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Gardien des secrets

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Message  Sigismund Jeu 12 Mar 2015, 08:51

« Racontes-nous l’enfant que tu étais. »

~ ~ ~

La bougie solitaire diffusait une faible lueur dans la chambre spartiate. L’autel de la Lumière en son centre n’arborait qu’un simple présentoir où trônait un livre écorné, ainsi qu’un symbole de la Lumière forgé dans un bronze terne.
Contrairement au reste de l’abbaye, cette pièce-là ne disposait pas de magnifiques vitraux colorés. Seule une petite meurtrière donnait vers l’extérieur, ne laissant filtrer qu’un mince rayon lunaire. Les bruits s’en trouvaient étouffé, coupant le lieu de culte du monde par les épais murs de pierre.

Face à l’austère autel, Sigismund priait en silence, agenouillé avec déférence. Sa large robe de bure dissimulant à peine ses larges épaules et ses bras taillés comme des troncs. La capuche brune rabattue sur son visage à la barbe broussailleuse, son ombre se retrouvait projetée par la bougie tremblotante sur le mur derrière lui.
La porte de chêne grinça sur ses gonds rouillés, laissant passer un second homme vêtu de la même livrée brune grossière. Les mains jointes sous ses larges manches et le visage en parti couvert, il attendit silencieusement que Sigismund termine sa prière. L’arrivant, plus élancé mais moins grand, était tout aussi difficile à définir que le résident des lieux. Sa robe ample masquant tout signe distinctif qui aurait permis de le reconnaitre d’un simple coup d’œil. Il n’était qu’un frère parmi les autres, anonyme et invisible.

« Ils sont arrivés, frère. Ils sont trois. »

Sigismund tourna la tête vers son homologue, avant de se signer d’un bref signe sur le torse et de se redresser. Debout, la différence de stature était encore plus frappante, et même la livrée monastique ne pouvait lisser l’écart de corpulence entre les deux hommes. L’arrivant inclina la tête, et prit le chemin de la sortie, suivi de près par l’occupant de la chambre qui referma derrière eux.

Le duo traversa les couloirs de l’abbaye, sans jamais emprunter les grandes salles éclairés. Plusieurs fois, ils croisèrent des prêtres de la Sainte Eglise, sans qu’un seul échange de parole ou de regard ne soit échangé. Fantômes ignorés, les deux hommes se glissaient silencieusement au travers des coursives, dans un silence clérical. Ils arrivèrent finalement à la grande porte, et trouvèrent sur le perron trois hommes aux allures contrastés.

Le plus avant devait être un soldat, ou du moins l’avait été fut un temps. Par-dessus un juste-au-corps crasseux, il portait une cote de maille en piteux état et un camail de fer terni. A sa ceinture se trouvait une épée courte, et il se tenait d’une main sur une lance qui avait dû connaitre des jours meilleurs. Son visage balafré lui faisait arborer un air grincheux et mécontent.

Le second ne devait pas avoir plus de vingt ans. A l’inverse du soldat, lui portait une toilette délicate et des vêtements d’une grande richesse. Ses mains lisses et son visage pâle ne le désignait pas comme un travailleur des champs, et sa tenue faite de soieries ainsi que les bijoux à ses poignets faisaient d’avantage penser à un riche héritier fortuné qu’à un garçon du peuple.

La dernière était une femme d’âge mûr aux cheveux courts, grisonnants. Malgré son visage émacié et ses traits anguleux, il se dégageait de son regard froid une certaine beauté, de celles qui ont trop vécu et se sont fanés avant l’heure. A ses hanches pendaient deux fines rapières aux fourreaux de cuir mât.

Les trois voyageurs levèrent les yeux vers les hommes en robe de bure, et Sigismund écarta les bras pour les accueillir, sans plus d’hospitalité.


« Nous vous attendions à l’aube. Mais il faut croire que vous avez devancé le soleil. Je pourrais vous souhaiter la bienvenue, mais l’hypocrisie n’est pas une vertu que j’affectionne. »
Il sourit, bien que celui-ci fût teinté d’une certaine amertume. Il enchaina de sa voix grave et posée, à l’attention du trio qui s’était tourné vers lui.

