Le pardon, envers et contre tout.
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Le pardon, envers et contre tout.
"Garrance !"
" Oui…" *une hésitation, craintive* "… mère ? "
"Venez ici… " *une autre hésitation, de rage et de mépris* "... ma fille".
Celle qui n’a pas encore dix ans, mais porte déjà sur ses frêles épaules tout le poids d’un sombre destin, s’approche de sa belle-mère, seconde épouse du Comte de Lestange, sixième du nom.
La femme qui la surplombe est, aux dires de tous, une des plus belles femmes du Royaume. C’est aussi, selon Garrance, certainement une des plus mauvaises. Vicieuse et sournoise, elle régit désormais sa belle-fille comme elle régit le choeur de ses courtisans, avec mépris et pragmatisme. Ce qui lui est inutile est mis de côté, nié, effacé, autant que faire se peut.
Garrance fait partie de ceux-là. Seule son ascendance lui a évité le renvoi dans les limbes. Mais cela ne saurait tarder, Garrance le sent. Sa belle-mère ne supporte plus de la voir évoluer sur le domaine, libre et heureuse.
Garrance s’avance en songeant au livre de contes qui trône sur sa table de chevet. Cette belle-mère acariâtre va-t’elle, comme celle de Blanche-Neige, l’envoyer dans les bois pour qu’un chasseur lui vole son coeur ? Elle a déjà essayé de l’empoisonner, en lui offrant des douceurs qui auraient pu l’étouffer si sa gouvernante ne l’avait pas alertée. Si les contes disent vrai, elle ne devrait pas tarder à s’en débarrasser, sans alerter son père vieillissant.
La petite fille s’incline avec déférence, sa robe de tulle délicatement ramassée entre ses doigts fins, tandis que ses genoux ploient et que ses jambes se croisent. Révérence mille fois répétée.
Baisser la tête, ne rien dire, attendre que la Comtesse se calme, ou applique une sentence venue de nulle part, qu’il faudra accepter sans rechigner.
Ne pas prendre pour elle ce qui n’est que rage et mépris, horreur de soi et amertume, d’une femme qui s’est égarée.
S’évader intérieurement vers les contrées rêvées que les contes magnifient.
Se remémorer les paroles sages du Chapelain de sa mère, devenu précepteur bienveillant d’une enfant qu’il aimerait tant pouvoir sauver de la haine.
Apprendre, comprendre, s’adapter.
Ce n’est pas un choix, ni même une volonté. C’est une question de survie.
« J’ai enfin trouvé le couvent qui peut vous accueillir. Vous partez demain, faites vos bagages pour plusieurs mois. Vous ne pourrez pas revenir avant un moment, c’est bien trop loin ».
Garrance se détend, même si rien ne le montre dans sa posture de marionnette docile. Cela aurait pu être pire. Partir au loin vers l’inconnu, quitter le domaine qui l’a vue naître, dire adieu à son père, peut-être même ne plus le revoir, devoir se priver des conseils aimants du Chapelain ne sont pas des projets qui la ravissent. Mais s’éloigner de celle qui la déteste, se construire loin de sa rancoeur, pouvoir évoluer dans l’amour plutôt que dans la haine, retrouver le goût de croire, laisser s’épanouir cette foi en la Vie qui ne cesse de pulser, voilà bien des projets qui scintillent comme de la poudre d’or disséminée sur son avenir.
Elle acquiesce, toujours silencieuse. Elle aimerait sauter de joie, courir voir son père une dernière fois, l’embrasser avec tendresse, faire le tour du domaine pour faire ses adieux et tout un tas de promesses de retour, virevolter comme Cendrillon réveillée de son cauchemar. Mais elle a appris, à se taire, à se figer, à attendre. Rien ne bouge, sinon ses jambes qui tremblent un peu sous la robe.
La belle-mère soupire avec un agacement grandissant, cette fille est décidément bien inutile. Vivement qu’elle disparaisse de sa vue.
« Et bien ?!? Qu’attendez vous ? Vous avez trois heures avant le coucher. Sachez au moins les mettre à profit ! ».
