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Pour bois et cuivres

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Pour bois et cuivres Empty Pour bois et cuivres

Message  Souvenir Lun 13 Nov 2023, 11:13

Boralus, quai numéro 17.

Symphonie pour outils, bois et cuivres. Le tempo n’a toujours pas décéléré : choc; coups sourds; grincement lent et profond d’une scie aux dents allant s’émoussant. Le faible ressac, canalisé par les quais et les digues, en contrepoint, murmure chuintant, cliquetis de galets lissés roulant sur le sable détrempé.

Les mouettes ricanent; le soleil roule, roule, roule à travers le ciel.

«Tu es encore là, à regarder ce bateau.»

Un grognement en réponse, seul son venant troubler la mélodie arythmique des charpentiers. Lui n’est qu’observateur silencieux dans la cascade résonnante; pourtant, lorsqu’il se tourne vers la femme qui l’interpelle, il se pare d’un bref sourire, qui disparaît vite sous la broussaille de son épaisse moustache brunie.

«Et toi, tu es là à me regarder moi, Tara.»

Choc, cahot, crissement d’une scie. Tara Brimfellows pointe un doigt ganté vers la réserve de planches et de madriers déjà bien entamée.

«Je ne te savais pas consciencieux au point de surveiller que ton bois soit bien utilisé, Ben.»

Il ne répond pas, ou pas tout de suite, laissant le silence entre eux tanguer sur la houle du tapage ouvrier.

«Regarde; ils ont fait changer la voilure.»

Simple observation, comme une pensée échappée, alors qu’il ne se tourne pas même pour croiser le regard de son interlocutrice; ombrageuse, elle s’en serait peut-être offensée, mais il y a quelque chose dans l’immobilité tendue de «Gros Ben» qui l’intrigue et la pousse à scruter, elle aussi, les mâts arrangés et les voiles carguées à la toile d’un ambre éclatant dans la lumière du jour, à examiner les longs vestiges qui marquent encore le flanc du navire, trop noirs pour être d’incendie, cicatrices d’une sinistre magie.

«Cette femme, poursuit-il, a commandé à crédit des réparations et des modifications très onéreuses, avec du bois de mes meilleurs fournisseurs. Je ne sais pas comment elle a fait pour convaincre le maître-charpentier mais il a marché, alors qu’elle n’avait même pas de quoi caréner son navire.  
Et voilà qu’elle arrive, un beau jour, avec des sacs remplis de pièces d’or frappées du vieil emblème Gilnéen…»

Et elle part d’un grand éclat de rire, un rire si fou et si sauvage qu’il se sent obligé de pivoter pour la contempler, ses yeux pétillants clos par l’hilarité, son nez à la courbe cassée plissé, ses boucles noires dansant au rythme des soubresauts de ses épaules. Et l’intrépide capitaine s’avance, jusqu’au bord du quai, où les pierres lavées de l’humidité écumeuse verdissent d’algues et de mousses, et le menton levé toise la figure de proue, l’énorme rapace dont les serres semblent prêtes à fondre sur elle comme sur une proie insouciante du danger.

Si quelques calfats tournent un regard circonspect vers elle et son immense compagnon, elle ne s’en soucie guère, et un sourire poinçonnant ses lèvres elle se tourne vers lui :

«Un navire frappé par des flèches noires, des voiles destinées à faire danser le bateau sur les vagues, un trésor mystérieux… Quelque chose me dit qu’on entendra encore parler de cette Lune Rousse, mon vieux.»

C’est détournant le regard du si intriguant vaisseau qu’il marmonne, désabusé.

«Ça ne coûte rien de le dire.»

Et le bras passé dans le sien, elle l’entraîne vers le cœur de la ville, la foule agitée qui se presse autour des échoppes, les guinguettes éclairées de lampions, les crieurs enroués tâchant de rivaliser du coffre pour attirer les clients à eux.

Et derrière eux, au quai numéro 17, les ouvriers payés d’étrange monnaie ne ralentissent pas la cadence, et la mélopée des bois et des cuivres, des outils et des directives, accompagne le ressac qui use le dock, inlassablement, impatiemment.
Souvenir
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