Vieilles et nouvelles peurs
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Vieilles et nouvelles peurs
Ma chère enfant, ma petite Thenna,
Je souhaite que cette lettre te trouve à temps et que tu me pardonnes. Nous n'aurions jamais dû te laisser dans cette ville si loin de nous. Magie ou pas, opportunités ou pas, ta place était à nos côtés où nous pouvions te regarder grandir et devenir la guerrière que tu méritais d'être. Mais tu ne souffriras bientôt plus de notre erreur.
Quand tu recevras cette lettre, ton père et moi aurons déjà quitté Gilnéas pour te retrouver. Il n'y a pas de mur assez haut, de châtiment assez sévère ni d'armée assez nombreuse pour barrer la route à ta mère. Nous t'enlèverons aux mages impotents et te ramèneront chez nous en sécurité, où le mal indicible qui a émergé de Lordaeron ne saura pas planter ses griffes.
Jusqu'à notre arrivée, sois brave ma fille et rappelle toi la devise de notre famille : Solide comme le roc et vif comme le vent.
Ta mère qui t'aime.
***
"_Tu as eu le temps de pratiquer tes sortilèges avant le départ ? demanda Thenna à sa fille derrière elle.
_Oui, mais personne ne m'a vraiment dit ce qu'on allait affronter alors c'est difficile de savoir quoi préparer..." répondit celle-ci.
Les deux humaines offraient un contraste certain dans les couloirs de Dalaran. Thenna, gilnéenne menue marchant avec assurance et Alice, qui par une tête de plus révélait ses origines des Grisonnes et semblait glisser comme une ombre discrète derrière sa mère adoptive.
"_C'est pour ça que j'aurais voulu que tu apprennes plus de sorts offensifs, dit-encore celle-ci. La meilleure défense, c'est l'attaque.
_Hmm, le professeur Witwick dit qu'en magie, la planification et l'organisation sont la meilleure défense.
_Evidemment qu’il dit ça. Il est professeur d’abjuration ! rétorqua Thenna. De toute façon, pour ce que je me souviens de Bernie, sa meilleure défense c'était la cire à chaussure."
Puis d'ajouter devant l'air interdit de sa fille :
"Et une langue bien-"
Elle n'eut toutefois pas le temps de finir sa phrase que les fenêtres à deux pas volèrent en éclat. Thenna eut le réflexe de saisir sa fille pour la protéger, mais ne sentit aucun bris de verre l’atteindre, car la jeune fille avait elle-même eu le réflexe de produire un bouclier de protection. Le poil d'autant plus hérissé que l'explosion avait provoqué sa transformation immédiate en worgen, la gilnéenne sauta par l'ouverture pour voir ce qui se passait, bousculant au passage ceux qui en avaient assez vu et couraient se mettre à l'abri.
Elle n'eut que peu de pas à faire pour découvrir le chaos qui s'était emparé de la ville : les mages criaient, les tours de Dalaran tombaient, les sortilèges fusaient. Poussière et gravats emplissaient l’air, rappelant l’époque terrible où l’archidémon avait pris la ville à bras le corps pour la détruire. Mais cette fois, Thenna n'était plus une adolescente éplorée attendant une mère qui ne viendrait jamais. Elle était une mage, une worgen et une combattante accomplie. Elle était aussi elle-même une mère avec sa propre fille à protéger. Ses peurs, les vieilles irrésolues comme les nouvelles, nourrissaient la rage de sa malédiction qui à son tour amplifiait l'ardeur de ses sortilèges.
“Solide comme le roc et vif comme le vent !” récita-t-elle en provocation à l’ennemi.