" Oui…" *une hésitation, craintive* "… mère ? "
"Venez ici… " *une autre hésitation, de rage et de mépris* "... ma fille".
Celle qui n’a pas encore dix ans, mais porte déjà sur ses frêles épaules tout le poids d’un sombre destin, s’approche de sa belle-mère, seconde épouse du Comte de Lestange, sixième du nom.
La femme qui la surplombe est, aux dires de tous, une des plus belles femmes du Royaume. C’est aussi, selon Garrance, certainement une des plus mauvaises. Vicieuse et sournoise, elle régit désormais sa belle-fille comme elle régit le choeur de ses courtisans, avec mépris et pragmatisme. Ce qui lui est inutile est mis de côté, nié, effacé, autant que faire se peut.
Garrance fait partie de ceux-là. Seule son ascendance lui a évité le renvoi dans les limbes. Mais cela ne saurait tarder, Garrance le sent. Sa belle-mère ne supporte plus de la voir évoluer sur le domaine, libre et heureuse.
Garrance s’avance en songeant au livre de contes qui trône sur sa table de chevet. Cette belle-mère acariâtre va-t’elle, comme celle de Blanche-Neige, l’envoyer dans les bois pour qu’un chasseur lui vole son coeur ? Elle a déjà essayé de l’empoisonner, en lui offrant des douceurs qui auraient pu l’étouffer si sa gouvernante ne l’avait pas alertée. Si les contes disent vrai, elle ne devrait pas tarder à s’en débarrasser, sans alerter son père vieillissant.
La petite fille s’incline avec déférence, sa robe de tulle délicatement ramassée entre ses doigts fins, tandis que ses genoux ploient et que ses jambes se croisent. Révérence mille fois répétée.
Baisser la tête, ne rien dire, attendre que la Comtesse se calme, ou applique une sentence venue de nulle part, qu’il faudra accepter sans rechigner.
Ne pas prendre pour elle ce qui n’est que rage et mépris, horreur de soi et amertume, d’une femme qui s’est égarée.
S’évader intérieurement vers les contrées rêvées que les contes magnifient.
Se remémorer les paroles sages du Chapelain de sa mère, devenu précepteur bienveillant d’une enfant qu’il aimerait tant pouvoir sauver de la haine.
Apprendre, comprendre, s’adapter.
Ce n’est pas un choix, ni même une volonté. C’est une question de survie.
« J’ai enfin trouvé le couvent qui peut vous accueillir. Vous partez demain, faites vos bagages pour plusieurs mois. Vous ne pourrez pas revenir avant un moment, c’est bien trop loin ».
Garrance se détend, même si rien ne le montre dans sa posture de marionnette docile. Cela aurait pu être pire. Partir au loin vers l’inconnu, quitter le domaine qui l’a vue naître, dire adieu à son père, peut-être même ne plus le revoir, devoir se priver des conseils aimants du Chapelain ne sont pas des projets qui la ravissent. Mais s’éloigner de celle qui la déteste, se construire loin de sa rancoeur, pouvoir évoluer dans l’amour plutôt que dans la haine, retrouver le goût de croire, laisser s’épanouir cette foi en la Vie qui ne cesse de pulser, voilà bien des projets qui scintillent comme de la poudre d’or disséminée sur son avenir.
Elle acquiesce, toujours silencieuse. Elle aimerait sauter de joie, courir voir son père une dernière fois, l’embrasser avec tendresse, faire le tour du domaine pour faire ses adieux et tout un tas de promesses de retour, virevolter comme Cendrillon réveillée de son cauchemar. Mais elle a appris, à se taire, à se figer, à attendre. Rien ne bouge, sinon ses jambes qui tremblent un peu sous la robe.
La belle-mère soupire avec un agacement grandissant, cette fille est décidément bien inutile. Vivement qu’elle disparaisse de sa vue.
« Et bien ?!? Qu’attendez vous ? Vous avez trois heures avant le coucher. Sachez au moins les mettre à profit ! ».
Garrance (de) Lestange
Re: Le pardon, envers et contre tout.
Les bagages sont prêts depuis la veille, ils attendent dans le hall. Deux malles et trois sacoches, tous ses effets y sont entassés.
