Réminiscences
Page 1 sur 1
Réminiscences
Le silence. Il l'assourdissait.
Crywen cligna plusieurs fois des yeux. Il faisait encore nuit noire dehors, mais la chambre était baignée de la douce lueur de l'âtre, de ses flammes sur le déclin. Les braises ne crépitaient même plus.
Dans son cocon de draps rouge, elle attendait. Comme durant toutes ces heures qui séparent le crépuscule de l'aurore, chaque jour, elle attendait.
Voilà bien des semaines qu'elle n'avait pas fermé l'œil pour dire vrai. Elle avait cédé au sommeil le soir de sa transformation puis...l'avait tout bonnement perdu. Il est certain qu'elle aurait pu mettre tout ce temps à profit au lieu de simplement prendre son mal en patience. Mais aucune force au monde ne l'aurait empêchée de se trouver dans ce lit, à cette minute précise.
Un très léger grognement la fit sourire dans l'obscurité. La jeune fille tourna la tête vers l'imposant Worgen profondément endormi à ses côtés. Était-il entrain de rêver? C'est la question qu'elle se posa, l'observant tranquillement tandis que d'une main, elle remontait la couverture sur son épaule robuste.
Est-ce à cet instant que tout se joua? Que s'imposa dans son esprit une idée aussi claire et pressante qu'une évidence?
Très lentement, avec mille précautions, Crywen s'extirpa de l'étreinte du Worgen, parvenant à poser le bout de son pied nu sur le sol de pierre froid. Elle se déroba, toujours délicatement, à la tiédeur du lit, prenant bien soin de n'émettre aucun bruit, retenant même son souffle.
Et c'est ainsi qu'elle quitta la pièce, sur la pointe des pieds. Tenant d'une main sa petite paire de bottes, et de l'autre, son foulard en tisse-mage qui jusque là ornait joliment les poignées d'une énorme armoire.
Atteignant le couloir réservé aux quartiers personnels, la jeune fille s'autorisa à soupirer, évacuant le trop plein d'air accumulé au cours de son "évasion". Appuyée d'une main contre le mur, elle se chaussa alors. Glissa son foulard sur ses épaules avant de le rabattre sur sa chevelure.
Ses yeux s'habituèrent rapidement à la pénombre qui baignait le reste du manoir, lui permettant ainsi d'aisément trouver le chemin menant à l'escalier principal. Et puis...ce n'était pas comme si elle n'était jamais venue, après tout.
Pianotant distraitement sur la rampe d'orme massif alors qu'elle descendait les marches, Crywen finit par arriver dans le vestibule. Elle le traversa avec sa sempiternelle sérénité, ne sursautant pas quand le silence se déchira d'un grincement de chaîne suivi d'une plainte paresseuse, tout droit venus l'un et l'autre des écuries.
La jeune fille ne s'étonna pas non plus des deux lourdes portes, qui s'ouvrirent d'elles-mêmes pour la laisser passer, se refermant ensuite de la même façon, dans un bruit sourd qui lui fit craindre un éventuel réveil du maître des lieux.
Tout autour d'elle...le silence, encore. Et le froid. Réprimant un frisson, elle se mît aussitôt en marche, ne se risquant pas à regarder par dessus son épaule. Elle était parfaitement consciente que si elle pensait à cette chambre qu'elle venait de quitter et surtout, à l'incommensurable trésor qu'elle y avait laissé, alors sa volonté faiblirait.
Et étrangement, elle savait qu'il ne lui était pas possible de se le permettre.
C'est ainsi que quelques heures avant que l'aube ne s'avise de poindre, sans limiers pour la guider et sans troupes à ses arrières, la jeune fille partit en chasse.
Oh, une chasse bien particulière, cela dit, avec des proies toutes aussi inhabituelles. Et pour cause: silencieuse et solitaire, Crywen s'élançait à la poursuite de souvenirs. Loin de tout, loin d'ici. Loin de ce manoir d'Aubeloup et du Gronde-Cœur.
Crywen cligna plusieurs fois des yeux. Il faisait encore nuit noire dehors, mais la chambre était baignée de la douce lueur de l'âtre, de ses flammes sur le déclin. Les braises ne crépitaient même plus.
Dans son cocon de draps rouge, elle attendait. Comme durant toutes ces heures qui séparent le crépuscule de l'aurore, chaque jour, elle attendait.
Voilà bien des semaines qu'elle n'avait pas fermé l'œil pour dire vrai. Elle avait cédé au sommeil le soir de sa transformation puis...l'avait tout bonnement perdu. Il est certain qu'elle aurait pu mettre tout ce temps à profit au lieu de simplement prendre son mal en patience. Mais aucune force au monde ne l'aurait empêchée de se trouver dans ce lit, à cette minute précise.
Un très léger grognement la fit sourire dans l'obscurité. La jeune fille tourna la tête vers l'imposant Worgen profondément endormi à ses côtés. Était-il entrain de rêver? C'est la question qu'elle se posa, l'observant tranquillement tandis que d'une main, elle remontait la couverture sur son épaule robuste.
Est-ce à cet instant que tout se joua? Que s'imposa dans son esprit une idée aussi claire et pressante qu'une évidence?
Très lentement, avec mille précautions, Crywen s'extirpa de l'étreinte du Worgen, parvenant à poser le bout de son pied nu sur le sol de pierre froid. Elle se déroba, toujours délicatement, à la tiédeur du lit, prenant bien soin de n'émettre aucun bruit, retenant même son souffle.
Et c'est ainsi qu'elle quitta la pièce, sur la pointe des pieds. Tenant d'une main sa petite paire de bottes, et de l'autre, son foulard en tisse-mage qui jusque là ornait joliment les poignées d'une énorme armoire.
Atteignant le couloir réservé aux quartiers personnels, la jeune fille s'autorisa à soupirer, évacuant le trop plein d'air accumulé au cours de son "évasion". Appuyée d'une main contre le mur, elle se chaussa alors. Glissa son foulard sur ses épaules avant de le rabattre sur sa chevelure.
Ses yeux s'habituèrent rapidement à la pénombre qui baignait le reste du manoir, lui permettant ainsi d'aisément trouver le chemin menant à l'escalier principal. Et puis...ce n'était pas comme si elle n'était jamais venue, après tout.
Pianotant distraitement sur la rampe d'orme massif alors qu'elle descendait les marches, Crywen finit par arriver dans le vestibule. Elle le traversa avec sa sempiternelle sérénité, ne sursautant pas quand le silence se déchira d'un grincement de chaîne suivi d'une plainte paresseuse, tout droit venus l'un et l'autre des écuries.
La jeune fille ne s'étonna pas non plus des deux lourdes portes, qui s'ouvrirent d'elles-mêmes pour la laisser passer, se refermant ensuite de la même façon, dans un bruit sourd qui lui fit craindre un éventuel réveil du maître des lieux.
Tout autour d'elle...le silence, encore. Et le froid. Réprimant un frisson, elle se mît aussitôt en marche, ne se risquant pas à regarder par dessus son épaule. Elle était parfaitement consciente que si elle pensait à cette chambre qu'elle venait de quitter et surtout, à l'incommensurable trésor qu'elle y avait laissé, alors sa volonté faiblirait.
Et étrangement, elle savait qu'il ne lui était pas possible de se le permettre.
C'est ainsi que quelques heures avant que l'aube ne s'avise de poindre, sans limiers pour la guider et sans troupes à ses arrières, la jeune fille partit en chasse.
Oh, une chasse bien particulière, cela dit, avec des proies toutes aussi inhabituelles. Et pour cause: silencieuse et solitaire, Crywen s'élançait à la poursuite de souvenirs. Loin de tout, loin d'ici. Loin de ce manoir d'Aubeloup et du Gronde-Cœur.
Crywen K.
Re: Réminiscences
Hurlevent, quartier des nains. Deux heures avant l'aurore.
"Cette partie-là de la ville ne dort jamais. C'est tout juste si elle somnole, parfois. Elle est un peu comme moi..."
