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Message  Personne Dim 13 Oct 2019, 01:35

La pluie émettait une mélodie complexe. Un bruit de fond, sourd, ponctué de divers cliquetis et ruissellements à mesure que l'eau venait percuter le sol et les habitations. Tandis que les derniers badauds s'abritaient sous les porches qui croisaient leur chemin ou courraient en direction de chez eux, elle foulait lentement les pavés humides de la place. Ses cheveux tombaient comme une masse sur ses épaules, de grosses gouttes perlant tour à tour au bout de chacune de ses mèches. Ses chausses étaient détrempées au point qu'elle pouvait sentir la fraîcheur de l'eau sur ses mollets. Pourtant, elle marchait avec lenteur, les yeux plongés dans le vague. Elle n'était personne. Personne d'autre que cette femme un peu folle qui semblait volontairement rester sous les flots. Les quelques réfugiés du déluge l'observaient en échangeant des paroles médisantes. Dans certaines bouches elle était l'alcoolisée, dans d'autres la dégénérée. Était-ce ce qu'elle était ? Croyaient-ils véritablement que le tumulte causé par les éléments masquait pleinement leurs paroles ? Elle s'attarda un moment sur cette question. Ces moins-que-rien qui avaient survécu jusque là... La guerre, les pénuries, rien n'avait eu raison d'eux. Elle les maudissait en son for intérieur et pourtant elle continuait d'avancer avec la même tranquillité. Ce qu'elle avait vécu, aucun de ces individus n'en savait rien, mais peut-être auraient-ils étés plus prompts à la clémence s'ils en avaient eu l'aperçu. Un rictus difforme vint peu à peu se former sur ses lèvres, tandis qu'elle baissait la tête. Elle lâcha mollement la bouteille vide qu'elle avait à la main. Déjà, elle avait oublié qui elle maudissait et pourquoi. Il ne lui restait plus qu'un sentiment d'amertume auquel se mêlait un certain sarcasme. Elle fit le tour de sa bonne vieille Cathédrale en maudissant les Hommes et la pluie en beuglant, avant de s'affaler dans un coin épargné par l'averse, s'adossant à la pierre froide du bâtiment. Elle décuva là, pendant un long moment, et demeura à cette place bien après la dissipation du mauvais temps. Elle n'était personne, ainsi personne ne la vit vraiment. Ni durant tout ce temps, ni lorsqu'elle se releva enfin pour se diriger vers la taverne la plus proche.
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Flots. Empty De verre et de putréfaction

Message  Personne Mar 15 Oct 2019, 00:05

Son regard était tourné vers la fenêtre. Le livre qu'il avait entre les mains reposait sur ses genoux. Un courant d'air glacial s'infiltrait sous la vitre et malgré le feu qui brûlait dans l'âtre, la couverture dans laquelle il s'était glissé n'était pas de trop. Le bruit de la pluie l'avait sorti de sa lecture silencieuse, son attention s'égarant sur les gouttes qui perlaient contre les carreaux. Peu à peu, une buée épaisse vint masquer l'extérieur, d'abord les bâtiments, puis jusqu'à l'arbre sous sa fenêtre.
Il ferma son ouvrage et se releva avec peine. Il n'était personne. Personne d'autre que cet infirme qui ne pouvait plus même aller en guerre. Ce qu'il restait de sa famille semblait compatir à la douleur qui lui tiraillait la cuisse gauche. Mais au fond, il savait qu'il leur causait bien de la contrariété. Un homme handicapé, qui ne rapportait pas un sou, qu'il fallait nourrir... Il s'imaginait bien leurs pensées : "Pourvu qu'il ne passe pas l'hiver...". Il fallait dire que la blessure était moche. Des mois qu'elle était là, plaie béante et putride, mais son corps résistait. Toutefois, récemment, elle avait commencé à sentir. Une odeur de mort. Il connaissait l'issue, ainsi n'y prêtait-il plus même attention. Lui-même commençait à penser : "Pourvu que je ne passe pas l'hiver...".
Il n'était personne, ainsi personne d'autre que ses proches ne prêtèrent attention à sa mort. Ces derniers ne le firent qu'afin de l'enterrer au plus vite. En finir rapidement, là était la priorité. Des hommes mourraient tous les jours. Puisqu'il n'était personne, personne n'irait plus tard se recueillir sur sa tombe, mais de toute façon, il n'était plus là.
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Flots. Empty Une fille sous une cagette

