Léthargies
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Léthargies
-------- Pas de repos pour ceux qui ne rêvent pas
La pénombre, comme au tout début des âges. Le cliquetis des chaînes au moindre mouvement. Les fuseaux incandescents de la douleur, partout. Et l'écho vaste du silence, entre les grands murs de pierre.
Lorsque le corps est entravé et affaibli, l'esprit seul peut revendiquer son indépendance. Il voyage, bien que retenu par d'autres chaînes. Et quand le futur semble trop sombre, ou trop incertain, pour que l'on puisse risquer de s'y aventurer, au moins le passé et les souvenirs sont-ils un bon refuge.
Un demi-rêve. Comme une transe, comme un dernier échappatoire à la souffrance et aux autres supplices. Telle était la dernière liberté qui lui restait.
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J'étais décidément resté beaucoup trop longtemps dans l'obscurité vaste et recueillie de la Cathédrale, car lorsque je mis de nouveau le pied dehors, l'odeur de la neige et du froid m'étourdit un moment. Le vent s'était invité dans mon manteau, gonflant les tissus et agaçant mes cheveux ; et si son souffle glacé ne pouvait attendrir ma chair, au moins me remit-il les idées en place.
Je m'étais, oui, bien trop attardé. Les yeux mi-clos dans les ténèbres, à ébaucher des plans qui tenaient presque du fantasme, et à ronronner son nom pour que l'écho s'en saisisse, le fasse rouler au-dessus des autels, au-dessus des feux froids de la Couronne. Annira Barov. Annirrrrra Barrrov'ffff, disait l'écho en se moquant de moi.
Si obstinés nous étions à vouloir la ramener dans le giron du Maître que nous n'avions pas saisi le danger. Elle l'avait, pourtant, dit elle-même. L'art du langage, le charme, la séduction. Depuis le début, elle se jouait de nous. Et depuis le début, nous mordions à l'hameçon comme de simples nocives.
Un frisson de honte remonta le long de mon échine. Comprenez : j'avais toujours fidèlement servi mon Seigneur. Je m'étais présenté à Lui pour me faire adouber, et j'avais rejoint les rangs de Ses armées de mon plein gré. J'obéissais et j'exécutais, comme un serviteur loyal doit le faire pour son Roi. L'honneur et la loyauté ont toujours beaucoup compté à mes yeux, même lorsque j'étais un autre, avec un nom différent. En vertu de ces deux valeurs, et pour mon Roi, bien entendu, je m'étais fait dur, froid, implacable, et sans concession. J'avais juré -sur mon honneur- de ne jamais me détourner de cette voie.
Mais à présent, à force de poursuivre une unique personne, au point d'en nourrir une véritable obsession, je me sentais perdre pied. J'allais faire d'Annira Barov ma seule priorité, et négliger les ordres de mon Seigneur. J'allais bafouer mon honneur, trahir ma parole. C'était proprement inacceptable.
Je secouai la tête pour me ressaisir, et me félicitai de m'être repris avant qu'une catastrophe n'ait lieu. Mais hélas, si moi je m'étais guéri de l'Obsession, en revanche... Un autre membre de la Lame, et pas des moindres, courait toujours le danger de succomber.
Il était plus que temps d'intervenir.
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Dernière édition par Scylence le Lun 29 Déc 2008, 06:05, édité 1 fois
Semelys- Personnages Joués : Mrrrrh...
Re: Léthargies
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Ceralynde. Ah ! Ma chère petite Ceralynde.
Je me souviens de ton intronisation, de ta venue dans nos rangs. Te rappelles-tu ? Tu étais plus fragile qu'une brindille prise dans le gel. Tremblante, perdue. La simple vue d'un mortel te plongeait dans la plus grande des paniques. Et tu te cachais derrière moi comme une enfant de six ans dans les jupes de sa mère.
Te rappelles-tu ? Moi, je m'en souviens. De tes manières hésitantes, de ton regard timide, presque candide - le comble pour un Chevalier ! Je m'étais juré de faire de toi quelqu'un de fort. Oh, oui. Je te savais puissante. Capable. Ne te manquaient que l'assurance et la détermination.
Il a fallu que je te forge, Ceralynde, comme on forge une épée. Je t'ai appris la prudence, la discrétion, je t'ai aidée à te fondre dans les rangs des mortels afin que tu les espionnes, pour la plus grande gloire du Roi Liche. Tu avais du talent pour cela, oui ; mais tu restais une oeuvre inachevée. Il fallut mettre un point final à ton éducation.
Te souviens-tu ? Tes armes fauchaient les rangs des Ecarlates, sur mon ordre ; et tu étais belle dans la bataille, mon enfant. Te souviens-tu de l'hésitation qui t'a prise, lorsque tu t'es retrouvée face à ta propre mère, habillée du rouge de tes ennemis ? Te rappelles-tu du froid qui t'a saisi lorsque ton arme, à mon appel, a plongé dans son coeur ? Ah... Tu avais fait le bon choix, ma créature, mon enfant, ma fille. Tu venais de choisir le camp des forts. Tu étais devenue un diamant de glace et de dureté, une arme qui ne faillirait pas, jamais, et qui sans relâche s'abattrait sur les ennemis du Roi Unique.
J'ai fait de toi ce que tu es. Et j'ai plié le genou face à ta puissance, de mon plein gré. Je me suis effacé dans l'ombre pour que toi, tu resplendisses, me réjouissant de t'appeler "Seigneur".
J'ai fait de toi ce que tu es, Ceralynde ; et à présent, une traîtresse au Roi Unique voudrait défaire ce que j'ai fait ? Qui osait érafler l'arme que j'avais moi-même forgée ? Qui osait émousser son tranchant ?