Telles étaient les pensées de Crywen alors qu'elle parcourait les rues de ce district particulier. Les bras le long du corps et le dos droit, elle avançait en direction de l'étrange bouche mécanique menant au Tram des profondeurs.
Tout autour d'elle semblait pourtant amorphe, las. Elle entendait les tintements caractéristiques d'un marteau de forgeron sur son enclume. Litanie de métal aux échos entêtants.
Un petit piétinement frénétique lui fit baisser la tête pour suivre du regard la course folle d'un rat, cherchant un endroit sûr où se réfugier. Avec un certain amusement elle continua de le fixer aussi nettement que s'il était resté à ses pieds. Pour un œil humain cependant, le rongeur n'aurait été qu'un minuscule point informe dans la nuit.
L'heure n'était pourtant pas propice à des distractions aussi futiles que celle-ci mais la jeune fille voulait...profiter. Profiter de l'acuité de ses sens, pendant qu'elle le pouvait encore. Elle savait pertinemment qu'une fois arrivée à Forgefer, elle ne pourrait plus jouir de ces facultés surdéveloppées. Et lorsque enfin, elle toucherait au but...elle serait intégralement diminuée, incapable de voir et d'entendre correctement au delà de quelques malheureux mètres. C'était malheureux, mais c'était ainsi.
Elle atteignit bientôt les quais du Tram, tenant entre deux doigts le billet qu'elle avait obtenu en contrepartie d'une pièce d'argent. Le gnome qui s'était chargé de la transaction au guichet l'avait informée de sa petite voix nasillarde: "pour Forgefer, prochain départ dans 6 minutes, 33 secondes, 7 dixièmes!"
Crywen flânait tranquillement au bord de la plateforme, attendant l'arrivée de la rame. Comme toujours lorsqu'elle passait par ici, ses yeux s'attardaient sur le discret passage conduisant à l'entrée du Bar-Tabasse. Combien de rires avait-elle laissé filtrer là-bas? De combien de doutes avait-elle aussi pu se départir? Jusqu'à ce fameux soir...
Elle se revoyait encore quittant l'établissement, seulement quelques jours auparavant. L'arrivée de trois énergumènes à l'aspect clairement peu engageant l'avait incitée à prendre congé plus rapidement que prévu. Elle l'avait alors simplement salué d'un regard.
Que n'aurait-elle pas donné pour l'avoir là, face à elle, à cet instant précis? Elle aurait ainsi eu l'occasion de lui dire...tout. Tout ce qui lui passait par la tête depuis qu'elle avait entendu ce garde se réjouir d'une future capture...d'une future...mise à mort.
"Edward...canaille, vous m'avez abandonnée."
Furent les mots qui errèrent quelques temps dans son esprit tandis que ses lèvres restèrent résolument scellées et qu'elle détournait les yeux, reportant son attention sur le contenu de ses poches.
Cela n'avait rien de transcendant mais ça suffirait à régler les détails financiers de son escapade imprévue. Peut-être aurait-elle même de quoi s'octroyer une petite douceur sur le chemin.
Un grincement métallique la sortit de sa rêverie. Elle s'attendait à voir le serpent de fer juste devant elle, arrêté à quai mais il était encore loin. Son ouïe lui avait fait défaut, dans le bon sens du terme. Cela lui mit du baume au cœur. La jeune fille ne se sentait jamais plus heureuse que lorsqu'elle réalisait que non..."Il" ne la jugeait pas indigne de ses faveurs.
Mais...après tout, n'était-elle pas celle, qu'enfant, les gens nommaient "Le Chant du Loup" ?
"Cette partie-là de la ville ne dort jamais. C'est tout juste si elle somnole, parfois. Elle est un peu comme moi..."
Telles étaient les pensées de Crywen alors qu'elle parcourait les rues de ce district particulier. Les bras le long du corps et le dos droit, elle avançait en direction de l'étrange bouche mécanique menant au Tram des profondeurs.
Tout autour d'elle semblait pourtant amorphe, las. Elle entendait les tintements caractéristiques d'un marteau de forgeron sur son enclume. Litanie de métal aux échos entêtants.
Un petit piétinement frénétique lui fit baisser la tête pour suivre du regard la course folle d'un rat, cherchant un endroit sûr où se réfugier. Avec un certain amusement elle continua de le fixer aussi nettement que s'il était resté à ses pieds. Pour un œil humain cependant, le rongeur n'aurait été qu'un minuscule point informe dans la nuit.
L'heure n'était pourtant pas propice à des distractions aussi futiles que celle-ci mais la jeune fille voulait...profiter. Profiter de l'acuité de ses sens, pendant qu'elle le pouvait encore. Elle savait pertinemment qu'une fois arrivée à Forgefer, elle ne pourrait plus jouir de ces facultés surdéveloppées. Et lorsque enfin, elle toucherait au but...elle serait intégralement diminuée, incapable de voir et d'entendre correctement au delà de quelques malheureux mètres. C'était malheureux, mais c'était ainsi.
Elle atteignit bientôt les quais du Tram, tenant entre deux doigts le billet qu'elle avait obtenu en contrepartie d'une pièce d'argent. Le gnome qui s'était chargé de la transaction au guichet l'avait informée de sa petite voix nasillarde: "pour Forgefer, prochain départ dans 6 minutes, 33 secondes, 7 dixièmes!"
Crywen flânait tranquillement au bord de la plateforme, attendant l'arrivée de la rame. Comme toujours lorsqu'elle passait par ici, ses yeux s'attardaient sur le discret passage conduisant à l'entrée du Bar-Tabasse. Combien de rires avait-elle laissé filtrer là-bas? De combien de doutes avait-elle aussi pu se départir? Jusqu'à ce fameux soir...
Elle se revoyait encore quittant l'établissement, seulement quelques jours auparavant. L'arrivée de trois énergumènes à l'aspect clairement peu engageant l'avait incitée à prendre congé plus rapidement que prévu. Elle l'avait alors simplement salué d'un regard.
Que n'aurait-elle pas donné pour l'avoir là, face à elle, à cet instant précis? Elle aurait ainsi eu l'occasion de lui dire...tout. Tout ce qui lui passait par la tête depuis qu'elle avait entendu ce garde se réjouir d'une future capture...d'une future...mise à mort.
"Edward...canaille, vous m'avez abandonnée."
Furent les mots qui errèrent quelques temps dans son esprit tandis que ses lèvres restèrent résolument scellées et qu'elle détournait les yeux, reportant son attention sur le contenu de ses poches.
Cela n'avait rien de transcendant mais ça suffirait à régler les détails financiers de son escapade imprévue. Peut-être aurait-elle même de quoi s'octroyer une petite douceur sur le chemin.
Un grincement métallique la sortit de sa rêverie. Elle s'attendait à voir le serpent de fer juste devant elle, arrêté à quai mais il était encore loin. Son ouïe lui avait fait défaut, dans le bon sens du terme. Cela lui mit du baume au cœur. La jeune fille ne se sentait jamais plus heureuse que lorsqu'elle réalisait que non..."Il" ne la jugeait pas indigne de ses faveurs.
Mais...après tout, n'était-elle pas celle, qu'enfant, les gens nommaient "Le Chant du Loup" ?
Crywen K.
Re: Réminiscences
"Halte là! Découvrez votre visage si vous voulez passer."
Royaumes de l'Est, en début d'après-midi.
Crywen cilla, battit des paupières, perchée sur la monture qu'elle avait loué un peu plus d'une heure plus tôt, en quittant le port inondé de Menethil. Une jument alezane, tout ce qu'il y a de plus commun, aux flancs cependant robustes. Si l'animal avait un nom, la jeune fille n'avait pas jugé utile de s'en souvenir.
Elle avait ainsi traversé les Paluns, quasiment ventre à terre, sentant les sabots de son cheval s'enfoncer à chaque pas dans le sol marécageux. Quelle odeur atroce, du reste. Et la chaleur toute relative de cette journée rendait ces émanations plus écœurantes encore.
Trois heures. Trois heures de griffon en provenance de Forgefer, un derrière en compote et maintenant ça. Formidable.
