le sergent en question, occupé à tracer du bout du doigt des runes colorées sur la surface sale d'un miroir terni, grimaçant à son reflet. S'il était vêtu comme un prince, de velours et de soieries sorties d'on ne sait où, rien dans sa tenue n'accrochait la lumière, et aucun bijou ne tintait dans sa parure.
Novan grogne de nouveau comme un ours bourru et se lève, mécontent. Le Comte l'observe un moment invectiver Elodin qui répond par des piques affreusement justes.
Puis l'acier capte son regard et le voile des souvenirs retombe sur lui.
La Dame
Re: Jours de peine, nuit sans lune
Encanis
Il ne maniait pas les ombres. Il était une ombre. Cet homme était insaisissable.
Aussi vif qu'un chat sauvage, il bondissait, apparaissait et disparaissait, ses mouvements formant une danse complexe que j'étais censé suivre.
Que j'étais incapable de suivre.
J'étais désespérément lourd et maladroit.
Moi qui me targuait de connaître l'obscurité, je devais m'avouer que je ne savais rien d'elle.
Pourtant, je la sentais, indistinctement, derrière chaque chose. Elle me tendait la main. Mais j'étais incapable de la rejoindre et de me fondre en elle.
La frustration que je tirais de cet échec était tellement vive qu'il m'arrivait souvent de rester éveillé, la nuit, simplement à baigner dans cette obscurité, à la contempler, à la laisser m'imprégner tout entier, âme et corps. Elle était intense et opaque, et je m'imaginais disparaître en elle.
Elle me murmurait que chaque chose venait en son heure. Elle me susurrait les secrets que le jour et la lumière n'osent révéler. Et je l'écoutais dévotement.
Encanis me tenait un discours similaire. Il me faisait promettre d'être patient, de ne pas me décourager. Il m'assurait de la difficulté de la tâche. Pourtant il était toujours aussi exigeant dans ses cours, alors que je ne faisais aucun progrès. Il n'avait aucun mouvement d'humeur, restait toujours d'un calme dérangeant tandis que ses yeux d'acier se fixaient sur moi sans ciller.
Ma fierté naturelle s'est atrophiée jusqu'à être totalement mise en retrait. Je ne me voilais plus la face quant à mes capacités. C'était tout ce que m'avait apporté l'enseignement d'Encanis et je m'en étais ouvert à lui.
"Tu regardes sans voir", a-t-il répondu. "Tu entends sans écouter. Et tu essayes de copier sans faire."
Aucune hésitation dans ses mots. Aucune chaleur dans sa voix.
Il ne montrait aucune déception mais n'avait jamais aucun mot d'encouragement. Et, malgré cela, le défi me plaisait. C'était sans doute là son but premier, développer chez son élève une force de volonté libre de toute influence extérieure.
Peut-être qu'après tout, il n'était maître que des mots et des idées.
Peut-être que je commençais à comprendre.
Il ne disait rien à ce propos. Il était silence et j'ai commencé à me prêter à son jeu.
La Dame
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