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Récits de vie Kirin torien

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Message  Ajerion l'Observateur Jeu 07 Nov 2019, 02:18

Le vent soulevait la canopée printanière avec légèreté. Les Orcs étaient loin de chez eux. Hagra le savait. Il ruminait pendant que ses compagnons de route menaient la marche.

Le grunt n’aimait pas cet endroit. Le Bassin d’Arathi était le cimetière de héros autrement plus aguerris que lui. L’idée de mourir ici, loin de ses terres, loin de ses ancêtres, ne lui plaisait pas. Ses supérieurs partageaient son idée : que vaut l’honneur quand on meurt pour une terre qui ne nous ressemble pas, aux côtés de Réprouvés, exemptés du moindre soupçon d’honneur ? Mais les ordres étaient les ordres.

Hagra finit par dire, tandis qu’ils quittaient la forêt pour pénétrer dans une clairière :

« Ca fait plusieurs heures qu’on marche. Il jeta un regard à Ursula, la garde de sang chargée de l’escarmouche. Chef, reprit-il, on n’a trouvé aucune trace d’elle et on continue pourtant d’avancer dans ces maudits bois. Pourquoi ?
- Les loups ont flairé sa piste, se contenta de répondre la femelle orque, indifférente à la complainte du grunt.
- Mais elle ne laisse rien derrière elle ! Seulement des odeurs que ces bêtes peuvent supposément sentir. On en sait quoi ?
- Ces « bêtes » se nomment des Worgs, le tança Ikra, le vieux chaman, qui était demeuré muet tout le long du trajet. Ils sont le symbole et les amis du clan Loup-de-Givre. Tâche de t’en souvenir, si tu ne veux pas paraître idiot devant un officier à la main plus leste que la mienne.
Le chaman garda un silence rituel quelques instants avant de continuer :
- De plus, les worgs ne sont pas les seuls à flairer la Fée. Mes sens m’avertissent d’un danger. »

Hagra eut un grognement navré. Qu’il était maladroit ! De nouveau, ses sentiments l’avaient supplanté ; de nouveau, il avait agi avec hardiesse et mépris. Ursula, tout comme Ikra, souffraient du dépaysement tout comme le reste de la troupe. C’est, du moins, ce qui venait de confier le ton plein de solennité du chaman. Mais ils ne sont pas aveuglés par la colère, pensa-t-il. C’est l’abnégation qui fait un grand guerrier. Ni la force, ni les armes. L’abnégation de souffrir dignement, pour la pérennité de la race. Ils tiennent ça de leur clan.

« Mes excu… s’apprêta-t-il à dire, mais le vieil orc l’interrompit.
- Garde tes excuses pour quelqu’un qui s’en soucie, Hagra. Il faut à n’importe quelle plante le temps de pousser.
- Je le sais, fit le grunt.
Puis, dans l’espoir de changer de sujet, il râla :
- La présence de la fille est-elle si forte ?
De nouveau, le vieil orc marqua un temps, ses yeux rembrunis par des décennies de guerre dissimulés sous un masque à tête de loup. Comme Hagra s’y attendait, il avait repéré son stratagème, son dépit, et la façon avec laquelle il essayait de les cacher.

Toutefois, il n’en dit rien, se contentant de répondre :
- Plus que tu ne peux te l’imaginer. Cette clairière et ces bois avant elle sont imprégnés par sa puissance. J’ignore comment elle fait pour échapper à tes yeux – et je ne t’insulte pas. Je les sais affûtés, tes yeux. Mais il y a quelque chose qui ne va pas. Quelque chose dont le Grand Exécuteur ne nous a pas avertis.
- C’est quoi, cette chose ?
- Que les Eléments me gardent de le savoir », répondit-il abruptement.

Ils étaient sept, au total. Deux grunts, dont un troll, veillaient à la sécurité du chaman. Le vieux Ikra était un ancien commandant de la Horde noire, à qui le temps et l’expiation avaient réussi, comme beaucoup d’orcs, sous le règne de Thrall. La rage, la déchéance : il avait bu ces deux coupes plus qu’un gruntillon comme Hagra ne le ferait jamais. Sa désormais sagesse et ses pouvoirs élémentaires faisaient de lui un fin champion de la Horde. Une sagesse pleine, rompue, pas comme celle dont raffolaient ces poseurs de mages. Et tandis que Hagra regardait les deux grunts marcher à ses côtés, il mira son attention sur Ursula, puis sur ses deux alliés restants, certainement les plus sauvages de tous.

