Grand singe
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Grand singe
Il était le plus jeune de sa portée. Deux sœurs et un frère de trois, deux et un ans plus âgés veillant sur lui avec tendresse et rigueur. Pour lui, échapper à leur attention était devenu au fil des années un vrai jeu, un véritable défi. Il s'amusait à quitter le cocon familial dès que la lune remplaçait le soleil, à la recherche de sensations fortes et d'explorations insolites. Il avait entendu bien des histoires sur les formidables aventures de son père alors qu'il était encore un jeune et vigoureux chimpanzé, et malgré les avertissements de ses deux parents sur les dangers de la jungle, une faim vorace faisait rugir son ventre et son cœur.
Se jetant de branches en branches, se cachant de fourrés en fourrés, roulant d'une colline à une autre, le malingre primate songeait à tout ce qu'il pouvait découvrir et à ce qu'il avait déjà découvert au cours de ses pérégrinations secrètes. Une nuit de pleine lune, il avait découvert les ruines d'un village dont l'architecture et la technique trahissaient l'antique présence de membres d'une race humanoïde avancée sur ces terres, prestigieuses dans le mystère de leur abandon.
Tant de secrets et de trésors dormant dans sa jungle natale, il estimait depuis longtemps qu'il n'aurait jamais assez de vies pour tous les découvrir. Alors, il n'avait pas de temps à perdre si lui aussi il voulait raconter ses aventures à ses futurs enfants.
Ce soir là, il se rendit vers le sud de la jungle. Son habitation se trouvait en deçà de l'énorme faille au centre de Strangleronce. Il était né la même année qu'elle, alors que le légendaire dragon noir dont il avait tant entendu parler dévastait son habitat naturel et le changeait à jamais. Sa famille qui vivait non loin avait dû migrer alors qu'il n'était encore qu'un tout petit macaque suspendu aux mamelles de sa mère. Ils avaient trouvé un coin tranquille et luxuriant derrière une colline, où les ogres et les Panthères noires n'allaient pas en raison de l'irrégularité et de la dangerosité du sol.
Alors il se rapprochait du cap Strangleronce, là où les dos-argentés ont établi leur domicile depuis un long moment maintenant.
Il parcourut un bon kilomètre de sauts de branche à branche avant de s'arrêter au sommet d'un grand et fin arbre fruitier aux feuilles larges. De là, il avait une belle vue sur cette partie de la jungle où rodaient souvent les grands singes sans poil couverts de tissus de cuirs et de métaux. On racontait de grandes histoires à leurs sujets. Ils seraient les nombreux membres d'une espèce cruelle et imprévisible, et on en trouverait bien au delà de la jungle. Leurs habitats divers dans l'immensité verte seraient principalement reliés à cet immense nid tout au sud, au delà de la région des dos-argentés, protégé par de grands arbres coupés et de petits humains tout vert et repoussants, comme ceux qui sont établis près des rivières et parfois dans les cavernes creusées dans les montagnes d'où ils ressortent, les mains pleines des trésors de la jungle, brillants et solides et dont les singes comme lui ne trouvaient aucun intérêt sinon la beauté de leur éclat.
Pris dans ces songes, un bruit gras attira son attention. Il tourna la tête sur sa gauche et perçut quelques mouvements en contrebas, près du pied d'un arbre semblable à celui qui lui servait de perchoir. Il s'approcha de quelques branches et tendit le cou au maximum en ouvrant grand ses yeux, afin de capter un maximum de la faible lumière que la lune projetait sur cette scène encore jamais vue.
Un individu de cette espèce tant crainte, un humain, était aux prises avec le cadavre d'un gigantesque tigre blanc, sans doute un des quelques héritiers du défunt Roi Bangalash.
Le félin magnifique était allongé sur le flanc, la panse ouverte sur la longueur, béante et vomissant ses tripes, a moitié sur l'herbe humide, à moitié encore entassées entre ses côtes brisées. La gueule ouverte, figée dans une allure de rage et de peur, défigurée par un déboîtement de la mâchoire et ses deux canines manquantes, lui donnait un air de victime effrayée, contrastant avec la réputation de prédateur qui suivait ceux de sa race depuis toujours.
L'humain qui était à ses côtés, agenouillé et agitant ses mains à la fois avec minutie et barbarie dans ces entrailles fumantes, ne portait presque rien sur lui. Il était fort semblable à ces dos-argentés, de par son allure tranquille et ses épaules paraissant lourdes. Pourtant il était bien moins imposant et bien moins velu qu'eux. Plus élancé que ces grands singes brutaux, il n'en paraissait pas moins sauvage et violent. Grand pour ceux de son espèce, les longs et crasseux poils blonds qui partaient de sa tête couvraient sa nuque et le haut de son dos en une noueuse et indélicate cascade.
Sur la peau de ce dos large, car le haut de son corps était nu, la vue aiguisée du jeune chimpanzé parvenait à distinguer quelques formes tracées en noir, indéchiffrables pour son cerveau de primate. Il trouvait pourtant celles-ci très esthétiques.
Sur son bassin, un fin tissu était posé, partant de la taille et s'arrêtant aux genoux, se séparant en deux étuis souples afin que chaque jambe y ait une place et puisse se mouvoir. Ce genre d'attribut se trouvait sur tous les humains qu'il avait vu jusque là, en étoffé en cuir ou en métal. Bien qu'inhabituel pour lui, cela semblait normal pour un humain. Ce qui le choqua le plus, c'était la simplicité de l'armement de cet humain aux mains recouvertes de sang de tigre. Alors que les histoires horribles qui étaient contées au sujet des humains parlaient de grands bâtons cracheurs de feu et de grands bâtons de métal fin et tranchant, l'homme au dos recouvert de dessins avait à côté de lui, planté dans le sol ferme et tendre, un plus petit modèle de métal tranchant, assez large, et recouvert de sang. C'était sûrement avec cet outil que l'humain avait mis le tigre dans cet état.
Habitué aux jeux de mains et aux lancers de cailloux de ses frères et sœurs, il n'était pourtant pas prêt à assister à une telle sauvagerie. Les plus grosses bêtes que sa famille mangeait étaient des insectes rampants, et cela n'arrivait que rarement. Voir ainsi deux prédateurs baigner dans le sang de l'un d'eux, et ne pas voir le visage de celui qui dominait l'autre, cela le mit dans un profond malaise.
Un frisson glacial le parcourut lorsque l'hideux humain tourna sa tête, tournant son visage inexpressif et son regard de tueur vers lui, sans doute alerté par le bruit de sa respiration forte au milieu du silence de la nuit et des murmures habituels de la jungle.
Alors il prit ses jambes à son cou et parcourut l'exact chemin inverse jusqu'à gagner la chaleur de son cocon familial, l'esprit à la fois agité par la peur et le plaisir d'avoir découvert quelque chose de si effrayant.***
Les avant-bras plongés dans le ventre du tigre, Holger suspendît ses mouvements un instant. Il tourna la tête après avoir entendu un bruit en haut d'un arbre. Il n'eut le temps que de voir une ombre filer entre les branchages, et le silence revint. Ses yeux balayèrent brièvement les environs et il reprit sa tâche.***
Quelques heures plus tard, le soleil se levait sur Strangleronce, gigantesque et paisible. Cette nuit, la vie et la mort avaient encore dansé une flamboyante et silencieuse valse. Comme chaque nuit, comme chaque jour, tous les animaux de la jungle avaient suivi le cycle de la nature, anonymes et mortels.
Jackham
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