Plus ou moins confortablement installée, en amazone, elle avait alors distraitement regardé le paysage, morne et boueux, défiler. Parfois, ci et là, il lui semblait apercevoir quelque chose bouger dans les hautes herbes, à proximité des points d'eau. Peut-être des crocilisques, mais elle ne pouvait pas en être sûre. La jeune fille, comme prévu, avait commencé à voir de moins en moins bien, une fois arrivée à la capitale naine. Et ça ne ferait qu'empirer.
C'est ainsi qu'elle atteignit les frontières des Hautes-Terres Arathies. Et que les gardes en faction en étaient naturellement venus à lui demander de se découvrir, tout du moins d'abaisser légèrement son foulard, qui lui tombait au niveau des yeux.
Les lèvres pincées, Crywen détailla celui qui avait parlé. Un jeunot.
Avec un demi-sourire amusé, elle l'imagina s'être rendu au centre de recrutement, motivé, plein de belles idées en tête concernant l'ordre et la justice.
Et le voilà qui se retrouvait ici, à ce minuscule poste frontière, à demander inlassablement aux voyageurs d'ôter foulard et capuche, aux marchands de soulever la bâche de leurs chariots. Le rêve de toute une vie.
"Mais bien certainement." répondit-elle, affable, tout en s'exécutant calmement. D'une main tranquille, elle venait même flatter l'encolure du cheval, sans quitter ses interlocuteurs des yeux. Non pas méfiante mais...si fait, un peu tout de même.
Une fois le tissu rabattu sur ses épaules malingres, la jeune fille offrit un sourire poli au factionnaire, attendant alors son aval pour passer.
Ce dernier la dévisagea un instant. Il se retourna, glissa un murmure à l'oreille de son collègue, accompagné d'un coup de coude complice. Commentaire polisson propre aux mâles en rût. Crywen fronça les sourcils et s'empourpra. Si son ouïe diminuée ne lui permettait pas d'avoir entendu ce qu'il s'était dit d'elle, leurs regards ne laissaient guère de doute.
"C'est bon, allez-y." lâcha-t-il enfin, goguenard.
Elle hocha la tête et talonna fermement mais non sans douceur la jument. La jeune fille s'apprêtait à simplement reprendre sa route quand une affiche sur le mur attira son attention. Tiens? Mais on dirait...?
Elle plissa les yeux pour lire de quoi il en retournait et blêmît légèrement. Lâchant la bride d'une main, elle désigna l'avis de recherche, feignant l'impassibilité.
Tentant d'adopter une voix détachée, neutre, elle demanda:
"Qu'a fait cet homme?"
Le garde suivit son regard, avant de hausser les épaules, ses lèvres grossières se fendant d'un sourire méprisant.
"Si je vous le disais, vous rejetteriez votre déjeuner. Une immonde ordure si vous voulez mon avis. Mais inutile de vous en faire, ma petite dame, il pendra bientôt au bout d'une corde."
Sans prendre la peine de lui répondre autrement que par un regard outré, Crywen lança sa monture provisoire au galop, en direction du refuge de l'Ornière. Là-bas, elle espérait pouvoir se restaurer un minimum, avant de laisser son cheval au profit d'un nouveau griffon. Après avoir mûrement réfléchi, il lui était apparu que ce serait le meilleur moyen d'arriver à bon port. Tout du moins le plus rapide et le plus sûr, et elle n'en demandait pas davantage.
Ses yeux brillaient d'indignation alors que, penchée en avant, se dirigeant d'une main et se protégeant le visage du vent de son bras libre, elle s'enfonçait plus profondément dans les Hautes-Terres. Tenace.
"Il pendra bientôt au bout d'une corde..."
Ed. Par la Lumière, qu'avez-vous fait...?
Royaumes de l'Est, en début d'après-midi.
Crywen cilla, battit des paupières, perchée sur la monture qu'elle avait loué un peu plus d'une heure plus tôt, en quittant le port inondé de Menethil. Une jument alezane, tout ce qu'il y a de plus commun, aux flancs cependant robustes. Si l'animal avait un nom, la jeune fille n'avait pas jugé utile de s'en souvenir.
Elle avait ainsi traversé les Paluns, quasiment ventre à terre, sentant les sabots de son cheval s'enfoncer à chaque pas dans le sol marécageux. Quelle odeur atroce, du reste. Et la chaleur toute relative de cette journée rendait ces émanations plus écœurantes encore.
Trois heures. Trois heures de griffon en provenance de Forgefer, un derrière en compote et maintenant ça. Formidable.
Plus ou moins confortablement installée, en amazone, elle avait alors distraitement regardé le paysage, morne et boueux, défiler. Parfois, ci et là, il lui semblait apercevoir quelque chose bouger dans les hautes herbes, à proximité des points d'eau. Peut-être des crocilisques, mais elle ne pouvait pas en être sûre. La jeune fille, comme prévu, avait commencé à voir de moins en moins bien, une fois arrivée à la capitale naine. Et ça ne ferait qu'empirer.
C'est ainsi qu'elle atteignit les frontières des Hautes-Terres Arathies. Et que les gardes en faction en étaient naturellement venus à lui demander de se découvrir, tout du moins d'abaisser légèrement son foulard, qui lui tombait au niveau des yeux.
Les lèvres pincées, Crywen détailla celui qui avait parlé. Un jeunot.
Avec un demi-sourire amusé, elle l'imagina s'être rendu au centre de recrutement, motivé, plein de belles idées en tête concernant l'ordre et la justice.
Et le voilà qui se retrouvait ici, à ce minuscule poste frontière, à demander inlassablement aux voyageurs d'ôter foulard et capuche, aux marchands de soulever la bâche de leurs chariots. Le rêve de toute une vie.
"Mais bien certainement." répondit-elle, affable, tout en s'exécutant calmement. D'une main tranquille, elle venait même flatter l'encolure du cheval, sans quitter ses interlocuteurs des yeux. Non pas méfiante mais...si fait, un peu tout de même.
Une fois le tissu rabattu sur ses épaules malingres, la jeune fille offrit un sourire poli au factionnaire, attendant alors son aval pour passer.
Ce dernier la dévisagea un instant. Il se retourna, glissa un murmure à l'oreille de son collègue, accompagné d'un coup de coude complice. Commentaire polisson propre aux mâles en rût. Crywen fronça les sourcils et s'empourpra. Si son ouïe diminuée ne lui permettait pas d'avoir entendu ce qu'il s'était dit d'elle, leurs regards ne laissaient guère de doute.
"C'est bon, allez-y." lâcha-t-il enfin, goguenard.
Elle hocha la tête et talonna fermement mais non sans douceur la jument. La jeune fille s'apprêtait à simplement reprendre sa route quand une affiche sur le mur attira son attention. Tiens? Mais on dirait...?
Elle plissa les yeux pour lire de quoi il en retournait et blêmît légèrement. Lâchant la bride d'une main, elle désigna l'avis de recherche, feignant l'impassibilité.
Tentant d'adopter une voix détachée, neutre, elle demanda:
"Qu'a fait cet homme?"
Le garde suivit son regard, avant de hausser les épaules, ses lèvres grossières se fendant d'un sourire méprisant.
"Si je vous le disais, vous rejetteriez votre déjeuner. Une immonde ordure si vous voulez mon avis. Mais inutile de vous en faire, ma petite dame, il pendra bientôt au bout d'une corde."
Sans prendre la peine de lui répondre autrement que par un regard outré, Crywen lança sa monture provisoire au galop, en direction du refuge de l'Ornière. Là-bas, elle espérait pouvoir se restaurer un minimum, avant de laisser son cheval au profit d'un nouveau griffon. Après avoir mûrement réfléchi, il lui était apparu que ce serait le meilleur moyen d'arriver à bon port. Tout du moins le plus rapide et le plus sûr, et elle n'en demandait pas davantage.
Ses yeux brillaient d'indignation alors que, penchée en avant, se dirigeant d'une main et se protégeant le visage du vent de son bras libre, elle s'enfonçait plus profondément dans les Hautes-Terres. Tenace.