C'était d'ailleurs une bonne chose qu'elle soit déjà en arme et en armure car il ne tarda pas à se présenter. Portés par six des huit pattes à leur disposition, les nérubiens arrivèrent en trombe sur sa position et déjà Thenna leur trouva quelque chose de peu commun. D'un coup de son bâton enchanté, elle libéra une explosion arcanique déstabilisant la charge ennemie, avant d'aveugler les yeux trop nombreux à son goût d'un revers enflammé. C'est à leur réaction vive qu'elle comprit alors : ces nérubiens n'étaient pas les zombies du Fléau, aux yeux éteints et à la gueule béante, tout juste bons à griffer et à vomir de la toile. Ils étaient vivants, assez habiles pour manier des armes et assez agiles pour poser problème au contact.
Luttant pour bloquer les coups, la worgen ne dut réellement son salut qu’à une barrière arcanique opportune lancée par sa fille, qui lui permit de porter ses frappes ensorcelées sans crainte de représailles. Cédant au sentiment grisant d’enfin venger la petite fille effrayée nichant au creux de ses entrailles, elle puisa plus encore dans ses réserves magiques pour envelopper l’ennemi dans une déferlante de flammes.
“JE SUIS UNE TEMPÊTE DE FEU ! rugit-elle avec la voix grondante d’un brasier, puis un rire pareil à celui d’un gnoll : JE SUIS INVINCIBLE !”
Surchauffant la rue en un instant et flambant une poignée de nérubiens volants qui passaient par là, la mage ne redescendit sur terre qu’après avoir vu ses adversaires rendre leurs derniers spasmes. Elle se tourna alors vers sa fille qui terminait de barricader les fenêtres brisées avec une barrière magique plane, sans doute à capacité filtrante.
“_C’est très bien ma chérie ! cria-t-elle d’une voix fière. Maintenant, attaque !
_Il faut évacuer maman ! lança la jeune fille en réponse.
_Quoi ?! Qui t'a dit ça ?!
_Tout le monde dit ça ! Le professeur Witwick dit qu’on doit aller à l’aire de Krasus !
_Soyez raisonnable madame et écoutez votre fille ! ajouta le mage rondouillard qui apparut à côté d’Alice.
_FERME LA BERNIE ! TA BOUCHE SENT LES PIEDS ! aboya la worgen, avant de revenir à contrecœur dans le bâtiment, à l’abri des barrières d’arcane. Et c’est mademoiselle !”
Elle pesta entre ses crocs. Elle ne voulait pas rester à nouveau cloîtrée dans la peur en attendant que l’attaque passe. Pas cette fois. Elle savait se battre et elle voulait le faire jusqu’au bout ! D’un autre côté, ce qu’elle cherchait à protéger était déjà tout près.
“_Maman, qu’est-ce que tu faisais dehors ? s’enquit Alice. Tu aurais pu les attirer ici !
_Ça s’appelle une thérapie par l’exposition ! On en reparlera si tu veux !
_Qu’est-ce que vous avez à la nuque ? demanda Bernie Witwick, plus suspicieux qu’inquiet.
_C’est rien du tout ! gronda Thenna en chassant de ses griffes la fine pellicule cristalline qui s’était formée sur sa peau. On avance maintenant ?!”
Guidées par le professeur assermenté, les mages cheminèrent prestement dans les couloirs qui devaient déboucher sur une rue menant à l’aire de Krasus. En chemin, la gilnéenne s’évertuait à gratter le “rien du tout” qui s’était formé sous son armure. Faute d’avoir pu continuer ses recherches sur le sujet, la cristallisation de magie sauvage qui affligeait son corps s’aggravait, ce qui l’agaçait en plus du reste. Les odeurs de peur et de sang, la respiration sifflante de Witwick, le vacarme des combats dehors… Rien de tout ça n’était bon pour ses sens amplifiés par la malédiction, aussi Thenna choisit-elle de se focaliser sur sa fille dont la nervosité était tout à fait à propos.
“_Ne t’inquiète pas, on ne se quitte plus dorénavant, voulut-elle la rassurer.
_Hmm… D’accord, acquiesça Alice sans qu’on sache si elle se fiait à la promesse de sa mère ou prévoyait déjà d’anticiper son comportement habituel.
