Les Anciens Signifiants
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Les Anciens Signifiants
[HRP] Oy, amis rôlistes \o/
Le récit qui va suivre se base grandement sur la Guerre des Anciens, notamment la trilogie de bouquins qui en a été faite par Knaak. C'est principalement un pied de nez et un caprice de joueur qui n'a pas aimé ce que l'auteur a fait des demi-dieux d'Azeroth, mais ça s'insère tout de même dans le récit.
Le problème, c'est qu'au moment d'écrire ce récit -qui m'a pris du temps- ça faisait déjà longtemps que j'avais pas lu la trilogie de la Guerre des Anciens, et donc y aura sûrement une, deux, moultes incohérences, notamment géographiques et chronologiques.
Donc franchement, si quelqu'un a lu la trilogie récemment et saurait pointer du doigt ces soucis, je serais preneur ^^[/HRP]
------
Durant la Guerre des Anciens s'était produit un miracle jamais vu malgré les siècles d'existence du monde d'Azeroth : Les Anciens, demi-dieux protecteurs de la terre s'étaient réunis afin de déterminer de quelle manière ils réagiraient à l'assaut de la Légion Ardente sur leur domaine. Qu'ils soient hauts comme des montagnes, ou aussi minuscules qu'un moucheron, durs comme le diamant ou légers comme l'air, ils avaient répondu à l'appel de Cenarius et formaient une foule disparate et bruyante au centre de sa clairière.
Là, les discussions allaient bon train quoique certains des plus lents d'esprit aient du mal à suivre les paroles des plus vifs. Et le moins qu'on puisse dire c'était qu'un accord était loin, très loin d'être trouvé. De ceux qui souhaitaient laisser les mortels gérer la catastrophe qu'ils avaient provoqués, à ceux qui voulaient les voir punis au même titre que les démons en passant par ceux qui préféraient laisser faire en tablant que le monde s'en remettrait, les avis étaient aussi disparates que les apparences.
Et il y avait aussi ceux qui dès le début avaient décidé qu'ils ne tomberaient pas d'accord avec les autres, quelque soit l'issue de la discussion.
''Tseuh, ça fait des jours qu'on est là à s'écouter beugler et piaffer, et ces gros lourdauds ont pas avancé d'un pouce. A quoi ça rime de toute façon ? On est des forces de la Nature, non ? On peut très bien se débrouiller chacun de notre côté.''
L'Ancien qui avait eu ces paroles si peu encourageantes revêtait la forme d'un écureuil roux haut comme trois pommes, à la fourrure affublée de tresses et de petits ornements tribaux. Il observait avec un air profondément désabusé un débat entre les deux frères ours et le dieu-cochon, qui culminait à quelques dizaines de mètre au-dessus de lui.
''Oh j'en sais rien, Rattatast. Ils ont dit que les démons étaient une menace sans précédent, alors j'imagine qu'ils veulent qu'on fasse front commun au lieu d'éparpiller nos forces... Réveille moi quand on aura décidé quelque chose...''
Ce discours plus raisonnable venait de la voix endormie d'un hérisson pas plus gros que son voisin et qui après s'être frotté les yeux, se roula en boule pour piquer un somme.
''Tu vois Spinoix, reprit Rattatast. C'est parce que des petits dieux comme toi ne s'implique pas assez dans l'avenir du monde qu'on croit que tout ce qui fait moins de deux mètres n'a pas d'avis à donner.''
Et sur ce, en laissant son camarade derrière lui, l'écureuil fila comme une flèche à la recherche d'oreilles plus attentives à sa parole de rongeur.
***
''_Les elfes ont réuni une armée pour contenir l'invasion démoniaque, mais ils sont pourchassés et acculés à Hyjal. Il serait juste de soutenir leur assaut afin de leur permettre une percée jusqu'au palais d'Azshara, avait déclaré Cenarius.
_Les elfes ?! coassa une rainette en se levant du trône d'eau sur lequel elle était assise. La parure de plumes et les multiples colliers de perles indiquaient qu'elle avait un statut de reine et en tout cas, elle en avait l'attitude. Ce sont eux qui ont invoqué les démons, qu'ils ne s'attendent pas à recevoir des honneurs.
_La plupart d'entre eux ne cautionne pas les actes d'Azshara et a eu la sagesse d'agir contre elle. C'est pour cela qu'ils sont pourchassés. Qui plus est, ils sont la civilisation la plus puissante de cette ère, et donc les plus à même de faire face à la Légion.
_Les elfes ont fait plus de mal que de bien à cette terre, dit un nain fait de givre et habillé d'amples fourrures. Ils peuvent aider à réparer leur bêtise, pour sûr. Mais chuis d'accord avec le batracien pour dire que-''
Le nain de givre s'interrompit lorsque la tête d'une masse d'or à l'effigie d'amphibien vient se presser contre son nez de glace. Inflexible, il fixa la créature qui se tenait à l'autre bout de l'arme pour y découvrir un crapaud musculeux quoique aussi haut que lui, vêtu d'un pagne et portant un bouclier lui aussi fait d'or, gravé de symboles trolls. Des grondements surpris et réprobateurs sonnèrent autour des deux Anciens courtauds avant de laisser place à un silence anxieux.
L'amphibien qui jusque là s'était contenté de se tenir fièrement au côté de la grenouille tenait maintenant le nain de glace en joue avec un air sévère.
''_Surveillez vos mots, nain, dit-il d'une voix de basse. La Reine Cwalcwutlicwa porte bien des noms, mais vos sobriquets n'ont pas place parmi eux.
_Paix, maître crapaud, intervint Cenarius en interposant dans le duel de regard ses yeux courroucés. Nous sommes ici pour chercher des solutions, pas pour provoquer des conflits.
_Tlop, mon Prince, l'interpella la reine amphibienne d'une voix adoucie. Je suis certaine que ce fier nain ne pensait pas à mal. Ce sont simplement ses manières... Ou leur absence, dit-elle avec un sourire teinté de moquerie pour son interlocuteur de glace. Continuez, je vous en prie.''
Le nain eut un hochement de tête quasi-imperceptible et le prince crapaud baissa son arme, pour retourner au côté auprès de la reinette, sa masse d'arme posée sur l'épaule, le menton haut levé et le tout sous l’œil cajoleur de la reine.
''_Chuis d'accord pour dire que notre soutien s'rait mieux mérité ailleurs, reprit le nain pour Cenarius. M'est avis qu'il devrait aller aux protecteurs que les Titans ont déjà placé sur ce monde.
_Les nains, ceux de pierre du moins ont déjà choisi de prêter main-forte aux elfes, de même que les furbolgs et les taurens. Cela me fait penser... Est-ce que les trolls ont été contactés ?
_Perte de temps, affirma Cwalcwutlicwa avec un geste négligeant à l'attention de Cenarius. Les trolls préféreraient sans doute brûler avec ce monde si ça pouvait les débarrasser des elfes. Qui plus est, ils ont déjà leurs propres conflits avec les démons échappés de Zin Azshari... Une raison de plus de haïr vos protégés. Je pense que c'est à eux que devrait aller notre soutien : ils ont déjà commencé à invoquer la puissance de certains des nôtres qui sont leurs dieux et forment eux aussi un empire encore puissant, même s'ils sont éparpillés.''
Des protestations s'élevèrent parmi les Anciens qui avaient sous leur tutelle des peuples plus sages, et les discussions sur la race à défendre se firent soudain plus vives.
Cenarius plissa les yeux, retenant un soupir.
***
''Je suis parfaitement conscient qu'il faut concentrer nos efforts sur un point. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut négliger tous les autres. J'ai pu réunir des renseignements sur les attaques des démons, et je peux vous assurer que même si vous décidez de défendre le pan d'Hyjal où sont réfugiés les elfes, une armée équivalente se tient prête à prendre la montagne d'assaut par son flanc. Et une fois qu'ils auront grouillé à son sommet, c'est littéralement une avalanche démoniaque qui tombera à l'arrière de nos lignes !''
Le petit Ancien qui tentait difficilement de faire valoir ses informations stratégiques auprès de demi-dieux bien plus belliqueux avait l'apparence d'une taupe à la voix de graviers et aux yeux couverts par un long ruban noir. A ses avant-bras étaient fixés deux glaives de combat à double-lame, du même genre que ce qu'un certain elfe de la nuit s'était récemment fait un plaisir d'utiliser.
''_Futile ! gronda un loup géant qui ne pouvait être que Goldrinn. Rien ne sert de prendre tant de précautions, nos forces sont ce qu'il y a de plus puissant sur cette terre. Si nous frappons avec force et avec fureur, alors le reste de leurs armées fuira devant la puissance des Anciens. Par ailleurs, Houd, continua l'Ancien carnassier en tournant autour du petit fouisseur. D'où tiens-tu ces renseignements ? Est-ce que l'Aveugle a soudainement eu don de double-vue ?
_Je chassais les démons avant qu'ils ne deviennent un problème aussi commun, répondit la taupe en suivant du bout du museau les mouvements du loup. Je courais sous les couloirs de Zin'Azshari alors que plus aucun de vous ne jetait un regard à ce que faisaient les elfes. Je ne prétends pas vouloir commander ce conseil, mais je crois encore être le plus apte à élaborer des stratégies contre les démons.
_Attendez, attendez, intervint soudain Ursoc en abaissant la masse de son visage au niveau de la scène en contrebas. Houd, tu savais pour les démons ? Pourquoi ne pas en avoir parlé ?
_J'ai pour habitude de travailler seul. Je suis l'Agent des Profondeurs, tu te rappelles ? Mon travail est bien fait lorsqu'une menace est éliminée avant même d'avoir fait surface. La réunion de Cenarius tombe à pic, ceci-dit, considérant que le problème des démons a pris bien plus d'ampleur que je ne l'imaginais.
_Irresponsable ! tonna le loup. Ta petite fierté de creuseur de trous a quasiment condamné ce monde ! Si tu avais eu la décence de nous prévenir, nous aurions pu-
_De quel 'nous' tu parles, Goldrinn ?! Encore toi et ta Fureur, hein ?! Jusque là, elle t'a plutôt desservie aux yeux de notre Mère Lune que je sache.''
L'Ancien qui avait osé interrompre le Grand Loup n'était autre qu'un grand blaireau à l'air mauvais. Une barbiche blanche saillait au bout de sa mâchoire pointue et des lourds brassards de bois massif aux motifs lunaires enserraient ses poignets, juste avant ses mains aux griffes énormes. Sa taille avoisinait les deux mètres, mais il en gagna vite un de plus lorsque le loup s'avança vers lui en grondant.
''Et qu'est-ce que tu sais de la Fureur, Grimmbar ? Il y a une raison pour laquelle on se souvient de la Fureur de Goldrinn et pas de celle du Terrier. Une raison pour laquelle je suis le sauvage alors que tu es seulement le Malaimable.''
Le blaireau, qui avait gagné presque trois mètres de plus sous les paroles du loup tournait contre ce dernier une gueule emplie de crocs et un regard plein de colère. Le concert de grognements qui suivit provoqua l'éloignement soudain de quelques anciens moins belliqueux et le dieu-ours entreprit de séparer les deux colériques. Sous leurs pieds, Houd avait creusé son trou, se disant qu'il serait avisé de trouver quelqu'un doté d'un peu de bon sens.
***
Bourdonnant à quelques mètres au dessus des discussions des Anciens, un essaim d'abeilles virevoltait autour de ce qui ressemblait à une de leurs semblables à l'apparence humanoïde. La femme abeille était dotée d'une robe de chitine en cloche rayée de noir et de jaune qui dissimulait en grande partie ses fines jambes insectoïdes. Deux longues antennes lui tombaient dans le dos comme une longue chevelure ondulée, flottant au vent. Anxieuse, elle cherchait de ses grands yeux à facettes quelque chose parmi la foule aérienne du conseil.
Lorsque enfin elle le repéra, elle et son essaim filèrent en trombes à sa rencontre : il s'agissait d'un papillon lui aussi humanoïde qui voletait gracieusement à l'aide d'une immense paire d'ailes dont les motifs colorés et variants avaient un petit quelque chose de psychédélique. Ses habits de chitine évoquaient une tenue d'arlequin et sa trompe descendait sur un visage fin encadré de part et d'autres de deux longues antennes.
''_Huisaile ! Huisaile ! criait l'abeille en arrivant au niveau du papillon dont elle prit les mains. Enfin je vous trouve... Je ne reconnaissais personne ici.
_Mélissé, je vous cherchais moi aussi, répondit l'autre butineur. Les autres vous ont bien accueillis ? Je dois avouer que je les trouve bien distants pour ma part.
_Distants ? J'ai l'impression que tous les regards posés sur moi sont méfiants. Je ne suis pas certaine de comprendre...
_Vous ?! Qu'est-ce que vous faites ici ?!''
Les deux insectes durent s'écarter lorsque s’immisça entre eux une femme oiseau dont les jambes étaient affublées de serres acérées. Aviana portait sur les deux butineurs le regard courroucé de celui qui trouve un détrousseur dans sa demeure.
''_Oh et bien nous avons appris que le monde était menacé alors nous avons répondu à l'appel, comme tout le monde ici. C'est étonnant ? questionna Melissé, agacée.
_Ce qui est étonnant, rétorqua Aviana, c'est que pour une fois le monde n'est pas menacé par vos semblables.
_Semblables ? s'offusqua Huisaile. Si vous faites références à ces conflits avec les aqir qui datent de plusieurs siècles, vous vous trompez royalement. Nous n'avons strictement rien à voir avec ces invertébrés... barbares.
_Si vous le dites, profitez donc encore du bénéfice du doute tant que vous l'avez, insectes. Je garde mes yeux sur vous pour les combats à venir, et au moindre faux pas, ce seront mes serres qui vous tomberont dessus.''
Et sur ce, la déesse aviaire descendit rejoindre la foule en contrebas, laissant pantois les deux Anciens pollinisateurs qui se demandaient s'ils avaient tout compte fait eu raison de venir.
***
''Hop hop hop, pardon, excusez moi du retard... Eyh Aggamaggan, t'as encore grossi non ? Il serait temps d'alléger tes auges. Aviana, mon canard ! Si ton ramage n'a d'égale que ton plumage... Ohoh à deux poils près tu m'arrachais l'oreille, sacrée poulette. Tortolla, on se la fait quand cette revanche à la course ? Ursoc ? Ursol ? Ha je fais pas la différence à cette distance là... Eyh ! Pourquoi tout le monde ressent le besoin de faire dix mètres de haut ici ? Vous avez tous un petit quelque chose à compenser ou quoi ?''
Celui qui s'était permis une entrée aussi remarquée que princière -chapardant quelques fleurs à des fées pour les grignoter ou raflant sans vergogne l'équivalent d'un tapis de feuilles à la robe d'un demi-dieu forestier- était un lièvre haut comme un mastiff et affublé d'un attirail de lanières et de sacoches de cuir. Il faisait rouler négligemment entre ses dents un épi de blé au rythme de sa démarche nonchalante.
En remarquant son manège, une renarde à la longue crinière ondulée et au sourire narquois s'avança vers le rongeur, l'abordant dans toute sa grâce provocatrice :
''_Larairah, vieux filou. Tu te fais étonnement remarquer pour quelqu'un qui est entouré par la totalité de ses prédateurs naturels.
_Eyh que veux-tu, on ne devient pas le Prince aux Mille Ennemis en offrant des fleurs aux gens, répondit le lièvre en en tendant justement une à la renarde avec un fin sourire, avachi sur un tapis de feuilles.
_Oh ça veut dire quoi ça ? Que je ne suis pas ton ennemie ? questionna la renarde en faisant mine de s'offusquer.
_Au contraire, très chère. Tu es la seule qui sache réfléchir et donc sans doute la pire... affirma le lièvre en grignotant la fleur que son interlocutrice ne semblait pas décidée à accepter.
_Oh espèce de petit flatteur... Allez viens, on va rire un peu. Il paraît que Goldrinn a déjà commencé à chercher les ennuis.
_Ça alors, Goldrinn qui échoue à un essai de diplomatie, tu n'imagines pas ma surprise...''
Trottinant vers le lieu des hostilités, les deux complices purent trouver le dieu-loup et son homologue blaireau toujours en train de se regarder en chien de faïence. Cenarius en plus d'un des frères ours était venu tenter d'apaiser le trouble. Le lièvre et la renarde échangèrent un regard et se séparèrent, l'un filant en un clin d’œil sur l'épaule du blaireau qui avoisinait maintenant les dix mètres, l'autre allant flirter avec la lourde mâchoire de Goldrinn, frottant contre lui sa queue en panache.
''Je disais qu'Aggamaggan avait pris du poids, mais tu te défends pas mal espèce de gros lourdaud, déclara Larairah à l'oreille -aussi haute que lui- de Grimmbar. Attention, tu pourras bientôt plus rentrer dans ton terrier à ce rythme là.'' ajouta-t-il avec un fin sourire, en voyant que sa pique avait fait gagner un mètre de plus au blaireau géant.
''_Ô Goldrinn, comme tu as de grandes dents... Mais ce n'est pas utile de les montrer à tout le monde tu sais.
_Hors de ma vue, gronda le loup en écartant la renarde d'une lourde patte, celle-ci se renversant aussitôt sur le dos. Ce conseil est des plus sérieux, tes plaisanteries n'y ont pas leur place.
_Ooh... gémit l'Ancienne en roulant dans l'herbe, un petit air mutin sur les babines. Je pensais que tu étais venu pour t'amuser un peu. Tu sais à quel point j'aime m'amuser...
_Je n'ai pas le temps pour tes bêtises...
_Pourtant tu le perds en querelles futiles, intervint Cenarius. Ce conseil est, comme tu l'as dis, des plus sérieux. Nous sommes ici pour parvenir à une entente, pas pour nous défier.
_Écoute donc ce que dit le fils prodigue ! scanda Larairah depuis son perchoir. Il paraît qu'il est vraiment né d'Elune ! Il pourrait sûrement te donner deux trois conseils sur la façon d'être un bon fiston !''
A ces mots, le grand loup se renfrogna d'autant plus, martelant d'une patte le sol là où se trouvait la renarde un instant avant qu'elle ne file. Il planta son regard noir de colère dans les yeux de Cenarius qui ne cilla que pour observer en coin l'emplacement du lièvre sur l'épaule du blaireau géant. Mais le rongeur provocateur avait déjà filé.
***
Pépiant et roucoulant dans le ciel de la clairière, une furette brune voletait à la force de petites ailes qui jaillissaient du centre de son dos. De ses yeux grésillants d'éclairs, elle fouillait activement du regard la foule d'Anciens réunis là. Et finalement, elle la repéra, fusa dans l'air comme un petit coup de foudre et vint se frotter avec affection contre la joue d'Aviana, roucoulant de plus belle, en chœur avec la déesse-oiseau.
''Oh Hermez, ma petite. Je commençais à me demander si tu viendrais. Comment trouves-tu ces petites ailes que je t'ai offertes ?''
Pour toute réponse, la furette exécuta quelques tours aériens devant la Reine des Oiseaux, démontrant ainsi qu'elle était plutôt à l'aise, et certainement enjouée par le cadeau de la déesse. Cette dernière cueillit ensuite le petit familier, lui grattant le dos allègrement du bout d'un de ses doigts griffus.
Au milieu de cette séance d'affection, la déesse se raidit soudainement en sentant qu'une de ses plumes venait de lui être arrachée. Dans le mouvement, elle referma sa main sur la furette, la pressant dans un petit gémissement plaintif. Catastrophée, elle rouvrit rapidement ses doigts la libérant pour jauger de son état. Hermez inspira un grand coup et secoua la tête pour reprendre ses esprits tandis qu'Avianna tournait un regard courroucé vers celui qui était venu se servir dans son plumage.
Voyant le petit écureuil filer avec le fruit de son méfait, elle fondit sur lui d'un coup d'ailes, lui assénant un coup de serre qu'il esquiva en bondissant en un clin d’œil sur la branche d'un arbre.
''_Espèce de petit impudent ! Je vais t'apprendre les bonnes manières ! Qui t'a permis de-
_Eyh ! Eyh ! Elle va se calmer tout de suite la maman poule ! répliqua Rattatast avec hargne. Oublie pas d'où vient la graine de l'arbre dans lequel tu crèches, rapace ! Je trouve qu'une plume, c'est pas cher payé pour avoir volé les réserves du Collectionneur de Graines !
_Quoi ? Tes sottises d'écureuil ne m'intéresse pas, rends moi cette plume !
_Pfuarh, quelle ingrate,'' dit l'écureuil avant de disparaître à toute vitesse dans les fourrés.
''J'ai une mission pour toi, mon familier, susurra Aviana à la furette au creux de sa main. Je veux que tu retrouves ce rongeur, que tu récupères et que tu le surveilles. J'ai suffisamment à faire ici pour m'occuper de ce petit nuisible.''
Hochant vigoureusement la tête, Hermez fila à son tour, vive comme l'éclair sur la trace de l'écureuil.
Le récit qui va suivre se base grandement sur la Guerre des Anciens, notamment la trilogie de bouquins qui en a été faite par Knaak. C'est principalement un pied de nez et un caprice de joueur qui n'a pas aimé ce que l'auteur a fait des demi-dieux d'Azeroth, mais ça s'insère tout de même dans le récit.
Le problème, c'est qu'au moment d'écrire ce récit -qui m'a pris du temps- ça faisait déjà longtemps que j'avais pas lu la trilogie de la Guerre des Anciens, et donc y aura sûrement une, deux, moultes incohérences, notamment géographiques et chronologiques.
Donc franchement, si quelqu'un a lu la trilogie récemment et saurait pointer du doigt ces soucis, je serais preneur ^^[/HRP]
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Durant la Guerre des Anciens s'était produit un miracle jamais vu malgré les siècles d'existence du monde d'Azeroth : Les Anciens, demi-dieux protecteurs de la terre s'étaient réunis afin de déterminer de quelle manière ils réagiraient à l'assaut de la Légion Ardente sur leur domaine. Qu'ils soient hauts comme des montagnes, ou aussi minuscules qu'un moucheron, durs comme le diamant ou légers comme l'air, ils avaient répondu à l'appel de Cenarius et formaient une foule disparate et bruyante au centre de sa clairière.
Là, les discussions allaient bon train quoique certains des plus lents d'esprit aient du mal à suivre les paroles des plus vifs. Et le moins qu'on puisse dire c'était qu'un accord était loin, très loin d'être trouvé. De ceux qui souhaitaient laisser les mortels gérer la catastrophe qu'ils avaient provoqués, à ceux qui voulaient les voir punis au même titre que les démons en passant par ceux qui préféraient laisser faire en tablant que le monde s'en remettrait, les avis étaient aussi disparates que les apparences.
Et il y avait aussi ceux qui dès le début avaient décidé qu'ils ne tomberaient pas d'accord avec les autres, quelque soit l'issue de la discussion.
''Tseuh, ça fait des jours qu'on est là à s'écouter beugler et piaffer, et ces gros lourdauds ont pas avancé d'un pouce. A quoi ça rime de toute façon ? On est des forces de la Nature, non ? On peut très bien se débrouiller chacun de notre côté.''
L'Ancien qui avait eu ces paroles si peu encourageantes revêtait la forme d'un écureuil roux haut comme trois pommes, à la fourrure affublée de tresses et de petits ornements tribaux. Il observait avec un air profondément désabusé un débat entre les deux frères ours et le dieu-cochon, qui culminait à quelques dizaines de mètre au-dessus de lui.
''Oh j'en sais rien, Rattatast. Ils ont dit que les démons étaient une menace sans précédent, alors j'imagine qu'ils veulent qu'on fasse front commun au lieu d'éparpiller nos forces... Réveille moi quand on aura décidé quelque chose...''
Ce discours plus raisonnable venait de la voix endormie d'un hérisson pas plus gros que son voisin et qui après s'être frotté les yeux, se roula en boule pour piquer un somme.
''Tu vois Spinoix, reprit Rattatast. C'est parce que des petits dieux comme toi ne s'implique pas assez dans l'avenir du monde qu'on croit que tout ce qui fait moins de deux mètres n'a pas d'avis à donner.''
Et sur ce, en laissant son camarade derrière lui, l'écureuil fila comme une flèche à la recherche d'oreilles plus attentives à sa parole de rongeur.
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''_Les elfes ont réuni une armée pour contenir l'invasion démoniaque, mais ils sont pourchassés et acculés à Hyjal. Il serait juste de soutenir leur assaut afin de leur permettre une percée jusqu'au palais d'Azshara, avait déclaré Cenarius.
_Les elfes ?! coassa une rainette en se levant du trône d'eau sur lequel elle était assise. La parure de plumes et les multiples colliers de perles indiquaient qu'elle avait un statut de reine et en tout cas, elle en avait l'attitude. Ce sont eux qui ont invoqué les démons, qu'ils ne s'attendent pas à recevoir des honneurs.
_La plupart d'entre eux ne cautionne pas les actes d'Azshara et a eu la sagesse d'agir contre elle. C'est pour cela qu'ils sont pourchassés. Qui plus est, ils sont la civilisation la plus puissante de cette ère, et donc les plus à même de faire face à la Légion.
_Les elfes ont fait plus de mal que de bien à cette terre, dit un nain fait de givre et habillé d'amples fourrures. Ils peuvent aider à réparer leur bêtise, pour sûr. Mais chuis d'accord avec le batracien pour dire que-''
Le nain de givre s'interrompit lorsque la tête d'une masse d'or à l'effigie d'amphibien vient se presser contre son nez de glace. Inflexible, il fixa la créature qui se tenait à l'autre bout de l'arme pour y découvrir un crapaud musculeux quoique aussi haut que lui, vêtu d'un pagne et portant un bouclier lui aussi fait d'or, gravé de symboles trolls. Des grondements surpris et réprobateurs sonnèrent autour des deux Anciens courtauds avant de laisser place à un silence anxieux.
L'amphibien qui jusque là s'était contenté de se tenir fièrement au côté de la grenouille tenait maintenant le nain de glace en joue avec un air sévère.
''_Surveillez vos mots, nain, dit-il d'une voix de basse. La Reine Cwalcwutlicwa porte bien des noms, mais vos sobriquets n'ont pas place parmi eux.
_Paix, maître crapaud, intervint Cenarius en interposant dans le duel de regard ses yeux courroucés. Nous sommes ici pour chercher des solutions, pas pour provoquer des conflits.
_Tlop, mon Prince, l'interpella la reine amphibienne d'une voix adoucie. Je suis certaine que ce fier nain ne pensait pas à mal. Ce sont simplement ses manières... Ou leur absence, dit-elle avec un sourire teinté de moquerie pour son interlocuteur de glace. Continuez, je vous en prie.''
Le nain eut un hochement de tête quasi-imperceptible et le prince crapaud baissa son arme, pour retourner au côté auprès de la reinette, sa masse d'arme posée sur l'épaule, le menton haut levé et le tout sous l’œil cajoleur de la reine.
''_Chuis d'accord pour dire que notre soutien s'rait mieux mérité ailleurs, reprit le nain pour Cenarius. M'est avis qu'il devrait aller aux protecteurs que les Titans ont déjà placé sur ce monde.
_Les nains, ceux de pierre du moins ont déjà choisi de prêter main-forte aux elfes, de même que les furbolgs et les taurens. Cela me fait penser... Est-ce que les trolls ont été contactés ?
_Perte de temps, affirma Cwalcwutlicwa avec un geste négligeant à l'attention de Cenarius. Les trolls préféreraient sans doute brûler avec ce monde si ça pouvait les débarrasser des elfes. Qui plus est, ils ont déjà leurs propres conflits avec les démons échappés de Zin Azshari... Une raison de plus de haïr vos protégés. Je pense que c'est à eux que devrait aller notre soutien : ils ont déjà commencé à invoquer la puissance de certains des nôtres qui sont leurs dieux et forment eux aussi un empire encore puissant, même s'ils sont éparpillés.''
Des protestations s'élevèrent parmi les Anciens qui avaient sous leur tutelle des peuples plus sages, et les discussions sur la race à défendre se firent soudain plus vives.
Cenarius plissa les yeux, retenant un soupir.
***
''Je suis parfaitement conscient qu'il faut concentrer nos efforts sur un point. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut négliger tous les autres. J'ai pu réunir des renseignements sur les attaques des démons, et je peux vous assurer que même si vous décidez de défendre le pan d'Hyjal où sont réfugiés les elfes, une armée équivalente se tient prête à prendre la montagne d'assaut par son flanc. Et une fois qu'ils auront grouillé à son sommet, c'est littéralement une avalanche démoniaque qui tombera à l'arrière de nos lignes !''
Le petit Ancien qui tentait difficilement de faire valoir ses informations stratégiques auprès de demi-dieux bien plus belliqueux avait l'apparence d'une taupe à la voix de graviers et aux yeux couverts par un long ruban noir. A ses avant-bras étaient fixés deux glaives de combat à double-lame, du même genre que ce qu'un certain elfe de la nuit s'était récemment fait un plaisir d'utiliser.
''_Futile ! gronda un loup géant qui ne pouvait être que Goldrinn. Rien ne sert de prendre tant de précautions, nos forces sont ce qu'il y a de plus puissant sur cette terre. Si nous frappons avec force et avec fureur, alors le reste de leurs armées fuira devant la puissance des Anciens. Par ailleurs, Houd, continua l'Ancien carnassier en tournant autour du petit fouisseur. D'où tiens-tu ces renseignements ? Est-ce que l'Aveugle a soudainement eu don de double-vue ?
_Je chassais les démons avant qu'ils ne deviennent un problème aussi commun, répondit la taupe en suivant du bout du museau les mouvements du loup. Je courais sous les couloirs de Zin'Azshari alors que plus aucun de vous ne jetait un regard à ce que faisaient les elfes. Je ne prétends pas vouloir commander ce conseil, mais je crois encore être le plus apte à élaborer des stratégies contre les démons.
_Attendez, attendez, intervint soudain Ursoc en abaissant la masse de son visage au niveau de la scène en contrebas. Houd, tu savais pour les démons ? Pourquoi ne pas en avoir parlé ?
_J'ai pour habitude de travailler seul. Je suis l'Agent des Profondeurs, tu te rappelles ? Mon travail est bien fait lorsqu'une menace est éliminée avant même d'avoir fait surface. La réunion de Cenarius tombe à pic, ceci-dit, considérant que le problème des démons a pris bien plus d'ampleur que je ne l'imaginais.
_Irresponsable ! tonna le loup. Ta petite fierté de creuseur de trous a quasiment condamné ce monde ! Si tu avais eu la décence de nous prévenir, nous aurions pu-
_De quel 'nous' tu parles, Goldrinn ?! Encore toi et ta Fureur, hein ?! Jusque là, elle t'a plutôt desservie aux yeux de notre Mère Lune que je sache.''
L'Ancien qui avait osé interrompre le Grand Loup n'était autre qu'un grand blaireau à l'air mauvais. Une barbiche blanche saillait au bout de sa mâchoire pointue et des lourds brassards de bois massif aux motifs lunaires enserraient ses poignets, juste avant ses mains aux griffes énormes. Sa taille avoisinait les deux mètres, mais il en gagna vite un de plus lorsque le loup s'avança vers lui en grondant.
''Et qu'est-ce que tu sais de la Fureur, Grimmbar ? Il y a une raison pour laquelle on se souvient de la Fureur de Goldrinn et pas de celle du Terrier. Une raison pour laquelle je suis le sauvage alors que tu es seulement le Malaimable.''
Le blaireau, qui avait gagné presque trois mètres de plus sous les paroles du loup tournait contre ce dernier une gueule emplie de crocs et un regard plein de colère. Le concert de grognements qui suivit provoqua l'éloignement soudain de quelques anciens moins belliqueux et le dieu-ours entreprit de séparer les deux colériques. Sous leurs pieds, Houd avait creusé son trou, se disant qu'il serait avisé de trouver quelqu'un doté d'un peu de bon sens.
***
Bourdonnant à quelques mètres au dessus des discussions des Anciens, un essaim d'abeilles virevoltait autour de ce qui ressemblait à une de leurs semblables à l'apparence humanoïde. La femme abeille était dotée d'une robe de chitine en cloche rayée de noir et de jaune qui dissimulait en grande partie ses fines jambes insectoïdes. Deux longues antennes lui tombaient dans le dos comme une longue chevelure ondulée, flottant au vent. Anxieuse, elle cherchait de ses grands yeux à facettes quelque chose parmi la foule aérienne du conseil.
Lorsque enfin elle le repéra, elle et son essaim filèrent en trombes à sa rencontre : il s'agissait d'un papillon lui aussi humanoïde qui voletait gracieusement à l'aide d'une immense paire d'ailes dont les motifs colorés et variants avaient un petit quelque chose de psychédélique. Ses habits de chitine évoquaient une tenue d'arlequin et sa trompe descendait sur un visage fin encadré de part et d'autres de deux longues antennes.
''_Huisaile ! Huisaile ! criait l'abeille en arrivant au niveau du papillon dont elle prit les mains. Enfin je vous trouve... Je ne reconnaissais personne ici.
_Mélissé, je vous cherchais moi aussi, répondit l'autre butineur. Les autres vous ont bien accueillis ? Je dois avouer que je les trouve bien distants pour ma part.
_Distants ? J'ai l'impression que tous les regards posés sur moi sont méfiants. Je ne suis pas certaine de comprendre...
_Vous ?! Qu'est-ce que vous faites ici ?!''
Les deux insectes durent s'écarter lorsque s’immisça entre eux une femme oiseau dont les jambes étaient affublées de serres acérées. Aviana portait sur les deux butineurs le regard courroucé de celui qui trouve un détrousseur dans sa demeure.
''_Oh et bien nous avons appris que le monde était menacé alors nous avons répondu à l'appel, comme tout le monde ici. C'est étonnant ? questionna Melissé, agacée.
_Ce qui est étonnant, rétorqua Aviana, c'est que pour une fois le monde n'est pas menacé par vos semblables.
_Semblables ? s'offusqua Huisaile. Si vous faites références à ces conflits avec les aqir qui datent de plusieurs siècles, vous vous trompez royalement. Nous n'avons strictement rien à voir avec ces invertébrés... barbares.
_Si vous le dites, profitez donc encore du bénéfice du doute tant que vous l'avez, insectes. Je garde mes yeux sur vous pour les combats à venir, et au moindre faux pas, ce seront mes serres qui vous tomberont dessus.''
Et sur ce, la déesse aviaire descendit rejoindre la foule en contrebas, laissant pantois les deux Anciens pollinisateurs qui se demandaient s'ils avaient tout compte fait eu raison de venir.
***
''Hop hop hop, pardon, excusez moi du retard... Eyh Aggamaggan, t'as encore grossi non ? Il serait temps d'alléger tes auges. Aviana, mon canard ! Si ton ramage n'a d'égale que ton plumage... Ohoh à deux poils près tu m'arrachais l'oreille, sacrée poulette. Tortolla, on se la fait quand cette revanche à la course ? Ursoc ? Ursol ? Ha je fais pas la différence à cette distance là... Eyh ! Pourquoi tout le monde ressent le besoin de faire dix mètres de haut ici ? Vous avez tous un petit quelque chose à compenser ou quoi ?''
Celui qui s'était permis une entrée aussi remarquée que princière -chapardant quelques fleurs à des fées pour les grignoter ou raflant sans vergogne l'équivalent d'un tapis de feuilles à la robe d'un demi-dieu forestier- était un lièvre haut comme un mastiff et affublé d'un attirail de lanières et de sacoches de cuir. Il faisait rouler négligemment entre ses dents un épi de blé au rythme de sa démarche nonchalante.
En remarquant son manège, une renarde à la longue crinière ondulée et au sourire narquois s'avança vers le rongeur, l'abordant dans toute sa grâce provocatrice :
''_Larairah, vieux filou. Tu te fais étonnement remarquer pour quelqu'un qui est entouré par la totalité de ses prédateurs naturels.
_Eyh que veux-tu, on ne devient pas le Prince aux Mille Ennemis en offrant des fleurs aux gens, répondit le lièvre en en tendant justement une à la renarde avec un fin sourire, avachi sur un tapis de feuilles.
_Oh ça veut dire quoi ça ? Que je ne suis pas ton ennemie ? questionna la renarde en faisant mine de s'offusquer.
_Au contraire, très chère. Tu es la seule qui sache réfléchir et donc sans doute la pire... affirma le lièvre en grignotant la fleur que son interlocutrice ne semblait pas décidée à accepter.
_Oh espèce de petit flatteur... Allez viens, on va rire un peu. Il paraît que Goldrinn a déjà commencé à chercher les ennuis.
_Ça alors, Goldrinn qui échoue à un essai de diplomatie, tu n'imagines pas ma surprise...''
Trottinant vers le lieu des hostilités, les deux complices purent trouver le dieu-loup et son homologue blaireau toujours en train de se regarder en chien de faïence. Cenarius en plus d'un des frères ours était venu tenter d'apaiser le trouble. Le lièvre et la renarde échangèrent un regard et se séparèrent, l'un filant en un clin d’œil sur l'épaule du blaireau qui avoisinait maintenant les dix mètres, l'autre allant flirter avec la lourde mâchoire de Goldrinn, frottant contre lui sa queue en panache.
''Je disais qu'Aggamaggan avait pris du poids, mais tu te défends pas mal espèce de gros lourdaud, déclara Larairah à l'oreille -aussi haute que lui- de Grimmbar. Attention, tu pourras bientôt plus rentrer dans ton terrier à ce rythme là.'' ajouta-t-il avec un fin sourire, en voyant que sa pique avait fait gagner un mètre de plus au blaireau géant.
''_Ô Goldrinn, comme tu as de grandes dents... Mais ce n'est pas utile de les montrer à tout le monde tu sais.
_Hors de ma vue, gronda le loup en écartant la renarde d'une lourde patte, celle-ci se renversant aussitôt sur le dos. Ce conseil est des plus sérieux, tes plaisanteries n'y ont pas leur place.
_Ooh... gémit l'Ancienne en roulant dans l'herbe, un petit air mutin sur les babines. Je pensais que tu étais venu pour t'amuser un peu. Tu sais à quel point j'aime m'amuser...
_Je n'ai pas le temps pour tes bêtises...
_Pourtant tu le perds en querelles futiles, intervint Cenarius. Ce conseil est, comme tu l'as dis, des plus sérieux. Nous sommes ici pour parvenir à une entente, pas pour nous défier.
_Écoute donc ce que dit le fils prodigue ! scanda Larairah depuis son perchoir. Il paraît qu'il est vraiment né d'Elune ! Il pourrait sûrement te donner deux trois conseils sur la façon d'être un bon fiston !''
A ces mots, le grand loup se renfrogna d'autant plus, martelant d'une patte le sol là où se trouvait la renarde un instant avant qu'elle ne file. Il planta son regard noir de colère dans les yeux de Cenarius qui ne cilla que pour observer en coin l'emplacement du lièvre sur l'épaule du blaireau géant. Mais le rongeur provocateur avait déjà filé.
***
Pépiant et roucoulant dans le ciel de la clairière, une furette brune voletait à la force de petites ailes qui jaillissaient du centre de son dos. De ses yeux grésillants d'éclairs, elle fouillait activement du regard la foule d'Anciens réunis là. Et finalement, elle la repéra, fusa dans l'air comme un petit coup de foudre et vint se frotter avec affection contre la joue d'Aviana, roucoulant de plus belle, en chœur avec la déesse-oiseau.
''Oh Hermez, ma petite. Je commençais à me demander si tu viendrais. Comment trouves-tu ces petites ailes que je t'ai offertes ?''
Pour toute réponse, la furette exécuta quelques tours aériens devant la Reine des Oiseaux, démontrant ainsi qu'elle était plutôt à l'aise, et certainement enjouée par le cadeau de la déesse. Cette dernière cueillit ensuite le petit familier, lui grattant le dos allègrement du bout d'un de ses doigts griffus.
Au milieu de cette séance d'affection, la déesse se raidit soudainement en sentant qu'une de ses plumes venait de lui être arrachée. Dans le mouvement, elle referma sa main sur la furette, la pressant dans un petit gémissement plaintif. Catastrophée, elle rouvrit rapidement ses doigts la libérant pour jauger de son état. Hermez inspira un grand coup et secoua la tête pour reprendre ses esprits tandis qu'Avianna tournait un regard courroucé vers celui qui était venu se servir dans son plumage.
Voyant le petit écureuil filer avec le fruit de son méfait, elle fondit sur lui d'un coup d'ailes, lui assénant un coup de serre qu'il esquiva en bondissant en un clin d’œil sur la branche d'un arbre.
''_Espèce de petit impudent ! Je vais t'apprendre les bonnes manières ! Qui t'a permis de-
_Eyh ! Eyh ! Elle va se calmer tout de suite la maman poule ! répliqua Rattatast avec hargne. Oublie pas d'où vient la graine de l'arbre dans lequel tu crèches, rapace ! Je trouve qu'une plume, c'est pas cher payé pour avoir volé les réserves du Collectionneur de Graines !
_Quoi ? Tes sottises d'écureuil ne m'intéresse pas, rends moi cette plume !
_Pfuarh, quelle ingrate,'' dit l'écureuil avant de disparaître à toute vitesse dans les fourrés.
''J'ai une mission pour toi, mon familier, susurra Aviana à la furette au creux de sa main. Je veux que tu retrouves ce rongeur, que tu récupères et que tu le surveilles. J'ai suffisamment à faire ici pour m'occuper de ce petit nuisible.''
Hochant vigoureusement la tête, Hermez fila à son tour, vive comme l'éclair sur la trace de l'écureuil.
Dernière édition par Tortoka/Djigzyx le Mar 05 Jan 2016, 00:47, édité 2 fois
Tortoka/Djigzyx
Re: Les Anciens Signifiants
Dans la clairière de Cénarius, les débats s'éternisaient entre les Anciens. Qu'ils parlent de la voix tonnante des montagnes ou de celle éthérée du Rêve d’Émeraude, tous souhaitaient que la leur prévale car elle était la bonne. Ce n'est que lorsque survint Jarod Chantelombre, le bientôt célèbre commandant mortel que ces discussions stériles commencèrent à déboucher sur un heureux tournant. Avec un discours sans doute édifiant qui n'est pas retranscris ici, l'elfe de la nuit parvint à convaincre les demi-dieux de mettre leurs avis de côté et de plutôt montrer la pleine puissance de leurs pouvoirs dans une confrontation directe avec l'ennemi. Ainsi les Anciens commencèrent à aiguiser leurs armes ou préparer leurs rituels et enchantements préliminaires en vue de la bataille qui suivrait.
Au ras des pâquerettes cependant, les ombres de quelques dissidences planaient encore, à mesure que les Éternels insatisfaits se retrouvaient.
Rattatast, pestant contre la décision grotesque de ses pairs, partait retrouver son compère épineux toujours endormi lorsqu'une motte de terre se souleva en travers de son chemin et livra à la surface Houd, encore enterré à mi-torse.
''_Je suis rassuré de ne pas être le seul à remettre en cause le plan de nos confrères, commença la taupe, d'un air sombre. Je n'imaginais pas qu'ils pourraient prêter tant d'importances à des paroles inconsidérées.
_Les paroles d'un mortel, surtout ! s'écria l'écureuil, qui s'était mis à parler à toute vitesse. A quoi ils pensent en se rangeant tous derrière lui comme ça ?! Eyh vous savez donc toujours pas que quand on donne du pouvoir aux mortels ils provoquent la fin du monde ?!'' tempêta-t-il à l'adresse de l'assistance qui restait sourde à ses protestations.
Rageur, le rongeur jeta en direction de l'armée d'Anciens un gland apparu par enchantement dans sa main, ce qui eut pour seule conséquence de sonner une fée à quelques mètres de là.
''_Je réveille Spinoix, on s'arrache, déclara Rattatast en contournant le fouisseur.
_Quoi ? Sans te battre ?
_Avec eux ? Non merci, je préfère encore compter mes noisettes.
_ Il n'y aura bientôt plus de noisettes à... Hmf... Écoute...''
Et lentement, avec précision et sans omettre l'urgence de la situation, la taupe raconta à l'écureuil ce qu'elle savait de cette division de l'armée démoniaque qui devait contourner les défenseurs d'Azeroth, progresser sous le couvert du mont Hyjal et les prendre à revers afin de mieux les écraser contre les remparts de Zin Azshari.
''_C'est pour ça qu'il nous faut agir rapidement, Rattatast, déclara Houd de son air grave habituel. Car...
_Car si on déjoue le plan de l'ennemi, interrompit l'écureuil, de nouveau lancé dans une élocution accélérée ponctuée de petits bonds. Si on met son armée en déroute, et qu'en plus on sauve les miches à tous les autres velus du bulbe, alors ils seront bien forcés de reconnaître que Rattatast est le véritable champion de ce monde, le grand défenseur d'Azeroth ! Et ils devront tous courber l'échine quand je leur exigerais des offrandes pour avoir sauvé leurs vies...''
Devant les yeux aveugles de son compère fouisseur, le rongeur se frottait les mains avec un ricanement cupide.
''_Ton égo est aussi démesuré que tes réserves, Collectionneur de Graines. Nous ne pourrons pas arrêter ces démons à nous deux. Nous avons besoin d'alliés.
_Oh ouais... Spinoix marche avec nous, pour sûr. Du reste j'ai vu ces deux insectes un peu louches que personne n'a l'air d'aimer. Ils nous suivront sûrement, si ça peut redorer le blason des arthropodes.
_Tâche de les convaincre dans ce cas. De mon côté je m'en vais quérir l'aide d'autres... Mécontents. Spinoix sera notre point de ralliement, déclara la taupe en replongeant sous terre à la force de ses griffes. Et Rattatast, tu as un problème à six heures.''
Et sur ce le fouisseur disparut.
''A six heures allons bon, de quoi il parle encore ?'' ricana l'écureuil avant de se retourner pour tomber nez à nez avec une furette qui essayait de lui faire les gros yeux. Des gros yeux qui jetaient littéralement des éclairs.
''_Eyh je te connais toi... T'es la peluche d'Aviana. Je tiens à te signaler que c'était une discussion privée ici, alors va faire traîner tes oreilles ailleurs.
_Et je te signale que c'est une plume d'Aviana que tu as volé, dit Hermez en pointant du doigt la plume que Rattatast avait piquée dans la fourrure de sa queue.
_Et alors ? C'est qu'une plume, elle va pas en mourir. Je lui rendrais, si elle veut se la repiquer dans le râble...
_Une plume de la déesse porte son essence. C'est un objet très puissant qui ne doit pas tomber entre n'importe quelles mains, expliqua la furette qui s'ébroua, plus anxieuse qu'énervée.
_Et ben ça tombe bien parce qu'elle est entre mes mains ! s'écria le rongeur en brandissant la plume. Je te rappelle que je suis Rattatast, la Mémoire des Écureuils, j'oublierais certainement pas de la lui remettre.''
Contournant Hermez, l'Ancien écureuil était bien parti pour laisser la furette plantée là, mais cette dernière le suivait en voletant à la force de ses petites ailes.
''_Eyh tu veux pas me lâcher la toison, maintenant ? Je t'ai dis que je la rendrais cette plume, ça suffit pas ? J'ai des recrues à trouver et une mission extra-spéciale à remplir si tu veux tout savoir.
_Je... Non, non ! Je vais te suivre. Pour... Te surveiller, oui, oui ! Que tu ne fasses pas de bêtise avec cette plume.
_Tiens donc ! C'est pas plutôt parce que t'es un bon animal de compagnie et que ta maîtresse te l'a demandé ?
_Non... mentit Hermez. Je... C'est ma propre initiative, oui, oui.
_C'est ça ouais... ricana Rattatast, avant de sauter sur le dos de sa camarade. Rends toi plutôt utile et porte moi. J'ai besoin de retrouver deux insectes volants dans le coin.''
La furette volante s'ébroua avec un pépiement de surprise avant de décoller, guidée par son fardeau.
***
Parmi la foule des Anciens qui s'apprêtaient au combat, Grimmbar, qui ne mesurait pour le moment que deux mètres, réajustait ses bracelets aux motifs lunaires pour avoir bien en vue la position d'Elune tel qu'elle l'était en ces nuits. Ainsi, pensait-il, il pourrait au mieux communier avec la déesse et se laisser guider par Elle.
Et surtout Elle pourrait voir que son titre de Montagne Grondante n'était pas usurpé, qu'il n'en était pas une parmi tant d'autres dans les rangs de ces Anciens gigantesques et que sa férocité était elle aussi une puissance sur laquelle il fallait compter.
''_Tu sais, peu importe le nombre d'ennemis abattus par toi ou par les autres, c'est toujours sa sauvagerie à lui qu'on retiendra, dit Houd qui avait percé la surface aux pieds du blaireau.
_Tu es revenu pour me provoquer, petit Aveugle ? Si tu veux voir la Fureur du Terrier, ne t'inquiète pas, elle sera libérée bien assez tôt.
_Je suis venu pour te demander assistance, et pour te faire une proposition qui, je pense, devrait te satisfaire...
_Ne me fais pas perdre mon temps, qu'est-ce que tu as à dire ?
_Te souviens-tu de ce danger que j'ai mentionné plus tôt et que tous ont choisi d'ignorer ? Imagine être le seul géant à t'opposer à cette armée. Que ta fureur soit celle qui nous sauve tous. Ce serait un exploit que tous devraient reconnaître et que personne ne pourrait t'enlever...''
Grimmbar tourna la tête vers le point où les autres Anciens avaient commencés à se rassembler.
''_Et tout ce que je dois faire, c'est vaincre une armée ? Seul ?
_Avec l'aide de quelques... Camarades. Mais aucun susceptible de marquer l'Histoire d'une patte aussi large que la tienne. Alors, qu'est-ce que tu en dis ?''
Le regard du blaireau courait d'un mastodonte à l'autre dans la clairière : Ursoc, Ursol, Aggamaggan et Goldrinn, tandis qu'il ruminait sa décision.
***
''_Je sais que c'est pour la sauvegarde de notre monde que nous devons agir. Mais c'est de mauvaise grâce que je mettrais mes pouvoirs au service de ces Anciens ingrats, disait une Melissé agacée,qui voletait à l'écart des autres Anciens, accompagnée de son essaim royal. Huisaile, êtes vous sûr que cette harpie ne se doute de rien ?
_J'ai du tisser de puissantes illusions pour berner sa vigilance. Et si je dois les maintenir tout le long de la bataille, alors je ne serais pas au meilleur de mes capacités pour l'affrontement, répondit le papillon avec un soupir. Loin de moi l'idée de donner des ordres à une reine... Mais saurez vous me soutenir durant les combats ?
_Oh bien évidemment, répondit l'abeille dont le visage chitineux s'adoucit aussitôt. Si le besoin s'en fait sentir, je mettrais à votre disposition un peu de gelée royale.''
A la mention du nectar, les motifs sur les ailes de Huisaile se firent plus colorés tandis que le papillon affichait un air de surprise ravie.
''_Allons, ne soyez pas surpris, lui dit la Reine avec un petit rire. Vous êtes bien le seul ici à le mériter. Et puis il faut nous soutenir mutuellement puisque personne d'autre ne semble penser à nous en bons termes...
_Alors là, j'aimerais vous dire que vous avez tort !''
Déboulant sur le dos d'Hermez, Rattatast quitta sa monture improvisée pour bondir sur l'épaule de Melissé.
''_Et vous avez tort, déclara l'écureuil qui retourna se poser sur la furette avant que l'essaim gardien d'abeilles ne fonde sur lui. Mes camarades et moi-même, ne pensons que du bien de vous autreuh... Bestioles. Et on a même besoin de votre aide !
_De notre aide ? interrogea Huisaile. Nous aidons déjà bien assez en accompagnant les autres demi-dieux au combat et-
_Et ça ne donnera rien de bon puisque de toute façon ils ne vous aiment pas et qu'ils ne veulent pas de vous avec eux, pas vrai ?''
Les deux insectes échangèrent un regard d'abord offusqué, puis embarrassé, avant de hocher la tête pour le rongeur.
''_On est d'accord... Alors voilà ce que je vous propose. Une occasion de faire ce qu'il faut pour notre bonne vieille planète et de clouer le bec aux méchants géants, le tout en restant loin d'eux. Alors ça vous branche ? proposa l'écureuil avec un sourire marchand et un jeu de sourcils tentateur.
_...Votre parler est... Etrange, déclara Huisaile. Mais la proposition semble pertinente. Seulement, il faudra tout d'abord que vous nous explicitiez de quoi il s'agit. Et je dois aussi vous prévenir que la déesse Aviana a décidé de nous surveiller,
_Elle a même menacé de s'en prendre à nous, si nous faisions un pas de travers, se plaignit une Melissé offusquée.
_Oh... Dites donc elle pose pas mal de soucis, ta vieille harpie, déclara Rattatast en se penchant sur Hermez, cette dernière tentant dès lors de le désarçonner en grondant. Tu voudrais pas lui glisser un petit mot comme quoi tout est sous contrôle et que tu les tiens à l’œil ?
_Et bien je... Je peux faire ça, oui, oui... Mais c'est moi qui vous tient à l’œil !'' déclara la furette en dirigeant ses yeux de foudre sur les deux insectes.
Et tandis que Hermez murmurait à une brise fraîche le message qu'elle destinait à sa maîtresse, les deux butineurs échangèrent un regard et un haussement d'épaules. L'idée d'être surveillés par un furet ailé aussi haut que leur jambe, plutôt que par une femme-oiseau qui les dépassait d'une tête semblait plus rassurante.
***
Après avoir convaincu le grand blaireau et l'avoir redirigé vers la boule de piquants qui leur tenait lieu de point de rassemblement, Houd partit en quête d'autres Anciens désireux de rejoindre sa cause. Ou plutôt de se détourner de la cause majoritaire.
Et justement, le couple de batraciens royaux était sur le départ, s'apprêtant à rejoindre les rangs des loas dans les jungles trolles, lorsque la taupe sombre perça la surface devant eux.
''_Ainsi donc la Grenouille et le Crapaud désertent la bataille, déclara Houd d'un ton accusateur.
_Nous nous battrons sur un champ de bataille différent, nuance, mammifère, rétorqua la Reine. Si nous devons défendre ce monde, nous le ferons selon nos termes. Auprès d'un peuple qui nous adule et mérite notre assistance.
_Qui vous adule ? Alors vous choisissez la gloire auprès des mortels plutôt que votre devoir ? Êtes vous vraiment des Anciens ? Des protecteurs de ce monde ?
_Le monde est vaste, fouisseur. Nous en sauvegarderons la part que nous avons toujours protégé.
_Les terres trolles ? Elles comptent parmi les plus éloignées de l'épicentre de l'invasion. Les trolls n'affronteront peut-être qu'une infime portion des armées démoniaques ! Vous dites vouloir les défendre, mais ils n'ont jamais fait que se perdre dans des conflits intestinaux et des guerres contre les autres races. C'est pour cela qu'ils sont déchus aujourd'hui... Et vous tomberez avec eux si vous continuez à renier votre devoir sacré !
_Silence ou votre sang sera le premier à tâcher mon arme durant ce conflit !'' tonna le crapaud en levant sa masse pour écraser Houd.
Disparaissant dans son trou, la taupe s'ôta du chemin de la lourde arme d'or qui s'écrasa sur la terre meuble. Il perça la surface à quelques pas de sa position initiale et continua son discours réprobateur :
''_Vos armes sont déjà plus maculées du sang d'habitants de ce monde que de celui de ses ennemis... Savez vous encore ce qu'être un Ancien signifie ? Cela signifie que votre place est sur ce champ de bataille et pas un autre.
_Vous nous reprochez de supporter les mortels et souhaitez que nous nous battions ici sous les ordres d'un seul d'entre eux ? coassa la grenouille. Le poil vous pousse dans la cervelle, mammifère.
_Ce champ de bataille est plus vaste que l'endroit où nos camarades ont décidé d'intervenir. Laissez moi vous expliquer de quelle façon vous pouvez accomplir votre devoir, sans suivre un mortel et en donnant tort à tous ceux qui ont commis cette erreur.''
Sa masse d'arme toujours en main, Tlop guetta du regard l'approbation de la Reine Grenouille. Lorsque celle-ci invita la taupe à poursuivre, il baissa son arme d'or vers le sol et reprit une posture de gardien au repos, écoutant ce que l'Ancien des profondeurs avait à dire.
***
Il était dit que Spinoix, lorsqu'il se roulait en boule, était absolument inextricable et que nul ne pouvait le forcer à se découvrir. Ceux qui s'y frottaient de toute façon prenaient le risque de se piquer à ses aiguilles de diamant, dont on disait qu'elles pouvaient trancher le vent.
Pour le tirer de cette posture de défense il fallait disait-on, réussir à le réveiller. Car lorsqu'il se roulait en boule, Spinoix dormait profondément et n'avait plus conscience du monde que par le Rêve, si bien qu'il n'était jamais très certain que ce qui se passait autour de lui était la réalité ou non...
Rattatast, après quelques siècles passés à fréquenter le hérisson avait appris la technique infaillible pour sortir Spinoix de sa torpeur. Armé d'une longue plume, qu'il immisça dans la boule de pics, l'écureuil commença à chatouiller le ventre de son compère.
L'essentiel, disait-il aux autres Anciens qui le regardaient faire avec perplexité, c'était de ne pas lui titiller le museau, au risque de provoquer un éternuement, et donc une explosion d'aiguilles mortelles.
''_Et c'est pour ça que tu as volé une plume à Aviana ?
_Tu croyais que c'était pour quoi ? Pour ma nouvelle parure ? Pour les pouvoirs magiques ? On est tous gavés de magie ici, j'ai pas besoin de ça, moi. Tiens, tu peux la reprendre maintenant''
Et sur ce, Rattatast piqua la plume de la déesse-oiseau dans la fourrure d'Hermez, qui eut l'air plutôt satisfaite. Pendant ce temps, la boule de piquants remuait et gigotait pour découvrir finalement le hérisson qui venait d'être tiré de sa sieste.
''_Alors, qu'est-ce qui a été décidé finalement ? demanda Spinoix de sa voix ensommeillée, tout en se frottant les yeux.
_On part en mission spéciale ! Rien que toi, moi et tous nos amis ici présents, répondit Rattatast en désignant la petite troupe derrière lui.
_Oh... Bonjour.'' dit simplement le hérisson en agitant la main devant les autres Anciens, qui même s'ils étaient relativement petits parmi leurs compères, le surplombaient d'une ou deux têtes. Et sans que Spinoix sache trop pourquoi, tous portaient sur lui un regard circonspect.
''_Excusez-moi, demanda Huisaile, aussi poliment et doucement que possible. Mais vous n'avez pas exactement l'air d'un combattant. Je veux dire, je ne suis moi-même pas un être de guerre, mais je sais utiliser les Arcanes. Mais vous, quelles sont vos ''techniques'' de combat ?
_Mes techniques de combat à moi ? Et bien... Je me roule en boule et j'attends qu'on me lance sur quelqu'un.
_Et c'est tout ? questionna encore Tlop, sceptique.
_Oh oui, jusqu'ici je n'ai jamais eu besoin de faire plus...''
Clignant de ses yeux fatigués, le hérisson regardait tour à tour ses interlocuteurs qui tournèrent la tête vers Rattatast. Ce dernier était occupé à tirer plusieurs longueurs de lianes du sol, d'où elles sortaient par enchantement.
''_Il ne sait pas se battre ? gronda Grimmbar à l'adresse de l'écureuil.
_Spinoix ? Se battre ? Non, évidemment que non, assura Rattatast tout en tressant ses lianes. Spinoix est lui-même une arme vous voyez... Bon évidemment c'est pas le plus actif des Anciens, mais il paraît que je suis bien assez hyperactif pour nous deux, alors... Tout va bien, non ?''
Et tout en parlant, le rongeur nouait l'extrémité de sa corde végétale à la patte du hérisson. Ce dernier, une fois solidement attaché, s'apprêta à se rouler à nouveau en boule, mais Rattatast l'en empêcha, tenant ses yeux grand ouverts avec ses doigts, sa face quasiment collée à celle de son camarade.
''Eh ! Eh ! Attends une seconde avant de te rendormir. Je dois faire un discours, et après ça on ira sur le champ de bataille, alors ne me lâche pas maintenant, d'accord ?!''
Hochant mollement la tête, Spinoix suivit du regard l'écureuil qui se précipitait sur une grande souche du haut de laquelle il observait toute son assistance, usant d'un gland comme d'un piédestal.
Après un court raclement de gorge, l'écureuil entama un discours qui s'enflamma rapidement, ponctué de gesticulations excessives :
''Mes amis ! Vous êtes réunis en ce jour car comme moi vous n'acceptez pas la stupidité de nos pairs ! Car comme moi vous êtes des Anciens dotés de bon sens et que vous avez été moqués, insultés, traités comme insignifiants parmi la masse !
Mais pourtant je vous le dis : nous ne sommes pas la masse ! Nous ne sommes pas comme ces empotés qui ont choisi de suivre les mortels plutôt que d'accomplir comme il se doit leur devoir sacré. Nous, on sait ce qu'il faut faire pour que cette histoire se termine bien, et je peux vous dire qu'on va se battre pour ça ! Et que l'Histoire on va la marquer d'une empreinte qui signifiera quelque chose pendant longtemps ! Car aujourd'hui mes amis, nous serons Signifiants ! Nous serons les Anciens Signifiants !''
A la fin de son discours, Rattatast fixait son auditoire avec insistance, les yeux écarquillés et la respiration haletante. En réaction de son auditoire, l'écureuil eut droit aux applaudissements encourageants des deux insectes, à ceux très formels des batraciens, à celui hésitant de Hermez qui avait attendu les autres pour se lancer, à un petit ''wouhouh'' baillé par Spinoix, au hochement de tête approbateur de Houd et à un grondement appréciateur de Grimmbar.
Voyant cela, le rongeur se passa le doigt sous le museau en regardant son public d'un air fier. Puis lorsque le silence retomba entre les arbres, il s'apprêta à donner le signal de leur départ, mais un dernier applaudissement se fit entendre, d'apparence plus enthousiaste, à l'orée de la clairière qu'ils avaient quittés...
***
Pendant que Rattatast et Houd s'efforçaient de réunir ceux qui comme eux s'étaient offusqués de la décision des Anciens, Larairah -le Haut-Roi de Garennes- en riait avec sa camarade goupil.
''_Je pense que c'est la meilleure blague que j'ai jamais entendue depuis des siècles. Et pour une fois, elle ne vient pas de moi.
_C'est vrai que ça semble grotesque... Mais ce n'est pas une si mauvaise chose tu sais. On avait jamais participé à ce genre d'action collective auparavant. Puisqu'on doit protéger ce monde, ça ne fait pas de mal de découvrir ce dont on est capables, tous ensemble.
_Oh je suis d'accord qu'une action coordonnée est une bonne chose... Mais une charge ? Sérieusement ? Est-ce qu'ils ont pensé que certains d'entre nous ne savent même pas se battre ?
_Par 'certains' tu veux dire toi, je présume ?'' le taquina la renarde avec un fin sourire qui révélait ses crocs. Reculant malgré lui, le lièvre reprit rapidement contenance pour répondre.
''Entre autres, oui. Je suis pas fait pour le combat. Je suis taillé pour la course. Ma vie se résume à ça : titiller un prédateur, puis courir le plus vite possible pour tester ses limites et surpasser les miennes. Je suis un Ancien de l'extrême. Un athlète ! Pas un soldat. Me lâcher au beau milieu d'un essaim de carnivores : aucun problème. Espérer que j'y sauve le monde en plus de ma queue touffue : certainement pas !'' affirma le lapin en se frappant la croupe.
Son interlocutrice l'écoutait avec un air amusé lorsque les paroles de Rattatast parvinrent jusqu'à leurs oreilles, attirant leur attention. En allant y voir de plus près, ils purent observer l'assemblée et écouter jusqu'à la fin le discours de l'écureuil.
Si la renarde eut l'air perplexe, Larairah se montra bien plus enthousiaste, et même amusé par la scène.
''_Est-ce que j'ai bien compris ? Ils veulent affronter les démons... Sans les autres ?
_On dirait, ouais. Ça, c'est extrême, tu vois ?
_C'est de la folie, oui. Ils vont certainement mourir dans leur coin sans que personne ne le sache.
_Moi je trouve l'idée nettement plus palpitante que ce que nous proposait le mortel. Et regarde, aucun prédateur dans les rangs. Sauf Grimmbar. Mais je le connais on est bons amis.
_Ha ! Toi tu as des amis chez les dents-pointues ? Grande nouvelle. Fais ce que tu veux, mais moi je retourne dans les rangs des grands Anciens, dit la renarde en se détournant du rongeur. Ils ne sont peut-être pas ''signifiants'', mais ils ont de bonnes chances de s'en tirer vivants. Si ça tourne mal avec tes copains les petits animaux de la forêt, tu sais où me trouver.
_Sûrement entre les pattes de ton grand méchant loup en train de faire les yeux doux, rétorqua Larairah, cinglant.
_Tu me connais trop bien... Peut-être que je devrais essayer de te tuer un jour.''
Et sur cette dernière plaisanterie, l'Ancienne à la crinière flamboyante fila, laissant derrière le lièvre qui alla à la rencontre de ses pairs, un brin d'herbe entre les lèvres. Applaudissant avec retard, Larairah s'attira l'attention de tous les présents avant de déclarer, de toute sa nonchalance habituelle :
''Édifiant ton discours, casse-noisette. Je passais ici par hasard et j'ai pas pu m'empêcher d'écouter jusqu'au bout tant c'était inspirant. En tout cas, laissez moi vous dire que je suis à 100% derrière vous. D'autant que vous avez réuni une fine équipe : Des butineurs, des seigneurs des marais, Grincheux, Dormeur et même la peluche d'Aviana ! Dites donc... Et... Houd, c'est encourageant de voir que tu ne laisses pas ton handicap t'éloigner de tes devoirs.'' dit-il en agitant la main devant les yeux bandés de la taupe.