Cela n’augure rien de bon, a maugréé la gouvernante chargée de tout empaqueter. Mais le Comte s’est absenté depuis déjà un mois, pour des affaires commerciales de haute importance, et personne n’est en mesure d’affronter la nouvelle maîtresse des lieux. Seul le Chapelain pourrait peut-être arranger ce qui ressemble bien à une éviction définitive si personne ne s’y oppose. Elle l’a donc fait prévenir et espère sa venue avant le départ de la petite fille.
Garrance a été réveillée de bon matin par le chat qui s’est glissé sous l’édredon, en quête d’un câlin qu’il sent peut-être dernier. Elle s’est ensuite préparée, plus joyeuse que triste, ne comprenant pas encore qu’elle va disparaître à jamais de son petit monde feutré.
Le Chapelain s’est présenté dès huit heures, alerté par un mot pourtant laconique. Bien qu’inquiet, il n’en est pas étonné. Le projet de la Comtesse n’a jamais été secret. Au contraire il a été longuement préparé, présenté comme bénéfique, nécessaire, voulu pour améliorer l’éducation d’une petite fille sensible, chamboulée par le deuil. Le Comte n’y a vu que du feu.
Lorsqu’il frappe à l’huis, Aldebert Virelmont ne sait même pas s’il sera reçu. Mais il compte sur l’impossible renvoi d’un précepteur respecté par le maître des lieux, en souvenir de sa défunte épouse. La gouvernante l’accueille avec empressement, Mademoiselle Garrance est dans ses appartements, elle n’a que peu de temps, mais le Chapelain est autorisé à la confesser, puisque c’est la raison invoquée.
La Comtesse a accepté, avec une délectation sournoise. Quand bien même elle s’en méfie, elle le sait peu dangereux. Il ne peut rien empêcher aujourd’hui et ne représente aucun danger, à terme. Tout juste pourra-t’il tenter de raccommoder les liens distendus entre père et fille. Mais elle se fait fort d’étourdir le Comte. L’esprit est faible, lorsque la chair est flattée. Dans quelques semaines il aura oublié sa défunte et cette affreuse fille qui la lui rappelait.
Garrance n’a bien évidemment aucun aveu à faire, sinon d’être allée en cachette faire ses adieux à Elma, la Vieille aux hiboux, alors qu’on la croyait endormie. Mais cela n’avait rien d’exceptionnel. Celle que tous les bien-pensants relèguent avec mépris au fond des bois quand ils n’ont pas besoin de ses potions ou de ses baumes, accueille régulièrement Garrance. Dans le secret d’une pauvre cabane, la petite fille a retrouvé une confidente perdue, en remplacement de sa mère, emportée par la maladie, quatre ans plus tôt.
Depuis qu’elle a croisé son chemin, un jour de promenade solitaire du côté de l’étang, la vieille femme l’a accueillie chaque jour dans son royaume boisé. Elle l’a aidée à affronter ses peurs et ses douleurs en lui offrant le monde invisible et ses trésors, celui que personne d’autre ne voit ni ne comprend, hormis les fous et les rêveurs.
Pour la fillette, la vieille Elma est une sorcière de contes, mystérieuse et secrète, magique et inquiétante, merveilleuse et toute espérance. Elle n’a pas son pareil pour expliquer l’inexplicable, ouvrir les portes des prisons dorées, emmener par delà les filtres du visible, faire miroiter les destins les plus fous, croire au jeu de la vie. Et Garrance en a bien besoin.
Mais elle n’est pas stupide. Elle sait que sa gouvernante cherche à la protéger, l’envelopper de conseils avisés, la prémunir des déceptions à venir. Or, qui mieux qu’un homme de foi, devenu précepteur, pourra lui offrir les armes nécessaires. Garrance n’en attend rien, mais se plie de bon gré aux injonctions diverses.
Le Chapelain arrive empressé, il a perdu son assurance tranquille. Tout à coup le voilà inquiet. Il espérait avoir plus de temps pour préparer celle qui, chaque jour un peu plus, lui rappelle la jeune comtesse décédée. Il l’aimait en secret, sans n’en avoir jamais rien montré, et surtout rien dit. On devrait toujours dire son amour, avant qu’il ne soit trop tard.