_Nous allons bientôt pouvoir sortir, prévint Witwick. Alors ce serait une bonne idée de-”
Mais déjà un premier imprévu se présenta quand une tour s’effondra en travers du bâtiment et barra la route au groupe. Thenna qui fit pour une fois preuve de retenue emporta Alice dans un transfert arrière, alors que Bernie disparaissait de l’avant, dans sa combinaison favorite d’abjuration et de transmutation. Pendant plusieurs bruyantes secondes, tout ne fut que poussière opaque et débris rebondissants, heureusement stoppés par une barrière levée par Alice.
“_Vous allez bien ?! appela Bernie, de l’autre côté de l’effondrement. La voie est bloquée, je vais essayer de déblayer !
_Avec quelle magie, au juste ? répliqua Thenna. Tu sais seulement protéger les choses, pas les détruire !”
Vues de près, les flèches de Dalaran n’étaient vraiment plus si graciles, surtout après un passage au travers de deux étages habitables. Le ciel bleu était maintenant visible au travers de la bâtisse éventrée et le vent marin s’engouffrait par la brèche ouverte, soulevant le rideau de poussière pour révéler les nérubiens qui avançaient rapidement dans les décombres.
"JE PROTÉGERAI CETTE VILLE !" rugit la worgen en propulsant sur eux un sortilège dont on estimait les dommages matériels à plusieurs centaines de pièces d’or. Rien n’y faisait pourtant, le nombre chez les nérubiens semblait compenser l’imprudence.
Un bref coup d'œil en arrière pour surveiller Alice lui permit aussi de voir que la tour effondrée formait un passage vers le rebord de la ville et donc une échappatoire très directe.
“Très bien ! S’il faut évacuer, on y va maintenant !” cria Thenna en battant en retraite vers la brèche. “ON SAUTE, BERNIE ! ESSAYE D’EN FAIRE AUTANT !”
Saisissant sa fille sous le bras et une plume dans sa besace, elle s’engagea sur l’édifice renversé et à mi-chemin du vide sentit sa jambe se raidir et s’immobiliser, clouée au sol. Baissant le regard avec un juron, elle vit la formation de cristal ramper depuis sa patte et le long de sa jambe pour s’étendre au reste de son corps. Elle sentit avec un picotement électrique le phénomène se répéter depuis sa poitrine et ses poignets. Elle posa alors Alice devant elle et plaça la plume légère entre ses mains. Le piège de cristal l’empêchait de changer de forme pour s’adresser à sa fille avec son vrai visage, pour autant ses yeux pourpres luisants trouvèrent les siens, azurs.
“_Ma chérie. Il va falloir que tu sois brave.
_Attends maman, clama la fille qui ne semblait pas parée pour cette charge émotionnelle supplémentaire. On va réussir à te sortir de là, non ?
_Non, pas maintenant, objecta sa mère qui sentait déjà l’arcane rampante obstruer sa gorge et obscurcir sa vue. Mais tu y arriveras, je te fais confiance…
_Non, je peux… Consommer le mana ! Juste le temps que ça stabilise et qu’on saute toutes les deux !
_Je suis tellement fière… De la personne que tu es devenue…
_Écoute moi !”
D’un geste ample de ses bras luisants de cristal, la worgen projeta la jeune femme par-dessus le rebord de la ville volante et dans le vide. L’apprentie eut pour dernière vision de sa mère un jet de toile venu s’y attacher pour l’arracher à son support sur la flèche effondrée.
Caracolant dans les airs, en proie à une panique étourdissante, Alice sentit la plume lui échapper et disparaître malgré ses protestations stridentes. Assourdie par le sifflement de l’air à ses oreilles, elle fouilla le ciel sens dessus dessous à la recherche de tout et n’importe quoi et vit d’autres corps tomber dans l’ombre de Dalaran. Certains étaient probablement juste ça, des corps morts ballottés par le vent. D’autres des désespérés cherchant le salut dans l’eau, quelques uns sans doute qui réussiraient à mieux négocier la chute. Sur le rivage, il y avait déjà des évacués qui se regroupaient. Mais elle, il lui fallait vite trouver une solution.