Rattatast, qui n'appréciait guère cette intrusion vint se planter devant le lièvre, en équilibre sur son gland-tabouret pour tenir tête à son interlocuteur.
''_Dis donc toi, si tu es venu ici pour faire ton chaud lapin, tu peux retourner tout de suite avec les autres lourdauds. Ici, on essaye de faire quelque chose d'important, qui sauvera le monde, pigé ?
_Ohla, du calme mon petit écureuil, je suis pas ici pour saboter votre plan génial. Au contraire, je viens me joindre à vous.''
Plissant les yeux, Rattatast fixait le lapin comme s'il tentait de lire en lui ses véritables intentions. Larairah soutenait son regard en mâchonnant son brin d'herbe, un sourire fin sur les lèvres. Puis après quelques secondes, l'écureuil perdit patience et se tourna vers l'Ancien fouisseur, réclamant son assistance à grands gestes.
''_Un Ancien de plus est toujours le bienvenu évidemment... Seulement, arrête moi si je me trompe, mais tu ne sais pas combattre.
_Non, il ne sait pas, gronda Grimmbar. C'est un lâche et un agitateur, pire qu'un farfadet !''
A ces insultes, le lièvre n'offrit qu'un rire amusé et même moqueur, avant de chuchoter à Rattatast :
''Je crois qu'il m'en veut encore pour la fois où je lui ai chapardé son terrier juste avant l'hiver. Tout le confort dont on peut rêver pour l'hibernation, ce gros ronchon est très douillet en fait''
Puis il reprit, pour tous :
''_Écoutez, je connais pas votre plan formidable pour sauver le monde. Mais je sais qu'il n'est pas sans faille. Aucun plan ne l'est. Je sais peut-être pas combattre, mais quand il s'agit de battre en retraite je suis imbattable. Maintenant... Si ça tourne au vinaigre, vous serez en première ligne et ce sera peut-être déjà trop tard pour vous. Mais si je reste pour couvrir vos arrières... Il suffira d'un mot de votre part et je ramène toute la cavalerie, avant que vous ayez eu le temps de dire ouf.
_Attends, attends, objecta un Rattatast perplexe. ...Tu veux dire que si ça se passe mal, tu vas envoyer ceux qu'on voulait sauver... Pour nous sauver, nous ?
_Oh je m'attends pas à ce qu'ils fassent tous le déplacement, surtout pour toi casse-noisette... Mais ils sont toute la puissance de ce monde, une fraction suffirait à vous sauver les miches.
_Et donc... commença la rainette. Votre contribution à la bataille se résumerait à attendre tranquillement que la bataille se termine, en espérant que vous n'aurez pas à lever le doigt ? Une participation de bien infime mesure si vous voulez mon avis.
_Votre majesté... dit Larairah avec une révérence exagérée. Votre cerveau d'amphibien doit être très différent du mien alors permettez moi de résumer : Ma participation se mesure au fait que vous tous êtes le plan A et qu'à moi tout seul je serais votre plan B. Ou peu importe les deux premières lettres de l'alphabet des marais.''
En se redressant, le lièvre ne put s'empêcher de sourire à la reine grenouille, se délectant de l'air crispé qu'elle affichait devant ses moqueries.
''_Il marque un point, fit noter Houd, l'air grave. Un plan de secours est toujours plus sûr, sinon indispensable.
_Alors quoi... On le prend ?! s'exclama Rattatast qui ne suivait plus.
_Oui, il vient avec nous. Et maintenant si personne n'a plus rien à ajouter, nous devrions nous mettre en chemin.''
Lorsque les autres Anciens firent signe qu'ils n'avaient plus d'objection, l'Ancien fouisseur ouvrit la route, très vite rejoint par l'écureuil bondissant qui scandait :
''En avant Anciens ! L'heure de la bataille a sonné ! Et l'heure de sauver le monde aussi !''
Suivant la troupe, Larairah gardait un regard amusé sur ses compagnons, se disant qu'il allait s'en payer une bonne tranche.
Au ras des pâquerettes cependant, les ombres de quelques dissidences planaient encore, à mesure que les Éternels insatisfaits se retrouvaient.
Rattatast, pestant contre la décision grotesque de ses pairs, partait retrouver son compère épineux toujours endormi lorsqu'une motte de terre se souleva en travers de son chemin et livra à la surface Houd, encore enterré à mi-torse.
''_Je suis rassuré de ne pas être le seul à remettre en cause le plan de nos confrères, commença la taupe, d'un air sombre. Je n'imaginais pas qu'ils pourraient prêter tant d'importances à des paroles inconsidérées.
_Les paroles d'un mortel, surtout ! s'écria l'écureuil, qui s'était mis à parler à toute vitesse. A quoi ils pensent en se rangeant tous derrière lui comme ça ?! Eyh vous savez donc toujours pas que quand on donne du pouvoir aux mortels ils provoquent la fin du monde ?!'' tempêta-t-il à l'adresse de l'assistance qui restait sourde à ses protestations.
Rageur, le rongeur jeta en direction de l'armée d'Anciens un gland apparu par enchantement dans sa main, ce qui eut pour seule conséquence de sonner une fée à quelques mètres de là.
''_Je réveille Spinoix, on s'arrache, déclara Rattatast en contournant le fouisseur.
_Quoi ? Sans te battre ?
_Avec eux ? Non merci, je préfère encore compter mes noisettes.
_ Il n'y aura bientôt plus de noisettes à... Hmf... Écoute...''
Et lentement, avec précision et sans omettre l'urgence de la situation, la taupe raconta à l'écureuil ce qu'elle savait de cette division de l'armée démoniaque qui devait contourner les défenseurs d'Azeroth, progresser sous le couvert du mont Hyjal et les prendre à revers afin de mieux les écraser contre les remparts de Zin Azshari.
''_C'est pour ça qu'il nous faut agir rapidement, Rattatast, déclara Houd de son air grave habituel. Car...
_Car si on déjoue le plan de l'ennemi, interrompit l'écureuil, de nouveau lancé dans une élocution accélérée ponctuée de petits bonds. Si on met son armée en déroute, et qu'en plus on sauve les miches à tous les autres velus du bulbe, alors ils seront bien forcés de reconnaître que Rattatast est le véritable champion de ce monde, le grand défenseur d'Azeroth ! Et ils devront tous courber l'échine quand je leur exigerais des offrandes pour avoir sauvé leurs vies...''
Devant les yeux aveugles de son compère fouisseur, le rongeur se frottait les mains avec un ricanement cupide.
''_Ton égo est aussi démesuré que tes réserves, Collectionneur de Graines. Nous ne pourrons pas arrêter ces démons à nous deux. Nous avons besoin d'alliés.
_Oh ouais... Spinoix marche avec nous, pour sûr. Du reste j'ai vu ces deux insectes un peu louches que personne n'a l'air d'aimer. Ils nous suivront sûrement, si ça peut redorer le blason des arthropodes.
_Tâche de les convaincre dans ce cas. De mon côté je m'en vais quérir l'aide d'autres... Mécontents. Spinoix sera notre point de ralliement, déclara la taupe en replongeant sous terre à la force de ses griffes. Et Rattatast, tu as un problème à six heures.''
Et sur ce le fouisseur disparut.
''A six heures allons bon, de quoi il parle encore ?'' ricana l'écureuil avant de se retourner pour tomber nez à nez avec une furette qui essayait de lui faire les gros yeux. Des gros yeux qui jetaient littéralement des éclairs.
''_Eyh je te connais toi... T'es la peluche d'Aviana. Je tiens à te signaler que c'était une discussion privée ici, alors va faire traîner tes oreilles ailleurs.
_Et je te signale que c'est une plume d'Aviana que tu as volé, dit Hermez en pointant du doigt la plume que Rattatast avait piquée dans la fourrure de sa queue.
_Et alors ? C'est qu'une plume, elle va pas en mourir. Je lui rendrais, si elle veut se la repiquer dans le râble...
_Une plume de la déesse porte son essence. C'est un objet très puissant qui ne doit pas tomber entre n'importe quelles mains, expliqua la furette qui s'ébroua, plus anxieuse qu'énervée.
_Et ben ça tombe bien parce qu'elle est entre mes mains ! s'écria le rongeur en brandissant la plume. Je te rappelle que je suis Rattatast, la Mémoire des Écureuils, j'oublierais certainement pas de la lui remettre.''
Contournant Hermez, l'Ancien écureuil était bien parti pour laisser la furette plantée là, mais cette dernière le suivait en voletant à la force de ses petites ailes.
''_Eyh tu veux pas me lâcher la toison, maintenant ? Je t'ai dis que je la rendrais cette plume, ça suffit pas ? J'ai des recrues à trouver et une mission extra-spéciale à remplir si tu veux tout savoir.
_Je... Non, non ! Je vais te suivre. Pour... Te surveiller, oui, oui ! Que tu ne fasses pas de bêtise avec cette plume.
_Tiens donc ! C'est pas plutôt parce que t'es un bon animal de compagnie et que ta maîtresse te l'a demandé ?
_Non... mentit Hermez. Je... C'est ma propre initiative, oui, oui.
_C'est ça ouais... ricana Rattatast, avant de sauter sur le dos de sa camarade. Rends toi plutôt utile et porte moi. J'ai besoin de retrouver deux insectes volants dans le coin.''
La furette volante s'ébroua avec un pépiement de surprise avant de décoller, guidée par son fardeau.
***
Parmi la foule des Anciens qui s'apprêtaient au combat, Grimmbar, qui ne mesurait pour le moment que deux mètres, réajustait ses bracelets aux motifs lunaires pour avoir bien en vue la position d'Elune tel qu'elle l'était en ces nuits. Ainsi, pensait-il, il pourrait au mieux communier avec la déesse et se laisser guider par Elle.
Et surtout Elle pourrait voir que son titre de Montagne Grondante n'était pas usurpé, qu'il n'en était pas une parmi tant d'autres dans les rangs de ces Anciens gigantesques et que sa férocité était elle aussi une puissance sur laquelle il fallait compter.
''_Tu sais, peu importe le nombre d'ennemis abattus par toi ou par les autres, c'est toujours sa sauvagerie à lui qu'on retiendra, dit Houd qui avait percé la surface aux pieds du blaireau.
_Tu es revenu pour me provoquer, petit Aveugle ? Si tu veux voir la Fureur du Terrier, ne t'inquiète pas, elle sera libérée bien assez tôt.
_Je suis venu pour te demander assistance, et pour te faire une proposition qui, je pense, devrait te satisfaire...
_Ne me fais pas perdre mon temps, qu'est-ce que tu as à dire ?
_Te souviens-tu de ce danger que j'ai mentionné plus tôt et que tous ont choisi d'ignorer ? Imagine être le seul géant à t'opposer à cette armée. Que ta fureur soit celle qui nous sauve tous. Ce serait un exploit que tous devraient reconnaître et que personne ne pourrait t'enlever...''
Grimmbar tourna la tête vers le point où les autres Anciens avaient commencés à se rassembler.
''_Et tout ce que je dois faire, c'est vaincre une armée ? Seul ?
_Avec l'aide de quelques... Camarades. Mais aucun susceptible de marquer l'Histoire d'une patte aussi large que la tienne. Alors, qu'est-ce que tu en dis ?''
Le regard du blaireau courait d'un mastodonte à l'autre dans la clairière : Ursoc, Ursol, Aggamaggan et Goldrinn, tandis qu'il ruminait sa décision.
***
''_Je sais que c'est pour la sauvegarde de notre monde que nous devons agir. Mais c'est de mauvaise grâce que je mettrais mes pouvoirs au service de ces Anciens ingrats, disait une Melissé agacée,qui voletait à l'écart des autres Anciens, accompagnée de son essaim royal. Huisaile, êtes vous sûr que cette harpie ne se doute de rien ?
_J'ai du tisser de puissantes illusions pour berner sa vigilance. Et si je dois les maintenir tout le long de la bataille, alors je ne serais pas au meilleur de mes capacités pour l'affrontement, répondit le papillon avec un soupir. Loin de moi l'idée de donner des ordres à une reine... Mais saurez vous me soutenir durant les combats ?
_Oh bien évidemment, répondit l'abeille dont le visage chitineux s'adoucit aussitôt. Si le besoin s'en fait sentir, je mettrais à votre disposition un peu de gelée royale.''
A la mention du nectar, les motifs sur les ailes de Huisaile se firent plus colorés tandis que le papillon affichait un air de surprise ravie.
''_Allons, ne soyez pas surpris, lui dit la Reine avec un petit rire. Vous êtes bien le seul ici à le mériter. Et puis il faut nous soutenir mutuellement puisque personne d'autre ne semble penser à nous en bons termes...
_Alors là, j'aimerais vous dire que vous avez tort !''
Déboulant sur le dos d'Hermez, Rattatast quitta sa monture improvisée pour bondir sur l'épaule de Melissé.
''_Et vous avez tort, déclara l'écureuil qui retourna se poser sur la furette avant que l'essaim gardien d'abeilles ne fonde sur lui. Mes camarades et moi-même, ne pensons que du bien de vous autreuh... Bestioles. Et on a même besoin de votre aide !
_De notre aide ? interrogea Huisaile. Nous aidons déjà bien assez en accompagnant les autres demi-dieux au combat et-
_Et ça ne donnera rien de bon puisque de toute façon ils ne vous aiment pas et qu'ils ne veulent pas de vous avec eux, pas vrai ?''
Les deux insectes échangèrent un regard d'abord offusqué, puis embarrassé, avant de hocher la tête pour le rongeur.
''_On est d'accord... Alors voilà ce que je vous propose. Une occasion de faire ce qu'il faut pour notre bonne vieille planète et de clouer le bec aux méchants géants, le tout en restant loin d'eux. Alors ça vous branche ? proposa l'écureuil avec un sourire marchand et un jeu de sourcils tentateur.
_...Votre parler est... Etrange, déclara Huisaile. Mais la proposition semble pertinente. Seulement, il faudra tout d'abord que vous nous explicitiez de quoi il s'agit. Et je dois aussi vous prévenir que la déesse Aviana a décidé de nous surveiller,
_Elle a même menacé de s'en prendre à nous, si nous faisions un pas de travers, se plaignit une Melissé offusquée.
_Oh... Dites donc elle pose pas mal de soucis, ta vieille harpie, déclara Rattatast en se penchant sur Hermez, cette dernière tentant dès lors de le désarçonner en grondant. Tu voudrais pas lui glisser un petit mot comme quoi tout est sous contrôle et que tu les tiens à l’œil ?
_Et bien je... Je peux faire ça, oui, oui... Mais c'est moi qui vous tient à l’œil !'' déclara la furette en dirigeant ses yeux de foudre sur les deux insectes.
Et tandis que Hermez murmurait à une brise fraîche le message qu'elle destinait à sa maîtresse, les deux butineurs échangèrent un regard et un haussement d'épaules. L'idée d'être surveillés par un furet ailé aussi haut que leur jambe, plutôt que par une femme-oiseau qui les dépassait d'une tête semblait plus rassurante.
***
Après avoir convaincu le grand blaireau et l'avoir redirigé vers la boule de piquants qui leur tenait lieu de point de rassemblement, Houd partit en quête d'autres Anciens désireux de rejoindre sa cause. Ou plutôt de se détourner de la cause majoritaire.
Et justement, le couple de batraciens royaux était sur le départ, s'apprêtant à rejoindre les rangs des loas dans les jungles trolles, lorsque la taupe sombre perça la surface devant eux.
''_Ainsi donc la Grenouille et le Crapaud désertent la bataille, déclara Houd d'un ton accusateur.
_Nous nous battrons sur un champ de bataille différent, nuance, mammifère, rétorqua la Reine. Si nous devons défendre ce monde, nous le ferons selon nos termes. Auprès d'un peuple qui nous adule et mérite notre assistance.
_Qui vous adule ? Alors vous choisissez la gloire auprès des mortels plutôt que votre devoir ? Êtes vous vraiment des Anciens ? Des protecteurs de ce monde ?
_Le monde est vaste, fouisseur. Nous en sauvegarderons la part que nous avons toujours protégé.
_Les terres trolles ? Elles comptent parmi les plus éloignées de l'épicentre de l'invasion. Les trolls n'affronteront peut-être qu'une infime portion des armées démoniaques ! Vous dites vouloir les défendre, mais ils n'ont jamais fait que se perdre dans des conflits intestinaux et des guerres contre les autres races. C'est pour cela qu'ils sont déchus aujourd'hui... Et vous tomberez avec eux si vous continuez à renier votre devoir sacré !
_Silence ou votre sang sera le premier à tâcher mon arme durant ce conflit !'' tonna le crapaud en levant sa masse pour écraser Houd.
Disparaissant dans son trou, la taupe s'ôta du chemin de la lourde arme d'or qui s'écrasa sur la terre meuble. Il perça la surface à quelques pas de sa position initiale et continua son discours réprobateur :
''_Vos armes sont déjà plus maculées du sang d'habitants de ce monde que de celui de ses ennemis... Savez vous encore ce qu'être un Ancien signifie ? Cela signifie que votre place est sur ce champ de bataille et pas un autre.
_Vous nous reprochez de supporter les mortels et souhaitez que nous nous battions ici sous les ordres d'un seul d'entre eux ? coassa la grenouille. Le poil vous pousse dans la cervelle, mammifère.
_Ce champ de bataille est plus vaste que l'endroit où nos camarades ont décidé d'intervenir. Laissez moi vous expliquer de quelle façon vous pouvez accomplir votre devoir, sans suivre un mortel et en donnant tort à tous ceux qui ont commis cette erreur.''
Sa masse d'arme toujours en main, Tlop guetta du regard l'approbation de la Reine Grenouille. Lorsque celle-ci invita la taupe à poursuivre, il baissa son arme d'or vers le sol et reprit une posture de gardien au repos, écoutant ce que l'Ancien des profondeurs avait à dire.
***
Il était dit que Spinoix, lorsqu'il se roulait en boule, était absolument inextricable et que nul ne pouvait le forcer à se découvrir. Ceux qui s'y frottaient de toute façon prenaient le risque de se piquer à ses aiguilles de diamant, dont on disait qu'elles pouvaient trancher le vent.
Pour le tirer de cette posture de défense il fallait disait-on, réussir à le réveiller. Car lorsqu'il se roulait en boule, Spinoix dormait profondément et n'avait plus conscience du monde que par le Rêve, si bien qu'il n'était jamais très certain que ce qui se passait autour de lui était la réalité ou non...
Rattatast, après quelques siècles passés à fréquenter le hérisson avait appris la technique infaillible pour sortir Spinoix de sa torpeur. Armé d'une longue plume, qu'il immisça dans la boule de pics, l'écureuil commença à chatouiller le ventre de son compère.
L'essentiel, disait-il aux autres Anciens qui le regardaient faire avec perplexité, c'était de ne pas lui titiller le museau, au risque de provoquer un éternuement, et donc une explosion d'aiguilles mortelles.
''_Et c'est pour ça que tu as volé une plume à Aviana ?
_Tu croyais que c'était pour quoi ? Pour ma nouvelle parure ? Pour les pouvoirs magiques ? On est tous gavés de magie ici, j'ai pas besoin de ça, moi. Tiens, tu peux la reprendre maintenant''
Et sur ce, Rattatast piqua la plume de la déesse-oiseau dans la fourrure d'Hermez, qui eut l'air plutôt satisfaite. Pendant ce temps, la boule de piquants remuait et gigotait pour découvrir finalement le hérisson qui venait d'être tiré de sa sieste.
''_Alors, qu'est-ce qui a été décidé finalement ? demanda Spinoix de sa voix ensommeillée, tout en se frottant les yeux.
_On part en mission spéciale ! Rien que toi, moi et tous nos amis ici présents, répondit Rattatast en désignant la petite troupe derrière lui.
_Oh... Bonjour.'' dit simplement le hérisson en agitant la main devant les autres Anciens, qui même s'ils étaient relativement petits parmi leurs compères, le surplombaient d'une ou deux têtes. Et sans que Spinoix sache trop pourquoi, tous portaient sur lui un regard circonspect.
''_Excusez-moi, demanda Huisaile, aussi poliment et doucement que possible. Mais vous n'avez pas exactement l'air d'un combattant. Je veux dire, je ne suis moi-même pas un être de guerre, mais je sais utiliser les Arcanes. Mais vous, quelles sont vos ''techniques'' de combat ?
_Mes techniques de combat à moi ? Et bien... Je me roule en boule et j'attends qu'on me lance sur quelqu'un.
_Et c'est tout ? questionna encore Tlop, sceptique.
_Oh oui, jusqu'ici je n'ai jamais eu besoin de faire plus...''
Clignant de ses yeux fatigués, le hérisson regardait tour à tour ses interlocuteurs qui tournèrent la tête vers Rattatast. Ce dernier était occupé à tirer plusieurs longueurs de lianes du sol, d'où elles sortaient par enchantement.
''_Il ne sait pas se battre ? gronda Grimmbar à l'adresse de l'écureuil.
_Spinoix ? Se battre ? Non, évidemment que non, assura Rattatast tout en tressant ses lianes. Spinoix est lui-même une arme vous voyez... Bon évidemment c'est pas le plus actif des Anciens, mais il paraît que je suis bien assez hyperactif pour nous deux, alors... Tout va bien, non ?''
Et tout en parlant, le rongeur nouait l'extrémité de sa corde végétale à la patte du hérisson. Ce dernier, une fois solidement attaché, s'apprêta à se rouler à nouveau en boule, mais Rattatast l'en empêcha, tenant ses yeux grand ouverts avec ses doigts, sa face quasiment collée à celle de son camarade.
''Eh ! Eh ! Attends une seconde avant de te rendormir. Je dois faire un discours, et après ça on ira sur le champ de bataille, alors ne me lâche pas maintenant, d'accord ?!''
Hochant mollement la tête, Spinoix suivit du regard l'écureuil qui se précipitait sur une grande souche du haut de laquelle il observait toute son assistance, usant d'un gland comme d'un piédestal.
Après un court raclement de gorge, l'écureuil entama un discours qui s'enflamma rapidement, ponctué de gesticulations excessives :
''Mes amis ! Vous êtes réunis en ce jour car comme moi vous n'acceptez pas la stupidité de nos pairs ! Car comme moi vous êtes des Anciens dotés de bon sens et que vous avez été moqués, insultés, traités comme insignifiants parmi la masse !
Mais pourtant je vous le dis : nous ne sommes pas la masse ! Nous ne sommes pas comme ces empotés qui ont choisi de suivre les mortels plutôt que d'accomplir comme il se doit leur devoir sacré. Nous, on sait ce qu'il faut faire pour que cette histoire se termine bien, et je peux vous dire qu'on va se battre pour ça ! Et que l'Histoire on va la marquer d'une empreinte qui signifiera quelque chose pendant longtemps ! Car aujourd'hui mes amis, nous serons Signifiants ! Nous serons les Anciens Signifiants !''
A la fin de son discours, Rattatast fixait son auditoire avec insistance, les yeux écarquillés et la respiration haletante. En réaction de son auditoire, l'écureuil eut droit aux applaudissements encourageants des deux insectes, à ceux très formels des batraciens, à celui hésitant de Hermez qui avait attendu les autres pour se lancer, à un petit ''wouhouh'' baillé par Spinoix, au hochement de tête approbateur de Houd et à un grondement appréciateur de Grimmbar.
Voyant cela, le rongeur se passa le doigt sous le museau en regardant son public d'un air fier. Puis lorsque le silence retomba entre les arbres, il s'apprêta à donner le signal de leur départ, mais un dernier applaudissement se fit entendre, d'apparence plus enthousiaste, à l'orée de la clairière qu'ils avaient quittés...
***
Pendant que Rattatast et Houd s'efforçaient de réunir ceux qui comme eux s'étaient offusqués de la décision des Anciens, Larairah -le Haut-Roi de Garennes- en riait avec sa camarade goupil.
''_Je pense que c'est la meilleure blague que j'ai jamais entendue depuis des siècles. Et pour une fois, elle ne vient pas de moi.
_C'est vrai que ça semble grotesque... Mais ce n'est pas une si mauvaise chose tu sais. On avait jamais participé à ce genre d'action collective auparavant. Puisqu'on doit protéger ce monde, ça ne fait pas de mal de découvrir ce dont on est capables, tous ensemble.
_Oh je suis d'accord qu'une action coordonnée est une bonne chose... Mais une charge ? Sérieusement ? Est-ce qu'ils ont pensé que certains d'entre nous ne savent même pas se battre ?
_Par 'certains' tu veux dire toi, je présume ?'' le taquina la renarde avec un fin sourire qui révélait ses crocs. Reculant malgré lui, le lièvre reprit rapidement contenance pour répondre.
''Entre autres, oui. Je suis pas fait pour le combat. Je suis taillé pour la course. Ma vie se résume à ça : titiller un prédateur, puis courir le plus vite possible pour tester ses limites et surpasser les miennes. Je suis un Ancien de l'extrême. Un athlète ! Pas un soldat. Me lâcher au beau milieu d'un essaim de carnivores : aucun problème. Espérer que j'y sauve le monde en plus de ma queue touffue : certainement pas !'' affirma le lapin en se frappant la croupe.
Son interlocutrice l'écoutait avec un air amusé lorsque les paroles de Rattatast parvinrent jusqu'à leurs oreilles, attirant leur attention. En allant y voir de plus près, ils purent observer l'assemblée et écouter jusqu'à la fin le discours de l'écureuil.
Si la renarde eut l'air perplexe, Larairah se montra bien plus enthousiaste, et même amusé par la scène.
''_Est-ce que j'ai bien compris ? Ils veulent affronter les démons... Sans les autres ?
_On dirait, ouais. Ça, c'est extrême, tu vois ?
_C'est de la folie, oui. Ils vont certainement mourir dans leur coin sans que personne ne le sache.
_Moi je trouve l'idée nettement plus palpitante que ce que nous proposait le mortel. Et regarde, aucun prédateur dans les rangs. Sauf Grimmbar. Mais je le connais on est bons amis.
_Ha ! Toi tu as des amis chez les dents-pointues ? Grande nouvelle. Fais ce que tu veux, mais moi je retourne dans les rangs des grands Anciens, dit la renarde en se détournant du rongeur. Ils ne sont peut-être pas ''signifiants'', mais ils ont de bonnes chances de s'en tirer vivants. Si ça tourne mal avec tes copains les petits animaux de la forêt, tu sais où me trouver.
_Sûrement entre les pattes de ton grand méchant loup en train de faire les yeux doux, rétorqua Larairah, cinglant.
_Tu me connais trop bien... Peut-être que je devrais essayer de te tuer un jour.''
Et sur cette dernière plaisanterie, l'Ancienne à la crinière flamboyante fila, laissant derrière le lièvre qui alla à la rencontre de ses pairs, un brin d'herbe entre les lèvres. Applaudissant avec retard, Larairah s'attira l'attention de tous les présents avant de déclarer, de toute sa nonchalance habituelle :
''Édifiant ton discours, casse-noisette. Je passais ici par hasard et j'ai pas pu m'empêcher d'écouter jusqu'au bout tant c'était inspirant. En tout cas, laissez moi vous dire que je suis à 100% derrière vous. D'autant que vous avez réuni une fine équipe : Des butineurs, des seigneurs des marais, Grincheux, Dormeur et même la peluche d'Aviana ! Dites donc... Et... Houd, c'est encourageant de voir que tu ne laisses pas ton handicap t'éloigner de tes devoirs.'' dit-il en agitant la main devant les yeux bandés de la taupe.
Rattatast, qui n'appréciait guère cette intrusion vint se planter devant le lièvre, en équilibre sur son gland-tabouret pour tenir tête à son interlocuteur.
''_Dis donc toi, si tu es venu ici pour faire ton chaud lapin, tu peux retourner tout de suite avec les autres lourdauds. Ici, on essaye de faire quelque chose d'important, qui sauvera le monde, pigé ?
_Ohla, du calme mon petit écureuil, je suis pas ici pour saboter votre plan génial. Au contraire, je viens me joindre à vous.''
Plissant les yeux, Rattatast fixait le lapin comme s'il tentait de lire en lui ses véritables intentions. Larairah soutenait son regard en mâchonnant son brin d'herbe, un sourire fin sur les lèvres. Puis après quelques secondes, l'écureuil perdit patience et se tourna vers l'Ancien fouisseur, réclamant son assistance à grands gestes.
''_Un Ancien de plus est toujours le bienvenu évidemment... Seulement, arrête moi si je me trompe, mais tu ne sais pas combattre.
_Non, il ne sait pas, gronda Grimmbar. C'est un lâche et un agitateur, pire qu'un farfadet !''
A ces insultes, le lièvre n'offrit qu'un rire amusé et même moqueur, avant de chuchoter à Rattatast :
''Je crois qu'il m'en veut encore pour la fois où je lui ai chapardé son terrier juste avant l'hiver. Tout le confort dont on peut rêver pour l'hibernation, ce gros ronchon est très douillet en fait''
Puis il reprit, pour tous :
''_Écoutez, je connais pas votre plan formidable pour sauver le monde. Mais je sais qu'il n'est pas sans faille. Aucun plan ne l'est. Je sais peut-être pas combattre, mais quand il s'agit de battre en retraite je suis imbattable. Maintenant... Si ça tourne au vinaigre, vous serez en première ligne et ce sera peut-être déjà trop tard pour vous. Mais si je reste pour couvrir vos arrières... Il suffira d'un mot de votre part et je ramène toute la cavalerie, avant que vous ayez eu le temps de dire ouf.
_Attends, attends, objecta un Rattatast perplexe. ...Tu veux dire que si ça se passe mal, tu vas envoyer ceux qu'on voulait sauver... Pour nous sauver, nous ?
_Oh je m'attends pas à ce qu'ils fassent tous le déplacement, surtout pour toi casse-noisette... Mais ils sont toute la puissance de ce monde, une fraction suffirait à vous sauver les miches.
_Et donc... commença la rainette. Votre contribution à la bataille se résumerait à attendre tranquillement que la bataille se termine, en espérant que vous n'aurez pas à lever le doigt ? Une participation de bien infime mesure si vous voulez mon avis.
_Votre majesté... dit Larairah avec une révérence exagérée. Votre cerveau d'amphibien doit être très différent du mien alors permettez moi de résumer : Ma participation se mesure au fait que vous tous êtes le plan A et qu'à moi tout seul je serais votre plan B. Ou peu importe les deux premières lettres de l'alphabet des marais.''
En se redressant, le lièvre ne put s'empêcher de sourire à la reine grenouille, se délectant de l'air crispé qu'elle affichait devant ses moqueries.
''_Il marque un point, fit noter Houd, l'air grave. Un plan de secours est toujours plus sûr, sinon indispensable.
_Alors quoi... On le prend ?! s'exclama Rattatast qui ne suivait plus.
_Oui, il vient avec nous. Et maintenant si personne n'a plus rien à ajouter, nous devrions nous mettre en chemin.''
Lorsque les autres Anciens firent signe qu'ils n'avaient plus d'objection, l'Ancien fouisseur ouvrit la route, très vite rejoint par l'écureuil bondissant qui scandait :
''En avant Anciens ! L'heure de la bataille a sonné ! Et l'heure de sauver le monde aussi !''
Suivant la troupe, Larairah gardait un regard amusé sur ses compagnons, se disant qu'il allait s'en payer une bonne tranche.
Tortoka/Djigzyx
Re: Les Anciens Signifiants
Prestement, Houd, l'Agent des Profondeurs, mena ses camarades au lieu de l'assaut démoniaque qu'il souhaitait prévenir et surtout contenir. Il s'agissait d'une vallée sur le flanc est du mont Hyjal, étendue d'herbes et de collines qui s'ouvrait sur un front de quelques kilomètres. Elle était fermée au nord par un bras de la montagne et au sud par une forêt. Et en face des Anciens, à plusieurs lieux de leur position, la légion de démons emplissait l'espace. Grands ou petits, ils se pressaient sur toute la largeur de la vallée, et en couvraient même le ciel.
''_Ils sont très très nombreux, oui, oui, constata Hermez. Peut-être trop pour nous, non ?
_Il faudra que nous nous dispersions, oui, dit Houd. Toi, Huisaile et Mélissé vous chargerez de les attaquer depuis le ciel. Mais aussi de nous couvrir de leurs propres attaques. ''
La furette hocha vigoureusement la tête, de même que les deux insectes qui ne quittaient pas des yeux l'armée qui venait à leur rencontre.
''_Rattatast, tu prends Spinoix avec toi. Vous vous chargerez de couvrir la voie au nord. Est-ce qu'il... commença la taupe en désignant le hérisson qui s'endormait.
_Oui, oui, il tiendra le coup.'' affirma l'écureuil en donnant de petites tapes sur la joue de son camarade.
''Tlop et... Sa Majesté. Vous serez chargés de tenir la ligne au sud. Pas de problème avec ça ?''
Avachie sur son trône d'eau, la Reine Grenouille eut un petit geste dédaigneux de la main et son Gardien Crapaud inclina doucement la tête.
''Grimmbar tu resteras au centre. En grossissant tu attireras certainement toute leur attention, alors le plus énorme tu deviendras, le mieux ce sera d'accord ?''
Un grondement approbateur se fit entendre pour toute réponse.
''_Larairah, tu resteras près de Grimmbar. Si lui commence à flancher, ce sera le signal qu'il te faut pour aller chercher des renforts.
_Ça n'arrivera pas... grogna le blaireau qui gagnait déjà quelques mètres de plus.
_C'est bien, c'est exactement ce qu'on t'a demandé, mon grand, plaisanta le lièvre en tapotant la patte du grand Ancien. Maintenant, loin de moi l'idée de douter de vos capacités mes petits amis, mais qu'est-ce qui se passera si vous en laisser filer un ou deux ?''
Plantant ses deux lames dans le sol, Houd fit quelques pas en direction de la montagne qu'ils devaient protéger. Il passa une patte experte sur le sol, gratta un endroit qui lui semblait particulièrement approprié puis tapa du pied. Des craquelures apparurent au sol, qui avancèrent jusqu'aux pieds de la montagne pour se disperser de part et d'autres, la longeant sur toute la largeur de la vallée. Il y eut enfin un craquement sourd, retentissant depuis les profondeurs de la terre avant que la fissure ne s'ouvre sur une faille béante qui fit vaciller les Anciens.
''_Ooh... Plutôt pas mal, admit Larairah avec sa nonchalance habituelle.
_Pfuah, tu parles, intervint Rattatast. J'ai un cousin qui sait faire pareil. Avec son gland, même.
_Tu m'en diras tant... Et pour le ciel ? Ces démons volent aussi, pour le peu qu'on en a vu.
_Oh, oh ! Moi je peux faire quelque chose. Quelque chose, oui oui !''
Hermez voletait en tout sens et levait la main pour qu'on la laisse faire démonstration de son pouvoir. Lorsqu'on lui fit signe que sa magie était la bienvenue, elle fila en trombe à l'extrémité de la faille ouverte par Houd.
La foudre tomba là où la furette semblait être arrivée, puis elle repassa devant les Anciens avant même que le bruit du tonnerre ne leur parvienne, apportant dans son sillage des trombes de pluie et les nuages orageux qui allaient avec. Elle termina sa course à l'autre bout de la vallée, avant de revenir vers ses camarades, enjouée.
''_Splendide, et pas une goutte sur mes oreilles. Très professionnelle. J'aime beaucoup. Et pour ceux qui voudraient passer par la forêt ?
_Je pense pouvoir faire quelque chose pour que la forêt leur paraisse moins accueillante, dit alors Melissé de sa voix douce. Quelques rosiers devraient suffire à...
_Ouais, des ronciers, ouais !'' s'écria Rattatast en brandissant son gland fétiche.
Courant vers la forêt, l'écureuil fit quelques pas avant de sauter et de planter la graine dans le sol. S'en suivit une pulsation de magie druidique qui s'étendit jusque dans les bois, là où des ronciers se mirent à croître démesurément. Très vite, les plantes épineuses emplirent l'espace entre les arbres, transformant la forêt en inextricable marée d'épines.
Devant l'air désolé de la Reine des Abeilles, Huisaile désigna le gouffre pluvieux derrière le groupe :
''_Je pense qu'il serait pertinent de renforcer encore cet endroit. Après tout, il s'agit de notre dernière ligne de défense. Qu'en pensez vous... Houd ?
_Hrmm... Quelques rosiers ne seraient pas de trop, sans doute.'' admit la taupe en tournant ses yeux aveugles dans la direction indiquée par le papillon.
Et c'est d'un air reconnaissant que Melissé prit quelques mètres de hauteur avant d'étendre les bras en exécutant une sorte de ronde. Semant une pluie de pollens qui traversa la tempête levée par Hermez pour se répandre de l'autre côté du gouffre. Presque aussitôt, une haie de grands rosiers s'éleva et s'étendit tout au long de la faille béante pour former en quelques secondes un mur végétal aux aiguilles acérées.
''_Rassuré ? demanda Houd à Larairah.
_Pas mal, pas mal, répéta le lièvre. Pour un début évidemment...
_Très bien, reprit Houd avant de s'adresser à tous. Maintenant la bataille va vraiment commencer. Chacun sait ce qu'il a à faire ?
_Eeeh... On sait tous ce qu'on va faire sauf toi en fait, intervint Rattatast.
_Moi ? Je vais faire ce que je fais d'habitude, récolter des informations. En l'occurrence, trouver le démon qui mène cet assaut. Je vous contacterais quand je l'aurais trouvé. Tenez la ligne d'ici là, bonne chance.''
Et sur ce, l'Ancien fouisseur disparut sous terre, laissant tout le loisir à l'écureuil de crier :
''Vous l'avez entendu ?! Tout le monde à son poste, aujourd'hui on se paye une bonne plâtrée d'envahisseurs !''
***
Quelques instants après qu'ils se soient séparés, chacun des Anciens s'armait ou préparait le terrain, anticipant l'approche de la Légion Ardente. Melissé et Huisaile, qui avaient pris de la hauteur, purent constater l'immensité des effectifs démoniaques qui déferlaient sur leur position sans sembler avoir de fin.
Étant les premiers à portée d'attaque, ils furent les premiers à agir.
Huisaile, qui tirait son pouvoir des lignes telluriques, redessina d'une simple pensée les motifs sur ses ailes afin de produire le tracé de puissantes runes. Puis, d'un ample battement d'ailes, il libéra une déferlante d'énergie arcanique sur les démons, provoquant une trouée dans la mêlée. Trouée qui disparut alors que les rangs ennemis se resserraient presque aussitôt.
Melissé, dont la puissance se manifestait par le biais de la végétation qu'elle faisait naître, parcourait le champ de bataille en semant divers pollens sur les démons et le sol qu'ils piétinaient. Presque aussitôt, de grandes plantes jaillirent dans les rangs démoniaques pour les entraver. Qu'il s'agisse de fleurs flagellantes géantes, de vignes étrangleuses ou de plantes carnivores, chacun des combattants semait son lot de chaos avant de finir promptement abattu et écrasé par les démons.
Après quelques minutes de ces efforts qui leur paraissaient futiles, les deux butineurs se retrouvèrent, tous deux embarrassés.
''_C'est à croire que rien ne les arrête... J'ai pourtant fait appel à ce que la flore offrait de plus hostile.
_Et j'ai de mon côté employé l'Arcane sous sa forme la plus brute... Mais ça ne les arrête pas non plus.
_J'ai l'impression de gâcher mon énergie et ces vies végétales pour si peu ! s'exclama la Reine des Abeilles, frustrée.
_A qui le dites vous, très chère... Je pense que nous devrions produire un effort conjoint si nous voulons qu'il soit significatif. Avec la magie des runes, vos combattants deviendront assez forts pour que leur participation à la bataille ne paraisse pas insignifiante.''
Après un hochement de tête de Melissé, les deux Anciens insectes volèrent de concert au dessus de l'armée démoniaque, faisant pleuvoir sur elle un pollen imprégné de runes. Cette nouvelle semence pleine de magie produisit de nouveaux combattants végétaux, striés de motifs runiques destinés à les renforcer. L'initiative sembla porter ses fruits car les nouvelles plantes étaient en tous points supérieures à leur prédécesseurs et offraient une résistance plus acceptable aux démons.
Voyant qu'ils étaient là sur la bonne voie, les deux butineurs tentèrent d'autres combinaisons de leurs pouvoirs sur les démons en contrebas. Empêtrant les démons aériens dans des lierres brûlants, faisant pousser des pans de gazon qui se givraient pour désorganiser la marche de l'armée ou semant des spores imprégnés d'arcanes explosives, le couple d'êtres de chitine s'assuraient que le terrain devienne aussi hostile et impraticable que possible pour les démons.
***
Assurant elle aussi sa vigilance depuis les airs, Hermez ne tournait pour sa part pas son regard vers les terres, mais vers le ciel. Voletant nerveusement sur toute la largeur de la vallée, elle avait hésité à se lancer au combat en même temps que les Anciens insectes, tiraillée par la directive de ''tenir la ligne'' et le fait qu'elle pouvait fondre sur ses ennemis en un clin d’œil. Elle s'était donc contentée d'avancer et de reculer anxieusement tandis que la ligne ennemie approchait inexorablement.
Lorsque arrivèrent les premiers essaims de démons ailés, la petite furette avait foncé à leur rencontre, vive comme le vent qu'elle avait levé en bourrasques pour bousculer les envahisseurs et les faire s'entrechoquer.
Constatant que cette timide attaque était incapable de les arrêter, elle avait alors tenté d'invoquer de nouveaux nuages orageux qu'elle avait lancés sur le chemin des démons, en espérant les voir s'y perdre. Mais cela ne suffisait pas non plus, et pire encore, les intempéries risquaient de gêner ses deux alliés volants.
Ces assauts, bien que faibles eurent au moins le mérite d'attirer l'attention des gardes funestes ailés, dont les escadres commencèrent à converger vers la furette. Prise en chasse, Hermez redoubla de célérité et d'agilité pour passer entre les lames et les griffes qui tentaient de la saisir au vol. Loin de se laisser déborder, la petite créature volante soufflait de fortes bourrasques en tournoyant autour de ses ennemis, provoquant de brèves tornades qui désorganisaient totalement leur mêlée.
Puis, alors que plus de démons s'agglutinaient dans cette portion du ciel où l'éclair de fourrure continuait de leur filer entre les doigts, un nuage de feu gangréné se joignit à la chasse. L'esquivant d'abord avec facilité, Hermez se rendit compte que les flammes la poursuivaient, inclinant leur course pour suivre l'Ancienne à la trace. Mettant tout son talent de voltigeuse à profit, la furette multiplia les chandelles, les vrilles et autres acrobaties aériennes pour tenter de semer la magie destructrice qui la pourchassait. Mais même en plongeant dans la mêlée de gardes funestes, de sorte à interposer les démons entre elle et le sortilège, Hermez ne put que constater que les flammes se dispersaient pour éviter leurs alliés et reprendre forme toujours sur ses talons. Pire encore, elles prenaient de l'ampleur, le feu menaçant d'engloutir le petit animal à chaque seconde qu'elle passait à tenter de le fuir.
Au détour de sa folle poursuite, l'Ancienne remarqua le démon qui semblait être à l'origine du sort : Plus fin que les gardes funestes parmi lesquels ses amples ailes le portaient et affublé de longues cornes incurvées, le visage blafard du Nathrezim se renfrognait alors que ses longs doigts griffus tissaient avec célérité la puissante magie qui animait les flammes.
Hermez ne manquait ni de souffle ni de pouvoir pour continuer à lutter contre les forces aériennes de la Légion, mais voir la puissance et la férocité déchaînées par les démons sur sa seule personne -sans que cela ne semble infirmer leur avancée- l'affola quelque peu. Prise de doute, la furette se demanda si elle serait réellement capable de tenir cette ligne et de sécuriser les cieux pour ses alliés. S'en remettant à la seule référence qu'elle avait en matière de combat, elle se demanda ce qu'Aviana aurait fait à sa place, et ce qu'elle faisait déjà de son côté.
Se disant que la déesse oiseau n'aurait sans doute jamais laissé ses ennemis la prendre pour une proie, elle décida qu'il était temps de faire face et de réellement porter le combat aux démons. Au détour d'une acrobatie qui devait l'écarter des gardes funestes et des flammes, elle se positionna en vue du Nathrezim qui continuait de renforcer le sort qu'il lui jetait. Ses yeux de foudre ne quittant pas le sorcier à quelques centaines de mètre d'elle, la furette se rendit également compte qu'Aviana n'aurait pas cherché à économiser ses forces et aurait entamé le combat avec toute sa puissance, repoussant sans doute ses propres limites pour vaincre.
Dans un souffle, Hermez s'élança à l'attaque, et invoqua l'orage. Avalant les distances qui la séparaient du démon, l'Ancienne devenait un véritable globe de foudre alors qu'une succession d'éclairs illuminait son chemin, la frappant en plein vol pour la charger de puissance. Le tonnerre roulait dans son sillage à en couvrir le grondement du brasier démoniaque qui continuait de la talonner sous la forme d'une gueule reptilienne enflammée.
Les démons qui s'interposaient entre elle et sa cible se trouvaient foudroyés, transpercés et leurs corps retombaient mollement sur l'armée en contrebas. Confiante quant à ses chances face au sorcier, Hermez fonçait sur lui, sa gueule grande ouverte dans un cri aiguë.
***
''Allez, approchez. C'est la guerre que vous voulez ?'' pensait Rattatast alors que la ligne de la Légion fonçait dans sa direction, véritable mur de lames noires et de gueules hurlantes.
Ses bajoues gonflées des pépins de pastèques dont les restes trônaient à ses pieds, l'écureuil trépignait sur place, attendant que l'ennemi ne passe à portée. A côté de lui, Spinoix peinait à tenir éveillé, mais puisque c'était la guerre il faisait de gros efforts pour rester conscient de ce qui arrivait.
Tout de même, avec cette armée qui approchait, il se sentirait plus en sécurité s'il pouvait se rouler en boule. Bientôt ses piquants seraient tout ce qui éloignait ses ennemis de lui, et ce n'était pas la pensée la plus plaisante qu'il ait eu.
Rattatast au contraire, se retenait difficilement de planter son ami ici pour partir à la rencontre des démons et, lorsqu'il les jugea suffisamment proches, il déchaîna sur eux un crachat de pépins si vif que ceux touchés s'effondraient sous le mitraillage.
Arrosant les démons de ce feu nourri, le Collectionneur de Graines creusait leurs premières lignes au point qu'un pan de l'armée commence à converger vers lui, piétinant le sol et hurlant contre le rongeur qui s'en donnait à cœur joie.
Mitraillant jusqu'à ce que sa bouche soit vide et que les démons l'encerclent, il alla soulever son compère hérisson qui dormait debout et ; le brandissant au dessus de sa tête en le tenant par le ventre, il frotta l'herbe de la patte pour y faire naître une unique fleur. Cette dernière poussa jusqu'à ce que son cœur plein de pollen ne chatouille le museau du petit Dormeur.
Un froncement agita le museau du hérisson. Spinoix prit une première inspiration puis une seconde, et éternua.
Une volée de centaines de piquants se dispersa autour de lui, chacun produisant un sifflement caractéristique alors qu'il fendait l'air et tout ce qu'il rencontrait. Métaux, chairs, os, rien ne stoppait les aiguilles qui criblèrent les premiers démons avant de continuer leur chemin dans les rangs, provoquant un véritable carnage.
Dans l'armée démoniaque, ce fut un arc de cercle de plusieurs centaines de mètres qui s'affaissa soudainement, avant que les piquants ne daignent ralentir leur course et se fichent dans le dernier obstacle rencontré.
Profitant de la brève accalmie qui régnait avant que la marée de démons ne renfloue les pertes, Rattatast reposa son camarade à terre. Roulant en boule, le hérisson au dos dénudé s'endormit tandis que ses piquants repoussaient à vue d’œil. L'écureuil s'empara alors de la liane qu'il avait nouée à la jambe de son camarade et la brandit au ciel. Faisant tournoyer l'Inextricable au dessus de sa tête comme une arme mortelle, il tranchait et repoussait sans difficulté les démons qui approchaient à nouveau.
***
''_Cette situation me déplaît, annonça simplement Cwalcwutlicwa depuis son trône d'eau.
_Ma Reine ? lui demanda son éternel gardien sans quitter des yeux les démons qui approchaient.
_Nous placer face à une armée innombrable, sans plus de soutien de la part de nos alliés que l'assurance qu'ils tentent la même chose à quelques lieues.
_J'affronterais des dizaines d'armées pour vous ma Reine, répondit Tlop qui n'avait pas mieux à dire que ce qu'il savait vrai.
_Je le sais bien mon cher. Mais puisqu'il nous faut tenir cette ligne, j'aimerais aussi bien affirmer notre position sur le champ de bataille. Et pour cela j'ai besoin de mon armée propre.''
Étendant les bras, la Reine Grenouille commença à psalmodier en langue élémentaire. Du rideau de pluie battante qu'avait invoqué Hermez avant la bataille, commencèrent alors à s'extirper de grands élémentaires d'eau qui se placèrent en formation autour du trône de l'Ancienne, levant leurs armes et leurs boucliers. Des dizaines d'autres plus petits jaillirent des trombes d'eau à leur tour pour se lancer à la rencontre de la ligne démoniaque que leur désignait la grenouille.
Laissant les élémentaires le dépasser, le Prince Crapaud attendit que les démons ne soient plus qu'à une centaine de mètres de l'ennemi avant de s'élancer à son tour. D'un unique bond qui le porta haut dans le ciel, Tlop atterrit avec fracas dans les premiers rangs des démons, abattant sur eux sa lourde masse d'or. L'onde de choc en résultant renversa les adversaires immédiats du guerrier amphibien qui commença à mouliner de son arme pour dissuader ses ennemis d'approcher et briser ceux qui essayaient. Les démons qui réussissaient malgré tout à passer sa garde étaient réceptionnés par un revers de la targe dorée de l'Ancien. Vigilant, ce dernier surveillait du regard ceux qui le dépassaient et les happait d'un coup de sa longue langue de batracien pour les rejeter dans leurs rangs.
Lorsque les élémentaires qu'il avait dépassé le rejoignirent finalement dans la mêlée, Tlop avait déjà abattu une dizaine de démons.
Couvant d'un regard attendri son amant qui se battait, Cwalcwutlicwa observait la bataille depuis son trône, avec l'attention distante d'une souveraine devant l'énième tournoi organisé en son honneur. Remuant distraitement un doigt au dessus du sol, elle transformait à vue d’œil la plaine autour d'elle en une lande marécageuse. Et déjà des créatures de brumes, amas de végétation pourrissante et limons s'extirpaient des mares pour avancer avec leur lenteur typique vers les rangs ennemis.
Le regard de la rainette se fit soucieux lorsqu'elle vit une giclée de sang jaillir là où une lame démoniaque avait lacéréson prince. Décroisant les jambes, elle se redressa sur son trône et lança un geyser d'eau purificatrice qui doucha le crapaud, le soulageant de sa blessure et de la douleur. Un léger sourire naquit sur ses lèvres lorsqu'elle vit Tlop se lancer au combat avec une ardeur renouvelée : Plus que le soin magique, savoir qu'il avait toute l'attention de sa Reine avait rasséréné l'Ancien, le poussant à de nouvelles prouesses martiales.
Maintenant que les choses se passaient selon qu'elle l'entendait, la Reine Grenouille pensait que cette petite opération avait bien plus de chances de terminer sur une victoire.
***
Au centre de la ligne, Grimmbar fixait de son air mauvais habituel les démons, piétinant le sol sous lui et raclant les longues griffes de ses mains les unes contre les autres. Larairah était pour sa part étendu dans l'herbe, les mains croisées sous sa tête, en train de mâchonner tranquillement un brin d'herbe.
Voyant le blaireau réajuster une énième fois ses bracelets de bois aux motifs lunaires, le lièvre demanda :
''_Elle n'apparaît même pas dans le ciel, tu sais. Tu penses vraiment qu'elle verra ce qui se passe ici ?
_Elune est présente pour chacun de nous, à chaque instant, affirma Grimmbar, solennel. Elle verra forcément ceux qui se battent pour Elle.
_Si tu le dis... Et ensuite, quoi ? Tu penses qu'elle viendra nous féliciter ? Une médaille, un bouquet de fleurs et une bise sur la joue ? Je t'avouerais que je cracherais pas sur de bonnes pacifiques bien fraîches.
_Qui sait ? La déesse répond parfois à ceux qui lui adressent leurs prières.
_Ouais...''
Il y eut une pause durant laquelle on put entendre les hurlements et les piétinements désordonnés des démons au loin, puis Larairah reprit :
''_Elune t'a déjà parlé à toi ?
_Elle m'a enseigné que la colère devait être tempérée. Et que tout pouvoir devait être utilisé avec parcimonie, afin de préserver l'équilibre.
_C'est plutôt sage, en effet. Je connais un grand méchant loup qui devrait en prendre de la graine.
_Goldrinn s'obstine dans son erreur. Il est entêté.
_C'est rien de le dire ! Tu sais qu'il m'a pourchassé pendant un siècle entier avant de comprendre qu'il m'attraperait jamais ? Les cent plus drôles années de ma vie.''
Grimmbar lâcha un ricanement rauque. Nouveau silence.
''Et à toi ? Elle t'a parlé ?'' demanda l'Ancien blaireau.
Larairah eut un soupir avant de prendre la parole, avec un sérieux que Grimmbar ne lui avait pas encore connu :
''_Un jour, je lui ai demandé quelle était la place des miens dans ce monde. Pourquoi est-ce qu'il semblait que nous étions destinés à mourir des griffes de toutes les autres créatures, sans plus d'espoir que la fuite. Elle m'a expliqué que le véritable dessein qu'elle avait prévu pour nous était bien plus complexe et primordiale qu'on l'aurait cru. Elle m'a aussi dit qu'un grand pouvoir nous avait alors été confié, et que pour le contrebalancer, il avait fallu faire de nous des proies sans défense. Ça avait l'air de la chagriner. Personnellement ça m'a fait plaisir de savoir que j'avais en moi le pouvoir de botter les fesses à tout le monde.
_Ça explique ton arrogance, finalement. Mais c'est une belle histoire, reconnut le blaireau.
_Merci, je viens de l'inventer.''
Un grondement mécontent vint couvrir le ricanement malin du lièvre.
''Tu m'agaces'' lâcha le Malaimable qui avait pris deux mètres.
Reportant son attention sur les démons, l'Ancien jugea qu'ils étaient suffisamment proches maintenant et son corps se mit en branle. Gagnant en taille et en stature à chacun de ses pas, il chargeait les démons en poussant crescendo un grondement rauque. Lorsqu'il percuta la ligne ennemie avec un rugissement tonitruant, il faisait la taille d'une maison et les premiers rangs démoniaques se brisèrent sur son corps comme une vague sur un rocher. Fermement ancré sur sa position, la Fureur du Terrier fendait l'ennemi de ses immenses griffes tandis que sa croissance se mesurait maintenant en dizaines de mètres.
Lorsque Larairah cessa de se prélasser pour jeter un œil au combat engagé, son camarade avait déjà pris l'ampleur d'une forteresse.
Vif comme le vent, le lièvre alla alors se placer sur son épaule, juste à côté de son oreille.
''Goldrinn aurait été là, il aurait percé leurs rangs sur une lieue déjà, il faudra faire mieux que ça mon gros.''
Esquivant en un clin d’œil la large patte qui venait le cueillir, Larairah se posta sur le museau du blaireau qui continuait encore de croître.
''Hun hun, trop lent mon grand ! T'es drôlement pataud pour quelqu'un qui se dit proche d'Elune, la déesse préfère les créatures gracieuses et agiles, un peu comme moi !''
Ponctuant ses paroles de quelques étirements, le lièvre se retourna pour remuer sa queue blanche devant les yeux du colosse avant d'être soudainement soufflé par son rugissement de fureur.
Tombant au beau milieu des rangs démoniaques, Larairah repartit à fond de train, passant entre les démons et les armes qu'ils brandissaient pour s'éloigner du poing immense de Grimmbar qui lui tombait dessus. Ce dernier ne manqua pas de s'écraser là où le Haut-Roi de Garennes s'était trouvé plus tôt, renversant les soldats de la Légion à l'impact.
Courant, bondissant et virevoltant parmi les démons, le Prince aux Mille Ennemis riait aux éclats alors que derrière lui, Grimmbar le pourchassait en écartant de ses énormes pattes la Légion sur son chemin. Un bond dans les airs lui permettait parfois de s'élever au niveau de la Montagne Grondante pour lui crier une moquerie à la face, mais aussi de constater avec satisfaction que toujours plus de démons convergeaient vers leur position. Bientôt le lièvre ne put plus progresser parmi les rangs ennemis, mais sur eux. Et à l'inverse de son camarade fulminant, il s'en donnait à cœur joie.
***
Comme il l'avait annoncé, Houd était parti en reconnaissance, au devant des lignes ennemies, ou plus précisément : en dessous. Aveugle mais doté d'un sens de la magie, il pouvait percevoir celle des démons au dessus de lui, même depuis ses galeries souterraines. Ainsi, depuis le début des combats, il sillonnait le champ de bataille à la recherche des plus puissants sorciers parmi ses ennemis, ceux susceptibles de détenir les informations qu'il souhaitait.
Lorsqu'il trouva enfin une proie satisfaisante, l'Agent des Profondeurs surgit du sol dans une explosion de terre, se débarrassant en quelques coups de lames des démons autour de celui qu'il était venu chercher : un Nathrezim qui usait de magie d'ombre pour couvrir et protéger ses troupes de la magie des Anciens.
Sitôt qu'il la vit, le démon cornu lança sur la taupe une salve de vrilles d'ombre qui tentèrent de s'emparer d'elle. L'Ancien enveloppa ses lames de volutes de la même obscurité et se défit rapidement des entraves déployées contre lui.
''_Je chassais les ombres avant même que vous n'envisagiez de prendre pied sur ce monde, démon, dit Houd à son adversaire. Je te suggère de trouver autre chose.
_Ta magie n'est rien face à la puissance de la Légion, vermine !''
Avec un rictus mauvais, le Nathrezim entama une autre incantation et Houd put sentir sa propre ombre se détacher de lui pour l'assaillir. Il échangea quelques passes d'armes avec elle -restant attentif aux autres démons qui se joindraient au combat- avant d'enfoncer ses griffes dans son corps d'ombre, et d'incanter le contresort qui devait la libérer de l'énergie démoniaque qui l'animait. Une fois son double de ténèbres soumis à sa volonté, l'Ancien se tourna à nouveau vers le démon, annonçant d'une voix sombre :
''Vous ne comprenez que la force, alors ? Très bien, je n'envisageais pas d'utiliser une autre méthode de toute façon.''
Et sur ce, d'autres clones d'ombre de la taupe surgirent, bondissant à l'attaque du Nathrezim. Ce dernier, s'il réussit à retenir quelques unes des répliques grâce à ses propres sorts de ténèbres, écopa de larges estafilades tout le long de son corps blafard et chancela, ses deux grandes ailes se déployant autour de lui en protection.
Frappant le sol de sa patte, Houd provoqua un affaissement soudain du terrain qu'il occupait avec son adversaire, les plongeant tous deux dans un puits obscur et profond. Quelques démons malchanceux tombèrent dans le trou et vinrent s'écraser en contrebas sans que cela ne trouble ni l'Ancien ni le seigneur de l'effroi.
''Misérable ! Je graverais dans ton esprit la plus effroyable des peurs !'' cria le démon en se redressant soudainement, lâchant une volée de chauve-souris noires aux cris horrifiants.
Expulsé par le sort, Houd roula au sol puis se redressa en entamant une incantation dans une langue antique que le démon ne comprit pas, mais reconnut comme porteuse d'un grand pouvoir et d'autant de folie.
De grands tentacules violets sombres jaillirent dans le gouffre, fouettant et écrasant le Nathrezim avant de s'emparer de lui, enserrant son cou, ses jambes et ses bras.
''Dis moi qui est celui qui dirige ton armée ! criait l'Aveugle pour couvrir les grondements et injures du démon. Dis moi où il se trouve et où est ouvert le portail par lequel vous vous déversez !''
Loin d'être coopératif, le Nathrezim continuait de hurler injures et autres menaces, mais c'est lorsque la taupe reconnut une incantation parmi ses paroles qu'elle se jeta sur lui, plaquant ses deux mains griffues sur son crâne et recommença à invoquer rapidement dans sa langue. De nouveaux tentacules plus fins rampèrent alors sur le visage du démon, pénétrant sa gueule et ses oreilles, le laissant muet et vibrant de douleur.
''Je vais te montrer des horreurs à s'en arracher les yeux... Tu sauras peut-être ce qu'est réellement la peur après ça.''
Perçant la volonté brûlante du seigneur démon, Houd immisça dans son esprit les images de secrets aussi vieux qu'Azeroth, enfouis à des profondeurs qu'il avait osé creuser sans savoir les choses qui s'y cachaient. Partageant les souvenirs d'horreurs indicibles avec son ennemi, l'Ancien profita de leur connexion spirituelle pour aller lui-même trouver les informations qu'il avait demandé. Il eut les visions d'un grand sorcier érédar au teint violet, juché sur un promontoire rocheux. Il vit aussi le portail dessiné dans la roche sous le démon et qui vomissait les rangs démoniaques sous son commandement.
Satisfait, il s'extirpa de l'esprit à demi ravagé de son adversaire, le laissant hagard des visions chaotiques qu'il lui avait transmises. Nauséeux d'avoir eu à se les remémorer lui-même, il lui fallut quelques temps pour avoir de nouveau les idées claires.
Une fois remis, il lança un appel spirituel à ses camarades Anciens :
''Je sais où se trouve leur chef. Huisaile, Melissé, Grimmbar et Larairah, il faut que vous continuiez de les retenir, je vous enverrais du soutien. Les autres, rejoignez moi de l'autre côté de la vallée, à l'escarpement rocheux.''
''_Ils sont très très nombreux, oui, oui, constata Hermez. Peut-être trop pour nous, non ?
_Il faudra que nous nous dispersions, oui, dit Houd. Toi, Huisaile et Mélissé vous chargerez de les attaquer depuis le ciel. Mais aussi de nous couvrir de leurs propres attaques. ''
La furette hocha vigoureusement la tête, de même que les deux insectes qui ne quittaient pas des yeux l'armée qui venait à leur rencontre.
''_Rattatast, tu prends Spinoix avec toi. Vous vous chargerez de couvrir la voie au nord. Est-ce qu'il... commença la taupe en désignant le hérisson qui s'endormait.
_Oui, oui, il tiendra le coup.'' affirma l'écureuil en donnant de petites tapes sur la joue de son camarade.
''Tlop et... Sa Majesté. Vous serez chargés de tenir la ligne au sud. Pas de problème avec ça ?''
Avachie sur son trône d'eau, la Reine Grenouille eut un petit geste dédaigneux de la main et son Gardien Crapaud inclina doucement la tête.
''Grimmbar tu resteras au centre. En grossissant tu attireras certainement toute leur attention, alors le plus énorme tu deviendras, le mieux ce sera d'accord ?''
Un grondement approbateur se fit entendre pour toute réponse.
''_Larairah, tu resteras près de Grimmbar. Si lui commence à flancher, ce sera le signal qu'il te faut pour aller chercher des renforts.
_Ça n'arrivera pas... grogna le blaireau qui gagnait déjà quelques mètres de plus.
_C'est bien, c'est exactement ce qu'on t'a demandé, mon grand, plaisanta le lièvre en tapotant la patte du grand Ancien. Maintenant, loin de moi l'idée de douter de vos capacités mes petits amis, mais qu'est-ce qui se passera si vous en laisser filer un ou deux ?''
Plantant ses deux lames dans le sol, Houd fit quelques pas en direction de la montagne qu'ils devaient protéger. Il passa une patte experte sur le sol, gratta un endroit qui lui semblait particulièrement approprié puis tapa du pied. Des craquelures apparurent au sol, qui avancèrent jusqu'aux pieds de la montagne pour se disperser de part et d'autres, la longeant sur toute la largeur de la vallée. Il y eut enfin un craquement sourd, retentissant depuis les profondeurs de la terre avant que la fissure ne s'ouvre sur une faille béante qui fit vaciller les Anciens.
''_Ooh... Plutôt pas mal, admit Larairah avec sa nonchalance habituelle.
_Pfuah, tu parles, intervint Rattatast. J'ai un cousin qui sait faire pareil. Avec son gland, même.
_Tu m'en diras tant... Et pour le ciel ? Ces démons volent aussi, pour le peu qu'on en a vu.
_Oh, oh ! Moi je peux faire quelque chose. Quelque chose, oui oui !''
Hermez voletait en tout sens et levait la main pour qu'on la laisse faire démonstration de son pouvoir. Lorsqu'on lui fit signe que sa magie était la bienvenue, elle fila en trombe à l'extrémité de la faille ouverte par Houd.
La foudre tomba là où la furette semblait être arrivée, puis elle repassa devant les Anciens avant même que le bruit du tonnerre ne leur parvienne, apportant dans son sillage des trombes de pluie et les nuages orageux qui allaient avec. Elle termina sa course à l'autre bout de la vallée, avant de revenir vers ses camarades, enjouée.
''_Splendide, et pas une goutte sur mes oreilles. Très professionnelle. J'aime beaucoup. Et pour ceux qui voudraient passer par la forêt ?
_Je pense pouvoir faire quelque chose pour que la forêt leur paraisse moins accueillante, dit alors Melissé de sa voix douce. Quelques rosiers devraient suffire à...
_Ouais, des ronciers, ouais !'' s'écria Rattatast en brandissant son gland fétiche.
Courant vers la forêt, l'écureuil fit quelques pas avant de sauter et de planter la graine dans le sol. S'en suivit une pulsation de magie druidique qui s'étendit jusque dans les bois, là où des ronciers se mirent à croître démesurément. Très vite, les plantes épineuses emplirent l'espace entre les arbres, transformant la forêt en inextricable marée d'épines.