« Si votre volonté vous a guidé jusqu’ici, alors vous savez qu’avant d’entrer avec nous, vous devez laisser ici vos effets, vos armes, et vos biens. Oubliez vos noms, car personne ne les prononcera en ce lieu. Défaites vous de qui vous étiez, mais gardez vos fautes à l’esprit. Car elles seront les seules choses que vous porterez au-delà de ses portes. »

Sigismund marqua un temps d’arrêt, semblant juger chacun des trois voyageurs. Aucun de ceux-là ne baissèrent les yeux, pas même le jeune noble au teint pâle. Ils lâchèrent leurs sacs, et posèrent leurs armes, comme pour lui signifier leur accord.

« N’espérez rien de moi. Personne ne pourra vous absoudre ici, si ce n’est la Lumière. Nous ne sommes pas vos sauveurs. Mais tant que vous porterez la robe de bure, vos secrets seront bien gardés. »


D’un geste de la main, il invita le trio à suivre son comparse, qui s’enfonçait déjà dans les sombres couloirs de l’abbaye.


Dernière édition par Sigismund le Mar 28 Avr 2015, 12:19, édité 1 fois
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Message  Sigismund Mar 28 Avr 2015, 12:17

Que voyez-vous lorsque vous fermez les yeux, Sigismund ?

--------


« Seigneur Erebus ? »

La voix le tira de sa méditation. Lorsqu’il ouvrit les paupières, l’homme se rendit compte qu’il était en nage, baignant de sueur sous sa robe sanguine. Ses mains moites serraient fermement le bâton de métal devant lui, avec tant de force que ses phalanges avaient blanchi. Son dos le lançait, et ses muscles criaient leur douleur à son esprit. Depuis combien de temps se trouvait-il ici, dans cette posture inconfortable ? La morsure du fouet s’était estompée, remplacée par une souffrance plus sourde, née de l’immobilisme.


« Monseigneur, tout va bien ? »


La voix du jeune page fit d’avantage revenir le chapelain des brumes de son esprit. Il puisa dans sa volonté pour lui répondre, malgré le fait que chaque mot lui fasse l’effet d’une centaine d’éclat de verres figés dans sa bouche. Une voix rauque et écaillée répondit au garçon, légèrement tremblante.


« Tout va bien. Je ne voulais pas être dérangé, je pensais avoir été clair »


Le jeune page grimaça, et fut pris d’un malaise désagréable. Il balbutia quelques instants, en cherchant au fond de son âme le courage de ne pas baisser les yeux.


« C’est... le chevalier Hectelion. Il est rentré, et désir v... vous voir, monseigneur. »



L’homme en robe rouge mit quelques instants à emmagasiner les informations que son esprit recevait. Les souvenirs lui revinrent, un à un. Il assembla les pièces du puzzle, pour reconstituer un semblant de réflexion, comme à chaque fois qu’il sortait d’une méditation difficile.
Lorsqu’il répondit au garçon, sa voix était déjà moins hésitante. De nouveau, il s’exprimait avec force et gravité, d’une diction mesurée et impérieuse.


« Dis-lui que je l’attendrais dans la Chambre Carmine »


Sous l’ordre ferme, le page cilla, et hocha vivement la tête. Il ne désirait qu’une chose, c’est mettre un terme à cet entretien le plus rapidement possible, et de préférence avant que les larmes qu’il sentait monter ne coulent sur ses joues. Mieux valait un départ précipité que laisser l’homme en robe distinguer un tel signe de faiblesse.


« Ce sera fait seigneur Erebus »



Il s’inclina, avec déférence. Masquant sa hâte sous les tentures de la soumission, le page quitta la petite alcôve d’un pas rapide.
L’homme en robe s’appuya sur un genou pour se redresser. Ses muscles trop longtemps figés crièrent leur peine à se réveiller, par des courbatures douloureuses. Bien qu’il en savoura un bref instant la morsure, il ne se laissa pas aller à en aggraver l’état. Une longue journée l’attendait, et il avait beaucoup à faire.


Après une dernière prière, Erebus quitta à son tour l’alcôve du Martyr, qui demeura silencieuse.


.....

Si la bravoure avait eu un visage humain, Hectelion Dometrius en aurait été l’avatar.
Son visage arborait toute la noblesse et la grandeur qu’un homme pouvait espérer. Un front large, un nez fier et un menton carré. Mais au-delà d’une certaine beauté physique, le paladin portait sur le monde un regard d’un gris acier, clair et inoxydable. Et ce tableau magistral s’accompagnait d’une armure sur mesure, aux plaques d’acier blanches et rouges, élargissant sa carrure et sublimant son aura déjà palpable.