“N’essayez pas d’utiliser le transfert pour éviter de tomber vers une mort certaine.” disait le manuel des Écoles de magie des arcanes, volume de la Transmutation. De toute façon, elle ne maîtrisait pas bien ce sort. Comment utiliser l’abjuration ici ? Une barrière hydrophobe la préserverait certainement de la noyade… Mais pas de l’impact. De l’élasticité, voilà ce qu’il fallait. Mais dans quelle mesure ? Et une combinaison des deux barrières peut-être ? Dans ce cas quel volume devait faire la barrière solide pour contenir la déformation de la barrière élastique ? Et l’air pour respirer ? Saisie par le besoin de poser ses calculs à l’écrit, la mage mit machinalement la main à sa besace où elle trouva… Sa plume de calligraphie, oui ! Le sortilège de chute lente requérait normalement une plume légère, mais c’était l’apanage de toutes les plumes, non ?
Saisissant fermement l’objet dans sa main, Alice prononça la formule qui permettait d’y transférer son poids et inversement. Immédiatement la plume prit les devants dans la chute, emportant l’humaine avec elle. Pour éviter d’être soufflée par le vent et potentiellement loin de l’île, il convenait de la lâcher au moment propice. Alors elle pourrait se soucier d’éventuelles barrières pour se protéger de l’eau et de ce qui y vivait.
C’est plus ou moins ainsi que les choses se déroulèrent ensuite : Alice lâcha la plume à quelques vingtaines de mètres au-dessus de l’eau et une bourrasque l’envoya toupiller sur le rivage, en direction des rochers. Une première barrière lui permit d’encaisser les chocs douloureux, puis un sortilège de garde élémentaire la fit ricocher sur les vagues, avant qu’elle finisse sa course dans le sable, la robe et les cheveux en désordre.
Elle sentit bien à son corps endolori que les boucliers n’avaient pas complètement fait leur office. C’était qu’elle arrivait au bout de ses réserves de mana, mais malheureusement pas de ses peines : Dans le ciel, les ennemis de Dalaran étaient passés à l’ultime étape de leur plan de destruction. Du moins, ça devait être l’ultime étape, car Alice n’imaginait pas ce qui pouvait arriver de pire qu’un trou noir fleurissant au cœur même de la ville. Dévorant de sa noirceur chaque édifice, le phénomène s’étendit jusqu’au point de rupture où il s’effondra, broyant la cité des mages dans son étreinte avant de la disperser dans une explosion retentissante. Le tout en un instant, le battement unique d’un cœur sombre.
Les débris de roche et de terre propulsés en tous sens n’allaient pas tarder à pleuvoir sur le rivage et Alice voulut d’abord précipitamment tracer ses runes de protection dans le sable. Ce serait rudimentaire, mais bien plus économique que de les projeter avec son mana. Elle en traça trois. Puis elle prit peur en entendant les premiers débris frapper l’eau et empoigna son bâton pour invoquer autour d’elle le tracé.
Le dôme de protection l’enveloppa avec un miroitement pourpre quelques secondes avant que l’ombre des débris se profile au-dessus d’elle et que la plage soit secouée de leurs impacts. Les rochers roulaient et rebondissaient, soulevant l’eau et le sable dans leur sillage, parfois se brisant les uns contre les autres et projetant des éclats meurtriers. Alice resta recroquevillée à terre, les mains agrippées à son bâton pendant de longues secondes, geignant quand un débris perçait le bouclier et frappait son corps. Même quand la pluie de roches s’arrêta enfin, elle resta immobile, haletante et le teint pâle, couverte de sueur froide, les phalanges douloureuses et le corps engourdi. La barrière de mana s’était dissipée d’elle-même. Elle avait soif. Elle voulut se relever mais trop vite. La tête lui tourna et retomba vite à la rencontre du sable, où sa vision s’obscurcit et le vacarme alentours se mua en bourdonnement imprécis…
Tortoka/Djigzyx
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