Au fil des jours et des leçons, il s’est pris d’affection pour cette enfant rejetée. Le portrait craché de sa mère, vive et légère, enthousiaste et tellement pleine de vie. Impossible de ne pas l’aimer, sauf à lui en vouloir d’être ce qu’elle est, sans pouvoir la posséder. Il s’en veut de n’avoir pas été plus avisé quant aux projets mortifères de la Comtesse. Il s’est laissé emporter par sa passion du savoir et des connaissances. Il aurait dû mieux la préparer, l’armer pour affronter le monde, lui offrir une foi indéfectible. Il craint qu’elle ne reste à jamais marquée par la haine que la Comtesse lui porte. Il craint pour son salut, il craint pour sa foi, il craint pour son âme. Ce n’est pas une petite fille qu’il est venu voir, mais une future jeune femme qu’il imagine pleine de rancoeur et de rage, incapable de pardon, à jamais perdue sur le chemin du Bien.
Mais il est comme les autres, il ne la connaît pas. Depuis le temps qu’elle louvoie entre une belle-mère manipulatrice, un père aveugle et une maisonnée impuissante, son caractère s’est endurci malgré les rires d’une enfance volée. Il n’a pas compris ce qui se cachait derrière les yeux pétillants et les sourires espiègles. Car ils sont sincères, mais non point candides. Ils sont ceux d’une enfance volée par les adultes, mais transformée par l’acuité d’un jugement solitaire et l’intelligence de la vie. Cette vie qui se joue des obstacles en proposant des sorts pour les dépasser, comme ceux d’une vieille herboriste, régulièrement distillés dans le secret des contes et des sortilèges.
Cela n’augure rien de bon, a maugréé la gouvernante chargée de tout empaqueter. Mais le Comte s’est absenté depuis déjà un mois, pour des affaires commerciales de haute importance, et personne n’est en mesure d’affronter la nouvelle maîtresse des lieux. Seul le Chapelain pourrait peut-être arranger ce qui ressemble bien à une éviction définitive si personne ne s’y oppose. Elle l’a donc fait prévenir et espère sa venue avant le départ de la petite fille.
Garrance a été réveillée de bon matin par le chat qui s’est glissé sous l’édredon, en quête d’un câlin qu’il sent peut-être dernier. Elle s’est ensuite préparée, plus joyeuse que triste, ne comprenant pas encore qu’elle va disparaître à jamais de son petit monde feutré.
Le Chapelain s’est présenté dès huit heures, alerté par un mot pourtant laconique. Bien qu’inquiet, il n’en est pas étonné. Le projet de la Comtesse n’a jamais été secret. Au contraire il a été longuement préparé, présenté comme bénéfique, nécessaire, voulu pour améliorer l’éducation d’une petite fille sensible, chamboulée par le deuil. Le Comte n’y a vu que du feu.
Lorsqu’il frappe à l’huis, Aldebert Virelmont ne sait même pas s’il sera reçu. Mais il compte sur l’impossible renvoi d’un précepteur respecté par le maître des lieux, en souvenir de sa défunte épouse. La gouvernante l’accueille avec empressement, Mademoiselle Garrance est dans ses appartements, elle n’a que peu de temps, mais le Chapelain est autorisé à la confesser, puisque c’est la raison invoquée.
La Comtesse a accepté, avec une délectation sournoise. Quand bien même elle s’en méfie, elle le sait peu dangereux. Il ne peut rien empêcher aujourd’hui et ne représente aucun danger, à terme. Tout juste pourra-t’il tenter de raccommoder les liens distendus entre père et fille. Mais elle se fait fort d’étourdir le Comte. L’esprit est faible, lorsque la chair est flattée. Dans quelques semaines il aura oublié sa défunte et cette affreuse fille qui la lui rappelait.