Devant l'air désolé de la Reine des Abeilles, Huisaile désigna le gouffre pluvieux derrière le groupe :
''_Je pense qu'il serait pertinent de renforcer encore cet endroit. Après tout, il s'agit de notre dernière ligne de défense. Qu'en pensez vous... Houd ?
_Hrmm... Quelques rosiers ne seraient pas de trop, sans doute.'' admit la taupe en tournant ses yeux aveugles dans la direction indiquée par le papillon.
Et c'est d'un air reconnaissant que Melissé prit quelques mètres de hauteur avant d'étendre les bras en exécutant une sorte de ronde. Semant une pluie de pollens qui traversa la tempête levée par Hermez pour se répandre de l'autre côté du gouffre. Presque aussitôt, une haie de grands rosiers s'éleva et s'étendit tout au long de la faille béante pour former en quelques secondes un mur végétal aux aiguilles acérées.
''_Rassuré ? demanda Houd à Larairah.
_Pas mal, pas mal, répéta le lièvre. Pour un début évidemment...
_Très bien, reprit Houd avant de s'adresser à tous. Maintenant la bataille va vraiment commencer. Chacun sait ce qu'il a à faire ?
_Eeeh... On sait tous ce qu'on va faire sauf toi en fait, intervint Rattatast.
_Moi ? Je vais faire ce que je fais d'habitude, récolter des informations. En l'occurrence, trouver le démon qui mène cet assaut. Je vous contacterais quand je l'aurais trouvé. Tenez la ligne d'ici là, bonne chance.''
Et sur ce, l'Ancien fouisseur disparut sous terre, laissant tout le loisir à l'écureuil de crier :
''Vous l'avez entendu ?! Tout le monde à son poste, aujourd'hui on se paye une bonne plâtrée d'envahisseurs !''
***
Quelques instants après qu'ils se soient séparés, chacun des Anciens s'armait ou préparait le terrain, anticipant l'approche de la Légion Ardente. Melissé et Huisaile, qui avaient pris de la hauteur, purent constater l'immensité des effectifs démoniaques qui déferlaient sur leur position sans sembler avoir de fin.
Étant les premiers à portée d'attaque, ils furent les premiers à agir.
Huisaile, qui tirait son pouvoir des lignes telluriques, redessina d'une simple pensée les motifs sur ses ailes afin de produire le tracé de puissantes runes. Puis, d'un ample battement d'ailes, il libéra une déferlante d'énergie arcanique sur les démons, provoquant une trouée dans la mêlée. Trouée qui disparut alors que les rangs ennemis se resserraient presque aussitôt.
Melissé, dont la puissance se manifestait par le biais de la végétation qu'elle faisait naître, parcourait le champ de bataille en semant divers pollens sur les démons et le sol qu'ils piétinaient. Presque aussitôt, de grandes plantes jaillirent dans les rangs démoniaques pour les entraver. Qu'il s'agisse de fleurs flagellantes géantes, de vignes étrangleuses ou de plantes carnivores, chacun des combattants semait son lot de chaos avant de finir promptement abattu et écrasé par les démons.
Après quelques minutes de ces efforts qui leur paraissaient futiles, les deux butineurs se retrouvèrent, tous deux embarrassés.
''_C'est à croire que rien ne les arrête... J'ai pourtant fait appel à ce que la flore offrait de plus hostile.
_Et j'ai de mon côté employé l'Arcane sous sa forme la plus brute... Mais ça ne les arrête pas non plus.
_J'ai l'impression de gâcher mon énergie et ces vies végétales pour si peu ! s'exclama la Reine des Abeilles, frustrée.
_A qui le dites vous, très chère... Je pense que nous devrions produire un effort conjoint si nous voulons qu'il soit significatif. Avec la magie des runes, vos combattants deviendront assez forts pour que leur participation à la bataille ne paraisse pas insignifiante.''
Après un hochement de tête de Melissé, les deux Anciens insectes volèrent de concert au dessus de l'armée démoniaque, faisant pleuvoir sur elle un pollen imprégné de runes. Cette nouvelle semence pleine de magie produisit de nouveaux combattants végétaux, striés de motifs runiques destinés à les renforcer. L'initiative sembla porter ses fruits car les nouvelles plantes étaient en tous points supérieures à leur prédécesseurs et offraient une résistance plus acceptable aux démons.
Voyant qu'ils étaient là sur la bonne voie, les deux butineurs tentèrent d'autres combinaisons de leurs pouvoirs sur les démons en contrebas. Empêtrant les démons aériens dans des lierres brûlants, faisant pousser des pans de gazon qui se givraient pour désorganiser la marche de l'armée ou semant des spores imprégnés d'arcanes explosives, le couple d'êtres de chitine s'assuraient que le terrain devienne aussi hostile et impraticable que possible pour les démons.
***
Assurant elle aussi sa vigilance depuis les airs, Hermez ne tournait pour sa part pas son regard vers les terres, mais vers le ciel. Voletant nerveusement sur toute la largeur de la vallée, elle avait hésité à se lancer au combat en même temps que les Anciens insectes, tiraillée par la directive de ''tenir la ligne'' et le fait qu'elle pouvait fondre sur ses ennemis en un clin d’œil. Elle s'était donc contentée d'avancer et de reculer anxieusement tandis que la ligne ennemie approchait inexorablement.
Lorsque arrivèrent les premiers essaims de démons ailés, la petite furette avait foncé à leur rencontre, vive comme le vent qu'elle avait levé en bourrasques pour bousculer les envahisseurs et les faire s'entrechoquer.
Constatant que cette timide attaque était incapable de les arrêter, elle avait alors tenté d'invoquer de nouveaux nuages orageux qu'elle avait lancés sur le chemin des démons, en espérant les voir s'y perdre. Mais cela ne suffisait pas non plus, et pire encore, les intempéries risquaient de gêner ses deux alliés volants.
Ces assauts, bien que faibles eurent au moins le mérite d'attirer l'attention des gardes funestes ailés, dont les escadres commencèrent à converger vers la furette. Prise en chasse, Hermez redoubla de célérité et d'agilité pour passer entre les lames et les griffes qui tentaient de la saisir au vol. Loin de se laisser déborder, la petite créature volante soufflait de fortes bourrasques en tournoyant autour de ses ennemis, provoquant de brèves tornades qui désorganisaient totalement leur mêlée.
Puis, alors que plus de démons s'agglutinaient dans cette portion du ciel où l'éclair de fourrure continuait de leur filer entre les doigts, un nuage de feu gangréné se joignit à la chasse. L'esquivant d'abord avec facilité, Hermez se rendit compte que les flammes la poursuivaient, inclinant leur course pour suivre l'Ancienne à la trace. Mettant tout son talent de voltigeuse à profit, la furette multiplia les chandelles, les vrilles et autres acrobaties aériennes pour tenter de semer la magie destructrice qui la pourchassait. Mais même en plongeant dans la mêlée de gardes funestes, de sorte à interposer les démons entre elle et le sortilège, Hermez ne put que constater que les flammes se dispersaient pour éviter leurs alliés et reprendre forme toujours sur ses talons. Pire encore, elles prenaient de l'ampleur, le feu menaçant d'engloutir le petit animal à chaque seconde qu'elle passait à tenter de le fuir.
Au détour de sa folle poursuite, l'Ancienne remarqua le démon qui semblait être à l'origine du sort : Plus fin que les gardes funestes parmi lesquels ses amples ailes le portaient et affublé de longues cornes incurvées, le visage blafard du Nathrezim se renfrognait alors que ses longs doigts griffus tissaient avec célérité la puissante magie qui animait les flammes.
Hermez ne manquait ni de souffle ni de pouvoir pour continuer à lutter contre les forces aériennes de la Légion, mais voir la puissance et la férocité déchaînées par les démons sur sa seule personne -sans que cela ne semble infirmer leur avancée- l'affola quelque peu. Prise de doute, la furette se demanda si elle serait réellement capable de tenir cette ligne et de sécuriser les cieux pour ses alliés. S'en remettant à la seule référence qu'elle avait en matière de combat, elle se demanda ce qu'Aviana aurait fait à sa place, et ce qu'elle faisait déjà de son côté.
Se disant que la déesse oiseau n'aurait sans doute jamais laissé ses ennemis la prendre pour une proie, elle décida qu'il était temps de faire face et de réellement porter le combat aux démons. Au détour d'une acrobatie qui devait l'écarter des gardes funestes et des flammes, elle se positionna en vue du Nathrezim qui continuait de renforcer le sort qu'il lui jetait. Ses yeux de foudre ne quittant pas le sorcier à quelques centaines de mètre d'elle, la furette se rendit également compte qu'Aviana n'aurait pas cherché à économiser ses forces et aurait entamé le combat avec toute sa puissance, repoussant sans doute ses propres limites pour vaincre.
Dans un souffle, Hermez s'élança à l'attaque, et invoqua l'orage. Avalant les distances qui la séparaient du démon, l'Ancienne devenait un véritable globe de foudre alors qu'une succession d'éclairs illuminait son chemin, la frappant en plein vol pour la charger de puissance. Le tonnerre roulait dans son sillage à en couvrir le grondement du brasier démoniaque qui continuait de la talonner sous la forme d'une gueule reptilienne enflammée.
Les démons qui s'interposaient entre elle et sa cible se trouvaient foudroyés, transpercés et leurs corps retombaient mollement sur l'armée en contrebas. Confiante quant à ses chances face au sorcier, Hermez fonçait sur lui, sa gueule grande ouverte dans un cri aiguë.
***
''Allez, approchez. C'est la guerre que vous voulez ?'' pensait Rattatast alors que la ligne de la Légion fonçait dans sa direction, véritable mur de lames noires et de gueules hurlantes.
Ses bajoues gonflées des pépins de pastèques dont les restes trônaient à ses pieds, l'écureuil trépignait sur place, attendant que l'ennemi ne passe à portée. A côté de lui, Spinoix peinait à tenir éveillé, mais puisque c'était la guerre il faisait de gros efforts pour rester conscient de ce qui arrivait.
Tout de même, avec cette armée qui approchait, il se sentirait plus en sécurité s'il pouvait se rouler en boule. Bientôt ses piquants seraient tout ce qui éloignait ses ennemis de lui, et ce n'était pas la pensée la plus plaisante qu'il ait eu.
Rattatast au contraire, se retenait difficilement de planter son ami ici pour partir à la rencontre des démons et, lorsqu'il les jugea suffisamment proches, il déchaîna sur eux un crachat de pépins si vif que ceux touchés s'effondraient sous le mitraillage.
Arrosant les démons de ce feu nourri, le Collectionneur de Graines creusait leurs premières lignes au point qu'un pan de l'armée commence à converger vers lui, piétinant le sol et hurlant contre le rongeur qui s'en donnait à cœur joie.
Mitraillant jusqu'à ce que sa bouche soit vide et que les démons l'encerclent, il alla soulever son compère hérisson qui dormait debout et ; le brandissant au dessus de sa tête en le tenant par le ventre, il frotta l'herbe de la patte pour y faire naître une unique fleur. Cette dernière poussa jusqu'à ce que son cœur plein de pollen ne chatouille le museau du petit Dormeur.
Un froncement agita le museau du hérisson. Spinoix prit une première inspiration puis une seconde, et éternua.
Une volée de centaines de piquants se dispersa autour de lui, chacun produisant un sifflement caractéristique alors qu'il fendait l'air et tout ce qu'il rencontrait. Métaux, chairs, os, rien ne stoppait les aiguilles qui criblèrent les premiers démons avant de continuer leur chemin dans les rangs, provoquant un véritable carnage.
Dans l'armée démoniaque, ce fut un arc de cercle de plusieurs centaines de mètres qui s'affaissa soudainement, avant que les piquants ne daignent ralentir leur course et se fichent dans le dernier obstacle rencontré.
Profitant de la brève accalmie qui régnait avant que la marée de démons ne renfloue les pertes, Rattatast reposa son camarade à terre. Roulant en boule, le hérisson au dos dénudé s'endormit tandis que ses piquants repoussaient à vue d’œil. L'écureuil s'empara alors de la liane qu'il avait nouée à la jambe de son camarade et la brandit au ciel. Faisant tournoyer l'Inextricable au dessus de sa tête comme une arme mortelle, il tranchait et repoussait sans difficulté les démons qui approchaient à nouveau.
***
''_Cette situation me déplaît, annonça simplement Cwalcwutlicwa depuis son trône d'eau.
_Ma Reine ? lui demanda son éternel gardien sans quitter des yeux les démons qui approchaient.
_Nous placer face à une armée innombrable, sans plus de soutien de la part de nos alliés que l'assurance qu'ils tentent la même chose à quelques lieues.
_J'affronterais des dizaines d'armées pour vous ma Reine, répondit Tlop qui n'avait pas mieux à dire que ce qu'il savait vrai.
_Je le sais bien mon cher. Mais puisqu'il nous faut tenir cette ligne, j'aimerais aussi bien affirmer notre position sur le champ de bataille. Et pour cela j'ai besoin de mon armée propre.''
Étendant les bras, la Reine Grenouille commença à psalmodier en langue élémentaire. Du rideau de pluie battante qu'avait invoqué Hermez avant la bataille, commencèrent alors à s'extirper de grands élémentaires d'eau qui se placèrent en formation autour du trône de l'Ancienne, levant leurs armes et leurs boucliers. Des dizaines d'autres plus petits jaillirent des trombes d'eau à leur tour pour se lancer à la rencontre de la ligne démoniaque que leur désignait la grenouille.
Laissant les élémentaires le dépasser, le Prince Crapaud attendit que les démons ne soient plus qu'à une centaine de mètres de l'ennemi avant de s'élancer à son tour. D'un unique bond qui le porta haut dans le ciel, Tlop atterrit avec fracas dans les premiers rangs des démons, abattant sur eux sa lourde masse d'or. L'onde de choc en résultant renversa les adversaires immédiats du guerrier amphibien qui commença à mouliner de son arme pour dissuader ses ennemis d'approcher et briser ceux qui essayaient. Les démons qui réussissaient malgré tout à passer sa garde étaient réceptionnés par un revers de la targe dorée de l'Ancien. Vigilant, ce dernier surveillait du regard ceux qui le dépassaient et les happait d'un coup de sa longue langue de batracien pour les rejeter dans leurs rangs.
Lorsque les élémentaires qu'il avait dépassé le rejoignirent finalement dans la mêlée, Tlop avait déjà abattu une dizaine de démons.
Couvant d'un regard attendri son amant qui se battait, Cwalcwutlicwa observait la bataille depuis son trône, avec l'attention distante d'une souveraine devant l'énième tournoi organisé en son honneur. Remuant distraitement un doigt au dessus du sol, elle transformait à vue d’œil la plaine autour d'elle en une lande marécageuse. Et déjà des créatures de brumes, amas de végétation pourrissante et limons s'extirpaient des mares pour avancer avec leur lenteur typique vers les rangs ennemis.
Le regard de la rainette se fit soucieux lorsqu'elle vit une giclée de sang jaillir là où une lame démoniaque avait lacéréson prince. Décroisant les jambes, elle se redressa sur son trône et lança un geyser d'eau purificatrice qui doucha le crapaud, le soulageant de sa blessure et de la douleur. Un léger sourire naquit sur ses lèvres lorsqu'elle vit Tlop se lancer au combat avec une ardeur renouvelée : Plus que le soin magique, savoir qu'il avait toute l'attention de sa Reine avait rasséréné l'Ancien, le poussant à de nouvelles prouesses martiales.
Maintenant que les choses se passaient selon qu'elle l'entendait, la Reine Grenouille pensait que cette petite opération avait bien plus de chances de terminer sur une victoire.
***
Au centre de la ligne, Grimmbar fixait de son air mauvais habituel les démons, piétinant le sol sous lui et raclant les longues griffes de ses mains les unes contre les autres. Larairah était pour sa part étendu dans l'herbe, les mains croisées sous sa tête, en train de mâchonner tranquillement un brin d'herbe.
Voyant le blaireau réajuster une énième fois ses bracelets de bois aux motifs lunaires, le lièvre demanda :
''_Elle n'apparaît même pas dans le ciel, tu sais. Tu penses vraiment qu'elle verra ce qui se passe ici ?
_Elune est présente pour chacun de nous, à chaque instant, affirma Grimmbar, solennel. Elle verra forcément ceux qui se battent pour Elle.
_Si tu le dis... Et ensuite, quoi ? Tu penses qu'elle viendra nous féliciter ? Une médaille, un bouquet de fleurs et une bise sur la joue ? Je t'avouerais que je cracherais pas sur de bonnes pacifiques bien fraîches.
_Qui sait ? La déesse répond parfois à ceux qui lui adressent leurs prières.
_Ouais...''
Il y eut une pause durant laquelle on put entendre les hurlements et les piétinements désordonnés des démons au loin, puis Larairah reprit :
''_Elune t'a déjà parlé à toi ?
_Elle m'a enseigné que la colère devait être tempérée. Et que tout pouvoir devait être utilisé avec parcimonie, afin de préserver l'équilibre.
_C'est plutôt sage, en effet. Je connais un grand méchant loup qui devrait en prendre de la graine.
_Goldrinn s'obstine dans son erreur. Il est entêté.
_C'est rien de le dire ! Tu sais qu'il m'a pourchassé pendant un siècle entier avant de comprendre qu'il m'attraperait jamais ? Les cent plus drôles années de ma vie.''
Grimmbar lâcha un ricanement rauque. Nouveau silence.
''Et à toi ? Elle t'a parlé ?'' demanda l'Ancien blaireau.
Larairah eut un soupir avant de prendre la parole, avec un sérieux que Grimmbar ne lui avait pas encore connu :
''_Un jour, je lui ai demandé quelle était la place des miens dans ce monde. Pourquoi est-ce qu'il semblait que nous étions destinés à mourir des griffes de toutes les autres créatures, sans plus d'espoir que la fuite. Elle m'a expliqué que le véritable dessein qu'elle avait prévu pour nous était bien plus complexe et primordiale qu'on l'aurait cru. Elle m'a aussi dit qu'un grand pouvoir nous avait alors été confié, et que pour le contrebalancer, il avait fallu faire de nous des proies sans défense. Ça avait l'air de la chagriner. Personnellement ça m'a fait plaisir de savoir que j'avais en moi le pouvoir de botter les fesses à tout le monde.
_Ça explique ton arrogance, finalement. Mais c'est une belle histoire, reconnut le blaireau.
_Merci, je viens de l'inventer.''
Un grondement mécontent vint couvrir le ricanement malin du lièvre.
''Tu m'agaces'' lâcha le Malaimable qui avait pris deux mètres.
Reportant son attention sur les démons, l'Ancien jugea qu'ils étaient suffisamment proches maintenant et son corps se mit en branle. Gagnant en taille et en stature à chacun de ses pas, il chargeait les démons en poussant crescendo un grondement rauque. Lorsqu'il percuta la ligne ennemie avec un rugissement tonitruant, il faisait la taille d'une maison et les premiers rangs démoniaques se brisèrent sur son corps comme une vague sur un rocher. Fermement ancré sur sa position, la Fureur du Terrier fendait l'ennemi de ses immenses griffes tandis que sa croissance se mesurait maintenant en dizaines de mètres.
Lorsque Larairah cessa de se prélasser pour jeter un œil au combat engagé, son camarade avait déjà pris l'ampleur d'une forteresse.
Vif comme le vent, le lièvre alla alors se placer sur son épaule, juste à côté de son oreille.
''Goldrinn aurait été là, il aurait percé leurs rangs sur une lieue déjà, il faudra faire mieux que ça mon gros.''
Esquivant en un clin d’œil la large patte qui venait le cueillir, Larairah se posta sur le museau du blaireau qui continuait encore de croître.
''Hun hun, trop lent mon grand ! T'es drôlement pataud pour quelqu'un qui se dit proche d'Elune, la déesse préfère les créatures gracieuses et agiles, un peu comme moi !''
Ponctuant ses paroles de quelques étirements, le lièvre se retourna pour remuer sa queue blanche devant les yeux du colosse avant d'être soudainement soufflé par son rugissement de fureur.
Tombant au beau milieu des rangs démoniaques, Larairah repartit à fond de train, passant entre les démons et les armes qu'ils brandissaient pour s'éloigner du poing immense de Grimmbar qui lui tombait dessus. Ce dernier ne manqua pas de s'écraser là où le Haut-Roi de Garennes s'était trouvé plus tôt, renversant les soldats de la Légion à l'impact.
Courant, bondissant et virevoltant parmi les démons, le Prince aux Mille Ennemis riait aux éclats alors que derrière lui, Grimmbar le pourchassait en écartant de ses énormes pattes la Légion sur son chemin. Un bond dans les airs lui permettait parfois de s'élever au niveau de la Montagne Grondante pour lui crier une moquerie à la face, mais aussi de constater avec satisfaction que toujours plus de démons convergeaient vers leur position. Bientôt le lièvre ne put plus progresser parmi les rangs ennemis, mais sur eux. Et à l'inverse de son camarade fulminant, il s'en donnait à cœur joie.
***
Comme il l'avait annoncé, Houd était parti en reconnaissance, au devant des lignes ennemies, ou plus précisément : en dessous. Aveugle mais doté d'un sens de la magie, il pouvait percevoir celle des démons au dessus de lui, même depuis ses galeries souterraines. Ainsi, depuis le début des combats, il sillonnait le champ de bataille à la recherche des plus puissants sorciers parmi ses ennemis, ceux susceptibles de détenir les informations qu'il souhaitait.
Lorsqu'il trouva enfin une proie satisfaisante, l'Agent des Profondeurs surgit du sol dans une explosion de terre, se débarrassant en quelques coups de lames des démons autour de celui qu'il était venu chercher : un Nathrezim qui usait de magie d'ombre pour couvrir et protéger ses troupes de la magie des Anciens.
Sitôt qu'il la vit, le démon cornu lança sur la taupe une salve de vrilles d'ombre qui tentèrent de s'emparer d'elle. L'Ancien enveloppa ses lames de volutes de la même obscurité et se défit rapidement des entraves déployées contre lui.
''_Je chassais les ombres avant même que vous n'envisagiez de prendre pied sur ce monde, démon, dit Houd à son adversaire. Je te suggère de trouver autre chose.
_Ta magie n'est rien face à la puissance de la Légion, vermine !''
Avec un rictus mauvais, le Nathrezim entama une autre incantation et Houd put sentir sa propre ombre se détacher de lui pour l'assaillir. Il échangea quelques passes d'armes avec elle -restant attentif aux autres démons qui se joindraient au combat- avant d'enfoncer ses griffes dans son corps d'ombre, et d'incanter le contresort qui devait la libérer de l'énergie démoniaque qui l'animait. Une fois son double de ténèbres soumis à sa volonté, l'Ancien se tourna à nouveau vers le démon, annonçant d'une voix sombre :
''Vous ne comprenez que la force, alors ? Très bien, je n'envisageais pas d'utiliser une autre méthode de toute façon.''
Et sur ce, d'autres clones d'ombre de la taupe surgirent, bondissant à l'attaque du Nathrezim. Ce dernier, s'il réussit à retenir quelques unes des répliques grâce à ses propres sorts de ténèbres, écopa de larges estafilades tout le long de son corps blafard et chancela, ses deux grandes ailes se déployant autour de lui en protection.
Frappant le sol de sa patte, Houd provoqua un affaissement soudain du terrain qu'il occupait avec son adversaire, les plongeant tous deux dans un puits obscur et profond. Quelques démons malchanceux tombèrent dans le trou et vinrent s'écraser en contrebas sans que cela ne trouble ni l'Ancien ni le seigneur de l'effroi.
''Misérable ! Je graverais dans ton esprit la plus effroyable des peurs !'' cria le démon en se redressant soudainement, lâchant une volée de chauve-souris noires aux cris horrifiants.
Expulsé par le sort, Houd roula au sol puis se redressa en entamant une incantation dans une langue antique que le démon ne comprit pas, mais reconnut comme porteuse d'un grand pouvoir et d'autant de folie.
De grands tentacules violets sombres jaillirent dans le gouffre, fouettant et écrasant le Nathrezim avant de s'emparer de lui, enserrant son cou, ses jambes et ses bras.
''Dis moi qui est celui qui dirige ton armée ! criait l'Aveugle pour couvrir les grondements et injures du démon. Dis moi où il se trouve et où est ouvert le portail par lequel vous vous déversez !''
Loin d'être coopératif, le Nathrezim continuait de hurler injures et autres menaces, mais c'est lorsque la taupe reconnut une incantation parmi ses paroles qu'elle se jeta sur lui, plaquant ses deux mains griffues sur son crâne et recommença à invoquer rapidement dans sa langue. De nouveaux tentacules plus fins rampèrent alors sur le visage du démon, pénétrant sa gueule et ses oreilles, le laissant muet et vibrant de douleur.
''Je vais te montrer des horreurs à s'en arracher les yeux... Tu sauras peut-être ce qu'est réellement la peur après ça.''
Perçant la volonté brûlante du seigneur démon, Houd immisça dans son esprit les images de secrets aussi vieux qu'Azeroth, enfouis à des profondeurs qu'il avait osé creuser sans savoir les choses qui s'y cachaient. Partageant les souvenirs d'horreurs indicibles avec son ennemi, l'Ancien profita de leur connexion spirituelle pour aller lui-même trouver les informations qu'il avait demandé. Il eut les visions d'un grand sorcier érédar au teint violet, juché sur un promontoire rocheux. Il vit aussi le portail dessiné dans la roche sous le démon et qui vomissait les rangs démoniaques sous son commandement.
Satisfait, il s'extirpa de l'esprit à demi ravagé de son adversaire, le laissant hagard des visions chaotiques qu'il lui avait transmises. Nauséeux d'avoir eu à se les remémorer lui-même, il lui fallut quelques temps pour avoir de nouveau les idées claires.
Une fois remis, il lança un appel spirituel à ses camarades Anciens :
''Je sais où se trouve leur chef. Huisaile, Melissé, Grimmbar et Larairah, il faut que vous continuiez de les retenir, je vous enverrais du soutien. Les autres, rejoignez moi de l'autre côté de la vallée, à l'escarpement rocheux.''
Tortoka/Djigzyx
Re: Les Anciens Signifiants
Sitôt le message passé à ses frères d'arme, Houd posa une patte sur la roche qu'il avait creusée, entrant en communion avec la terre. Articulant en kalimag, il lança un appel :
''Venez. Soulevez vous. Prélevez votre tribut à la guerre et écrasez les ennemis de ce monde.''
Une secousse survint sous le sol déjà remué par le passage des démons, ignorée de tous. Elle gagna en ampleur jusqu'à atteindre la faille ouverte à l'arrière de la ligne des Anciens, l'agrandissant un peu plus. Remontant alors des profondeurs de la terre, une armée d'élémentaires de pierre surgit, traversant la douche froide provoquée par Hermez pour se joindre à la bataille. Percutant avec fracas les rangs démoniaques, ils roulèrent d'abord littéralement sur les quelques démons qui avaient dépassés les Anciens puis continuèrent leur avancée jusqu'à s'opposer comme une muraille à la forêt dense de lames qu'étaient la Légion.
Une fois l'armée invoquée, Houd plongea dans le sol, s'élançant vers le promontoire où il avait eu la vision du seigneur démon. Arrivé à quelques centaines de mètres de l'érédar, il resta dissimulé sous terre, jaugeant chaque geste et mesurant chaque sortilège exécuté.
Le seigneur démon semblait pour le moment sur la défensive, assumant un rôle de soutien pour ses troupes qu'il protégeait des assauts magiques des Anciens. Lorsqu'un serviteur de ces derniers s'imposait un peu trop cependant, il usait d'énergies corruptrices pour réduire à néant les obstacles devant son armée.
Puis vint un moment où le démon se mit à réunir la magie par grandes brassées, la canalisant dans un puissant sort à destination d'un des plus imposants atouts de son armée. Ce dernier, rien d'autre qu'un seigneur des abîmes se mit aussitôt à gagner en taille, enflant jusqu'à pouvoir tenir tête ou presque à l'Ancien géant vers lequel il se dirigeait. S'élançant sans plus se soucier de ses propres soldats sous ses pattes, l'Annihilan chargea Grimmbar avec la force d'une montagne.
***
Lorsqu'il avait vu un démon particulièrement laid devenir particulièrement immense, Larairah n'avait pas trouvé mieux à faire que d'aller se jeter entre ses quatre pattes. Fonçant sous le ventre massif, le lièvre n'avait même pas cherché une faille entre les écailles du colosse, qu'en aurait-il fait ? Il ne se battait de toute façon pas. Par contre, il était un survivant, un athlète, et à chaque tremblement du sol sous les pas de l'annihilan, à chaque passage de l'ombre d'une de ses lourdes pattes au dessus de sa tête, Larairah savourait cette proximité avec le danger.
Quand dans un vacarme assourdissant le démon quadrupède percuta l'Ancien Blaireau, le faisant chanceler en arrière, le lièvre était derrière lui, remontant le long de sa queue et courant sur son dos. Ainsi, au moment où le seigneur des abîmes relevait la tête pour inspirer le flot de flammes qu'il s'apprêtait à cracher sur Grimmbar, le Haut-Roi de Garennes était prêt à intervenir.
Alors que le colosse à fourrure luttait pour reprendre l'équilibre, le feu démoniaque jaillit de la gueule garnie de crocs du démon. Larairah bondit depuis l'épaule de ce dernier et, courant dans les airs aussi lestement que sur l'herbe, il s'élança autour du jet de flammes, l'emportant dans un vent tourbillonnant qui le souffla rapidement.
Mais le Prince aux Mille Ennemis ne s'arrêta pas là. Sans ralentir sa course, il atteignit le sol dont il souleva la poussière par brassées. Puis d'un ample bond, il emporta dans son sillage les monceaux de terre qui vinrent se ficher dans les yeux du démon, celui-ci reculant d'un pas en grondant.
''Prends donc un peu de poudre de Père Lapin-pin mon gros !'' scanda le lièvre en passant sous le nez du colosse.
La diversion quoique semblant infime, avait donné à Grimmbar tout le temps dont il avait besoin pour se redresser et dans le même mouvement envoyer son immense patte griffue au visage de son adversaire.
Un pugilat de géants s'engagea alors au milieu de l'armée de la Légion, l'Annihilan et l'Ancien échangeant des coups avec la force et la lenteur de véritables engins de sièges, ponctués de grondements rauques assourdissants. Larairah de son côté, filait de l'un des adversaires à l'autre, utilisant leurs bras massifs comme ponts lorsqu'ils s'impactaient.
Fidèle à lui-même, il déblatérait quelques piques aux oreilles des deux combattants :
''Wohoh, il t'a pas loupé on dirait ! T'as la trogne sacrément boursouflée ! A moins que ta mère ne t'ai fait comme ça ?''
''Oh Grimmbar, tu sais que les gens civilisés mettent des gants pour ce genre d'affrontement ? Elune aimerait sûrement te voir te comporter en gentleman !''
''Qu'on soit d'accord, ces ailes, elles ne servent pas à voler, hein ? Et j'ai du mal à croire que ce soit de l'esthétique car t'es plutôt laid dans l'ensemble.''
S'empêtrant dans leur corps à corps, le démon et le blaireau provoquait des remous dans les rangs et dans la terre qu'ils piétinaient, mais une tendance était discernable dans ce combat de colosses : Là où le seigneur des abîmes avait la taille d'un château, Grimmbar grandissait encore et encore, tant et si bien que son adversaire vint le saisir par les deux épaules, le forçant à se baisser tout en hurlant :
''_TU PLOIERAS DEVANT MOI COMME CE MONDE PLOIERA DEVANT MES MAITRES ! ET TU BRULERAS AVEC TON AVORTON D'AMI !
_Woh eyh, pas si vite l'ami ! scanda Larairah en venant se planter sur le groin de l'Annihilan. C'est très impératif ce que tu dis là ! Mais je ne crois pas que ça arrivera ! Parce que vois-tu, nous autres avortons sommes sous la protection de la grande déesse Elune ! cria-t-il aussi fort qu'il le pouvait sans avoir à y perdre son ton de fanfaron.
_CACHEZ VOUS DERRIÈRE TOUTES LES DIVINITÉS QUE VOUS VOUDREZ ! cracha le démon au lièvre qui, malgré la nausée suscitée par le souffle ardent de son interlocuteur, gardait un air flegmatique et un sourire fin. A LA FIN, LES POUVOIRS DU TITAN NOIR PRÉVAUDRONT ! ET QUELS QU'ILS SOIENT, VOS DIEUX PATHÉTIQUES TOMBERONT POUR ÊTRE RÉDUITS EN CENDRES !
_Hé... On dirait que vous ne savez vraiment pas qui est Elune !
_C'EST TOI, INSECTE QUI NE SAIT PAS QUI NOUS SOMMES ! NOUS SOMMES LA LÉGION ARDENTE ! NOUS FERONS TOMBER ELUNE ET CRACHERONS SUR SA DÉPOUILLE !''
Le sourire satisfait que lui adressa Larairah n'était de loin pas ce qu'attendait le seigneur des abîmes.
''J'espère que tu sais te servir de ta tête, démon. Parce que lui, oui.''
Le colosse démoniaque ne s'en était pas rendu compte jusqu'alors, tout absorbé qu'il était par le vermisseau sur sa face, mais ses mains avaient glissé des épaules de l'Ancien jusqu'à ses coudes. Grimmbar le dominait maintenant de deux têtes et la sienne approchait à vive allure de celle du démon, le regard furieux de l'animal emplissant son champ de vision que le lièvre avait déserté d'un bond agile. Plus encore, le blaireau avait vu son corps barré d'un entrelacs de runes lumineuses qui couraient le long de chacun de ses membres, portant leur pouvoir jusqu'au bout de ses griffes.
Le choc fut retentissant, autant pour le démon que pour ceux qui l'entendirent. Dans un rugissement qui allait crescendo, la Montagne Grondante -car c'est la taille d'une montagne qu'atteignait maintenant l'Ancien- fit revenir ses bras immenses en arrière, avant de balayer les rangs des démons, creusant le sol de ses griffes et allant cueillir le démon pour le repousser.
Sans laisser plus de temps à son adversaire bousculé de se reprendre alors qu'il trébuchait au milieu de son armée, Grimmbar vint le saisir par une aile et par une patte, l’entraînant dans une ronde lente qui souleva l'Annihilan gigantesque de terre pour l'expulser au loin.
Balayant ensuite d'un cri les démons qui se pressaient encore devant lui comme des fourmis, il rugit :
''BRISÉS ! VOUS SEREZ BRISÉS ! CE MONDE SERA VOTRE TOMBEAU ! JE VOUS APPRENDRAIS LE RESPECT !''
Et, ne trouvant plus d'adversaire à sa mesure, l'Ancien gargantuesque se rabattit sur l'armée grouillant à ses pieds, la piétinant et l'éparpillant de ses griffes, provoquant d'immenses lacérations dans le sol. Larairah, pour sa part, avait reparu sur le dos de son camarade, avachi au creux de sa fourrure et à l'abri des armes ennemies.
***
Après avoir reçu le message de Houd, les deux Anciens insectes échangèrent un regard interrogatif autant qu'anxieux :
''_Ils veulent que nous nous débrouillons sans eux ? Mais nous ne pourrons pas les remplacer ! s'enquit la reine des abeilles.
_N'ayez crainte, le rassura Huisaile. Celui qu'ils appellent Grimmbar est maintenant assez puissant pour tenir la ligne et attirer les démons à lui. Il nous suffira de soutenir les élémentaires lancés au combat le temps que nos alliés coupent cet assaut à sa source.
_En êtes vous certain ?! Ces démons commencent déjà à s'en prendre à la forêt, regardez, ils tentent d'y entrer !'' s'exclama Melissé en désignant les bois envahis de ronciers.
Tournant le regard vers cet endroit particulier, le papillon put voir qu'en effet, nombreux étaient les soldats de la Légion qui s'efforçaient de se frayer un chemin au travers des arbres et des ronces, taillant les plantes de leur lames ou les embrasant de leur magie. Réfléchissant rapidement, il dit alors à sa comparse :
''Il faut que vous donniez à cette forêt une chance de se défendre. Allez y et éveillez ses gardiens, ses anciens et ses tréants. Je vous rejoindrais après que j'ai fini de renforcer ces élémentaires de pierre.''
Après un hochement de tête conjoint, les deux butineurs se séparèrent, l'une prenant la direction de la forêt et l'autre se dirigeant vers la ligne où démons et soldats rocheux s'amassaient les uns sur les autres, se piétinant et se fracassant.
Entourée de son essaim carnassier qui déchirait tous les démons venant à sa rencontre, Melissé longeait les abords de la forêt, lançant vers cette dernière un appel à destination de la végétation. Dans son sillage, les grands ronciers qu'avait fait pousser Rattatast se levaient et s'abattaient sur les démons, s'écartant pour laisser place aux arbres qui prenaient vie. Ces derniers quittaient dès lors leurs racines, marchant pesamment vers leurs ennemis qu'ils balayaient à grands coups de leurs poings noueux. Des tréants plus petits tailles se jetaient eux aussi à l'assaut, tenant à distance de leurs camarades plus imposants les démons qui auraient pu les enflammer. A l'arrière de la ligne végétale, d'autres grands arbres soulevaient de lourdes roches pour les lancer sur les soldats de la Légion, ajoutant au carnage.
Soucieuse de toutes ces vies qui avaient répondu à l'appel du combat, Melissé faisait au mieux pour les soutenir. Usant de sa magie pour guérir les arbres des coups qu'ils encaissaient, elle voletait le long de la nouvelle ligne de front sur laquelle elle répandait ses pouvoirs de vie.
Pendant ce temps, c'est sur la première ligne de bataille que Huisaile intervenait. A grands coups de ses ailes aux motifs runiques, le papillon volait au dessus des soldats de pierre, les renforçant les uns après les autres de ses pouvoirs arcaniques. Les élémentaires se trouvaient ainsi plus durs que la roche, plus forts mais aussi bien plus rapides que ce que leur nature permettait normalement.
L'Ancien butineur contournait le corps immense de Grimmbar lorsque ce dernier encaissa la charge du démon agrandi et l'impact bouscula l'insecte sur quelques mètres avant qu'il retrouve la pleine maîtrise de son vol. S'éloignant bien vite du combat, il laissa les deux géants échanger leurs coups pour mieux se focaliser sur sa tâche d'augmentation runique.
Mais lorsque l'Annihilan empoigna son adversaire pour lui rugir à la face, le papillon ne put plus ignorer cette bataille qui semblait tourner en la défaveur des Anciens. Houd avait été clair, si Grimmbar tombait, alors le combat était fini pour eux et ils devraient quémander des renforts à leur camarade sur un autre front. Il était donc hors de question que cela arrive, surtout aussi tôt.
Profitant du répit qu'offraient les paroles du démon, Huisaile dirigea vers le blaireau géant le battement de ses ailes runiques, ces dernières s'illuminant de toute la puissance puisée pour produire le dessin des runes de force, d'agilité et d'endurance sur le corps de l'Ancien colossal.
Le grand papillon ne resta ensuite plus que pour observer le tour de force de son allié et s'assurer qu'il n'avait plus besoin de son assistance magique, avant de retourner son attention sur les élémentaires au sol.
***
Lorsqu'il entendit l'appel de Houd résonner dans son esprit, Rattatast ne se fit pas prier pour aller le rejoindre. Après avoir noué à sa taille la liane qui le reliait à son camarade, l'écureuil tournait sur lui-même à une vitesse folle en empoignant la corde et ce jusqu'à ce que son élan ne les emporte tous les deux.
Évidemment, les démons ne furent pas en mesure de stopper les deux animaux tourbillonnants. Et même lorsqu'en perdant de la vitesse ils furent forcés de retrouver le sol, Rattatast utilisait son ami autant comme un fouet que comme un grappin pour progresser dans les rangs ennemis.
Puis l'écureuil entendit un vacarme lointain de caquètements qui perçait par dessus le fracas des armes des démons soldats. Ces derniers s'écartaient d'ailleurs de la position des Anciens pour laisser place à une nuée de diablotins sautillants et ricanants qui encerclèrent les défenseurs d'Azeroth. De cette foule braillarde, un individu se démarquait par sa carrure plus imposante et s'avança vers Rattatast qui surveillait du coin de l’œil les autres démons.
''_Eyh boule de poils, et si tu t'en prenais à quelqu'un de ta taille ? dit le diablotin en étirant un large sourire plein de crocs.
_Si tu le demandes, minus.'' ricana l'écureuil qui fit aussitôt claquer sa liane dans la direction de son adversaire pour abattre sur lui son camarade épineux.
Mais alors que la boule de piquants fonçait sur le grand diablotin, une pétarade se déclencha dans le rang de ses sous-fifres qui lançaient un sortilège en chœur. Et lorsque Spinoix rencontra le poing levé en parade du petit démon, ce dernier n'écopa que d'une poignée d'aiguilles piquées dans sa chair, au lieu d'être tranché en deux comme s'y attendait Rattatast.
''_C'est sympa la magie, dit le diablotin dont le sourire débordait de son visage. Mais ça s'évapore si vite, si vite.
_De la magie j'en ai bien assez en stock pour toi et tes petits copains, attends voir !''
Le poil hérissé, l'écureuil fonça vers l'impertinent petit démon pour le faire taire d'un coup de quenottes à la gorge. Mais une nouvelle pétarade retentit à ses oreilles avant qu'un coup de poing ne le cueille et l'envoie bouler en arrière.
Spinoix n'avait pas bronché, endormi qu'il était, mais Rattatast sentait distinctement qu'une partie de ses pouvoirs s'étaient envolés. Plus précisément sa vitesse, son agilité et sa force avaient été bloquées, incapables de s'exprimer alors que l'Ancien en usait si naturellement auparavant. Fort heureusement, de la même façon que son camarade n'avait perdu que son piquant légendaire, l'écureuil n'avait été dépossédé que d'une partie de ses capacités. Son pouvoir sur la végétation restait encore intact.
Se redressant face à son adversaire, et toujours entouré d'agaçants diablotins piaffards, Rattatast fit jaillir une graine par enchantement dans sa main, qu'il brandit à la vue de tous. La pétarade résonna à nouveau, annulant les pouvoirs de la graine, ce qui était plutôt futile car elle n'en avait pas.
Plantant alors la semence dans le sol, l'Ancien la fit germer, puis pousser à une vitesse affolante, dirigeant ses racines dans le sol d'où elles jaillirent en agrippant, écrasant et écartelant les petits démons. Le tronc de l'arbre naissant commença à se former, s'épaissir et s'élever, emportant dans son ascension l'écureuil qui s'accrochait à son écorce et emmenait avec lui son ami endormi. Lorsqu'ils culminèrent à plusieurs mètres au dessus du sol et de la mêlée, Rattatast courut sous les frondaisons de l'arbre pour trouver les racines qui tenaient le chef des diablotins prisonnier et les faire s'élever jusqu'à lui. Sa petite face violette aux grands yeux jaunes se tordait maintenant en un rictus rageur.
''Ooouh... Ça a l'air sympa la vie de démon... Mais ça se termine si vite, si vite.'' ricana le rongeur avant de fermer son petit poing devant le démon.
Les racines resserrèrent ainsi leur étreinte sur le diablotin jusqu'à ce que son corps brisé ne se réduise spontanément en cendres. Le même sort frappa tous les autres petits démons et Rattatast sentit ses pouvoirs lui revenir rapidement.
''Allez, on s'est bien amusés mais on a encore du boulot.'' déclara l'Ancien qui détala en direction du lieu où l'attendait Houd, laissant derrière lui un grand arbre rapidement abattu par l'armée démoniaque.
***
L'impact entre la furette et le Nathrezim fut pour ainsi dire foudroyant. Traversant son adversaire de part en part, Hermez avait laissé un trou béant dans la poitrine du démon. Mais à la grande surprise de l'Ancienne, la blessure s'embrasa, disparaissant sous les flammes vertes qui reconstruisaient les chairs du seigneur de l'effroi. Quelques secondes suffirent à la plaie pour disparaître complètement.
Un frisson parcourut l'échine de Hermez. Les démons et leur magie la répugnaient maintenant plus que jamais et ce sort en particulier n'augurait rien de bon pour la suite du combat. Mais l'Ancienne n'allait certainement pas renoncer. Quel choix avait-elle de toute façon ?
Au moins son assaut avait-il suffisamment déconcentré l'ennemi pour briser son sort de feu traqueur. Le démon était maintenant sur la défensive et l'essaim de gardes funestes vint l'entourer, pour le protéger d'un nouvel assaut du petit animal.
Mais pour ce dernier, qui avait déjà décidé de jeter toutes ses forces dans le combat, les démons mineurs n'étaient plus qu'une nuisance et son assaut suivant fut d'abord une chaîne d'éclairs rebondissant et se propageant parmi les soldats ailés, qui tombèrent comme des mouches. Le Nathrezim, relativement épargné par l'attaque, immola ses avant-bras levés en protection devant lui lorsque la furette fonça à l'attaque. La morsure de ses flammes démoniaques n'avait rien à envier à celle de la foudre de son adversaire et força l'Ancienne à se désengager. Cette dernière fondit alors sur d'autres parties du corps du démon qui n'étaient pas protégées, mais le Seigneur de l'Effroi ne tarda pas à s'immoler entièrement.
Aussi lorsque les brûlures sur sa fourrure et sa chair furent trop nombreuses pour être supportées, Hermez recula à bonne distance du démon. Là elle invoqua les vents et les pluies, qu'elle unit en une averse tourbillonnante avant de la lancer sur son adversaire. La fraîcheur soudaine soulagea ses brûlures et repoussa le démon, soufflant les flammes qui couvraient son corps.
Le message de Houd lui parvint alors qu'elle reprenait son souffle et elle répondit alors :
''D'accord, d'accord, j'essaye de faire vite, mais il y a un démon qui me retient. Il fait beaucoup de magie, de feu, ça oui.''
Lorsque la furette détourna son attention de la communication spirituelle, ce ne fut que pour voir une multitude de formes enflammées fondre sur elle. Bousculée et toute retournée, elle ne vit pas venir le Nathrezim qui fondit sur elle et l'empoigna d'une main de feu. L'étau brûlant ne tarda pas à la faire hurler de douleur et la petite Ancienne avait beau se débattre autant qu'elle pouvait, elle ne faisait qu'aggraver ses brûlures.
En désespoir de cause, elle en appela à la foudre pour s'abattre sur son ennemi.
Le démon fut foudroyé, sa tête rejetée en arrière et sa gueule ouverte sur un grand cri. Son étreinte se resserra d'autant plus sur la furette dont la vision commençait à s'obscurcir malgré l'éclat des flammes qui l'entouraient. Son petit corps qui bougeait jusque là avec hargne s'amollit entre les doigts du Nathrezim et Hermez perdit lentement connaissance...
***
L'appel de Houd occasionna chez Cwalcwutlicwa un soupir d'agacement. Le marécage qu'elle produisait autour d'elle commençait tout juste à prendre assez d'ampleur pour lui faire oublier qu'elle était au beau milieu d'un champ de bataille, et on lui demandait de le quitter pour approcher l'ennemi d'encore plus près. D'ailleurs, la grenouille s'interrogeait au sujet de ces ''renforts'' évoqués par Houd, que pouvait-il bien faire venir qui compenserait leur absence ?
La réponse lui vint comme un éboulis lorsque dans un grondement rocheux les élémentaires de pierre piétinèrent son marécage, éparpillant les mares et écrasant la végétation. L'Ancienne roula des yeux avant de se lever de son trône d'eau et d'étendre les bras de côté. Sa garde d'élémentaires fut alors renvoyée dans son plan d'origine, puis son siège perdit sa forme et vint l'envelopper, l'engloutissant dans sa masse aqueuse pour léviter avec elle. Flottant avec grâce dans les airs, la rainette et son volume d'eau allèrent trouver Tlop qui se battait toujours, inflexible devant l'immensité des effectifs démoniaques.
En se tournant vers sa souveraine, le gardien crapaud comprit à son seul regard qu'il était temps pour eux de partir. D'un bond de ses jambes de batracien, Tlop décolla haut dans le ciel, suivi de près par Cwalcwutlicwa dans son vaisseau liquide. Un nouveau message de Houd résonna alors dans leurs esprits :
''Hermez est retenue, sans doute par un seigneur démon. Essayez de le mettre hors d'état de nuire mais ne vous enlisez pas dans un combat sans fin. Contentez vous de libérer Hermez.''
Quelques bulles d'air éclatèrent dans l'eau qui enveloppait la grenouille alors que celle-ci se plaignait sans doute de l'ordre reçu. Tlop, qui amorçait sa descente vers le sol s'enquit de son air renfrogné avant de disparaître de son champ de vision :
''Devons nous aller chercher le mammifère, ou bien préférez vous gager qu'elle s'en sortira d'elle-même ?''
Les deux amphibiens traversèrent sans broncher l'espace que devait piétiner un instant plus tard l'Annihilan gigantesque qui chargeait Grimmbar, puis le crapaud fut de nouveau à la hauteur de sa Reine. Cette dernière hocha expressément la tête avant de désigner du doigt un point du ciel où tombait la foudre. Après tout, même si elle n'appréciait pas de recevoir des ordres d'un mammifère aveugle, elle ne pouvait pas ignorer le danger qui menaçait une autre Ancienne.
Tlop lui rendit un regard entendu alors qu'il retombait au sol et plia ses jambes puissantes pour un bond qui devait le porter à l'endroit désigné.
Fonçant vers le lieu du combat, qui semblait déjà perdu par une Hermez difficilement discernable dans la main de son adversaire, le crapaud s'empara de sa targe d'or et la lança vers le bras tendu du démon. Le bouclier frappa au coude, brisant le membre et fit lâcher sa proie au Nathrezim qui poussa un nouveau cri de douleur et de rage. Mais lorsqu'il se tourna vers l'Ancien protecteur pour le maudire, ce dernier était déjà sur lui, sa lourde masse à deux mains brandie au dessus de sa tête. Le crapaud frappa alors d'un coup colossale sur le crâne du démon, l'expulsant jusqu'au sol où il s'écrasa avec fracas.
D'un coup de langue précis, Tlop récupéra sa targe qu'il fixa à son poignet avant d'entamer sa descente vers le sol.
De son côté Cwalcwutlicwa s'était précipitée pour récupérer la furette qui tombait elle aussi, inconsciente, dans le vide. Lorsque le petit animal ailé plongea dans le vaisseau aqueux de la grenouille, cette dernière la couvrit de plusieurs bénédictions destinées à la tenir en vie, en commençant par celle qui lui permettrait de respirer sous l'eau. L'Ancienne du ciel, sous les sorts bienfaiteurs de sa comparse des rivières, fut régénérée, ses brûlures estompées et la douleur évanouie.
Lorsque les deux batraciens et la blessée arrivèrent auprès de Houd, Rattatast et Spinoix étaient déjà présents, tout du moins le hérisson était physiquement présent. Cwalcwutlicwa déposa Hermez au sol avant de prendre place sur son trône qui retrouvait sa forme.
''_Elle va bien ? s'enquit l'Ancien aveugle.
_Ne vous inquiétez pas pour ses blessures, répliqua la grenouille. Inquiétez vous plutôt pour son aptitude au combat. Si elle ne peut pas se défaire d'un unique seigneur démon, quelle chance a-t-elle contre celui qui les dirige ?
_Seule, pas beaucoup plus qu'aucun de nous. C'est pourquoi je vous ai demandé de venir. Afin de-
_J'ai pour ma part trouvé votre demande très impérative.''
Outre donner des directives, la deuxième grande occupation de Cwalcwutlicwa était de signaler son mécontentement à qui pouvait l'entendre. Dans le silence qui suivit, Rattatast regarda successivement la grenouille et la taupe et lança d'un ton moqueur :
"_Oh et ben la prochaine fois on vous enverra une miss- commença-t-il avant que la patte de Houd ne se referme sur son museau.
_La prochaine fois, je choisirais mieux mes mots.'' dit l'Aveugle qui était assez raisonnable pour ne pas vouloir aggraver une querelle aussi futile.
Recouvrant visiblement ses esprits, Hermez se leva et secoua la tête, clignant des yeux en regardant autour d'elle.
''Bon retour parmi nous, Hermez. Tu peux remercier Tlop et Cwalcwutlicwa, pour t'avoir ramenée ici saine et sauve.'' dit Houd à la furette qui fit timidement part de sa reconnaissance aux amphibiens, recevant pour toute réponse un hochement de tête placide.
''_Revenons en au plan maintenant : Le seigneur démon qui mène cette armée est ce qu'on appelle un érédar. C'est lui qui garde le portail d'où viennent tous ces démons. Donc, pour fermer le portail il nous faudra l'abattre, ou au moins le mettre hors d'état de nuire...
_Question !
_Oui, Rattatast ?
_Comment on va fermer le portail démoniaque ? Je m'y connais un peu en passages magiques et je sais que c'est pas à la portée de tout le monde d'utiliser celui des autres.
_Je connais la magie des démons, je serais donc en mesure de le refermer. S'il ne s'effondre pas de lui-même à la mort de l'érédar évidemment. J'en viens au deuxième point maintenant : Un érédar est un puissant lanceur de sort et si je dois contrer chacune de ses incantations mortelles alors je ne pourrais pas me focaliser sur le reste du combat. Rattatast et Spinoix, votre aide sera donc plus que bienvenue. Je ferais de mon mieux pour bloquer sa magie, mais je ne pourrais pas arrêter ses sorts les plus simples. Donc, votre Altesse il faudra guérir ce que je n'ai pas pu prévenir, s'il vous plaît. Quant à Hermez et Tlop et bien... Je suis prêt à parier ma fourrure qu'il ne se battra pas seul, donc je compte sur vous pour que ses alliés ne nous indisposent pas.
_Pfah, qu'est-ce que tu crois, se moqua Rattatast. Qu'il va faire tomber des renforts démoniaques du ciel ? Téléporter son armée à côté de lui ?''
Un cri lointain fit lever le nez aux Anciens. Une immense silhouette chutait dans les airs en direction de l'érédar qui focalisait sur elle sa magie afin de la faire rétrécir à vue d’œil. Le projectile se révéla être l'Annihilan lancé par Grimmbar qui s'écrasa avec fracas sur le sol à côté de son supérieur en ayant repris sa taille normale.
''On devrait y aller avant que je continue d'avoir raison.'' déclara l'écureuil.
Houd hocha gravement la tête et plongea sous terre, filant en direction des seigneurs démons. Il fut rapidement suivi par ses camarades volant, bondissant et courant.
***
''_Seigneur, je...
_Relève toi imbécile ! cracha l'érédar à l'annihilan dont le corps était étendu, ses membres désarticulés, dans le cratère creusé par sa chute du ciel. Ces vermines viennent par ici et tu vas les affronter, peu m'importe qu'ils te brisent encore les os !''
Une vague de magie lancée par le démon sorcier remit en place les os du seigneur des abîmes qui poussa un grondement à peine contenu, avant de se relever, chancelant sur ses quatre pattes. Ses orbites enflammées se tournèrent vers les Anciens qui avançaient sur eux.
''De ceux là je saurais ne faire qu'une bouchée.'' déclara-t-il avant de pesamment se mettre en marche, ses sabots martelant le sol tandis qu'il prenait de la vitesse.
''Venez. Soulevez vous. Prélevez votre tribut à la guerre et écrasez les ennemis de ce monde.''
Une secousse survint sous le sol déjà remué par le passage des démons, ignorée de tous. Elle gagna en ampleur jusqu'à atteindre la faille ouverte à l'arrière de la ligne des Anciens, l'agrandissant un peu plus. Remontant alors des profondeurs de la terre, une armée d'élémentaires de pierre surgit, traversant la douche froide provoquée par Hermez pour se joindre à la bataille. Percutant avec fracas les rangs démoniaques, ils roulèrent d'abord littéralement sur les quelques démons qui avaient dépassés les Anciens puis continuèrent leur avancée jusqu'à s'opposer comme une muraille à la forêt dense de lames qu'étaient la Légion.
Une fois l'armée invoquée, Houd plongea dans le sol, s'élançant vers le promontoire où il avait eu la vision du seigneur démon. Arrivé à quelques centaines de mètres de l'érédar, il resta dissimulé sous terre, jaugeant chaque geste et mesurant chaque sortilège exécuté.
Le seigneur démon semblait pour le moment sur la défensive, assumant un rôle de soutien pour ses troupes qu'il protégeait des assauts magiques des Anciens. Lorsqu'un serviteur de ces derniers s'imposait un peu trop cependant, il usait d'énergies corruptrices pour réduire à néant les obstacles devant son armée.
Puis vint un moment où le démon se mit à réunir la magie par grandes brassées, la canalisant dans un puissant sort à destination d'un des plus imposants atouts de son armée. Ce dernier, rien d'autre qu'un seigneur des abîmes se mit aussitôt à gagner en taille, enflant jusqu'à pouvoir tenir tête ou presque à l'Ancien géant vers lequel il se dirigeait. S'élançant sans plus se soucier de ses propres soldats sous ses pattes, l'Annihilan chargea Grimmbar avec la force d'une montagne.
***
Lorsqu'il avait vu un démon particulièrement laid devenir particulièrement immense, Larairah n'avait pas trouvé mieux à faire que d'aller se jeter entre ses quatre pattes. Fonçant sous le ventre massif, le lièvre n'avait même pas cherché une faille entre les écailles du colosse, qu'en aurait-il fait ? Il ne se battait de toute façon pas. Par contre, il était un survivant, un athlète, et à chaque tremblement du sol sous les pas de l'annihilan, à chaque passage de l'ombre d'une de ses lourdes pattes au dessus de sa tête, Larairah savourait cette proximité avec le danger.
Quand dans un vacarme assourdissant le démon quadrupède percuta l'Ancien Blaireau, le faisant chanceler en arrière, le lièvre était derrière lui, remontant le long de sa queue et courant sur son dos. Ainsi, au moment où le seigneur des abîmes relevait la tête pour inspirer le flot de flammes qu'il s'apprêtait à cracher sur Grimmbar, le Haut-Roi de Garennes était prêt à intervenir.
Alors que le colosse à fourrure luttait pour reprendre l'équilibre, le feu démoniaque jaillit de la gueule garnie de crocs du démon. Larairah bondit depuis l'épaule de ce dernier et, courant dans les airs aussi lestement que sur l'herbe, il s'élança autour du jet de flammes, l'emportant dans un vent tourbillonnant qui le souffla rapidement.
Mais le Prince aux Mille Ennemis ne s'arrêta pas là. Sans ralentir sa course, il atteignit le sol dont il souleva la poussière par brassées. Puis d'un ample bond, il emporta dans son sillage les monceaux de terre qui vinrent se ficher dans les yeux du démon, celui-ci reculant d'un pas en grondant.
''Prends donc un peu de poudre de Père Lapin-pin mon gros !'' scanda le lièvre en passant sous le nez du colosse.
La diversion quoique semblant infime, avait donné à Grimmbar tout le temps dont il avait besoin pour se redresser et dans le même mouvement envoyer son immense patte griffue au visage de son adversaire.
Un pugilat de géants s'engagea alors au milieu de l'armée de la Légion, l'Annihilan et l'Ancien échangeant des coups avec la force et la lenteur de véritables engins de sièges, ponctués de grondements rauques assourdissants. Larairah de son côté, filait de l'un des adversaires à l'autre, utilisant leurs bras massifs comme ponts lorsqu'ils s'impactaient.
Fidèle à lui-même, il déblatérait quelques piques aux oreilles des deux combattants :
''Wohoh, il t'a pas loupé on dirait ! T'as la trogne sacrément boursouflée ! A moins que ta mère ne t'ai fait comme ça ?''
''Oh Grimmbar, tu sais que les gens civilisés mettent des gants pour ce genre d'affrontement ? Elune aimerait sûrement te voir te comporter en gentleman !''
''Qu'on soit d'accord, ces ailes, elles ne servent pas à voler, hein ? Et j'ai du mal à croire que ce soit de l'esthétique car t'es plutôt laid dans l'ensemble.''
S'empêtrant dans leur corps à corps, le démon et le blaireau provoquait des remous dans les rangs et dans la terre qu'ils piétinaient, mais une tendance était discernable dans ce combat de colosses : Là où le seigneur des abîmes avait la taille d'un château, Grimmbar grandissait encore et encore, tant et si bien que son adversaire vint le saisir par les deux épaules, le forçant à se baisser tout en hurlant :
''_TU PLOIERAS DEVANT MOI COMME CE MONDE PLOIERA DEVANT MES MAITRES ! ET TU BRULERAS AVEC TON AVORTON D'AMI !
_Woh eyh, pas si vite l'ami ! scanda Larairah en venant se planter sur le groin de l'Annihilan. C'est très impératif ce que tu dis là ! Mais je ne crois pas que ça arrivera ! Parce que vois-tu, nous autres avortons sommes sous la protection de la grande déesse Elune ! cria-t-il aussi fort qu'il le pouvait sans avoir à y perdre son ton de fanfaron.
_CACHEZ VOUS DERRIÈRE TOUTES LES DIVINITÉS QUE VOUS VOUDREZ ! cracha le démon au lièvre qui, malgré la nausée suscitée par le souffle ardent de son interlocuteur, gardait un air flegmatique et un sourire fin. A LA FIN, LES POUVOIRS DU TITAN NOIR PRÉVAUDRONT ! ET QUELS QU'ILS SOIENT, VOS DIEUX PATHÉTIQUES TOMBERONT POUR ÊTRE RÉDUITS EN CENDRES !
_Hé... On dirait que vous ne savez vraiment pas qui est Elune !
_C'EST TOI, INSECTE QUI NE SAIT PAS QUI NOUS SOMMES ! NOUS SOMMES LA LÉGION ARDENTE ! NOUS FERONS TOMBER ELUNE ET CRACHERONS SUR SA DÉPOUILLE !''
Le sourire satisfait que lui adressa Larairah n'était de loin pas ce qu'attendait le seigneur des abîmes.
''J'espère que tu sais te servir de ta tête, démon. Parce que lui, oui.''
Le colosse démoniaque ne s'en était pas rendu compte jusqu'alors, tout absorbé qu'il était par le vermisseau sur sa face, mais ses mains avaient glissé des épaules de l'Ancien jusqu'à ses coudes. Grimmbar le dominait maintenant de deux têtes et la sienne approchait à vive allure de celle du démon, le regard furieux de l'animal emplissant son champ de vision que le lièvre avait déserté d'un bond agile. Plus encore, le blaireau avait vu son corps barré d'un entrelacs de runes lumineuses qui couraient le long de chacun de ses membres, portant leur pouvoir jusqu'au bout de ses griffes.
Le choc fut retentissant, autant pour le démon que pour ceux qui l'entendirent. Dans un rugissement qui allait crescendo, la Montagne Grondante -car c'est la taille d'une montagne qu'atteignait maintenant l'Ancien- fit revenir ses bras immenses en arrière, avant de balayer les rangs des démons, creusant le sol de ses griffes et allant cueillir le démon pour le repousser.
Sans laisser plus de temps à son adversaire bousculé de se reprendre alors qu'il trébuchait au milieu de son armée, Grimmbar vint le saisir par une aile et par une patte, l’entraînant dans une ronde lente qui souleva l'Annihilan gigantesque de terre pour l'expulser au loin.
Balayant ensuite d'un cri les démons qui se pressaient encore devant lui comme des fourmis, il rugit :
''BRISÉS ! VOUS SEREZ BRISÉS ! CE MONDE SERA VOTRE TOMBEAU ! JE VOUS APPRENDRAIS LE RESPECT !''
Et, ne trouvant plus d'adversaire à sa mesure, l'Ancien gargantuesque se rabattit sur l'armée grouillant à ses pieds, la piétinant et l'éparpillant de ses griffes, provoquant d'immenses lacérations dans le sol. Larairah, pour sa part, avait reparu sur le dos de son camarade, avachi au creux de sa fourrure et à l'abri des armes ennemies.
***
Après avoir reçu le message de Houd, les deux Anciens insectes échangèrent un regard interrogatif autant qu'anxieux :
''_Ils veulent que nous nous débrouillons sans eux ? Mais nous ne pourrons pas les remplacer ! s'enquit la reine des abeilles.
_N'ayez crainte, le rassura Huisaile. Celui qu'ils appellent Grimmbar est maintenant assez puissant pour tenir la ligne et attirer les démons à lui. Il nous suffira de soutenir les élémentaires lancés au combat le temps que nos alliés coupent cet assaut à sa source.
_En êtes vous certain ?! Ces démons commencent déjà à s'en prendre à la forêt, regardez, ils tentent d'y entrer !'' s'exclama Melissé en désignant les bois envahis de ronciers.
Tournant le regard vers cet endroit particulier, le papillon put voir qu'en effet, nombreux étaient les soldats de la Légion qui s'efforçaient de se frayer un chemin au travers des arbres et des ronces, taillant les plantes de leur lames ou les embrasant de leur magie. Réfléchissant rapidement, il dit alors à sa comparse :
''Il faut que vous donniez à cette forêt une chance de se défendre. Allez y et éveillez ses gardiens, ses anciens et ses tréants. Je vous rejoindrais après que j'ai fini de renforcer ces élémentaires de pierre.''
Après un hochement de tête conjoint, les deux butineurs se séparèrent, l'une prenant la direction de la forêt et l'autre se dirigeant vers la ligne où démons et soldats rocheux s'amassaient les uns sur les autres, se piétinant et se fracassant.
Entourée de son essaim carnassier qui déchirait tous les démons venant à sa rencontre, Melissé longeait les abords de la forêt, lançant vers cette dernière un appel à destination de la végétation. Dans son sillage, les grands ronciers qu'avait fait pousser Rattatast se levaient et s'abattaient sur les démons, s'écartant pour laisser place aux arbres qui prenaient vie. Ces derniers quittaient dès lors leurs racines, marchant pesamment vers leurs ennemis qu'ils balayaient à grands coups de leurs poings noueux. Des tréants plus petits tailles se jetaient eux aussi à l'assaut, tenant à distance de leurs camarades plus imposants les démons qui auraient pu les enflammer. A l'arrière de la ligne végétale, d'autres grands arbres soulevaient de lourdes roches pour les lancer sur les soldats de la Légion, ajoutant au carnage.