"Il pendra bientôt au bout d'une corde..."
Ed. Par la Lumière, qu'avez-vous fait...?
Crywen K.
Re: Réminiscences
Hautes-Terres Arathies. Refuge de l'Ornière. Milieu d'après-midi.
D'un air inquisiteur, Crywen, le foulard rabattu sur les cheveux, observait les yeux brillants, quelques viennoiseries étalées sur un stand de fortune, à proximité des étables. Comme elles lui faisaient envie! Elle qui n'était pourtant pas grosse mangeuse, n'aurait vu aucun inconvénient à toutes les dévorer, là, sur le champs. Son estomac grondait.
"Deux d'argent la pièce, ma bonne d'moiselle." déclara l'homme qui s'occupait de les mettre en place, de façon ordonnée, sans même lever les yeux vers elle.
La jeune fille pivota légèrement, par pudeur, tandis que l'une de ses mains glissait dans la poche de son pantalon. Après quelques contorsions afin d'en sortir tout le contenu, elle l'examina, paume ouverte. Retenant un soupir, elle se résigna et désigna de l'index un quignon de pain, en retrait.
Le vendeur haussa les sourcils, comme perplexe le temps d'un instant. Mais son tempérament commercial reprit bien vite le dessus, et, tenant le bout de pain entre deux doigts boudinés, il le tendit vers elle.
"Vingt de cuivre."
Crywen roula des yeux. Hors de question.
"...alors disons dix?"
La jeune fille pinça les lèvres puis finit par acquiescer. Elle fit glisser la monnaie sur le bois de l'étal tout en se saisissant de ce qui allait donc constituer sa maigre pitance. Elle s'apprêtait d'ores et déjà à la porter à ses lèvres quand, derrière elle, elle perçut un battement d'ailes impatient, suivi d'un claquement de langue qui sans doute se voulait autoritaire.
"Et voilà ´mzelle." fit la bouche masculine à qui appartenait vraisemblablement cette langue. "Prêt à partir. Faites-y juste attention, n'le perdez pas, et r'mnez le à temps, comme ça vous pourrez récupérer vot´sou que vous nous avez laissé au cas où arriverait un pépin!"
Crywen le remercia d'un regard entendu, accompagné de son plus gentil sourire. Avec prudence tout de même, elle s'approcha du griffon qu'on venait de lui amener, dont on venait de lui confier les rênes. Petites lanières de cuir marron, liées à un harnais du même acabit.
Paré ainsi, l'animal n'en était que plus fier. La tête haute, le bec levé et l'oeil gonflé d'orgueil, regardant autour de lui avec un désintérêt total, il lui rappelait ainsi vaguement quelqu'un mais qui...?
Sans lâcher la bride, la jeune fille le contempla, songeuse, lui tournant un peu autour afin d'en avoir une meilleure vue d'ensemble. Puis elle s'illumina en rougissant un bref instant.
Un petit sourire embarrassé aux coins des lèvres, elle guida la bête en la tirant très doucement, après l'avoir mis en confiance de quelques effleurements sur le bec.
Une fois à l'écart, elle estima qu'il était temps d'y aller. Plus vite elle en aurait fini, plus tôt elle serait rentrée. Elle réalisa alors que dans son impatience, elle n'avait pris le temps de prévenir personne. Une moue contrariée s'octroya une place d'honneur sur son visage quelques secondes, le temps pour elle de penser qu'ils en avaient déjà vu d'autres. Que peut-être ne s'apercevaient-ils même pas de son absence.
Ragaillardie par cette idée, Crywen reporta son attention au bout de pain qu'il lui restait à engloutir. Il avait sûrement du sentir très bon, mais maintenant il était a peine tiède. La mie d'un blanc cassé lui semblait tendre à souhait, la croûte était toujours croustillante, légèrement brunie par endroit. Se délectant par avance de ce délice, elle leva son repas en direction du griffon, faisant mine de trinquer avec.
Difficile d'imaginer expression plus anéantie que fut la sienne, lorsqu'elle vit le bec de l'animal se refermer sur ses doigts, manquant de les lui pincer fortement, sinon de les trancher tout net. Avec un bruit de déglutition, sans même avoir pris le temps de mâcher, le prince des cieux venait de gober son quatre heure.
Un sanglot lui monta à la gorge. L'œil humide elle considéra l'imposant volatile qui lui, semblait se ficher totalement de sa détresse. Il lui rendait simplement son regard, attendant que vienne le moment de s'élancer dans les airs.
La mine sombre, privée de tout semblant de bonne humeur, Crywen s'employa à monter sur le dos de la bête, calant ses pieds tout contre ses flancs, dans les petits cercles de cuirs du harnais prévus à cet effet.
S'ignorant ainsi royalement, griffon et cavalière firent ensemble route vers l'ouest. Le premier totalement à l'aise, presque ravi, et la seconde fermement accrochée, les paupières plissées, grimaçant de terreur à chaque pointe de vitesse que se permettait l'animal.
Je vais mourir en chemin...et je n'aurai jamais l'occasion d'entendre son rire...
D'un air inquisiteur, Crywen, le foulard rabattu sur les cheveux, observait les yeux brillants, quelques viennoiseries étalées sur un stand de fortune, à proximité des étables. Comme elles lui faisaient envie! Elle qui n'était pourtant pas grosse mangeuse, n'aurait vu aucun inconvénient à toutes les dévorer, là, sur le champs. Son estomac grondait.
"Deux d'argent la pièce, ma bonne d'moiselle." déclara l'homme qui s'occupait de les mettre en place, de façon ordonnée, sans même lever les yeux vers elle.
La jeune fille pivota légèrement, par pudeur, tandis que l'une de ses mains glissait dans la poche de son pantalon. Après quelques contorsions afin d'en sortir tout le contenu, elle l'examina, paume ouverte. Retenant un soupir, elle se résigna et désigna de l'index un quignon de pain, en retrait.
Le vendeur haussa les sourcils, comme perplexe le temps d'un instant. Mais son tempérament commercial reprit bien vite le dessus, et, tenant le bout de pain entre deux doigts boudinés, il le tendit vers elle.
"Vingt de cuivre."
Crywen roula des yeux. Hors de question.
"...alors disons dix?"
La jeune fille pinça les lèvres puis finit par acquiescer. Elle fit glisser la monnaie sur le bois de l'étal tout en se saisissant de ce qui allait donc constituer sa maigre pitance. Elle s'apprêtait d'ores et déjà à la porter à ses lèvres quand, derrière elle, elle perçut un battement d'ailes impatient, suivi d'un claquement de langue qui sans doute se voulait autoritaire.
"Et voilà ´mzelle." fit la bouche masculine à qui appartenait vraisemblablement cette langue. "Prêt à partir. Faites-y juste attention, n'le perdez pas, et r'mnez le à temps, comme ça vous pourrez récupérer vot´sou que vous nous avez laissé au cas où arriverait un pépin!"
Crywen le remercia d'un regard entendu, accompagné de son plus gentil sourire. Avec prudence tout de même, elle s'approcha du griffon qu'on venait de lui amener, dont on venait de lui confier les rênes. Petites lanières de cuir marron, liées à un harnais du même acabit.
Paré ainsi, l'animal n'en était que plus fier. La tête haute, le bec levé et l'oeil gonflé d'orgueil, regardant autour de lui avec un désintérêt total, il lui rappelait ainsi vaguement quelqu'un mais qui...?
Sans lâcher la bride, la jeune fille le contempla, songeuse, lui tournant un peu autour afin d'en avoir une meilleure vue d'ensemble. Puis elle s'illumina en rougissant un bref instant.
Un petit sourire embarrassé aux coins des lèvres, elle guida la bête en la tirant très doucement, après l'avoir mis en confiance de quelques effleurements sur le bec.
Une fois à l'écart, elle estima qu'il était temps d'y aller. Plus vite elle en aurait fini, plus tôt elle serait rentrée. Elle réalisa alors que dans son impatience, elle n'avait pris le temps de prévenir personne. Une moue contrariée s'octroya une place d'honneur sur son visage quelques secondes, le temps pour elle de penser qu'ils en avaient déjà vu d'autres. Que peut-être ne s'apercevaient-ils même pas de son absence.