La dureté de ses traits était adoucie par la bravoure et la grandeur d’âme qui émanait de lui, telle une icône des vertus humaines. On aurait cru qu’il était sorti d’un roman, tel le héros sans peur et sans reproche, prêt à pourfendre le sorcier et sauver la princesse. Et ce tableau magistral s’accompagnait d’une armure sur mesure, aux plaques d’acier blanches et rouges, élargissant sa carrure et sublimant son aura déjà palpable.


Si ce n’était la flamme qui brûlait au fond de ses yeux.

Pour celui qui croisait Hectelion pour la première fois, cette lueur serait apparue comme une marque de caractère ou de courage. Mais pour les rares âmes qui côtoyaient depuis longtemps le paladin, il en naissait en certitude évidente et dérangeante, que ce vernis si avenant masquait en vérité quelque chose d’autre. Le genre de squelettes qu’on enferme dans un placard, et dont la clef était depuis longtemps égarée.


Ce regard, cette présence, cette anomalie si bien dissimulée, Hectelion la partageait avec le seul être qu’il respectait véritablement. Le seul avec qui il partageait son sang.


Erebus pénétra dans la grande salle de banquet, vide à cette heure. Il avait passé une nouvelle bure aux tons cramoisis, dont les pans s’écartaient parfois pour révéler une armure faite de bronze et d’airain.

Même s’il avait de nombreux points communs avec Hectelion, personne n’aurait pu soupçonner leur ascendance commune. Bien que de la même taille et du même gabarit, les deux hommes semblaient avoir emprunté un chemin différent. Là où le premier semblait se déplaçait avec fougue, le second était plus mesuré. Prudent, ou discret, c’était difficile à dire. Sans jamais faire preuve d’empressement, Erebus prenait le temps en toute chose. Là où son frère se montrait expressif et exubérant, lui n’était que mesure et calme. L’un était fier, l’autre dissimulait autant ses pensées sous des sourires énigmatiques que son corps sous d’amples robes de bure, le plus souvent portées par-dessus une armure.



Il s’approcha d’Hectelion, qui l’accueilli avec l’un de ses rares sourires sincères, et ils s’empoignèrent l’avant-bras en faisant claquer leurs armure l’une contre l’autre, à la manière des guerriers de jadis.

Ce fut Erebus qui brisa le silence cérémonieux de leurs retrouvailles, comme toujours.


« Je ne t’attendais pas de sitôt, mon frère. »


Son interlocuteur lui répondit avec un bref sourire, complice et sérieux à la fois.

« Tu sais comment je suis, long à démarrer, rapide à en finir »

« Oui, ta femme s’en plaint souvent »


Les deux hommes partirent d’un rire franc, qui résonna dans la grande salle aux murs couvertes de tentures blanches et rouges. Pendant un instant, on aurait cru assister à une scène commune, celle de deux amis, deux frères, se retrouvant. Mais au-delà de la camaraderie, il était autre chose qui unissait ces deux hommes, un lien à la fois simple et complexe, qui mit fin à leur rire commun.

Après l’hilarité, un long silence s’installa. Les sourires s’effacèrent, pour laisser place à une certaine gravité, un malaise, comme s’ils s’étaient allé à quelque comportement peu honorable. Lorsqu’Erebus reprit la parole, sa voix était plus feutrée.


« L’as-tu trouvé ? »


La réponse ne se fit pas attendre, comme si Hectelion n’attendait qu’une chose depuis son arrivé, de pouvoir lui donner la réponse satisfaisante, celle qu’ils attendaient tout deux depuis des années.

« Oui, mon frère. Je l’ai trouvé. Il est … sublime. Je n’avais jamais autant pleuré depuis les écrits... »
« Silence. »


La réplique cinglante d’Erebus fit ciller son frère de sang. Plus qu’un rabrouement, la voix de l’homme en bure avait quelque chose de frappant. Elle ne semblait pas simplement modulée par sa gorge, sa langue, et sa bouche, mais puisait sa force ailleurs. Hectelion avait déjà été témoin de ce phénomène, lorsque les prêtres usaient de leurs Mots pour guérir, protéger, ou punir. Mais le timbre de son frère était plus subtil, moins manichéen. Il senti presque le verrou qui se posa l’espace d’une seconde sur son esprit, sans pour autant d’être certain de la nature de ce sentiment. Etait-ce un sort ? Ou juste un effet de surprise, de le voir s’adresser ainsi à lui ?

Hectelion fronça les sourcils, et rétorqua d’une voix plus forte, bien déterminé à ne pas se laisser renvoyer ainsi dans les cordes.

« J’ai gagné le droit de la parole. Ce n’est pas toi qui a fait couler du sang Pur et qui a blasphémé et outragé, pour l’obtenir. »

« Montres le moi. »



De nouveau, ce ton étrange, à la fois supplication et ordre impérieux. Alors même qu’Hectelion allait s’offusquer d’un tel manque de reconnaissance, il se rendit compte qu’il avait ouvert son sac, et extrait l’objet en question, sans même en prendre conscience. Avant qu’il ne puisse répliquer, ou arrêter son geste, son frère avait déjà en main la chose en question, sur laquelle il portait un regard dévot.


Non, pas dévot. Ambitieux.


Erebus passa sa main sur la couverture en cuir bordeaux de l’ouvrage. C’était un épais grimoire, en apparence usagé. Un mauvais état qui n’en n’était pas vraiment un, comme si l’auteur avait tout fait pour lui faire perdre de son éclat. Les pages jaunâtres étaient gondolés, les coins racornis, la tranche usée. Un ruban noir accroché à la couverture servait de marque-page, plongé au cœur du livre.

Avec une grande déférence, Erebus l’ouvrit.



Sur le parchemin en mauvais état s’étalait des lignes entières d’une écriture serrée, si compressées que la page semblait à première vue noirci. Cà et là, des schémas et des croquis plus ou moins clairs s’étalaient, coupant parfois le texte en deux, sans aucune raison. Aux yeux du profane, le texte était imbuvable, tant dans sa forme que dans son fond. Aucun paragraphe, aucune ouverture dans les lignes, ni titre ni chapitre. Juste des mots, encore et encore, déversés là avec hâte. Un empressement qui avait sacrifié toute forme d’esthétisme, de convenance ou de pratique, pour tenter de coucher sur chaque page le maximum de texte et de dessins. Et ce sur les centaines de parchemins qui composait le grimoire.


Les lèvres d’Erebus s’agitaient en silence, au rythme de la lecture qu’il avait prise en plein milieu du livre. Et pourtant, ses yeux s’éclairèrent d’un éclat de compréhension et un sourire naquit sur son visage. Rien d’autre ne semblait en cet instant avoir la moindre importance, ni le lieu dans lequel il se trouvait, ni la présence d’Hectelion, ni même les cloches de la cathédrale de la Main de Tyr qui sonnait au dehors pour annoncer une nouvelle attaque, la troisième depuis l’aube.


Il fut brusquement ramené par la réalité par la main d’Hectelion qui se referma sur son avant-bras avec une force insoupçonnée.


« Assez. Nous devons partir, maintenant. Le mettre en sécurité, avant que les flammes ne ravagent tout, ou pire, qu’Abendis mette la main dessus. »


La colère brulait dans le regard du paladin, mais aussi l’inquiétude. La peur d’échouer si près du but, la crainte des conséquences d’un tel échec. Pire encore, il craignait pour sa vie.
Erebus, lui, n’avait jamais été aussi serein. Il savait enfin. Elle était là, entre ses mains, la preuve de Son existence. La Vérité, pure, dénuée des habits grossiers dont les hommes l’avaient toujours revêtue. A présent, les dernières traces d’hésitation s’étaient effacées au profit d’une Foi plus résistance que le Thorium, plus clair que jamais. Il rendit à son frère de sang un regard froid, rendu impénétrable par le feu qui flamboyait en lui.



« Oui mon frère. Tu as raison. Il est temps d’aller de l’avant. Mais ce n’est pas la fin, comprends-tu ? C’est un nouveau commencement. La Vérité nous tend les bras, et la Lumière réchauffe déjà les âmes pures. »



Hectelion grimaça et lui renvoya un regard courroucé. Il tira sur le poignet d’Erebus avec un empressement né de l’inquiétude que lui inspirait les cris au dehors, sifflant entre ses lèvres alors qu’ils se retrouvaient l’un contre l’autre.


« Cesses de divaguer, espèce de fou. Ce n’est ni l’heure des prières, ni l’heure des sermons, nous dev... »


Sa phrase s’acheva dans un hoquet de surprise, et un gargouillis de douleur. Le paladin cligna des yeux, baissant le regard vers la source de douleur.
Tout contre lui, Erebus avait posé une main sur son épaule, l’autre tenant la poignée d’une dague dont la lame s’était profondément figée entre les plaques d’armure d’Hectelion. Elle avait sans peine traversé le tissu, le cuir, la peau et la chair. Tranchant sur son passage veines et artères, dans une blessure mortelle et mesurée. Le chapelain laissa poser sur son frère un regard calme et mesuré, et lui sourit même, avec une certaine compassion.

« Tu as raison, mon frère. Ce n’est plus l’heure des prières. Mais celui de la Vérité. »

Il se pencha à son oreille pour lui murmurer d’une voix douce, sereine, alors que son poignet effectuait un léger mouvement de rotation, pour s’assurer que la mort le prenne sans tarder.

« Et écoutes bien cette Vérité. Tu es faible, mon frère. Malgré ton talent, tes victoires et ton prestige. Car ta faiblesse est celle de tous les hommes qui se refusent de voir les Mensonges qui les font. Tu n’aurais jamais été capable de mener à bien notre mission. C’est à moi de le faire, moi qui en a la charge, la volonté. Ce n’est pas une arme, un pouvoir, ou un titre, qui fait la force d’un homme. C’est sa volonté. Sa capacité à séparer la Vérité du Mensonge. A sceller et conserver les secrets. C’est ce qui fait qu’une bataille se gagne avant même d’être livrée. Qu’un homme meurt avant de voir sa fin venir. Tout comme tu meurs à présent. Mais sois en paix, car je continuerais notre noble quête. Je suis le Porteur de la Vérité. Un Apôtre conscient de sa tâche, de ses devoirs, et des sacrifices. Adieu, mon frère. Puisse la Très Sainte t’ouvrir ses bras et te pardonner. »



D’un geste sec, Erebus retira la lame meurtrière, laissant Hectelion s’effondrer à genoux, les deux mains sur sa plaie sanguinolente. Il leva une dernière fois un regard incrédule vers son frère, un filet de sang au coin des lèvres, et s’écroula de tout son long dans une mare de sang qui ne cessait de grandir.


Erebus essuya la lame sur sa bure en poussant un léger soupir. Contemplant le corps sans vie, il eut le plaisir de ne rien ressentir d’autre que la satisfaction d’une œuvre accomplie. Une des nombres étapes sur la route de la Vérité, qu’il oublierait bien vite, supplantée par tant d’autres.


Au dehors, les cris se rapprochaient. Le Fléau serait bientôt là, et il serait alors trop tard.
Sans attendre, l’homme en robe traversa la salle sans un regard en arrière en tenant fermement le précieux ouvrage contre lui, et s’arrêta devant une grande bibliothèque. Sa main se glissa sur le côté du meuble, cherchant quelques instants le mécanisme secret, alors que les bruits des combats se rapprochaient dangereusement. Soudain il entendit l’engrenage s’activer, et la bibliothèque s’écarter légèrement, juste de quoi laisser passer un homme.


Erebus s’engouffra dans le passage et disparu dans les ténèbres.
Sigismund
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Message  Sigismund Mer 03 Juin 2015, 13:37

La bougie se consumait doucement, d’une flamme timide manquant de s’éteindre à chaque courant d’air qui ne manquait pas de se glisser entre les pierres froides de l’abbaye. Si elle éclairait à peine, sa simple lueur était amplement suffisante à l’occupant de la salle d’étude. Penché sur un grimoire oublié de mémoire d’homme, les épaules voutées, il passait fébrilement ses doigts sous les mots qu’il lisait avec précaution.

Son esprit était une lame aiguisée, vif et précis, qui fusait rapidement entre les lignes étroites. Il dévorait les pages, une à une, luttant contre l’attrait maladif qui se déversait de l’ouvrage. Parfois, quand il tombait sur un passage digne d’intérêt, sa plume allait annoter la marge jaunis d’une écriture tremblante.  