Soucieuse de toutes ces vies qui avaient répondu à l'appel du combat, Melissé faisait au mieux pour les soutenir. Usant de sa magie pour guérir les arbres des coups qu'ils encaissaient, elle voletait le long de la nouvelle ligne de front sur laquelle elle répandait ses pouvoirs de vie.
Pendant ce temps, c'est sur la première ligne de bataille que Huisaile intervenait. A grands coups de ses ailes aux motifs runiques, le papillon volait au dessus des soldats de pierre, les renforçant les uns après les autres de ses pouvoirs arcaniques. Les élémentaires se trouvaient ainsi plus durs que la roche, plus forts mais aussi bien plus rapides que ce que leur nature permettait normalement.
L'Ancien butineur contournait le corps immense de Grimmbar lorsque ce dernier encaissa la charge du démon agrandi et l'impact bouscula l'insecte sur quelques mètres avant qu'il retrouve la pleine maîtrise de son vol. S'éloignant bien vite du combat, il laissa les deux géants échanger leurs coups pour mieux se focaliser sur sa tâche d'augmentation runique.
Mais lorsque l'Annihilan empoigna son adversaire pour lui rugir à la face, le papillon ne put plus ignorer cette bataille qui semblait tourner en la défaveur des Anciens. Houd avait été clair, si Grimmbar tombait, alors le combat était fini pour eux et ils devraient quémander des renforts à leur camarade sur un autre front. Il était donc hors de question que cela arrive, surtout aussi tôt.
Profitant du répit qu'offraient les paroles du démon, Huisaile dirigea vers le blaireau géant le battement de ses ailes runiques, ces dernières s'illuminant de toute la puissance puisée pour produire le dessin des runes de force, d'agilité et d'endurance sur le corps de l'Ancien colossal.
Le grand papillon ne resta ensuite plus que pour observer le tour de force de son allié et s'assurer qu'il n'avait plus besoin de son assistance magique, avant de retourner son attention sur les élémentaires au sol.
***
Lorsqu'il entendit l'appel de Houd résonner dans son esprit, Rattatast ne se fit pas prier pour aller le rejoindre. Après avoir noué à sa taille la liane qui le reliait à son camarade, l'écureuil tournait sur lui-même à une vitesse folle en empoignant la corde et ce jusqu'à ce que son élan ne les emporte tous les deux.
Évidemment, les démons ne furent pas en mesure de stopper les deux animaux tourbillonnants. Et même lorsqu'en perdant de la vitesse ils furent forcés de retrouver le sol, Rattatast utilisait son ami autant comme un fouet que comme un grappin pour progresser dans les rangs ennemis.
Puis l'écureuil entendit un vacarme lointain de caquètements qui perçait par dessus le fracas des armes des démons soldats. Ces derniers s'écartaient d'ailleurs de la position des Anciens pour laisser place à une nuée de diablotins sautillants et ricanants qui encerclèrent les défenseurs d'Azeroth. De cette foule braillarde, un individu se démarquait par sa carrure plus imposante et s'avança vers Rattatast qui surveillait du coin de l’œil les autres démons.
''_Eyh boule de poils, et si tu t'en prenais à quelqu'un de ta taille ? dit le diablotin en étirant un large sourire plein de crocs.
_Si tu le demandes, minus.'' ricana l'écureuil qui fit aussitôt claquer sa liane dans la direction de son adversaire pour abattre sur lui son camarade épineux.
Mais alors que la boule de piquants fonçait sur le grand diablotin, une pétarade se déclencha dans le rang de ses sous-fifres qui lançaient un sortilège en chœur. Et lorsque Spinoix rencontra le poing levé en parade du petit démon, ce dernier n'écopa que d'une poignée d'aiguilles piquées dans sa chair, au lieu d'être tranché en deux comme s'y attendait Rattatast.
''_C'est sympa la magie, dit le diablotin dont le sourire débordait de son visage. Mais ça s'évapore si vite, si vite.
_De la magie j'en ai bien assez en stock pour toi et tes petits copains, attends voir !''
Le poil hérissé, l'écureuil fonça vers l'impertinent petit démon pour le faire taire d'un coup de quenottes à la gorge. Mais une nouvelle pétarade retentit à ses oreilles avant qu'un coup de poing ne le cueille et l'envoie bouler en arrière.
Spinoix n'avait pas bronché, endormi qu'il était, mais Rattatast sentait distinctement qu'une partie de ses pouvoirs s'étaient envolés. Plus précisément sa vitesse, son agilité et sa force avaient été bloquées, incapables de s'exprimer alors que l'Ancien en usait si naturellement auparavant. Fort heureusement, de la même façon que son camarade n'avait perdu que son piquant légendaire, l'écureuil n'avait été dépossédé que d'une partie de ses capacités. Son pouvoir sur la végétation restait encore intact.
Se redressant face à son adversaire, et toujours entouré d'agaçants diablotins piaffards, Rattatast fit jaillir une graine par enchantement dans sa main, qu'il brandit à la vue de tous. La pétarade résonna à nouveau, annulant les pouvoirs de la graine, ce qui était plutôt futile car elle n'en avait pas.
Plantant alors la semence dans le sol, l'Ancien la fit germer, puis pousser à une vitesse affolante, dirigeant ses racines dans le sol d'où elles jaillirent en agrippant, écrasant et écartelant les petits démons. Le tronc de l'arbre naissant commença à se former, s'épaissir et s'élever, emportant dans son ascension l'écureuil qui s'accrochait à son écorce et emmenait avec lui son ami endormi. Lorsqu'ils culminèrent à plusieurs mètres au dessus du sol et de la mêlée, Rattatast courut sous les frondaisons de l'arbre pour trouver les racines qui tenaient le chef des diablotins prisonnier et les faire s'élever jusqu'à lui. Sa petite face violette aux grands yeux jaunes se tordait maintenant en un rictus rageur.
''Ooouh... Ça a l'air sympa la vie de démon... Mais ça se termine si vite, si vite.'' ricana le rongeur avant de fermer son petit poing devant le démon.
Les racines resserrèrent ainsi leur étreinte sur le diablotin jusqu'à ce que son corps brisé ne se réduise spontanément en cendres. Le même sort frappa tous les autres petits démons et Rattatast sentit ses pouvoirs lui revenir rapidement.
''Allez, on s'est bien amusés mais on a encore du boulot.'' déclara l'Ancien qui détala en direction du lieu où l'attendait Houd, laissant derrière lui un grand arbre rapidement abattu par l'armée démoniaque.
***
L'impact entre la furette et le Nathrezim fut pour ainsi dire foudroyant. Traversant son adversaire de part en part, Hermez avait laissé un trou béant dans la poitrine du démon. Mais à la grande surprise de l'Ancienne, la blessure s'embrasa, disparaissant sous les flammes vertes qui reconstruisaient les chairs du seigneur de l'effroi. Quelques secondes suffirent à la plaie pour disparaître complètement.
Un frisson parcourut l'échine de Hermez. Les démons et leur magie la répugnaient maintenant plus que jamais et ce sort en particulier n'augurait rien de bon pour la suite du combat. Mais l'Ancienne n'allait certainement pas renoncer. Quel choix avait-elle de toute façon ?
Au moins son assaut avait-il suffisamment déconcentré l'ennemi pour briser son sort de feu traqueur. Le démon était maintenant sur la défensive et l'essaim de gardes funestes vint l'entourer, pour le protéger d'un nouvel assaut du petit animal.
Mais pour ce dernier, qui avait déjà décidé de jeter toutes ses forces dans le combat, les démons mineurs n'étaient plus qu'une nuisance et son assaut suivant fut d'abord une chaîne d'éclairs rebondissant et se propageant parmi les soldats ailés, qui tombèrent comme des mouches. Le Nathrezim, relativement épargné par l'attaque, immola ses avant-bras levés en protection devant lui lorsque la furette fonça à l'attaque. La morsure de ses flammes démoniaques n'avait rien à envier à celle de la foudre de son adversaire et força l'Ancienne à se désengager. Cette dernière fondit alors sur d'autres parties du corps du démon qui n'étaient pas protégées, mais le Seigneur de l'Effroi ne tarda pas à s'immoler entièrement.
Aussi lorsque les brûlures sur sa fourrure et sa chair furent trop nombreuses pour être supportées, Hermez recula à bonne distance du démon. Là elle invoqua les vents et les pluies, qu'elle unit en une averse tourbillonnante avant de la lancer sur son adversaire. La fraîcheur soudaine soulagea ses brûlures et repoussa le démon, soufflant les flammes qui couvraient son corps.
Le message de Houd lui parvint alors qu'elle reprenait son souffle et elle répondit alors :
''D'accord, d'accord, j'essaye de faire vite, mais il y a un démon qui me retient. Il fait beaucoup de magie, de feu, ça oui.''
Lorsque la furette détourna son attention de la communication spirituelle, ce ne fut que pour voir une multitude de formes enflammées fondre sur elle. Bousculée et toute retournée, elle ne vit pas venir le Nathrezim qui fondit sur elle et l'empoigna d'une main de feu. L'étau brûlant ne tarda pas à la faire hurler de douleur et la petite Ancienne avait beau se débattre autant qu'elle pouvait, elle ne faisait qu'aggraver ses brûlures.
En désespoir de cause, elle en appela à la foudre pour s'abattre sur son ennemi.
Le démon fut foudroyé, sa tête rejetée en arrière et sa gueule ouverte sur un grand cri. Son étreinte se resserra d'autant plus sur la furette dont la vision commençait à s'obscurcir malgré l'éclat des flammes qui l'entouraient. Son petit corps qui bougeait jusque là avec hargne s'amollit entre les doigts du Nathrezim et Hermez perdit lentement connaissance...
***
L'appel de Houd occasionna chez Cwalcwutlicwa un soupir d'agacement. Le marécage qu'elle produisait autour d'elle commençait tout juste à prendre assez d'ampleur pour lui faire oublier qu'elle était au beau milieu d'un champ de bataille, et on lui demandait de le quitter pour approcher l'ennemi d'encore plus près. D'ailleurs, la grenouille s'interrogeait au sujet de ces ''renforts'' évoqués par Houd, que pouvait-il bien faire venir qui compenserait leur absence ?
La réponse lui vint comme un éboulis lorsque dans un grondement rocheux les élémentaires de pierre piétinèrent son marécage, éparpillant les mares et écrasant la végétation. L'Ancienne roula des yeux avant de se lever de son trône d'eau et d'étendre les bras de côté. Sa garde d'élémentaires fut alors renvoyée dans son plan d'origine, puis son siège perdit sa forme et vint l'envelopper, l'engloutissant dans sa masse aqueuse pour léviter avec elle. Flottant avec grâce dans les airs, la rainette et son volume d'eau allèrent trouver Tlop qui se battait toujours, inflexible devant l'immensité des effectifs démoniaques.
En se tournant vers sa souveraine, le gardien crapaud comprit à son seul regard qu'il était temps pour eux de partir. D'un bond de ses jambes de batracien, Tlop décolla haut dans le ciel, suivi de près par Cwalcwutlicwa dans son vaisseau liquide. Un nouveau message de Houd résonna alors dans leurs esprits :
''Hermez est retenue, sans doute par un seigneur démon. Essayez de le mettre hors d'état de nuire mais ne vous enlisez pas dans un combat sans fin. Contentez vous de libérer Hermez.''
Quelques bulles d'air éclatèrent dans l'eau qui enveloppait la grenouille alors que celle-ci se plaignait sans doute de l'ordre reçu. Tlop, qui amorçait sa descente vers le sol s'enquit de son air renfrogné avant de disparaître de son champ de vision :
''Devons nous aller chercher le mammifère, ou bien préférez vous gager qu'elle s'en sortira d'elle-même ?''
Les deux amphibiens traversèrent sans broncher l'espace que devait piétiner un instant plus tard l'Annihilan gigantesque qui chargeait Grimmbar, puis le crapaud fut de nouveau à la hauteur de sa Reine. Cette dernière hocha expressément la tête avant de désigner du doigt un point du ciel où tombait la foudre. Après tout, même si elle n'appréciait pas de recevoir des ordres d'un mammifère aveugle, elle ne pouvait pas ignorer le danger qui menaçait une autre Ancienne.
Tlop lui rendit un regard entendu alors qu'il retombait au sol et plia ses jambes puissantes pour un bond qui devait le porter à l'endroit désigné.
Fonçant vers le lieu du combat, qui semblait déjà perdu par une Hermez difficilement discernable dans la main de son adversaire, le crapaud s'empara de sa targe d'or et la lança vers le bras tendu du démon. Le bouclier frappa au coude, brisant le membre et fit lâcher sa proie au Nathrezim qui poussa un nouveau cri de douleur et de rage. Mais lorsqu'il se tourna vers l'Ancien protecteur pour le maudire, ce dernier était déjà sur lui, sa lourde masse à deux mains brandie au dessus de sa tête. Le crapaud frappa alors d'un coup colossale sur le crâne du démon, l'expulsant jusqu'au sol où il s'écrasa avec fracas.
D'un coup de langue précis, Tlop récupéra sa targe qu'il fixa à son poignet avant d'entamer sa descente vers le sol.
De son côté Cwalcwutlicwa s'était précipitée pour récupérer la furette qui tombait elle aussi, inconsciente, dans le vide. Lorsque le petit animal ailé plongea dans le vaisseau aqueux de la grenouille, cette dernière la couvrit de plusieurs bénédictions destinées à la tenir en vie, en commençant par celle qui lui permettrait de respirer sous l'eau. L'Ancienne du ciel, sous les sorts bienfaiteurs de sa comparse des rivières, fut régénérée, ses brûlures estompées et la douleur évanouie.
Lorsque les deux batraciens et la blessée arrivèrent auprès de Houd, Rattatast et Spinoix étaient déjà présents, tout du moins le hérisson était physiquement présent. Cwalcwutlicwa déposa Hermez au sol avant de prendre place sur son trône qui retrouvait sa forme.
''_Elle va bien ? s'enquit l'Ancien aveugle.
_Ne vous inquiétez pas pour ses blessures, répliqua la grenouille. Inquiétez vous plutôt pour son aptitude au combat. Si elle ne peut pas se défaire d'un unique seigneur démon, quelle chance a-t-elle contre celui qui les dirige ?
_Seule, pas beaucoup plus qu'aucun de nous. C'est pourquoi je vous ai demandé de venir. Afin de-
_J'ai pour ma part trouvé votre demande très impérative.''
Outre donner des directives, la deuxième grande occupation de Cwalcwutlicwa était de signaler son mécontentement à qui pouvait l'entendre. Dans le silence qui suivit, Rattatast regarda successivement la grenouille et la taupe et lança d'un ton moqueur :
"_Oh et ben la prochaine fois on vous enverra une miss- commença-t-il avant que la patte de Houd ne se referme sur son museau.
_La prochaine fois, je choisirais mieux mes mots.'' dit l'Aveugle qui était assez raisonnable pour ne pas vouloir aggraver une querelle aussi futile.
Recouvrant visiblement ses esprits, Hermez se leva et secoua la tête, clignant des yeux en regardant autour d'elle.
''Bon retour parmi nous, Hermez. Tu peux remercier Tlop et Cwalcwutlicwa, pour t'avoir ramenée ici saine et sauve.'' dit Houd à la furette qui fit timidement part de sa reconnaissance aux amphibiens, recevant pour toute réponse un hochement de tête placide.
''_Revenons en au plan maintenant : Le seigneur démon qui mène cette armée est ce qu'on appelle un érédar. C'est lui qui garde le portail d'où viennent tous ces démons. Donc, pour fermer le portail il nous faudra l'abattre, ou au moins le mettre hors d'état de nuire...
_Question !
_Oui, Rattatast ?
_Comment on va fermer le portail démoniaque ? Je m'y connais un peu en passages magiques et je sais que c'est pas à la portée de tout le monde d'utiliser celui des autres.
_Je connais la magie des démons, je serais donc en mesure de le refermer. S'il ne s'effondre pas de lui-même à la mort de l'érédar évidemment. J'en viens au deuxième point maintenant : Un érédar est un puissant lanceur de sort et si je dois contrer chacune de ses incantations mortelles alors je ne pourrais pas me focaliser sur le reste du combat. Rattatast et Spinoix, votre aide sera donc plus que bienvenue. Je ferais de mon mieux pour bloquer sa magie, mais je ne pourrais pas arrêter ses sorts les plus simples. Donc, votre Altesse il faudra guérir ce que je n'ai pas pu prévenir, s'il vous plaît. Quant à Hermez et Tlop et bien... Je suis prêt à parier ma fourrure qu'il ne se battra pas seul, donc je compte sur vous pour que ses alliés ne nous indisposent pas.
_Pfah, qu'est-ce que tu crois, se moqua Rattatast. Qu'il va faire tomber des renforts démoniaques du ciel ? Téléporter son armée à côté de lui ?''
Un cri lointain fit lever le nez aux Anciens. Une immense silhouette chutait dans les airs en direction de l'érédar qui focalisait sur elle sa magie afin de la faire rétrécir à vue d’œil. Le projectile se révéla être l'Annihilan lancé par Grimmbar qui s'écrasa avec fracas sur le sol à côté de son supérieur en ayant repris sa taille normale.
''On devrait y aller avant que je continue d'avoir raison.'' déclara l'écureuil.
Houd hocha gravement la tête et plongea sous terre, filant en direction des seigneurs démons. Il fut rapidement suivi par ses camarades volant, bondissant et courant.
***
''_Seigneur, je...
_Relève toi imbécile ! cracha l'érédar à l'annihilan dont le corps était étendu, ses membres désarticulés, dans le cratère creusé par sa chute du ciel. Ces vermines viennent par ici et tu vas les affronter, peu m'importe qu'ils te brisent encore les os !''
Une vague de magie lancée par le démon sorcier remit en place les os du seigneur des abîmes qui poussa un grondement à peine contenu, avant de se relever, chancelant sur ses quatre pattes. Ses orbites enflammées se tournèrent vers les Anciens qui avançaient sur eux.
''De ceux là je saurais ne faire qu'une bouchée.'' déclara-t-il avant de pesamment se mettre en marche, ses sabots martelant le sol tandis qu'il prenait de la vitesse.
Tortoka/Djigzyx
Re: Les Anciens Signifiants
L'annihilan fonçait sur eux dans un lourd galop, soulevant des trombes de poussière. Et lorsque à peine une dizaine de mètre le sépara des Anciens, il commença à inspirer un souffle enflammé de sa gueule garnie de crocs.
''Tlop, celui-ci est pour vous, dit Houd en esprit. Les autres dispersez vous ! On se focalise sur l'érédar !''
Ainsi, lorsque les flammes vertes se déversèrent sur eux, Rattatast et Hermez infléchirent leur trajectoire pour contourner l'imposant démon. Le guerrier crapaud pour sa part, bondit droit sur l'ennemi en levant sa targe d'or devant lui. Le bouclier enchanté repoussa les flammes, ouvrant un passage dans la déflagration qui permit à Tlop d'atteindre son adversaire en pleine poitrine. Ce dernier en eut le souffle coupé et ploya sous le coup avant d'empoigner le batracien pour le jeter rageusement derrière lui.
Le guerrier crapaud roula et boula sur plusieurs mètres, dépassant même ses comparses qui poursuivaient leur route vers l'érédar, avant de reprendre son équilibre. Détendant ses jambes comme des ressorts, il bondit en brandissant sa masse pour l'abattre sur le groin de l'annihilan. Mais celui-ci, qui pivotait pesamment pour faire face à son adversaire fit apparaître une arme d'hast à deux lames dans sa main levée et para le coup dans un bruit de métal retentissant. Ramenant ses deux pieds palmés sur la hampe de l'arme démoniaque, Tlop se désengagea d'un bond mais fut cueilli par un revers de lame qui le jeta au sol avec une large estafilade sur le flanc.
Cwalcwutlicwa, qui volait à bord de son large vaisseau liquide, se précipita à sa rencontre, l'arrosant d'eaux purificatrices qui soignèrent rapidement la blessure. Ainsi guéri et rasséréné, Tlop se releva, de nouveau prêt au combat.
''_Larve ! Vous êtes sans doute la créature la plus laide qu'ait porté ce monde ! cracha le seigneur des abîmes.
_Quand j'en aurais fini avec vous, vous serez certainement la plus morte, démon !''
Et sur cet échange de politesse, le crapaud bondit une nouvelle fois à la rencontre de son adversaire.
***
Le seigneur érédar décocha un sourire mauvais aux animaux qui filaient en sa direction. La furette rivait sur lui son regard de foudre, l'écureuil traînait dans sa course la boule de pique et la taupe avait jailli de son trou pour couvrir les derniers mètres à pied. Profitant qu'ils étaient tous en vue, il articula dans sa langue les syllabes d'un mot de pouvoir, se délectant de la sensation de magie pure passant sur ses lèvres.
''_Agon-
_Nafl uln !''
La puissance du mot s'évanouit soudainement sous les paroles de celui qui avait les yeux bandés et lorsqu'il voulut le répéter, le seigneur démon sentit que le contresort le bloquait encore. De dépit et de frustration, il leva ses poings, les abattant dans l'air une fois, deux fois, trois fois. Six météores verdoyants chutèrent alors du ciel au dessus de lui.
''Hermez ! Couverture aérienne !'' cria la taupe.
La furette ne se fit pas prier et dans un coup de tonnerre fusa en direction du premier infernal qui tombait. Chargée de la puissance de la foudre, elle le percuta dans un nouveau roulement de tonnerre, déviant sa trajectoire au loin. Ne s'attardant pas plus d'une demi-seconde sur le projectile, l'Ancienne fonça sur un second infernal, occasionnant un second coup de foudre, et ainsi de suite jusqu'à ce que le ciel soit débarrassé des rochers démoniaques. Après cela, le petit animal ne volait plus vraiment droit et cascada jusqu'au sol.
''Votre majesté, Hermez a besoin de soutien !'' cria Houd en esprit à Cwalcwutlicwa qui se détourna un instant du combat de son compagnon batracien. Un geyser jaillit des mains de la grenouille et vint intercepter la furette dans sa chute, la trempant abondamment.
Faisant tournoyer Spinoix au bout de sa corde, Rattatast bondit en hurlant pour frapper le démon à la poitrine. Mais ce dernier le surprit de par son agilité et esquiva en partie le coup, n'écopant que d'une profonde entaille tout au long de son buste. A l'adresse de l'écureuil, il cracha alors un mot en langue démoniaque :
''_Faibl-
_Nafl uln !''
Tournant la tête vers celui qui l'avait encore une fois interrompu, l'érédar n'eut que le temps de voir l'Ancien foreur fondre sur son visage pour le lui entailler de ses lames. Avec un grondement rageur, il tendit les mains vers les deux Anciens qui s'étaient réceptionnés l'un à côté de l'autre et les bombarda de boules de feu vert. Le tonnerre gronda dans son dos, alors qu'une Hermez revigorée l'impacta dans la nuque, calcinant son cou jusqu'aux épaules. Un nouveau cri échappa au démon qui porta ses mains à ses chairs fumantes et la furette alla rejoindre ses deux frères d'arme.
''_Ohlala il a vraiment pas l'air content, dit-elle, mi-effrayée et mi-excitée par le combat.
_Haha ! C'est vrai que sa gueule vaut le coup d’œil ! Dommage que tu puisses pas voir ça Houd !
_Je t'avoue que je donnerais cher pour recouvrer la vue en cet instant, admit la taupe avec un sourire. Mais le combat n'est pas fini, loin de là.
_Attention au feu !'' cria Hermez en pointant leur adversaire du doigt.
Après une grande inspiration, l'érédar s'était tourné vers les Anciens et cracha un jet de flammes émeraude en leur direction.
Levant ses lames devant le feu qui fondait sur eux, Houd prononça rapidement quelques mots d'érédun et écarta vivement les bras. Le jet de flammes se divisa en deux murs de feu vert à un pas de lui, laissant les Anciens épargnés.
Galvanisés, Rattatast et Hermez bondirent à l'assaut en criant :
''Pour Kalimdor !''
***
Alors que le combat venait de s'engager entre les Anciens et le seigneur érédar, les deux nathrezims vaincus s'extirpèrent, l'un du fossé dans lequel l'avait plongé Houd, l'autre du cratère dans lequel l'avait projeté la masse de Tlop. Rétablis de leurs blessures, ils se reconnurent dans le champ de bataille et se rejoignirent pour discuter de la marche à suivre.
''_Dezemoth ! Ils ont atteint le seigneur, nous devons intervenir et l'assister !
_Non ! Si ce sorcier ne peut se défaire de ces quelques vermines, alors il n'est pas digne de son rang ! Qui plus est, nous avons des problèmes bien plus pesants devant nous.''
Comme ''problème plus pesant'' le Seigneur de l'Effroi désignait l'immense blaireau qui éparpillait leur armée tandis que celle-ci continuait de se masser autour de lui, tentant d'escalader sa masse comme le ferait un bataillon de fourmis.
''_Et que proposes-tu ? Aucune de nos attaques n'ait jusque là parvenue à percer le cuir de cette créature !
_Alors ne frappons plus son corps de l'extérieur, déclara Dezemoth en quittant le sol à l'aide de ses puissantes ailes. Viens Zalistar, toi et moi allons aujourd'hui créer la plus puissante malédiction jamais lancée. Une malédiction qui affaiblira le corps et l'âme de ce prétendu colosse.''
S'élevant à son tour, Zalistar tendit les mains vers le ciel, ses incantations se joignant à celle de son confrère. Ensembles, les deux nathrezims tissèrent les mailles d'un sortilège à destination de la Montagne Grondante, puisant dans le Néant et dans le Puits d'Eternité la magie en quantités phénoménales. Et lorsqu'ils eurent engrangé autant de puissance qu'ils pouvaient en supporter, ils la libérèrent en un sort d'une simplicité déconcertante, articulant ce seul mot :
''Faiblesse !''
**
''APPROCHEZ VERMINES ! ENNEMIS D'ELUNE ! VENEZ CHERCHER LE TREPAS SOUS LES GRIFFES DE LA FUREUR DU TERRIER !''
Larairah passa sa main sur ses oreilles douloureuses et escalada la fourrure du blaireau géant pour atteindre les cavernes qu'étaient devenus les orifices auriculaires de son camarade.
''Écoute mon grand, je sais que tu es fâché pour tout un tas de raisons comme le fait qu'il y ait un million de démons en bas qui essayent de te tailler la peau. Mais est-ce que ce serait possible de la mettre en veilleuse un moment ? La journée se termine et j'aimerais bien faire ma nuit moi.''
Un frisson parcourut soudainement l'échine du lièvre, qui sentit que quelque chose n'allait pas, sans savoir exactement quoi. S'agrippant à un pan d'oreille, il surveilla les alentours du coin de l’œil, dans l'attente d'un ennemi quelconque. Une nausée le prit soudainement alors que ses forces abandonnaient ses membres, puis Larairah se sentit plaqué par un étau invisible contre la fourrure de son compère.
Ce dernier d'ailleurs vacillait distinctement, et le lièvre put voir le paysage défiler alors que Grimmbar basculait en avant.
''D'accord, d'accord je plaisantais tu sais... dit-il d'une voix aussi faible que le reste de son corps. T'es pas obligé de nous envoyer au tapis comme ça !''
La malédiction des Seigneurs de l'Effroi avait eu l'effet d'un coup de massue sur l'Ancien géant. Arrêté dans son élan dévastateur, le blaireau avait senti ses jambes céder sous poids. Sans comprendre ce qui lui arrivait, il avait posé une main au sol pour se rattraper. Sa poitrine se soulevait maintenant d'une respiration lourde, difficile, mais encore suffisamment forte pour balayer les plus légers démons qui se pressaient devant lui. Secoué par l'abaissement soudain de la masse de fourrure, Larairah bascula du crâne du colosse et chuta sur son avant-bras, le long duquel il roula jusqu'au sol.
Se relevant avec difficulté, le lièvre se rendit compte en levant les mains devant ses yeux que sa vision se dédoublait.
''_Ooh... Si c'est encore une farce d'Onysos c'est vraiment pas drôle... Eyh ! Est-ce que tu tiens le coup là-haut ?! cria-t-il aussi fort que possible à la tête massive au dessus de lui.
_Elune... Je ne faillirais pas... Je ne...''
La plainte des os du géant parvint aux oreilles de Larairah alors que le corps massif s'effondrait pesamment au dessus de lui. Le petit trot qu'était devenue sa vitesse jusque là prodigieuse lui permit avec un bond d'échapper à l'écrasement et le lièvre disparut un instant dans la poussière soulevée par l'impact.
En émergeant, il se rendit compte que maintenant qu'il n'était plus dans l'ombre du géant, ses forces lui revenaient. Cela tombait plutôt bien car les démons montaient à l'assaut du corps de Grimmbar et ne semblaient pas contre se tailler une part de civet sur la route. Recouvrant ses capacités, le Haut-Roi de Garennes esquiva sans mal les coups portés, se soustrayant à grands bonds des combats que les démons tentaient d'engager contre lui.
''Grimmbar ! Secoue toi un peu mon vieux ! Si tu te relèves pas- Eyh doucement avec cette hache l'ami. Si tu te relèves pas dans trois secondes, je vais devoir aller... Chercher. Du. Secours. Eurk un chien avec des tentacules, on aura tout vu. Et je sais que ça te déplaira plus qu'à moi !'' cria-t-il encore entre deux acrobaties.
Bien qu'il parlait sur le ton de la plaisanterie, il n'échappa pas à Larairah que son camarade était très sérieusement en péril. Son crâne immense disparaissait peu à peu sous les démons qui grouillaient sur lui pour l'entailler de leurs armes. Affaibli, il peinait à bouger ses membres massifs alors que ses yeux écarquillés roulaient dans leurs orbites à la recherche d'une échappatoire.
''Bon d'accord. Tant pis pour la victoire et la gloire, on se contentera de survivre ce soir.''
Le lièvre avisa les abords de la forêt animée avant de partir à fond de train, allant jusqu'à utiliser les grands démons sur sa route comme appui pour ses bonds et pirouettes. En une fraction de seconde, il avait quitté la ligne démoniaque et rejoint celle des tréants et gardiens de la forêt.
Il venait de dépasser cette dernière et d'atteindre le couvert des arbres encore inertes lorsqu'un frisson lui parcourut la nuque, signe qu'une menace était proche. Ses sens ne discernaient pourtant rien de plus et le lièvre s'en trouva confus. C'est alors qu'un poing d'un noir absolu l'atteignit à la mâchoire, le faisant trébucher, basculer en avant, planer puis rouler sur plusieurs mètres dans l'herbe sur laquelle il s'écroula, face la première.
***
La chute de Grimmbar n'avait pas échappé à Mélissé et Huisaile qui s'étaient réunis auprès des combattants forestiers pour les soutenir. Il ne fallut d'ailleurs pas longtemps au papillon spécialiste de la magie pour discerner le sort qui affectait l'Ancien blaireau et repérer ceux qui l'avaient lancé.
''_Que se passe-t-il ? Que lui arrive-t-il, Huisaile ?! demanda anxieusement l'abeille.
_Vous voyez ces deux démons ailés ? répondit l'autre butineur en désignant les nathrezims. Ils ont lancé une malédiction sur Grimmbar, assez puissante pour le terrasser.
_Mais vous pouvez l'annuler n'est-ce pas ?
_Ce sera difficile, au regard de tout le pouvoir qu'ils y ont mis, mais pas impossible. La priorité sera de neutraliser les démons qui ont jeté le sort. Définitivement ou non, c'est une autre question.
_Une question qu'il est inutile de poser. Vous avez bien vu que la seule manière de se débarrasser de ces monstres est de les tuer.''
Contrairement au ton habituellement soucieux qu'elle employait, Mélissé parlait avec autorité et détermination. Ce changement soudain attira l'attention de Huisaile qui détourna les yeux des démons pour les porter sur la reine abeille. Il put ainsi voir avec surprise qu'une longue lance à la lame courbe, effilée comme un dard et dont le manche se terminait par une paire de petites ailes d'insecte, se trouvait maintenant entre ses mains.
''Ne perdons pas plus de temps. L'issue de la bataille et la vie d'un Ancien sont en jeu.''
Se contentant de hocher la tête, Huisaile suivit l'abeille qui volait en direction des Seigneurs de l'Effroi. Dans ses propres mains apparut un bâton constitué de plusieurs symboles runiques façonnés de métal et qui ne tenaient alignés que par la magie qui les animait. Au bout du bâton un cristal flottait entre les pointes d'un croissant de lune qui tournait lentement sur l'axe de l'arme.
Tendant la main vers sa camarade, il fit apparaître sur son corps chitineux tout un éventail de runes destinées à améliorer chacune de ses capacités de combat et en fit de même pour lui.
Aussitôt qu'ils quittèrent la ligne des tréants, une nuée de démons ailés vint encercler les deux Anciens butineurs. Les ennemis qui eurent le malheur de se trouver devant Mélissé furent pris dans un nuage de spores qui donnèrent rapidement naissance à des vignes étrangleuses et les firent chuter. Ceux qui en réchappèrent furent promptement déchirés par la lance de la Reine des Abeilles et par son essaim de garde, ouvrant ainsi une brèche dans la nuée.
Avec une brève incantation de Huisaile, un large faisceau d'arcanes jaillit du bâton de l'insecte qui pivota sur lui-même pour frapper les démons qui l'entouraient. Au passage de la lumière, il ne restait plus des démons qu'un nuage de pacifiques qui volaient au vent...
A grands renforts de magie et de coups de lance, papillon et abeille se frayèrent un chemin jusqu'aux nathrezims sur lesquels ils fondirent sans plus attendre.
***
Lorsqu'ils avaient vu le colosse à fourrure chuter, les deux nathrezims avaient échangé un regard satisfait et s'étaient contenté d'observer leurs troupes monter à l'assaut du corps du géant, le temps pour eux de récupérer de leur exploit. Puis, Dezemoth repéra un de leurs adversaires qui se démenait pour échapper aux armes des démons et le désigna à son camarade.
''Regarde celui-ci, un gibier qui se croit insaisissable.''
Le petit être était rapide et se soustrayait invariablement aux assauts des guerriers de la Légion, sans sembler riposter pour autant. Mais même s'il ne paraissait pas menaçant, il convenait aux seigneurs démons de l'annihiler.
''Rapide, en effet, admit Zalistar. Mais nous verrons s'il est aussi rapide que son ombre.''
Après une brève incantation, le nathrezim jeta sa malédiction sur le lièvre, alors que ce dernier détalait à toute vitesse en direction de la forêt. Suivant son exemple, l'autre seigneur de l'effroi lança un projectile enflammé à l'assaut du fuyard.
''_Tsah ! Tu en es encore à lancer tes boules de feu minables ?! se moqua Zalistar.
_Celle-ci est différente, imbécile. Elle le suivra jusqu'au bout de ce monde ou bien jusqu'à ma mort.
_Alors celle-ci arrivera rapidement, démon !''
La lance de Mélissé fendit l'air là où s'était trouvé le seigneur de l'effroi un instant plus tôt. Les deux démons s'égaillèrent pour se tenir à distance des insectes.
''_Oh vous avez raison de fuir ! Vous ne faites clairement pas le poids face à la magie de ce monde ! tempêta l'abeille.
_C'est bien pour ça que nous sommes venus nous en emparer.'' rétorqua le démon avec un ricanement.
Lorsqu'ils leur firent de nouveau face, les Anciens remarquèrent des lueurs dansantes entre les mains des nathrezims, des lueurs que Huisaile reconnut comme les runes qu'il avait posées quelques temps plus tôt. Les deux insectes échangèrent un regard : les motifs sur leurs corps avaient disparus.
''Oh excusez moi, dit Zalistar avec un sourire mauvais. C'est à vous ?''
Libérant les runes entre leurs griffes, les deux démons s'en imprégnèrent jusqu'à ce qu'elles luisent sur leurs corps, de la lueur verte caractéristique de leur magie.
Puis ils fondirent sur les Anciens.
***
Grimmbar sentait des fourmillements tout le long de son corps, sans savoir s'ils étaient dus à ses membres engourdis ou à la multitude de vermines démoniaques qui grimpait sur lui.
Qu'est-ce qui se passe ?! Qu'est-ce qu'ils m'ont fait ?!
Ces questions avaient résonné dans l'esprit de l'Ancien au moment où il chutait. Et même si son corps était jeté au sol par la malédiction, son esprit volait encore dans les hautes spires de la colère.
Fils d'Elune ! A genoux devant personne d'autre qu'Elle ! Je ne faillirais pas ! Je ne ploierais pas !
A terre, il tenta de se relever mais ses membres semblaient aussi lourds pour lui que pour ceux qu'il écrasait quelques instants plus tôt. A quoi bon être une montagne quand on avait plus la force de la soulever ?
Je vous tuerais tous ! De mes crocs ! De mon souffle !
Il avait vu le lièvre fanfaron s'agiter devant son regard embrumé, point minuscule et abstrait. Sans doute se moquait-il encore de lui, comme à son habitude. Puis il s'était souvenu le plan : Si Grimmbar flanche, alors le lapin devrait aller chercher des secours.
Et alors tous verraient qu'il avait échoué.
Non ! Je vais me relever ! Je peux me relever ! Ne pars pas ! Pas maintenant !
Il avait essayé de se relever de toutes ses forces, mais ces dernières s'étaient évanouies avec la malédiction. Il avait du regarder, impuissant, la petite tâche d'un brun clair qu'était le lièvre disparaître de son champ de vision. La honte vint alors l'accabler, plus sûrement encore que le faisait le mauvais sort.
Elune... Donne moi la force...
Aux abois, ses yeux roulaient dans leurs orbites avant de se poser sur la lune qui se révélait dans le ciel à mesure que le soleil tombait. Ce fut la dernière chose qu'il vit avant que les démons grouillant à l'assaut de son visage ne le forcent à clore les paupières.
''Tlop, celui-ci est pour vous, dit Houd en esprit. Les autres dispersez vous ! On se focalise sur l'érédar !''
Ainsi, lorsque les flammes vertes se déversèrent sur eux, Rattatast et Hermez infléchirent leur trajectoire pour contourner l'imposant démon. Le guerrier crapaud pour sa part, bondit droit sur l'ennemi en levant sa targe d'or devant lui. Le bouclier enchanté repoussa les flammes, ouvrant un passage dans la déflagration qui permit à Tlop d'atteindre son adversaire en pleine poitrine. Ce dernier en eut le souffle coupé et ploya sous le coup avant d'empoigner le batracien pour le jeter rageusement derrière lui.
Le guerrier crapaud roula et boula sur plusieurs mètres, dépassant même ses comparses qui poursuivaient leur route vers l'érédar, avant de reprendre son équilibre. Détendant ses jambes comme des ressorts, il bondit en brandissant sa masse pour l'abattre sur le groin de l'annihilan. Mais celui-ci, qui pivotait pesamment pour faire face à son adversaire fit apparaître une arme d'hast à deux lames dans sa main levée et para le coup dans un bruit de métal retentissant. Ramenant ses deux pieds palmés sur la hampe de l'arme démoniaque, Tlop se désengagea d'un bond mais fut cueilli par un revers de lame qui le jeta au sol avec une large estafilade sur le flanc.
Cwalcwutlicwa, qui volait à bord de son large vaisseau liquide, se précipita à sa rencontre, l'arrosant d'eaux purificatrices qui soignèrent rapidement la blessure. Ainsi guéri et rasséréné, Tlop se releva, de nouveau prêt au combat.
''_Larve ! Vous êtes sans doute la créature la plus laide qu'ait porté ce monde ! cracha le seigneur des abîmes.
_Quand j'en aurais fini avec vous, vous serez certainement la plus morte, démon !''
Et sur cet échange de politesse, le crapaud bondit une nouvelle fois à la rencontre de son adversaire.
***
Le seigneur érédar décocha un sourire mauvais aux animaux qui filaient en sa direction. La furette rivait sur lui son regard de foudre, l'écureuil traînait dans sa course la boule de pique et la taupe avait jailli de son trou pour couvrir les derniers mètres à pied. Profitant qu'ils étaient tous en vue, il articula dans sa langue les syllabes d'un mot de pouvoir, se délectant de la sensation de magie pure passant sur ses lèvres.
''_Agon-
_Nafl uln !''
La puissance du mot s'évanouit soudainement sous les paroles de celui qui avait les yeux bandés et lorsqu'il voulut le répéter, le seigneur démon sentit que le contresort le bloquait encore. De dépit et de frustration, il leva ses poings, les abattant dans l'air une fois, deux fois, trois fois. Six météores verdoyants chutèrent alors du ciel au dessus de lui.
''Hermez ! Couverture aérienne !'' cria la taupe.
La furette ne se fit pas prier et dans un coup de tonnerre fusa en direction du premier infernal qui tombait. Chargée de la puissance de la foudre, elle le percuta dans un nouveau roulement de tonnerre, déviant sa trajectoire au loin. Ne s'attardant pas plus d'une demi-seconde sur le projectile, l'Ancienne fonça sur un second infernal, occasionnant un second coup de foudre, et ainsi de suite jusqu'à ce que le ciel soit débarrassé des rochers démoniaques. Après cela, le petit animal ne volait plus vraiment droit et cascada jusqu'au sol.
''Votre majesté, Hermez a besoin de soutien !'' cria Houd en esprit à Cwalcwutlicwa qui se détourna un instant du combat de son compagnon batracien. Un geyser jaillit des mains de la grenouille et vint intercepter la furette dans sa chute, la trempant abondamment.
Faisant tournoyer Spinoix au bout de sa corde, Rattatast bondit en hurlant pour frapper le démon à la poitrine. Mais ce dernier le surprit de par son agilité et esquiva en partie le coup, n'écopant que d'une profonde entaille tout au long de son buste. A l'adresse de l'écureuil, il cracha alors un mot en langue démoniaque :
''_Faibl-
_Nafl uln !''
Tournant la tête vers celui qui l'avait encore une fois interrompu, l'érédar n'eut que le temps de voir l'Ancien foreur fondre sur son visage pour le lui entailler de ses lames. Avec un grondement rageur, il tendit les mains vers les deux Anciens qui s'étaient réceptionnés l'un à côté de l'autre et les bombarda de boules de feu vert. Le tonnerre gronda dans son dos, alors qu'une Hermez revigorée l'impacta dans la nuque, calcinant son cou jusqu'aux épaules. Un nouveau cri échappa au démon qui porta ses mains à ses chairs fumantes et la furette alla rejoindre ses deux frères d'arme.
''_Ohlala il a vraiment pas l'air content, dit-elle, mi-effrayée et mi-excitée par le combat.
_Haha ! C'est vrai que sa gueule vaut le coup d’œil ! Dommage que tu puisses pas voir ça Houd !
_Je t'avoue que je donnerais cher pour recouvrer la vue en cet instant, admit la taupe avec un sourire. Mais le combat n'est pas fini, loin de là.
_Attention au feu !'' cria Hermez en pointant leur adversaire du doigt.
Après une grande inspiration, l'érédar s'était tourné vers les Anciens et cracha un jet de flammes émeraude en leur direction.
Levant ses lames devant le feu qui fondait sur eux, Houd prononça rapidement quelques mots d'érédun et écarta vivement les bras. Le jet de flammes se divisa en deux murs de feu vert à un pas de lui, laissant les Anciens épargnés.
Galvanisés, Rattatast et Hermez bondirent à l'assaut en criant :
''Pour Kalimdor !''
***
Alors que le combat venait de s'engager entre les Anciens et le seigneur érédar, les deux nathrezims vaincus s'extirpèrent, l'un du fossé dans lequel l'avait plongé Houd, l'autre du cratère dans lequel l'avait projeté la masse de Tlop. Rétablis de leurs blessures, ils se reconnurent dans le champ de bataille et se rejoignirent pour discuter de la marche à suivre.
''_Dezemoth ! Ils ont atteint le seigneur, nous devons intervenir et l'assister !
_Non ! Si ce sorcier ne peut se défaire de ces quelques vermines, alors il n'est pas digne de son rang ! Qui plus est, nous avons des problèmes bien plus pesants devant nous.''
Comme ''problème plus pesant'' le Seigneur de l'Effroi désignait l'immense blaireau qui éparpillait leur armée tandis que celle-ci continuait de se masser autour de lui, tentant d'escalader sa masse comme le ferait un bataillon de fourmis.
''_Et que proposes-tu ? Aucune de nos attaques n'ait jusque là parvenue à percer le cuir de cette créature !
_Alors ne frappons plus son corps de l'extérieur, déclara Dezemoth en quittant le sol à l'aide de ses puissantes ailes. Viens Zalistar, toi et moi allons aujourd'hui créer la plus puissante malédiction jamais lancée. Une malédiction qui affaiblira le corps et l'âme de ce prétendu colosse.''
S'élevant à son tour, Zalistar tendit les mains vers le ciel, ses incantations se joignant à celle de son confrère. Ensembles, les deux nathrezims tissèrent les mailles d'un sortilège à destination de la Montagne Grondante, puisant dans le Néant et dans le Puits d'Eternité la magie en quantités phénoménales. Et lorsqu'ils eurent engrangé autant de puissance qu'ils pouvaient en supporter, ils la libérèrent en un sort d'une simplicité déconcertante, articulant ce seul mot :
''Faiblesse !''
**
''APPROCHEZ VERMINES ! ENNEMIS D'ELUNE ! VENEZ CHERCHER LE TREPAS SOUS LES GRIFFES DE LA FUREUR DU TERRIER !''
Larairah passa sa main sur ses oreilles douloureuses et escalada la fourrure du blaireau géant pour atteindre les cavernes qu'étaient devenus les orifices auriculaires de son camarade.
''Écoute mon grand, je sais que tu es fâché pour tout un tas de raisons comme le fait qu'il y ait un million de démons en bas qui essayent de te tailler la peau. Mais est-ce que ce serait possible de la mettre en veilleuse un moment ? La journée se termine et j'aimerais bien faire ma nuit moi.''
Un frisson parcourut soudainement l'échine du lièvre, qui sentit que quelque chose n'allait pas, sans savoir exactement quoi. S'agrippant à un pan d'oreille, il surveilla les alentours du coin de l’œil, dans l'attente d'un ennemi quelconque. Une nausée le prit soudainement alors que ses forces abandonnaient ses membres, puis Larairah se sentit plaqué par un étau invisible contre la fourrure de son compère.
Ce dernier d'ailleurs vacillait distinctement, et le lièvre put voir le paysage défiler alors que Grimmbar basculait en avant.
''D'accord, d'accord je plaisantais tu sais... dit-il d'une voix aussi faible que le reste de son corps. T'es pas obligé de nous envoyer au tapis comme ça !''
La malédiction des Seigneurs de l'Effroi avait eu l'effet d'un coup de massue sur l'Ancien géant. Arrêté dans son élan dévastateur, le blaireau avait senti ses jambes céder sous poids. Sans comprendre ce qui lui arrivait, il avait posé une main au sol pour se rattraper. Sa poitrine se soulevait maintenant d'une respiration lourde, difficile, mais encore suffisamment forte pour balayer les plus légers démons qui se pressaient devant lui. Secoué par l'abaissement soudain de la masse de fourrure, Larairah bascula du crâne du colosse et chuta sur son avant-bras, le long duquel il roula jusqu'au sol.
Se relevant avec difficulté, le lièvre se rendit compte en levant les mains devant ses yeux que sa vision se dédoublait.
''_Ooh... Si c'est encore une farce d'Onysos c'est vraiment pas drôle... Eyh ! Est-ce que tu tiens le coup là-haut ?! cria-t-il aussi fort que possible à la tête massive au dessus de lui.
_Elune... Je ne faillirais pas... Je ne...''
La plainte des os du géant parvint aux oreilles de Larairah alors que le corps massif s'effondrait pesamment au dessus de lui. Le petit trot qu'était devenue sa vitesse jusque là prodigieuse lui permit avec un bond d'échapper à l'écrasement et le lièvre disparut un instant dans la poussière soulevée par l'impact.
En émergeant, il se rendit compte que maintenant qu'il n'était plus dans l'ombre du géant, ses forces lui revenaient. Cela tombait plutôt bien car les démons montaient à l'assaut du corps de Grimmbar et ne semblaient pas contre se tailler une part de civet sur la route. Recouvrant ses capacités, le Haut-Roi de Garennes esquiva sans mal les coups portés, se soustrayant à grands bonds des combats que les démons tentaient d'engager contre lui.
''Grimmbar ! Secoue toi un peu mon vieux ! Si tu te relèves pas- Eyh doucement avec cette hache l'ami. Si tu te relèves pas dans trois secondes, je vais devoir aller... Chercher. Du. Secours. Eurk un chien avec des tentacules, on aura tout vu. Et je sais que ça te déplaira plus qu'à moi !'' cria-t-il encore entre deux acrobaties.
Bien qu'il parlait sur le ton de la plaisanterie, il n'échappa pas à Larairah que son camarade était très sérieusement en péril. Son crâne immense disparaissait peu à peu sous les démons qui grouillaient sur lui pour l'entailler de leurs armes. Affaibli, il peinait à bouger ses membres massifs alors que ses yeux écarquillés roulaient dans leurs orbites à la recherche d'une échappatoire.
''Bon d'accord. Tant pis pour la victoire et la gloire, on se contentera de survivre ce soir.''
Le lièvre avisa les abords de la forêt animée avant de partir à fond de train, allant jusqu'à utiliser les grands démons sur sa route comme appui pour ses bonds et pirouettes. En une fraction de seconde, il avait quitté la ligne démoniaque et rejoint celle des tréants et gardiens de la forêt.
Il venait de dépasser cette dernière et d'atteindre le couvert des arbres encore inertes lorsqu'un frisson lui parcourut la nuque, signe qu'une menace était proche. Ses sens ne discernaient pourtant rien de plus et le lièvre s'en trouva confus. C'est alors qu'un poing d'un noir absolu l'atteignit à la mâchoire, le faisant trébucher, basculer en avant, planer puis rouler sur plusieurs mètres dans l'herbe sur laquelle il s'écroula, face la première.
***
La chute de Grimmbar n'avait pas échappé à Mélissé et Huisaile qui s'étaient réunis auprès des combattants forestiers pour les soutenir. Il ne fallut d'ailleurs pas longtemps au papillon spécialiste de la magie pour discerner le sort qui affectait l'Ancien blaireau et repérer ceux qui l'avaient lancé.
''_Que se passe-t-il ? Que lui arrive-t-il, Huisaile ?! demanda anxieusement l'abeille.
_Vous voyez ces deux démons ailés ? répondit l'autre butineur en désignant les nathrezims. Ils ont lancé une malédiction sur Grimmbar, assez puissante pour le terrasser.
_Mais vous pouvez l'annuler n'est-ce pas ?
_Ce sera difficile, au regard de tout le pouvoir qu'ils y ont mis, mais pas impossible. La priorité sera de neutraliser les démons qui ont jeté le sort. Définitivement ou non, c'est une autre question.
_Une question qu'il est inutile de poser. Vous avez bien vu que la seule manière de se débarrasser de ces monstres est de les tuer.''
Contrairement au ton habituellement soucieux qu'elle employait, Mélissé parlait avec autorité et détermination. Ce changement soudain attira l'attention de Huisaile qui détourna les yeux des démons pour les porter sur la reine abeille. Il put ainsi voir avec surprise qu'une longue lance à la lame courbe, effilée comme un dard et dont le manche se terminait par une paire de petites ailes d'insecte, se trouvait maintenant entre ses mains.
''Ne perdons pas plus de temps. L'issue de la bataille et la vie d'un Ancien sont en jeu.''
Se contentant de hocher la tête, Huisaile suivit l'abeille qui volait en direction des Seigneurs de l'Effroi. Dans ses propres mains apparut un bâton constitué de plusieurs symboles runiques façonnés de métal et qui ne tenaient alignés que par la magie qui les animait. Au bout du bâton un cristal flottait entre les pointes d'un croissant de lune qui tournait lentement sur l'axe de l'arme.
Tendant la main vers sa camarade, il fit apparaître sur son corps chitineux tout un éventail de runes destinées à améliorer chacune de ses capacités de combat et en fit de même pour lui.
Aussitôt qu'ils quittèrent la ligne des tréants, une nuée de démons ailés vint encercler les deux Anciens butineurs. Les ennemis qui eurent le malheur de se trouver devant Mélissé furent pris dans un nuage de spores qui donnèrent rapidement naissance à des vignes étrangleuses et les firent chuter. Ceux qui en réchappèrent furent promptement déchirés par la lance de la Reine des Abeilles et par son essaim de garde, ouvrant ainsi une brèche dans la nuée.
Avec une brève incantation de Huisaile, un large faisceau d'arcanes jaillit du bâton de l'insecte qui pivota sur lui-même pour frapper les démons qui l'entouraient. Au passage de la lumière, il ne restait plus des démons qu'un nuage de pacifiques qui volaient au vent...
A grands renforts de magie et de coups de lance, papillon et abeille se frayèrent un chemin jusqu'aux nathrezims sur lesquels ils fondirent sans plus attendre.
***
Lorsqu'ils avaient vu le colosse à fourrure chuter, les deux nathrezims avaient échangé un regard satisfait et s'étaient contenté d'observer leurs troupes monter à l'assaut du corps du géant, le temps pour eux de récupérer de leur exploit. Puis, Dezemoth repéra un de leurs adversaires qui se démenait pour échapper aux armes des démons et le désigna à son camarade.
''Regarde celui-ci, un gibier qui se croit insaisissable.''
Le petit être était rapide et se soustrayait invariablement aux assauts des guerriers de la Légion, sans sembler riposter pour autant. Mais même s'il ne paraissait pas menaçant, il convenait aux seigneurs démons de l'annihiler.
''Rapide, en effet, admit Zalistar. Mais nous verrons s'il est aussi rapide que son ombre.''
Après une brève incantation, le nathrezim jeta sa malédiction sur le lièvre, alors que ce dernier détalait à toute vitesse en direction de la forêt. Suivant son exemple, l'autre seigneur de l'effroi lança un projectile enflammé à l'assaut du fuyard.
''_Tsah ! Tu en es encore à lancer tes boules de feu minables ?! se moqua Zalistar.
_Celle-ci est différente, imbécile. Elle le suivra jusqu'au bout de ce monde ou bien jusqu'à ma mort.
_Alors celle-ci arrivera rapidement, démon !''
La lance de Mélissé fendit l'air là où s'était trouvé le seigneur de l'effroi un instant plus tôt. Les deux démons s'égaillèrent pour se tenir à distance des insectes.
''_Oh vous avez raison de fuir ! Vous ne faites clairement pas le poids face à la magie de ce monde ! tempêta l'abeille.
_C'est bien pour ça que nous sommes venus nous en emparer.'' rétorqua le démon avec un ricanement.
Lorsqu'ils leur firent de nouveau face, les Anciens remarquèrent des lueurs dansantes entre les mains des nathrezims, des lueurs que Huisaile reconnut comme les runes qu'il avait posées quelques temps plus tôt. Les deux insectes échangèrent un regard : les motifs sur leurs corps avaient disparus.
''Oh excusez moi, dit Zalistar avec un sourire mauvais. C'est à vous ?''
Libérant les runes entre leurs griffes, les deux démons s'en imprégnèrent jusqu'à ce qu'elles luisent sur leurs corps, de la lueur verte caractéristique de leur magie.
Puis ils fondirent sur les Anciens.
***
Grimmbar sentait des fourmillements tout le long de son corps, sans savoir s'ils étaient dus à ses membres engourdis ou à la multitude de vermines démoniaques qui grimpait sur lui.
Qu'est-ce qui se passe ?! Qu'est-ce qu'ils m'ont fait ?!
Ces questions avaient résonné dans l'esprit de l'Ancien au moment où il chutait. Et même si son corps était jeté au sol par la malédiction, son esprit volait encore dans les hautes spires de la colère.
Fils d'Elune ! A genoux devant personne d'autre qu'Elle ! Je ne faillirais pas ! Je ne ploierais pas !
A terre, il tenta de se relever mais ses membres semblaient aussi lourds pour lui que pour ceux qu'il écrasait quelques instants plus tôt. A quoi bon être une montagne quand on avait plus la force de la soulever ?
Je vous tuerais tous ! De mes crocs ! De mon souffle !
Il avait vu le lièvre fanfaron s'agiter devant son regard embrumé, point minuscule et abstrait. Sans doute se moquait-il encore de lui, comme à son habitude. Puis il s'était souvenu le plan : Si Grimmbar flanche, alors le lapin devrait aller chercher des secours.
Et alors tous verraient qu'il avait échoué.
Non ! Je vais me relever ! Je peux me relever ! Ne pars pas ! Pas maintenant !
Il avait essayé de se relever de toutes ses forces, mais ces dernières s'étaient évanouies avec la malédiction. Il avait du regarder, impuissant, la petite tâche d'un brun clair qu'était le lièvre disparaître de son champ de vision. La honte vint alors l'accabler, plus sûrement encore que le faisait le mauvais sort.
Elune... Donne moi la force...
Aux abois, ses yeux roulaient dans leurs orbites avant de se poser sur la lune qui se révélait dans le ciel à mesure que le soleil tombait. Ce fut la dernière chose qu'il vit avant que les démons grouillant à l'assaut de son visage ne le forcent à clore les paupières.
Tortoka/Djigzyx
Re: Les Anciens Signifiants
''Grimmbar est tombé ! Grimmbar est tombé !''
L'appel de Hermez avait attiré l'attention de Rattatast et Houd qui d'un rapide coup d’œil -ou de vision arcanique dans le cas de l'Aveugle- purent confirmer la véracité de ses cris.
Prenant alors de la distance avec leur adversaire, ils s'efforcèrent de rester hors de portée de ses assauts le temps de partager leurs pensées sur une nouvelle stratégie.
''_Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on fait ? Il faut qu'on aille l'aider, non ? Le temps que les renforts arrivent, oui ?!
_Et tourner le dos à ce démon-ci ? répliqua Rattatast. Mauvaise idée si tu veux mon avis.''
L'érédar, qui continuait de les bombarder de projectiles ne put visiblement retenir un cri triomphant à l'adresse des animaux gardiens :
''Oh oui, votre grand ami est tombé ! Et vous êtes les prochains à mordre la poussière !''
Tendant la main vers ses adversaires, le démon fit s'abattre sur eux une pluie de roches enflammées. Et si Houd parvenait à dévier chaque projectile d'un coup bien placé de ses lames, Hermez et Ratatast ne savaient plus sur quel pied ou de quelle aile danser.
''_Houd ?! C'est toi qui avait un plan au départ ! Alors on fait quoi maintenant ? réclama l'écureuil entre deux efforts pour sauver sa queue des flammes.
_On accélère le processus. Il faut que ce démon soit neutralisé le temps que je ferme leur portail.
_Ha ben oui c'est évident, pourquoi je pose la question ?''
Profitant d'une accalmie dans la tempête de flammes, Houd usa à nouveau de mots de pouvoir antiques pour faire taire le démon :
''_Na'ai ! Immobilisez le maintenant et empêchez le de recouvrer la parole ! Moi je m'occupe de ce portail.
_Mais comment est-ce qu'on doit... ? Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? s'enquit Hermez après le départ de la taupe.
_On passe à l'instant krunch ma petite ! On donne tout ce qu'on a ! C'est maintenant ou jamais !''
Brandissant le Gland Sacré, Rattatast enfonça la graine dans le sol et fit jaillir aux pieds de l'érédar d'innombrables sarments. Ces derniers saisirent d'abord les chevilles du démon pour le maintenir en place puis grimpèrent rapidement tout le long de son corps, s'enroulant autour de ses bras et de son cou, l'immobilisant et l'étouffant.
''Et krunch...'' ricana l'écureuil avec un sourire mauvais.
Incertaine quant à ce qu'on attendait d'elle, Hermez se décida à suivre le conseil de son compère rongeur et commença à tourner autour du sorcier, en appelant à la puissance des vents. Une tornade ne tarda pas à se former et envelopper le démon qui disparut dans le tourbillon de poussières et de débris végétaux.
Après cela, la furette vint rejoindre Rattatast qui regardait la scène avec un air satisfait.
''_C'était bien ? lui demanda-t-elle, essoufflée.
_C'était très bien !
_Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
_On attend que Houd en ait fini avec le portail je suppose.
_Oh d'accord...''
Et les deux Anciens à fourrure s'assirent devant la tornade, commentant parfois le passage du visage déformé par la rage du démon dans le cyclone.
***
Houd de son côté, avait atteint le bord de l'escarpement contre lequel était ouvert le portail démoniaque, grande faille donnant sur le Néant.
De sa vision arcanique, il put jauger l'ampleur et la complexité de ce sortilège qui permettait à des effectifs de plusieurs centaines de soldats et d'abominations d'entrer dans la réalité de son monde. Après avoir couru toute la largeur du portail, la taupe décida de creuser le sol afin de l'inspecter sur sa hauteur dans le but de trouver le meilleur point par lequel commencer son travail de sape magique.
Le sortilège était remarquablement stable, constitué d'un maillage de magie démoniaque complexe qui tenait solidement ouverte la brèche dans la réalité.
Et après une rapide inspection, Houd arriva à la conclusion que même le point le plus faible du sortilège restait assez puissant pour que l'exploiter réclame une certaine maîtrise et un certain temps. Sans en perdre plus, l'Ancien fouisseur abandonna ses lames et se mit donc au travail, commençant les incantations en langue démoniaque.
***
''_On devrait peut-être aller aider la grenouille et le crapaud, non ? demanda Hermez alors que l'érédar passait encore une fois devant eux, battant des bras dans le tourbillon.
_Naaan, ils s'en sortent très bien.'' répondit Rattatast sans même jeter un regard au combat qui avait lieu derrière eux.
Sans quitter des yeux le spectacle du démon emprisonné dans la tornade, l'écureuil faisait sauter de petits grains de maïs dans sa gueule. Il en proposa un à sa voisine mais lorsque la graine jaune entra en contact avec les pattes électrifiées de la furette, elle sauta dans un petit pop et roula sur le sol, devenant blanche et boursouflée, ce qui provoqua un sursaut chez les mammifères.
''_...Ne me touche plus. Jamais, dit Rattatast après s'être penché sur le sort de la graine fumante. Eyh... Tu veux jeter des orties dans cette tornade pour voir si ça le chatouille ou si ça le grattouille ?
_Euh... Oui !''
S'élançant à la suite de l'écureuil qui accourait au plus près du cyclone, Hermez renifla le grain de maïs cuit avant de l'engloutir.
***
A force de grands coups de masse, Tlop était parvenu à briser l'arme du seigneur des abîmes. Malheureusement, cela signifiait que son adversaire avait maintenant deux immenses coutelas entre ses mains, dont il fendait l'air en direction du guerrier crapaud. Habile mais lourd, le démon donnait l'impression de vouloir écraser l'Ancien avec ses poings plutôt que de l'empaler. Sa première lame vint s'enfoncer dans le sol, là où Tlop s'était trouvé un instant plus tôt, puis la seconde s'abattit tout aussi lourdement, manquant encore sa cible. Pris entre les deux bras immenses de l'annihilan, le crapaud frappa alors son adversaire aux coudes.
L'Ancien voulut enchaîner avec un coup au visage mais fut repoussé par un nouveau souffle de flammes vertes. Projeté en arrière, son corps dévoré par le feu démoniaque fut presque aussitôt guéri par une cascade d'eau que lança la Reine Grenouille, et même la douleur des brûlures s'en fit rapidement oubliée.
''_Rendez les armes maintenant démon, prévint le crapaud après s'être relevé. Et je promets d'en finir rapidement avec vous.
_Pfah ! Tu ne finiras rien du tout si tu dois défendre cette verrue toujours dans ton dos.'' rétorqua le démon avant d'entamer l'incantation rapide d'un sortilège.
Tlop voulut bien évidemment se jeter sur son ennemi pour lui faire ravaler ses paroles, mais une pluie de roches enflammées qui tombait au dessus de sa reine le força à faire machine arrière.
Bondissant sur le trône de Cwalcwutlicwa, le crapaud leva son bouclier au dessus de sa tête, les protégeant des projectiles brûlants, lui et la grenouille.
Cette dernière, sans même se lever agita négligemment la main. Son siège aqueux pivota alors sur lui-même, envoyant une puissante vague d'eau percuter le démon qui avait commencé à les charger, ce qui le stoppa net et offrit l'opportunité à Tlop d'attaquer une fois la pluie de feu passée.
Le gardien crapaud envoya alors sa targe à la face de son adversaire contre laquelle elle rebondit avec un bruit clair. D'un coup de langue, il se saisit de son bouclier et le fit rebondir encore sur le crâne du démon. Ce dernier, excédé, agrippa la longue langue et enroula autour son poignet.
Tirant sèchement l'Ancien combattant à lui, l'annihilan le cueillit de son énorme poing, l'envoyant en l'air avant de le ramener à nouveau contre ses phalanges.
Cwalcwutliwa, plutôt que de regarder son gardien se faire ainsi malmener, fit pivoter son siège pour observer ce que faisaient les autres Anciens. Elle vit ainsi l'écureuil et la furette dangereusement près d'une large tornade, le rongeur faisant pousser des arbres que sa camarade abattait d'un coup de foudre afin qu'ils soient plus rapidement aspirés par le tourbillon.
Ils semblaient s'amuser.
Alors que Hermez alimentait à nouveau les vents de la tornade en tournant autour, la grenouille revint au combat de son compagnon amphibien. Ce dernier était parvenu à se libérer de la poigne de son adversaire en abattant sa masse sur la main qui le tenait et harcelait maintenant les flancs de l'annihilan de grands coups que le corps lourdaud ne pouvait éviter.