Elle, bien sûr. Encore elle. Annira Barov. Elle te fascinait comme elle me fascinait moi-même. Mais là où l'expérience et l'âge m'aidaient à voir clair, toi, tu te laissais aveugler. Tu te laissais prendre dans les rets de l'Obsession, et je te sentais prête à basculer, à faillir.
Je suis venu à toi, plein de colère. Je t'ai mise en garde tout en sachant que tu ne m'écouterais pas. Malgré tout, tu étais si jeune encore, si défiante et si naïve ; j'ai été forcé de te rappeler ce que tu étais, qui tu étais, et de te soumettre à nouveau. La simple force des armes n'aurait, en cela, servi à rien. Ce fut donc à ton esprit que je m'adressai directement, tirant des souvenirs issus de l'ancienne Ceralynde - la timide, la tremblante, la faible. Tu as crié. Tu es tombée. Mais quand tu es revenue à toi, tu étais de nouveau résolue, forte et dure, implacable ; ma créature, mon enfant, ma fille.
Mon Seigneur.
J'ai ri à la face de la lune, étourdi par ma propre puissance. Puis j'ai talonné ma monture. Bois de la Pénombre ne me suffisait plus. La Couronne ne m'attirait pas. C'est vers Hurlevent que j'ai chevauché, malgré le danger, malgré l'interdit. Vers l'Ennemie. Vers Annira Barov.
Puisque Ceralynde m'avait succombé, alors Annira Barov ne pouvait résister. Je la soumettrais, la plierais à mon pouvoir, et ferais d'elle un nouveau guerrier au service de mon Roi. Après tout, servir le Maître était le destin de tous les Barov ; elle ne pouvait déroger à cette loi.
Au fond de moi, malgré l'exultation, je savais pourtant quels risques je prenais à m'aventurer en terre ennemie, seul, pour y défier une adversaire redoutable ; mais, ah... L'attirance de ce défi excitait mon honneur, et m'aiguillonnait plus sûrement que la promesse d'une victoire.
Même si je ne pouvais remporter cette manche, au moins allais-je perdre avec panache.
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Ceralynde. Ah ! Ma chère petite Ceralynde.
Je me souviens de ton intronisation, de ta venue dans nos rangs. Te rappelles-tu ? Tu étais plus fragile qu'une brindille prise dans le gel. Tremblante, perdue. La simple vue d'un mortel te plongeait dans la plus grande des paniques. Et tu te cachais derrière moi comme une enfant de six ans dans les jupes de sa mère.
Te rappelles-tu ? Moi, je m'en souviens. De tes manières hésitantes, de ton regard timide, presque candide - le comble pour un Chevalier ! Je m'étais juré de faire de toi quelqu'un de fort. Oh, oui. Je te savais puissante. Capable. Ne te manquaient que l'assurance et la détermination.
Il a fallu que je te forge, Ceralynde, comme on forge une épée. Je t'ai appris la prudence, la discrétion, je t'ai aidée à te fondre dans les rangs des mortels afin que tu les espionnes, pour la plus grande gloire du Roi Liche. Tu avais du talent pour cela, oui ; mais tu restais une oeuvre inachevée. Il fallut mettre un point final à ton éducation.
Te souviens-tu ? Tes armes fauchaient les rangs des Ecarlates, sur mon ordre ; et tu étais belle dans la bataille, mon enfant. Te souviens-tu de l'hésitation qui t'a prise, lorsque tu t'es retrouvée face à ta propre mère, habillée du rouge de tes ennemis ? Te rappelles-tu du froid qui t'a saisi lorsque ton arme, à mon appel, a plongé dans son coeur ? Ah... Tu avais fait le bon choix, ma créature, mon enfant, ma fille. Tu venais de choisir le camp des forts. Tu étais devenue un diamant de glace et de dureté, une arme qui ne faillirait pas, jamais, et qui sans relâche s'abattrait sur les ennemis du Roi Unique.
J'ai fait de toi ce que tu es. Et j'ai plié le genou face à ta puissance, de mon plein gré. Je me suis effacé dans l'ombre pour que toi, tu resplendisses, me réjouissant de t'appeler "Seigneur".
J'ai fait de toi ce que tu es, Ceralynde ; et à présent, une traîtresse au Roi Unique voudrait défaire ce que j'ai fait ? Qui osait érafler l'arme que j'avais moi-même forgée ? Qui osait émousser son tranchant ?
Elle, bien sûr. Encore elle. Annira Barov. Elle te fascinait comme elle me fascinait moi-même. Mais là où l'expérience et l'âge m'aidaient à voir clair, toi, tu te laissais aveugler. Tu te laissais prendre dans les rets de l'Obsession, et je te sentais prête à basculer, à faillir.
Je suis venu à toi, plein de colère. Je t'ai mise en garde tout en sachant que tu ne m'écouterais pas. Malgré tout, tu étais si jeune encore, si défiante et si naïve ; j'ai été forcé de te rappeler ce que tu étais, qui tu étais, et de te soumettre à nouveau. La simple force des armes n'aurait, en cela, servi à rien. Ce fut donc à ton esprit que je m'adressai directement, tirant des souvenirs issus de l'ancienne Ceralynde - la timide, la tremblante, la faible. Tu as crié. Tu es tombée. Mais quand tu es revenue à toi, tu étais de nouveau résolue, forte et dure, implacable ; ma créature, mon enfant, ma fille.
Mon Seigneur.
J'ai ri à la face de la lune, étourdi par ma propre puissance. Puis j'ai talonné ma monture. Bois de la Pénombre ne me suffisait plus. La Couronne ne m'attirait pas. C'est vers Hurlevent que j'ai chevauché, malgré le danger, malgré l'interdit. Vers l'Ennemie. Vers Annira Barov.