Garrance n’a bien évidemment aucun aveu à faire, sinon d’être allée en cachette faire ses adieux à Elma, la Vieille aux hiboux, alors qu’on la croyait endormie. Mais cela n’avait rien d’exceptionnel. Celle que tous les bien-pensants relèguent avec mépris au fond des bois quand ils n’ont pas besoin de ses potions ou de ses baumes, accueille régulièrement Garrance. Dans le secret d’une pauvre cabane, la petite fille a retrouvé une confidente perdue, en remplacement de sa mère, emportée par la maladie, quatre ans plus tôt.
Depuis qu’elle a croisé son chemin, un jour de promenade solitaire du côté de l’étang, la vieille femme l’a accueillie chaque jour dans son royaume boisé. Elle l’a aidée à affronter ses peurs et ses douleurs en lui offrant le monde invisible et ses trésors, celui que personne d’autre ne voit ni ne comprend, hormis les fous et les rêveurs.
Pour la fillette, la vieille Elma est une sorcière de contes, mystérieuse et secrète, magique et inquiétante, merveilleuse et toute espérance. Elle n’a pas son pareil pour expliquer l’inexplicable, ouvrir les portes des prisons dorées, emmener par delà les filtres du visible, faire miroiter les destins les plus fous, croire au jeu de la vie. Et Garrance en a bien besoin.
Mais elle n’est pas stupide. Elle sait que sa gouvernante cherche à la protéger, l’envelopper de conseils avisés, la prémunir des déceptions à venir. Or, qui mieux qu’un homme de foi, devenu précepteur, pourra lui offrir les armes nécessaires. Garrance n’en attend rien, mais se plie de bon gré aux injonctions diverses.
Le Chapelain arrive empressé, il a perdu son assurance tranquille. Tout à coup le voilà inquiet. Il espérait avoir plus de temps pour préparer celle qui, chaque jour un peu plus, lui rappelle la jeune comtesse décédée. Il l’aimait en secret, sans n’en avoir jamais rien montré, et surtout rien dit. On devrait toujours dire son amour, avant qu’il ne soit trop tard.
Au fil des jours et des leçons, il s’est pris d’affection pour cette enfant rejetée. Le portrait craché de sa mère, vive et légère, enthousiaste et tellement pleine de vie. Impossible de ne pas l’aimer, sauf à lui en vouloir d’être ce qu’elle est, sans pouvoir la posséder. Il s’en veut de n’avoir pas été plus avisé quant aux projets mortifères de la Comtesse. Il s’est laissé emporter par sa passion du savoir et des connaissances. Il aurait dû mieux la préparer, l’armer pour affronter le monde, lui offrir une foi indéfectible. Il craint qu’elle ne reste à jamais marquée par la haine que la Comtesse lui porte. Il craint pour son salut, il craint pour sa foi, il craint pour son âme. Ce n’est pas une petite fille qu’il est venu voir, mais une future jeune femme qu’il imagine pleine de rancoeur et de rage, incapable de pardon, à jamais perdue sur le chemin du Bien.
Mais il est comme les autres, il ne la connaît pas. Depuis le temps qu’elle louvoie entre une belle-mère manipulatrice, un père aveugle et une maisonnée impuissante, son caractère s’est endurci malgré les rires d’une enfance volée. Il n’a pas compris ce qui se cachait derrière les yeux pétillants et les sourires espiègles. Car ils sont sincères, mais non point candides. Ils sont ceux d’une enfance volée par les adultes, mais transformée par l’acuité d’un jugement solitaire et l’intelligence de la vie. Cette vie qui se joue des obstacles en proposant des sorts pour les dépasser, comme ceux d’une vieille herboriste, régulièrement distillés dans le secret des contes et des sortilèges.
Garrance (de) Lestange
Re: Le pardon, envers et contre tout.
C’est l’heure du départ. Enfin, se dit Garrance que le discours certes bienveillant mais totalement inadapté du Chapelain, a fini de convaincre. Sa place n’est plus ici, personne ne la comprend, sinon la vieille Elma qui l’a exhortée à voir le bon côté de cet exil forcé.
« Là bas, ils essayeront eux aussi de te briser, ou du moins de te contrôler, mais tu sais désormais que rien de ce qui est visible n’est réel. Tout est dans la perception de ce qui t’arrive, tâche de t’y entrainer et d’en faire ta force ».