Lorsque le démon réussissait à pivoter pour frapper le crapaud de ses lames, l'Ancien opposait sa targe aux assauts et contournait l'imposante masse d'écailles vertes pour frapper de plus belle ses pattes et ses côtes. Peu à peu, Tlop poussait son adversaire en arrière, le forçant à rester sur la défensive malgré un armement qui n'était plus du tout adapté à ce rôle.
Un spectacle que Cwalcwutlicwa pouvait apprécier.
Et justement, de nouveaux éléments entrèrent en scène lorsqu'une escadre de grands démons ailés, talonnée de plusieurs de leurs camarades terrestres, vint porter secours à l'annihilan. En réponse à leur intervention dans son combat, Tlop éructa dans un coassement grave un crachat verdâtre qui toucha au visage un de ses ennemis volants, ce dernier dégringolant au sol.
Ce n'en était cependant qu'un parmi une dizaine et le Gardien Crapaud dut abandonner son assaut sur le commandant démoniaque pour bondir à la rencontre de la nuée qui piquait sur lui. Il avait beau n'être qu'à demi aussi haut que ses adversaires, cela n'empêcha pas sa force prodigieuse de jeter au sol les premiers rangs des démons qui s'agglutinèrent alors autour de lui, pour le tailler de leurs lames. Et malgré que ses ennemis étaient supérieurs en nombre et plus à l'aise dans les airs, Tlop se battait comme un beau diable, jouant de sa langue et de ses jambes musculeuses pour bondir dans la mêlée, briser les os de ses adversaires et les faire choir.
Pour stopper l'Ancien combattant, plusieurs démons jetèrent leurs armes et vinrent le saisir aux bras et aux jambes, se jetant sur le crapaud comme une nuée de rapaces affamés. Et même lorsque sa masse chuta, Tlop se débattait encore rudement, distribuant des coups jusqu'à ce que ses membres soient tenus immobilisés, crachant au visage de ses ennemis jusqu'à ce qu'ils tirent sa langue hors de sa gueule.
En contrebas, l'annihilan avait voulu monter à la charge de la Reine Grenouille mais cette dernière, grâce à sa magie, avait changé le sol ses pieds en une mare dans laquelle il s'était embourbé avec sa garde démoniaque.
Fulminant, le seigneur des abîmes lui rugit alors :
''_Viens te battre misérable pustule ! Penses tu réellement pouvoir rester assise ici et défier ainsi la Légion Ardente ?!
_Je le pense oui, déclara Cwalcwutlicwa qui était visiblement ennuyée de devoir s'adresser au démon. Et je n'ai pas pour habitude de participer aux spectacles que l'on donne en mon honneur.''
L'annihilan voulut maudire l'Ancienne, mais un crachat d'eau lancé à pleine vitesse vint tremper son visage enflammé, le faisant taire. Les deux adversaires se tournèrent alors vers le combat au dessus de leurs têtes et lorsque ce dernier tourna en défaveur du défenseur d'Azeroth, le démon ricana.
''_On dirait que ce monde va perdre un gardien finalement. Et vous aussi, annonça-t-il à l'adresse de la Reine Grenouille. Un dernier mot avant que moi et mes sbires faisions de vos cadavres un festin ?
_Hmf. 'La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe'.'' répondit Cwalcwutlicwa avec dédain.
Après ses mots, plusieurs cadavres ailés chutèrent devant les yeux du démon et de l'Ancienne et vinrent rejoindre leurs semblables déjà abattus.
''Fort heureusement, vos sbires me semblent plus proches de la mouche que de la colombe. Regardez comme ils tombent.'' dit la grenouille, satisfaite.
D'abord interloqué, le visage du seigneur des abîmes se tordit en une grimace furieuse lorsqu'il vit ce qui restait de l'escadre volante dégringoler à son tour, suivie de l'Ancien batracien, pour sa part bien vivant.
Alors que son corps était tiré en tout sens, lacéré par des griffes noires et tenu fermement pour une exécution sans cérémonie, l'amphibien en avait appelé à ses défenses les plus primaires et commencé à sécréter par tous les pores de sa peau un poison virulent. Foudroyé par la puissance du venin, les démons qui le retenaient avaient lâché prise avant de s'écrouler. Le crapaud désarmé s'était ensuite jeté sur les autres, son seul contact ayant suffi à les abattre.
Maintenant, l'Ancien se laissait tomber à la rencontre des démons au sol, son corps luisant du poison libéré. Se réceptionnant sur ses jambes de batracien, il se lança contre la garde armée du seigneur des abîmes. Là encore, son contact mortel fit des ravages et la droite du seigneur des abîmes fut promptement débarrassée de ses troupes.
D'un coup de langue, Tlop récupéra sa masse d'or maintenant couverte de boue et bondit par dessus l'annihilan pour dégarnir son autre flanc. Le démon, qui se débattait furieusement dans le marais que le crapaud courait sans difficulté aucune, commença à rugir une incantation mais un grand coup de massue dans une de ses pattes massives le fit s'embourber plus encore dans la vase.
Lorsque il en eut fini avec les gardes démoniaques, Tlop frappa au crâne le seigneur des abîmes qui se relevait pour le jeter à nouveau dans la boue. Le tenant en joue de la tête de sa masse d'arme il lui dit alors :
''Par deux fois vous avez insulté ma reine, démon. Je vais maintenant vous arracher la langue.''
***
Larairah se releva en se massant la mâchoire, tombant nez à nez avec une silhouette plus noire que la nuit. Une silhouette de lièvre.
''Oh eyh, un nouveau concurrent...''
Un examen plus attentif lui permit de voir que les jambes du lapin d'ombre commençaient là où les siennes touchaient le sol, ce qui lui fit pousser un sourire fier.
''Et finalement un adversaire à ma mesure. Bon alors, tu veux faire la course ?! A vos marques. Prêts. Partez !''
Départ lancé.
Sa nuque se hérisse. Larairah bondit sur place, sentant sous ses pieds la chaleur de la boule de feu qui le dépasse. Il se réceptionne sur ses deux pattes, voit le projectile bifurquer et revenir sur lui. L'ombre se jette elle aussi à l'assaut.
Le Prince aux Mille-Ennemis en a maintenant deux de plus et sans attendre il s'élance dans les bois.
Rapide coup d’œil en arrière pour jauger la vitesse de ses poursuivants. La boule de feu traîne à l'arrière, mais la sombre copie le talonne, si près qu'elle tente de le frapper à plusieurs reprises, le forçant à faire de grands écarts dans sa course.
À gauche.
À droite.
En hauteur.
À ras du sol.
Sans surprise, elle est partout où tombent les ombres dans la forêt. Jaillit de chaque monceau de végétation, fendant l'air de ses bras acérés comme des lames. Et avec le soleil qui tombe sur l'horizon, ça n'ira pas en s'arrangeant.
À droite, en hauteur, à gauche, au sol, sauts retournés, roulades, rentrer le ventre, rester souple sur ses appuis. Le rythme s'accélère à mesure que l'ombre apprend des mouvements de sa proie.
Petite maligne.
Harcelé par ses poursuivants, Larairah s'esquive, se contorsionne, donnant l'impression que son corps est liquide. Parfois, une longueur de poil est tout ce qui le sépare d'un mauvais coup.
Loin de s'en plaindre, le lièvre n'aurait de toute façon pas trouvé cela amusant si ça n'avait pas été dangereux.
''Pas mal mais je suis sûr qu'on peut faire mieux. Et si on se donnait un bon coup de collet ?! Façon de parler, évidemment !''
Le Haut-Roi de Garennes mène maintenant ses adversaires dans les arbres, court le long d'un tronc puis saute de branches en branches pour atteindre le sommet. Fugitivement, il aperçoit son ombre qui taille les feuillages sur son passage.
Arrivé au sommet, il perce la cime de l'arbre, en avise un nouveau et y bondit.
Rapide coup d’œil en arrière pour constater que la boule de feu a embrasé et consumé son premier perchoir en le suivant. Elle a maintenant pris la forme d'un long serpent de feu vert qui ondule dans sa direction.
''Ha oui... J'avais oublié ce détail.''
Son ombre est déjà sur lui, le forçant à remettre ses observations à plus tard. Il bondit au moment où son adversaire tranche net le sommet de son arbre, se réceptionne sur un autre.
Puis un autre.
Et encore un.
Le double ténébreux ne lui laisse pas de répit et chaque géant de bois qu'il quitte est enflammé par le monstre de feu qui gagne alors en taille et en vitesse.
''Bon ! On dirait que quelqu'un a besoin qu'on refroidisse ses ardeurs maintenant !''
L'Ancien retrouve le sol et tout ce qui ne se trouve pas immédiatement devant lui devient flou alors qu'il accélère encore la cadence.
Cette fois il mène ses assaillants à une rivière qu'il remonte à la force de ses pattes, et la forêt défile de chaque côté de sa vision. Le bruit des éclaboussures qu'il projette couvre à peine le grondement du brasier lancé à ses trousses.
Son ombre le suit toujours et c'est en baissant un instant les yeux qu'il la voit sous ses pieds, courir le lit de la rivière.
Bientôt, le long ruban d'eau si vite parcouru laisse place aux flancs rocheux du mont Hyjal.
Nouveau coup d’œil en arrière qui permet au lièvre de constater que le serpent de flammes n'a pas beaucoup perdu de sa taille. Son ombre jaillit parfois d'une crevasse ou d'un repli rocheux et le force à bifurquer régulièrement dans sa course sur les pentes abruptes.
''Rien ne vous arrête, hein... Ça tombe bien parce que moi non plus.''
En effet, même lorsque le terrain devient vertical, il semble que ni Larairah ni ses poursuivants ne se soucient de ce que la gravité a à redire sur leur course.
''Un pied au dessus de l'autre jusqu'à ce qu'on se brûle les ailes ! Oh mais tu es déjà tout feu tout flammes, ça doit pas te déranger.''
Il rit mais le poids de ses efforts commence à se faire sentir. Pourtant les sortilèges lancés contre lui le poursuivent sans relâche. Il avait déjà été la cible de sorts et de malédictions, mais jusque là aucun qui soit aussi tenace !
Bientôt, le lièvre culmine à plus de mille mètres au dessus de la forêt qu'il vient de quitter.
Il freine sa course, prend appui des deux pattes sur la roche et se propulse dans les airs. Exécutant une large parabole, il étend les bras de côté, laisse le vent courir sur sa fourrure.
En se tournant vers ses poursuivants, il ne voit plus trace de son ombre, mais le serpent de flammes infléchit aussitôt sa trajectoire pour le rejoindre. Malgré tout, Larairah profite de ce court répit pour souffler.
A tout donner, il s'épuisait rapidement, contrairement à ses poursuivants magiques qui ne connaissaient pas la fatigue. Et s'il voulait les semer, le Prince aux Mille-Ennemis allait devoir ruser et faire fonctionner son cerveau au même régime que ses jambes.
En suspension dans les airs, il jauge avec un sourire fin le monstre de feu émeraude qui lui arrive dessus. D'une de ses multiples sacoches, il extirpe une vesse-de-loup, l'écrase entre ses mains et disparaît dans un nuage de spores. A sa place, cinq lièvres à son image se déploient dans les airs. Ils s'évaporent cependant rapidement lorsque les flammes vertes les enveloppent l'un après l'autre.
Malgré cela, leur brève diversion permet à Larairah de gagner encore de l'avance sur le sortilège et plus encore, d'apprendre que la magie des démons pouvait être leurrée.
En chute libre, le lièvre pique droit sur la forêt et dévale la distance qui le sépare du sol, le vent sifflant à ses oreilles. Dans son dos, il sent la chaleur du serpent de flammes revenu à sa poursuite et qui gagne du terrain alors que lui reste cantonné à sa vitesse de chute.
Pour pallier ce problème, Larairah commence alors à courir dans les airs, laissant son poursuivant et les lois de la physique sur le carreau. Il gagne en célérité, le sol approche à toute vitesse, le vent hurle et bientôt le lièvre peut distinguer son ombre en contrebas. Comme il le pensait, où qu'il soit elle l'attendrait sur le plancher des taurens. Fort heureusement il a un plan pour s'en débarrasser et cela implique une source de lumière puissante.
Chance, il y en a une juste derrière lui qui ne semble pas vouloir le lâcher non plus.
A mesure qu'il approche, la silhouette de son ombre se précise. Elle se tient immobile, le fixe et ce n'est que lorsqu'il dépasse la cime des arbres qu'il la voit se tenir prête à porter un coup.
Confiant, il ne ralentit pas, continue de foncer à la rencontre de son adversaire, court vers un impact qui semble imminent.
Puis en un clin d’œil, le lièvre se trouve dans le dos de sa copie ténébreuse qui se retourne aussitôt pour engager le combat.
Elle frappe, taille et tranche. Lui esquive, bondit, s'aplatit au sol. Concentré, il ne perd plus de temps en palabres, se contente de rester entier.
Et pourtant, alors qu'il semble s'empêtrer dans ce pugilat, il est aussi en train de tourner autour du lieu du combat, à pleine vitesse.
Le serpent de feu ne tarde pas à les rejoindre et entre dans le cercle de course du lièvre, il tourne, tourne, ses deux extrémités se font indistinctes alors qu'il devient rapidement un anneau de flammes tourbillonnantes.
L'ombre rétrécit, faiblit, cernée par le cercle de feu qui s'emporte, se consume, se referme sur lui-même. En quelques secondes, les deux sortilèges disparaissent dans un dernier crépitement de feu émeraude.
Larairah, sortant d'un buisson à quelques pas de là, pousse alors un petit ''wouhou'' avant de se laisser tomber au sol. Les battements de son cœur se sont mus en un bourdonnement continu et des étoiles dansent devant ses yeux. Mais malgré son essoufflement et la sueur perlant sur sa fourrure, le lièvre affiche un air satisfait. Tout son corps le brûle des efforts consentis pour être à deux endroits à la fois et ses jambes encore flageolantes le forcent à garder les quatre pattes à terre.
Sa nuque se hérisse. Cette fois pourtant la vitesse lui fait défaut. Il bondit en avant pour esquiver le coup venu dans son dos, mais trop tard. Le lièvre sent un tranchant froid lacérer la chair de sa patte droite. Il s'écroule dans l'herbe, se relève aussitôt, faisant quelques pas boiteux. A trois pattes au lieu de quatre et dans son état, il aura beaucoup de difficultés à sauver sa peau.
Larairah jura lorsqu'il reconnut, à travers sa vision obscurcie par la fatigue, son ombre qui n'avait pas été vaincue. Lui et les démons se connaissaient à peine et pourtant ils l'avaient maudit plus implacablement que n'importe quel autre de ses ennemis.
Le lièvre prend la fuite, tourne le dos à sa sombre copie. Il clopine à toute vitesse vers un arbre, sachant que son ombre ne peut pas l'atteindre tant qu'il est dans les airs. Comment il va y rester, il n'en a aucune idée car il est trop épuisé pour échapper à la gravité, mais plus haut il bondira et plus de temps il aura pour y réfléchir.
Il saute sur une branche, voit que son ombre y est déjà. Celle-ci frappe, ouvre une large estafilade à son épaule et coupe nette la branche. Il tombe à terre, la voit fondre sur lui, roule au sol. A bout de souffle, il peine à se relever. Sa copie toute de ténèbres faite l'empoigne alors par les oreilles et lui redresse la tête. Elle lève un bras acéré, ou deux car il commence à voir double. Il se débat mollement, se demande si être tué par son ombre équivaut à mourir de sa propre main.
A travers les brumes de son esprit il voit le couperet s'abattre vers sa gorge. Puis l'ombre s'évapore, sa tête retombe au sol. Il cligne des yeux, se masse la gorge, peinant à croire qu'elle est encore intacte, puis il pousse un long soupir.
Rampant sur le sol de la forêt, il vient se lover contre les racines d'un arbre et extirpe douloureusement de longues bandes d'herbes d'une de ses sacoches pour s'improviser des bandages. Ne pas fermer les yeux, pas encore. D'abord la survie et ensuite le repos.
***
Huisaile avait d'urgence du reproduire les runes sur son corps et celui de la Reine Abeille afin de rééquilibrer leur combat contre les démons. Ces derniers profitaient d'ailleurs de leurs avantages dérobés pour harceler les Anciens de coups fulgurants suivis de retraites rapides.
Pour faire front commun, abeille et papillon ne s'éloignaient pas l'un de l'autre de plus d'une envergure de leurs ailes et l'essaim carnassier de la Reine faisaient au mieux pour couper les deux seigneurs démons d'éventuels renforts. Melissé pour sa part ne se contentait pas de posséder une lance, elle savait la manier avec brio. La lame siffla dans l'air avec un grincement insectoïde lorsqu'elle vint rencontrer les griffes enflammées de l'un des nathrezim. D'un geste expert, l'abeille ramena l'arme à elle et frappa de taille, lacérant la chair de son adversaire qui se retira, le temps que sa blessure s'estompe dans les flammes.
Ne semblant jamais prise au dépourvu, Melissé parvint à déjouer l'assaut du nathrezim des ombres lorsque celui-ci surgit dans le dos de l'Ancien papillon. Elle jeta sa lance contre leur adversaire et l'arme, dotées d'ailes, s'envola à la rencontre du démon, lacérant son bras au moment où il frappait. Et même lorsque des escadres de démons volants franchirent le blocus d'abeilles pour se joindre au combat, toute tentative d'assaut coordonné de la Légion fut réduite à néant lorsque la Reine des Abeilles entama une danse gracile dans les airs, ses mouvements guidant ceux de sa lance qui pourfendait et taillait les effectifs démoniaques.
Huisaile de son côté, parvenait à défaire chaque sortilège et déjouer chaque assaut magique lancé par les démons. Des chauve souris de ténèbres ou de flammes lancées sur les Anciens, le Papillon Runique faisait des libellules de verre coupant qui se retournaient contre les démons, les boules de feu étaient soufflées comme des bougies et lorsqu'un des seigneurs de l'effroi voulut donner corps aux ombres, l'Arlequin s'empara de toute la noirceur délivrée et la remodela, la colora et la dispersa en une pluie de gouttelettes qui auréolèrent les défenseurs d'Azeroth d'un arc-en-ciel.
Les runes de ses ailes luisaient avec force et se réorganisaient constamment avec la précision d'une horlogerie minutieuse. Il ne semblait pas y avoir d'autre limite à cette magie que l'imaginaire du papillon et le seul souci de ce dernier était de produire de la beauté, là où les démons lui envoyaient l'horreur.
Cette débauche de magie requérait cependant que Huisaile resta immobile, et il ne pouvait alors que compter sur l'adresse de sa comparse pour le défendre d'assauts plus directs. Mais tant que les deux Anciens restaient proches l'un de l'autre, il semblait qu'ils ne pourraient être vaincus.
Les démons le remarquèrent bien eux aussi et c'est pourquoi le manipulateur d'ombres hurla soudainement :
''Obscurité !''
Un voile de ténèbres tomba soudainement sur les yeux de Melissé qui se crut perdue dans le néant absolu. Dans le noir total, elle ne distinguait plus rien d'autre qu'elle même et sa lance lorsque cette dernière lui revint en mains. Anxieuse, elle faisait courir son regard de tous côtés.
''_Plus si vigilante maintenant, ricana Zalistar quelque part dans les ténèbres.
_Je n'ai nul besoin de vous voir pour vous affronter, démon ! Votre puanteur suffira à guider ma lame vers votre cœur noir.''
Son anxiété rapidement dissipée, Melissé resta immobile, attentive à tout ce que ses sens pouvaient lui rapporter. Elle entendit siffler les griffes du démon qui fondaient sur son visage de chitine et leva son arme pour parer le coup. D'autres assauts fusèrent contre elle, qu'elle détournait avec moins d'habileté que d'ordinaire. Ainsi harcelée et plongée dans les ténèbres, l'abeille était peu à peu poussée loin de son compagnon.
Ce dernier, qui avait voulu voler à son secours sitôt que la gangue noire s'était abattue sur ses yeux, s'était trouvé intercepté par des anneaux de flammes qui l'avaient encerclé. L'entrave ne dura que le temps qu'il la souffle d'un puissant battement d'ailes, mais alors qu'il repartait, c'était Dezemoth qui lui barrait la route, complètement immolé de flammes vertes.
''Votre magie pitoyable ne vaut rien devant les dons du Feu et du Chaos !''
D'un coup de griffes, le seigneur de l'effroi voulut lacérer les ailes runiques de Huisaile qui s'esquiva vivement.
''Vos palabres sont aussi grotesques qu'inutiles.'' rétorqua le papillon en enfonçant son bâton dans le buste du nathrezim. Ce dernier, frappé par les arcanes, resta tétanisé au bout de l'arme dont les runes commençaient à se réaligner.
''Il y a plus à la magie que les flammes et la destruction, expliqua froidement Huisaile. La magie est vent. La magie est eau. La magie est plante et animale. Elle est la vie et la création. La magie est tout !''
Libérant un flot de puissance arcanique dans le corps du démon, l'Ancien imposa à son adversaire plusieurs métamorphoses pour illustrer ses propos. Le corps du seigneur de l'effroi devint tour à tour nuages, eau, glace, écorce, pétales et amas d'insectes grouillants avant d'exploser en une myriade d'éclats de cristal.
D'un battement d'aile puissant, le Papillon Runique précipita les restes du démon en contrebas et se porta au secours de sa comparse.
Melissé, toujours plongée dans les ténèbres, s'était laissée entraîner dans une joute infernale. Le démon se faisait plus audacieux dans ses frappes, mais aussi moins prudent et en réponse, l'abeille devenait plus téméraire et agressive. La lance et les griffes sifflaient dans l'air, le démon avait écopé de longues estafilades sanglantes et la chitine de la Reine Abeille s'était trouvée éventrée en plusieurs endroit de son corps.
Puis le démon cessa soudainement de bouger. L'Ancienne ne se posa pas de question sur la raison de cet arrêt et saisit l'occasion pour empaler son adversaire, sa lance s'enfonçant avec un crissement étouffé dans ses chairs. La Reine sentit le poids du seigneur de l'effroi disparaître au bout de son arme alors que son corps se consumait. La lumière commença à revenir à ses yeux. Mais alors que le sort d'obscurité s'estompait, Melissé sentit une présence dans son dos et frappa sans hésiter.
Pensant qu'il s'agissait du second seigneur démon, l'abeille avait fait tourner sa lance entre ses doigts pour planter son adversaire, là où elle pensait trouver le buste du nathrezim.
Cependant, ce qu'elle trouva à l'autre bout de sa lame, en se retournant, la figea d'effroi.
''Huisaile !'' cria-t-elle en reconnaissant l'homme-papillon.
Figé dans une expression de surprise, l'Ancien poinçonné bascula en arrière, glissant le long de la lame où son sang se mêlait maintenant à celui des démons. Et alors qu'il chutait vers le sol, Melissé en appela à son essaim de garde pour le retenir. Affolée, il fallut peu de temps à la Reine pour rejoindre son ami affalé sur le nuage d'abeilles et se trouver à son chevet. Tout en se confondant en excuses, elle fit apparaître une mesure de miel doré dans sa main.
''Je suis désolée ! Terriblement désolée ! Je n'ai pas voulu... J'étais ensorcelée ! S'il vous plaît pardonnez moi ! Prenez ceci, vite. Ça vous remettra d’aplomb... Je suis tellement désolée. Restez avec nous, s'il vous plaît. S'il vous plaît.''
Les runes qui constituaient les ailes de l'Arlequin avaient perdu de leur éclat, signe des forces déjà perdues par l'Ancien papillon. Ce dernier parvint tout de même à tendre sa trompe vers la gelée royale qu'on lui offrait et se nourrit du précieux nectar. Rapidement ses ailes retrouvèrent leur radiance et Melissé appliqua précautionneusement le miel comme un onguent sur la chitine perforée qui commença bientôt à se refermer.
''_La malédiction... Il faut lever la malédiction, commença le papillon en reprenant ses esprits. Ensuite...
_Ensuite le lièvre reviendra avec de l'aide. S'il est aussi rapide qu'on le dit, cela ne saurait tarder. Reprenez vos forces, nous aviserons par après.''
Les abeilles sur lesquelles reposait Huisaile modifièrent leur formation afin que l'Ancien se redresse face au blaireau colossal en détresse. Les runes de son bâton et de ses ailes se réalignèrent une fois de plus et la magie qui affligeait Grimmbar se dissipa, en telle quantité qu'on pouvait la voir quitter le corps du géant sous la forme de volutes noirs.
Melissé, redevenue anxieuse, observait la scène avec insistance, semblant attendre plus que la simple levée du maléfice.
''_Pourquoi ne se relève-t-il pas ? Pourquoi ne retourne-t-il pas au combat ?
_Il doit lui aussi retrouver ses forces, sans doute, expliqua le papillon qui avait pour sa part recouvré les siennes. Et malheureusement il n'a pas reçu de votre précieuse gelée royale pour l'y aider.
_Alors allons lui en apporter. Et profitons en pour le débarrasser de ces démons. Ils le couvrent presque entièrement !''
De concert, les deux insectes s'élancèrent à la rescousse du colosse abattu, couverts dans leur avancée par la lance dansante et l'essaim d'abeilles carnassier.
***
Depuis qu'il avait chuté, un véritable chantier s'était installé sur le dos de Grimmbar. Les démons avaient lancé de grandes chaînes par dessus son corps pour l'entraver et leurs tentatives pour percer le cuir épais de l'Ancien avaient des allures d'opérations de forage. De concerts, ils abattaient leurs lourdes armes sur des plaies qui étaient ensuite bombardées de sortilèges destructeurs. Attirés par le festin, d'imposants gangrechiens couvraient le corps immense tel d'innombrables sangsues qui se repaissaient de sa magie.
Ainsi, lentement mais sûrement, la Montagne Grondante avait commencé à perdre de sa stature.
Lorsqu'il sentit le sortilège qui pesait sur ses épaules se dissiper cependant, l'Ancien réunit assez de forces pour se mouvoir et se dresser sur ses quatre pattes, faisant sauter une à une ses entraves et dégringoler de son dos les démons qui n'y étaient pas proprement ancrés.
Sentant les chiens dévoreurs de magie toujours agglutinés dans sa fourrure, comme des tiques de la pire espèce, le grand blaireau fit ce que faisaient la plupart des mammifères lorsqu'ils en avaient assez des parasites et lacéra le sol de ses griffes, soulevant des pans de terre et d'armée démoniaque.
Huisaile et Melissé qui venaient de se frayer un chemin jusqu'au colosse durent garder leurs distances alors que leur camarade ouvrait un gouffre dans la terre. Aussi, à défaut de lui venir en aide directement, ils s'en prirent aux démons qui tentaient encore de contenir ses mouvements pesants et dévastateurs.
Et lorsque la Fureur du Terrier eut fini d'en creuser un à sa mesure, il s'engouffra à l'intérieur et s'y roula, écrasant dans la boue et les roches les démons encore accrochés à lui. Puis il cessa de bouger, seule sa tête et ses griffes massives dépassant encore de sa tanière.
Huisaile et Melissé, volèrent à sa rencontre, l'abeille tenant une nouvelle mesure de miel dans sa main.
''_Ancien, prenez ceci pour vous remettre de vos blessures, dit-elle en appliquant le gelée royale sur les grandes lèvres noires. Vous devez vous relever et combattre. L'issue de ce combat dépend de vous !
_L'issue de cette bataille dépend maintenant d'Elune...'' déclara Grimmbar d'une voix rauque, après s'être pourléché les babines.
Sa respiration était lourde, et son corps massif frémissant. Ses immenses griffes balayaient presque négligemment les démons qui se lançaient à l'assaut du terrier.
''_Je vais maintenant prier... continua simplement le colosse à fourrure.
_Prier ? En une heure aussi grave ?! Vous n'y pensez pas ! s'offusqua la Reine des Abeilles.
_Vous vous méprenez sur la situation, tenta plus calmement Huisaile. Vous êtes notre seul rempart contre les démons. Nos frères d'arme sont déjà occup-
_SILENCE ! rugit Grimmbar, d'un cri qui envoya bouler les deux insectes en arrière. Je vais maintenant prier...'' répéta-t-il avant de baisser la tête et de fermer les yeux, dans une posture humble.
Huisaile et Melissé échangèrent un regard avant de descendre retenir les démons qui affluaient encore vers le corps de l'Ancien géant. L'armée infernale s'était cependant en grande partie détournée de cet adversaire qui ne luttait plus et avait repris sa marche vers Hyjal, se massant devant le gouffre piégé ouvert par Houd au début de l'assaut.
''_C'est de la folie Huisaile ! Les démons avancent et lui reste planté ici ! Qui dit que la déesse répondra à sa prière de toute façon ?
_Comme je vous l'ai dit, il a besoin de recouvrer ses forces. Et si cela passe par la prière, alors peut-être devrions nous le laisser faire et attendre les renforts...
_Avez vous manqué cet instant où j'ai dit que les démons avancent ?! s'exclama Melissé, excédée. Nous devons faire quelque chose pour les arrêter !
_Et que voulez vous que nous fassions ? Il faudrait faire venir un autre colosse pour remplacer celui-ci.
_C'est quelque chose que nous pouvons faire.'' annonça simplement l'abeille.
Un silence s'installa le temps que le papillon prenne la mesure de ces paroles, puis réponde :
''_C'est quelque chose que nous ne devons pas faire.
_Huisaile ! S'il y a quelque chose que nous pouvons faire pour sauver ce monde, alors il est de notre devoir de le faire ! Venez maintenant, nous devons renverser le cours de cette bataille.''
A cet instant, l'Impératrice de Miel était bien plus impératrice qu'elle n'était de miel, aussi, lorsqu'elle prit son envol vers la ligne de front démoniaque, l'Arlequin n'eut d'autre choix que de la suivre.
Grimmbar, sur le corps de qui les démons avaient recommencé à grouiller, choisit d'ignorer leurs cris et leur tapage, pour trouver le calme propice à la méditation.
Elune, entend ma prière, car il se pourrait que ce soit la dernière.
Même dans la précipitation, l'Ancien pieux n'avait pas manqué d'orienter son terrier à l'endroit où se trouvait la lune blanche, à mesure qu'elle illuminait le ciel dans le crépuscule mourant.
L'appel de Hermez avait attiré l'attention de Rattatast et Houd qui d'un rapide coup d’œil -ou de vision arcanique dans le cas de l'Aveugle- purent confirmer la véracité de ses cris.
Prenant alors de la distance avec leur adversaire, ils s'efforcèrent de rester hors de portée de ses assauts le temps de partager leurs pensées sur une nouvelle stratégie.
''_Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on fait ? Il faut qu'on aille l'aider, non ? Le temps que les renforts arrivent, oui ?!
_Et tourner le dos à ce démon-ci ? répliqua Rattatast. Mauvaise idée si tu veux mon avis.''
L'érédar, qui continuait de les bombarder de projectiles ne put visiblement retenir un cri triomphant à l'adresse des animaux gardiens :
''Oh oui, votre grand ami est tombé ! Et vous êtes les prochains à mordre la poussière !''
Tendant la main vers ses adversaires, le démon fit s'abattre sur eux une pluie de roches enflammées. Et si Houd parvenait à dévier chaque projectile d'un coup bien placé de ses lames, Hermez et Ratatast ne savaient plus sur quel pied ou de quelle aile danser.
''_Houd ?! C'est toi qui avait un plan au départ ! Alors on fait quoi maintenant ? réclama l'écureuil entre deux efforts pour sauver sa queue des flammes.
_On accélère le processus. Il faut que ce démon soit neutralisé le temps que je ferme leur portail.
_Ha ben oui c'est évident, pourquoi je pose la question ?''
Profitant d'une accalmie dans la tempête de flammes, Houd usa à nouveau de mots de pouvoir antiques pour faire taire le démon :
''_Na'ai ! Immobilisez le maintenant et empêchez le de recouvrer la parole ! Moi je m'occupe de ce portail.
_Mais comment est-ce qu'on doit... ? Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? s'enquit Hermez après le départ de la taupe.
_On passe à l'instant krunch ma petite ! On donne tout ce qu'on a ! C'est maintenant ou jamais !''
Brandissant le Gland Sacré, Rattatast enfonça la graine dans le sol et fit jaillir aux pieds de l'érédar d'innombrables sarments. Ces derniers saisirent d'abord les chevilles du démon pour le maintenir en place puis grimpèrent rapidement tout le long de son corps, s'enroulant autour de ses bras et de son cou, l'immobilisant et l'étouffant.
''Et krunch...'' ricana l'écureuil avec un sourire mauvais.
Incertaine quant à ce qu'on attendait d'elle, Hermez se décida à suivre le conseil de son compère rongeur et commença à tourner autour du sorcier, en appelant à la puissance des vents. Une tornade ne tarda pas à se former et envelopper le démon qui disparut dans le tourbillon de poussières et de débris végétaux.
Après cela, la furette vint rejoindre Rattatast qui regardait la scène avec un air satisfait.
''_C'était bien ? lui demanda-t-elle, essoufflée.
_C'était très bien !
_Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
_On attend que Houd en ait fini avec le portail je suppose.
_Oh d'accord...''
Et les deux Anciens à fourrure s'assirent devant la tornade, commentant parfois le passage du visage déformé par la rage du démon dans le cyclone.
***
Houd de son côté, avait atteint le bord de l'escarpement contre lequel était ouvert le portail démoniaque, grande faille donnant sur le Néant.
De sa vision arcanique, il put jauger l'ampleur et la complexité de ce sortilège qui permettait à des effectifs de plusieurs centaines de soldats et d'abominations d'entrer dans la réalité de son monde. Après avoir couru toute la largeur du portail, la taupe décida de creuser le sol afin de l'inspecter sur sa hauteur dans le but de trouver le meilleur point par lequel commencer son travail de sape magique.
Le sortilège était remarquablement stable, constitué d'un maillage de magie démoniaque complexe qui tenait solidement ouverte la brèche dans la réalité.
Et après une rapide inspection, Houd arriva à la conclusion que même le point le plus faible du sortilège restait assez puissant pour que l'exploiter réclame une certaine maîtrise et un certain temps. Sans en perdre plus, l'Ancien fouisseur abandonna ses lames et se mit donc au travail, commençant les incantations en langue démoniaque.
***
''_On devrait peut-être aller aider la grenouille et le crapaud, non ? demanda Hermez alors que l'érédar passait encore une fois devant eux, battant des bras dans le tourbillon.
_Naaan, ils s'en sortent très bien.'' répondit Rattatast sans même jeter un regard au combat qui avait lieu derrière eux.
Sans quitter des yeux le spectacle du démon emprisonné dans la tornade, l'écureuil faisait sauter de petits grains de maïs dans sa gueule. Il en proposa un à sa voisine mais lorsque la graine jaune entra en contact avec les pattes électrifiées de la furette, elle sauta dans un petit pop et roula sur le sol, devenant blanche et boursouflée, ce qui provoqua un sursaut chez les mammifères.
''_...Ne me touche plus. Jamais, dit Rattatast après s'être penché sur le sort de la graine fumante. Eyh... Tu veux jeter des orties dans cette tornade pour voir si ça le chatouille ou si ça le grattouille ?
_Euh... Oui !''
S'élançant à la suite de l'écureuil qui accourait au plus près du cyclone, Hermez renifla le grain de maïs cuit avant de l'engloutir.
***
A force de grands coups de masse, Tlop était parvenu à briser l'arme du seigneur des abîmes. Malheureusement, cela signifiait que son adversaire avait maintenant deux immenses coutelas entre ses mains, dont il fendait l'air en direction du guerrier crapaud. Habile mais lourd, le démon donnait l'impression de vouloir écraser l'Ancien avec ses poings plutôt que de l'empaler. Sa première lame vint s'enfoncer dans le sol, là où Tlop s'était trouvé un instant plus tôt, puis la seconde s'abattit tout aussi lourdement, manquant encore sa cible. Pris entre les deux bras immenses de l'annihilan, le crapaud frappa alors son adversaire aux coudes.
L'Ancien voulut enchaîner avec un coup au visage mais fut repoussé par un nouveau souffle de flammes vertes. Projeté en arrière, son corps dévoré par le feu démoniaque fut presque aussitôt guéri par une cascade d'eau que lança la Reine Grenouille, et même la douleur des brûlures s'en fit rapidement oubliée.
''_Rendez les armes maintenant démon, prévint le crapaud après s'être relevé. Et je promets d'en finir rapidement avec vous.
_Pfah ! Tu ne finiras rien du tout si tu dois défendre cette verrue toujours dans ton dos.'' rétorqua le démon avant d'entamer l'incantation rapide d'un sortilège.
Tlop voulut bien évidemment se jeter sur son ennemi pour lui faire ravaler ses paroles, mais une pluie de roches enflammées qui tombait au dessus de sa reine le força à faire machine arrière.
Bondissant sur le trône de Cwalcwutlicwa, le crapaud leva son bouclier au dessus de sa tête, les protégeant des projectiles brûlants, lui et la grenouille.
Cette dernière, sans même se lever agita négligemment la main. Son siège aqueux pivota alors sur lui-même, envoyant une puissante vague d'eau percuter le démon qui avait commencé à les charger, ce qui le stoppa net et offrit l'opportunité à Tlop d'attaquer une fois la pluie de feu passée.
Le gardien crapaud envoya alors sa targe à la face de son adversaire contre laquelle elle rebondit avec un bruit clair. D'un coup de langue, il se saisit de son bouclier et le fit rebondir encore sur le crâne du démon. Ce dernier, excédé, agrippa la longue langue et enroula autour son poignet.
Tirant sèchement l'Ancien combattant à lui, l'annihilan le cueillit de son énorme poing, l'envoyant en l'air avant de le ramener à nouveau contre ses phalanges.
Cwalcwutliwa, plutôt que de regarder son gardien se faire ainsi malmener, fit pivoter son siège pour observer ce que faisaient les autres Anciens. Elle vit ainsi l'écureuil et la furette dangereusement près d'une large tornade, le rongeur faisant pousser des arbres que sa camarade abattait d'un coup de foudre afin qu'ils soient plus rapidement aspirés par le tourbillon.
Ils semblaient s'amuser.
Alors que Hermez alimentait à nouveau les vents de la tornade en tournant autour, la grenouille revint au combat de son compagnon amphibien. Ce dernier était parvenu à se libérer de la poigne de son adversaire en abattant sa masse sur la main qui le tenait et harcelait maintenant les flancs de l'annihilan de grands coups que le corps lourdaud ne pouvait éviter.
Lorsque le démon réussissait à pivoter pour frapper le crapaud de ses lames, l'Ancien opposait sa targe aux assauts et contournait l'imposante masse d'écailles vertes pour frapper de plus belle ses pattes et ses côtes. Peu à peu, Tlop poussait son adversaire en arrière, le forçant à rester sur la défensive malgré un armement qui n'était plus du tout adapté à ce rôle.
Un spectacle que Cwalcwutlicwa pouvait apprécier.
Et justement, de nouveaux éléments entrèrent en scène lorsqu'une escadre de grands démons ailés, talonnée de plusieurs de leurs camarades terrestres, vint porter secours à l'annihilan. En réponse à leur intervention dans son combat, Tlop éructa dans un coassement grave un crachat verdâtre qui toucha au visage un de ses ennemis volants, ce dernier dégringolant au sol.
Ce n'en était cependant qu'un parmi une dizaine et le Gardien Crapaud dut abandonner son assaut sur le commandant démoniaque pour bondir à la rencontre de la nuée qui piquait sur lui. Il avait beau n'être qu'à demi aussi haut que ses adversaires, cela n'empêcha pas sa force prodigieuse de jeter au sol les premiers rangs des démons qui s'agglutinèrent alors autour de lui, pour le tailler de leurs lames. Et malgré que ses ennemis étaient supérieurs en nombre et plus à l'aise dans les airs, Tlop se battait comme un beau diable, jouant de sa langue et de ses jambes musculeuses pour bondir dans la mêlée, briser les os de ses adversaires et les faire choir.
Pour stopper l'Ancien combattant, plusieurs démons jetèrent leurs armes et vinrent le saisir aux bras et aux jambes, se jetant sur le crapaud comme une nuée de rapaces affamés. Et même lorsque sa masse chuta, Tlop se débattait encore rudement, distribuant des coups jusqu'à ce que ses membres soient tenus immobilisés, crachant au visage de ses ennemis jusqu'à ce qu'ils tirent sa langue hors de sa gueule.
En contrebas, l'annihilan avait voulu monter à la charge de la Reine Grenouille mais cette dernière, grâce à sa magie, avait changé le sol ses pieds en une mare dans laquelle il s'était embourbé avec sa garde démoniaque.
Fulminant, le seigneur des abîmes lui rugit alors :
''_Viens te battre misérable pustule ! Penses tu réellement pouvoir rester assise ici et défier ainsi la Légion Ardente ?!
_Je le pense oui, déclara Cwalcwutlicwa qui était visiblement ennuyée de devoir s'adresser au démon. Et je n'ai pas pour habitude de participer aux spectacles que l'on donne en mon honneur.''
L'annihilan voulut maudire l'Ancienne, mais un crachat d'eau lancé à pleine vitesse vint tremper son visage enflammé, le faisant taire. Les deux adversaires se tournèrent alors vers le combat au dessus de leurs têtes et lorsque ce dernier tourna en défaveur du défenseur d'Azeroth, le démon ricana.
''_On dirait que ce monde va perdre un gardien finalement. Et vous aussi, annonça-t-il à l'adresse de la Reine Grenouille. Un dernier mot avant que moi et mes sbires faisions de vos cadavres un festin ?
_Hmf. 'La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe'.'' répondit Cwalcwutlicwa avec dédain.
Après ses mots, plusieurs cadavres ailés chutèrent devant les yeux du démon et de l'Ancienne et vinrent rejoindre leurs semblables déjà abattus.
''Fort heureusement, vos sbires me semblent plus proches de la mouche que de la colombe. Regardez comme ils tombent.'' dit la grenouille, satisfaite.
D'abord interloqué, le visage du seigneur des abîmes se tordit en une grimace furieuse lorsqu'il vit ce qui restait de l'escadre volante dégringoler à son tour, suivie de l'Ancien batracien, pour sa part bien vivant.
Alors que son corps était tiré en tout sens, lacéré par des griffes noires et tenu fermement pour une exécution sans cérémonie, l'amphibien en avait appelé à ses défenses les plus primaires et commencé à sécréter par tous les pores de sa peau un poison virulent. Foudroyé par la puissance du venin, les démons qui le retenaient avaient lâché prise avant de s'écrouler. Le crapaud désarmé s'était ensuite jeté sur les autres, son seul contact ayant suffi à les abattre.
Maintenant, l'Ancien se laissait tomber à la rencontre des démons au sol, son corps luisant du poison libéré. Se réceptionnant sur ses jambes de batracien, il se lança contre la garde armée du seigneur des abîmes. Là encore, son contact mortel fit des ravages et la droite du seigneur des abîmes fut promptement débarrassée de ses troupes.
D'un coup de langue, Tlop récupéra sa masse d'or maintenant couverte de boue et bondit par dessus l'annihilan pour dégarnir son autre flanc. Le démon, qui se débattait furieusement dans le marais que le crapaud courait sans difficulté aucune, commença à rugir une incantation mais un grand coup de massue dans une de ses pattes massives le fit s'embourber plus encore dans la vase.
Lorsque il en eut fini avec les gardes démoniaques, Tlop frappa au crâne le seigneur des abîmes qui se relevait pour le jeter à nouveau dans la boue. Le tenant en joue de la tête de sa masse d'arme il lui dit alors :
''Par deux fois vous avez insulté ma reine, démon. Je vais maintenant vous arracher la langue.''
***
Larairah se releva en se massant la mâchoire, tombant nez à nez avec une silhouette plus noire que la nuit. Une silhouette de lièvre.
''Oh eyh, un nouveau concurrent...''
Un examen plus attentif lui permit de voir que les jambes du lapin d'ombre commençaient là où les siennes touchaient le sol, ce qui lui fit pousser un sourire fier.
''Et finalement un adversaire à ma mesure. Bon alors, tu veux faire la course ?! A vos marques. Prêts. Partez !''
Départ lancé.
Sa nuque se hérisse. Larairah bondit sur place, sentant sous ses pieds la chaleur de la boule de feu qui le dépasse. Il se réceptionne sur ses deux pattes, voit le projectile bifurquer et revenir sur lui. L'ombre se jette elle aussi à l'assaut.
Le Prince aux Mille-Ennemis en a maintenant deux de plus et sans attendre il s'élance dans les bois.
Rapide coup d’œil en arrière pour jauger la vitesse de ses poursuivants. La boule de feu traîne à l'arrière, mais la sombre copie le talonne, si près qu'elle tente de le frapper à plusieurs reprises, le forçant à faire de grands écarts dans sa course.
À gauche.
À droite.
En hauteur.
À ras du sol.
Sans surprise, elle est partout où tombent les ombres dans la forêt. Jaillit de chaque monceau de végétation, fendant l'air de ses bras acérés comme des lames. Et avec le soleil qui tombe sur l'horizon, ça n'ira pas en s'arrangeant.
À droite, en hauteur, à gauche, au sol, sauts retournés, roulades, rentrer le ventre, rester souple sur ses appuis. Le rythme s'accélère à mesure que l'ombre apprend des mouvements de sa proie.
Petite maligne.
Harcelé par ses poursuivants, Larairah s'esquive, se contorsionne, donnant l'impression que son corps est liquide. Parfois, une longueur de poil est tout ce qui le sépare d'un mauvais coup.
Loin de s'en plaindre, le lièvre n'aurait de toute façon pas trouvé cela amusant si ça n'avait pas été dangereux.
''Pas mal mais je suis sûr qu'on peut faire mieux. Et si on se donnait un bon coup de collet ?! Façon de parler, évidemment !''
Le Haut-Roi de Garennes mène maintenant ses adversaires dans les arbres, court le long d'un tronc puis saute de branches en branches pour atteindre le sommet. Fugitivement, il aperçoit son ombre qui taille les feuillages sur son passage.
Arrivé au sommet, il perce la cime de l'arbre, en avise un nouveau et y bondit.
Rapide coup d’œil en arrière pour constater que la boule de feu a embrasé et consumé son premier perchoir en le suivant. Elle a maintenant pris la forme d'un long serpent de feu vert qui ondule dans sa direction.
''Ha oui... J'avais oublié ce détail.''
Son ombre est déjà sur lui, le forçant à remettre ses observations à plus tard. Il bondit au moment où son adversaire tranche net le sommet de son arbre, se réceptionne sur un autre.
Puis un autre.
Et encore un.
Le double ténébreux ne lui laisse pas de répit et chaque géant de bois qu'il quitte est enflammé par le monstre de feu qui gagne alors en taille et en vitesse.
''Bon ! On dirait que quelqu'un a besoin qu'on refroidisse ses ardeurs maintenant !''
L'Ancien retrouve le sol et tout ce qui ne se trouve pas immédiatement devant lui devient flou alors qu'il accélère encore la cadence.
Cette fois il mène ses assaillants à une rivière qu'il remonte à la force de ses pattes, et la forêt défile de chaque côté de sa vision. Le bruit des éclaboussures qu'il projette couvre à peine le grondement du brasier lancé à ses trousses.
Son ombre le suit toujours et c'est en baissant un instant les yeux qu'il la voit sous ses pieds, courir le lit de la rivière.
Bientôt, le long ruban d'eau si vite parcouru laisse place aux flancs rocheux du mont Hyjal.
Nouveau coup d’œil en arrière qui permet au lièvre de constater que le serpent de flammes n'a pas beaucoup perdu de sa taille. Son ombre jaillit parfois d'une crevasse ou d'un repli rocheux et le force à bifurquer régulièrement dans sa course sur les pentes abruptes.
''Rien ne vous arrête, hein... Ça tombe bien parce que moi non plus.''
En effet, même lorsque le terrain devient vertical, il semble que ni Larairah ni ses poursuivants ne se soucient de ce que la gravité a à redire sur leur course.
''Un pied au dessus de l'autre jusqu'à ce qu'on se brûle les ailes ! Oh mais tu es déjà tout feu tout flammes, ça doit pas te déranger.''
Il rit mais le poids de ses efforts commence à se faire sentir. Pourtant les sortilèges lancés contre lui le poursuivent sans relâche. Il avait déjà été la cible de sorts et de malédictions, mais jusque là aucun qui soit aussi tenace !
Bientôt, le lièvre culmine à plus de mille mètres au dessus de la forêt qu'il vient de quitter.
Il freine sa course, prend appui des deux pattes sur la roche et se propulse dans les airs. Exécutant une large parabole, il étend les bras de côté, laisse le vent courir sur sa fourrure.
En se tournant vers ses poursuivants, il ne voit plus trace de son ombre, mais le serpent de flammes infléchit aussitôt sa trajectoire pour le rejoindre. Malgré tout, Larairah profite de ce court répit pour souffler.
A tout donner, il s'épuisait rapidement, contrairement à ses poursuivants magiques qui ne connaissaient pas la fatigue. Et s'il voulait les semer, le Prince aux Mille-Ennemis allait devoir ruser et faire fonctionner son cerveau au même régime que ses jambes.
En suspension dans les airs, il jauge avec un sourire fin le monstre de feu émeraude qui lui arrive dessus. D'une de ses multiples sacoches, il extirpe une vesse-de-loup, l'écrase entre ses mains et disparaît dans un nuage de spores. A sa place, cinq lièvres à son image se déploient dans les airs. Ils s'évaporent cependant rapidement lorsque les flammes vertes les enveloppent l'un après l'autre.
Malgré cela, leur brève diversion permet à Larairah de gagner encore de l'avance sur le sortilège et plus encore, d'apprendre que la magie des démons pouvait être leurrée.
En chute libre, le lièvre pique droit sur la forêt et dévale la distance qui le sépare du sol, le vent sifflant à ses oreilles. Dans son dos, il sent la chaleur du serpent de flammes revenu à sa poursuite et qui gagne du terrain alors que lui reste cantonné à sa vitesse de chute.
Pour pallier ce problème, Larairah commence alors à courir dans les airs, laissant son poursuivant et les lois de la physique sur le carreau. Il gagne en célérité, le sol approche à toute vitesse, le vent hurle et bientôt le lièvre peut distinguer son ombre en contrebas. Comme il le pensait, où qu'il soit elle l'attendrait sur le plancher des taurens. Fort heureusement il a un plan pour s'en débarrasser et cela implique une source de lumière puissante.
Chance, il y en a une juste derrière lui qui ne semble pas vouloir le lâcher non plus.
A mesure qu'il approche, la silhouette de son ombre se précise. Elle se tient immobile, le fixe et ce n'est que lorsqu'il dépasse la cime des arbres qu'il la voit se tenir prête à porter un coup.
Confiant, il ne ralentit pas, continue de foncer à la rencontre de son adversaire, court vers un impact qui semble imminent.
Puis en un clin d’œil, le lièvre se trouve dans le dos de sa copie ténébreuse qui se retourne aussitôt pour engager le combat.
Elle frappe, taille et tranche. Lui esquive, bondit, s'aplatit au sol. Concentré, il ne perd plus de temps en palabres, se contente de rester entier.
Et pourtant, alors qu'il semble s'empêtrer dans ce pugilat, il est aussi en train de tourner autour du lieu du combat, à pleine vitesse.
Le serpent de feu ne tarde pas à les rejoindre et entre dans le cercle de course du lièvre, il tourne, tourne, ses deux extrémités se font indistinctes alors qu'il devient rapidement un anneau de flammes tourbillonnantes.
L'ombre rétrécit, faiblit, cernée par le cercle de feu qui s'emporte, se consume, se referme sur lui-même. En quelques secondes, les deux sortilèges disparaissent dans un dernier crépitement de feu émeraude.
Larairah, sortant d'un buisson à quelques pas de là, pousse alors un petit ''wouhou'' avant de se laisser tomber au sol. Les battements de son cœur se sont mus en un bourdonnement continu et des étoiles dansent devant ses yeux. Mais malgré son essoufflement et la sueur perlant sur sa fourrure, le lièvre affiche un air satisfait. Tout son corps le brûle des efforts consentis pour être à deux endroits à la fois et ses jambes encore flageolantes le forcent à garder les quatre pattes à terre.
Sa nuque se hérisse. Cette fois pourtant la vitesse lui fait défaut. Il bondit en avant pour esquiver le coup venu dans son dos, mais trop tard. Le lièvre sent un tranchant froid lacérer la chair de sa patte droite. Il s'écroule dans l'herbe, se relève aussitôt, faisant quelques pas boiteux. A trois pattes au lieu de quatre et dans son état, il aura beaucoup de difficultés à sauver sa peau.
Larairah jura lorsqu'il reconnut, à travers sa vision obscurcie par la fatigue, son ombre qui n'avait pas été vaincue. Lui et les démons se connaissaient à peine et pourtant ils l'avaient maudit plus implacablement que n'importe quel autre de ses ennemis.
Le lièvre prend la fuite, tourne le dos à sa sombre copie. Il clopine à toute vitesse vers un arbre, sachant que son ombre ne peut pas l'atteindre tant qu'il est dans les airs. Comment il va y rester, il n'en a aucune idée car il est trop épuisé pour échapper à la gravité, mais plus haut il bondira et plus de temps il aura pour y réfléchir.
Il saute sur une branche, voit que son ombre y est déjà. Celle-ci frappe, ouvre une large estafilade à son épaule et coupe nette la branche. Il tombe à terre, la voit fondre sur lui, roule au sol. A bout de souffle, il peine à se relever. Sa copie toute de ténèbres faite l'empoigne alors par les oreilles et lui redresse la tête. Elle lève un bras acéré, ou deux car il commence à voir double. Il se débat mollement, se demande si être tué par son ombre équivaut à mourir de sa propre main.
A travers les brumes de son esprit il voit le couperet s'abattre vers sa gorge. Puis l'ombre s'évapore, sa tête retombe au sol. Il cligne des yeux, se masse la gorge, peinant à croire qu'elle est encore intacte, puis il pousse un long soupir.
Rampant sur le sol de la forêt, il vient se lover contre les racines d'un arbre et extirpe douloureusement de longues bandes d'herbes d'une de ses sacoches pour s'improviser des bandages. Ne pas fermer les yeux, pas encore. D'abord la survie et ensuite le repos.
***
Huisaile avait d'urgence du reproduire les runes sur son corps et celui de la Reine Abeille afin de rééquilibrer leur combat contre les démons. Ces derniers profitaient d'ailleurs de leurs avantages dérobés pour harceler les Anciens de coups fulgurants suivis de retraites rapides.
Pour faire front commun, abeille et papillon ne s'éloignaient pas l'un de l'autre de plus d'une envergure de leurs ailes et l'essaim carnassier de la Reine faisaient au mieux pour couper les deux seigneurs démons d'éventuels renforts. Melissé pour sa part ne se contentait pas de posséder une lance, elle savait la manier avec brio. La lame siffla dans l'air avec un grincement insectoïde lorsqu'elle vint rencontrer les griffes enflammées de l'un des nathrezim. D'un geste expert, l'abeille ramena l'arme à elle et frappa de taille, lacérant la chair de son adversaire qui se retira, le temps que sa blessure s'estompe dans les flammes.
Ne semblant jamais prise au dépourvu, Melissé parvint à déjouer l'assaut du nathrezim des ombres lorsque celui-ci surgit dans le dos de l'Ancien papillon. Elle jeta sa lance contre leur adversaire et l'arme, dotées d'ailes, s'envola à la rencontre du démon, lacérant son bras au moment où il frappait. Et même lorsque des escadres de démons volants franchirent le blocus d'abeilles pour se joindre au combat, toute tentative d'assaut coordonné de la Légion fut réduite à néant lorsque la Reine des Abeilles entama une danse gracile dans les airs, ses mouvements guidant ceux de sa lance qui pourfendait et taillait les effectifs démoniaques.
Huisaile de son côté, parvenait à défaire chaque sortilège et déjouer chaque assaut magique lancé par les démons. Des chauve souris de ténèbres ou de flammes lancées sur les Anciens, le Papillon Runique faisait des libellules de verre coupant qui se retournaient contre les démons, les boules de feu étaient soufflées comme des bougies et lorsqu'un des seigneurs de l'effroi voulut donner corps aux ombres, l'Arlequin s'empara de toute la noirceur délivrée et la remodela, la colora et la dispersa en une pluie de gouttelettes qui auréolèrent les défenseurs d'Azeroth d'un arc-en-ciel.
Les runes de ses ailes luisaient avec force et se réorganisaient constamment avec la précision d'une horlogerie minutieuse. Il ne semblait pas y avoir d'autre limite à cette magie que l'imaginaire du papillon et le seul souci de ce dernier était de produire de la beauté, là où les démons lui envoyaient l'horreur.
Cette débauche de magie requérait cependant que Huisaile resta immobile, et il ne pouvait alors que compter sur l'adresse de sa comparse pour le défendre d'assauts plus directs. Mais tant que les deux Anciens restaient proches l'un de l'autre, il semblait qu'ils ne pourraient être vaincus.
Les démons le remarquèrent bien eux aussi et c'est pourquoi le manipulateur d'ombres hurla soudainement :
''Obscurité !''
Un voile de ténèbres tomba soudainement sur les yeux de Melissé qui se crut perdue dans le néant absolu. Dans le noir total, elle ne distinguait plus rien d'autre qu'elle même et sa lance lorsque cette dernière lui revint en mains. Anxieuse, elle faisait courir son regard de tous côtés.
''_Plus si vigilante maintenant, ricana Zalistar quelque part dans les ténèbres.
_Je n'ai nul besoin de vous voir pour vous affronter, démon ! Votre puanteur suffira à guider ma lame vers votre cœur noir.''
Son anxiété rapidement dissipée, Melissé resta immobile, attentive à tout ce que ses sens pouvaient lui rapporter. Elle entendit siffler les griffes du démon qui fondaient sur son visage de chitine et leva son arme pour parer le coup. D'autres assauts fusèrent contre elle, qu'elle détournait avec moins d'habileté que d'ordinaire. Ainsi harcelée et plongée dans les ténèbres, l'abeille était peu à peu poussée loin de son compagnon.
Ce dernier, qui avait voulu voler à son secours sitôt que la gangue noire s'était abattue sur ses yeux, s'était trouvé intercepté par des anneaux de flammes qui l'avaient encerclé. L'entrave ne dura que le temps qu'il la souffle d'un puissant battement d'ailes, mais alors qu'il repartait, c'était Dezemoth qui lui barrait la route, complètement immolé de flammes vertes.
''Votre magie pitoyable ne vaut rien devant les dons du Feu et du Chaos !''
D'un coup de griffes, le seigneur de l'effroi voulut lacérer les ailes runiques de Huisaile qui s'esquiva vivement.
''Vos palabres sont aussi grotesques qu'inutiles.'' rétorqua le papillon en enfonçant son bâton dans le buste du nathrezim. Ce dernier, frappé par les arcanes, resta tétanisé au bout de l'arme dont les runes commençaient à se réaligner.
''Il y a plus à la magie que les flammes et la destruction, expliqua froidement Huisaile. La magie est vent. La magie est eau. La magie est plante et animale. Elle est la vie et la création. La magie est tout !''
Libérant un flot de puissance arcanique dans le corps du démon, l'Ancien imposa à son adversaire plusieurs métamorphoses pour illustrer ses propos. Le corps du seigneur de l'effroi devint tour à tour nuages, eau, glace, écorce, pétales et amas d'insectes grouillants avant d'exploser en une myriade d'éclats de cristal.
D'un battement d'aile puissant, le Papillon Runique précipita les restes du démon en contrebas et se porta au secours de sa comparse.
Melissé, toujours plongée dans les ténèbres, s'était laissée entraîner dans une joute infernale. Le démon se faisait plus audacieux dans ses frappes, mais aussi moins prudent et en réponse, l'abeille devenait plus téméraire et agressive. La lance et les griffes sifflaient dans l'air, le démon avait écopé de longues estafilades sanglantes et la chitine de la Reine Abeille s'était trouvée éventrée en plusieurs endroit de son corps.
Puis le démon cessa soudainement de bouger. L'Ancienne ne se posa pas de question sur la raison de cet arrêt et saisit l'occasion pour empaler son adversaire, sa lance s'enfonçant avec un crissement étouffé dans ses chairs. La Reine sentit le poids du seigneur de l'effroi disparaître au bout de son arme alors que son corps se consumait. La lumière commença à revenir à ses yeux. Mais alors que le sort d'obscurité s'estompait, Melissé sentit une présence dans son dos et frappa sans hésiter.
Pensant qu'il s'agissait du second seigneur démon, l'abeille avait fait tourner sa lance entre ses doigts pour planter son adversaire, là où elle pensait trouver le buste du nathrezim.
Cependant, ce qu'elle trouva à l'autre bout de sa lame, en se retournant, la figea d'effroi.
''Huisaile !'' cria-t-elle en reconnaissant l'homme-papillon.
Figé dans une expression de surprise, l'Ancien poinçonné bascula en arrière, glissant le long de la lame où son sang se mêlait maintenant à celui des démons. Et alors qu'il chutait vers le sol, Melissé en appela à son essaim de garde pour le retenir. Affolée, il fallut peu de temps à la Reine pour rejoindre son ami affalé sur le nuage d'abeilles et se trouver à son chevet. Tout en se confondant en excuses, elle fit apparaître une mesure de miel doré dans sa main.
''Je suis désolée ! Terriblement désolée ! Je n'ai pas voulu... J'étais ensorcelée ! S'il vous plaît pardonnez moi ! Prenez ceci, vite. Ça vous remettra d’aplomb... Je suis tellement désolée. Restez avec nous, s'il vous plaît. S'il vous plaît.''
Les runes qui constituaient les ailes de l'Arlequin avaient perdu de leur éclat, signe des forces déjà perdues par l'Ancien papillon. Ce dernier parvint tout de même à tendre sa trompe vers la gelée royale qu'on lui offrait et se nourrit du précieux nectar. Rapidement ses ailes retrouvèrent leur radiance et Melissé appliqua précautionneusement le miel comme un onguent sur la chitine perforée qui commença bientôt à se refermer.
''_La malédiction... Il faut lever la malédiction, commença le papillon en reprenant ses esprits. Ensuite...
_Ensuite le lièvre reviendra avec de l'aide. S'il est aussi rapide qu'on le dit, cela ne saurait tarder. Reprenez vos forces, nous aviserons par après.''
Les abeilles sur lesquelles reposait Huisaile modifièrent leur formation afin que l'Ancien se redresse face au blaireau colossal en détresse. Les runes de son bâton et de ses ailes se réalignèrent une fois de plus et la magie qui affligeait Grimmbar se dissipa, en telle quantité qu'on pouvait la voir quitter le corps du géant sous la forme de volutes noirs.
Melissé, redevenue anxieuse, observait la scène avec insistance, semblant attendre plus que la simple levée du maléfice.
''_Pourquoi ne se relève-t-il pas ? Pourquoi ne retourne-t-il pas au combat ?
_Il doit lui aussi retrouver ses forces, sans doute, expliqua le papillon qui avait pour sa part recouvré les siennes. Et malheureusement il n'a pas reçu de votre précieuse gelée royale pour l'y aider.
_Alors allons lui en apporter. Et profitons en pour le débarrasser de ces démons. Ils le couvrent presque entièrement !''
De concert, les deux insectes s'élancèrent à la rescousse du colosse abattu, couverts dans leur avancée par la lance dansante et l'essaim d'abeilles carnassier.
***
Depuis qu'il avait chuté, un véritable chantier s'était installé sur le dos de Grimmbar. Les démons avaient lancé de grandes chaînes par dessus son corps pour l'entraver et leurs tentatives pour percer le cuir épais de l'Ancien avaient des allures d'opérations de forage. De concerts, ils abattaient leurs lourdes armes sur des plaies qui étaient ensuite bombardées de sortilèges destructeurs. Attirés par le festin, d'imposants gangrechiens couvraient le corps immense tel d'innombrables sangsues qui se repaissaient de sa magie.
Ainsi, lentement mais sûrement, la Montagne Grondante avait commencé à perdre de sa stature.
Lorsqu'il sentit le sortilège qui pesait sur ses épaules se dissiper cependant, l'Ancien réunit assez de forces pour se mouvoir et se dresser sur ses quatre pattes, faisant sauter une à une ses entraves et dégringoler de son dos les démons qui n'y étaient pas proprement ancrés.
Sentant les chiens dévoreurs de magie toujours agglutinés dans sa fourrure, comme des tiques de la pire espèce, le grand blaireau fit ce que faisaient la plupart des mammifères lorsqu'ils en avaient assez des parasites et lacéra le sol de ses griffes, soulevant des pans de terre et d'armée démoniaque.
Huisaile et Melissé qui venaient de se frayer un chemin jusqu'au colosse durent garder leurs distances alors que leur camarade ouvrait un gouffre dans la terre. Aussi, à défaut de lui venir en aide directement, ils s'en prirent aux démons qui tentaient encore de contenir ses mouvements pesants et dévastateurs.
Et lorsque la Fureur du Terrier eut fini d'en creuser un à sa mesure, il s'engouffra à l'intérieur et s'y roula, écrasant dans la boue et les roches les démons encore accrochés à lui. Puis il cessa de bouger, seule sa tête et ses griffes massives dépassant encore de sa tanière.
Huisaile et Melissé, volèrent à sa rencontre, l'abeille tenant une nouvelle mesure de miel dans sa main.
''_Ancien, prenez ceci pour vous remettre de vos blessures, dit-elle en appliquant le gelée royale sur les grandes lèvres noires. Vous devez vous relever et combattre. L'issue de ce combat dépend de vous !
_L'issue de cette bataille dépend maintenant d'Elune...'' déclara Grimmbar d'une voix rauque, après s'être pourléché les babines.
Sa respiration était lourde, et son corps massif frémissant. Ses immenses griffes balayaient presque négligemment les démons qui se lançaient à l'assaut du terrier.
''_Je vais maintenant prier... continua simplement le colosse à fourrure.