Message  Personne Mar 15 Oct 2019, 23:40

Elle filait comme le vent, se protégeant tant bien que mal sous la cagette vide qu'elle transportait. Toutefois, à mesure que la pluie s'intensifiait, l'eau se frayait un chemin entre les planches de bois et s'écoulait sur elle par gros filets. La jeune fille alla jusque sous un porche de la place de la Cathédrale, espérant que les éléments se calment. Une fois enfin à l'abri, elle put constater qu'elle n'avait pas été la seule à se laisser surprendre par cette averse soudaine, les passants ayant trouvé refuge auprès des différents bâtiments ou sur les dernières marches du parvis de l'édifice sacré. Soudainement, elle posa les yeux sur la besace qui pendait à sa hanche et l'ouvrit précipitamment. "Intacts !" Ses pots de confiture, qu'elle comptait troquer contre un peu de viande, des œufs frais ou des légumes, n'avaient pas souffert de sa course effrénée. La demoiselle s'adossa à la porte de la bâtisse qui la protégeait en soupirant de soulagement. Au loin, une alcoolique détrempée fit tomber sa bouteille sur les pavés, avant de s'éloigner en hurlant des obscénités. L'adolescence secoua la tête avec désapprobation. Elle avait beau avoir été élevée dans une famille relativement modeste, sa mère avait prit soin de lui inculquer, à elle et ses frères, une éducation correcte. Aussi avait-elle en horreur ce type d'individus grossiers. Elle rassembla ses cheveux comme elle put, tentant de les arranger tandis que l'humidité les faisait légèrement friser. N'ayant d'autre choix que d'attendre patiemment, elle jugea bon de s'asseoir. Rapidement, bercé par le son complexe et sourd de la pluie, son esprit se mit à divaguer. Elle songea à ses frères et à son père, tous morts à la guerre. Elle songea à sa mère qui peinait à entretenir le verger seule avec son dernier enfant. Elle se mit à se figurer son avenir tout tracé. N'étant pas trop vilaine et consciente de cet atout, elle se disait qu'elle pourrait trouver un parti correct. Elle choisirait un forgeron ou un palefrenier, si possible pas trop laid. Il ne manquerait jamais de travail, contrairement aux éleveurs de bétails ou aux agriculteurs qui connaissaient des jours malheureux. Elle pourrait enfin faire quitter le verger à sa mère et le revendre. Elle pourrait peut-être même acheter une jolie robe en mousseline de soie et dentelle. Un instant, la jeune fille sourit, mais son expression se ternit rapidement. Il lui faudrait choisir un bon mari. Épouser un homme qu'elle ne chérirait pas plus de que cela, mais qui lui assurerait confort et protection. Mais après tout, elle n'était personne, alors elle chassa vite cette pensée. L'amour venait en second lieu. Et puis, on a tout le temps de se connaître et de s'aimer après le mariage. Son père avait été un homme violent - du moins lorsqu'il buvait et il buvait beaucoup, ce qui renforçait son antipathie pour les alcooliques. La jeune fille était convaincue qu'elle saurait lire dans les yeux de son prétendant s'il était de ce genre là. Elle connaissait les regards, les mimiques de ceux qui lèvent la main sur leurs conquêtes. Du moins, elle en était persuadée.
Le temps ne tarda pas à se calmer, aussi alla t-elle chercher une demi-douzaine d’œufs sur le marché, en échange de l'un de ses précieux pots de confiture. Celle-ci ne coûtait pas tant en vérité. Il fallait bien ajouter du miel qui n'était pas donné, mais sa mère le coupait avec du vin de raisin de fond de cuve. Quant aux fruits, les deux femmes récupéraient ceux qui étaient trop laids et gâtés pour être vendu ou troqués tels quels. Elle finit par remplir sa caissette de légumes et d'un demi coquelet en échange d'un second exemplaire de son nectar fort apprécié.  