Ragaillardie par cette idée, Crywen reporta son attention au bout de pain qu'il lui restait à engloutir. Il avait sûrement du sentir très bon, mais maintenant il était a peine tiède. La mie d'un blanc cassé lui semblait tendre à souhait, la croûte était toujours croustillante, légèrement brunie par endroit. Se délectant par avance de ce délice, elle leva son repas en direction du griffon, faisant mine de trinquer avec.
Difficile d'imaginer expression plus anéantie que fut la sienne, lorsqu'elle vit le bec de l'animal se refermer sur ses doigts, manquant de les lui pincer fortement, sinon de les trancher tout net. Avec un bruit de déglutition, sans même avoir pris le temps de mâcher, le prince des cieux venait de gober son quatre heure.
Un sanglot lui monta à la gorge. L'œil humide elle considéra l'imposant volatile qui lui, semblait se ficher totalement de sa détresse. Il lui rendait simplement son regard, attendant que vienne le moment de s'élancer dans les airs.
La mine sombre, privée de tout semblant de bonne humeur, Crywen s'employa à monter sur le dos de la bête, calant ses pieds tout contre ses flancs, dans les petits cercles de cuirs du harnais prévus à cet effet.
S'ignorant ainsi royalement, griffon et cavalière firent ensemble route vers l'ouest. Le premier totalement à l'aise, presque ravi, et la seconde fermement accrochée, les paupières plissées, grimaçant de terreur à chaque pointe de vitesse que se permettait l'animal.
Je vais mourir en chemin...et je n'aurai jamais l'occasion d'entendre son rire...
Crywen K.
Re: Réminiscences
Forêt des Pins Argentés. Peu après minuit.
L'air était toujours vicié et la jeune fille s'en rendait compte, bien qu'elle aurait été totalement incapable à l'heure actuelle de sentir quoi que ce soit. Elle le savait, simplement. Après tous ces mois...ces années. Rien n'avait changé, ou alors si peu.
Le vent s'était levé en cours de route, réduisant ainsi à néant ses chances de maintenir un semblant de contenance au foulard disposé sur sa chevelure. Elle s'était donc vite résignée à le rabattre au niveau de ses épaules, le nouant sur l'avant pour empêcher une malheureuse fuite en vol.
Au plus noir de la nuit, un griffon et sa passagère tournèrent quelques minutes, réduisant peu à peu l'altitude à laquelle ils évoluaient, décrivant des cercles autour d'une zone bien particulière.
Les yeux plissés, Crywen s'efforçait d'apercevoir, de reconnaître, de distinguer...mais en vain. Elle avait toujours su que cela se passerait ainsi. Du reste, elle s'était faite à l'idée d'être sensoriellement dépendante de celui qu'elle nommait la "Merveille de la Meute".
N'était-ce pas là son destin? Délicieuses chaînes forgées d'un amour inconditionnel, aussi bouillonnant que le sang qui coulait en lui. Qui un jour peut-être, découlerait d'eux. La fille et le Loup. Paria et Favori.
Elle se redressa et fit virer la monture, planant ainsi juste au dessus du village de Bois-du-Bûcher. Enfin une architecture qui lui était familière. Son estomac se noua alors qu'elle redressait le menton. Le Mur...du moins ce qu'il en restait.
Tout lui paraissait flou, terriblement obscurci mais qu'importe. C'était là, gravé au plus profond de sa chair, dans les moindre recoins de son âme. Sa prison dorée. Sa patrie. Son monde écroulé.
Gilnéas.
Crywen leva les yeux au ciel comme dans l'attente d'un signe quelconque, d'un encouragement. Il lui vint, sous la forme d'un rayon lunaire balayant les terres maudites jusqu'à créer ainsi un cercle éphémère de lumière blafarde. Parfait pour un atterrissage nocturne.
Elle n'eut pas besoin de talonner sa monture ailée pour que celle-ci comprenne ce que sa cavalière attendait. Docilement mais non sans brusquerie, le griffon s'employa à reposer ses étranges pattes au sol, au beau milieu de la clairière baignée par le clair de lune. Et cette fois-ci, la jeune fille ne pût que se souvenir.
Toujours montée, les pieds aux étriers de cuir, elle regarda autour d'elle, inspirant profondément pour calmer une étrange appréhension, une panique latente. Elle se trouvait à l'est du Royaume, dans la région dîte de "l'Eminence". Un peu plus au sud s'érigeait le Manoir de Grisetête mais, à ce moment précis il ne s'agissait qu'une masse lugubre dans la nuit.
En posant pied à terre, elle s'aida du harnais pour guider sa descente. Remercia le griffon d'une unique caresse au niveau de son encolure et s'éloigna de quelques pas, le regard rivé en direction du domaine de celui qui fut et resterait son souverain. Elle se tourna vers sa monture provisoire, occupée à nettoyer le plumage de son aile gauche, la droite rabattue contre son corps.
"Attendez-moi dans le coin. Je tâcherai de faire au plus vite. Donnez-moi...disons six ou sept heures? Mmmm?"
Elle n'obtint pour toute réponse qu'un coassement accompagné d'un hochement du bec, sévère et entendu. Il n'en fallut pas plus pour que la jeune fille se mette en route, prudemment d'abord, mais de plus en plus vite au fur et à mesure que grandissait son assurance. Que lui revenaient ses souvenirs, sa connaissance des lieux.
Crywen progressait rapidement, ses bottes s'enfonçant par moment dans quelques minuscules mottes de terre humide et malléable. Tout autour d'elle n'était que silence, aussi fut-elle en partie soulagée lorsque, sur son front vint s'échouer une goutte de pluie. La première d'une longue série, comme bien souvent sur ces terres.
Les Gilnéens avaient pour habitude de dire que la pluie était telle une chanson, avec une mélodie bien à elle et un rythme particulier, battant de concert avec le cœur des habitants. La jeune fille ne parvenait pas à se rappeler ne serait-ce que d'une journée épargnée par ces larmes venues du ciel.
À dire vrai, les averses étaient même attendues par ses pairs, comme une délivrance ou un réconfort. La pluie était là, jour après jour inchangée. Le Mur était intact, muraille fière et inviolable. Avec ou sans eux, le monde continuait à tourner.
Et bien malgré eux, il en était venu à s'effondrer.
Crywen baissa les yeux sur le sol qu'elle foulait sans la moindre hésitation jusqu'alors. Instinctivement pourtant, ses pas se firent plus délicats, emprunts de respect quant à ces terres vibrant à l'unisson de son propre sang.
Mon cœur demeure ici. Ce sont mes racines. Je dois prendre bien garde, car je marche sur le fil de ma vie.
L'air était toujours vicié et la jeune fille s'en rendait compte, bien qu'elle aurait été totalement incapable à l'heure actuelle de sentir quoi que ce soit. Elle le savait, simplement. Après tous ces mois...ces années. Rien n'avait changé, ou alors si peu.
Le vent s'était levé en cours de route, réduisant ainsi à néant ses chances de maintenir un semblant de contenance au foulard disposé sur sa chevelure. Elle s'était donc vite résignée à le rabattre au niveau de ses épaules, le nouant sur l'avant pour empêcher une malheureuse fuite en vol.
Au plus noir de la nuit, un griffon et sa passagère tournèrent quelques minutes, réduisant peu à peu l'altitude à laquelle ils évoluaient, décrivant des cercles autour d'une zone bien particulière.
Les yeux plissés, Crywen s'efforçait d'apercevoir, de reconnaître, de distinguer...mais en vain. Elle avait toujours su que cela se passerait ainsi. Du reste, elle s'était faite à l'idée d'être sensoriellement dépendante de celui qu'elle nommait la "Merveille de la Meute".
N'était-ce pas là son destin? Délicieuses chaînes forgées d'un amour inconditionnel, aussi bouillonnant que le sang qui coulait en lui. Qui un jour peut-être, découlerait d'eux. La fille et le Loup. Paria et Favori.