_Prier ? En une heure aussi grave ?! Vous n'y pensez pas ! s'offusqua la Reine des Abeilles.
_Vous vous méprenez sur la situation, tenta plus calmement Huisaile. Vous êtes notre seul rempart contre les démons. Nos frères d'arme sont déjà occup-
_SILENCE ! rugit Grimmbar, d'un cri qui envoya bouler les deux insectes en arrière. Je vais maintenant prier...'' répéta-t-il avant de baisser la tête et de fermer les yeux, dans une posture humble.
Huisaile et Melissé échangèrent un regard avant de descendre retenir les démons qui affluaient encore vers le corps de l'Ancien géant. L'armée infernale s'était cependant en grande partie détournée de cet adversaire qui ne luttait plus et avait repris sa marche vers Hyjal, se massant devant le gouffre piégé ouvert par Houd au début de l'assaut.
''_C'est de la folie Huisaile ! Les démons avancent et lui reste planté ici ! Qui dit que la déesse répondra à sa prière de toute façon ?
_Comme je vous l'ai dit, il a besoin de recouvrer ses forces. Et si cela passe par la prière, alors peut-être devrions nous le laisser faire et attendre les renforts...
_Avez vous manqué cet instant où j'ai dit que les démons avancent ?! s'exclama Melissé, excédée. Nous devons faire quelque chose pour les arrêter !
_Et que voulez vous que nous fassions ? Il faudrait faire venir un autre colosse pour remplacer celui-ci.
_C'est quelque chose que nous pouvons faire.'' annonça simplement l'abeille.
Un silence s'installa le temps que le papillon prenne la mesure de ces paroles, puis réponde :
''_C'est quelque chose que nous ne devons pas faire.
_Huisaile ! S'il y a quelque chose que nous pouvons faire pour sauver ce monde, alors il est de notre devoir de le faire ! Venez maintenant, nous devons renverser le cours de cette bataille.''
A cet instant, l'Impératrice de Miel était bien plus impératrice qu'elle n'était de miel, aussi, lorsqu'elle prit son envol vers la ligne de front démoniaque, l'Arlequin n'eut d'autre choix que de la suivre.
Grimmbar, sur le corps de qui les démons avaient recommencé à grouiller, choisit d'ignorer leurs cris et leur tapage, pour trouver le calme propice à la méditation.
Elune, entend ma prière, car il se pourrait que ce soit la dernière.
Même dans la précipitation, l'Ancien pieux n'avait pas manqué d'orienter son terrier à l'endroit où se trouvait la lune blanche, à mesure qu'elle illuminait le ciel dans le crépuscule mourant.
Tortoka/Djigzyx
Re: Les Anciens Signifiants
Je n'ai jamais fui mon devoir, peu importe le péril, peu importe les obstacles.
Larairah se redressa dans un sursaut, les yeux grands ouverts. Il s'était assoupi ? Combien de temps ?! À en juger par le crépuscule encore tout frais, pas plus de quelques minutes, quelques secondes avec un peu de chance. Mais c'était déjà trop et il devait repartir prestement. Après tout, on lui avait confié une unique mission et il aurait été dommage de la manquer. Enroulé dans ses bandages, le lièvre se releva pour aussitôt marquer une pause durant laquelle son vertige passa et la douleur de sa patte blessée se rappela à lui. Geignant sans retenue, il se laissa tomber sur ses pattes encore valides et avança par petits bonds claudicants dans la forêt. Heureusement, même ainsi il était plus rapide que la plupart des créatures en Azeroth, et avalait les distances.
Ses blessures, cependant, le forçaient à des arrêts réguliers et, au détour d'une clairière, il sentit une large ombre se poser sur lui, accompagnée d'un ricanement sordide. Larairah, qui n'était pas encore remis de son combat contre son double obscur, bondit à la lumière et fit face à ce qui s'était immiscé dans son dos. Il soupira de soulagement en reconnaissant la silhouette d'une immense hyène à la gueule pleine de bave et de crocs immenses.
''_Oh Redd... C'est que toi... dit le lièvre alors qu'il tâchait de dissimuler la tension qui pesait sur tous ses membres. Salut ma vieille...
_Larairah... Qu'est-ce que tu fais si loin de la bataille ? Me dis pas que le Prince aux Mille Ennemis aurait manqué une occasion de tous les humilier d'un coup ?'' répondit la hyène, ses grands yeux jaunes rivés sur son interlocuteur.
Sa posture, ramassée sur elle-même, n'augurait rien de bon : Redd semblait prête à bondir à tout instant. Pas après pas, elle approchait le rongeur, lui tournant autour alors que ce dernier reculait, pivotant pour rester de face. Ne pas ciller, surtout ne pas ciller : cette discussion n'avait rien d'aimable, Larairah le savait de toutes ses expériences avec les Anciens carnivores.
''_Eheh, ouais... Vu comme ça c'est dommage, sans doute. Mais j'allais te poser la même question. Tu t'es perdue ? Je sais que t'es pas l'esprit le plus affûté de la savane, mais...
_Mais tu sais aussi que je suis une charognarde, et que les charognards attendent toujours la fin du combat.
_Ha oui, bien sûr, bien sûr... Et bien dans ce cas je vais te laisser attendre ici et moi je vais... Tailler ma route.''
Et alors qu'il bondissait de côté pour contourner son interlocutrice, le lièvre se vit barrer le passage, d'abord par la patte noire immense, puis par la gueule puante qui emplit son champ de vision.
''Oh mais attends... Tu resteras bien quelques minutes... Je tiens à te garder pour le banquet de la victoire.'' dit-elle avec son plus carnassier sourire.
D'agacement, le Haut-Roi de Garennes sentit ses moustaches frémir. D'abord traqué par la magie des démons, puis acculé jusqu'au seuil de la mort, et maintenant ça. Et en plus, de tous ses ennemis, il fallait qu'il tombe sur la bécasse la plus bouchée et stupide de la liste. Pour une fois en plusieurs millénaires, le lièvre fut celui qui coupa court à la plaisanterie :
''_Bon d'accord, je sais très bien ce que tu me veux. C'est à peu près la même chose que ce que veulent tous les carnivores de la région de toute façon. Au passage, par Elune, est-ce que vous trouvez correct de vouloir manger quelqu'un avec qui vous discutez ? Sérieusement ? Vous les mangeurs de viande êtes vraiment... Mais passons. Ce que je sais des charognards, c'est qu'ils mangent des cadavres. Maintenant, moi, moi je suis encore bien vivant et contrairement à toi, j'ai un rôle à jouer dans cette guerre. Donc tu vas me laisser passer...
_Sinon quoi ? Tu vas détaler, fuir comme d'habitude ? questionna la hyène en approchant sa gueule plus près encore de sa proie qui pouvait sentir l'humidité de sa truffe et la puanteur de son haleine.
_J'envisageais pas vraiment de ''sinon'' au bout de cette phrase, mais ton idée me semble pas mal, répondit le lièvre qui portait une de ses mains à ses sacoches.
_C'est à peu près tout ce que tu sais faire, de toute façon. Sauf qu'aujourd'hui, on dirait que tu as quelques faiblesses.
_Oh, mais tu crois que courir est mon seul atout ? Tu dois vraiment être stupide si j'ai pu t'échapper jusque là sans autre chose que mes jambes.''
Sur ce, le lièvre s'empara d'une nouvelle vesse-de-loup et la fit exploser sur le sol, libérant un nuage de spores qui surprit l'Ancienne carnivore et laissa le champ libre au coureur pour prendre la fuite.
A grands bonds douloureux, le lièvre retrouva le couvert des arbres auxquels il bondit, afin de prendre de la hauteur. De là, il sautait de branches en branches, attentif à l'avancée de sa poursuivante.
Ce n'était de toute façon pas difficile, cette idiote ne pouvait s'empêcher de ricaner...
Peu soucieuse de la forêt, l'idiote en question percutait les arbres, déracinant les plus chétifs. Larairah voulut accélérer le rythme, mais sa patte blessée ne donna pas réponse à son mouvement et il chuta vers les branches basses auxquelles il perdit du temps à se rattraper. Redd en profita pour bondir, abattre l'arbre et jeter au sol le lièvre en fuite. Ce dernier repartit derechef et les immenses mâchoires claquèrent à quelques centimètres de sa queue touffue. Il fit quelques pas avant que sa patte boiteuse ne le rappelle à l'ordre et n'eut pas besoin de se retourner pour savoir que sa poursuivante ne respecterait pas son temps de pause. L'Ancien sauta alors, cherchant à passer par dessus le tronc de l'arbre abattu. Mais cette fois, les crocs épais se refermèrent autour de sa patte meurtrie.
Son cri s'éleva dans la forêt, par dessus le ricanement joyeux de la prédatrice.
***
J'ai toujours gardé la raison, suivi les enseignements que vous m'avez donné.
''_Je vous le demande encore une fois, êtes vous certaine de vouloir faire cela ? questionna Huisaile, qui s'était à son tour fait soucieux. J'ai beau regarder la chose sous tous les angles, cela me semble folie.
_Alors tournez la ainsi, rétorqua Melissé, sévèrement. C'est la seule possibilité qu'il nous reste si nous voulons éviter la mort d'un Ancien, et peut-être celle des autres après lui.
_Les conséquences d'un tel rituel ne peuvent être que désastreuses. Croyez moi, il y a bien une raison pour laquelle cette magie vous révulse.
_Aussi répugnante qu'elle soit, elle est en nous. Et en tant que gardiens de ce monde, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour le protéger. Nous agissons pour le bien, Huisaile. Ayez foi. Et mettez vous en position, si vous le voulez bien.''
Le papillon n'ajouta rien de plus qu'un soupir et s'éloigna à grands battements d'ailes de sa comparse. Creusant la distance qui les séparait, les deux insectes ne s'arrêtèrent que lorsqu'ils furent à un bout et l'autre du fossé creusé comme dernier obstacle aux démons. Là, ils commencèrent à incanter dans une langage qui coulait comme une bile immonde sur leur langue.
''Iilth shg'fhn, iilth eqnizz uhnish'Naus. Qam agthu vwyq. Thyzak sk'uq, lwhuk h'iwn.
Gul'kath ywaq plahf mh'shgn, ywaq gul'kath plahf mh'shel. Fssh ak'ma, uuyat ywaq'ma.''
L'impression de malaise qui affligeait l'abeille et le papillon suffit presque à leur faire regretter d'avoir lancé le rituel. Le mal porté par chacune des syllabes qui franchissait leur bouche était écœurant. Mais ce qui effrayait plus encore Huisaile et Melissé, c'est qu'ils en comprenaient le sens très naturellement :
''Toi hors du cycle, toi conduit par la faim sans fin, retourne à ce monde une fois encore, réclame ton pouvoir, dévore tout. Regarde dans leur cœur, ils ne connaissent que la peur, qu'ils regardent en toi et ne connaissent que le vide. La gloire est à nous, l'agonie à eux.''
En chœur, les insectes répétèrent ces paroles jusqu'à ce que leur corps s'entoure d'une aura sombre et que le pouvoir n'en jaillisse, convergeant à mi-chemin de leurs positions. Là, le tissu de la réalité commença à se déchirer, ouvrant une brèche vers les entrailles du monde. De plus en plus largement, l'ouverture laissait entrevoir les ténèbres d'une dimension qui était peut-être pire que le Néant d'où venaient les démons. Et à mesure que l'entrée s'élargissait, Huisaile et Melissé étaient lentement mais implacablement attirés vers son seuil, où ils se retrouvèrent côte à côte.
Comment aurais-je pu faire autrement ? Mes erreurs m'auraient conduit à la mort,
''C'est fait maintenant, déclara Melissé. Nous avons fait ce qu'il fallait. Du moins je l'espère.''
Huisaile hocha la tête, sans quitter la brèche des yeux. Lorsqu'il prit la parole, ce fut à son tour d'adopter un ton sévère :
''Tenez vous prête maintenant. Quoi qu'il sorte d'ici, cela ne doit pas se croire en liberté. Cela doit être contenu et maîtrisé. Souvenez vous qu'il nous a fallu être deux pour l'invoquer, il nous faudra être autant pour le-''
Mais l'Arlequin ne put finir ses instructions que des vrilles tentaculaires jaillirent de la brèche, le saisissant aux chevilles, aux bras et à l'abdomen pour le tirer dans l'obscurité. Un murmure vint alors aux oreilles des Anciens :
Ag thyzak sk'yahf.
Nous réclamons ton âme.
A ces mots, Melissé hurla d'horreur et se jeta sur le comparse qui lui était arraché. Mais elle eut beau saisir les bras de l'Arlequin, appeler son essaim à la rescousse, elle ne parvint pas à tirer son compagnon hors de l'étreinte de ses ravisseurs. Cela ne l'empêcha pas de s'agripper, de hurler ses suppliques à celui qui lui était enlevé, à la déesse et même aux ténèbres qui restaient sourdes à ses appels.
Que ce soit parce qu'il était déjà résigné, ou parce que son esprit était subjugué par l'appel antique, Huisaile ne faisait ni ne disait rien. Le silence et l'immobilisme du papillon pris dans ses entraves contrastaient grandement avec la panique qui possédait l'abeille et cette dernière refusait de lâcher prise, même alors que le corps chitineux commençait à se briser sous la pression des vrilles sombres.
Implacablement, le Papillon Runique fut tiré dans les ténèbres et Melissé, qui en désespoir de cause avait voulu agripper un pan d'aile runique, ne put que sentir leur magie s'évanouir en même temps que la vie de son compagnon.
Lorsque Huisaile eut disparu, totalement englouti par l'obscurité, un remous agita cette dernière. Quelque chose d'immense s'y était mis en mouvement et, avec lenteur, traversait la brèche grande ouverte.
Melissé, reine éplorée, restait encore trop secouée d'effroi pour agir, et l'aberration chthonienne passa sous elle sans qu'elle y prête attention.
Le corps immense, gris et flasque, quitta le noir absolu de sa prison pour tomber sous le soleil déclinant d'Azeroth et écraser tout ce sur quoi il passait. D'immenses tentacules remuaient au sommet de ce qui devait être sa tête, dévastant les rangs des démons alentours. Une carapace spiralée, plus vaste qu'une cité et toute faite de roche trônait sur l'être cyclopéen qui se dressa dans la lumière du crépuscule, pour révéler une gueule circulaire aux longs crocs rocheux, surplombant une succession de bouches carnassières tout le long de son corps.
La créature, haute comme une montagne n'émettait aucun son de ses multiples bouches, mais les tremblements qui secouaient la terre, le chaos qui se répandait à son passage parlaient pour elle. Lâché au beau milieu du champ de bataille, le colosse antique se fraya un chemin dans la vallée, engloutissant démons, végétation et plusieurs couches de sol qui passaient en travers de ses gueules.
***
Et à la perte de ce monde que j'étais destiné à protéger.
Houd était parvenu, à force d'efforts, à briser l'ancrage du portail démoniaque et provoquer son effondrement, privant ainsi la Légion de ses renforts. Maintenant, les démons devraient être plus faciles à gérer pour ses camarades.
Considérant la complexité de la porte ouverte par les démons et les difficultés qu'il avait eu à en détisser le sortilège, le Perceur de Secrets gageait que leurs ennemis n'en rouvriraient pas une nouvelle de si tôt.
Aussi fut-il désemparé lorsqu'il perçut l'ouverture d'une brèche plus grande encore à l'autre bout du champ de bataille. Creusant son chemin jusqu'à l'air libre, l'Aveugle fut plus surpris encore lorsqu'il comprit quelle magie était utilisée pour ce sort et qui en étaient les instigateurs.
''Les fous.'' murmura-t-il alors que le monstre gargantuesque franchissait le seuil de leur réalité.
C'était exactement à cause de ce genre d'imprévu qu'il préférait agir seul. Ses alliés n'étaient pas fiables et se révélaient parfois plus imprévisibles et plus dangereux que ses ennemis. Ce soir en était une effrayante illustration.
La marche à suivre aurait du être simple : empêcher les démons d'affluer, neutraliser leurs chefs et endiguer l'invasion. Maintenant, une nouvelle menace avait pris la priorité, forçant Houd à improviser, pire : à déléguer.
Ratatast et Hermez, à qui l'apparition n'avait pas échappé, vinrent le rejoindre prestement en laissant derrière eux leur adversaire pris dans la tempête et Spinoix sur le sol.
''_Houd ! Qu'est-ce qui se passe ?! Qu'est-ce qu'ils ont fait ?!
_Ouais, moi aussi j'aimerais bien savoir. C'est quoi le projet derrière l'invocation d'un escargot géant en plein champ de bataille ?
_Ce ne sont pas les démons qui ont fait ça, mais nos alliés Huisaile et Mélissé. Pour une raison que j'ignore ils ont libéré le Dévoreur de sa prison. Mais à quoi pensaient-ils ?
_Et ça va nous aider ? questionna Hermez, qui semblait accuser la fatigue et parlait entre deux souffles.
_Non, le Dévoreur est un serviteur des Dieux Très Anciens. C'est un outil de chaos et de destruction. On l'appelle aussi l'Insatiable, et à moins qu'on l'arrête, il réduira en poussière chaque lopin de terre sur son passage.''
Les trois Anciens observèrent avec fascination les ravages que causait la créature dans les rangs de leurs ennemis. Savoir qu'elle passerait au monde entier après en avoir fini avec eux eut cependant tôt fait de changer cette fascination en appréhension.
''_Il va nous falloir du très gros sel, dit alors Rattatast.
_Changement de plan, déclara l'Aveugle. Je vais me rendre là-bas et m'occuper de révoquer cette créature. Vous, vous en finissez avec le chef des démons.
_D'accord, pas de problème. Attends, quoi ? Tu nous as demandé de le contenir parce qu'on avait besoin de toi pour le tuer !
_Et bien j'ai menti et vous pouvez très bien vous en sortir seuls. Après tout, vous l'avez effectivement contenu jusque là.
_Ouais, et je sais pas si tu as remarqué mais notre furet de tonnerre est à plat maintenant, annonça l'écureuil en désignant Hermez, qui avait profité qu'on ne fasse pas attention à elle pour se coucher sur le sol.
_Non-non, je vais très bien, mentit l'Ancienne.
_Écoute, cette menace est prioritaire sur le reste et je peux y faire quelque chose, ce qui veut dire que je dois le faire. Quoiqu'on fasse, la nuit sera longue pour nous tous alors ne crois pas que je me défile. Tlop et Cwalcwutlicwa pourront vous prêter main-forte. Ils en ont bientôt fini avec leur propre démon...''
Du museau, Houd désigna l'étendue de vase où l'annihilan, enfoncé dans la boue jusqu'aux épaules, se faisait matraquer le crâne à grands coups de masse dorée par l'Ancien crapaud qui tenait bloquée sa mâchoire. Ratatast et Hermez suivirent son regard, et lorsque l'écureuil revint à lui pour rétorquer, l'Aveugle avait disparu.
Après avoir percé la terre au pied de l'escarpement rocheux qu'il venait de descendre, l'Agent des Profondeurs courait le champ de bataille en direction de l'escargot gargantuesque. Plongeant tour à tour dans le sol, dans les ombres et dans les rangs ennemis qui avançaient dans la même direction que lui, Houd avisait parfois le ciel assombri par le soleil qui venait de disparaître. De noirs nuages venus de la tourmente de Zin'Azshari s'amoncelaient jusqu'au dessus de leurs têtes et faisaient de l'ombre aux deux lunes.
Comme il l'avait dit, la nuit risquait d'être longue pour tous.
***
''_Tu te souviens quand je t'ai parlé de l'instant krunch ? Il est possible que je me sois trompé sur le propos, disait Ratatast alors qu'il accourait, flanqué de sa camarade, vers le démon toujours prisonnier des vents.
_Comment ça ? demanda la furette.
_Je veux dire qu'en fait, il va arriver maintenant ! L'instant où ça devient brutal et où on termine le boulot, quoiqu'il en coûte.
_J'ai l'impression que tu l'inventes à mesure que tu en parles.
_Peut-être bien ouais... Bon, est-ce que tu peux nous le faire tourner encore une ou deux fois le temps que je rameute la princesse au crapaud ?
_Je vais faire tout ce que je peux, oui.
_Parfait, c'est précisément ce qu'on te demande !''
Les deux Anciens se séparèrent alors, Hermez plongeant dans la tornade et Ratatast approchant les deux amphibiens qu'il héla en agitant les bras.
''Eyh amenez vous !''
Si Cwalcwutliwa daigna faire pivoter son trône dans sa direction, Tlop ne se tourna vers l'écureuil que lorsqu'il eut entre ses doigts la langue du démon, arrachée à sa gueule enflammée.
''On a besoin d'aide par ici !'' cria encore le rongeur avant de s'emparer de la corde au bout de laquelle reposait Spinoix, toujours endormi.
Laissant l'annihilan s'enfoncer dans la vase, les batraciens suivirent Ratatast à pas mesurés, en direction du cyclone. Ce dernier s'essoufflait et se dissipa alors sous les yeux des Anciens, laissant apparaître un érédar qui jubilait de sa liberté enfin retrouvée.
''_Hermez, qu'est-ce que tu fiches ?! s'écria l'écureuil.
_Plus de mana ! J'ai plus de mana ! répondait l'Ancienne du ciel, qui voletait en tout sens.
_Et c'est bien dommage, renchérit le démon. Car j'en ai bien plus qu'il n'en faut pour vous régler votre compte.''
Mais si maintenant mes forces me quittent,
''Faiblesse !'' cracha l'érédar en direction de la furette qui dégringola plusieurs mètres dans les airs, ses ailes incapables de la porter plus haut. Sans magie et sans force, Hermez peinait même à voler droit : la tête lui tournait et sa vision s'obscurcissait. De ses membres engourdis jusqu'à son esprit embrumé, tout son être réclamait le repos.
Mais elle ne pouvait pas, pas maintenant. Leur bataille n'était pas terminée, pas plus que la guerre. Aviana quelque part luttait contre les démons et ses camarades en contrebas n'en faisaient pas moins. Ils s'attendaient certainement à ce qu'elle se batte encore. Mais pour l'heure, elle devait économiser ses forces, et bouger pour rester en vie.
Ratatast, l'air renfrogné, fit tournoyer Spinoix au-dessus de sa tête avant de l'envoyer au visage de leur ennemi. La boule de piquants fila comme une flèche et pourtant le démon l'intercepta, l'attrapant par la corde qui se changea en chaîne noire entre ses doigts.
Si la souffrance m'agrippe,
''Agonie !'' rugit-il à l'écureuil.
Avec un hoquet, Ratatast alla mordre la poussière, plié en deux par la douleur fulgurante qui s'empara de lui. Sa fourrure se hérissait par vagues sur tout son corps agité de soubresauts. L'écume aux lèvres et les larmes aux yeux, il aurait hurlé mais ne parvenait qu'à lâcher ponctuellement de petits couinements de rongeur. Avec son cœur qui battait la chamade et sa poitrine qui se soulevait au rythme d'une respiration effrénée, il savait que la mort était encore loin contrairement à ce que lui criait tout le reste de son être.
Par le pouvoir du Gland Sacré... Non, ça lui était inutile. Impossible dans son état de se concentrer suffisamment pour invoquer le pouvoir des plantes. Et quand bien même, il ne voulait pas que le démon le lui arrache aussi ! Cette ordure tenait déjà son meilleur ami entre ses sales pattes...
''Spinoix !'' réussit à crier Ratatast à pleins poumons.
Avec un sourire sordide, le sorcier démon tourna son attention sur les amphibiens. Cwalcwutlicwa avait abandonné son air détaché et se tenait aussi prête à agir que son compagnon à ses côtés, ce dernier ayant levé son arme et adopté une posture de combat.
Et si ma chute est proche.
''Affliction'' lança l'érédar, prononçant lentement chaque syllabe de sa malédiction, comme s'il en dégustait le pouvoir passant sur sa langue.
Guettant l'effet du sortilège, Tlop se tourna vers la Reine Grenouille lorsqu'il comprit que c'était sur elle que le démon avait rivé son regard. Il put ainsi la voir perdre toute contenance, alors qu'elle levait ses mains devant ses yeux, mains qui commençaient à fondre. A plusieurs reprises, l'Ancienne des rivières tenta en invoquant les eaux de purifier son propre corps rongé par la malédiction, mais chaque fois qu'elle semblait exorcisée, cette dernière reprenait son œuvre de plus belle.
Désemparé par cette vision, le crapaud sentit pour la première fois depuis le début de la bataille -depuis des siècles, même- la peur étreindre sa poitrine alors que sa souveraine tournait vers lui des yeux ronds.
Alors, sans plus réfléchir, le Prince des Marais se hissa à la hauteur de sa Reine, et d'une main posée sur sa joue, amena sa tête à la sienne.
Cwalcwutlicwa sentit, outre la douceur du contact de son gardien et le réconfort qui s'ensuivit, les tremblements de ses mains se calmer. Un frisson la parcourut alors que la malédiction quittait son corps. Du moins elle pensait que c'était dû à la malédiction.
Le contact entre les deux Anciens se rompit peu après et la sérénité qui avait envahi la grenouille fut soufflée par la vision du guerrier crapaud qui se ramassait sur lui-même, se flétrissait, fondait pour se mêler à la vase à ses pieds. De choquée, elle en vint à être horrifiée. Le souffle lui manqua durant les longues secondes pendant lesquelles son regard restait bloqué, fixant l'endroit où son protecteur se tenait il y a un instant, stoïque, fier et surtout rassurant.
Et tandis que dans son esprit tournaient encore et encore les images de la disparition de son gardien, la seule chose qui ramena la Princesse des Rivières à la réalité fut le ricanement des démons qui se délectaient de sa souffrance. Même l'abominable seigneur des abîmes, vaincu et humilié, se permettait de rire alors que dans sa gueule, son sang noir se mêlait aux flammes.
Ma rage bouillonne,
Elle ne pouvait pas les laisser se permettre un tel affront, ne pouvait laisser un tel acte impuni. Ces démons allaient périr au nom de son protecteur perdu et de sa vengeance. Ceux qui survivraient seraient jetés en pâture aux trolls pour leurs sacrifices. Leur mojo puant servirait alors à faire revenir son prince en ce monde, dusse-t-elle pour cela faire arracher un million de leurs cœurs noirs.
Se levant de son trône, ses poings serrés frémissant, Cwalcwutlicwa prit une longue inspiration. Ils lui avaient pris son gardien favori, mais elle en avait d'autres à son service. Son siège se dressa à son tour pour prendre la forme d'un grand élémentaire d'eau et l'engloutir dans sa masse. Là, flottant dans le liquide clair, l'Ancienne laissa s'exprimer sa colère, car elle se trouvait maintenant dans son élément.
Dans son élément, elle se fichait de pleurer car ses larmes se mêlaient à l'eau. Dans son élément, elle se fichait de hurler car l'eau noyait ses cris. Dans son élément, ses ennemis prendraient tout la mesure de son courroux, car l'eau frappait avec la force des torrents.
N'ignorant pas l'annihilan qui avait ri d'elle, elle tendit la main vers le visage du démon et l'élémentaire immense qui la mimait précisément s'empara de sa défense pour commencer à la tirer en avant.
Et, quant à savoir qui de la gangue de vase ou de la poigne de l'élémentaire était la plus forte, la perdante fut en tout cas la nuque de l'annihilan qui céda, abandonnant au colosse aquatique la tête démoniaque.
Le démon explosa dans le dos de l'élémentaire et de la reine, qui ne s'en soucièrent pas plus et se ruaient déjà vers l'érédar.
Car c'est une chose que l'on ne peut m'enlever.
''Spinoix ! Réveille toi ! Bouge !'' s'égosillait Ratatast.
Alors qu'il se tortillait au sol, fou de douleur, l'écureuil ne pouvait qu'observer entre ses tressauts le démon qui agitait son ami au bout de sa chaîne, pour tenir à distance la furette qui tentait vaille que vaille de l'approcher. De sa main libre, il ouvrait un portail, bien plus modeste que celui qu'avait refermé Houd, mais assez large pour laisser passer d'immenses gangregardes. Sitôt le pied posé au sol, ces derniers avançaient à la rencontre de l'élémentaire qui cascadait sur leur position.
Le premier guerrier démon fut accueilli sur Azeroth par la tête de l'annihilan dont la défense s'enfonça dans son torse. Les trois suivants furent balayés par le passage de l'élémentaire qui abattit ses poings sur le reste de la troupe, rejetant en arrière les démons. Mais qu'importait pour l'érédar : ses soldats ne faisaient que lui donner plus de temps pour son divertissement.
''C'est un bien beau jouet que tu as là, mais un ami pathétique, dit le seigneur sorcier à l'adresse de l'écureuil. Je ne vois pas pourquoi tu as l'air d'y tenir tant, mais ça ne fait qu'une raison de plus de te l'arracher.''
Alors, lentement, le démon tendit le hérisson devant le portail qui se refermait déjà, non sans avoir d'abord délivré son dernier gangregarde. Hermez, qui tentait encore une fois d'intervenir, fut jetée au sol d'un revers de claque envoyé par l'érédar.
''Non ! Spinoix ! Fais quelque chose ! Ils vont t'emmener ! Bouge ! Réveille toi !'' s'époumona Ratatast qui se roulait au sol, les yeux clos. Malgré la cohue dans son esprit et la souffrance de son corps, il tenta de trouver le calme suffisant pour atteindre son ami dans le Rêve d’Émeraude. Et lorsqu'il y parvint, ce ne fut que brièvement, pour sentir l'esprit du hérisson être coupé d'Azeroth.
En rouvrant les yeux, Ratatast vit la main tendue du démon, vide de la chaîne qui retenait son ami et le portail disparu, envolé, tout comme Spinoix. La malédiction s'estompait peu à peu, mais même si elle laissait son corps affaibli, le faisant frémir et suer, l'esprit de l'écureuil n'était plus tourné que sur un seul point : L'affreux rictus du démon.
Et maintenant que la fin est proche je m'en remet à vous,
D'être jetée au sol avait permis à Hermez de reprendre son souffle et de reposer ses membres endoloris, le temps que la malédiction ne commence à s'estomper. Elle ne tarda cependant pas à se relever et, malgré le peu d'énergie qu'elle avait récupéré, la furette s'éleva péniblement dans les airs pour retourner à l'assaut.
Son vol erratique la mena jusqu'à l'érédar à qui elle jeta de faibles éclairs, tombés non pas du ciel, mais lancés de son regard de foudre. Elle ne pouvait sans doute pas le blesser ainsi, mais elle pouvait au moins le distraire, l'occuper le temps que ses amis arrivent à leur tour. Oui, ça elle pouvait le faire. Elle en avait encore la force. Elle pouvait même esquiver les projectiles enflammés que lui envoyait le seigneur-démon, signe qu'elle accaparait bien assez son attention.
À s'exposer ainsi, et dans son état, elle avait toutes les chances de périr mais Hermez préférait ne pas y penser. À la place, elle pensait à Aviana qui quelque part abattait sans doute son lot de démons. Bientôt cette guerre serait terminée et la furette pourrait rejoindre sa maîtresse, lui conter son propre récit de bataille et écouter le sien.
Mais à force de penser à la déesse aviaire, la furette fut frappée par un remous soudain dans le Rêve. Son lien avec Aviana avait été rompu et cette réalisation soudaine la tétanisa plus sûrement que n'importe quelle malédiction de faiblesse. Cessant son assaut, Hermez fouilla de ses grands yeux de foudre le ciel en direction de Zin 'Azshari. Cela ne lui apportait rien, mais à cet instant la furette se sentait complètement perdue, voletant d'avant et d'arrière, ne sachant plus où elle devait se trouver, où elle devait aller. Paniquée, elle s'efforça malgré tout de sonder le Rêve. Si elle avait perdu contact avec la déesse, ça ne pouvait signifier qu'une chose.
Aviana était...
Les deux mains de l'érédar, qui s'abattirent contre son corps torturé par l'inquiétude dans un claquement retentissant, l'empêchèrent de formuler la suite de sa pensée.
Hermez, déjà abattue par le sort de sa maîtresse chuta dans l'inconscience. Et vers le sol.
Que votre lumière me guide dans la bataille, ou qu'elle soit la dernière chose que je vois de ce monde.
Le ciel était noir au dessus des Anciens, mais une brise fraîche commença à souffler dans l'air nocturne, glissant sur la fourrure rêche du blaireau géant.
La brise devint un vent plus puissant qui remua les poils du colosse sur son crâne et secoua les cordes des démons qui montaient à l'assaut de son corps.
En se concentrant là-dessus, Grimmbar parvenait à ignorer le tumulte des démons et du serviteur des Très Anciens qui avait été libéré. Il se plaisait même à penser que la brise était un présage quant à la bataille à venir.
Le vent tourne comme on dit.
Enfin, ce dernier devint assez fort pour disperser les nuages qui couvraient les cieux. La lune blanche ne tarda pas à apparaître, brillant de tout son éclat, sa clarté tombant sur le visage du colosse à fourrure.
Grimmbar ouvrit alors les yeux, les tournant vers l'astre lunaire. Il vit le miracle se produire.
Les étoiles tombaient du ciel.
Larairah se redressa dans un sursaut, les yeux grands ouverts. Il s'était assoupi ? Combien de temps ?! À en juger par le crépuscule encore tout frais, pas plus de quelques minutes, quelques secondes avec un peu de chance. Mais c'était déjà trop et il devait repartir prestement. Après tout, on lui avait confié une unique mission et il aurait été dommage de la manquer. Enroulé dans ses bandages, le lièvre se releva pour aussitôt marquer une pause durant laquelle son vertige passa et la douleur de sa patte blessée se rappela à lui. Geignant sans retenue, il se laissa tomber sur ses pattes encore valides et avança par petits bonds claudicants dans la forêt. Heureusement, même ainsi il était plus rapide que la plupart des créatures en Azeroth, et avalait les distances.
Ses blessures, cependant, le forçaient à des arrêts réguliers et, au détour d'une clairière, il sentit une large ombre se poser sur lui, accompagnée d'un ricanement sordide. Larairah, qui n'était pas encore remis de son combat contre son double obscur, bondit à la lumière et fit face à ce qui s'était immiscé dans son dos. Il soupira de soulagement en reconnaissant la silhouette d'une immense hyène à la gueule pleine de bave et de crocs immenses.
''_Oh Redd... C'est que toi... dit le lièvre alors qu'il tâchait de dissimuler la tension qui pesait sur tous ses membres. Salut ma vieille...
_Larairah... Qu'est-ce que tu fais si loin de la bataille ? Me dis pas que le Prince aux Mille Ennemis aurait manqué une occasion de tous les humilier d'un coup ?'' répondit la hyène, ses grands yeux jaunes rivés sur son interlocuteur.
Sa posture, ramassée sur elle-même, n'augurait rien de bon : Redd semblait prête à bondir à tout instant. Pas après pas, elle approchait le rongeur, lui tournant autour alors que ce dernier reculait, pivotant pour rester de face. Ne pas ciller, surtout ne pas ciller : cette discussion n'avait rien d'aimable, Larairah le savait de toutes ses expériences avec les Anciens carnivores.
''_Eheh, ouais... Vu comme ça c'est dommage, sans doute. Mais j'allais te poser la même question. Tu t'es perdue ? Je sais que t'es pas l'esprit le plus affûté de la savane, mais...
_Mais tu sais aussi que je suis une charognarde, et que les charognards attendent toujours la fin du combat.
_Ha oui, bien sûr, bien sûr... Et bien dans ce cas je vais te laisser attendre ici et moi je vais... Tailler ma route.''
Et alors qu'il bondissait de côté pour contourner son interlocutrice, le lièvre se vit barrer le passage, d'abord par la patte noire immense, puis par la gueule puante qui emplit son champ de vision.
''Oh mais attends... Tu resteras bien quelques minutes... Je tiens à te garder pour le banquet de la victoire.'' dit-elle avec son plus carnassier sourire.
D'agacement, le Haut-Roi de Garennes sentit ses moustaches frémir. D'abord traqué par la magie des démons, puis acculé jusqu'au seuil de la mort, et maintenant ça. Et en plus, de tous ses ennemis, il fallait qu'il tombe sur la bécasse la plus bouchée et stupide de la liste. Pour une fois en plusieurs millénaires, le lièvre fut celui qui coupa court à la plaisanterie :
''_Bon d'accord, je sais très bien ce que tu me veux. C'est à peu près la même chose que ce que veulent tous les carnivores de la région de toute façon. Au passage, par Elune, est-ce que vous trouvez correct de vouloir manger quelqu'un avec qui vous discutez ? Sérieusement ? Vous les mangeurs de viande êtes vraiment... Mais passons. Ce que je sais des charognards, c'est qu'ils mangent des cadavres. Maintenant, moi, moi je suis encore bien vivant et contrairement à toi, j'ai un rôle à jouer dans cette guerre. Donc tu vas me laisser passer...
_Sinon quoi ? Tu vas détaler, fuir comme d'habitude ? questionna la hyène en approchant sa gueule plus près encore de sa proie qui pouvait sentir l'humidité de sa truffe et la puanteur de son haleine.
_J'envisageais pas vraiment de ''sinon'' au bout de cette phrase, mais ton idée me semble pas mal, répondit le lièvre qui portait une de ses mains à ses sacoches.
_C'est à peu près tout ce que tu sais faire, de toute façon. Sauf qu'aujourd'hui, on dirait que tu as quelques faiblesses.
_Oh, mais tu crois que courir est mon seul atout ? Tu dois vraiment être stupide si j'ai pu t'échapper jusque là sans autre chose que mes jambes.''
Sur ce, le lièvre s'empara d'une nouvelle vesse-de-loup et la fit exploser sur le sol, libérant un nuage de spores qui surprit l'Ancienne carnivore et laissa le champ libre au coureur pour prendre la fuite.
A grands bonds douloureux, le lièvre retrouva le couvert des arbres auxquels il bondit, afin de prendre de la hauteur. De là, il sautait de branches en branches, attentif à l'avancée de sa poursuivante.
Ce n'était de toute façon pas difficile, cette idiote ne pouvait s'empêcher de ricaner...
Peu soucieuse de la forêt, l'idiote en question percutait les arbres, déracinant les plus chétifs. Larairah voulut accélérer le rythme, mais sa patte blessée ne donna pas réponse à son mouvement et il chuta vers les branches basses auxquelles il perdit du temps à se rattraper. Redd en profita pour bondir, abattre l'arbre et jeter au sol le lièvre en fuite. Ce dernier repartit derechef et les immenses mâchoires claquèrent à quelques centimètres de sa queue touffue. Il fit quelques pas avant que sa patte boiteuse ne le rappelle à l'ordre et n'eut pas besoin de se retourner pour savoir que sa poursuivante ne respecterait pas son temps de pause. L'Ancien sauta alors, cherchant à passer par dessus le tronc de l'arbre abattu. Mais cette fois, les crocs épais se refermèrent autour de sa patte meurtrie.
Son cri s'éleva dans la forêt, par dessus le ricanement joyeux de la prédatrice.
***
J'ai toujours gardé la raison, suivi les enseignements que vous m'avez donné.
''_Je vous le demande encore une fois, êtes vous certaine de vouloir faire cela ? questionna Huisaile, qui s'était à son tour fait soucieux. J'ai beau regarder la chose sous tous les angles, cela me semble folie.
_Alors tournez la ainsi, rétorqua Melissé, sévèrement. C'est la seule possibilité qu'il nous reste si nous voulons éviter la mort d'un Ancien, et peut-être celle des autres après lui.
_Les conséquences d'un tel rituel ne peuvent être que désastreuses. Croyez moi, il y a bien une raison pour laquelle cette magie vous révulse.
_Aussi répugnante qu'elle soit, elle est en nous. Et en tant que gardiens de ce monde, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour le protéger. Nous agissons pour le bien, Huisaile. Ayez foi. Et mettez vous en position, si vous le voulez bien.''
Le papillon n'ajouta rien de plus qu'un soupir et s'éloigna à grands battements d'ailes de sa comparse. Creusant la distance qui les séparait, les deux insectes ne s'arrêtèrent que lorsqu'ils furent à un bout et l'autre du fossé creusé comme dernier obstacle aux démons. Là, ils commencèrent à incanter dans une langage qui coulait comme une bile immonde sur leur langue.
''Iilth shg'fhn, iilth eqnizz uhnish'Naus. Qam agthu vwyq. Thyzak sk'uq, lwhuk h'iwn.
Gul'kath ywaq plahf mh'shgn, ywaq gul'kath plahf mh'shel. Fssh ak'ma, uuyat ywaq'ma.''
L'impression de malaise qui affligeait l'abeille et le papillon suffit presque à leur faire regretter d'avoir lancé le rituel. Le mal porté par chacune des syllabes qui franchissait leur bouche était écœurant. Mais ce qui effrayait plus encore Huisaile et Melissé, c'est qu'ils en comprenaient le sens très naturellement :
''Toi hors du cycle, toi conduit par la faim sans fin, retourne à ce monde une fois encore, réclame ton pouvoir, dévore tout. Regarde dans leur cœur, ils ne connaissent que la peur, qu'ils regardent en toi et ne connaissent que le vide. La gloire est à nous, l'agonie à eux.''
En chœur, les insectes répétèrent ces paroles jusqu'à ce que leur corps s'entoure d'une aura sombre et que le pouvoir n'en jaillisse, convergeant à mi-chemin de leurs positions. Là, le tissu de la réalité commença à se déchirer, ouvrant une brèche vers les entrailles du monde. De plus en plus largement, l'ouverture laissait entrevoir les ténèbres d'une dimension qui était peut-être pire que le Néant d'où venaient les démons. Et à mesure que l'entrée s'élargissait, Huisaile et Melissé étaient lentement mais implacablement attirés vers son seuil, où ils se retrouvèrent côte à côte.
Comment aurais-je pu faire autrement ? Mes erreurs m'auraient conduit à la mort,
''C'est fait maintenant, déclara Melissé. Nous avons fait ce qu'il fallait. Du moins je l'espère.''
Huisaile hocha la tête, sans quitter la brèche des yeux. Lorsqu'il prit la parole, ce fut à son tour d'adopter un ton sévère :
''Tenez vous prête maintenant. Quoi qu'il sorte d'ici, cela ne doit pas se croire en liberté. Cela doit être contenu et maîtrisé. Souvenez vous qu'il nous a fallu être deux pour l'invoquer, il nous faudra être autant pour le-''
Mais l'Arlequin ne put finir ses instructions que des vrilles tentaculaires jaillirent de la brèche, le saisissant aux chevilles, aux bras et à l'abdomen pour le tirer dans l'obscurité. Un murmure vint alors aux oreilles des Anciens :
Ag thyzak sk'yahf.
Nous réclamons ton âme.
A ces mots, Melissé hurla d'horreur et se jeta sur le comparse qui lui était arraché. Mais elle eut beau saisir les bras de l'Arlequin, appeler son essaim à la rescousse, elle ne parvint pas à tirer son compagnon hors de l'étreinte de ses ravisseurs. Cela ne l'empêcha pas de s'agripper, de hurler ses suppliques à celui qui lui était enlevé, à la déesse et même aux ténèbres qui restaient sourdes à ses appels.
Que ce soit parce qu'il était déjà résigné, ou parce que son esprit était subjugué par l'appel antique, Huisaile ne faisait ni ne disait rien. Le silence et l'immobilisme du papillon pris dans ses entraves contrastaient grandement avec la panique qui possédait l'abeille et cette dernière refusait de lâcher prise, même alors que le corps chitineux commençait à se briser sous la pression des vrilles sombres.
Implacablement, le Papillon Runique fut tiré dans les ténèbres et Melissé, qui en désespoir de cause avait voulu agripper un pan d'aile runique, ne put que sentir leur magie s'évanouir en même temps que la vie de son compagnon.
Lorsque Huisaile eut disparu, totalement englouti par l'obscurité, un remous agita cette dernière. Quelque chose d'immense s'y était mis en mouvement et, avec lenteur, traversait la brèche grande ouverte.
Melissé, reine éplorée, restait encore trop secouée d'effroi pour agir, et l'aberration chthonienne passa sous elle sans qu'elle y prête attention.
Le corps immense, gris et flasque, quitta le noir absolu de sa prison pour tomber sous le soleil déclinant d'Azeroth et écraser tout ce sur quoi il passait. D'immenses tentacules remuaient au sommet de ce qui devait être sa tête, dévastant les rangs des démons alentours. Une carapace spiralée, plus vaste qu'une cité et toute faite de roche trônait sur l'être cyclopéen qui se dressa dans la lumière du crépuscule, pour révéler une gueule circulaire aux longs crocs rocheux, surplombant une succession de bouches carnassières tout le long de son corps.
La créature, haute comme une montagne n'émettait aucun son de ses multiples bouches, mais les tremblements qui secouaient la terre, le chaos qui se répandait à son passage parlaient pour elle. Lâché au beau milieu du champ de bataille, le colosse antique se fraya un chemin dans la vallée, engloutissant démons, végétation et plusieurs couches de sol qui passaient en travers de ses gueules.
***
Et à la perte de ce monde que j'étais destiné à protéger.
Houd était parvenu, à force d'efforts, à briser l'ancrage du portail démoniaque et provoquer son effondrement, privant ainsi la Légion de ses renforts. Maintenant, les démons devraient être plus faciles à gérer pour ses camarades.
Considérant la complexité de la porte ouverte par les démons et les difficultés qu'il avait eu à en détisser le sortilège, le Perceur de Secrets gageait que leurs ennemis n'en rouvriraient pas une nouvelle de si tôt.
Aussi fut-il désemparé lorsqu'il perçut l'ouverture d'une brèche plus grande encore à l'autre bout du champ de bataille. Creusant son chemin jusqu'à l'air libre, l'Aveugle fut plus surpris encore lorsqu'il comprit quelle magie était utilisée pour ce sort et qui en étaient les instigateurs.
''Les fous.'' murmura-t-il alors que le monstre gargantuesque franchissait le seuil de leur réalité.
C'était exactement à cause de ce genre d'imprévu qu'il préférait agir seul. Ses alliés n'étaient pas fiables et se révélaient parfois plus imprévisibles et plus dangereux que ses ennemis. Ce soir en était une effrayante illustration.
La marche à suivre aurait du être simple : empêcher les démons d'affluer, neutraliser leurs chefs et endiguer l'invasion. Maintenant, une nouvelle menace avait pris la priorité, forçant Houd à improviser, pire : à déléguer.
Ratatast et Hermez, à qui l'apparition n'avait pas échappé, vinrent le rejoindre prestement en laissant derrière eux leur adversaire pris dans la tempête et Spinoix sur le sol.
''_Houd ! Qu'est-ce qui se passe ?! Qu'est-ce qu'ils ont fait ?!
_Ouais, moi aussi j'aimerais bien savoir. C'est quoi le projet derrière l'invocation d'un escargot géant en plein champ de bataille ?
_Ce ne sont pas les démons qui ont fait ça, mais nos alliés Huisaile et Mélissé. Pour une raison que j'ignore ils ont libéré le Dévoreur de sa prison. Mais à quoi pensaient-ils ?
_Et ça va nous aider ? questionna Hermez, qui semblait accuser la fatigue et parlait entre deux souffles.
_Non, le Dévoreur est un serviteur des Dieux Très Anciens. C'est un outil de chaos et de destruction. On l'appelle aussi l'Insatiable, et à moins qu'on l'arrête, il réduira en poussière chaque lopin de terre sur son passage.''
Les trois Anciens observèrent avec fascination les ravages que causait la créature dans les rangs de leurs ennemis. Savoir qu'elle passerait au monde entier après en avoir fini avec eux eut cependant tôt fait de changer cette fascination en appréhension.
''_Il va nous falloir du très gros sel, dit alors Rattatast.
_Changement de plan, déclara l'Aveugle. Je vais me rendre là-bas et m'occuper de révoquer cette créature. Vous, vous en finissez avec le chef des démons.
_D'accord, pas de problème. Attends, quoi ? Tu nous as demandé de le contenir parce qu'on avait besoin de toi pour le tuer !
_Et bien j'ai menti et vous pouvez très bien vous en sortir seuls. Après tout, vous l'avez effectivement contenu jusque là.
_Ouais, et je sais pas si tu as remarqué mais notre furet de tonnerre est à plat maintenant, annonça l'écureuil en désignant Hermez, qui avait profité qu'on ne fasse pas attention à elle pour se coucher sur le sol.
_Non-non, je vais très bien, mentit l'Ancienne.
_Écoute, cette menace est prioritaire sur le reste et je peux y faire quelque chose, ce qui veut dire que je dois le faire. Quoiqu'on fasse, la nuit sera longue pour nous tous alors ne crois pas que je me défile. Tlop et Cwalcwutlicwa pourront vous prêter main-forte. Ils en ont bientôt fini avec leur propre démon...''
Du museau, Houd désigna l'étendue de vase où l'annihilan, enfoncé dans la boue jusqu'aux épaules, se faisait matraquer le crâne à grands coups de masse dorée par l'Ancien crapaud qui tenait bloquée sa mâchoire. Ratatast et Hermez suivirent son regard, et lorsque l'écureuil revint à lui pour rétorquer, l'Aveugle avait disparu.
Après avoir percé la terre au pied de l'escarpement rocheux qu'il venait de descendre, l'Agent des Profondeurs courait le champ de bataille en direction de l'escargot gargantuesque. Plongeant tour à tour dans le sol, dans les ombres et dans les rangs ennemis qui avançaient dans la même direction que lui, Houd avisait parfois le ciel assombri par le soleil qui venait de disparaître. De noirs nuages venus de la tourmente de Zin'Azshari s'amoncelaient jusqu'au dessus de leurs têtes et faisaient de l'ombre aux deux lunes.
Comme il l'avait dit, la nuit risquait d'être longue pour tous.
***
''_Tu te souviens quand je t'ai parlé de l'instant krunch ? Il est possible que je me sois trompé sur le propos, disait Ratatast alors qu'il accourait, flanqué de sa camarade, vers le démon toujours prisonnier des vents.
_Comment ça ? demanda la furette.
_Je veux dire qu'en fait, il va arriver maintenant ! L'instant où ça devient brutal et où on termine le boulot, quoiqu'il en coûte.
_J'ai l'impression que tu l'inventes à mesure que tu en parles.
_Peut-être bien ouais... Bon, est-ce que tu peux nous le faire tourner encore une ou deux fois le temps que je rameute la princesse au crapaud ?
_Je vais faire tout ce que je peux, oui.
_Parfait, c'est précisément ce qu'on te demande !''
Les deux Anciens se séparèrent alors, Hermez plongeant dans la tornade et Ratatast approchant les deux amphibiens qu'il héla en agitant les bras.
''Eyh amenez vous !''
Si Cwalcwutliwa daigna faire pivoter son trône dans sa direction, Tlop ne se tourna vers l'écureuil que lorsqu'il eut entre ses doigts la langue du démon, arrachée à sa gueule enflammée.
''On a besoin d'aide par ici !'' cria encore le rongeur avant de s'emparer de la corde au bout de laquelle reposait Spinoix, toujours endormi.
Laissant l'annihilan s'enfoncer dans la vase, les batraciens suivirent Ratatast à pas mesurés, en direction du cyclone. Ce dernier s'essoufflait et se dissipa alors sous les yeux des Anciens, laissant apparaître un érédar qui jubilait de sa liberté enfin retrouvée.
''_Hermez, qu'est-ce que tu fiches ?! s'écria l'écureuil.
_Plus de mana ! J'ai plus de mana ! répondait l'Ancienne du ciel, qui voletait en tout sens.
_Et c'est bien dommage, renchérit le démon. Car j'en ai bien plus qu'il n'en faut pour vous régler votre compte.''
Mais si maintenant mes forces me quittent,
''Faiblesse !'' cracha l'érédar en direction de la furette qui dégringola plusieurs mètres dans les airs, ses ailes incapables de la porter plus haut. Sans magie et sans force, Hermez peinait même à voler droit : la tête lui tournait et sa vision s'obscurcissait. De ses membres engourdis jusqu'à son esprit embrumé, tout son être réclamait le repos.
Mais elle ne pouvait pas, pas maintenant. Leur bataille n'était pas terminée, pas plus que la guerre. Aviana quelque part luttait contre les démons et ses camarades en contrebas n'en faisaient pas moins. Ils s'attendaient certainement à ce qu'elle se batte encore. Mais pour l'heure, elle devait économiser ses forces, et bouger pour rester en vie.
Ratatast, l'air renfrogné, fit tournoyer Spinoix au-dessus de sa tête avant de l'envoyer au visage de leur ennemi. La boule de piquants fila comme une flèche et pourtant le démon l'intercepta, l'attrapant par la corde qui se changea en chaîne noire entre ses doigts.
Si la souffrance m'agrippe,
''Agonie !'' rugit-il à l'écureuil.
Avec un hoquet, Ratatast alla mordre la poussière, plié en deux par la douleur fulgurante qui s'empara de lui. Sa fourrure se hérissait par vagues sur tout son corps agité de soubresauts. L'écume aux lèvres et les larmes aux yeux, il aurait hurlé mais ne parvenait qu'à lâcher ponctuellement de petits couinements de rongeur. Avec son cœur qui battait la chamade et sa poitrine qui se soulevait au rythme d'une respiration effrénée, il savait que la mort était encore loin contrairement à ce que lui criait tout le reste de son être.
Par le pouvoir du Gland Sacré... Non, ça lui était inutile. Impossible dans son état de se concentrer suffisamment pour invoquer le pouvoir des plantes. Et quand bien même, il ne voulait pas que le démon le lui arrache aussi ! Cette ordure tenait déjà son meilleur ami entre ses sales pattes...
''Spinoix !'' réussit à crier Ratatast à pleins poumons.
Avec un sourire sordide, le sorcier démon tourna son attention sur les amphibiens. Cwalcwutlicwa avait abandonné son air détaché et se tenait aussi prête à agir que son compagnon à ses côtés, ce dernier ayant levé son arme et adopté une posture de combat.
Et si ma chute est proche.
''Affliction'' lança l'érédar, prononçant lentement chaque syllabe de sa malédiction, comme s'il en dégustait le pouvoir passant sur sa langue.
Guettant l'effet du sortilège, Tlop se tourna vers la Reine Grenouille lorsqu'il comprit que c'était sur elle que le démon avait rivé son regard. Il put ainsi la voir perdre toute contenance, alors qu'elle levait ses mains devant ses yeux, mains qui commençaient à fondre. A plusieurs reprises, l'Ancienne des rivières tenta en invoquant les eaux de purifier son propre corps rongé par la malédiction, mais chaque fois qu'elle semblait exorcisée, cette dernière reprenait son œuvre de plus belle.
Désemparé par cette vision, le crapaud sentit pour la première fois depuis le début de la bataille -depuis des siècles, même- la peur étreindre sa poitrine alors que sa souveraine tournait vers lui des yeux ronds.
Alors, sans plus réfléchir, le Prince des Marais se hissa à la hauteur de sa Reine, et d'une main posée sur sa joue, amena sa tête à la sienne.
Cwalcwutlicwa sentit, outre la douceur du contact de son gardien et le réconfort qui s'ensuivit, les tremblements de ses mains se calmer. Un frisson la parcourut alors que la malédiction quittait son corps. Du moins elle pensait que c'était dû à la malédiction.
Le contact entre les deux Anciens se rompit peu après et la sérénité qui avait envahi la grenouille fut soufflée par la vision du guerrier crapaud qui se ramassait sur lui-même, se flétrissait, fondait pour se mêler à la vase à ses pieds. De choquée, elle en vint à être horrifiée. Le souffle lui manqua durant les longues secondes pendant lesquelles son regard restait bloqué, fixant l'endroit où son protecteur se tenait il y a un instant, stoïque, fier et surtout rassurant.
Et tandis que dans son esprit tournaient encore et encore les images de la disparition de son gardien, la seule chose qui ramena la Princesse des Rivières à la réalité fut le ricanement des démons qui se délectaient de sa souffrance. Même l'abominable seigneur des abîmes, vaincu et humilié, se permettait de rire alors que dans sa gueule, son sang noir se mêlait aux flammes.
Ma rage bouillonne,
Elle ne pouvait pas les laisser se permettre un tel affront, ne pouvait laisser un tel acte impuni. Ces démons allaient périr au nom de son protecteur perdu et de sa vengeance. Ceux qui survivraient seraient jetés en pâture aux trolls pour leurs sacrifices. Leur mojo puant servirait alors à faire revenir son prince en ce monde, dusse-t-elle pour cela faire arracher un million de leurs cœurs noirs.
Se levant de son trône, ses poings serrés frémissant, Cwalcwutlicwa prit une longue inspiration. Ils lui avaient pris son gardien favori, mais elle en avait d'autres à son service. Son siège se dressa à son tour pour prendre la forme d'un grand élémentaire d'eau et l'engloutir dans sa masse. Là, flottant dans le liquide clair, l'Ancienne laissa s'exprimer sa colère, car elle se trouvait maintenant dans son élément.
Dans son élément, elle se fichait de pleurer car ses larmes se mêlaient à l'eau. Dans son élément, elle se fichait de hurler car l'eau noyait ses cris. Dans son élément, ses ennemis prendraient tout la mesure de son courroux, car l'eau frappait avec la force des torrents.
N'ignorant pas l'annihilan qui avait ri d'elle, elle tendit la main vers le visage du démon et l'élémentaire immense qui la mimait précisément s'empara de sa défense pour commencer à la tirer en avant.
Et, quant à savoir qui de la gangue de vase ou de la poigne de l'élémentaire était la plus forte, la perdante fut en tout cas la nuque de l'annihilan qui céda, abandonnant au colosse aquatique la tête démoniaque.
Le démon explosa dans le dos de l'élémentaire et de la reine, qui ne s'en soucièrent pas plus et se ruaient déjà vers l'érédar.
Car c'est une chose que l'on ne peut m'enlever.
''Spinoix ! Réveille toi ! Bouge !'' s'égosillait Ratatast.
Alors qu'il se tortillait au sol, fou de douleur, l'écureuil ne pouvait qu'observer entre ses tressauts le démon qui agitait son ami au bout de sa chaîne, pour tenir à distance la furette qui tentait vaille que vaille de l'approcher. De sa main libre, il ouvrait un portail, bien plus modeste que celui qu'avait refermé Houd, mais assez large pour laisser passer d'immenses gangregardes. Sitôt le pied posé au sol, ces derniers avançaient à la rencontre de l'élémentaire qui cascadait sur leur position.
Le premier guerrier démon fut accueilli sur Azeroth par la tête de l'annihilan dont la défense s'enfonça dans son torse. Les trois suivants furent balayés par le passage de l'élémentaire qui abattit ses poings sur le reste de la troupe, rejetant en arrière les démons. Mais qu'importait pour l'érédar : ses soldats ne faisaient que lui donner plus de temps pour son divertissement.
''C'est un bien beau jouet que tu as là, mais un ami pathétique, dit le seigneur sorcier à l'adresse de l'écureuil. Je ne vois pas pourquoi tu as l'air d'y tenir tant, mais ça ne fait qu'une raison de plus de te l'arracher.''
Alors, lentement, le démon tendit le hérisson devant le portail qui se refermait déjà, non sans avoir d'abord délivré son dernier gangregarde. Hermez, qui tentait encore une fois d'intervenir, fut jetée au sol d'un revers de claque envoyé par l'érédar.
''Non ! Spinoix ! Fais quelque chose ! Ils vont t'emmener ! Bouge ! Réveille toi !'' s'époumona Ratatast qui se roulait au sol, les yeux clos. Malgré la cohue dans son esprit et la souffrance de son corps, il tenta de trouver le calme suffisant pour atteindre son ami dans le Rêve d’Émeraude. Et lorsqu'il y parvint, ce ne fut que brièvement, pour sentir l'esprit du hérisson être coupé d'Azeroth.
En rouvrant les yeux, Ratatast vit la main tendue du démon, vide de la chaîne qui retenait son ami et le portail disparu, envolé, tout comme Spinoix. La malédiction s'estompait peu à peu, mais même si elle laissait son corps affaibli, le faisant frémir et suer, l'esprit de l'écureuil n'était plus tourné que sur un seul point : L'affreux rictus du démon.
Et maintenant que la fin est proche je m'en remet à vous,
D'être jetée au sol avait permis à Hermez de reprendre son souffle et de reposer ses membres endoloris, le temps que la malédiction ne commence à s'estomper. Elle ne tarda cependant pas à se relever et, malgré le peu d'énergie qu'elle avait récupéré, la furette s'éleva péniblement dans les airs pour retourner à l'assaut.
Son vol erratique la mena jusqu'à l'érédar à qui elle jeta de faibles éclairs, tombés non pas du ciel, mais lancés de son regard de foudre. Elle ne pouvait sans doute pas le blesser ainsi, mais elle pouvait au moins le distraire, l'occuper le temps que ses amis arrivent à leur tour. Oui, ça elle pouvait le faire. Elle en avait encore la force. Elle pouvait même esquiver les projectiles enflammés que lui envoyait le seigneur-démon, signe qu'elle accaparait bien assez son attention.
À s'exposer ainsi, et dans son état, elle avait toutes les chances de périr mais Hermez préférait ne pas y penser. À la place, elle pensait à Aviana qui quelque part abattait sans doute son lot de démons. Bientôt cette guerre serait terminée et la furette pourrait rejoindre sa maîtresse, lui conter son propre récit de bataille et écouter le sien.
Mais à force de penser à la déesse aviaire, la furette fut frappée par un remous soudain dans le Rêve. Son lien avec Aviana avait été rompu et cette réalisation soudaine la tétanisa plus sûrement que n'importe quelle malédiction de faiblesse. Cessant son assaut, Hermez fouilla de ses grands yeux de foudre le ciel en direction de Zin 'Azshari. Cela ne lui apportait rien, mais à cet instant la furette se sentait complètement perdue, voletant d'avant et d'arrière, ne sachant plus où elle devait se trouver, où elle devait aller. Paniquée, elle s'efforça malgré tout de sonder le Rêve. Si elle avait perdu contact avec la déesse, ça ne pouvait signifier qu'une chose.
Aviana était...
Les deux mains de l'érédar, qui s'abattirent contre son corps torturé par l'inquiétude dans un claquement retentissant, l'empêchèrent de formuler la suite de sa pensée.
Hermez, déjà abattue par le sort de sa maîtresse chuta dans l'inconscience. Et vers le sol.
Que votre lumière me guide dans la bataille, ou qu'elle soit la dernière chose que je vois de ce monde.
Le ciel était noir au dessus des Anciens, mais une brise fraîche commença à souffler dans l'air nocturne, glissant sur la fourrure rêche du blaireau géant.
La brise devint un vent plus puissant qui remua les poils du colosse sur son crâne et secoua les cordes des démons qui montaient à l'assaut de son corps.
En se concentrant là-dessus, Grimmbar parvenait à ignorer le tumulte des démons et du serviteur des Très Anciens qui avait été libéré. Il se plaisait même à penser que la brise était un présage quant à la bataille à venir.
Le vent tourne comme on dit.
Enfin, ce dernier devint assez fort pour disperser les nuages qui couvraient les cieux. La lune blanche ne tarda pas à apparaître, brillant de tout son éclat, sa clarté tombant sur le visage du colosse à fourrure.
Grimmbar ouvrit alors les yeux, les tournant vers l'astre lunaire. Il vit le miracle se produire.
Les étoiles tombaient du ciel.
Tortoka/Djigzyx
Re: Les Anciens Signifiants
Si le portail fermé par Houd assurait que les rangs de la Légion ne grossiraient plus, la chute de météores les réduisait maintenant de façon drastique. Illuminant le champ de bataille de leur myriade, les corps célestes traversaient le ciel nocturne en laissant derrière eux une longue traînée argentée, avant de s'abattre sur les démons. Foudroyés, projetés en l'air et éparpillés au sol, les soldats démoniaques n'avaient nulle part où fuir maintenant que le ciel leur tombait sur la tête.
Galvanisé par la pluie astrale et ses blessures estompées sous l'effet de la gelée royale, Grimmbar avait regagné en quelques instants sa stature de géant et s'était dressé de toute sa hauteur, jaillissant de son terrier dans une explosion de terre et de démons, prêt à reprendre le combat. Car si l'intervention divine avait sonné le glas de la bataille pour la Légion, il restait encore un ennemi en lice, contre le corps duquel les projectiles explosaient sans sembler l'incommoder.
Avec un rugissement à en faire trembler la terre, le blaireau géant s'élança vers la créature des Très Anciens, ses mouvements d'abord pesants se muant en une charge implacable, à mesure que ses immenses foulées secouaient le sol.
A son approche, son adversaire dressa ses gueules et ses tentacules, les tournant avidement vers cette proie immense qui attisait son insatiable appétit.
Grimmbar lui servit alors en guise d'entrée une salade de phalanges bien garnie.
Le corps flasque de la créature encaissa en partie le choc, mais sa tête fut rejetée de côté. Une fois détourné de son visage ce qui servait d'armes au colosse affamé, l'Ancien agrippa d'une main l'un des plus gros tentacules qui entouraient la tête de son ennemi et gronda en sentant l'appendice et ses voisins s'enrouler autour de son poignet puis s'ancrer dans sa chair. Mais une fois sa prise assurée, le blaireau leva son bras entravé et lança vers le haut sa main libre, sectionnant de ses griffes les tentacules.
Une bile noire visqueuse s'échappa des moignons du mollusque qui voulut à nouveau lancer sa gueule circulaire, et ses tentacules restants, à l'assaut de son ennemi. Les deux poings levés de Grimmbar s'abattirent alors sur sa tête, la plaquant au sol. Le pied immense du blaireau l'y cloua, tandis que l'Ancien se penchait sur son adversaire, et lançait ses griffes à l'assaut de son dos, là où la coquille de pierre ne le protégeait pas. Un coup après l'autre, ses bras exécutant de grands mouvements de balancier, le blaireau balafrait le corps flasque, y ouvrant des entailles toujours plus profondes.