Les deux worgs étaient la propriété de la femelle. Elle les avait éduqués depuis qu’ils n’étaient pas plus gros que des pommes de pin. Elle les avait bordés, sevrés, quand leur mère était morte. Ils étaient désormais gros comme des ours, et la belluaire leur avait dit qu’ils n’avaient pas fini de grandir.

La troupaille marcha jusqu’à la nuit tombée, avant de faire halte près d’un ruisseau qui semblait pétrifié. Une pellicule neigeuse s’amoncelait dessus. Ursula s’approcha du chaman, les traits tirés. Celui-ci méditait gravement, face à cet étrange phénomène naturel.

« C’est ce dont mes sens m’avertissaient, fit-il, ses mains noueuses repliées sur elles-mêmes. Nous approchons d’un grand danger.
- Ikra, suis-moi. Je crains qu’il y ait pire que quelque ruisseau gelé, au-delà de ce futaie. »

Ils enjambèrent la rive. Un vent frais se mit à courir sur leurs cuirs épais. Rien dont le printemps les avait habitués. Le chaman se prit même à frissonner, lui qui pourtant avait coutume de marcher dans les congères gelées d’Alterac. A mesure qu’il avançait, il sentait ses pieds, nus, s’enfoncer dans une sorte de croûte boueuse, invisible dans l’obscurité. Seuls quelques filets de lumière, argentés, chutant doucement entre les mailles des feuillages, lui permirent de voir ce dont il s’agissait.

« Ce n’est ni de la boue, ni des os, sur lesquels tu es en train de marcher. »,  gronda Ursula, comme si elle avait deviné la surprise de son compagnon.

Le froid s’intensifia brusquement. Ce qui avait gelé le ruisseau, tout à l’heure ; ce qu’il avait pris pour une chute de température anormalement basse face au vent firent soudainement sens dans sa tête. Il marchait dans la neige. Pis encore : au-loin, dans un bosquet, quelque chose miroitait comme un topaze géant. Et il les vit, chacun d’eux, ceux pour lesquels ils étaient venus : ses frères, ses sœurs d’armes. Ils paraissaient sublimes, ainsi prostrés face au clair de lune. Certains montaient des worgs, d’autres des kodos. Tous étaient sur le pied de guerre : une dizaine de grunts prêts à en découdre, hauts et rutilants comme des statues algides.
A ceci près qu’ils étaient morts, d’un froid tel qu’il les avait laissés intacts.

« C’est l’escarmouche précédente, fit Ursula. Celle que nous étions censés retrouver dans trois jours. »

Ikra ne répondit pas, ahuri. Il marcha, ses pieds craquant sous la glace qui avait désormais remplacé la neige. Il leva les yeux au-loin, et vit avec effroi que la forêt avait été gelée sur un rayon entier. Les arbres, les feuilles, le sol et les bêtes : tous figés, foudroyés par cette mort blanche.

Un cerf avait la tête épanchée en avant, la bouche pleine d’herbes ; un orc, juché sur sa monture, allumait un cigarillo, la gueule ouverte d’une acclamation muette.

« Ils ne l’ont même pas vu venir, n’est-ce pas ? souffla le chaman, la gorge sèche.
- Cette chose a filé plus vite que le son. J’ai vérifié plus au nord. Eux aussi ont été… pétrifiés, jusqu’à une dizaine de lieues. C’est l’œuvre de la Fée.
- Devons-nous le dire aux autres ? s’enquit le chaman. Comment pouvons-nous combattre une sorcière dont les pouvoirs dépassent les miens ?
- J’ai envoyé un de mes worgs chercher du renfort. Ils arriveront d’ici deux jours, probablement. D’ici-là, il nous faut rester prudents. Tu l’as senti, n’est-ce pas ? L’orque s’approcha du chaman pour le dévisager. Elle est encore proche. »


Ajerion l'Observateur


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