Elle se redressa et fit virer la monture, planant ainsi juste au dessus du village de Bois-du-Bûcher. Enfin une architecture qui lui était familière. Son estomac se noua alors qu'elle redressait le menton. Le Mur...du moins ce qu'il en restait.
Tout lui paraissait flou, terriblement obscurci mais qu'importe. C'était là, gravé au plus profond de sa chair, dans les moindre recoins de son âme. Sa prison dorée. Sa patrie. Son monde écroulé.
Gilnéas.
Crywen leva les yeux au ciel comme dans l'attente d'un signe quelconque, d'un encouragement. Il lui vint, sous la forme d'un rayon lunaire balayant les terres maudites jusqu'à créer ainsi un cercle éphémère de lumière blafarde. Parfait pour un atterrissage nocturne.
Elle n'eut pas besoin de talonner sa monture ailée pour que celle-ci comprenne ce que sa cavalière attendait. Docilement mais non sans brusquerie, le griffon s'employa à reposer ses étranges pattes au sol, au beau milieu de la clairière baignée par le clair de lune. Et cette fois-ci, la jeune fille ne pût que se souvenir.
Toujours montée, les pieds aux étriers de cuir, elle regarda autour d'elle, inspirant profondément pour calmer une étrange appréhension, une panique latente. Elle se trouvait à l'est du Royaume, dans la région dîte de "l'Eminence". Un peu plus au sud s'érigeait le Manoir de Grisetête mais, à ce moment précis il ne s'agissait qu'une masse lugubre dans la nuit.
En posant pied à terre, elle s'aida du harnais pour guider sa descente. Remercia le griffon d'une unique caresse au niveau de son encolure et s'éloigna de quelques pas, le regard rivé en direction du domaine de celui qui fut et resterait son souverain. Elle se tourna vers sa monture provisoire, occupée à nettoyer le plumage de son aile gauche, la droite rabattue contre son corps.
"Attendez-moi dans le coin. Je tâcherai de faire au plus vite. Donnez-moi...disons six ou sept heures? Mmmm?"
Elle n'obtint pour toute réponse qu'un coassement accompagné d'un hochement du bec, sévère et entendu. Il n'en fallut pas plus pour que la jeune fille se mette en route, prudemment d'abord, mais de plus en plus vite au fur et à mesure que grandissait son assurance. Que lui revenaient ses souvenirs, sa connaissance des lieux.
Crywen progressait rapidement, ses bottes s'enfonçant par moment dans quelques minuscules mottes de terre humide et malléable. Tout autour d'elle n'était que silence, aussi fut-elle en partie soulagée lorsque, sur son front vint s'échouer une goutte de pluie. La première d'une longue série, comme bien souvent sur ces terres.
Les Gilnéens avaient pour habitude de dire que la pluie était telle une chanson, avec une mélodie bien à elle et un rythme particulier, battant de concert avec le cœur des habitants. La jeune fille ne parvenait pas à se rappeler ne serait-ce que d'une journée épargnée par ces larmes venues du ciel.
À dire vrai, les averses étaient même attendues par ses pairs, comme une délivrance ou un réconfort. La pluie était là, jour après jour inchangée. Le Mur était intact, muraille fière et inviolable. Avec ou sans eux, le monde continuait à tourner.
Et bien malgré eux, il en était venu à s'effondrer.
Crywen baissa les yeux sur le sol qu'elle foulait sans la moindre hésitation jusqu'alors. Instinctivement pourtant, ses pas se firent plus délicats, emprunts de respect quant à ces terres vibrant à l'unisson de son propre sang.
Mon cœur demeure ici. Ce sont mes racines. Je dois prendre bien garde, car je marche sur le fil de ma vie.
Crywen K.
Re: Réminiscences
"S'il vous plaît...non..."
Vaine supplication d'une jeune fille aux mâchoires serrées. En surplomb, Crywen contemplait ce qui restait de son village natal.
Havre-du-Soir plongé sous les eaux. Ci et là, un bout de toit émergé et, à la surface, divers effets personnels flottant au gré du courant.
Était-elle donc venue jusqu'ici pour rien? Ou alors était-ce bel et bien ce qu'elle était censée trouver? Toute cette distance parcourue, ces heures de voyage, cette faim et ces sens diminués...pour des ruines? Pour les derniers vestiges d'une enfance aujourd'hui révolue, hier encore chérie ?
Non...ce n'était pas possible. Il y avait autre chose. Il DEVAIT y avoir autre chose.
C'est tel un automate qu'elle fit un pas en avant, les yeux fixement rivés sur le linceul aquatique qui recouvrait son village. Cette simple vision aurait suffit à la glacer d'effroi, à lui faire rebrousser chemin aussitôt mais...Crywen était envahie d'une volonté nouvelle. Et étrange. Cette force qu'"Il" lui donnait soir après soir, et à chaque levé du jour.
La terre s'était brisée, s'était effondrée. Pour atteindre ce bourg englouti, il lui fallait à présent trouver le moyen de descendre le long des parois escarpées de la falaise sur laquelle elle se trouvait. Falaise qui n'était autre que jadis l'allée principale menant au Manoir de Grisetête, auquel du reste, elle n'avait accordé qu'une attention polie, en le contournant.
La jeune fille resta ainsi quelques instants, plongée dans ses pensées, sûrement entrain de réfléchir à comment s'approcher, descendre, en prenant le moins de risque possible. Dans son état, elle ne pouvait se permettre de se blesser grièvement ou de se retrouver dans une position délicate. Et puis..il y avait cette eau...toute cette eau...
Ses yeux d'ébène se plissèrent. Des images de moments peut-être trop longtemps occulté s'imposèrent dans son esprit, implacables, comme un verdict.
Elle se revoyait penchée au dessus d'un conteneur rempli d'eau. C'était une sorte de récipient en étain, plus long que large, et disposé derrière la maison familiale, un peu à l'écart. Ça y est, elle le re-situait a présent. Il s'agissait de l'abreuvoir des chevaux.
Mais...pourquoi cette surface aqueuse se rapprochait-elle aussi dangereusement, aussi inexorablement de son visage alors encore poupon?
Comment et par quel obscur moyen ses narines se remplissaient-elles de cette eau sale tandis qu'elle se souvenait s'être débattue comme une diablesse ?
Plus important encore. Pourquoi avait-elle eu besoin de se débattre? Cela signifiait-il qu'on la maintenait ainsi volontairement? Avait-elle donc été bien vilaine?
Il fallut quelques longues minutes à la jeune fille pour reprendre ses esprits. Quand ce fut le cas, Crywen s'aperçut que sans s'en rendre compte, elle s'était accroupie, la main droite sur l'épaule gauche et vice-versa, et se balançait d'avant en arrière, lentement, comme hébétée. Elle secoua la tête et ferma les yeux un moment avant de rouvrir les paupières.
Elle se figea. Quelque chose au loin venait d'attirer son attention. Sur l'un des toits émergés semblait se tenir une silhouette élancée, vêtue d'une longue robe de la couleur pourpre de la grenade. Cette personne...ces habits..
La jeune fille écarquilla les yeux et se rua jusqu'à l'extrême bord du ravin. La pointe de ses pieds se trouvait ainsi dans le vide, mais elle n'en avait cure. Après une seconde d'hésitation, elle ouvrit la bouche et s'époumona, criant et criant encore ce nom qu'elle n'avait plus eu l'occasion de prononcer depuis bien des mois. Qu'elle pensait même ne plus prononcer un jour.
"Lélianne...! Lélianne...!"
Après une inspiration profonde, éperdue.
" ...Maman!...."
Vaine supplication d'une jeune fille aux mâchoires serrées. En surplomb, Crywen contemplait ce qui restait de son village natal.
Havre-du-Soir plongé sous les eaux. Ci et là, un bout de toit émergé et, à la surface, divers effets personnels flottant au gré du courant.