Tout à son combat, il n'avait pas senti les secousses qui agitaient le champ de bataille et qui, bien que d'une ampleur proche de celle de chacun de ses pas, n'étaient pas de son fait.
***
''Je peux savoir ce qui vous est passé par la tête ?!''
Houd, qui avait fini par retrouver Mélissé à bonne distance du lieu de l'affrontement entre les deux colosses, ne laissait pas l'air catastrophé de l'abeille freiner ses remontrances. Son interlocutrice, qui se ressaisit devant son ton réprobateur, se défendit alors véhémentement. Les deux, qui s'étaient mis à l'abri sous un dôme de végétation et de roche, devaient de toute façon hurler pour couvrir le tumulte de la pluie céleste et de la déroute de l'armée démoniaque.
''_Notre 'allié' préférait prier plutôt que se battre ! Nous n'allions pas rester là sans rien faire !
_Oh donc vous avez invoqué les pouvoirs des Dieux Sombres ! Car il est clairement plus intelligent de prier les Très Anciens plutôt qu'Elune ! On aurait pu penser que vous plus que d'autres sauriez faire la différence !
_Inutile de brandir notre passé de la sorte, ce sont les démons et votre inaction qui nous ont poussé à cette extrémité ! Et ça ne changera de toute façon pas la situation présente !
_Non c'est vrai... Où est Huisaile ?!"
A la mention de ce nom, l'abeille détourna son regard de celui de l'Aveugle avant de répondre d'une voix désertée par la colère :
"_Il paye le prix de mon erreur. Lui bien avant le reste du monde.
_Vous ne pouvez pas révoquer cette chose sans lui ?
_Nous devons être deux pour cela ! Il nous faut absolument trouver quelqu'un qui connaisse la magie des Antiques, et je ne sais combien de temps Grimmbar pourra tenir !"
De ce qu'ils en voyaient au travers des fines ouvertures de leur dôme protecteur, le géant à fourrure s'en tirait plutôt bien, mais le Dévoreur pouvait renverser son adversaire, et donc la situation, à tout instant.
"_Je connais leur magie, dit Houd.
_Vous ? Mais vous êtes un...
_Je suis le Perceur de Secrets. Et ceux que je vise en premier sont ceux de mes ennemis. Donnez moi simplement les mots et je vous assisterais du mieux que je peux."
Avec encore un sentiment de malaise lorsque les mots glissèrent sur sa langue, Mélissé s'exécuta. Il y eut ensuite une secousse qui manqua les jeter tous deux à terre et fit voler en poussière leur abri.
"_Je peux savoir ce qui vous passe par la tête, maintenant ? dit l'Impératrice sur un ton de reproche.
_Ça ne venait pas de moi, déclara Houd en tournant le museau vers Zin'Azshari. On dirait que votre désastre n'est pas le seul que nous aurons à subir cette nuit.
_Alors allons endiguer celui-là sans perdre de temps."
Côte à côte, l'une voletant et l'autre progressant sur et sous la terre, l'abeille et la taupe se dirigèrent vers le lieu de l'affrontement entre les deux géants, ignorant sur leur passage les cadavres des démons qui s'empilaient par milliers.
"_Au passage, est-ce que les Très Anciens réclameront une nouvelle âme pour ce rituel ? questionna l'Ancien fouisseur.
_En principe non, mais je ne peux rien affirmer. Ce sont des êtres capricieux, imprévisibles...
_Oh et bien priez pour qu'ils ne prennent pas la vôtre dans ce cas. Et ne vous trompez pas de divinité cette fois."
Mélissé lui adressa un regard dédaigneux pour toute réponse, puis les deux Anciens se séparèrent, l'un plongeant vers le flanc droit de l'immense créature, l'autre la contournant en avisant le flanc gauche.
***
La pluie d'étoiles s'était finalement tarie, laissant hagards les survivants de la Légion qui se traînaient ou se relevaient pour se regrouper. Mais quoiqu'ils tentèrent, ils ne purent certainement pas aller bien loin.
Une nouvelle secousse agita la terre, si durement cette fois que Grimmbar chuta, ajoutant encore au vacarme des séismes. Alors le corps de son adversaire aux nombreuses gueules se dressa à nouveau. Plus loin, le charnier qui avait été leur champ de bataille jusque là s'était fendu sur toute sa largeur et se soulevait maintenant dangereusement, comme la coquille d'un œuf prêt à éclore, avec le terrier géant comme épicentre de la fracture. Sauf que ce qui s'apprêtait à en sortir était le chaos total.
Un pan du sol s'inclina dans la crevasse ouverte par Houd au pied du mont Hyjal, y précipita la multitude de cadavres de démons qui jonchaient le sol et fit glisser et rouler le blaireau géant. Le crâne massif de ce dernier percuta la montagne, ce qui le sonna et ajouta encore aux éboulements. Le mollusque, masse informe que même le séisme ne faisait pas broncher, se tourna lentement en direction de sa proie vers laquelle il se mit à ramper lentement.
De l'autre côté du champ de bataille, le sol se morcelait plus encore et d'immenses îlots de terre se détachaient les uns des autres. La mer ne tarda pas à affluer dans ces fractures, se soulevant en immenses vagues lorsqu'un pan de la vallée s'inclina à sa rencontre. Dans le tumulte qui suivit, un raz de marée ne tarda pas à remonter en direction des Anciens et de leurs adversaires.
***
"Donne la patte ! Donne la papatte ! Mais lâche ça espèce de tête de chienne, résidu consanguin de Fenris !"
Larairah avait beau crier et battre de son pied valide contre la truffe de Redd, celle-ci ne semblait pas encline à laisser aller. Le lièvre s'agrippait de toutes ses forces à une branche de l'arbre abattu tandis que la hyène le tirait vers elle, secouant ses mâchoires refermées sur sa cheville. Passé la déchirure des tendons et des muscles, Larairah savait qu'il ne retrouverait certainement plus l'usage de son pied, qu'il ne sentait même plus, mais qui restait encore il ne savait comment attaché au reste de sa jambe.
Et pourtant il ne comptait pas lui non plus lâcher quoique ce soit. D'ailleurs pourquoi ? A ce train là, et sans ses deux pattes, ça lui serait plus simple de mourir maintenant pour ressusciter quelques siècles plus tard. Pourtant, même sachant cela, le lièvre n'était pas tenté par la perspective de se laisser dévorer. D'abord sans doute car sa stupide ennemie ne saurait pas lui donner une mort propre. Et ensuite aussi parce qu'à bout de force comme il l'était, chacun de ses muscles le brûlant, le désir de survivre était plus que jamais ce qui l'animait.
Le bruit d'une course se fit entendre par dessus celui de Redd lui ravageant les chairs. Il y eut ensuite un grondement lourd et le jappement de la hyène qui, dans un tressaut de son immense mâchoire, lui sectionna la patte avant de lâcher prise.
Le lièvre se laissa choir sur le sol, les yeux écarquillés, serrant entre ses mains son moignon tout en poussant des cris et des injures. Un bref combat s'engagea visiblement entre la hyène et celui qui était intervenu, concert de grondements et d'aboiements qui se solda par la fuite du charognard. Larairah qui ne se sentait pas du tout sauvé se tourna tout de même vers celui qui l'avait tiré de ce mauvais pas. Il lui sembla un bref instant qu'il tombait d'Aku'mai en Iso'rath :
"_Goldrinn ?! D'accord, d'accord ! Tu sais quoi ? Si je dois crever, j'aime autant que ce soit entre les crocs d'un vrai prédateur. Alors vas-y, bouffe moi maintenant !
_Mais de quoi tu parles espèce d'avorton ? répondit le loup. Et qu'est-ce que tu fiches ici ? Tu essayais de te cacher des combats ?"
Le souffle court, le lièvre retrouvait doucement un rythme calme, et avec lui une conscience aiguë de son corps maltraité. A quelques pas de lui, le grand loup attendait, le fixait de ses yeux ambrés. Larairah frémit sous les sueurs froides avant de reprendre :
"_Tu penses bien que si je me cachais, l'autre abrutie m'aurait jamais trouvée... Non. Je suis ici parce que je devais porter un message. Et toi ? Qu'est-ce que tu fais là ?
_Notre combat est terminé, l'avenir est entre les mains des dragons et des mortels maintenant. Une autre bataille, m'attend, ailleurs. Tu me fais perdre mon temps.
_Eyh, attends, attends, attends. Je peux pas aller plus loin... Il faut que tu portes mon message à ma place. A Cénarius et aux autres."
Le lièvre marqua un temps en voyant que le loup avait détourné son regard de lui pour fixer ce qui était visiblement une pluie de météores.
"_Qu'est-ce qui se passe ? gronda le Loup. Qu'est-ce que tu as fait ?! Et qu'est-ce que c'est que ce message ?!
_C'est Rattatast, Houd, Grimmbar et d'autres. Ils ont voulu mener leur propre combat contre les démons, ailleurs. Je devais venir vous trouver... Si ça tournait mal.
_Alors tu arrives trop tard, lapin. La grâce d'Elune est déjà sur eux, quand bien même je ne sais pas si elle vient les sauver où honorer leur mort."
Une secousse parvint jusqu'aux deux Anciens, les secouant eux et les arbres alentours, dont les branches et les feuilles chutèrent.
"_Écoute, fais le c'est tout. S'il y a une chance qu'ils survivent... Je veux pas qu'ils meurent en sachant que j'ai pas tout fait pour l'empêcher... J'y ai laissé une patte, par Elune !
_La guerre a un coût, plus cher que tes farces, lapin. J'irais porter ton message."
Et sur ce, le Loup disparut dans la nuit, laissant seul le Lièvre qui ferma les yeux et se laissa glisser dans les ténèbres. Le monde pouvait bien s'écrouler et l'emporter dans sa chute. Il avait donné tout ce qu'il pouvait et plus encore. Il partirait au moins avec cette consolation.
***
L'éradication sans appel de ses forces avait interrompu la bataille que l'érédar était si près de gagner. Pris dans la chute de météores, il avait du abandonner ses adversaires pour se protéger de l'assaut céleste sous un dôme de magie.
L'effondrement soudain du sol n'avait ensuite rien arrangé et, secoué par les tremblements, le sorcier-démon usait maintenant de tout son pouvoir pour maintenir en place le plateau rocheux qui s'écroulait sous ses pieds. Mais sa magie ne pouvait contenir tant de forces destructrices et d'immenses blocs de roche s'arrachaient à son promontoire, le réduisant rapidement à peau de chagrin.
Rattatast, qui avait à peine eu le temps de récupérer des effets dévastateurs de la malédiction s'était précipité pour intercepter Hermez dans sa chute et la recueillir au cœur d'une grande fleur dans laquelle il trouva à son tour refuge. Après s'être assuré que les racines de leur abri s'ancraient profondément dans le pan de roche que leur ennemi s'efforçait de sauver, Rattatast était venu au chevet de sa comparse :
"_Eyh, tu vas bien ? Allez, espèce de peluche tu vas pas nous lâcher toi aussi.
_Rattatast... Je peux plus... J'ai plus de force... Est-ce qu'on va mourir nous aussi ?
_Mais non ! On peut encore se battre ! On peut... Rester soudés... Et tenter des trucs..."
Rester soudés... Tu viens de lancer ton seul ami dans le néant gros malin, se dit l'écureuil, amer.
Le seul être à avoir jamais accepté de le suivre, malgré la noblesse discutable de ses intentions, malgré son égo grandiloquent, avait disparu. Spinoix, qui avait toujours été à ses côtés, sans jamais s'en poser la question et sans jamais émettre de jugement sur son ami avait été jeté sans considération. Lui faisait-il confiance durant tout le temps où il s'était laissé balancer au bout d'une liane ? Ou était-ce de son invulnérabilité qu'il ne doutait pas ? N'importe comment, c'était de toute façon le rongeur qui méritait, bien plus que le hérisson, de finir entre les griffes des démons.
Rattatast s'enfonçait dans ces considérations moroses lorsqu'il vit un petit objet que la lumière de la lune, qui filtrait entre les pétales de leur abri, faisait luire d'un éclat blanc pur. Niché dans la fourrure de la furette, Rattatast reconnut l'objet comme la plume d'Aviana. Aussitôt, il abandonna ses pensées : il ne s'agissait pas de lui ni de sa perte, il s'agissait de sa camarade qui avait encore quelqu'un à retrouver à la fin de la guerre, du moins le pensait-il.
S'emparant de la plume, l'écureuil la brandit devant la furette qui poussa un couinement attristé.
"_Eyh, il faut encore que tu rendes ça à ta maîtresse, tu te rappelles ! T'as une bonne raison de rester en vie, non ?
_Elle est morte, Rattatast... Aviana est morte... sanglota Hermez.
_Oh... Dans ce cas je suis sûr qu'elle voudrait que tu utilises son pouvoir pour la venger. Ça va te requinquer ! Je suis sûr qu'elle te regarde déjà depuis le Rêve !
_Non... Prends la toi... Ça me sert à rien de voler si je peux pas me battre... Prends la plume et venge la... Bats toi pour nous..."
Après ces paroles, l'Ancienne plongea dans un sommeil réparateur, laissant seul son compagnon d'infortune qui porta son regard sur la plume, minuscule reliquat d'une puissance maintenant disparue. Aviana était morte, et combien d'autres avec elle ? Aviana, Tlop, Spinoix, c'était déjà trop de disparus dans cette guerre.
Invoquant le Gland Sacré dans sa main, Rattatast regarda successivement la graine puis la plume.
Par leurs pouvoirs combinés...
***
Après avoir éparpillé les quelques démons lancés contre elle, Cwalcwutlicwa s'était trouvée confrontée au dôme protecteur de l'érédar. Et même si la force de son élémentaire n'avait rien à envier à celle des étoiles tombées du ciel, elle n'avait pas été suffisante pour briser la protection du sorcier.
Puis, lorsque la terre avait commencé à s'écrouler, la Reine et son gardien avaient chuté sur plusieurs mètres avant que la grenouille ne retrouve assez de présence d'esprit pour faire flotter son vaisseau aqueux.
Furieuse, son désir de vengeance comme seul point de mire, elle voulait immédiatement repartir à l'assaut mais savait qu'il lui fallait plus de puissance. Puissance qui lui venait de l'eau et de ses torrents.
Et alors qu'autour d'elle le monde grondait comme si la fin était proche, la Reine avisa l'immense vague qui déferlait sur leur position. Sans plus y réfléchir, elle se lança à sa rencontre.
Mais à mesure qu'elle approchait le raz de marée, l'élémentaire qui la portait lui communiquait ses réticences, lui faisait part de son malaise :
Il était l'élémentaire d'une cascade, le torrent d'un fleuve dans une jungle oubliée, un élémentaire d'eau douce.
"Et après ? Les fleuves mènent à la mer, les océans ne sont que les enfants des rivières."
La mer est un territoire vaste où les rivières se diluent et se perdent.
"J'ai déjà perdu un gardien. Je n'en perdrais pas deux."
La fureur de l'océan est grande, trop pour être contrôlée.
"C'est ce que nous verrons."
Les océans ont leurs propres règles, les défier, c'est défier Neptulon en personne !
"Et moi, Cwalcwutlicwa, Princesse des Rivières, Reine Grenouille, je défie quiconque de s'opposer à moi en cet instant !"
Au cœur de la nuit, le mur d'eau était noir, menaçant, et la téméraire loa crut discerner dans le rugissement de la vague les voix de milliers d'élémentaires furieux qui s'apprêtaient à déferler. Ils défiaient ceux des airs de leur hauteur et étaient prêts à engloutir ceux de la terre. Cwalcwutlicwa et son gardien n'étaient qu'une goutte qui n'allait pas tarder à les rejoindre.
"Ils verront !"
Arrivée dans le creux de la vague, elle sentit son élémentaire qui tentait de se stopper, perçut sa frayeur. Elle découvrait seulement que les élémentaires connaissaient la peur, mais elle n'était pas prête à laisser celle d'un autre la freiner.
"Je commande ! Je suis la Reine ! Si tu n'es pas prêt à me suivre, alors pars !"
Renvoyant l'élémentaire dans son plan d'origine, Cwalcwutlicwa resta en suspension dans les airs le temps d'une demi-seconde avant d'être engloutie par la vague.
***
Mélissé parce qu'elle volait et Houd grâce à son lien privilégié avec la terre, réussirent à prendre position malgré le sol qui s'inclinait et se morcelait en tous sens. Postés de chaque côté du Dévoreur et à une distance raisonnable de son corps immense, ils se contactèrent par l'esprit avant de commencer leurs incantations :
"_Prête ? demanda la taupe à l'abeille.
_Oui." lui répondit cette dernière.
Alors, presque en chœur ils entamèrent le rituel, les mains tendues vers la créature à qui il se destinait, répétant jusqu'à ce que l'énergie noire, plus noire que la nuit, ne jaillisse de leur corps :
"Shel thyzak vwyq, phquathi. Qam'Uull. Qam'shg'fhn"
Lentement, trop lentement peut-être, les volutes de magie libérés se rencontrèrent dans le dos du mollusque cyclopéen, dessinant une ligne qui devait ouvrir la faille vers son domaine. Et lentement, mais pas assez pour ne pas être inquiétant, le Dévoreur cessa son avancée pour tourner la tête vers ceux qui menaçaient son existence dans ce plan. Assailli des deux côtés, il jeta son dévolu sur Mélissé en direction de laquelle il pivota.
***
Après avoir retrouvé ses esprits, Grimmbar se releva en prenant appui sur la roche derrière lui, l'éraflant de ses griffes. Voyant son adversaire se détourner de lui, il attendit qu'il lui présente son flanc avant de s'élancer de son pas pesant.
Il flanqua à la coquille de la monstruosité antique une charge du coude qui la fit vaciller.
Ayant attiré l'attention de la créature, il enchaîna avec un grand coup de pied et le serviteur des Très Anciens commença à se décoller du sol.
Rugissant, Grimmbar se jeta sur son ennemi, pesant sur lui de tout son poids.
Un pas après l'autre, et en martelant la coquille de coups de poings titanesques, le blaireau géant finit par renverser le Dévoreur au sol, révélant ainsi les multiples gueules qui s'ouvraient sous son corps flasque.
Derrière ce dernier, la faille s'ouvrait peu à peu, à mesure que Houd et Mélissé accéléraient leurs incantations, pressés par la situation.
A terre, le mollusque se recroquevilla sur lui-même et les tentacules qui entouraient sa tête vinrent saisir une des pattes massives de l'Ancien colosse qui chuta sur le flanc. Battant du pied pour se libérer, Grimmbar peinait à se relever et le corps du Dévoreur se repliait peu à peu sur le sien, ses gueules carnassières allant trouver la chair de son épaule gauche.
L'Ancien rugit de douleur et de rage, couvrant même le tumulte de la terre qui s'effondrait et se craquelait sous leurs pieds, couvrant même celui de la vague qui s'abattait à l'autre bout du champ de bataille.
***
Après le passage de la déferlante d'eau, le promontoire de l'érédar s'était réduit à un piton tortueux et escarpé. Et si le sorcier-démon tenait encore debout, sa protection avait volé en éclats, signe que le serviteur de la Légion ne pourrait bientôt plus encaisser les mauvais coups.
Mais d'autres vagues ne tardèrent pas à monter à l'assaut de sa position, à mesure que la mer envahissait ce qui restait de la vallée qui continuait de se morceler. De ces vagues surgit une silhouette serpentine liquide, et au cœur de cet être aquatique s'en trouvait un autre, bien en chair, bien plus petit, à peine discernable dans le ciel éclairé par les astres.
Lorsque le serpent d'eau fondit sur lui, l'érédar dressa en guise de défense un portail devant et un autre derrière sa personne, que son assaillant traversa sans lui faire plus d'effet qu'une bruine d'eau salée.
Replongeant dans l'eau, Cwalcwutlicwa réunit les forces qu'elle avait trouvé dans la mer pour un nouvel assaut. Le pouvoir qu'elle avait trouvé ici était si enivrant et résonnait si parfaitement avec ses émotions qu'elle n'avait qu'à se laisser transporter et canaliser la fureur élémentaire vers la source de sa propre colère : l'érédar.
Montant à nouveau à l'assaut, l'eau serpentant de concert avec elle, elle frappa puis plongea pour préparer sa nouvelle attaque. Vague après vague, elle finirait par engloutir le démon, le briser en mille morceaux et l'éparpiller parmi le sable des océans. C'était ce qu'elle voulait pour son ennemi et c'était ce que les élémentaires voulaient pour tous les leurs, galvanisés qu'ils étaient par le chaos qui agitait le monde, chaos qu'ils n'avaient plus connus depuis le passage des Titans.
Cependant, le seigneur de la Légion avait déjà contrecarré la tactique de son assaillante et continuait de le faire. Sous son commandement, les portes démoniaques glissaient sur le sol avec un raclement rocheux et se réorientaient pour se placer entre leur maître et l'assaut du serpent, brisant le torrent d'eau partout où il frappait et rejetant l'Ancienne à la mer. Tout ce qui empêchait l'érédar de contre-attaquer pour le moment était le rythme soutenu que la loa lui imposait, mais une occasion se présenterait, tôt ou tard...
Un soudain éclat de lumière à quelques pas de lui attira l'attention du sorcier. Il vit ainsi une grande fleur éclore, et libérer avant de se refermer un petit quelque chose qui s'envola dans une trainée dorée. Et lorsque l'objet volant non identifié baigna dans la lumière de la lune, il se déploya pour révéler l'Ancien écureuil affublé de grandes ailes blanches et d'une auréole vraisemblablement creusée dans le chapeau d'une graine de chêne.
"Alors, qui a envie de tâter des pouvoirs d'un Écureuil Volant ?!" cingla le rongeur en déroulant avec un claquement sec deux fouets de ronce apparus spontanément dans ses mains.
Ébloui par la lumière que renvoyaient les grandes ailes de l'Ancien, l'érédar ne vit pas venir le coup suivant de Cwalcwutlicwa qui déferla dans son dos et le précipita dans le vide.
Faisant alors claquer ses fouets épineux, Rattatast cueillit le démon à la gorge, autour de laquelle les ronces s'enroulèrent, poinçonnant sa chair et l'empêchant d'articuler quelque incantation que ce fut. Et malgré que le sorcier démon se débattait furieusement, il suffisait à l'écureuil volant de battre de ses amples ailes pour se maintenir en l'air avec sa prise pourtant bien plus imposante.
"_Et qui veut tâter de la colère d'une Reine ?!cria la grenouille d'un ton de fureur triomphante et d'une voix que les flots rendaient rugissante.
_Ho ouais, réglée comme un métrognome vot'Majesté !
_Difficile de manquer vos mots quand vous me les lancez directement en esprit.
_En fait j'ai lancé ça dans tout le Rêve d'Emeraude... Je voulais être sûr que tout le monde l'entendrait. Parce que je trouvais ça très classe et..."
Et tandis que l'écureuil jacassait, l'érédar avait saisi entre ses deux mains les ronces qui l'étranglaient et s'était immolé d'un feu qui dévorait rapidement ses entraves, au point que Rattatast dut le lâcher, de crainte de s'enflammer à son tour.
Le démon chuta à nouveau, mais cette fois c'est Cwalcwutlicwa et son serpent liquide qui l'interceptèrent, l'engloutirent et l'écrasèrent au point de lui briser plusieurs os. L'air vidé de ses poumons fut rapidement remplacé par un tourbillon d'eau et le sorcier fut ensuite projeté en l'air sans ménagement, comme la proie de quelque prédateur marin. L'écureuil saisit l'occasion pour faire apparaître devant lui un éventail de feuilles tranchantes et de cosses piquantes qu'il envoya cingler contre son ennemi d'un grand coup d'ailes. Les débris végétaux lancés à pleine vitesse lacérèrent profondément la chair du démon, s'additionnant au reste de ses blessures.
Brisé, saigné et à demi noyé, l'érédar peinait à trouver l'occasion de répliquer. Lorsque les fouets épineux de l'écureuil le saisirent à la gorge et au bras puis que son autre bras fut happé par le serpent aqueux, il ne put faire guère plus que de battre des pieds furieusement et cracher l'eau qui avait empli ses poumons.
"_Maintenant qu'on te tient, lui dit Rattatast. Tu vas gentiment me faire un portail pour chez toi et me rendre mon ami.
_Et lever la malédiction que vous avez jeté sur mon gardien ! renchérit Cwalcwutlicwa.
_Je... Ne ferais... Rien de tel, parvint à articuler l'érédar avant que la pression sur sa gorge ne se relâche légèrement. Ainsi vous vous souviendrez toujours de moi comme de votre Némésis.
_Némésis ?! s'esclaffa l'écureuil. On dirait que t'as raté le moment où on t'as mis une raclée !
_Je ne suis pas encore mort vermine ! Vous par contre..."
Mais le collier de ronces se serra à nouveau contre sa gorge, empêchant le sorcier de proférer ses menaces.
Dans le but de mener un interrogatoire plus poussé, les Anciens portaient leur ennemi sur ce qui restait de son promontoire rocheux. Mais c'est alors qu'une force soudaine s'empara du corps du démon, l'attirant vers Zin'Azshari.
Plus loin, la même force s'appliquait à tous les démons dont les corps n'avaient pas déjà été renvoyés au Néant, et qui furent dès lors traînés dans la poussière puis dans les airs, hors du champ de bataille.
Rattatast et Cwalcwutlicwa tentèrent de retenir leur prisonnier qui les emportait lentement avec lui alors que son armée déchue emplissait le ciel noir. Pris dans un ballet tourbillonnant, les séides de la Légion battaient vainement des bras et des jambes tandis que le Néant les rappelait à lui.
Dans ce tumulte Cwalcwutlicwa crut percevoir un appel. Un coassement de détresse, aussi invraisemblable que cela ait pu paraître. Le sursaut de la loa la fit alors lâcher prise sur le démon, que l'écureuil peinait maintenant à retenir tout seul, jurant et battant furieusement de ses grandes ailes, exhortant sa camarade à revenir tout de suite.
Mais c'était maintenant le cadet des soucis de la Reine Grenouille qui fouillait du regard la mer en dessous d'elle, tentant d'apercevoir une trace de son gardien déchu dans le vacarme et dans la pénombre de cette tempête nocturne.
Alors elle l'aperçut. Cela ne ressemblait à guère plus qu'une flaque de vase se disloquant dans les eaux furieuses, mais pour l'Ancienne c'était peut-être tout ce qui restait de son Prince. Sans hésiter, elle plongea dans les eaux tumultueuses, laissant son vaisseau serpent se disloquer en une fine bruine, et se porta en direction de la mare de boue dans la mer.
Mais son esprit, plein d'espoir, ne résonnait plus avec la colère des flots qui l'encerclaient et ces derniers se retournèrent alors contre elle. Ballotée et renversée par les vagues, Cwalcwutlicwa devait déployer toute la force de son esprit mais aussi de son corps pour seulement garder son cap. Son objectif, qui au milieu de cette agitation ne faisait que quelques apparitions passagères dans son champ de vision, se disloquait et s'éparpillait dans les eaux furieuses. La grenouille redoubla d'efforts pour tenir les élémentaires hors de son chemin et finit par refermer sa main palmée sur une poignée de vase qu'elle emporta dans son sillage. Furieuse d'être retenue si loin de son objectif pourtant si proche, la loa parvint à saisir dans son autre main une nouvelle poignée de vase avant que le roulis de l'eau ne l'emporte au loin.
***
Rattatast tirait à bout de bras sur ses fouets épineux, tendus à s'en rompre par le démon qui lui échappait. Ses ailes battaient dru, mais aussi puissantes qu'elles fussent, elles ne parvenaient pas à compenser la force qui rappelait l'érédar au Vide. Meurtri mais pourtant ricanant, le sorcier avait empoigné les ronces à pleines mains, laissant ainsi circuler un air bienvenu pour sa réplique au rongeur furieux :
"Toi qui voulait venir chercher ton ami dans le Néant, réjouis toi, car je t'y emmène avec moi !"
Tirant sèchement sur ses entraves, le démon déstabilisa le vol de l'écureuil qui culbuta et se trouva emporté par son ennemi. L'érédar chercha aussitôt à s'emparer de l'Ancien, les deux adversaires roulant et boulant dans les airs, retenus l'un à l'autre par les ronciers.
"Ha ouais ?! Et ben..." voulut scander Rattatast au sorcier.
Mais la vision dans le dos de son ennemi du piton rocheux qui s'effondrait le retint. Il en vit le sommet basculer et plonger vers la tempête furieuse. Et la fleur avec. Et Hermez.
Rattatast jura. Ça n'avait pas vraiment de sens de bondir dans un plan démoniaque à la recherche d'un ami, si on en laissait une autre mourir derrière soi, n'est-ce pas ? Ça ne servait à rien de chercher à réparer une erreur si l'on en commettait d'autres dans le procédé, tous les types vertueux de ce monde vous le diront.
"Désolé, vieux." songea l'écureuil, avec une pensée pour son ami en pelote d'épingles. Puis pour le démon, il ajouta tout haut :
"Désolé, mais je vais devoir refuser l'invitation pour cette fois !"
Lâchant ses fouets de ronce, l'écureuil abandonna le démon à son sort et s'écarta de lui d'un battement de ses ailes blanches. L'érédar battit des bras pour s'emparer du rongeur mais fut rapidement emporté par l'appel du Néant et disparut dans le ciel étoilé, en direction des lourds nuages de Zin'Azshari.
Sans se retourner, Rattatast fila à grands coups d'ailes vers le piton en plein effondrement. La grande fleur qui avait commencé à basculer restait obstinément fermée autour de la furette, sans doute encore inconsciente en son sein. L'écureuil volant la cueillit dans sa chute, avant de filer comme une étoile blanche en direction des terres.
"Wahouh ! Pourquoi on m'a jamais dit que c'était aussi génial de voler ?!" cria-t-il d'un air exalté.
Tout à sa joie, l'Ancien ne sentit pas les ailes dans son dos qui s'estompaient lentement, à mesure qu'il perdait de l'altitude. Le sol défilait sous son regard, et se rapprochait aussi dangereusement. Finalement, lorsque les ailes disparurent complètement, Rattatast rencontra le sol tête la première, glissa, roula et boula sur une dizaine de mètres. La fleur qu'il tenait lui échappa, et la furette échappa à cette dernière, rejoignant l'écureuil dans la culbute. Enfin, au détour d'une roulade, l'auréole du rongeur se décrocha de sa tête et reprit la forme d'un gland avant de rebondir et de terminer sa course non loin de son propriétaire qui avait la tête dans le gazon.
***
Les morsures multiples qui lui ravageaient l'épaule et le dos avaient fait grandir Grimmbar au point qu'il parvenait maintenant à soulever son adversaire. L'Ancien déployait des forces colossales pour se relever malgré le poids de l'autre géant qui meurtrissait son corps et malgré les tentacules qui enserraient sa gorge.
Le portail menant au domaine du Dévoreur était grand ouvert lorsque Grimmbar parvint à se dresser sur ses pattes et à agripper son adversaire de ses mains. Le blaireau géant fit alors lentement basculer le mollusque dans la faille, hurlant lorsque les gueules de la créature quittèrent sa chair en lambeaux et laissèrent son sang couler à flots.
Renversé sans ménagement, le colosse antique disparut dans le portail noir, n'abandonnant totalement sa proie que lorsque celle-ci se fut dégagée des tentacules qui l'entravaient encore. Grimmbar se laissa ensuite tomber à genoux, le souffle lourd tandis que son corps meurtri perdait lentement en stature. Houd et Melissé se chargeaient maintenant de refermer le portail, avec la même lenteur exaspérante qu'ils l'avaient ouvert.
Et même s'il avait commencé à rechercher le calme et l'apaisement, le blaireau géant restait à l'affût du seuil entre les mondes, sachant très bien que si son ennemi avait la moindre occasion de franchir à nouveau le portail, il la saisirait.
En cela, l'Ancien ne se trompait pas et la faille s'était réduite de plus de moitié lorsque les tentacules, puis la tête du Dévoreur en jaillir, saisissant le crâne du blaireau géant. Ce dernier eut alors un mouvement de recul et lança son poing contre la gueule pleine de crocs. La lutte s'engagea dès lors entre le serviteur d'Elune et celui des Très Anciens, chacun tirant l'autre en son sens, tendant les tentacules à leur maximum.
Grimmbar se débattait avec fureur, secouant sa grosse tête en tous sens et jetant ses griffes contre les appendices du mollusque afin de les lui trancher.
"RETOURNE AUX TÉNÈBRES ! ELUNE TE L'ORDONNE !"
Au cri de l'Ancien fit écho un éclat blanc dans ses yeux alors que dans le ciel, la grande lune semblait briller plus intensément que jamais. Un rayon de lumière lunaire fusa au dessus de la tête de Grimmbar pour s'abattre sur la gueule grande ouverte du Dévoreur qui lâcha aussitôt prise, brûlé par la lumière divine. Libéré de ses entraves, le blaireau rugit plus fort encore à la face de son ennemi et la lumière d'Elune s'en trouva intensifiée, forçant la créature antique à reculer dans les ténèbres tandis que le portail se refermait sur lui.
La faille devint alors une mince ligne qui disparut, puis la lumière de la lune s'atténua jusqu'à retrouver sa radiance naturelle. Il n'y eut alors plus dans la nuit que les halètements de l'Ancien dont la taille décroissait à vue d'œil. Et lorsque le blaireau perdit l'équilibre et chuta sur le sol, l'abeille et la taupe se précipitèrent à son côté.
Galvanisé par la pluie astrale et ses blessures estompées sous l'effet de la gelée royale, Grimmbar avait regagné en quelques instants sa stature de géant et s'était dressé de toute sa hauteur, jaillissant de son terrier dans une explosion de terre et de démons, prêt à reprendre le combat. Car si l'intervention divine avait sonné le glas de la bataille pour la Légion, il restait encore un ennemi en lice, contre le corps duquel les projectiles explosaient sans sembler l'incommoder.
Avec un rugissement à en faire trembler la terre, le blaireau géant s'élança vers la créature des Très Anciens, ses mouvements d'abord pesants se muant en une charge implacable, à mesure que ses immenses foulées secouaient le sol.
A son approche, son adversaire dressa ses gueules et ses tentacules, les tournant avidement vers cette proie immense qui attisait son insatiable appétit.
Grimmbar lui servit alors en guise d'entrée une salade de phalanges bien garnie.
Le corps flasque de la créature encaissa en partie le choc, mais sa tête fut rejetée de côté. Une fois détourné de son visage ce qui servait d'armes au colosse affamé, l'Ancien agrippa d'une main l'un des plus gros tentacules qui entouraient la tête de son ennemi et gronda en sentant l'appendice et ses voisins s'enrouler autour de son poignet puis s'ancrer dans sa chair. Mais une fois sa prise assurée, le blaireau leva son bras entravé et lança vers le haut sa main libre, sectionnant de ses griffes les tentacules.
Une bile noire visqueuse s'échappa des moignons du mollusque qui voulut à nouveau lancer sa gueule circulaire, et ses tentacules restants, à l'assaut de son ennemi. Les deux poings levés de Grimmbar s'abattirent alors sur sa tête, la plaquant au sol. Le pied immense du blaireau l'y cloua, tandis que l'Ancien se penchait sur son adversaire, et lançait ses griffes à l'assaut de son dos, là où la coquille de pierre ne le protégeait pas. Un coup après l'autre, ses bras exécutant de grands mouvements de balancier, le blaireau balafrait le corps flasque, y ouvrant des entailles toujours plus profondes.
Tout à son combat, il n'avait pas senti les secousses qui agitaient le champ de bataille et qui, bien que d'une ampleur proche de celle de chacun de ses pas, n'étaient pas de son fait.
***
''Je peux savoir ce qui vous est passé par la tête ?!''
Houd, qui avait fini par retrouver Mélissé à bonne distance du lieu de l'affrontement entre les deux colosses, ne laissait pas l'air catastrophé de l'abeille freiner ses remontrances. Son interlocutrice, qui se ressaisit devant son ton réprobateur, se défendit alors véhémentement. Les deux, qui s'étaient mis à l'abri sous un dôme de végétation et de roche, devaient de toute façon hurler pour couvrir le tumulte de la pluie céleste et de la déroute de l'armée démoniaque.
''_Notre 'allié' préférait prier plutôt que se battre ! Nous n'allions pas rester là sans rien faire !
_Oh donc vous avez invoqué les pouvoirs des Dieux Sombres ! Car il est clairement plus intelligent de prier les Très Anciens plutôt qu'Elune ! On aurait pu penser que vous plus que d'autres sauriez faire la différence !
_Inutile de brandir notre passé de la sorte, ce sont les démons et votre inaction qui nous ont poussé à cette extrémité ! Et ça ne changera de toute façon pas la situation présente !
_Non c'est vrai... Où est Huisaile ?!"
A la mention de ce nom, l'abeille détourna son regard de celui de l'Aveugle avant de répondre d'une voix désertée par la colère :
"_Il paye le prix de mon erreur. Lui bien avant le reste du monde.
_Vous ne pouvez pas révoquer cette chose sans lui ?
_Nous devons être deux pour cela ! Il nous faut absolument trouver quelqu'un qui connaisse la magie des Antiques, et je ne sais combien de temps Grimmbar pourra tenir !"
De ce qu'ils en voyaient au travers des fines ouvertures de leur dôme protecteur, le géant à fourrure s'en tirait plutôt bien, mais le Dévoreur pouvait renverser son adversaire, et donc la situation, à tout instant.
"_Je connais leur magie, dit Houd.
_Vous ? Mais vous êtes un...
_Je suis le Perceur de Secrets. Et ceux que je vise en premier sont ceux de mes ennemis. Donnez moi simplement les mots et je vous assisterais du mieux que je peux."
Avec encore un sentiment de malaise lorsque les mots glissèrent sur sa langue, Mélissé s'exécuta. Il y eut ensuite une secousse qui manqua les jeter tous deux à terre et fit voler en poussière leur abri.
"_Je peux savoir ce qui vous passe par la tête, maintenant ? dit l'Impératrice sur un ton de reproche.
_Ça ne venait pas de moi, déclara Houd en tournant le museau vers Zin'Azshari. On dirait que votre désastre n'est pas le seul que nous aurons à subir cette nuit.
_Alors allons endiguer celui-là sans perdre de temps."
Côte à côte, l'une voletant et l'autre progressant sur et sous la terre, l'abeille et la taupe se dirigèrent vers le lieu de l'affrontement entre les deux géants, ignorant sur leur passage les cadavres des démons qui s'empilaient par milliers.
"_Au passage, est-ce que les Très Anciens réclameront une nouvelle âme pour ce rituel ? questionna l'Ancien fouisseur.
_En principe non, mais je ne peux rien affirmer. Ce sont des êtres capricieux, imprévisibles...
_Oh et bien priez pour qu'ils ne prennent pas la vôtre dans ce cas. Et ne vous trompez pas de divinité cette fois."
Mélissé lui adressa un regard dédaigneux pour toute réponse, puis les deux Anciens se séparèrent, l'un plongeant vers le flanc droit de l'immense créature, l'autre la contournant en avisant le flanc gauche.
***
La pluie d'étoiles s'était finalement tarie, laissant hagards les survivants de la Légion qui se traînaient ou se relevaient pour se regrouper. Mais quoiqu'ils tentèrent, ils ne purent certainement pas aller bien loin.
Une nouvelle secousse agita la terre, si durement cette fois que Grimmbar chuta, ajoutant encore au vacarme des séismes. Alors le corps de son adversaire aux nombreuses gueules se dressa à nouveau. Plus loin, le charnier qui avait été leur champ de bataille jusque là s'était fendu sur toute sa largeur et se soulevait maintenant dangereusement, comme la coquille d'un œuf prêt à éclore, avec le terrier géant comme épicentre de la fracture. Sauf que ce qui s'apprêtait à en sortir était le chaos total.
Un pan du sol s'inclina dans la crevasse ouverte par Houd au pied du mont Hyjal, y précipita la multitude de cadavres de démons qui jonchaient le sol et fit glisser et rouler le blaireau géant. Le crâne massif de ce dernier percuta la montagne, ce qui le sonna et ajouta encore aux éboulements. Le mollusque, masse informe que même le séisme ne faisait pas broncher, se tourna lentement en direction de sa proie vers laquelle il se mit à ramper lentement.
De l'autre côté du champ de bataille, le sol se morcelait plus encore et d'immenses îlots de terre se détachaient les uns des autres. La mer ne tarda pas à affluer dans ces fractures, se soulevant en immenses vagues lorsqu'un pan de la vallée s'inclina à sa rencontre. Dans le tumulte qui suivit, un raz de marée ne tarda pas à remonter en direction des Anciens et de leurs adversaires.
***
"Donne la patte ! Donne la papatte ! Mais lâche ça espèce de tête de chienne, résidu consanguin de Fenris !"
Larairah avait beau crier et battre de son pied valide contre la truffe de Redd, celle-ci ne semblait pas encline à laisser aller. Le lièvre s'agrippait de toutes ses forces à une branche de l'arbre abattu tandis que la hyène le tirait vers elle, secouant ses mâchoires refermées sur sa cheville. Passé la déchirure des tendons et des muscles, Larairah savait qu'il ne retrouverait certainement plus l'usage de son pied, qu'il ne sentait même plus, mais qui restait encore il ne savait comment attaché au reste de sa jambe.
Et pourtant il ne comptait pas lui non plus lâcher quoique ce soit. D'ailleurs pourquoi ? A ce train là, et sans ses deux pattes, ça lui serait plus simple de mourir maintenant pour ressusciter quelques siècles plus tard. Pourtant, même sachant cela, le lièvre n'était pas tenté par la perspective de se laisser dévorer. D'abord sans doute car sa stupide ennemie ne saurait pas lui donner une mort propre. Et ensuite aussi parce qu'à bout de force comme il l'était, chacun de ses muscles le brûlant, le désir de survivre était plus que jamais ce qui l'animait.
Le bruit d'une course se fit entendre par dessus celui de Redd lui ravageant les chairs. Il y eut ensuite un grondement lourd et le jappement de la hyène qui, dans un tressaut de son immense mâchoire, lui sectionna la patte avant de lâcher prise.
Le lièvre se laissa choir sur le sol, les yeux écarquillés, serrant entre ses mains son moignon tout en poussant des cris et des injures. Un bref combat s'engagea visiblement entre la hyène et celui qui était intervenu, concert de grondements et d'aboiements qui se solda par la fuite du charognard. Larairah qui ne se sentait pas du tout sauvé se tourna tout de même vers celui qui l'avait tiré de ce mauvais pas. Il lui sembla un bref instant qu'il tombait d'Aku'mai en Iso'rath :
"_Goldrinn ?! D'accord, d'accord ! Tu sais quoi ? Si je dois crever, j'aime autant que ce soit entre les crocs d'un vrai prédateur. Alors vas-y, bouffe moi maintenant !
_Mais de quoi tu parles espèce d'avorton ? répondit le loup. Et qu'est-ce que tu fiches ici ? Tu essayais de te cacher des combats ?"
Le souffle court, le lièvre retrouvait doucement un rythme calme, et avec lui une conscience aiguë de son corps maltraité. A quelques pas de lui, le grand loup attendait, le fixait de ses yeux ambrés. Larairah frémit sous les sueurs froides avant de reprendre :
"_Tu penses bien que si je me cachais, l'autre abrutie m'aurait jamais trouvée... Non. Je suis ici parce que je devais porter un message. Et toi ? Qu'est-ce que tu fais là ?
_Notre combat est terminé, l'avenir est entre les mains des dragons et des mortels maintenant. Une autre bataille, m'attend, ailleurs. Tu me fais perdre mon temps.
_Eyh, attends, attends, attends. Je peux pas aller plus loin... Il faut que tu portes mon message à ma place. A Cénarius et aux autres."
Le lièvre marqua un temps en voyant que le loup avait détourné son regard de lui pour fixer ce qui était visiblement une pluie de météores.
"_Qu'est-ce qui se passe ? gronda le Loup. Qu'est-ce que tu as fait ?! Et qu'est-ce que c'est que ce message ?!
_C'est Rattatast, Houd, Grimmbar et d'autres. Ils ont voulu mener leur propre combat contre les démons, ailleurs. Je devais venir vous trouver... Si ça tournait mal.
_Alors tu arrives trop tard, lapin. La grâce d'Elune est déjà sur eux, quand bien même je ne sais pas si elle vient les sauver où honorer leur mort."
Une secousse parvint jusqu'aux deux Anciens, les secouant eux et les arbres alentours, dont les branches et les feuilles chutèrent.
"_Écoute, fais le c'est tout. S'il y a une chance qu'ils survivent... Je veux pas qu'ils meurent en sachant que j'ai pas tout fait pour l'empêcher... J'y ai laissé une patte, par Elune !
_La guerre a un coût, plus cher que tes farces, lapin. J'irais porter ton message."
Et sur ce, le Loup disparut dans la nuit, laissant seul le Lièvre qui ferma les yeux et se laissa glisser dans les ténèbres. Le monde pouvait bien s'écrouler et l'emporter dans sa chute. Il avait donné tout ce qu'il pouvait et plus encore. Il partirait au moins avec cette consolation.
***
L'éradication sans appel de ses forces avait interrompu la bataille que l'érédar était si près de gagner. Pris dans la chute de météores, il avait du abandonner ses adversaires pour se protéger de l'assaut céleste sous un dôme de magie.
L'effondrement soudain du sol n'avait ensuite rien arrangé et, secoué par les tremblements, le sorcier-démon usait maintenant de tout son pouvoir pour maintenir en place le plateau rocheux qui s'écroulait sous ses pieds. Mais sa magie ne pouvait contenir tant de forces destructrices et d'immenses blocs de roche s'arrachaient à son promontoire, le réduisant rapidement à peau de chagrin.
Rattatast, qui avait à peine eu le temps de récupérer des effets dévastateurs de la malédiction s'était précipité pour intercepter Hermez dans sa chute et la recueillir au cœur d'une grande fleur dans laquelle il trouva à son tour refuge. Après s'être assuré que les racines de leur abri s'ancraient profondément dans le pan de roche que leur ennemi s'efforçait de sauver, Rattatast était venu au chevet de sa comparse :
"_Eyh, tu vas bien ? Allez, espèce de peluche tu vas pas nous lâcher toi aussi.
_Rattatast... Je peux plus... J'ai plus de force... Est-ce qu'on va mourir nous aussi ?
_Mais non ! On peut encore se battre ! On peut... Rester soudés... Et tenter des trucs..."
Rester soudés... Tu viens de lancer ton seul ami dans le néant gros malin, se dit l'écureuil, amer.
Le seul être à avoir jamais accepté de le suivre, malgré la noblesse discutable de ses intentions, malgré son égo grandiloquent, avait disparu. Spinoix, qui avait toujours été à ses côtés, sans jamais s'en poser la question et sans jamais émettre de jugement sur son ami avait été jeté sans considération. Lui faisait-il confiance durant tout le temps où il s'était laissé balancer au bout d'une liane ? Ou était-ce de son invulnérabilité qu'il ne doutait pas ? N'importe comment, c'était de toute façon le rongeur qui méritait, bien plus que le hérisson, de finir entre les griffes des démons.
Rattatast s'enfonçait dans ces considérations moroses lorsqu'il vit un petit objet que la lumière de la lune, qui filtrait entre les pétales de leur abri, faisait luire d'un éclat blanc pur. Niché dans la fourrure de la furette, Rattatast reconnut l'objet comme la plume d'Aviana. Aussitôt, il abandonna ses pensées : il ne s'agissait pas de lui ni de sa perte, il s'agissait de sa camarade qui avait encore quelqu'un à retrouver à la fin de la guerre, du moins le pensait-il.
S'emparant de la plume, l'écureuil la brandit devant la furette qui poussa un couinement attristé.
"_Eyh, il faut encore que tu rendes ça à ta maîtresse, tu te rappelles ! T'as une bonne raison de rester en vie, non ?
_Elle est morte, Rattatast... Aviana est morte... sanglota Hermez.
_Oh... Dans ce cas je suis sûr qu'elle voudrait que tu utilises son pouvoir pour la venger. Ça va te requinquer ! Je suis sûr qu'elle te regarde déjà depuis le Rêve !
_Non... Prends la toi... Ça me sert à rien de voler si je peux pas me battre... Prends la plume et venge la... Bats toi pour nous..."
Après ces paroles, l'Ancienne plongea dans un sommeil réparateur, laissant seul son compagnon d'infortune qui porta son regard sur la plume, minuscule reliquat d'une puissance maintenant disparue. Aviana était morte, et combien d'autres avec elle ? Aviana, Tlop, Spinoix, c'était déjà trop de disparus dans cette guerre.
Invoquant le Gland Sacré dans sa main, Rattatast regarda successivement la graine puis la plume.
Par leurs pouvoirs combinés...
***
Après avoir éparpillé les quelques démons lancés contre elle, Cwalcwutlicwa s'était trouvée confrontée au dôme protecteur de l'érédar. Et même si la force de son élémentaire n'avait rien à envier à celle des étoiles tombées du ciel, elle n'avait pas été suffisante pour briser la protection du sorcier.
Puis, lorsque la terre avait commencé à s'écrouler, la Reine et son gardien avaient chuté sur plusieurs mètres avant que la grenouille ne retrouve assez de présence d'esprit pour faire flotter son vaisseau aqueux.
Furieuse, son désir de vengeance comme seul point de mire, elle voulait immédiatement repartir à l'assaut mais savait qu'il lui fallait plus de puissance. Puissance qui lui venait de l'eau et de ses torrents.
Et alors qu'autour d'elle le monde grondait comme si la fin était proche, la Reine avisa l'immense vague qui déferlait sur leur position. Sans plus y réfléchir, elle se lança à sa rencontre.
Mais à mesure qu'elle approchait le raz de marée, l'élémentaire qui la portait lui communiquait ses réticences, lui faisait part de son malaise :
Il était l'élémentaire d'une cascade, le torrent d'un fleuve dans une jungle oubliée, un élémentaire d'eau douce.
"Et après ? Les fleuves mènent à la mer, les océans ne sont que les enfants des rivières."
La mer est un territoire vaste où les rivières se diluent et se perdent.
"J'ai déjà perdu un gardien. Je n'en perdrais pas deux."
La fureur de l'océan est grande, trop pour être contrôlée.
"C'est ce que nous verrons."
Les océans ont leurs propres règles, les défier, c'est défier Neptulon en personne !
"Et moi, Cwalcwutlicwa, Princesse des Rivières, Reine Grenouille, je défie quiconque de s'opposer à moi en cet instant !"
Au cœur de la nuit, le mur d'eau était noir, menaçant, et la téméraire loa crut discerner dans le rugissement de la vague les voix de milliers d'élémentaires furieux qui s'apprêtaient à déferler. Ils défiaient ceux des airs de leur hauteur et étaient prêts à engloutir ceux de la terre. Cwalcwutlicwa et son gardien n'étaient qu'une goutte qui n'allait pas tarder à les rejoindre.
"Ils verront !"
Arrivée dans le creux de la vague, elle sentit son élémentaire qui tentait de se stopper, perçut sa frayeur. Elle découvrait seulement que les élémentaires connaissaient la peur, mais elle n'était pas prête à laisser celle d'un autre la freiner.
"Je commande ! Je suis la Reine ! Si tu n'es pas prêt à me suivre, alors pars !"
Renvoyant l'élémentaire dans son plan d'origine, Cwalcwutlicwa resta en suspension dans les airs le temps d'une demi-seconde avant d'être engloutie par la vague.
***
Mélissé parce qu'elle volait et Houd grâce à son lien privilégié avec la terre, réussirent à prendre position malgré le sol qui s'inclinait et se morcelait en tous sens. Postés de chaque côté du Dévoreur et à une distance raisonnable de son corps immense, ils se contactèrent par l'esprit avant de commencer leurs incantations :
"_Prête ? demanda la taupe à l'abeille.
_Oui." lui répondit cette dernière.
Alors, presque en chœur ils entamèrent le rituel, les mains tendues vers la créature à qui il se destinait, répétant jusqu'à ce que l'énergie noire, plus noire que la nuit, ne jaillisse de leur corps :
"Shel thyzak vwyq, phquathi. Qam'Uull. Qam'shg'fhn"
Lentement, trop lentement peut-être, les volutes de magie libérés se rencontrèrent dans le dos du mollusque cyclopéen, dessinant une ligne qui devait ouvrir la faille vers son domaine. Et lentement, mais pas assez pour ne pas être inquiétant, le Dévoreur cessa son avancée pour tourner la tête vers ceux qui menaçaient son existence dans ce plan. Assailli des deux côtés, il jeta son dévolu sur Mélissé en direction de laquelle il pivota.
***
Après avoir retrouvé ses esprits, Grimmbar se releva en prenant appui sur la roche derrière lui, l'éraflant de ses griffes. Voyant son adversaire se détourner de lui, il attendit qu'il lui présente son flanc avant de s'élancer de son pas pesant.
Il flanqua à la coquille de la monstruosité antique une charge du coude qui la fit vaciller.
Ayant attiré l'attention de la créature, il enchaîna avec un grand coup de pied et le serviteur des Très Anciens commença à se décoller du sol.
Rugissant, Grimmbar se jeta sur son ennemi, pesant sur lui de tout son poids.
Un pas après l'autre, et en martelant la coquille de coups de poings titanesques, le blaireau géant finit par renverser le Dévoreur au sol, révélant ainsi les multiples gueules qui s'ouvraient sous son corps flasque.
Derrière ce dernier, la faille s'ouvrait peu à peu, à mesure que Houd et Mélissé accéléraient leurs incantations, pressés par la situation.
A terre, le mollusque se recroquevilla sur lui-même et les tentacules qui entouraient sa tête vinrent saisir une des pattes massives de l'Ancien colosse qui chuta sur le flanc. Battant du pied pour se libérer, Grimmbar peinait à se relever et le corps du Dévoreur se repliait peu à peu sur le sien, ses gueules carnassières allant trouver la chair de son épaule gauche.
L'Ancien rugit de douleur et de rage, couvrant même le tumulte de la terre qui s'effondrait et se craquelait sous leurs pieds, couvrant même celui de la vague qui s'abattait à l'autre bout du champ de bataille.
***
Après le passage de la déferlante d'eau, le promontoire de l'érédar s'était réduit à un piton tortueux et escarpé. Et si le sorcier-démon tenait encore debout, sa protection avait volé en éclats, signe que le serviteur de la Légion ne pourrait bientôt plus encaisser les mauvais coups.
Mais d'autres vagues ne tardèrent pas à monter à l'assaut de sa position, à mesure que la mer envahissait ce qui restait de la vallée qui continuait de se morceler. De ces vagues surgit une silhouette serpentine liquide, et au cœur de cet être aquatique s'en trouvait un autre, bien en chair, bien plus petit, à peine discernable dans le ciel éclairé par les astres.
Lorsque le serpent d'eau fondit sur lui, l'érédar dressa en guise de défense un portail devant et un autre derrière sa personne, que son assaillant traversa sans lui faire plus d'effet qu'une bruine d'eau salée.
Replongeant dans l'eau, Cwalcwutlicwa réunit les forces qu'elle avait trouvé dans la mer pour un nouvel assaut. Le pouvoir qu'elle avait trouvé ici était si enivrant et résonnait si parfaitement avec ses émotions qu'elle n'avait qu'à se laisser transporter et canaliser la fureur élémentaire vers la source de sa propre colère : l'érédar.
Montant à nouveau à l'assaut, l'eau serpentant de concert avec elle, elle frappa puis plongea pour préparer sa nouvelle attaque. Vague après vague, elle finirait par engloutir le démon, le briser en mille morceaux et l'éparpiller parmi le sable des océans. C'était ce qu'elle voulait pour son ennemi et c'était ce que les élémentaires voulaient pour tous les leurs, galvanisés qu'ils étaient par le chaos qui agitait le monde, chaos qu'ils n'avaient plus connus depuis le passage des Titans.
Cependant, le seigneur de la Légion avait déjà contrecarré la tactique de son assaillante et continuait de le faire. Sous son commandement, les portes démoniaques glissaient sur le sol avec un raclement rocheux et se réorientaient pour se placer entre leur maître et l'assaut du serpent, brisant le torrent d'eau partout où il frappait et rejetant l'Ancienne à la mer. Tout ce qui empêchait l'érédar de contre-attaquer pour le moment était le rythme soutenu que la loa lui imposait, mais une occasion se présenterait, tôt ou tard...
Un soudain éclat de lumière à quelques pas de lui attira l'attention du sorcier. Il vit ainsi une grande fleur éclore, et libérer avant de se refermer un petit quelque chose qui s'envola dans une trainée dorée. Et lorsque l'objet volant non identifié baigna dans la lumière de la lune, il se déploya pour révéler l'Ancien écureuil affublé de grandes ailes blanches et d'une auréole vraisemblablement creusée dans le chapeau d'une graine de chêne.
"Alors, qui a envie de tâter des pouvoirs d'un Écureuil Volant ?!" cingla le rongeur en déroulant avec un claquement sec deux fouets de ronce apparus spontanément dans ses mains.
Ébloui par la lumière que renvoyaient les grandes ailes de l'Ancien, l'érédar ne vit pas venir le coup suivant de Cwalcwutlicwa qui déferla dans son dos et le précipita dans le vide.
Faisant alors claquer ses fouets épineux, Rattatast cueillit le démon à la gorge, autour de laquelle les ronces s'enroulèrent, poinçonnant sa chair et l'empêchant d'articuler quelque incantation que ce fut. Et malgré que le sorcier démon se débattait furieusement, il suffisait à l'écureuil volant de battre de ses amples ailes pour se maintenir en l'air avec sa prise pourtant bien plus imposante.
"_Et qui veut tâter de la colère d'une Reine ?!cria la grenouille d'un ton de fureur triomphante et d'une voix que les flots rendaient rugissante.
_Ho ouais, réglée comme un métrognome vot'Majesté !
_Difficile de manquer vos mots quand vous me les lancez directement en esprit.
_En fait j'ai lancé ça dans tout le Rêve d'Emeraude... Je voulais être sûr que tout le monde l'entendrait. Parce que je trouvais ça très classe et..."
Et tandis que l'écureuil jacassait, l'érédar avait saisi entre ses deux mains les ronces qui l'étranglaient et s'était immolé d'un feu qui dévorait rapidement ses entraves, au point que Rattatast dut le lâcher, de crainte de s'enflammer à son tour.
Le démon chuta à nouveau, mais cette fois c'est Cwalcwutlicwa et son serpent liquide qui l'interceptèrent, l'engloutirent et l'écrasèrent au point de lui briser plusieurs os. L'air vidé de ses poumons fut rapidement remplacé par un tourbillon d'eau et le sorcier fut ensuite projeté en l'air sans ménagement, comme la proie de quelque prédateur marin. L'écureuil saisit l'occasion pour faire apparaître devant lui un éventail de feuilles tranchantes et de cosses piquantes qu'il envoya cingler contre son ennemi d'un grand coup d'ailes. Les débris végétaux lancés à pleine vitesse lacérèrent profondément la chair du démon, s'additionnant au reste de ses blessures.
Brisé, saigné et à demi noyé, l'érédar peinait à trouver l'occasion de répliquer. Lorsque les fouets épineux de l'écureuil le saisirent à la gorge et au bras puis que son autre bras fut happé par le serpent aqueux, il ne put faire guère plus que de battre des pieds furieusement et cracher l'eau qui avait empli ses poumons.
"_Maintenant qu'on te tient, lui dit Rattatast. Tu vas gentiment me faire un portail pour chez toi et me rendre mon ami.
_Et lever la malédiction que vous avez jeté sur mon gardien ! renchérit Cwalcwutlicwa.
_Je... Ne ferais... Rien de tel, parvint à articuler l'érédar avant que la pression sur sa gorge ne se relâche légèrement. Ainsi vous vous souviendrez toujours de moi comme de votre Némésis.
_Némésis ?! s'esclaffa l'écureuil. On dirait que t'as raté le moment où on t'as mis une raclée !
_Je ne suis pas encore mort vermine ! Vous par contre..."
Mais le collier de ronces se serra à nouveau contre sa gorge, empêchant le sorcier de proférer ses menaces.
Dans le but de mener un interrogatoire plus poussé, les Anciens portaient leur ennemi sur ce qui restait de son promontoire rocheux. Mais c'est alors qu'une force soudaine s'empara du corps du démon, l'attirant vers Zin'Azshari.
Plus loin, la même force s'appliquait à tous les démons dont les corps n'avaient pas déjà été renvoyés au Néant, et qui furent dès lors traînés dans la poussière puis dans les airs, hors du champ de bataille.
Rattatast et Cwalcwutlicwa tentèrent de retenir leur prisonnier qui les emportait lentement avec lui alors que son armée déchue emplissait le ciel noir. Pris dans un ballet tourbillonnant, les séides de la Légion battaient vainement des bras et des jambes tandis que le Néant les rappelait à lui.
Dans ce tumulte Cwalcwutlicwa crut percevoir un appel. Un coassement de détresse, aussi invraisemblable que cela ait pu paraître. Le sursaut de la loa la fit alors lâcher prise sur le démon, que l'écureuil peinait maintenant à retenir tout seul, jurant et battant furieusement de ses grandes ailes, exhortant sa camarade à revenir tout de suite.
Mais c'était maintenant le cadet des soucis de la Reine Grenouille qui fouillait du regard la mer en dessous d'elle, tentant d'apercevoir une trace de son gardien déchu dans le vacarme et dans la pénombre de cette tempête nocturne.
Alors elle l'aperçut. Cela ne ressemblait à guère plus qu'une flaque de vase se disloquant dans les eaux furieuses, mais pour l'Ancienne c'était peut-être tout ce qui restait de son Prince. Sans hésiter, elle plongea dans les eaux tumultueuses, laissant son vaisseau serpent se disloquer en une fine bruine, et se porta en direction de la mare de boue dans la mer.
Mais son esprit, plein d'espoir, ne résonnait plus avec la colère des flots qui l'encerclaient et ces derniers se retournèrent alors contre elle. Ballotée et renversée par les vagues, Cwalcwutlicwa devait déployer toute la force de son esprit mais aussi de son corps pour seulement garder son cap. Son objectif, qui au milieu de cette agitation ne faisait que quelques apparitions passagères dans son champ de vision, se disloquait et s'éparpillait dans les eaux furieuses. La grenouille redoubla d'efforts pour tenir les élémentaires hors de son chemin et finit par refermer sa main palmée sur une poignée de vase qu'elle emporta dans son sillage. Furieuse d'être retenue si loin de son objectif pourtant si proche, la loa parvint à saisir dans son autre main une nouvelle poignée de vase avant que le roulis de l'eau ne l'emporte au loin.
***
Rattatast tirait à bout de bras sur ses fouets épineux, tendus à s'en rompre par le démon qui lui échappait. Ses ailes battaient dru, mais aussi puissantes qu'elles fussent, elles ne parvenaient pas à compenser la force qui rappelait l'érédar au Vide. Meurtri mais pourtant ricanant, le sorcier avait empoigné les ronces à pleines mains, laissant ainsi circuler un air bienvenu pour sa réplique au rongeur furieux :
"Toi qui voulait venir chercher ton ami dans le Néant, réjouis toi, car je t'y emmène avec moi !"
Tirant sèchement sur ses entraves, le démon déstabilisa le vol de l'écureuil qui culbuta et se trouva emporté par son ennemi. L'érédar chercha aussitôt à s'emparer de l'Ancien, les deux adversaires roulant et boulant dans les airs, retenus l'un à l'autre par les ronciers.
"Ha ouais ?! Et ben..." voulut scander Rattatast au sorcier.
Mais la vision dans le dos de son ennemi du piton rocheux qui s'effondrait le retint. Il en vit le sommet basculer et plonger vers la tempête furieuse. Et la fleur avec. Et Hermez.
Rattatast jura. Ça n'avait pas vraiment de sens de bondir dans un plan démoniaque à la recherche d'un ami, si on en laissait une autre mourir derrière soi, n'est-ce pas ? Ça ne servait à rien de chercher à réparer une erreur si l'on en commettait d'autres dans le procédé, tous les types vertueux de ce monde vous le diront.
"Désolé, vieux." songea l'écureuil, avec une pensée pour son ami en pelote d'épingles. Puis pour le démon, il ajouta tout haut :
"Désolé, mais je vais devoir refuser l'invitation pour cette fois !"
Lâchant ses fouets de ronce, l'écureuil abandonna le démon à son sort et s'écarta de lui d'un battement de ses ailes blanches. L'érédar battit des bras pour s'emparer du rongeur mais fut rapidement emporté par l'appel du Néant et disparut dans le ciel étoilé, en direction des lourds nuages de Zin'Azshari.
Sans se retourner, Rattatast fila à grands coups d'ailes vers le piton en plein effondrement. La grande fleur qui avait commencé à basculer restait obstinément fermée autour de la furette, sans doute encore inconsciente en son sein. L'écureuil volant la cueillit dans sa chute, avant de filer comme une étoile blanche en direction des terres.
"Wahouh ! Pourquoi on m'a jamais dit que c'était aussi génial de voler ?!" cria-t-il d'un air exalté.
Tout à sa joie, l'Ancien ne sentit pas les ailes dans son dos qui s'estompaient lentement, à mesure qu'il perdait de l'altitude. Le sol défilait sous son regard, et se rapprochait aussi dangereusement. Finalement, lorsque les ailes disparurent complètement, Rattatast rencontra le sol tête la première, glissa, roula et boula sur une dizaine de mètres. La fleur qu'il tenait lui échappa, et la furette échappa à cette dernière, rejoignant l'écureuil dans la culbute. Enfin, au détour d'une roulade, l'auréole du rongeur se décrocha de sa tête et reprit la forme d'un gland avant de rebondir et de terminer sa course non loin de son propriétaire qui avait la tête dans le gazon.
***
Les morsures multiples qui lui ravageaient l'épaule et le dos avaient fait grandir Grimmbar au point qu'il parvenait maintenant à soulever son adversaire. L'Ancien déployait des forces colossales pour se relever malgré le poids de l'autre géant qui meurtrissait son corps et malgré les tentacules qui enserraient sa gorge.