La fillette n’a pas tout compris, mais elle a ressenti en son coeur que la vieille femme lui offrait les clés du seul véritable Eden, la conscience d’elle même pour survivre au sein du vaste monde.
Aldebert Virelmont veut bien faire mais il n’a pas cette conscience. Aveuglé par sa Foi, il en a conçu une vision de la vie bien trop détachée des « basses considérations » qui sont pourtant le lot d’une petite fille soumise à la loi parentale. Garrance a appris à deviner ce qui ne peut se dire, voir ce qui ne se montre pas, entendre ce qui reste tu, mais elle reste vulnérable, sensible, en attente d’une présence aimante pour ne pas affronter seule les vicissitudes de la vie. Les préceptes bien pensants du Chapelain, quoique bienveillants et même probablement aimants, ne lui sont plus d’aucune utilité.
Heureusement qu’avant de la laisser partir la veille au soir, l’ancienne Elma l’a enveloppée d’un châle qu’elle avait imprégné d’un sort très puissant censé la protéger par delà les grilles du domaine.
« Je sais depuis un moment qu’elle allait t’éloigner et que tu allais quitter cet endroit. J’ai préparé ce châle spécialement pour toi. Lors de la dernière nuit de pleine lune, je l’ai fait tremper dans un filtre qui éloigne les forces du Mal. Evite de le laver, et bien sûr de le perdre. Il te sera d’un grand secours, je l’ai vu en rêve ».
Assis sur le fauteuil qui lui fait face, le Chapelain évoque longuement les pouvoirs de la Lumière, les trois vertus associées, les fondements d’une vie altruiste, et les règles qu’elle va devoir apprendre au couvent, afin de mener une vie « bonne », jusqu’à ce que « la mort la délivre ». Mais la délivre de quoi ? Faut-il donc attendre toute sa vie durant un bonheur qui ne sera jamais accessible de son vivant ? Les préceptes de cet enseignement font plus office de sentences que de soutien, et encore moins d’espoirs ou de rêves.
Tandis qu’il les récite comme s’il essayait de s’en convaincre lui-même - ce qui est sans doute le cas - Garrance s’est enveloppée du châle offert. Une large étole de laine tissée avec du coton soyeux aux couleurs d’automne chatoyantes que la gouvernante a déployée tôt le matin d’un air suspicieux en fronçant le nez, tellement la couverture semble d’un autre âge.
« Je n’ai jamais vu ce plaid, d’où cela vient-il ? Vous comptez l’emporter ? ».
Occupée à trier quelque livres à emporter, la fillette avait stoppé net son élan, les sens en alerte. Se retournant le plus lentement possible, pour avoir la contenance adéquate, elle avait alors regardé la femme dans le fond de ses yeux clairs. Les paroles prononcées avaient résonné d’un ton sûr et sans appel.
« On me l‘a offert, et il m’est donc précieux. Bien sûr que je l’emporte, mais il restera hors de la malle, je le veux près de moi ».
Si la gouvernante s’en était étonnée, elle ne l’avait pas montré. Peut-être ce plaid lui venait il après tout de sa défunte mère, même si le « on » appuyé semblait cacher une source moins convenable. Peu importait. L’enfant s’en allait pour une durée indéterminée, peut-être même illimitée, elle n’allait tout de même pas lui enlever un objet aussi commun, fût il étrange dans un trousseau de fillette.
Emmitouflée dans le châle qui fait office de seconde peau, Garrance a donc laissé la rêverie l’emporter loin du Chapelain. Si, encore la veille, elle espérait de lui une aide quelconque, elle a très vite compris qu’elle ne peut plus rien espérer de celui qui pourtant dit l’aimer. Il semble faire contre mauvaise fortune bon coeur, acceptant cet exil sans remettre en cause ses fondements. Etrange comme les adultes ont vite fait d’oublier ce qu’ils sont, de nier leur propre vérité, d’occulter ce qui dérange leur conscience.
Il refuse de voir qu’on ne l’envoie pas au loin pour l’éduquer mais pour la faire taire, l’effacer, la tuer symboliquement. En se convainquant lui-même du bien-fondé de son départ, il devient complice de l’exil forcé d’une enfant qui n’a commis ni crime, ni méfait, sinon celui de vouloir être elle-même.
