[Background] Au coeur de la Forêt

[Première partie du background d'un de mes prochains personnages]

Les pentes de la colline étaient calmes. On ne pouvait pas par contre dire qu'elles étaient silencieuses : les oiseaux chantaient tranquillement dans les arbres la surplombant. Mais il s'agissait d'un bruit sain, serein, doux comme de l'herbe fraiche. Aux pépiements, sans doute une belle nichée.

Son grand-père lui avait toujours appris à écouter la nature autour d'elle, à y entrer avec discrétion et fluidité afin de n'être qu'un maillon parmi tant d'autres de la chaîne. Ne pas prendre plus que nécessaire, mais rester consciente qu'il fallait aussi parfois tuer et s'approprier pour assouvir ses propres besoins. Tant que cela était fait avec respect, l'équilibre était respecté. Évidemment, la jeune fille était encore loin d'être un aussi bon trappeur que lui : tandis que le vieil homme chassait les animaux pour leur viande, leur graisse, leur fourrure, elle devait pour sa part s'occuper du bois, des peaux, du feu. Encore une fois, l'équilibre : chacun faisait ce qu'il savait et pouvait pour la survie du groupe, même si cela se révélait un fait de plus en plus frustrant pour l'adolescente.

Mais ce jour, enfin, était différent. Grand-Père récupérait de la blessure que lui avait fait hier un troll des glaces, et ainsi Shilka devait le rendre fier en ramenant sa première proie à la cabane. Sa chevelure noire de jais tirée en une queue de cheval, immobile sous une capuche pour ne pas être dérangée par le vent et la pluie, elle se tenait ainsi allongée depuis une heure derrière un arbre abattu par la foudre récente.

C'était la méthode de son aïeul : en embuscade, silencieuse autant de temps qu'il le faudrait, proche du point d'eau. Un bon chasseur ne traque pas sa proie, il l'attend était une des phrases qu'elle lui avait le plus entendue depuis que la jeune fille vivait à ses côtés, mais manifestement elle devait mal faire quelque chose : ce n'était plus la patience qui la gardait immobile, mais l'appréhension de la douleur qu'elle ressentirait en remuant enfin ses membres mal irrigués et engourdis par le froid.
De plus, Shilka se demandait si elle ne s'était pas endormie au moins une fois.

Le vent tourna pour la première fois de l'après-midi, chargé des effluves lointaines du nord. Fraicheur humide. Sève et ambre-graines. Sang humain. Shilka se figea net, le vieux fusil en argent de Grand-Père entre ses mains. A la direction du vent, cela venait de derrière le versant de la colline. Concentrée sur sa vue plutôt que son ouïe, avait-elle faillie à sa chasse en échouant à entendre un râle d'agonie ?



Sans réfléchir, la jeune fille se leva précipitamment, et ce qui était prévisible arriva. Avec un petit cri surpris, elle s'écroula sur des jambes qu'elle ne sentait plus, et son arme tomba dans les feuilles. Ainsi affalée sur la terre humide, le visage crotté, elle constata que son rythme cardiaque s'accélérait alors que la honte et la colère contre elle-même lui envahissaient l'esprit. Fermant les yeux, l'adolescente fit revenir les Mots à sa mémoire.

Le calme, Shilka. La maitrise de soi est la marque de l'Homme. C'est elle qui le sépare de la Bête. Garde ton sang froid, et ta main sera sûre. Chasse la colère de ton esprit, afin qu'il reste toujours affuté.

Le mantra commença à faire effet, stabilisant sa respiration alors que peu à peu chacun de ses membres se signalait présent. En passant sans y penser sa main sur son visage pour en ôter les feuilles collantes, elle grogna intérieurement d'avoir ainsi si bruyamment signalée sa position. Quoi qu'il y ait derrière cette colline, elle espérait que ça n'avait pas l'ouïe assez fine pour être passée outre le chant des oiseaux.

Quelques secondes plus tard, elle était prête, le fusil à l'épaule. A pas fluides plus que réellement discrets, elle commenca sa progression, sentant son nez la titiller à l'odeur de sang encore présente, comme si elle allait éternuer. Tentant d'ignorer la distraction en se remontant sur le visage son écharpe impregnée de sueur et de rosée, elle continua son avance pour ne s'arrêter qu'en se collant à l'écorce pleine de sève d'un pin surplombant le vallon suspect.

La densité des arbres l'empêchait d'y voir grand chose depuis sa position. Mais l'effluve envahissante lui suffisait pour deviner qu'elle était dans la bonne direction. Pour sa première chasse, elle commencait déjà à voir une faille dans la théorie de Grand-Père : attendre sa proie car on sait qu'elle va passer, c'est bien ... Mais quand c'est elle qui nous attend, que faire ? Face au dilemme elle resta immobile, bloquée, sentant une froide anxiété monter en elle. Les pépiements des oiseaux, encore audibles, finirent par la décider : elle avait sans doute, et malgré sa bourde, l'avantage de la surprise. La jeune humaine reprit donc sa mesurée avance, fouillant du regard les herbes et les racines.