Était-elle donc venue jusqu'ici pour rien? Ou alors était-ce bel et bien ce qu'elle était censée trouver? Toute cette distance parcourue, ces heures de voyage, cette faim et ces sens diminués...pour des ruines? Pour les derniers vestiges d'une enfance aujourd'hui révolue, hier encore chérie ?
Non...ce n'était pas possible. Il y avait autre chose. Il DEVAIT y avoir autre chose.
C'est tel un automate qu'elle fit un pas en avant, les yeux fixement rivés sur le linceul aquatique qui recouvrait son village. Cette simple vision aurait suffit à la glacer d'effroi, à lui faire rebrousser chemin aussitôt mais...Crywen était envahie d'une volonté nouvelle. Et étrange. Cette force qu'"Il" lui donnait soir après soir, et à chaque levé du jour.
La terre s'était brisée, s'était effondrée. Pour atteindre ce bourg englouti, il lui fallait à présent trouver le moyen de descendre le long des parois escarpées de la falaise sur laquelle elle se trouvait. Falaise qui n'était autre que jadis l'allée principale menant au Manoir de Grisetête, auquel du reste, elle n'avait accordé qu'une attention polie, en le contournant.
La jeune fille resta ainsi quelques instants, plongée dans ses pensées, sûrement entrain de réfléchir à comment s'approcher, descendre, en prenant le moins de risque possible. Dans son état, elle ne pouvait se permettre de se blesser grièvement ou de se retrouver dans une position délicate. Et puis..il y avait cette eau...toute cette eau...
Ses yeux d'ébène se plissèrent. Des images de moments peut-être trop longtemps occulté s'imposèrent dans son esprit, implacables, comme un verdict.
Elle se revoyait penchée au dessus d'un conteneur rempli d'eau. C'était une sorte de récipient en étain, plus long que large, et disposé derrière la maison familiale, un peu à l'écart. Ça y est, elle le re-situait a présent. Il s'agissait de l'abreuvoir des chevaux.
Mais...pourquoi cette surface aqueuse se rapprochait-elle aussi dangereusement, aussi inexorablement de son visage alors encore poupon?
Comment et par quel obscur moyen ses narines se remplissaient-elles de cette eau sale tandis qu'elle se souvenait s'être débattue comme une diablesse ?
Plus important encore. Pourquoi avait-elle eu besoin de se débattre? Cela signifiait-il qu'on la maintenait ainsi volontairement? Avait-elle donc été bien vilaine?
Il fallut quelques longues minutes à la jeune fille pour reprendre ses esprits. Quand ce fut le cas, Crywen s'aperçut que sans s'en rendre compte, elle s'était accroupie, la main droite sur l'épaule gauche et vice-versa, et se balançait d'avant en arrière, lentement, comme hébétée. Elle secoua la tête et ferma les yeux un moment avant de rouvrir les paupières.
Elle se figea. Quelque chose au loin venait d'attirer son attention. Sur l'un des toits émergés semblait se tenir une silhouette élancée, vêtue d'une longue robe de la couleur pourpre de la grenade. Cette personne...ces habits..
La jeune fille écarquilla les yeux et se rua jusqu'à l'extrême bord du ravin. La pointe de ses pieds se trouvait ainsi dans le vide, mais elle n'en avait cure. Après une seconde d'hésitation, elle ouvrit la bouche et s'époumona, criant et criant encore ce nom qu'elle n'avait plus eu l'occasion de prononcer depuis bien des mois. Qu'elle pensait même ne plus prononcer un jour.
"Lélianne...! Lélianne...!"
Après une inspiration profonde, éperdue.
" ...Maman!...."
Crywen K.
Re: Réminiscences
Qu'est-ce qui lui arrivait..? Quelque chose ne tournait définitivement pas rond. Hormis sa tête.
Crywen était prise d'importants vertiges, qu'elle tentait désespérément d'ignorer, afin de rester concentrée sur la silhouette en contre-bas. Silhouette qui se faisait d'ailleurs de plus en plus informe, vague, jusqu'à n'être plus qu'un récent souvenir. Ou un caprice de son imaginaire débordant.
"Lélianne..." parvint-elle à articuler une dernière fois, avant de se mettre à tousser violemment, tombant à genoux au bord de la falaise.
Quelle ne fut pas sa surprise et son inquiétude lorsqu'elle rejeta soudainement un filet de sang, qui vint se répandre sur le sol. Cette petite éclaboussure rouge fut cependant vite emportée par la pluie, qui ne cessait de s'abattre sur le Pays.
"Retourner....je dois retourner..."
Les dents serrées, la jeune fille s'employa à se relever, avec beaucoup de difficultés. Elle n'avait décidément pas de stabilité, ainsi perchée sur ses jambes tremblantes.
Tout autour d'elle n'était que couleurs, criardes ou très ternes au contraire, se mélangeant, se superposant dans une valse délirante qui la força à prendre sa tête entre ses mains et à crier. Longtemps.
Cri de détresse qui se mua en hurlement terrifié lorsque, sous les semelles de ses bottes, se déroba la parcelle de pierre sur laquelle elle se tenait. Le bord de la falaise avait cédé, emportant avec elle un petit être terrorisé qui essayait tant bien que mal de se protéger le visage des débris de rochers, qui se déversaient en cascade tout autour d'elle.
Ces quelques vestiges de falaise heurtèrent la surface lisse de la mer dans un fracas épouvantable, bientôt suivis d'un corps malingre duquel, sembla s'échapper un dernier appel à l'aide, comme un mot qui s'impose à nous lorsque la panique nous envahit.
On ne sait pas toujours pourquoi on le prononce ce mot, mais il franchit inexorablement nos lèvres, comme un besoin, un dernier pied-de-nez au destin. Maîtresse d'une dernière parole. Dans le cas de Crywen, ce mot fut murmuré, presque seulement pour elle-même, comme si elle n'en attendait finalement rien. Rien d'autre que le réconfort de le dire une fois encore.
" Rysed..."
Flottant au milieu des décombres, un foulard de tisse-mage écru.
Crywen était prise d'importants vertiges, qu'elle tentait désespérément d'ignorer, afin de rester concentrée sur la silhouette en contre-bas. Silhouette qui se faisait d'ailleurs de plus en plus informe, vague, jusqu'à n'être plus qu'un récent souvenir. Ou un caprice de son imaginaire débordant.
"Lélianne..." parvint-elle à articuler une dernière fois, avant de se mettre à tousser violemment, tombant à genoux au bord de la falaise.
Quelle ne fut pas sa surprise et son inquiétude lorsqu'elle rejeta soudainement un filet de sang, qui vint se répandre sur le sol. Cette petite éclaboussure rouge fut cependant vite emportée par la pluie, qui ne cessait de s'abattre sur le Pays.
"Retourner....je dois retourner..."
Les dents serrées, la jeune fille s'employa à se relever, avec beaucoup de difficultés. Elle n'avait décidément pas de stabilité, ainsi perchée sur ses jambes tremblantes.
Tout autour d'elle n'était que couleurs, criardes ou très ternes au contraire, se mélangeant, se superposant dans une valse délirante qui la força à prendre sa tête entre ses mains et à crier. Longtemps.
Cri de détresse qui se mua en hurlement terrifié lorsque, sous les semelles de ses bottes, se déroba la parcelle de pierre sur laquelle elle se tenait. Le bord de la falaise avait cédé, emportant avec elle un petit être terrorisé qui essayait tant bien que mal de se protéger le visage des débris de rochers, qui se déversaient en cascade tout autour d'elle.
Ces quelques vestiges de falaise heurtèrent la surface lisse de la mer dans un fracas épouvantable, bientôt suivis d'un corps malingre duquel, sembla s'échapper un dernier appel à l'aide, comme un mot qui s'impose à nous lorsque la panique nous envahit.
On ne sait pas toujours pourquoi on le prononce ce mot, mais il franchit inexorablement nos lèvres, comme un besoin, un dernier pied-de-nez au destin. Maîtresse d'une dernière parole. Dans le cas de Crywen, ce mot fut murmuré, presque seulement pour elle-même, comme si elle n'en attendait finalement rien. Rien d'autre que le réconfort de le dire une fois encore.
" Rysed..."