« Je vous sais intelligente, Garrance. Vous trouverez vite de quoi étancher votre soif de connaissances ».
Il parle de lui rendre visite, mais il ne semble pas y croire lui-même. Il promet de se tenir au courant, de son avancée, de ses lectures, de ses leçons, de son travail. Mais à aucun moment, par pudeur ou par lâcheté, il n’évoque la vie qu’elle va mener, les rencontres et les amitiés possibles, les obstacles qu’elle va devoir affronter, le soutien qu’elle trouvera peut-être au couvent, et encore moins une présence aimante. La Lumière doit pourvoir à Tout. Ne l’a-t-il pas d’ailleurs éduquée en ce sens ?
Lorsque la gouvernante vient frapper à la porte pour annoncer le départ imminent, la fillette se lève d’un bond, comme un ressort trop longtemps contenu. Voilà enfin l’heure de la délivrance. Elle ne doute pas de pouvoir se laisser aller à la rêverie, une fois seule dans la calèche. La solitude est son amie.
En faisant un dernier signe aux rares personnes venues lui dire adieu, elle ne s’imagine alors ni triste, ni inquiète, juste ravie d’échapper au sermon empesé du Chapelain. Mais la durée du voyage se charge de fissurer son enthousiasme solitaire. La nuit fait place à l’aube lorsqu’elle arrive enfin en vue du couvent, installé au creux d’une vallée encaissée, dans une région dont elle ignore même le nom.
Toujours emmitouflée dans son châle, les rêves ont laissé place aux questions et elle a épuisé toutes ses forces de vie à force de chercher des réponses. C’est une fillette enfiévrée qui est alors déposée sur le lit d’un dortoir éveillé où une vingtaine de couventines s’égaillent, toutes excitées à l’idée d’accueillir une nouvelle soeur, la plus jeune d’entre elles.
« Là bas, ils essayeront eux aussi de te briser, ou du moins de te contrôler, mais tu sais désormais que rien de ce qui est visible n’est réel. Tout est dans la perception de ce qui t’arrive, tâche de t’y entrainer et d’en faire ta force ».
La fillette n’a pas tout compris, mais elle a ressenti en son coeur que la vieille femme lui offrait les clés du seul véritable Eden, la conscience d’elle même pour survivre au sein du vaste monde.
Aldebert Virelmont veut bien faire mais il n’a pas cette conscience. Aveuglé par sa Foi, il en a conçu une vision de la vie bien trop détachée des « basses considérations » qui sont pourtant le lot d’une petite fille soumise à la loi parentale. Garrance a appris à deviner ce qui ne peut se dire, voir ce qui ne se montre pas, entendre ce qui reste tu, mais elle reste vulnérable, sensible, en attente d’une présence aimante pour ne pas affronter seule les vicissitudes de la vie. Les préceptes bien pensants du Chapelain, quoique bienveillants et même probablement aimants, ne lui sont plus d’aucune utilité.
Heureusement qu’avant de la laisser partir la veille au soir, l’ancienne Elma l’a enveloppée d’un châle qu’elle avait imprégné d’un sort très puissant censé la protéger par delà les grilles du domaine.
« Je sais depuis un moment qu’elle allait t’éloigner et que tu allais quitter cet endroit. J’ai préparé ce châle spécialement pour toi. Lors de la dernière nuit de pleine lune, je l’ai fait tremper dans un filtre qui éloigne les forces du Mal. Evite de le laver, et bien sûr de le perdre. Il te sera d’un grand secours, je l’ai vu en rêve ».
Assis sur le fauteuil qui lui fait face, le Chapelain évoque longuement les pouvoirs de la Lumière, les trois vertus associées, les fondements d’une vie altruiste, et les règles qu’elle va devoir apprendre au couvent, afin de mener une vie « bonne », jusqu’à ce que « la mort la délivre ». Mais la délivre de quoi ? Faut-il donc attendre toute sa vie durant un bonheur qui ne sera jamais accessible de son vivant ? Les préceptes de cet enseignement font plus office de sentences que de soutien, et encore moins d’espoirs ou de rêves.