Puisque Ceralynde m'avait succombé, alors Annira Barov ne pouvait résister. Je la soumettrais, la plierais à mon pouvoir, et ferais d'elle un nouveau guerrier au service de mon Roi. Après tout, servir le Maître était le destin de tous les Barov ; elle ne pouvait déroger à cette loi.
Au fond de moi, malgré l'exultation, je savais pourtant quels risques je prenais à m'aventurer en terre ennemie, seul, pour y défier une adversaire redoutable ; mais, ah... L'attirance de ce défi excitait mon honneur, et m'aiguillonnait plus sûrement que la promesse d'une victoire.
Même si je ne pouvais remporter cette manche, au moins allais-je perdre avec panache.
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Re: Léthargies
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Une douleur sourde, gênante, agaçait ma poitrine.
J'étais déçu, et furieux. J'avais retrouvé Annira Barov au bord d'un canal, en plein coeur de la ville ennemie ; l'heure était tardive et les patrouilles si rares que je pensais ne pas craindre grand chose. Je lui avais donc calmement refait ma proposition : celle de se soumettre à nouveau à notre Maître à tous, de nous rejoindre, de combattre à nos côtés. Elle semblait épuisée par nos précédentes luttes, mais il y avait toujours de la volonté et de l'insoumission dans son regard. Qu'importait ! Je l'aurais emmenée de force. Seule, dans son état, quelle résistance pouvait-elle offrir ?
Tout aurait pu se dérouler parfaitement si ce nain n'était pas intervenu. Juché sur son bélier, il cria un avertissement, puis pointa son fusil sur moi. A l'impact violent qui suivit de près la détonation, je sus que j'avais été touché - et fus contraint de fuir, abandonnant ma proie.
Cette même proie qui, alors que mes pieds foulaient l'eau gelée du Port, venait de me retrouver.
Annira Barov s'avançait avec calme, marchant sur l'eau comme un mirage alors que la surface aqueuse se couvrait d'une couche de glace suffisante à supporter un poids humain. Ou deux. Car elle ne venait pas seule. Il y avait un jeune mortel avec elle, qui tentait de masquer sa peur derrière les regards de haine qu'il me décochait. Pivotant lentement, je leur fis face, redressant la tête.
- Scylence, vous êtes en état d'arrestation, dit la Garde en détachant chaque mot. Rendez-vous. "
Me rendre ? Déposer les armes et courber docilement l'échine sans combattre, moi, un guerrier au service du Vrai Roi ? J'eus pour toute réponse un rire assez bref, et tirai mon arme hors du fourreau. En glissant hors de sa gaine, l'acier siffla comme un serpent.
Y faisant écho, Annira affermit sa prise sur ses propres épées et se mit en garde. Je pris le temps de la considérer, de la contempler, me réjouissant du pli fier de ses sourcils et de la détermination de sa bouche. Elle était Guerrier, pas une vulgaire protectrice. Elle portait le blason de notre Roi sur son visage et dans toutes ses attitudes. Comment pouvait-elle y rester aveugle ?
A ses côtés, le jeune humain s'était saisi d'une dague, prêt à en découdre. Profitant de l'effet de surprise, c'est vers lui que je tendis la main, rassemblant les pouvoirs de mon Maître pour l'attirer irrémédiablement à moi. Il n'eut pas le temps d'offrir la moindre résistance ; je le plaquai contre moi, face à Annira, ma lame sous sa gorge.
L'héritière Barov se figea.
- Relâche-le ", dit-elle, visiblement prête à offrir ses armes pour que je laisse aller mon petit otage.
Douce idiote. Je n'étais pas là pour éviter le combat en me protégeant derrière un faible - non. C'eût été perdre la face devant un adversaire de qualité. Au lieu de marchander, donc, je me contentai de sourire, penchant la tête jusqu'à ce que mon souffle glisse contre la gorge du jeune mortel.
- Je ne sais pas, Annira Barov. Je suis blessé, vois-tu. J'ai besoin de... reprendre quelques forces. "
Lorsque mes crocs percèrent son cou, l'humain frémit de douleur et tenta de se débattre, mais je le tenais fermement. Tout en charriant son sang sur ma langue - il avait le goût d'un métal inachevé, d'une arme en passe d'être forgée mais encore malhabile ; le goût d'un jeune chat sauvage - je ne quittais pas Annira Barov des yeux, guettant l'expression de son visage. Mais c'est de ma proie que vint la traîtrise. Empoignant discrètement sa dague, il porta un coup désespéré à mon ventre ; surpris, je desserrai quelque peu mon étreinte. Dans le même temps, la Garde usa de la même force que j'avais employée tantôt pour m'arracher littéralement mon arme des mains.
Le combat était désormais plus qu'inégal : j'étais seul contre deux adversaires, avec pour seule défense griffes et crocs - mais il n'était toujours pas question de fuir ; prêt à faire face, je me ramassai sur moi-même. Repoussé par Annira, l'humain roula de côté, plaquant sa main contre son cou ; sans attendre, la Garde se jeta sur moi.
Ne me restaient que l'instinct et les réflexes. Danser, esquiver. Eviter la morsure des deux lames qui cherchaient à me saisir. C'eût été beaucoup plus simple face à un adversaire inexpérimenté ; mais j'avais en face de moi Annira Barov, l'un des lieutenants du Roi Unique lui-même, et le ballet de ses épées finit par me rattraper.
Pourquoi avoir trahi, Annira Barov ?