Flottant au milieu des décombres, un foulard de tisse-mage écru.
Crywen K.
Re: Réminiscences
Quelle musique fascinante. Crywen dressa l'oreille afin d'en profiter pleinement. L'ambiance était au beau fixe ce soir. Elle s'avança, à pas de loup, en direction de là d'où provenaient ces sons qui lui étaient d'autant plus agréables qu'ils lui étaient étrangement familiers.
Là, elle voyait à présent. Sur les hauteurs de l'Eminence, un joyeux rassemblement s'était mué en fête improvisée et clandestine. Autour d'un feu, des messieurs de tous âges s'essoufflaient sur des violons, desquels ils tiraient des notes lancinantes, entêtantes, et parfois si rapides qu'elles vous vrillaient les tympans.
Évoluant au rythme de ces mélodies typiquement gilnéenes, de belles dames aux sourcils noirs et épais se donnaient en spectacle. Rubans et châles en mains, elles dansaient tout autour du foyer qui venait agrémenter leurs visages, de l'éclat orangé de ses flammes.
Ébahie, les lèvres entrouvertes et les yeux ronds, Crywen, du haut de son mètre trente sept, s'approcha timidement. Elle ne quittait pas les danseuses du regard, captivée qu'elle était par leur habile jeu de rein, par cette façon qu'elles avaient de vous ensorceler d'un seul de leur regard de braise.
Elle les rejoignit bientôt et se contenta d'abord de rester là, à les regarder faire. Elle s'étonnait que personne ne l'ait encore chassée d'ici, comme ils avaient pourtant l'habitude de faire quand elle venait trop près. Cette fois, ils ne bronchèrent même pas. D'aucun tenta d'ailleurs de l'effrayer en la soulevant de terre pour faire mine de le jeter au feu. Cela les faisait pourtant bien rire d'habitude.
"Ce doit être grâce à mon ruban magique." se dit-elle. Et la fillette porta sa petite main potelée à ses cheveux, saisissant le petit bout d'étoffe qui ornait ses boucles.
Et quelle ne fut pas sa stupeur lorsque l'une des brunes danseuses se pencha vers elle, un grand sourire aux lèvres. Comme si elle avait lu dans ses pensées, la femme tira délicatement sur le fameux ruban. Elle le lui tendit alors, toujours sans mot dire, et désigna du menton le feu et celles qui ondulaient tout autour.
Crywen avait à présent dix-huit ans, et son ruban glissé sur les épaules, tenu du bout des doigts, elle se trémoussait avec une langueur qui n'avait rien à envier aux autres. Les paupières closes, comme totalement sous l'emprise de cette musique de plus en plus intense, la jeune fille se laissait aller.
Sa façon de bouger était...presque animale. Sous sa tunique courte qui révélait son adorable nombril, on pouvait facilement deviner ses muscles tendus. Son dos savait rester droit tandis que ses hanches battaient la cadence, à l'unisson des hommes qui tapaient le rythme de la musique du pied. Quelques cris d'encouragement joyeux jaillissaient ci-et-là.
Puis, alors que le glissement des archets sur les cordes se faisait de plus en plus frénétique, voire surnaturel, Crywen fut envahie d'un sentiment d'effroi intense. Son estomac se noua, son cœur se mît â battre a tout rompre. Elle rouvrit les yeux et constata avec dégoût que son joli ruban s'était changé en un serpent aux crocs menaçants. La bouche grande ouverte et le corps redressé, il la dominait, ses horribles billes reptiliennes ne la lâchant pas une seconde.
La jeune fille sentit la pointe fourchue de sa langue effleurer son visage, et, d'instinct, elle referma les paupières tout en poussant un hurlement terrifié. La mélodie ne cessait pas, atteignant bientôt son paroxysme alors que le reptile frappait, implacable.
"Bah alors, on rêvasse mon Bijou?"
Crywen, haletante, notifia une main se glisser dans son dos, mais elle ne s'en offusqua pas le moins du monde. Même si tout cela n'avait aucun sens pour elle, elle sentait que le danger était parti. Elle rouvrît les yeux et offrit son plus joli sourire à Edward, sans même prendre la peine de se demander comment et par quel moyen elle se retrouvait à présent, en compagnie du Kenelith, au beau milieu d'Hurlevent...
Là, elle voyait à présent. Sur les hauteurs de l'Eminence, un joyeux rassemblement s'était mué en fête improvisée et clandestine. Autour d'un feu, des messieurs de tous âges s'essoufflaient sur des violons, desquels ils tiraient des notes lancinantes, entêtantes, et parfois si rapides qu'elles vous vrillaient les tympans.
Évoluant au rythme de ces mélodies typiquement gilnéenes, de belles dames aux sourcils noirs et épais se donnaient en spectacle. Rubans et châles en mains, elles dansaient tout autour du foyer qui venait agrémenter leurs visages, de l'éclat orangé de ses flammes.
Ébahie, les lèvres entrouvertes et les yeux ronds, Crywen, du haut de son mètre trente sept, s'approcha timidement. Elle ne quittait pas les danseuses du regard, captivée qu'elle était par leur habile jeu de rein, par cette façon qu'elles avaient de vous ensorceler d'un seul de leur regard de braise.
Elle les rejoignit bientôt et se contenta d'abord de rester là, à les regarder faire. Elle s'étonnait que personne ne l'ait encore chassée d'ici, comme ils avaient pourtant l'habitude de faire quand elle venait trop près. Cette fois, ils ne bronchèrent même pas. D'aucun tenta d'ailleurs de l'effrayer en la soulevant de terre pour faire mine de le jeter au feu. Cela les faisait pourtant bien rire d'habitude.
"Ce doit être grâce à mon ruban magique." se dit-elle. Et la fillette porta sa petite main potelée à ses cheveux, saisissant le petit bout d'étoffe qui ornait ses boucles.
Et quelle ne fut pas sa stupeur lorsque l'une des brunes danseuses se pencha vers elle, un grand sourire aux lèvres. Comme si elle avait lu dans ses pensées, la femme tira délicatement sur le fameux ruban. Elle le lui tendit alors, toujours sans mot dire, et désigna du menton le feu et celles qui ondulaient tout autour.
Crywen avait à présent dix-huit ans, et son ruban glissé sur les épaules, tenu du bout des doigts, elle se trémoussait avec une langueur qui n'avait rien à envier aux autres. Les paupières closes, comme totalement sous l'emprise de cette musique de plus en plus intense, la jeune fille se laissait aller.
Sa façon de bouger était...presque animale. Sous sa tunique courte qui révélait son adorable nombril, on pouvait facilement deviner ses muscles tendus. Son dos savait rester droit tandis que ses hanches battaient la cadence, à l'unisson des hommes qui tapaient le rythme de la musique du pied. Quelques cris d'encouragement joyeux jaillissaient ci-et-là.
Puis, alors que le glissement des archets sur les cordes se faisait de plus en plus frénétique, voire surnaturel, Crywen fut envahie d'un sentiment d'effroi intense. Son estomac se noua, son cœur se mît â battre a tout rompre. Elle rouvrit les yeux et constata avec dégoût que son joli ruban s'était changé en un serpent aux crocs menaçants. La bouche grande ouverte et le corps redressé, il la dominait, ses horribles billes reptiliennes ne la lâchant pas une seconde.
La jeune fille sentit la pointe fourchue de sa langue effleurer son visage, et, d'instinct, elle referma les paupières tout en poussant un hurlement terrifié. La mélodie ne cessait pas, atteignant bientôt son paroxysme alors que le reptile frappait, implacable.
"Bah alors, on rêvasse mon Bijou?"
Crywen, haletante, notifia une main se glisser dans son dos, mais elle ne s'en offusqua pas le moins du monde. Même si tout cela n'avait aucun sens pour elle, elle sentait que le danger était parti. Elle rouvrît les yeux et offrit son plus joli sourire à Edward, sans même prendre la peine de se demander comment et par quel moyen elle se retrouvait à présent, en compagnie du Kenelith, au beau milieu d'Hurlevent...
Crywen K.
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum