Wyrd
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Wyrd
La seule lueur qui brille là provient des pierres dans l’âtre. Une douzaine d’entre elle s’entrechoquent, d’un noir profond, prisent dans l’aura rougeâtre des braises. Sur chacune, une rune est gravée. Angles et traits vifs, marquages simples. Des mots d’un âge oublié, d’un temps où les hommes craignaient encore la nuit et se réfugiaient ensemble sous des huttes en peaux et en terre. A chaque pierre, un serment, une protection contre le mal, que les flammes lèchent et font rougeoyer.
Les branches craquent, les braises s’envolent et virevoltent dans la nuit. La poudre d’os et les herbes sèchent font monter une fumée opaque, aux relents de souffre. Trois silhouettes sont assise autour du feu dont les langues écarlates montent toujours plus haut dans le ciel. L’une d’elle tend un bâton noueux, autour duquel branlent une myriade d’os et de plumes. Les mots qu’ils prononcent ne sont pas fait pour une gorge humaine. Ils raclent, sifflent, s’entrechoquent et se lient aux craquements du foyer. Pourtant, ses paroles sont attentivement écoutées par les deux autres.
Celui qui tient le bâton n’a pas de nom. Du moins, aucun qu’on lui connaisse ici. Par delà le grand maelström, il en a porté plusieurs, et loin, au nord, ceux qui auraient pu se souvenir de son véritable prénom sont morts depuis longtemps. Sa silhouette parait voutée, aux épaules démesurés. Mais c’est là une illusion, créée par l’énorme fourrure qu’il porte sur ses épaules. Le crâne d’un ours ceint son front, et tout son être est recouvert d’un patchwork de plumes, d’os, et de bandes de cuir bouilli. Ses mains sont semblables à l’écorce des vieux chênes, et ses yeux aveugles ont une couleur laiteuse. Pourtant, il est « Celui qui voit ».
Face à lui, deux êtres lui font face, à la fois dissemblable, et néanmoins indescriptiblement liés. Le même front, les mêmes pommettes. La même mâchoire, et la même chevelure d’ébène, tombante sur leurs épaules larges.
Le premier a pour lui l’âge, ses mains sont calleuses, ses traits tirés. Quelques pattes d’oie strient le coin de ses yeux, et ses tempes sont mouchetés du gris des hivers passés. Il porte sur lui une tenue proche de celle du Voyant, des lanières de cuir, de la maille brunie, et une lourde cape sur ses épaules. Pas un seul centimètre de son armure n’est vierge des gravures ésotériques et des symboles runiques. Lorsqu’il bouge, les marques semblent danser sur lui, reflétant la lueur du feu proche. A bien y regarder, ces signes sont identiques à ceux qui ornent les pierres dans l’âtre, portés avec fierté.
Le dernier membre du groupe est encore un louveteau. Son facies est imberbe, sa chevelure lisse. Au devant de ses seize printemps, il n’a pas encore connu les innombrables hivers qui ont tannés la peau des deux autres. La tunique qu’il porte est d’un bleu profond, et le cuir de ses bottes et de sa ceinture n’a rien de l’ornementation des deux autres. A son flanc, une épée droite pend mollement, dont la garde ouvragée luit faiblement. Là ou les deux hommes plus âgés grondent et montre les crocs, le jeune garde le dos droit, les mains sur ses genoux. Pourtant, même s’il ne semble en rien à sa place, il reste calme, toute son attention rivée sur les flammes dansantes.
Le vent souffle, et les pins craquent dans la nuit. Les trois hommes sont seuls. Du moins, presque.
Alors que le feu éclair la petite clairière, détachant leurs ombres derrière eux, une forme se glisse en silence autour de leur cercle. Il ne s’agit pas là d’un intrus, ou d’un rongeur attiré par le bruit. Au contraire, la silhouette est massive, allongée. Elle se déplace furtivement, bien trop pour une créature de cette taille. Ses pattes puissantes foulent le tapis d’herbe sans un bruit, tandis qu’elle rôle en cercle autour d’eux. A chaque passage, elle se rapproche un peu plus, si bien que les contours massifs se distinguent plus précisément.
Avatar sauvage, la Bête plus massive qu’un poney reste à l’affût des paroles échangées, totem silencieux et protecteur, couvant les deux plus jeunes hommes d’un regard de citrine.
Le Voyant redresse son bâton, et lance dans les flammes une poignée de graines, qui éclatent en libérant des vapeurs ocres. Sa main osseuse se tend vers le garçon à peine adulte, et il le désigne d’un doigt sec, la peau fripée aussi sombre que la terre.
« Au cœur de la forêt de pierre. Un sentier mène au Serment »
La voix du vieillard griffe l’âme et marque l’esprit. Il semble crouler sous la massive peau d’ours qu’il porte, et pourtant, ses gestes restent assurés. Il inhale les vapeurs du feu, sans se soucier de l’intense chaleur qui vient lécher sa carcasse éreintée par le temps.
Le jeune garçon cille, blême. Il tourne un regard vers son géniteur, mal à l’aise, comme s’il attendait son aide pour interpréter les paroles brumeuses du Voyant. Mais le chasseur se contente de sourire, égrenant entre ses doigts un collier serti de dents aiguisées.
Prenant une profonde inspiration, le jeune homme plonge alors le regard dans le feu, comme pour voir de ses propres yeux les mots évoqués par l’ancien. Le pelage sombre recouvrant le flanc de la Bête frotte alors contre son dos, lorsque l’immense félin vient se lover près d’eux . Elle s’allonge alors autour du garçon, en demi-cercle, posant sa gueule sur sa cuisse.
Le chasseur prend alors la parole. Sa voix gronde, sourdement.
« C’est ton choix, mon garçon. Ton chemin. »
Le jeune homme semble hésiter. Ses mains se crispent et sa bouche s’assèchent. Il porte son regard du feu, à son géniteur, puis au viellard courbé. Et finalement, après quelques instants de silence bercés par le craquement du feu, il hoche simplement la tête. Au creux de sa main fermée, Un chapelet de pierre mi-précieuse brillent dans la pénombre.
Angron Manus
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