L'intrusion violente d'une lame dans ma poitrine - du sang sur la glace, le mien. Dans un sursaut de vigueur, je lance le bras en avant, plaque la Garde contre moi, malgré la douleur terrible qui infuse du feu dans mes membres. Ma main sur sa nuque, bouche contre son cou. Et l'ichor froid qui jaillit sur mes lèvres. Goût de glacier, goût d'armée. Saveur fière et dure. Comme deux symbiotes, nous nous étreignons sans pouvoir nous lâcher - sa lame dans mon ventre et mes dents dans sa gorge. Cela aurait pu durer jusqu'à la fin des temps.
L'humain rassembla suffisamment de forces pour intervenir dans notre échange, hélas. Plantant sa dague dans ma jambe, il me repoussa, et nous fit de la sorte rouler tous les deux sur la glace, Annira et moi, encore enlacés dans la lutte. Je la sentais se débattre furieusement. Et comme mes forces déclinaient, je fus contraint de lâcher prise.
Je ne voulais pas m'avouer vaincu, pas encore : il me restait un dernier atout à jouer. Le même genre d'atout qui m'avait permis de remporter une victoire sur Ceralynde. L'atout qui m'avait poussé à venir défier Annira elle-même.
Je suis un San'Layn. Beaucoup aiment croire et dire que le pouvoir des San'Layn leur vient du sang, qu'ils tirent de leurs victimes et duquel ils dépendent, mais c'est faux. Boire le sang et manger la chair pour se régénérer est à la portée de la moindre des goules. Non. Le véritable pouvoir, c'est l'esprit. La manipulation, la persuasion, la Fascination. La majorité du temps, cela n'a même rien de véritablement magique. Il suffit d'une bonne maîtrise de la parole, soutenue par un regard franc et perçant, pour arriver à ses fins. Le véritable pouvoir, c'est la ruse et l'intelligence qui permettent de dominer et de soumettre les esprits faibles. La magie, elle, ne vient qu'en dernier recours.
A cet instant précis, j'avais besoin d'un dernier recours.
J'ouvris grand les yeux et me fis serpent, plongeant mon regard dans celui d'Annira tandis que nous nous battions encore, puis déployai mon pouvoir. De la Fascination pure. Je cherchai à me glisser dans son esprit, et à y graver ma volonté. Cesse de te battre, Annira Barov, et aide-moi à partir d'ici.
Elle se figea. Un instant, je crus avoir réussi. Je crus que j'avais plié à ma volonté l'héritière du sang des Barov, ancien lieutenant de mon Roi. Je crus que j'avais gagné.
La Garde se redressa, lentement, murmurant un "Oui, maître" qui me fit frémir. Elle se tourna calmement vers le mortel étendu sur la glace, privé de forces, et le regarda quelques instants. Puis, soudain, elle pivota des talons.
Je sais que j'ai crié lorsque ses armes, d'un commun accord, m'ont cloué sur la glace. Et je sais qu'elle m'a souri, lorsque, dans le brouillard pourpre qui noyait ma vision, son murmure vint à moi.
" Je ne suis pas Ceralynde. Je suis Annira Barov. "
J'avais perdu. J'avais perdu, et déjà, des chaînes se fermaient sur mes poignets.
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Une douleur sourde, gênante, agaçait ma poitrine.
J'étais déçu, et furieux. J'avais retrouvé Annira Barov au bord d'un canal, en plein coeur de la ville ennemie ; l'heure était tardive et les patrouilles si rares que je pensais ne pas craindre grand chose. Je lui avais donc calmement refait ma proposition : celle de se soumettre à nouveau à notre Maître à tous, de nous rejoindre, de combattre à nos côtés. Elle semblait épuisée par nos précédentes luttes, mais il y avait toujours de la volonté et de l'insoumission dans son regard. Qu'importait ! Je l'aurais emmenée de force. Seule, dans son état, quelle résistance pouvait-elle offrir ?
Tout aurait pu se dérouler parfaitement si ce nain n'était pas intervenu. Juché sur son bélier, il cria un avertissement, puis pointa son fusil sur moi. A l'impact violent qui suivit de près la détonation, je sus que j'avais été touché - et fus contraint de fuir, abandonnant ma proie.
Cette même proie qui, alors que mes pieds foulaient l'eau gelée du Port, venait de me retrouver.
Annira Barov s'avançait avec calme, marchant sur l'eau comme un mirage alors que la surface aqueuse se couvrait d'une couche de glace suffisante à supporter un poids humain. Ou deux. Car elle ne venait pas seule. Il y avait un jeune mortel avec elle, qui tentait de masquer sa peur derrière les regards de haine qu'il me décochait. Pivotant lentement, je leur fis face, redressant la tête.
- Scylence, vous êtes en état d'arrestation, dit la Garde en détachant chaque mot. Rendez-vous. "
Me rendre ? Déposer les armes et courber docilement l'échine sans combattre, moi, un guerrier au service du Vrai Roi ? J'eus pour toute réponse un rire assez bref, et tirai mon arme hors du fourreau. En glissant hors de sa gaine, l'acier siffla comme un serpent.
Y faisant écho, Annira affermit sa prise sur ses propres épées et se mit en garde. Je pris le temps de la considérer, de la contempler, me réjouissant du pli fier de ses sourcils et de la détermination de sa bouche. Elle était Guerrier, pas une vulgaire protectrice. Elle portait le blason de notre Roi sur son visage et dans toutes ses attitudes. Comment pouvait-elle y rester aveugle ?
A ses côtés, le jeune humain s'était saisi d'une dague, prêt à en découdre. Profitant de l'effet de surprise, c'est vers lui que je tendis la main, rassemblant les pouvoirs de mon Maître pour l'attirer irrémédiablement à moi. Il n'eut pas le temps d'offrir la moindre résistance ; je le plaquai contre moi, face à Annira, ma lame sous sa gorge.
L'héritière Barov se figea.
- Relâche-le ", dit-elle, visiblement prête à offrir ses armes pour que je laisse aller mon petit otage.
Douce idiote. Je n'étais pas là pour éviter le combat en me protégeant derrière un faible - non. C'eût été perdre la face devant un adversaire de qualité. Au lieu de marchander, donc, je me contentai de sourire, penchant la tête jusqu'à ce que mon souffle glisse contre la gorge du jeune mortel.
- Je ne sais pas, Annira Barov. Je suis blessé, vois-tu. J'ai besoin de... reprendre quelques forces. "
Lorsque mes crocs percèrent son cou, l'humain frémit de douleur et tenta de se débattre, mais je le tenais fermement. Tout en charriant son sang sur ma langue - il avait le goût d'un métal inachevé, d'une arme en passe d'être forgée mais encore malhabile ; le goût d'un jeune chat sauvage - je ne quittais pas Annira Barov des yeux, guettant l'expression de son visage. Mais c'est de ma proie que vint la traîtrise. Empoignant discrètement sa dague, il porta un coup désespéré à mon ventre ; surpris, je desserrai quelque peu mon étreinte. Dans le même temps, la Garde usa de la même force que j'avais employée tantôt pour m'arracher littéralement mon arme des mains.
Le combat était désormais plus qu'inégal : j'étais seul contre deux adversaires, avec pour seule défense griffes et crocs - mais il n'était toujours pas question de fuir ; prêt à faire face, je me ramassai sur moi-même. Repoussé par Annira, l'humain roula de côté, plaquant sa main contre son cou ; sans attendre, la Garde se jeta sur moi.
Ne me restaient que l'instinct et les réflexes. Danser, esquiver. Eviter la morsure des deux lames qui cherchaient à me saisir. C'eût été beaucoup plus simple face à un adversaire inexpérimenté ; mais j'avais en face de moi Annira Barov, l'un des lieutenants du Roi Unique lui-même, et le ballet de ses épées finit par me rattraper.
Pourquoi avoir trahi, Annira Barov ?
L'intrusion violente d'une lame dans ma poitrine - du sang sur la glace, le mien. Dans un sursaut de vigueur, je lance le bras en avant, plaque la Garde contre moi, malgré la douleur terrible qui infuse du feu dans mes membres. Ma main sur sa nuque, bouche contre son cou. Et l'ichor froid qui jaillit sur mes lèvres. Goût de glacier, goût d'armée. Saveur fière et dure. Comme deux symbiotes, nous nous étreignons sans pouvoir nous lâcher - sa lame dans mon ventre et mes dents dans sa gorge. Cela aurait pu durer jusqu'à la fin des temps.
L'humain rassembla suffisamment de forces pour intervenir dans notre échange, hélas. Plantant sa dague dans ma jambe, il me repoussa, et nous fit de la sorte rouler tous les deux sur la glace, Annira et moi, encore enlacés dans la lutte. Je la sentais se débattre furieusement. Et comme mes forces déclinaient, je fus contraint de lâcher prise.
Je ne voulais pas m'avouer vaincu, pas encore : il me restait un dernier atout à jouer. Le même genre d'atout qui m'avait permis de remporter une victoire sur Ceralynde. L'atout qui m'avait poussé à venir défier Annira elle-même.
Je suis un San'Layn. Beaucoup aiment croire et dire que le pouvoir des San'Layn leur vient du sang, qu'ils tirent de leurs victimes et duquel ils dépendent, mais c'est faux. Boire le sang et manger la chair pour se régénérer est à la portée de la moindre des goules. Non. Le véritable pouvoir, c'est l'esprit. La manipulation, la persuasion, la Fascination. La majorité du temps, cela n'a même rien de véritablement magique. Il suffit d'une bonne maîtrise de la parole, soutenue par un regard franc et perçant, pour arriver à ses fins. Le véritable pouvoir, c'est la ruse et l'intelligence qui permettent de dominer et de soumettre les esprits faibles. La magie, elle, ne vient qu'en dernier recours.
A cet instant précis, j'avais besoin d'un dernier recours.
J'ouvris grand les yeux et me fis serpent, plongeant mon regard dans celui d'Annira tandis que nous nous battions encore, puis déployai mon pouvoir. De la Fascination pure. Je cherchai à me glisser dans son esprit, et à y graver ma volonté. Cesse de te battre, Annira Barov, et aide-moi à partir d'ici.
Elle se figea. Un instant, je crus avoir réussi. Je crus que j'avais plié à ma volonté l'héritière du sang des Barov, ancien lieutenant de mon Roi. Je crus que j'avais gagné.
La Garde se redressa, lentement, murmurant un "Oui, maître" qui me fit frémir. Elle se tourna calmement vers le mortel étendu sur la glace, privé de forces, et le regarda quelques instants. Puis, soudain, elle pivota des talons.
Je sais que j'ai crié lorsque ses armes, d'un commun accord, m'ont cloué sur la glace. Et je sais qu'elle m'a souri, lorsque, dans le brouillard pourpre qui noyait ma vision, son murmure vint à moi.
" Je ne suis pas Ceralynde. Je suis Annira Barov. "
J'avais perdu. J'avais perdu, et déjà, des chaînes se fermaient sur mes poignets.
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Re: Léthargies
----- Plus de rêves... Plus de rêves...
Il a passé, le temps ! Mais je n'ai jamais su s'il s'agissait de mon meilleur allié ou de mon pire ennemi. Qui pourrait le savoir ? Qui, parmi les mortels, ne craint pas de franchir le seuil de la Mort - ce seuil que nous, nous avons apprivoisé et dompté ? Et qui, même, parmi nous qui ne connaîtrons plus jamais la vieillesse, peut se vanter de ne pas frissonner devant cette grande inconnue qu'est l'Eternité ?
Il a passé, le temps, mais je n'ai rien oublié. Ni ma première capture, ni les chaînes à mes poignets, ni la morsure atroce de la Lumière, hors des paumes de mon vieil ennemi. Je me souviens de l'escorte qu'ils m'avaient faite pour me conduire à leur "prison de haute sécurité", et comment j'avais réussi à les blesser, tout enchaîné que j'étais, malgré le bandeau qui couvrait mes yeux. Ah ! J'étais puissant, capable, et sûr de moi. Ainsi sont les armes du Roi Unique. J'étais une bonne arme, une bonne Lame.
Mais j'ai échoué. Ce n'est pas tant le fait d'avoir été pris, qui constitue mon véritable échec. Ce n'est même pas d'avoir été temporairement retourné - car rien ne saurait aller contre la volonté du Roi Unique, rien, et tous ceux qui ont connu Son étreinte comme je l'ai connue y reviennent tôt ou tard. Je l'ai su au moment même où j'ai rejoint les rangs des traîtres, persuadé de "ne plus rien devoir" à mon Roi. Je l'ai su, en les voyant sourire, en les entendant parler de choses banales, gorgées d'une vie à jamais inaccessible. Ah ! J'étais et je suis toujours taillé pour la guerre, pour la mort, pas pour cette existence heureuse et citoyenne. Je leur ai dit, aux deux seules personnes qui aient jamais compté pour moi, réellement. "Vous irez dans la lumière, et moi, je resterai dans l'ombre, à vous regarder."
Le fait d'avoir créé ma propre faiblesse - Lyrée - n'est pas non plus mon échec le plus grave. Et pourtant ! A quelles blessures n'ai-je pas prêté le flanc dans le seul but de la préserver, elle ? N'ai-je pas épargné la vie de son hôte, Annira, et ne me suis-je pas livré désarmé à ceux qui la retenaient ? On parlerait de stupidité et d'incohérence ; je parle, moi, d'honneur et d'amour. Et je méprise ceux qui prétendent que ces deux valeurs me seraient inaccessibles, et que les chaînes du Fléau enserrent trop étroitement mon esprit pour me laisser ne serait-ce qu'éprouver le moindre sentiment. Les ignorants ! Le Roi Unique n'a jamais eu besoin d'écraser ma volonté, puisqu'elle lui a toujours appartenu. Mon coeur battait encore quand j'ai prêté allégeance, aucun fer ne pesait sur ma nuque, non. J'ai fait ce choix de mon plein gré. Mon plein gré ! Il y en a que cela horrifie. Comme s'il était impensable qu'un soldat choisisse pour quelle cause il dévouera sa lame.
A partir d'où ai-je commencé à douter ? Et à partir de quand ai-je commencé à avoir peur ?
Car il est bien là, l'échec. La peur. Non pas celle de souffrir ou de mourir : cette peur-là est universelle, seuls les décérébrés en sont exempts. Non : la peur de faillir, bien pire que la faille elle-même, car elle l'engendre. J'ai peur de ne plus être à la hauteur. Et j'ai peur d'être remplacé.
J'ai toujours été amusé par la propension qu'ont certains Chevaliers à se vanter d'avoir eu un quelconque rapport avec notre Seigneur à tous. Et ils y vont chacun de leur petite histoire, de leur entretien personnel ! Les idiots. Comment peuvent-ils s'imaginer un seul instant que le Roi Unique, souverain du monde, peut prêter un intérêt tout particulier à leur petite personne ? Comment osent-ils, gonflés de leur propre importance, s'imaginer être autre chose que des couteaux dressés parmi les rangs d'un millier d'autres poignards ? Des armes ! Des armes, Messieurs ! Rien d'autre. Des soldats ! Je n'ai, moi-même, jamais parlé avec le Roi Unique. Tout au plus Sa voix m'a-t-elle guidé quand il le fallait. Je n'ai jamais eu affaire à Lui en personne excepté le jour de mon allégeance, et encore, j'étais perdu dans les rangs d'une centaine d'autres fidèles. Et je tremblais comme un enfant en redoutant de croiser Son regard ! Jamais je n'ai eu la prétention d'être autre chose qu'une Arme au service de Sa volonté. Et je savais, bien sûr, que s'il m'arrivait de faillir, je serai éliminé. Je le savais et l'acceptais comme une évidence.
Alors pourquoi ai-je peur ? Et pourquoi est-ce que je prie pour que Son attention, pour l'heure tout entière centrée sur les affrontements du Norfendre, ne se tourne pas vers moi et vers mes failles ? Suis-je à ce point émoussé ? Ne suis-je plus capable de me lever et de tailler dans les flancs ennemis, sans pitié, comme je l'ai toujours fait ?
Les rangs de la Sombre Aurore grossissent de jour en jour. Nous sommes une petite armée, maintenant. Je sais encore asseoir mon autorité sans trop de mal, je distribue les ordres et élabore nos plans. Mon esprit fonctionne et ma ruse aussi. De ce côté-là, je suis plus aiguisé et plus efficace qu'aucun autre membre de la Fraternité. Mais quand les Rédempteurs m'ont pris, le jour où je me suis échangé contre Lyrée, durant les nombreuses tortures qui ont suivi, mes geôliers m'ont fait boire leur venin. Leur eau imprégnée de Lumière, cent fois acide. Trois fois ils me l'ont fait boire. Jamais je n'ai autant souffert, jamais. Et bien que je sois en partie remis de mes blessures, ce poison est demeuré en moi.
Cela ronge et brûle de l'intérieur, sans cesse. Tout à l'heure, durant un entraînement, j'ai lâché mon épée tant la douleur était forte. De grâce, qu'ils ne s'en aperçoivent pas ! Aucun d'entre eux ne doit découvrir mon état, aucun d'entre eux ne doit voir mon bras trembler. Les plus malins d'entre eux seraient parfaitement capables d'avertir un officier de la Couronne, pour que l'on vienne m'éliminer. Me remplacer, comme on remplace les armes trop vieilles et trop ébréchées pour pouvoir encore servir. Ils seraient dans leur droit. Parfaitement. Et il y a peu de temps encore, je crois que je me serais moi-même livré, conscient de ma faiblesse. Les faibles sont un poids pour le Fléau.
Mais je ne veux pas être éliminé. Je ne veux pas être remplacé.
Je ne veux pas disparaître.
Semelys- Personnages Joués : Mrrrrh...
Re: Léthargies
Gris.
J'ignorais que le gris pouvait comporter autant de nuances. Lorsque toutes les couleurs ont disparu, lui seul demeure, avec sa palette de demi-teintes, de demi-tons, tout aussi parlante - sinon plus - que l'échantillon coloré que nous avons l'habitude de voir peint sur ce qui nous entoure.
Gris le ciel, gris la terre, gris les arbres, grise la pierre, et moi-même j'étais gris, fondu dans l'ensemble flou et confus du royaume que l'on ne nomme pas - gris comme la multitude d'âmes bruissantes qui glissaient tout autour, colonnes de fumée grise. Si j'avais encore une apparence humaine, je savais qu'il se passerait quelques onces d'éternité seulement avant que je ne me dissolve comme les autres, jusqu'à ce que mon essence éparpillée nourrisse ce paysage gris. Cette idée ne m'inspirait pas d'effroi. C'était juste ce qui devait être.
Assis au bord du gouffre gris, j'écoutais les plaintes grises de Saleena loin en dessous. Et j'attendais. Qu'elle cesse de chanter, de me maudire, qu'elle gravisse enfin les marches de la tour pour venir m'accorder son pardon. Cela tardait à venir, mais il me fallait attendre. Le temps suspendu, immuable ici, ne me laissait aucun espoir ; uniquement le doute. C'était cela, le doute, et le remord bien entendu, qui me permettaient d'exister encore, de retarder le moment où tout mon être - tout ce qui restait de mon être - s'éparpillerait à jamais.
Et puis, toutes les trois, elles sont venues. La mort sur leurs paupières pour les aider à voir, et la promesse d'un retour à la vie peinte sur leurs mains. Elles m'ont entouré et m'ont parlé de choses que j'avais fini par oublier, d'honneur, de serments.
" Nous avons besoin de toi. "
Il y avait le gouffre, ou elles. Le repos, ou le regard de celle que j'avais fini par considérer comme ma propre fille. L'oubli, ou reprendre le combat.
----
Le premier souffle fut extrêmement douloureux. J'avais oublié à quel point le monde réel pouvait être net, dur, criard et sans pitié. J'ai hoqueté comme un noyé, la pénombre a brûlé mes yeux. Mon corps était une enveloppe pesante, un carcan qui me clouait au sol, me laissant sans défense face à la douleur, au vertige, au froid. De toute mon âme j'ai regretté.
C'est son visage que j'ai vu en premier, penché sur moi, attentif. C'est sa voix que j'ai entendue, alors que les mains d'une autre m'offraient de quoi me couvrir.
" Je ne t'abandonnerai plus. "
Le dallage glacé contre mon dos, et ses bras autour de moi, chauds et vivants. Ceralynde.
----
J'avais repris quelques forces au lever du jour, même s'il m'était encore difficile de me repérer dans l'espace et de contrer les vertiges. Debout dos à moi, mains croisées, il contemplait à travers une meurtrière l'étendue gelée de la Couronne. Sa voix n'avait pas perdu ni sa douceur ni le voile de menace dont il aimait draper chacun de ses mots, perceptible pour les habitués.
" Hâte-toi de retrouver toutes tes capacités, mon frère. Nous n'avons pas le temps de te materner. Puisqu'ils ont jugé bon de te ramener, il serait bon que tu te rendes de nouveau utile et ce, dans les plus brefs délais. Ceux que nous servons ne tolèrent pas la fragilité. "
Fragile, je l'étais pourtant, ô combien. Je n'ai pas répondu, mais je n'ai pas non plus baissé les yeux quand son regard vide m'a transpercé.
Une Lame au service de son Roi... Comme ces mots sonnaient vide, à présent.
----
" Je viendrai à toi. "
Elle, droite et altière, forte, décidée. Elle n'aurait eu aucun mal à me tuer dans mon état, mais ni sa voix, ni ses yeux, ni ses gestes n'étaient marqués du sceau de l'hostilité - loin, très loin de là.
" Je vous protégerai. "
Le sourire discret de Ceralynde. Tant et tant de souvenirs se pressaient dans ma mémoire embrumée et confuse qu'il m'était difficile de faire le tri. Toutes deux cherchaient à m'instruire de ce que j'avais manqué durant mon absence, mais je ne comprenais qu'une chose sur deux. J'ignorais qu'une ancienne ennemie, combattue maintes et maintes fois, pouvait tenir à moi à ce point, mais déjà j'entrevoyais la vérité. Dans sa voix, dans ses yeux, dans ses gestes. Et dans la façon dont ma propre poitrine me brûlait.
Plus besoin de mots pour crier l'évidence quand nous nous sommes serrés l'un contre l'autre. Mes bras autour d'elle, ses mains contre mon dos, nous nous sommes étreints comme deux désespérés, comme deux amants qui auraient trop attendu à force de se défier l'un l'autre. Mais je n'ai pas trouvé d'apaisement sur ses lèvres. Juste l'écho des malheurs à venir.
" Je vous protégerai. "
----
Je venais tout juste de revenir, et tout était déjà si compliqué.
J'ignorais que le gris pouvait comporter autant de nuances. Lorsque toutes les couleurs ont disparu, lui seul demeure, avec sa palette de demi-teintes, de demi-tons, tout aussi parlante - sinon plus - que l'échantillon coloré que nous avons l'habitude de voir peint sur ce qui nous entoure.
Gris le ciel, gris la terre, gris les arbres, grise la pierre, et moi-même j'étais gris, fondu dans l'ensemble flou et confus du royaume que l'on ne nomme pas - gris comme la multitude d'âmes bruissantes qui glissaient tout autour, colonnes de fumée grise. Si j'avais encore une apparence humaine, je savais qu'il se passerait quelques onces d'éternité seulement avant que je ne me dissolve comme les autres, jusqu'à ce que mon essence éparpillée nourrisse ce paysage gris. Cette idée ne m'inspirait pas d'effroi. C'était juste ce qui devait être.
Assis au bord du gouffre gris, j'écoutais les plaintes grises de Saleena loin en dessous. Et j'attendais. Qu'elle cesse de chanter, de me maudire, qu'elle gravisse enfin les marches de la tour pour venir m'accorder son pardon. Cela tardait à venir, mais il me fallait attendre. Le temps suspendu, immuable ici, ne me laissait aucun espoir ; uniquement le doute. C'était cela, le doute, et le remord bien entendu, qui me permettaient d'exister encore, de retarder le moment où tout mon être - tout ce qui restait de mon être - s'éparpillerait à jamais.
Et puis, toutes les trois, elles sont venues. La mort sur leurs paupières pour les aider à voir, et la promesse d'un retour à la vie peinte sur leurs mains. Elles m'ont entouré et m'ont parlé de choses que j'avais fini par oublier, d'honneur, de serments.
" Nous avons besoin de toi. "
Il y avait le gouffre, ou elles. Le repos, ou le regard de celle que j'avais fini par considérer comme ma propre fille. L'oubli, ou reprendre le combat.
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Le premier souffle fut extrêmement douloureux. J'avais oublié à quel point le monde réel pouvait être net, dur, criard et sans pitié. J'ai hoqueté comme un noyé, la pénombre a brûlé mes yeux. Mon corps était une enveloppe pesante, un carcan qui me clouait au sol, me laissant sans défense face à la douleur, au vertige, au froid. De toute mon âme j'ai regretté.
C'est son visage que j'ai vu en premier, penché sur moi, attentif. C'est sa voix que j'ai entendue, alors que les mains d'une autre m'offraient de quoi me couvrir.
" Je ne t'abandonnerai plus. "
Le dallage glacé contre mon dos, et ses bras autour de moi, chauds et vivants. Ceralynde.
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J'avais repris quelques forces au lever du jour, même s'il m'était encore difficile de me repérer dans l'espace et de contrer les vertiges. Debout dos à moi, mains croisées, il contemplait à travers une meurtrière l'étendue gelée de la Couronne. Sa voix n'avait pas perdu ni sa douceur ni le voile de menace dont il aimait draper chacun de ses mots, perceptible pour les habitués.
" Hâte-toi de retrouver toutes tes capacités, mon frère. Nous n'avons pas le temps de te materner. Puisqu'ils ont jugé bon de te ramener, il serait bon que tu te rendes de nouveau utile et ce, dans les plus brefs délais. Ceux que nous servons ne tolèrent pas la fragilité. "
Fragile, je l'étais pourtant, ô combien. Je n'ai pas répondu, mais je n'ai pas non plus baissé les yeux quand son regard vide m'a transpercé.
Une Lame au service de son Roi... Comme ces mots sonnaient vide, à présent.
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" Je viendrai à toi. "
Elle, droite et altière, forte, décidée. Elle n'aurait eu aucun mal à me tuer dans mon état, mais ni sa voix, ni ses yeux, ni ses gestes n'étaient marqués du sceau de l'hostilité - loin, très loin de là.
" Je vous protégerai. "
Le sourire discret de Ceralynde. Tant et tant de souvenirs se pressaient dans ma mémoire embrumée et confuse qu'il m'était difficile de faire le tri. Toutes deux cherchaient à m'instruire de ce que j'avais manqué durant mon absence, mais je ne comprenais qu'une chose sur deux. J'ignorais qu'une ancienne ennemie, combattue maintes et maintes fois, pouvait tenir à moi à ce point, mais déjà j'entrevoyais la vérité. Dans sa voix, dans ses yeux, dans ses gestes. Et dans la façon dont ma propre poitrine me brûlait.
Plus besoin de mots pour crier l'évidence quand nous nous sommes serrés l'un contre l'autre. Mes bras autour d'elle, ses mains contre mon dos, nous nous sommes étreints comme deux désespérés, comme deux amants qui auraient trop attendu à force de se défier l'un l'autre. Mais je n'ai pas trouvé d'apaisement sur ses lèvres. Juste l'écho des malheurs à venir.
" Je vous protégerai. "
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Je venais tout juste de revenir, et tout était déjà si compliqué.
Semelys- Personnages Joués : Mrrrrh...
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