Le portail menant au domaine du Dévoreur était grand ouvert lorsque Grimmbar parvint à se dresser sur ses pattes et à agripper son adversaire de ses mains. Le blaireau géant fit alors lentement basculer le mollusque dans la faille, hurlant lorsque les gueules de la créature quittèrent sa chair en lambeaux et laissèrent son sang couler à flots.
Renversé sans ménagement, le colosse antique disparut dans le portail noir, n'abandonnant totalement sa proie que lorsque celle-ci se fut dégagée des tentacules qui l'entravaient encore. Grimmbar se laissa ensuite tomber à genoux, le souffle lourd tandis que son corps meurtri perdait lentement en stature. Houd et Melissé se chargeaient maintenant de refermer le portail, avec la même lenteur exaspérante qu'ils l'avaient ouvert.
Et même s'il avait commencé à rechercher le calme et l'apaisement, le blaireau géant restait à l'affût du seuil entre les mondes, sachant très bien que si son ennemi avait la moindre occasion de franchir à nouveau le portail, il la saisirait.
En cela, l'Ancien ne se trompait pas et la faille s'était réduite de plus de moitié lorsque les tentacules, puis la tête du Dévoreur en jaillir, saisissant le crâne du blaireau géant. Ce dernier eut alors un mouvement de recul et lança son poing contre la gueule pleine de crocs. La lutte s'engagea dès lors entre le serviteur d'Elune et celui des Très Anciens, chacun tirant l'autre en son sens, tendant les tentacules à leur maximum.
Grimmbar se débattait avec fureur, secouant sa grosse tête en tous sens et jetant ses griffes contre les appendices du mollusque afin de les lui trancher.
"RETOURNE AUX TÉNÈBRES ! ELUNE TE L'ORDONNE !"
Au cri de l'Ancien fit écho un éclat blanc dans ses yeux alors que dans le ciel, la grande lune semblait briller plus intensément que jamais. Un rayon de lumière lunaire fusa au dessus de la tête de Grimmbar pour s'abattre sur la gueule grande ouverte du Dévoreur qui lâcha aussitôt prise, brûlé par la lumière divine. Libéré de ses entraves, le blaireau rugit plus fort encore à la face de son ennemi et la lumière d'Elune s'en trouva intensifiée, forçant la créature antique à reculer dans les ténèbres tandis que le portail se refermait sur lui.
La faille devint alors une mince ligne qui disparut, puis la lumière de la lune s'atténua jusqu'à retrouver sa radiance naturelle. Il n'y eut alors plus dans la nuit que les halètements de l'Ancien dont la taille décroissait à vue d'œil. Et lorsque le blaireau perdit l'équilibre et chuta sur le sol, l'abeille et la taupe se précipitèrent à son côté.
Tortoka/Djigzyx
Re: Les Anciens Signifiants
"Eyh, debout mon lapin. Fini de fainéanter. Je te préviens que si tu ne te réveilles pas dans deux minutes, ce sera toi mon petit déjeuner."
Petit déjeuner..?
Larairah ouvrit les yeux, puis les cligna lorsque la lumière du soleil l'éblouit. Il se redressa dans un sursaut, pour constater qu'il était au bord d'un étang. Au calme.
"Ah et bien tout de même." dit une voix toute proche, provoquant un mouvement de recul chez le lièvre. Celui-ci tourna aussitôt la tête vers celle qui s'adressait à lui. Il vit ainsi son amie renarde à son chevet, le sourire aux lèvres. Il poussa un soupir de soulagement.
"Eyh, Ermy... Tu sais que tu es le troisième chien de chasse que je croise depuis hier ? Ça commence à faire beaucoup..."
Sa gueule était pâteuse, ses paupières encore lourdes et son corps tout engourdi. Si Larairah devait estimer le temps qu'il avait dormi, ce serait sans doute pas assez.
"Chien de chasse, répéta la goupil sur un ton exagérément offusqué. Je t'ai connu plus aimable que ça, mon lapin. Enfin, j'imagine que c'est parce que tu t'es levé du mauvais pied aujourd'hui."
Et sur ces mots, l'Ancienne jeta négligemment quelque chose sur son comparse.
"Eyh mais ce serait pas ma...?"
Il s'agissait vraisemblablement d'une patte de lièvre et lorsque Larairah la reconnut il agita les mains pour la rejeter et rampa à reculons pour s'en éloigner, le tout en poussant des cris dégoûtés. Son membre perdu roula dans l'herbe et le lièvre tourna des yeux ronds sur le moignon à sa cheville, bandée de feuilles épaisses.
"_J'ai fais ce que j'ai pu, mais ces pattounes ne sont pas ce qu'il y a de mieux pour la couture, dit la renarde en agitant ses propres pattes devant elle. Ceci dit, je t'ai quand même mis la tienne de côté, en souvenir de la seule bataille à laquelle tu as participé. Et puis on sait jamais, peut-être qu'Aessina ou un autre réussira à te la recoller.
_Eurk non, j'aime autant pas, dit le rongeur en chassant l'air de la main. Garde la toi. Tu sauras bien quoi en faire.
_Oh tu es sûr ? Ma foi, une patte du Roi des Lièvres, ça doit faire un joli porte-bonheur."
L'Ancien mutilé roula des yeux tandis que son amie faisait glisser vers elle la patte perdue. Une main contre un arbre, il se redressa lentement, tâtant de son moignon le sol sous lui. La sensation était étrange et alors qu'il voulait faire un pas le lièvre manqua trébucher plusieurs fois en croyant s'appuyer sur un pied qui n'était plus là. Finalement il accepta la branche que lui tendait sa camarade en guise de béquille et reprit sa marche claudicante.
"_Je t'ai aussi ramené des pissenlits, et quelques feuilles qui sont comestibles je suppose... Je voulais te proposer des carottes sauvages mais j'avais peur que ça paraisse insultant.
_Et les autres ils vont bien ?" questionna simplement le lièvre, qui clopinait vers la nourriture.
Une seule mission, une seule chose à faire. Il n'avait pas intérêt à s'être loupé. Ça lui avait coûté une patte à la fin.
"_Aucune idée. J'ai fait un détour pour m'occuper de toi, mais Cénarius est parti voir tes petits camarades. Je crois qu'il a quelques explications à leur demander.
_Hmf, évidemment il va vouloir savoir pourquoi on a pas participé à leur formidable plan établi sur le coup de tête d'un mortel. D'ailleurs comment ça s'est passé pour vous là-bas ?
_Un désastre... Justement l'enfant prodigue ne s'en est tiré vivant que par le sacrifice de son papa. Et on a perdu pas mal de monde cette nuit... Finalement tu t'en tires à bon compte.
_Ah oui, tu trouves ? Je crois que j'aurais préféré mourir en fait. Ça m'aurait peut-être pris des millénaires pour ressusciter, mais au moins je serais revenu entier."
Le lièvre se laissa tomber devant la nourriture qui lui était destinée et piocha quelques feuilles et fleurs sous le regard de son amie. Il y avait même un récipient végétal rempli de rosée matinale sur lequel il se précipita.
"_Et bon appétit bien sûr, dit la renarde qui le fixait d'un regard amusé.
_Merci." s'empressa de répondre Larairah.
Puis, sentant les yeux de l'Ancienne toujours sur lui, il prit une pause dans son repas et tourna la tête vers sa comparse. Ermeline était aussi douée à afficher ses émotions qu'à les dissimuler et pour le moment elle exsudait d'une patience magnanime.
"Merci." dit-il sincèrement.
La renarde lui retourna un hochement de tête approbateur avant de s'allonger dans l'herbe, la tête posée sur ses pattes croisées. Dans les heures qui suivirent, les deux comparses échangèrent le récit de leurs batailles successives.
***
Lorsque Rattatast releva la tête de la poussière, la première chose qu'il fit après avoir retrouvé ses esprits fut de chercher du regard sa graine mystique, avant de se précipiter sur elle. Il entreprit ensuite de l'examiner sous toutes ses coutures afin de s'assurer de son intégrité physique, puis il la secoua comme pour en soupeser la quantité de pouvoir. Lorsqu'il jugea que tout allait bien, il cracha dessus avant de la frotter d'un revers de fourrure et se cala le Gland Sacré sous le coude.
Ensuite seulement, il se dirigea vers Hermez qui était pelotonnée au sol.
"_Eyh... Ça va ?
_Non... Laisse moi tranquille, lui répondit la voix amère de la furette qui lui tournait le dos.
_Écoute, je sais que c'est triste qu'Aviana soit morte et tout ça... Mais elle va bien finir par renaître, tu sais. Elle fait partie des immortels.
_Et combien de temps ça va lui prendre à ton avis ? Tu sais pas à quel point c'est long un millénaire quand on est seul..."
Ne sachant trop quoi dire, Rattatast voulut passer une main rassurante dans le dos de sa comparse mais un choc statique l'en prévint. La furette prit alors son envol en ronchonnant, laissant seul l'écureuil.
"Et ben... Je suppose que je le découvrirais assez tôt..."
Peiné à son tour, le rongeur resta un moment assis dans l'herbe, jusqu'à sentir sur lui l'ombre d'une silhouette dotée de bois.
"_Rattatast, l'interpella alors Cenarius.
_Oh super... répliqua l'écureuil qui se massa les sinus avant de se retourner vers son interlocuteur. Tu viens m'enfoncer l'écharde dans le pied, c'est ça ?
_Non, ce genre d'enfantillage ne m'intéresse pas. Nous avons tous du compter nos pertes... Peu importe les initiatives malheureuses."
Je citerais personne, suivez mon regard, pensa le rongeur avant de rouler des yeux, persuadé que son interlocuteur se disait la même chose de son côté.
"Je venais te parler des mortels, continua le fils d'Elune. Au vu de leurs actes, j'ai décidé de conclure avec eux une sorte de pacte."
D'abord interloqué, l'écureuil croisa les bras en affichant l'air le moins intéressé du monde.
"_C'est toi que ça regarde, je suppose.
_Pas seulement. Car par ce pacte je m'engagerais à leur enseigner les voies de la Nature. Nos voies. Et eux s'engageront à les suivre."
Le visage de Rattatast se renfrogna avant de s'éclaircir, à mesure qu'il saisissait les paroles de son comparse demi-dieu.
"_Tu veux dire... Comme des serviteurs ?
_Comme des disciples, rectifia Cénarius.
_Ouais bien sûr, disciples, serviteurs... Juste une petite nuance. Et donc ils devraient prendre nos commandements comme paroles divines ?
_Techniquement... Ils le seront. Tout cela dans le but de leur apprendre à maintenir l'équilibre de cette terre. La triste réalité étant que nous ne pouvons toujours être présents pour le faire...
_C'est sûr, c'est sûr... Et donc on commence quand ?
_Au moment où le pacte sera scellé.
_Et il sera scellé quand...
_Quand un nouveau G'hanir aura poussé.
_Quand un nou-... Attends, quoi ?
_Je suis navré de te l'apprendre Rattatast, mais G'hanir est tombé en même temps qu'Aviana. C'est pourquoi je pensais que..."
Mais les paroles de l'être semi-divin furent couverte par le grondement de tonnerre qui retentit non loin. Et avec l'orage, Hermez fusa en direction des deux autres Anciens. Furieuse, la foudre jaillissant de ses yeux en grandes langues de lumière bleue, la furette se porta devant Cénarius qui conservait un calme olympien devant la hargne de la petite créature ailée.
"_Où est Aviana ?! Où est son corps ?! Tu as aussi laissé sa dépouille aux démons, c'est ça ?!
_Du calme, Hermez. Le cadavre d'Aviana recevra la cérémonie ainsi que tous les honneurs qui lui sont dus...
_Ha oui, comme celui d'Aggamaggan ?! Il y a des ronces énormes qui lui sortent du ventre !
_Je serais même pas étonné que ce soit exactement la mort qu'il voulait, glissa Rattatast.
_C'est comme ça que tu veux que sa mémoire soit honorée ?! C'est comme ça qu'elle renaîtra, d'après toi ?!
_Chacun de nous renaît à l'heure où il est appelé à le faire. Le mieux que nous puissions faire est de tenir le rôle d'Aviana aussi bien qu'elle le faisait. Et c'est dans ce but que les futurs druides devront recevoir son enseignement."
La furette fit silence le temps d'essayer de comprendre ce que disait son interlocuteur, avant de pencher la tête de côté avec une expression interloquée. Au dessus d'elle, l'orage se tut lui aussi.
"_Oh tu les appelles des 'druides' ? reprit l'écureuil, qui lui savait de quoi il retournait.
_Oui. Et je leur enseignerais les voies de ceux qui ne sont plus là, comme Aviana, Ursoc et Ursol.
_Toi, tu vas leur transmettre les enseignements d'Aviana ?! s'écria Hermez qui n'avait pas laissé la confusion emporter trop loin sa morgue.
_Faute de mieux, oui. Je sais que tu es mieux placée pour le faire, aussi si tu acceptes de me suivre-
_Te suivre ?! Te suivre ?! tempêta la furette, le tonnerre en écho. Aviana t'a suivi et elle est morte ! Si tu veux que je te suive, réveille moi quand elle sera à nouveau de ce monde parce que je n'irais nulle part sans elle !"
La foudre appuyant sa résolution, Hermez abandonna les deux autres Anciens, emportant avec elle l'orage désormais pluvieux.
"_Bon et bah tu nous l'as énervée, constata Rattatast en s'ébrouant. Mais pour revenir à cette histoire de G'hanir, et parce que je sens que je vais me faire me taxer d'une graine -au nom du sacrifice des mortels qui ont perdu quelques milliers de têtes parmi la multitude qu'ils en affichent joyeusement- je tenais à éclaircir un point. Même si je le voulais -on va partir du postulat que c'est pas hors de question, alors qu'en fait si- la graine que je porte actuellement ne pourrait pas faire pousser un nouveau G'hanir.
_Ha non ? s'étonna le demi-dieu.
_Non. Elle a pas encore emmagasiné l'essence de toutes les graines de toutes les plantes présentes et futures de ce monde. Et encore moins suffisamment d'énergie vitale pour un nouvel arbre primordial. Donc c'est hors de question, objectivement ET si tu me demandes mon avis.
_N'as tu pas une autre alternative ?
_Eyh c'est toi l'ami des tréants et des vieux chênes, non ? Quand ils sont sur le point de mourir, la plupart laissent tomber un fragment de leur essence sous la forme d'une graine. Si tu trouves celle que G'hanir nous a légué -avant moi ça va de soi- alors tu pourras au moins en faire pousser un ersatz dans le monde matériel.
_Avant toi... répéta Cénarius. Tu t'opposerais à ce que je ramasse cette graine ?
_Ramasser les graines c'est mon travail dans ce monde... Techniquement, c'est toi qui t'opposerait à ma mission divine.
_Je n'imaginais pas que même alors que plus personne n'attend quoique ce soit de ta part, tu puisses encore décevoir, Rattatast, déclara gravement le demi-dieu.
_Ouais et ben j'ai été ravi de t'aider. Bonne chance pour tirer des mortels autre chose qu'un désastre."
Avec ses sarcasmes pour dernières paroles, le rongeur prit congé de Cénarius et s'en alla, en emportant sa graine fétiche avec lui. Pestant contre le fils d'Elune, il voulut rejoindre Hermez et trottina jusqu'à l'averse orageuse qui couvait au dessus d'elle. Lorsqu'il la retrouva finalement, elle volait bas, battant mollement des ailes.
"_Eyh, tu vas où comme ça ? lui demanda-t-il, criant presque pour se faire entendre sous la pluie et le vent.
_Qu'est-ce que ça peut faire ? Tu n'as nulle part où aller ?
_Si. Enfin pas pour le moment... Dis, tu veux pas laisser passer une ou deux éclaircies ? Je suis trempé, moi.
_Est-ce que tu peux faire revenir Aviana ?
_...Je sais que c'est un coup dur, mais tu vas t'en remettre, non ? Et puis t'es pas seule au monde que je sache."
Mais la furette n'écoutait pas et à la place, continua de sa voix amère :
"_Tu sais, le pire ce n'est pas de l'avoir perdue. C'est de ne pas avoir été auprès d'elle pour ses derniers instants. De ne pas avoir pu me battre à ses côtés.
_C'est toi qui a insisté pour me suivre, lui rappela l'écureuil.
_Elle me l'avait demandé, elle voulait que je te surveille. Si tu ne lui avais pas volé une plume, j'aurais pu être à ses côtés pour lutter !
_Et mourir, aussi ?! Sa plume elle m'a servi à te sauver la vie, entre autres ! Et je te rappelle que c'est toi-"
Mais le tonnerre et la foudre coupèrent la parole à Rattatast.
"Ça suffit ! Si tu veux rester au sec, alors reste loin de moi !"
Ses yeux lançant des éclairs, comme pour dissuader l'écureuil de la suivre, Hermez prit son envol et ne tarda pas à disparaitre.
Laissé seul et trempé, le rongeur s'assit parmi les flaques, trop abasourdi par la colère de sa comparse pour s'offusquer de son ingratitude.
Il avait réuni autant d'Anciens qu'il avait pu pour les mener au combat. Ils avaient été peu nombreux, mais s'étaient battus ensembles. Il les avait même encouragés avec un discours avant la bataille. Pourquoi se retrouvait-il seul ? Il y avait eu des pertes, mais ce qui restait de leur groupe n'en était pas plus soudé pour autant. Les mortels avaient été la cause et la résolution de cette catastrophe, et au lieu de s'entredéchirer, ils envisageaient déjà un avenir sous la tutelle d'un Ancien. Le seul avenir qui se profilait pour l'écureuil, c'était un avenir sans son meilleur ami. Sans personne. Sans même la certitude que tout ça, tout ce qu'il avait fait avait été, d'une quelconque façon, la bonne chose.
Rattatast avait beau avoir avec lui la graine source de son pouvoir, il se sentait bien pauvre en cet instant.
***
Hermez arriva rapidement dans le charnier qu'avait été le lieu de la bataille entre les démons et les Anciens menés par Cénarius. La pluie la suivait toujours, mais cela ne l'empêchait pas de fouiller les environs du regard, à la recherche d'un corps blanc. Lorsque finalement elle le trouva, elle s'y précipita à grands coups d'ailes, seulement pour constater qu'il était brisé et plus si immaculé qu'auparavant.
La vue du corps gracile au sol, dans la poussière et le sang, chassa tout l'air dans la poitrine d'Hermez. Les quelques mots qui s'extirpèrent de son esprit se résumèrent à des geignements plaintifs, avant que la furette ne vienne se nicher au creux de l'une des grandes ailes tordues de sa maîtresse.
"Je suis là maintenant... Je suis là, tout près, tout près... Je vais rester ici, et attendre que vous reveniez parmi nous. Vous reviendrez vite, hein. J'en suis sûre. Je suis ici, juste ici. J'attends."
Cherchant contre le corps d'Aviana une chaleur qui avait définitivement disparue, Hermez remua pour s'enfoncer un peu plus dans le plumage de la déesse aviaire.
"Je vais dormir, et on se retrouvera dans le Rêve. Je vous guiderais jusqu'ici et on sera à nouveau ensemble, oui ? Vous ne me laisserez pas... Pas longtemps."
Peinant à se convaincre elle-même de ses paroles, la furette bredouilla jusqu'à ce que le corps inerte d'Aviana ne fut plus que légèrement secoué par ses sanglots. Au dessus d'elle, l'averse redoublait, imbibant les plumes, lavant la dépouille et avec le torrent de pluie resurgirent les souvenirs d'une vie passée.
Aussi loin qu'elle pouvait s'en souvenir, Hermez avait été au service de grands maîtres, des êtres quasi-divins, puissants et attentionnés. Ils lui avaient confiés des missions, donné leur confiance, offert des ailes. Elle aimait cette vie et se sentait aimée, utile et désirée. Mais la guerre avait jeté tout cela à bas, lui avait arraché ce qu'elle chérissait : ses maîtres, ses ailes, sa raison d'être. Et même si elle en était sortie avec plus de pouvoir que jamais, elle s'était sentie dépossédée, perdue. Jusqu'à ce qu'Aviana ne la trouve et ne la prenne sous son aile, littéralement.
Et aujourd'hui la guerre était venue à nouveau, avait prélevé son tribut, arrachant à la petite servante sa maîtresse aimée. Elle ne voulait pas que cela recommence, elle ne voulait pas à nouveau d'une vie dénuée de sens, sans un regard pour la couver et une voix pour la rassurer, lui dire qu'elle serait toujours aimée.
"Revenez, s'il vous plaît... Ne me laissez pas ici...toute seule... Je veux plus être seule... Je veux plus..."
Sans retenue, Hermez pleura sa maîtresse qui n'était plus là pour partager cet intime moment de peine. Elle resta ainsi à son côté, laissant ses sanglots l'épuiser jusqu'à ce que le sommeil l'emporte loin de la solitude tant crainte.
***
Les vagues déchaînées avaient mené Cwalcwutlicwa à des lieues du champ de bataille, jusqu'à un rivage déchiqueté. C'est sur un rocher escarpé qu'elle trouva refuge, pour échapper non pas à la noyade, mais aux roulis de l'eau qui l'avaient ballotée et malmenée jusque là. Rampant et glissant plus qu'elle ne s'agrippait, elle refusait de relâcher sa poigne sur la vase entre ses doigts. Il lui était donc d'autant plus difficile d'assurer sa prise sur la roche trempée.
Ses ornements et ses bijoux avaient été pour la plupart brisés et balayés par la mer, mais il en allait de même pour son souci des apparences en cet instant. Épuisée par le voyage mouvementé qu'elle venait de vivre, la loa ne s'accorda pourtant que peu de temps pour reprendre ses esprits et son souffle avant de poser les deux poignées de boue devant elle et de les unir en un même tas. Son corps endolori restait à demi-immergé, encore trop faible pour la hisser totalement hors de l'eau, mais pour une fois dans sa vie, ce n'est pas de son propre bien-être dont la Reine se souciait.
Il y avait encore une vie dans cet infime tas de limon, elle en était persuadée. Ses pouvoirs pouvaient guérir les chairs et purifier les corps, aussi en usa-t-elle sans réserve. Ce qu'elle refusait d'admettre cependant, c'était que l'être qu'elle tentait de soigner n'avait ni corps ni chair, et que la malédiction avait disparue d'elle-même après avoir accompli son terrible office.
Une éclaboussure d'eau purificatrice après l'autre, Cwalcwutlicwa tentait désespérément de faire revenir son favori à ses côtés. Mais recréer un être à partir de fange marécageuse était un miracle auquel même les Titans ne s'étaient pas essayés. Quelle chance avait-elle, elle qui n'avait pas même une fraction du pouvoir des Faiseurs ?
Ses espoirs de réussir s'effilochaient un peu plus à chaque fois qu'elle était confrontée à un échec et bientôt sa volonté ne tint plus qu'à la certitude que l'esprit de Tlop subsistait encore dans la boue. Sachant cela, elle ne pouvait se résoudre à abandonner. Pas avant d'avoir tout tenté.
Ses yeux fixaient le limon. Cwalcwutlicwa tentait de reconstruire le corps de son compagnon en se focalisant sur l'image qu'en gardait son esprit. Loyal, rassurant, fort. C'était lui qu'elle voulait car c'était son Prince. Pour toujours et à jamais, c'était la promesse qu'il lui avait faite. Un serment. Et ces souvenirs firent se joindre les larmes de la grenouille aux eaux bienfaitrices qui s'écoulaient sous son injonction.
La loa baissa les bras lorsque le flot se tarit et que les dernières gouttes s'écoulèrent, mais refusait encore de se laisser abattre. Elle se hissa complètement sur le rocher et réfléchissait déjà aux rituels et méthodes par lesquels elle pourrait retrouver son gardien bien aimé. Ses réflexions furent cependant interrompues par un gargouillis mouillé provenant du tas de limon. Rivant dessus un regard surpris et plein d'espoir, la grenouille vit la boue frémir violemment au rythme des bulles qui éclataient à sa surface puis se dresser brusquement de quelques pouces.
Deux yeux de crapaud émergèrent de la fange, roulant et flottant avant de prendre position de chaque côté du petit tas, selon une symétrie douteuse. Le limon se fendit d'une large gueule d'où jaillit un croassement mouillé et commença à rouler, se ramasser sur lui-même et ramper vers la Princesse.
Cette dernière, atterrée et frappée d'horreur se recula précipitamment et repoussa l'être fangeux d'un coup de patte qui le fit basculer à l'eau. Les vagues l'emportèrent aussitôt, laissant la loa seule sur son rocher, secouée et choquée par l'apparition.
Ses yeux fixaient le vide, la vue de la créature restant gravée dans son esprit. Ridicule, pathétique, laide. Ce n'était pas ce qu'elle voulait et ce n'était en aucun cas son Prince. Tout juste en était-ce une parodie. Une abomination.
Enroulant ses bras autour de ses jambes, Cwalcwutlicwa contemplait maintenant son échec en tant que souveraine. De ses deux sujets les plus importants, l'un l'avait abandonné et elle n'avait pu sauver l'autre. Les puissances sur lesquelles elle se reposait lui avaient fait défaut en un instant crucial. Elle rentrerait seule et démunie dans les jungles trolles et doutait maintenant pouvoir tenir sa civilisation à flot.
Dépouillée de sa parure et de ses ornements, la loa ne ressemblait qu'à une simple grenouille perdue sur le rivage et à vrai dire, elle n'avait pas le sentiment d'être plus que cela.
***
Relevé par ses comparses, Grimmbar avait été remis debout avant même d'avoir retrouvé ses esprits. Pour l'aider à se remettre du combat qu'il venait d'endurer, Melissé lui offrit une nouvelle mesure de gelée royale revigorante.
Cependant, il vint vite à l'attention des Anciens que la plaie béante s'étendant de l'épaule au dos du blaireau ne se refermait pas, ou seulement de manière infime. Le grand animal interrogea alors la taupe et l'abeille du regard. Les créatures des Dieux Très Anciens leur était après tout bien plus familières qu'à lui. Et si l'Impératrice de Miel se contentait d'afficher un air navré, Houd se montra plus franc et plus direct.
"_On dit que l'herbe ne repousse pas sur le passage du Dévoreur. Et effectivement, les blessures infligées par ses mâchoires -à la terre ou à la chair- ne guérissent pas, ou difficilement.
_Donc, je vais saigner jusqu'à la mort, c'est ça ?
_Je suis vraiment désolée." dit l'abeille qui ne s'était visiblement pas tout à fait pardonnée son initiative malheureuse. Dans le but visible de réparer sa faute, aussi futile que cela paraisse, elle fit pousser autour de la blessure du blaireau un bandage végétal, que Grimmbar noua et resserra lui-même en s'aidant de sa lourde mâchoire.
"Une éternité de douleur vaut mieux que la mort de ce monde, dit ensuite le grand Ancien. Et puis les mortels ont toujours vécu avec la certitude de mourir un jour, ça ne leur a jamais posé problème."
Melissé hocha la tête, là où Houd resta silencieux. Avisant l'horizon dévasté du regard le blaireau reprit ensuite :
"_Le monde est en miettes mais il semble tenir encore debout. Que fait-on maintenant ?
_Nous devons savoir à quel point les choses ont changé... dit la taupe. Je vais donc tâcher d'obtenir le plus de renseignements possibles.
_Au moins tu ne laisses pas l'apocalypse changer tes habitudes... Mais je préfèrerais que tu t'assures avant tout que nos alliés vont bien.
_C'est la première chose que je comptais faire, ne t'inquiète pas. Et toi ?
_Je vais trouver ceux qui sont tombés au combat. Ils méritent les honneurs."
Houd hocha le museau en signe d'approbation, puis les deux Anciens à fourrure se tournèrent vers l'abeille. Cette dernière ne tarda pas à répondre à leur question muette.
"_Je pense que je vais m'efforcer de retrouver l'âme de Huisaile.
_Son âme ? Celle qui appartient désormais aux Très Anciens ? questionna Houd.
_Ce sera sans doute difficile... ajouta Grimmbar, qui se refusait à prononcer le mot 'impossible'.
_Et c'est peu de le dire, je connais leurs secrets et je ne vois pas comment vous pourriez réussir.
_Connaissez vous vraiment tous leurs secrets ? l'interrogea alors Melissé, avec une pointe de hauteur dans la voix. J'aurais préféré l'oublier, mais j'ai été une de leurs prêtresses. Je sais des choses que vous ignorez sûrement.
_Et vous comptez le récupérer avec la même magie qui vous l'a fait perdre ? Une magie que vous n'êtes plus censée utiliser depuis que vous avez choisi d’œuvrer pour les Créateurs. Cela vous perdra, la prévint alors Grimmbar.
_Peut-être bien. Mais je préfère cela que passer l'éternité avec mes regrets. Je n'ai pas votre volonté quand il s'agit d'endurer les blessures."
Le blaireau se contenta de hocher la tête, compréhensif. Impératrice était l'un des titres de son interlocutrice. Elle pouvait paraître chétive en certaines occasions, mais elle était en cet instant déterminée à ne pas se laisser détourner de son chemin.
"_Je n'ai plus qu'à vous souhaiter bonne chance, si votre décision est prise. Faites ce qui vous semble juste, et puisse cela vous attirer les faveurs d'Elune.
_Bonne chance. Vous en aurez besoin.
_Merci. A très bientôt, si les Faiseurs le veulent."
Sans perdre plus de temps, la Reine des Abeilles prit son envol, laissant les deux Anciens se séparer ensuite.
"_J'attends de tes nouvelles rapidement, gronda Grimmbar.
_Je ne trainerais pas." lui rétorqua Houd.
Et sur ce, la taupe disparut par un trou dans le sol, laissant son compère trainer sa lourde carcasse hors de ce qui restait du champ de bataille. Bien assez tôt, le temps effacerait les traces de leur passage, tout comme la Grande Fracture avait emporté l'empreinte que ces Anciens, en voulant accomplir un acte signifiant, avaient pu laisser dans l'histoire d'Azeroth.
***
Épilogue :
Houd, après avoir rejoint Rattatast puis Larairah, ne trouva pas trace des loas qui les avaient accompagnés. Ainsi, une fois qu'il eut communiqué ces nouvelles à Grimmbar, il erra sous la surface du monde afin de mesurer toutes les conséquences de la Grande Fracture.
Il en revint ensuite à son habitude de neutraliser les menaces potentielles avant qu'elles ne fassent surface. Il s'y attacha jusqu'à ce que, dix mille ans plus tard, il ne soit capturé par une créature des Très Anciens, en Pandarie.
Grimmbar, après les cérémonies d'adieu aux Anciens déchus -rendues houleuses par les charognards qui estimaient faire leur travail en dévorant les carcasses- retourna à son errance, sa plaie laissant une trace sanguinolente derrière lui.
Lorsque la malédiction des druides de la Meute survint et que les worgens furent bannis, il chercha le bosquet où ils étaient tombés et s'imposa comme gardien des lieux. Mais la douleur et la faiblesse eurent raison de son corps et de son esprit, aussi ne devint-il au fil des siècles qu'un monstre de plus dans le folklore de la Forêt Noire gilnéenne.
Rattatast, intéressé par les paroles de Cénarius, décida de monter son propre ordre de druides : les druides du Gland. Ce dernier connut un certain succès, jusqu'à ce que Cénarius et les elfes ne se rendent compte de la facilité avec laquelle les druides écureuils se perdaient dans leur aspect animal. Il s'avérait en effet qu'une fois affublé de la mémoire limitée des rongeurs, les disciples de Rattatast oubliaient leur identité aussi vite qu'ils perdaient la cachette de leurs graines.
Aux commandes de ces quelques suivants, l'Ancien Écureuil guetta alors un éventuel retour de la Légion qui lui permettrait de retrouver son ami perdu. C'est ainsi que durant la Troisième Guerre, il se lança avec ses druides à l'assaut du Néant. L'attaque ne connut que peu de succès, et Rattatast en revint non seulement bredouille, mais avec un seul de ses serviteurs survivant.
Spinoix, dans le Néant et aux mains des démons, ne démérita pas son titre d'Inextricable puisque malgré tous les efforts de ses geôliers, aucun ne parvint à l'atteindre physiquement. Mentalement cependant, Spinoix subit l'influence des démons qui lui firent vivre un cauchemar de plusieurs millénaires.
Obstinément roulé en boule, le hérisson devint malgré lui une arme redoutable, au service de la Légion et sema le chaos et la mort sur bien des mondes.
Hermez, que Grimmbar trouva endormie aux côtés d'Aviana, fit l'objet de plusieurs déplacements. D'abord l'Ancien blaireau la posa au plus près de l'endroit où s'était tenu G'hanir, puis des pèlerinages de druides de la Serre la portèrent, l'oublièrent et la retrouvèrent dans leurs sanctuaires successifs. Pour éviter le chagrin, la furette resta endormie et finit même par ne plus se réveiller alors que la déesse oiseau avait ressuscité.
Larairah mit à profit les siècles et les millénaires à venir pour se rééduquer, redevenir aussi vif et agile qu'il l'était malgré que l'une de ses pattes fut remplacée par une prothèse de bois. Dans la foulée, il décida de briser la loi naturelle qui le cantonnait au rôle de proie et apprit à se battre plutôt qu'à fuir. Après avoir recouvré ses capacités normales, il s'entraîna à la maîtrise des ombres, plus particulièrement de la sienne, et devint ainsi le coureur le plus rapide d'Azeroth, du Rêve d'Emeraude et du Royaume des Ombres.
Cwalcwutlicwa voulut rejoindre sa tribu trolle pour obtenir d'elle le pouvoir nécessaire à la guérison de Tlop. Mais la déchéance de cette race, et les guerres civiles qui s'ensuivirent ne l'aidèrent en rien. La situation ne fit que s'aggraver lorsque les trolls commencèrent à sacrifier leurs dieux, la forçant à se cacher. Elle tenta malgré tout de réunir autant de puissance que possible, jusqu'à sa capture.
Tlop, échoué dans les marais d'Âprefange, l'attendit tout ce temps, ruminant la misère de son existence et ne laissant plus quiconque l'approcher.
Melissé, pour sauver l'âme de son compagnon, profita de la guerre des sables changeants pour revenir à son ancienne demeure d'Ahn'Qiraj. Lorsque les dragons de bronze en scellèrent l'entrée, elle se retrouva enfermée avec les êtres qu'elle avait trahie. Elle fut dès lors prisonnière, forcée d'offrir son essence vitale à la création des hordes d'insectes carnassiers.
Petit déjeuner..?
Larairah ouvrit les yeux, puis les cligna lorsque la lumière du soleil l'éblouit. Il se redressa dans un sursaut, pour constater qu'il était au bord d'un étang. Au calme.
"Ah et bien tout de même." dit une voix toute proche, provoquant un mouvement de recul chez le lièvre. Celui-ci tourna aussitôt la tête vers celle qui s'adressait à lui. Il vit ainsi son amie renarde à son chevet, le sourire aux lèvres. Il poussa un soupir de soulagement.
"Eyh, Ermy... Tu sais que tu es le troisième chien de chasse que je croise depuis hier ? Ça commence à faire beaucoup..."
Sa gueule était pâteuse, ses paupières encore lourdes et son corps tout engourdi. Si Larairah devait estimer le temps qu'il avait dormi, ce serait sans doute pas assez.
"Chien de chasse, répéta la goupil sur un ton exagérément offusqué. Je t'ai connu plus aimable que ça, mon lapin. Enfin, j'imagine que c'est parce que tu t'es levé du mauvais pied aujourd'hui."
Et sur ces mots, l'Ancienne jeta négligemment quelque chose sur son comparse.
"Eyh mais ce serait pas ma...?"
Il s'agissait vraisemblablement d'une patte de lièvre et lorsque Larairah la reconnut il agita les mains pour la rejeter et rampa à reculons pour s'en éloigner, le tout en poussant des cris dégoûtés. Son membre perdu roula dans l'herbe et le lièvre tourna des yeux ronds sur le moignon à sa cheville, bandée de feuilles épaisses.
"_J'ai fais ce que j'ai pu, mais ces pattounes ne sont pas ce qu'il y a de mieux pour la couture, dit la renarde en agitant ses propres pattes devant elle. Ceci dit, je t'ai quand même mis la tienne de côté, en souvenir de la seule bataille à laquelle tu as participé. Et puis on sait jamais, peut-être qu'Aessina ou un autre réussira à te la recoller.
_Eurk non, j'aime autant pas, dit le rongeur en chassant l'air de la main. Garde la toi. Tu sauras bien quoi en faire.
_Oh tu es sûr ? Ma foi, une patte du Roi des Lièvres, ça doit faire un joli porte-bonheur."
L'Ancien mutilé roula des yeux tandis que son amie faisait glisser vers elle la patte perdue. Une main contre un arbre, il se redressa lentement, tâtant de son moignon le sol sous lui. La sensation était étrange et alors qu'il voulait faire un pas le lièvre manqua trébucher plusieurs fois en croyant s'appuyer sur un pied qui n'était plus là. Finalement il accepta la branche que lui tendait sa camarade en guise de béquille et reprit sa marche claudicante.
"_Je t'ai aussi ramené des pissenlits, et quelques feuilles qui sont comestibles je suppose... Je voulais te proposer des carottes sauvages mais j'avais peur que ça paraisse insultant.
_Et les autres ils vont bien ?" questionna simplement le lièvre, qui clopinait vers la nourriture.
Une seule mission, une seule chose à faire. Il n'avait pas intérêt à s'être loupé. Ça lui avait coûté une patte à la fin.
"_Aucune idée. J'ai fait un détour pour m'occuper de toi, mais Cénarius est parti voir tes petits camarades. Je crois qu'il a quelques explications à leur demander.
_Hmf, évidemment il va vouloir savoir pourquoi on a pas participé à leur formidable plan établi sur le coup de tête d'un mortel. D'ailleurs comment ça s'est passé pour vous là-bas ?
_Un désastre... Justement l'enfant prodigue ne s'en est tiré vivant que par le sacrifice de son papa. Et on a perdu pas mal de monde cette nuit... Finalement tu t'en tires à bon compte.
_Ah oui, tu trouves ? Je crois que j'aurais préféré mourir en fait. Ça m'aurait peut-être pris des millénaires pour ressusciter, mais au moins je serais revenu entier."
Le lièvre se laissa tomber devant la nourriture qui lui était destinée et piocha quelques feuilles et fleurs sous le regard de son amie. Il y avait même un récipient végétal rempli de rosée matinale sur lequel il se précipita.
"_Et bon appétit bien sûr, dit la renarde qui le fixait d'un regard amusé.
_Merci." s'empressa de répondre Larairah.
Puis, sentant les yeux de l'Ancienne toujours sur lui, il prit une pause dans son repas et tourna la tête vers sa comparse. Ermeline était aussi douée à afficher ses émotions qu'à les dissimuler et pour le moment elle exsudait d'une patience magnanime.
"Merci." dit-il sincèrement.
La renarde lui retourna un hochement de tête approbateur avant de s'allonger dans l'herbe, la tête posée sur ses pattes croisées. Dans les heures qui suivirent, les deux comparses échangèrent le récit de leurs batailles successives.
***
Lorsque Rattatast releva la tête de la poussière, la première chose qu'il fit après avoir retrouvé ses esprits fut de chercher du regard sa graine mystique, avant de se précipiter sur elle. Il entreprit ensuite de l'examiner sous toutes ses coutures afin de s'assurer de son intégrité physique, puis il la secoua comme pour en soupeser la quantité de pouvoir. Lorsqu'il jugea que tout allait bien, il cracha dessus avant de la frotter d'un revers de fourrure et se cala le Gland Sacré sous le coude.
Ensuite seulement, il se dirigea vers Hermez qui était pelotonnée au sol.
"_Eyh... Ça va ?
_Non... Laisse moi tranquille, lui répondit la voix amère de la furette qui lui tournait le dos.
_Écoute, je sais que c'est triste qu'Aviana soit morte et tout ça... Mais elle va bien finir par renaître, tu sais. Elle fait partie des immortels.
_Et combien de temps ça va lui prendre à ton avis ? Tu sais pas à quel point c'est long un millénaire quand on est seul..."
Ne sachant trop quoi dire, Rattatast voulut passer une main rassurante dans le dos de sa comparse mais un choc statique l'en prévint. La furette prit alors son envol en ronchonnant, laissant seul l'écureuil.
"Et ben... Je suppose que je le découvrirais assez tôt..."
Peiné à son tour, le rongeur resta un moment assis dans l'herbe, jusqu'à sentir sur lui l'ombre d'une silhouette dotée de bois.
"_Rattatast, l'interpella alors Cenarius.
_Oh super... répliqua l'écureuil qui se massa les sinus avant de se retourner vers son interlocuteur. Tu viens m'enfoncer l'écharde dans le pied, c'est ça ?
_Non, ce genre d'enfantillage ne m'intéresse pas. Nous avons tous du compter nos pertes... Peu importe les initiatives malheureuses."
Je citerais personne, suivez mon regard, pensa le rongeur avant de rouler des yeux, persuadé que son interlocuteur se disait la même chose de son côté.
"Je venais te parler des mortels, continua le fils d'Elune. Au vu de leurs actes, j'ai décidé de conclure avec eux une sorte de pacte."
D'abord interloqué, l'écureuil croisa les bras en affichant l'air le moins intéressé du monde.
"_C'est toi que ça regarde, je suppose.
_Pas seulement. Car par ce pacte je m'engagerais à leur enseigner les voies de la Nature. Nos voies. Et eux s'engageront à les suivre."
Le visage de Rattatast se renfrogna avant de s'éclaircir, à mesure qu'il saisissait les paroles de son comparse demi-dieu.
"_Tu veux dire... Comme des serviteurs ?
_Comme des disciples, rectifia Cénarius.
_Ouais bien sûr, disciples, serviteurs... Juste une petite nuance. Et donc ils devraient prendre nos commandements comme paroles divines ?
_Techniquement... Ils le seront. Tout cela dans le but de leur apprendre à maintenir l'équilibre de cette terre. La triste réalité étant que nous ne pouvons toujours être présents pour le faire...
_C'est sûr, c'est sûr... Et donc on commence quand ?
_Au moment où le pacte sera scellé.
_Et il sera scellé quand...
_Quand un nouveau G'hanir aura poussé.
_Quand un nou-... Attends, quoi ?
_Je suis navré de te l'apprendre Rattatast, mais G'hanir est tombé en même temps qu'Aviana. C'est pourquoi je pensais que..."
Mais les paroles de l'être semi-divin furent couverte par le grondement de tonnerre qui retentit non loin. Et avec l'orage, Hermez fusa en direction des deux autres Anciens. Furieuse, la foudre jaillissant de ses yeux en grandes langues de lumière bleue, la furette se porta devant Cénarius qui conservait un calme olympien devant la hargne de la petite créature ailée.
"_Où est Aviana ?! Où est son corps ?! Tu as aussi laissé sa dépouille aux démons, c'est ça ?!
_Du calme, Hermez. Le cadavre d'Aviana recevra la cérémonie ainsi que tous les honneurs qui lui sont dus...
_Ha oui, comme celui d'Aggamaggan ?! Il y a des ronces énormes qui lui sortent du ventre !
_Je serais même pas étonné que ce soit exactement la mort qu'il voulait, glissa Rattatast.
_C'est comme ça que tu veux que sa mémoire soit honorée ?! C'est comme ça qu'elle renaîtra, d'après toi ?!
_Chacun de nous renaît à l'heure où il est appelé à le faire. Le mieux que nous puissions faire est de tenir le rôle d'Aviana aussi bien qu'elle le faisait. Et c'est dans ce but que les futurs druides devront recevoir son enseignement."
La furette fit silence le temps d'essayer de comprendre ce que disait son interlocuteur, avant de pencher la tête de côté avec une expression interloquée. Au dessus d'elle, l'orage se tut lui aussi.
"_Oh tu les appelles des 'druides' ? reprit l'écureuil, qui lui savait de quoi il retournait.
_Oui. Et je leur enseignerais les voies de ceux qui ne sont plus là, comme Aviana, Ursoc et Ursol.
_Toi, tu vas leur transmettre les enseignements d'Aviana ?! s'écria Hermez qui n'avait pas laissé la confusion emporter trop loin sa morgue.
_Faute de mieux, oui. Je sais que tu es mieux placée pour le faire, aussi si tu acceptes de me suivre-
_Te suivre ?! Te suivre ?! tempêta la furette, le tonnerre en écho. Aviana t'a suivi et elle est morte ! Si tu veux que je te suive, réveille moi quand elle sera à nouveau de ce monde parce que je n'irais nulle part sans elle !"
La foudre appuyant sa résolution, Hermez abandonna les deux autres Anciens, emportant avec elle l'orage désormais pluvieux.
"_Bon et bah tu nous l'as énervée, constata Rattatast en s'ébrouant. Mais pour revenir à cette histoire de G'hanir, et parce que je sens que je vais me faire me taxer d'une graine -au nom du sacrifice des mortels qui ont perdu quelques milliers de têtes parmi la multitude qu'ils en affichent joyeusement- je tenais à éclaircir un point. Même si je le voulais -on va partir du postulat que c'est pas hors de question, alors qu'en fait si- la graine que je porte actuellement ne pourrait pas faire pousser un nouveau G'hanir.
_Ha non ? s'étonna le demi-dieu.
_Non. Elle a pas encore emmagasiné l'essence de toutes les graines de toutes les plantes présentes et futures de ce monde. Et encore moins suffisamment d'énergie vitale pour un nouvel arbre primordial. Donc c'est hors de question, objectivement ET si tu me demandes mon avis.
_N'as tu pas une autre alternative ?
_Eyh c'est toi l'ami des tréants et des vieux chênes, non ? Quand ils sont sur le point de mourir, la plupart laissent tomber un fragment de leur essence sous la forme d'une graine. Si tu trouves celle que G'hanir nous a légué -avant moi ça va de soi- alors tu pourras au moins en faire pousser un ersatz dans le monde matériel.
_Avant toi... répéta Cénarius. Tu t'opposerais à ce que je ramasse cette graine ?
_Ramasser les graines c'est mon travail dans ce monde... Techniquement, c'est toi qui t'opposerait à ma mission divine.
_Je n'imaginais pas que même alors que plus personne n'attend quoique ce soit de ta part, tu puisses encore décevoir, Rattatast, déclara gravement le demi-dieu.
_Ouais et ben j'ai été ravi de t'aider. Bonne chance pour tirer des mortels autre chose qu'un désastre."
Avec ses sarcasmes pour dernières paroles, le rongeur prit congé de Cénarius et s'en alla, en emportant sa graine fétiche avec lui. Pestant contre le fils d'Elune, il voulut rejoindre Hermez et trottina jusqu'à l'averse orageuse qui couvait au dessus d'elle. Lorsqu'il la retrouva finalement, elle volait bas, battant mollement des ailes.
"_Eyh, tu vas où comme ça ? lui demanda-t-il, criant presque pour se faire entendre sous la pluie et le vent.
_Qu'est-ce que ça peut faire ? Tu n'as nulle part où aller ?
_Si. Enfin pas pour le moment... Dis, tu veux pas laisser passer une ou deux éclaircies ? Je suis trempé, moi.
_Est-ce que tu peux faire revenir Aviana ?
_...Je sais que c'est un coup dur, mais tu vas t'en remettre, non ? Et puis t'es pas seule au monde que je sache."
Mais la furette n'écoutait pas et à la place, continua de sa voix amère :
"_Tu sais, le pire ce n'est pas de l'avoir perdue. C'est de ne pas avoir été auprès d'elle pour ses derniers instants. De ne pas avoir pu me battre à ses côtés.
_C'est toi qui a insisté pour me suivre, lui rappela l'écureuil.
_Elle me l'avait demandé, elle voulait que je te surveille. Si tu ne lui avais pas volé une plume, j'aurais pu être à ses côtés pour lutter !
_Et mourir, aussi ?! Sa plume elle m'a servi à te sauver la vie, entre autres ! Et je te rappelle que c'est toi-"
Mais le tonnerre et la foudre coupèrent la parole à Rattatast.
"Ça suffit ! Si tu veux rester au sec, alors reste loin de moi !"
Ses yeux lançant des éclairs, comme pour dissuader l'écureuil de la suivre, Hermez prit son envol et ne tarda pas à disparaitre.
Laissé seul et trempé, le rongeur s'assit parmi les flaques, trop abasourdi par la colère de sa comparse pour s'offusquer de son ingratitude.
Il avait réuni autant d'Anciens qu'il avait pu pour les mener au combat. Ils avaient été peu nombreux, mais s'étaient battus ensembles. Il les avait même encouragés avec un discours avant la bataille. Pourquoi se retrouvait-il seul ? Il y avait eu des pertes, mais ce qui restait de leur groupe n'en était pas plus soudé pour autant. Les mortels avaient été la cause et la résolution de cette catastrophe, et au lieu de s'entredéchirer, ils envisageaient déjà un avenir sous la tutelle d'un Ancien. Le seul avenir qui se profilait pour l'écureuil, c'était un avenir sans son meilleur ami. Sans personne. Sans même la certitude que tout ça, tout ce qu'il avait fait avait été, d'une quelconque façon, la bonne chose.
Rattatast avait beau avoir avec lui la graine source de son pouvoir, il se sentait bien pauvre en cet instant.
***
Hermez arriva rapidement dans le charnier qu'avait été le lieu de la bataille entre les démons et les Anciens menés par Cénarius. La pluie la suivait toujours, mais cela ne l'empêchait pas de fouiller les environs du regard, à la recherche d'un corps blanc. Lorsque finalement elle le trouva, elle s'y précipita à grands coups d'ailes, seulement pour constater qu'il était brisé et plus si immaculé qu'auparavant.
La vue du corps gracile au sol, dans la poussière et le sang, chassa tout l'air dans la poitrine d'Hermez. Les quelques mots qui s'extirpèrent de son esprit se résumèrent à des geignements plaintifs, avant que la furette ne vienne se nicher au creux de l'une des grandes ailes tordues de sa maîtresse.
"Je suis là maintenant... Je suis là, tout près, tout près... Je vais rester ici, et attendre que vous reveniez parmi nous. Vous reviendrez vite, hein. J'en suis sûre. Je suis ici, juste ici. J'attends."
Cherchant contre le corps d'Aviana une chaleur qui avait définitivement disparue, Hermez remua pour s'enfoncer un peu plus dans le plumage de la déesse aviaire.
"Je vais dormir, et on se retrouvera dans le Rêve. Je vous guiderais jusqu'ici et on sera à nouveau ensemble, oui ? Vous ne me laisserez pas... Pas longtemps."
Peinant à se convaincre elle-même de ses paroles, la furette bredouilla jusqu'à ce que le corps inerte d'Aviana ne fut plus que légèrement secoué par ses sanglots. Au dessus d'elle, l'averse redoublait, imbibant les plumes, lavant la dépouille et avec le torrent de pluie resurgirent les souvenirs d'une vie passée.
Aussi loin qu'elle pouvait s'en souvenir, Hermez avait été au service de grands maîtres, des êtres quasi-divins, puissants et attentionnés. Ils lui avaient confiés des missions, donné leur confiance, offert des ailes. Elle aimait cette vie et se sentait aimée, utile et désirée. Mais la guerre avait jeté tout cela à bas, lui avait arraché ce qu'elle chérissait : ses maîtres, ses ailes, sa raison d'être. Et même si elle en était sortie avec plus de pouvoir que jamais, elle s'était sentie dépossédée, perdue. Jusqu'à ce qu'Aviana ne la trouve et ne la prenne sous son aile, littéralement.
Et aujourd'hui la guerre était venue à nouveau, avait prélevé son tribut, arrachant à la petite servante sa maîtresse aimée. Elle ne voulait pas que cela recommence, elle ne voulait pas à nouveau d'une vie dénuée de sens, sans un regard pour la couver et une voix pour la rassurer, lui dire qu'elle serait toujours aimée.
"Revenez, s'il vous plaît... Ne me laissez pas ici...toute seule... Je veux plus être seule... Je veux plus..."
Sans retenue, Hermez pleura sa maîtresse qui n'était plus là pour partager cet intime moment de peine. Elle resta ainsi à son côté, laissant ses sanglots l'épuiser jusqu'à ce que le sommeil l'emporte loin de la solitude tant crainte.
***
Les vagues déchaînées avaient mené Cwalcwutlicwa à des lieues du champ de bataille, jusqu'à un rivage déchiqueté. C'est sur un rocher escarpé qu'elle trouva refuge, pour échapper non pas à la noyade, mais aux roulis de l'eau qui l'avaient ballotée et malmenée jusque là. Rampant et glissant plus qu'elle ne s'agrippait, elle refusait de relâcher sa poigne sur la vase entre ses doigts. Il lui était donc d'autant plus difficile d'assurer sa prise sur la roche trempée.
Ses ornements et ses bijoux avaient été pour la plupart brisés et balayés par la mer, mais il en allait de même pour son souci des apparences en cet instant. Épuisée par le voyage mouvementé qu'elle venait de vivre, la loa ne s'accorda pourtant que peu de temps pour reprendre ses esprits et son souffle avant de poser les deux poignées de boue devant elle et de les unir en un même tas. Son corps endolori restait à demi-immergé, encore trop faible pour la hisser totalement hors de l'eau, mais pour une fois dans sa vie, ce n'est pas de son propre bien-être dont la Reine se souciait.
Il y avait encore une vie dans cet infime tas de limon, elle en était persuadée. Ses pouvoirs pouvaient guérir les chairs et purifier les corps, aussi en usa-t-elle sans réserve. Ce qu'elle refusait d'admettre cependant, c'était que l'être qu'elle tentait de soigner n'avait ni corps ni chair, et que la malédiction avait disparue d'elle-même après avoir accompli son terrible office.
Une éclaboussure d'eau purificatrice après l'autre, Cwalcwutlicwa tentait désespérément de faire revenir son favori à ses côtés. Mais recréer un être à partir de fange marécageuse était un miracle auquel même les Titans ne s'étaient pas essayés. Quelle chance avait-elle, elle qui n'avait pas même une fraction du pouvoir des Faiseurs ?
Ses espoirs de réussir s'effilochaient un peu plus à chaque fois qu'elle était confrontée à un échec et bientôt sa volonté ne tint plus qu'à la certitude que l'esprit de Tlop subsistait encore dans la boue. Sachant cela, elle ne pouvait se résoudre à abandonner. Pas avant d'avoir tout tenté.
Ses yeux fixaient le limon. Cwalcwutlicwa tentait de reconstruire le corps de son compagnon en se focalisant sur l'image qu'en gardait son esprit. Loyal, rassurant, fort. C'était lui qu'elle voulait car c'était son Prince. Pour toujours et à jamais, c'était la promesse qu'il lui avait faite. Un serment. Et ces souvenirs firent se joindre les larmes de la grenouille aux eaux bienfaitrices qui s'écoulaient sous son injonction.
La loa baissa les bras lorsque le flot se tarit et que les dernières gouttes s'écoulèrent, mais refusait encore de se laisser abattre. Elle se hissa complètement sur le rocher et réfléchissait déjà aux rituels et méthodes par lesquels elle pourrait retrouver son gardien bien aimé. Ses réflexions furent cependant interrompues par un gargouillis mouillé provenant du tas de limon. Rivant dessus un regard surpris et plein d'espoir, la grenouille vit la boue frémir violemment au rythme des bulles qui éclataient à sa surface puis se dresser brusquement de quelques pouces.
Deux yeux de crapaud émergèrent de la fange, roulant et flottant avant de prendre position de chaque côté du petit tas, selon une symétrie douteuse. Le limon se fendit d'une large gueule d'où jaillit un croassement mouillé et commença à rouler, se ramasser sur lui-même et ramper vers la Princesse.
Cette dernière, atterrée et frappée d'horreur se recula précipitamment et repoussa l'être fangeux d'un coup de patte qui le fit basculer à l'eau. Les vagues l'emportèrent aussitôt, laissant la loa seule sur son rocher, secouée et choquée par l'apparition.
Ses yeux fixaient le vide, la vue de la créature restant gravée dans son esprit. Ridicule, pathétique, laide. Ce n'était pas ce qu'elle voulait et ce n'était en aucun cas son Prince. Tout juste en était-ce une parodie. Une abomination.
Enroulant ses bras autour de ses jambes, Cwalcwutlicwa contemplait maintenant son échec en tant que souveraine. De ses deux sujets les plus importants, l'un l'avait abandonné et elle n'avait pu sauver l'autre. Les puissances sur lesquelles elle se reposait lui avaient fait défaut en un instant crucial. Elle rentrerait seule et démunie dans les jungles trolles et doutait maintenant pouvoir tenir sa civilisation à flot.
Dépouillée de sa parure et de ses ornements, la loa ne ressemblait qu'à une simple grenouille perdue sur le rivage et à vrai dire, elle n'avait pas le sentiment d'être plus que cela.
***
Relevé par ses comparses, Grimmbar avait été remis debout avant même d'avoir retrouvé ses esprits. Pour l'aider à se remettre du combat qu'il venait d'endurer, Melissé lui offrit une nouvelle mesure de gelée royale revigorante.
Cependant, il vint vite à l'attention des Anciens que la plaie béante s'étendant de l'épaule au dos du blaireau ne se refermait pas, ou seulement de manière infime. Le grand animal interrogea alors la taupe et l'abeille du regard. Les créatures des Dieux Très Anciens leur était après tout bien plus familières qu'à lui. Et si l'Impératrice de Miel se contentait d'afficher un air navré, Houd se montra plus franc et plus direct.
"_On dit que l'herbe ne repousse pas sur le passage du Dévoreur. Et effectivement, les blessures infligées par ses mâchoires -à la terre ou à la chair- ne guérissent pas, ou difficilement.
_Donc, je vais saigner jusqu'à la mort, c'est ça ?
_Je suis vraiment désolée." dit l'abeille qui ne s'était visiblement pas tout à fait pardonnée son initiative malheureuse. Dans le but visible de réparer sa faute, aussi futile que cela paraisse, elle fit pousser autour de la blessure du blaireau un bandage végétal, que Grimmbar noua et resserra lui-même en s'aidant de sa lourde mâchoire.
"Une éternité de douleur vaut mieux que la mort de ce monde, dit ensuite le grand Ancien. Et puis les mortels ont toujours vécu avec la certitude de mourir un jour, ça ne leur a jamais posé problème."
Melissé hocha la tête, là où Houd resta silencieux. Avisant l'horizon dévasté du regard le blaireau reprit ensuite :
"_Le monde est en miettes mais il semble tenir encore debout. Que fait-on maintenant ?
_Nous devons savoir à quel point les choses ont changé... dit la taupe. Je vais donc tâcher d'obtenir le plus de renseignements possibles.
_Au moins tu ne laisses pas l'apocalypse changer tes habitudes... Mais je préfèrerais que tu t'assures avant tout que nos alliés vont bien.
_C'est la première chose que je comptais faire, ne t'inquiète pas. Et toi ?
_Je vais trouver ceux qui sont tombés au combat. Ils méritent les honneurs."
Houd hocha le museau en signe d'approbation, puis les deux Anciens à fourrure se tournèrent vers l'abeille. Cette dernière ne tarda pas à répondre à leur question muette.
"_Je pense que je vais m'efforcer de retrouver l'âme de Huisaile.
_Son âme ? Celle qui appartient désormais aux Très Anciens ? questionna Houd.
_Ce sera sans doute difficile... ajouta Grimmbar, qui se refusait à prononcer le mot 'impossible'.
_Et c'est peu de le dire, je connais leurs secrets et je ne vois pas comment vous pourriez réussir.
_Connaissez vous vraiment tous leurs secrets ? l'interrogea alors Melissé, avec une pointe de hauteur dans la voix. J'aurais préféré l'oublier, mais j'ai été une de leurs prêtresses. Je sais des choses que vous ignorez sûrement.
_Et vous comptez le récupérer avec la même magie qui vous l'a fait perdre ? Une magie que vous n'êtes plus censée utiliser depuis que vous avez choisi d’œuvrer pour les Créateurs. Cela vous perdra, la prévint alors Grimmbar.
_Peut-être bien. Mais je préfère cela que passer l'éternité avec mes regrets. Je n'ai pas votre volonté quand il s'agit d'endurer les blessures."
Le blaireau se contenta de hocher la tête, compréhensif. Impératrice était l'un des titres de son interlocutrice. Elle pouvait paraître chétive en certaines occasions, mais elle était en cet instant déterminée à ne pas se laisser détourner de son chemin.
"_Je n'ai plus qu'à vous souhaiter bonne chance, si votre décision est prise. Faites ce qui vous semble juste, et puisse cela vous attirer les faveurs d'Elune.
_Bonne chance. Vous en aurez besoin.
_Merci. A très bientôt, si les Faiseurs le veulent."
Sans perdre plus de temps, la Reine des Abeilles prit son envol, laissant les deux Anciens se séparer ensuite.
"_J'attends de tes nouvelles rapidement, gronda Grimmbar.
_Je ne trainerais pas." lui rétorqua Houd.
Et sur ce, la taupe disparut par un trou dans le sol, laissant son compère trainer sa lourde carcasse hors de ce qui restait du champ de bataille. Bien assez tôt, le temps effacerait les traces de leur passage, tout comme la Grande Fracture avait emporté l'empreinte que ces Anciens, en voulant accomplir un acte signifiant, avaient pu laisser dans l'histoire d'Azeroth.
***
Épilogue :
Houd, après avoir rejoint Rattatast puis Larairah, ne trouva pas trace des loas qui les avaient accompagnés. Ainsi, une fois qu'il eut communiqué ces nouvelles à Grimmbar, il erra sous la surface du monde afin de mesurer toutes les conséquences de la Grande Fracture.
Il en revint ensuite à son habitude de neutraliser les menaces potentielles avant qu'elles ne fassent surface. Il s'y attacha jusqu'à ce que, dix mille ans plus tard, il ne soit capturé par une créature des Très Anciens, en Pandarie.
Grimmbar, après les cérémonies d'adieu aux Anciens déchus -rendues houleuses par les charognards qui estimaient faire leur travail en dévorant les carcasses- retourna à son errance, sa plaie laissant une trace sanguinolente derrière lui.
Lorsque la malédiction des druides de la Meute survint et que les worgens furent bannis, il chercha le bosquet où ils étaient tombés et s'imposa comme gardien des lieux. Mais la douleur et la faiblesse eurent raison de son corps et de son esprit, aussi ne devint-il au fil des siècles qu'un monstre de plus dans le folklore de la Forêt Noire gilnéenne.
Rattatast, intéressé par les paroles de Cénarius, décida de monter son propre ordre de druides : les druides du Gland. Ce dernier connut un certain succès, jusqu'à ce que Cénarius et les elfes ne se rendent compte de la facilité avec laquelle les druides écureuils se perdaient dans leur aspect animal. Il s'avérait en effet qu'une fois affublé de la mémoire limitée des rongeurs, les disciples de Rattatast oubliaient leur identité aussi vite qu'ils perdaient la cachette de leurs graines.
Aux commandes de ces quelques suivants, l'Ancien Écureuil guetta alors un éventuel retour de la Légion qui lui permettrait de retrouver son ami perdu. C'est ainsi que durant la Troisième Guerre, il se lança avec ses druides à l'assaut du Néant. L'attaque ne connut que peu de succès, et Rattatast en revint non seulement bredouille, mais avec un seul de ses serviteurs survivant.
Spinoix, dans le Néant et aux mains des démons, ne démérita pas son titre d'Inextricable puisque malgré tous les efforts de ses geôliers, aucun ne parvint à l'atteindre physiquement. Mentalement cependant, Spinoix subit l'influence des démons qui lui firent vivre un cauchemar de plusieurs millénaires.
Obstinément roulé en boule, le hérisson devint malgré lui une arme redoutable, au service de la Légion et sema le chaos et la mort sur bien des mondes.
Hermez, que Grimmbar trouva endormie aux côtés d'Aviana, fit l'objet de plusieurs déplacements. D'abord l'Ancien blaireau la posa au plus près de l'endroit où s'était tenu G'hanir, puis des pèlerinages de druides de la Serre la portèrent, l'oublièrent et la retrouvèrent dans leurs sanctuaires successifs. Pour éviter le chagrin, la furette resta endormie et finit même par ne plus se réveiller alors que la déesse oiseau avait ressuscité.
Larairah mit à profit les siècles et les millénaires à venir pour se rééduquer, redevenir aussi vif et agile qu'il l'était malgré que l'une de ses pattes fut remplacée par une prothèse de bois. Dans la foulée, il décida de briser la loi naturelle qui le cantonnait au rôle de proie et apprit à se battre plutôt qu'à fuir. Après avoir recouvré ses capacités normales, il s'entraîna à la maîtrise des ombres, plus particulièrement de la sienne, et devint ainsi le coureur le plus rapide d'Azeroth, du Rêve d'Emeraude et du Royaume des Ombres.
Cwalcwutlicwa voulut rejoindre sa tribu trolle pour obtenir d'elle le pouvoir nécessaire à la guérison de Tlop. Mais la déchéance de cette race, et les guerres civiles qui s'ensuivirent ne l'aidèrent en rien. La situation ne fit que s'aggraver lorsque les trolls commencèrent à sacrifier leurs dieux, la forçant à se cacher. Elle tenta malgré tout de réunir autant de puissance que possible, jusqu'à sa capture.
Tlop, échoué dans les marais d'Âprefange, l'attendit tout ce temps, ruminant la misère de son existence et ne laissant plus quiconque l'approcher.
Melissé, pour sauver l'âme de son compagnon, profita de la guerre des sables changeants pour revenir à son ancienne demeure d'Ahn'Qiraj. Lorsque les dragons de bronze en scellèrent l'entrée, elle se retrouva enfermée avec les êtres qu'elle avait trahie. Elle fut dès lors prisonnière, forcée d'offrir son essence vitale à la création des hordes d'insectes carnassiers.
Tortoka/Djigzyx
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