L'Émeraude

-C'est... Vert.

Le jour finissait de tomber et le Roué son verre. Quand il n'était pas à l'heure au rendez-vous, j'allais le chercher ici, là où tout ses chemins le menait, en somme. La taverne de la fin du monde. Je suis pas spécialement friand de ce coin. Trop de regards. Personne ne veut être vu, donc tout le monde se regarde. Méfiance. Mais j'avais plus rien en poche, et faut dire qu'il avait piqué ma curiosité, avec son Emeraude. "C'est nouveau, c'est pas d'ici, ça effraie la chronique (Il fait cette erreur), je t'en amènerai" qu'il a dit. Je suis responsable. Si c'est trop cher, je passe. J'ai une famille, quand même, c'est du sérieux ça. Mais faut se laisser tenter par ce qui est nouveau. J'avais passé trop de temps abruti par la feuillerêve, assomé par l'alcool et étouffé par... Comment ça s'appelle déjà ? Un nom en...

-Oui c'est vert ! Ca empèche pas ! T'es toujours avec moi ?

Je le regardais. Je détestais son petit rictus. Bref. C'était vert. Je secouais la tête.

-Euh... Oui. Ca se fume ?

-Non, non... Ca se laisse fondre sous la langue. Un vrai bonbon, comme pour les mioches.

Il s'y voyait.

-Ca vient d'où ?

-D'Azeroth, il paraît. C'est que des rumeurs, c'est comme dans un rêve. On pense à Hurlevent, ou à Forgefer, on sait pas, on profite ! D'où ça vient qu'importe, maintenant c'est ici !

Sa main secouait le sachet. Emballé qu'il était, je vous dis.

-C'est dangereux ?

Pas du tout qu'il me dit. Et que ça donne des ailes, et qu'on se sent plus fort, et que ça rend heureux, les trucs habituels quoi...

-Ah non ! Mieux que ça. Même pas besoin d'ailes avec ça. C'est le ciel qui descend vers toi ! C'est de la magie ! Ca pétille, ça frétille, y a pas de mots ! Je te jure, ça les vaut.

Aïe. On y vient. D'habitude il est plus subtil quand il s'agit d'aligner les pièces.

-Combien ?

-Ce sachet, quarante d'argent. Mais faut pas s'arrêter à ça ! C'que tu perds en monnaie tu le gagnes en bonheur, ça vaut le coup non ?

C'est vrai que je l'ai rarement vu si... Enthousiaste. Il avait l'air emballé. Sincèrement en plus, même pas sous la menace.  Je divaguais encore, je crois, quand je le vis sortir un fragment du sachet. "Tiens. Cadeau. Essaie !" Trois mots. Je haussais les épaules, et c'était parti.
Il me semble bien, effectivement, que ça a frétillé. Au début. Un instant. J'étais debout, je crois, je regardais tout le monde à la fois, et il était drôle, et brillant, et j'étais déjà dehors, je marchais sur la terre, je sentais le vent, qui emporte tout, mes pieds devenaient immenses, déchiraient mes chaussures, je marchais sur les murs, j'étais dans le ciel, il avait raison tiens, je marchais dans le ciel, pas facile, heureusement que mes pieds étaient ceux d'un géant.
Il n'y avait que de la lumière, je marchais dans Terokkar, sous les arbres qui dépérissent, dans le pâle frémissement du crépuscule, et je continuais de grandir.