La flamme faisait danser les ombres et les lumières éparses sur un visage grave, terriblement marqué par la fatigue et la privation. Il lui était impossible de se souvenir de la dernière fois qu’il s’était nourrit, ou même reposé. Le cycle du jour et de la nuit s’était lentement étiolé, pour ne laisser place qu’à de brèves heures de repos lorsque ses paupières refusaient obstinément de rester ouvertes.

Mais pour l’érudit, la fatigue n’était que le dernier de ses soucis.
Car lorsqu’il se penchait sur les pages racornis et que son esprit se noyait dans les mots couchés sur le papier, son âme elle-même allait frôler les frontières intangibles de la folie. Qui que fut l’auteur, ou quoi qu’il fut jadis, l’écho de sa connaissance et de ses démons avaient traversés les âges par le biais de ses écrits.
Entre divagations, formules sans queue ni tête, phrases sans ponctuation qui s’étalait sur des pages et des pages, le simple exercice de déchiffrage lui donnait l’impression qu’une main malsaine venait fouiller les mécanismes de son esprit et le conduisait aux prémices de la déraison.

Tout être doué de mesure aurait depuis longtemps abandonné cette tâche infructueuse et ranger le grimoire sur l’une des nombreuses étagères de l’abbaye, pour le laisser prendre la poussière durant de nombreuses années.
Pas pour Erebus.

A ses yeux, l’invraisemblable sacrifice demandé, ne serait-ce que pour séparer grossièrement les spasmes de folie de l’auteur et les graines de la Vérité, n’était qu’une des épreuves destinée à tester sa Foi.
Libéré du poids d’une bure inutile, et des artifices grossiers qui l’avaient mené à ce jour, il pouvait enfin se concentrer sur la véritable tâche qui lui importait. Tel l’ermite qui se serait éloigné des fastes citadelles d’or et d’argent, il empruntait le chemin poussiéreux de la plus précieuse des études.


Bien qu’il lui arrivait encore de retourner se mêler à ses prétendus semblables, il s’agissait d’avantage d’empêcher la dégénération de son esprit que de trouver source de distraction.

L’ironie du sort lui tirait parfois quelques sourires grinçants. Lui, le chercheur de la Vérité, Croisé en Son nom, se devait de revêtir l’habit du pécheur et du mensonge. Non pas que les remords commencent à rouiller son esprit de fer après tant d’années, mais le fait de côtoyer les frontières de la folie rognait sur la tempérance dont il aimait à se vanter.


Aucun n’en vaut la peine. Tous mentent, Erebus. Non pas comme toi, pour préserver la pureté du chemin des martyrs, mais par complaisance. Tu le sais, Erebus. Ceux qui fautent par lâcheté finiront tous souillés.



D’un mouvement de tête, l’érudit chassa la voix. Celle-ci s’était faite plus pressante, ces derniers temps. L’auguste oracle de sa propre folie, le grincement d’un millier de dents contre la pierre. Le chuintement du néant, prenant des accents de conscience, pour chercher à le faire chuter. Mais Erebus ne craignait pas ses insidieuses paroles, ni ses prédications dévotes. Gardant à l’esprit l’objet de sa quête, c’était par le silence qu’il répondait aux murmures grandissants. Un jour viendrai, ou il ne pourrait sans doute plus les chasser, et il lui faudrait les affronter de face. Mais ce jour n’était pas encore venu, et à chaque heure, les secrets de l’ouvrage se déliaient un peu plus. Il pouvait déjà sentir au bout de ses doigts, la chaleur de la Vérité, les promesses faites et les serments brisés.

Plus intimement, il savait que la voix mentait. Car au cœur de la vérité qu’elle lui évoquait, un mensonge se tapissait discrètement dans les recoins inaudibles.  
Si, certains en valait la peine. Une âme, sur des milliers. Celle qui venait se glisser au milieu des songes déments, pour apaiser la brûlure des nuits sans repos.


La bougie était éteinte. Sans doute depuis des heures, et Erebus était resté planté dans la pénombre, les doigts serrés sur la couverture de cuir. Sous sa langue pâteuse, le goût cuivré du sang le rappela à la réalité. Encore une fois, l’ouvrage l’avait dupé, lui faisant dilapider de précieuses heures. Pour autant, l’érudit ne s’emporta pas. Il referma le grimoire, et quitta les lieux en laissant derrière lui le papier jaunis aux fragrances de démence.
Sigismund
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