Tandis qu’il les récite comme s’il essayait de s’en convaincre lui-même - ce qui est sans doute le cas - Garrance s’est enveloppée du châle offert. Une large étole de laine tissée avec du coton soyeux aux couleurs d’automne chatoyantes que la gouvernante a déployée tôt le matin d’un air suspicieux en fronçant le nez, tellement la couverture semble d’un autre âge.
« Je n’ai jamais vu ce plaid, d’où cela vient-il ? Vous comptez l’emporter ? ».
Occupée à trier quelque livres à emporter, la fillette avait stoppé net son élan, les sens en alerte. Se retournant le plus lentement possible, pour avoir la contenance adéquate, elle avait alors regardé la femme dans le fond de ses yeux clairs. Les paroles prononcées avaient résonné d’un ton sûr et sans appel.
« On me l‘a offert, et il m’est donc précieux. Bien sûr que je l’emporte, mais il restera hors de la malle, je le veux près de moi ».
Si la gouvernante s’en était étonnée, elle ne l’avait pas montré. Peut-être ce plaid lui venait il après tout de sa défunte mère, même si le « on » appuyé semblait cacher une source moins convenable. Peu importait. L’enfant s’en allait pour une durée indéterminée, peut-être même illimitée, elle n’allait tout de même pas lui enlever un objet aussi commun, fût il étrange dans un trousseau de fillette.
Emmitouflée dans le châle qui fait office de seconde peau, Garrance a donc laissé la rêverie l’emporter loin du Chapelain. Si, encore la veille, elle espérait de lui une aide quelconque, elle a très vite compris qu’elle ne peut plus rien espérer de celui qui pourtant dit l’aimer. Il semble faire contre mauvaise fortune bon coeur, acceptant cet exil sans remettre en cause ses fondements. Etrange comme les adultes ont vite fait d’oublier ce qu’ils sont, de nier leur propre vérité, d’occulter ce qui dérange leur conscience.
Il refuse de voir qu’on ne l’envoie pas au loin pour l’éduquer mais pour la faire taire, l’effacer, la tuer symboliquement. En se convainquant lui-même du bien-fondé de son départ, il devient complice de l’exil forcé d’une enfant qui n’a commis ni crime, ni méfait, sinon celui de vouloir être elle-même.
« Je vous sais intelligente, Garrance. Vous trouverez vite de quoi étancher votre soif de connaissances ».
Il parle de lui rendre visite, mais il ne semble pas y croire lui-même. Il promet de se tenir au courant, de son avancée, de ses lectures, de ses leçons, de son travail. Mais à aucun moment, par pudeur ou par lâcheté, il n’évoque la vie qu’elle va mener, les rencontres et les amitiés possibles, les obstacles qu’elle va devoir affronter, le soutien qu’elle trouvera peut-être au couvent, et encore moins une présence aimante. La Lumière doit pourvoir à Tout. Ne l’a-t-il pas d’ailleurs éduquée en ce sens ?
Lorsque la gouvernante vient frapper à la porte pour annoncer le départ imminent, la fillette se lève d’un bond, comme un ressort trop longtemps contenu. Voilà enfin l’heure de la délivrance. Elle ne doute pas de pouvoir se laisser aller à la rêverie, une fois seule dans la calèche. La solitude est son amie.
En faisant un dernier signe aux rares personnes venues lui dire adieu, elle ne s’imagine alors ni triste, ni inquiète, juste ravie d’échapper au sermon empesé du Chapelain. Mais la durée du voyage se charge de fissurer son enthousiasme solitaire. La nuit fait place à l’aube lorsqu’elle arrive enfin en vue du couvent, installé au creux d’une vallée encaissée, dans une région dont elle ignore même le nom.
Toujours emmitouflée dans son châle, les rêves ont laissé place aux questions et elle a épuisé toutes ses forces de vie à force de chercher des réponses. C’est une fillette enfiévrée qui est alors déposée sur le lit d’un dortoir éveillé où une vingtaine de couventines s’égaillent, toutes excitées à l’idée d’accueillir une nouvelle soeur, la plus jeune d’entre elles.
Garrance (de) Lestange
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