Sur le chemin qui menait à son verger, la jeune fille sifflota gaiement, croyant à un avenir moins rude. Pourtant elle ne trouverait jamais son forgeron ou son palefrenier. Elle n'en aurait pas le temps, emportée par la fièvre dans l'année qui suivrait. Sa mère, dévastée par le chagrin et n'ayant pas assez de deux bras pour le verger, finirait par succomber à la douleur et à la faim l'hiver d'après. Elles mouraient successivement, toutes deux, dans l'anonymat des plus complet. Après tout, elles n'étaient personne.
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Flots. Empty Miroir, mon beau miroir...

Message  Personne Jeu 17 Oct 2019, 23:56

Le groupe d'amies riait aux éclats, après une plaisanterie quelconque de l'une d'entre elles. En bande, l'hilarité se répandait comme une traînée de poudre. La jeune fille, tout juste entrée dans l'adolescence, semblait tout à fait à sa place. Elle connaissait ses compagnes de conversation depuis l'enfance et avait toujours été un membre à part entière de leur petit salon. Toutefois et en dépit des années, la demoiselle se sentait de trop. Ce n'était pas parce qu'elle n'avait pas envie de rire à leurs farces. Ce n'était pas non plus parce qu'elles étaient de mauvaise compagnie. C'était encore moins parce qu'elle n'avait pas d'affection pour elles. Non, rien de tout cela ne la faisait se sentir si illégitime parmi ses amies.
"Je suis la laide parmi les belles". Voilà ce qu'elle pensait. Lorsqu'elle n'était qu'une enfant, elle avait un voisin de deux années son cadet, qui face à ses petits camarades s'était moqué de son nez, faisant s'esclaffer ses comparses. Chacun y était alors allé de son approbation et de son commentaire. Depuis, dans son miroir, elle ne voyait plus que celui-ci, estimant sa largeur nettement supérieure à celle des nez de toutes ses amies. Elle avait rapidement détecté ce qu'elle considérait comme des anomalies supplémentaires. Un menton proéminent, des traits grossiers, des hanches larges, des lèvres trop fines... Lorsqu'elle était avec toutes ces filles plutôt jolies, c'était alors comme ci elle se remémorait cette longue liste qu'elle avait soigneusement intégrée.
Alors, quand le beau Colin vint saluer l'attroupement, elle n'osa pas décrocher un mot. Tandis qu'il échangeait quelques paroles courtoises et galantes avec ses camarades, elle l'observa fixement, détaillant chacun de ses traits en songeant à quel point elle le trouvait gentil et charmant. Mais cette fois ci, le jeune homme s'en aperçut. Aussitôt que son regard croisa celui du beau Colin, elle détourna précipitamment les yeux, sentant le pourpre lui monter aux joues.
"Ca va ? Tu es bien silencieuse.". Se moquait-il d'elle ? Il souriait. Sans doute, puisqu'au fond il devait s'en ficher, elle n'était personne.
"Oui.". Son ton se fit plus sec qu'elle ne l'aurait voulu. Ses amies la dévisagèrent un instant qui lui parut une éternité. Elle voulait qu'on l'oublie, n'être réellement plus personne.
Le reste du groupe se remit à discuter pour dissiper le malaise.
Après cela, la jeune fille n'échangea plus une seule parole avec Colin. Il n'avait jamais eu l'intention de se moquer, il était simplement aimable. Lui trouvait qu'elle était parfaitement normale. Son nez n'avait rien de spécial. Son menton non plus. Ni même ses traits, ses hanches ou ses lèvres. C'était une jeune fille plutôt banale. Peut-être pas la plus jolie, mais pas la plus laide non plus.

Quelques années plus tard, elle contribua à l'effort de guerre. Elle était brillante, mais n'osa plus jamais s'adresser à un homme de peur qu'on la ridiculise. Elle songeait parfois à ce jeune garçon qu'elle avait aimé dans son adolescence, mais jamais bien longtemps.
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