La Rose et le Vent
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La Rose et le Vent
Cet épisode fait partie du long BG de mon personnage, mais comme il est écrit par anticipation, je le colle ici dans l'immédiat.
- "Tsion'hebb, mon bon ami ! Entre, sers-toi, considère-toi comme mon hôte ce soir."
- "Merci ô grand Sultan, Lumière des Croyants."
L'homme s'inclina respectueusement, les mains jointes dans les larges manches de sa djellaba noire qui découvrit à peine ses sandales, mais suffisamment pour que le souverain remarque combien le voyage l'avait éprouvé. Frappant dans les mains pour attirer l'attention du vizir, il lui adressa quelques signes, puis s'avança auprès de son invité et glissa la main sous son coude pour le guider vers la promenade, loin des regards indiscrets.
Les palétuviers, les palmiers, les dattiers et une invraisemblable luxuriance envahissait les abords de ces allées ombragées dont le marbre rose ne renvoyait que timidement les derniers éclats d'un soleil rougissant. A pas lents les deux hommes chuchotaient, quelques pas en avant des deux jeunes serviteurs à peine pubères qui les suivaient, à l'affût du moindre désir.
- "Pardonne moi, fils de Tel'herzûd, d'ainsi t'arracher aux douceurs que je t'ai promises, mais je suis trop impatient d'entendre de ta bouche le récit des derniers événements."
- "Je n'ai rien à cacher à un fidèle serviteur de Grand Lumineux." répondit l'homme d'un ton égal.
- "Alors fais, fais, cruel que tu es à me faire languir !"
- "J'ai d'autres formes de cruauté à ton service mon Sultan."
- "Je ne l'ignore pas."
Ils se turent, le temps de croiser deux esclaves trolles qui allumaient les vasques en prévision de la nuit qui tombait. Il émanait de leurs manipulations des odeurs lourdes et une fumée âcre qu'ils se hâtèrent de dépasser.
"Alors... parle donc !"
- "Ils sont morts."
- "Morts... tous ?"
- "Sans exception. Le Néant l'a confirmé."
- "Par la barde des sept Prophètes... c'est une victoire inespérée !!"
- "On peut le dire ainsi."
- "Mais... tu sembles bien... bien peu enthousiaste."
- "Je le serais si nous n'avions pas fait d'autres découvertes, ô souverain des douze tribus."
- "Mais parle donc, animal !"
- "Les portes ne nous protègent pas, bien au contraire. Ils sont des millions, des milliards, ils les contournent, creusent, fourmillent, gangrènent... Les portes ne les retiennent plus, bien au contraire. Ils émergent partout, essaiment et bâtissent des ruches gigantesques."
Le sultan s'arrêta, détaillant les yeux étrangement clairs qui, lentement, plongèrent à leur tour dans son regard et lui arrachèrent un frisson d'effroi.
- "Bénies soient les portes." murmura-t-il en se signant fébrilement.
- "Al'Qiraj n'est plus une bénédiction pour nous noble sultan. Les Saintes Portes sont désormais... un bouclier pour eux."
Le seigneur, au demeurant sage et maître de lui, ne put que trahir l'horreur qui lui tombait dessus comme une douche glacée. Il se reprit pourtant, mais écourta l'entrevue de sorte qu'ils revinrent à l'abri de l'immense palais sur lequel la nuit étendait son manteau d'ombre. A l'intérieur, d'innombrables bougies et lampes à huile chassaient les ténèbres de leurs lumières colorées. Musiciens et danseurs entamaient leurs spectacles et, dans les cuisines, les fourneaux grondaient en prévision d'une soirée festive.
- "Pas un mot de tout ceci."
Le démoniste répondit d'un simple hochement de tête avant que le sultan ne l'entraîne dans la lumière avec un sourire de circonstance et ne semble se laisser aller à l'esprit de joie auquel chacun s'apprêtait à s'abandonner avec bonheur.
Tsion'hebb joua le jeu et s'intégra sans peine au concert de louanges qui le célébraient mais auquel, dans le secret de son cœur, il ne goûtait pas. Le sultan ne s'était pas inquiété un instant du nombre d'hommes qu'ils avaient perdus, morts ou disparus dans ces tunnels immondes. Combien étaient restés sans sépulture ? Et combien serviraient d'hôtes cadavériques pour des dizaines de larves qui se nourriraient de leurs chairs décomposées ? Il avait vu à l'œuvre ces multiplications infâmes, récupérant parfois de ces vers gluants pour tenter d'en comprendre le métabolisme abject. Le résultat de ces expériences qui soulevaient l'estomac étaient limpides : aucune résistance particulière ni à l'ombre, ni au feu, ni au fer. Leur force étaient simplement dans leur nombre incalculable qui ne cessait de croître de jour en jour, et même d'heure en heure.
- "Tsion'hebb, mon ami, approche !"
Il émergea brutalement de ses pensées, manquant de renverser la coupe de bronze qu'il tenait en main. Les musiciens s'étaient arrêté de jouer et tous faisaient silence. D'un geste le démoniste invita ses deux lieutenants à se joindre à lui afin de les associer à ce qui allait suivre et, ensemble, ils s'avancèrent jusqu'au bas des marches dans lesquelles des danseuses, d'apparence lascive mais aux ongles tranchants autant qu'empoisonnés, se prélassaient langoureusement en faisant tinter leurs parures raffinées.
"Ta victoire ne fait pas de doutes, et je n'aurai pas assez de mots pour te dire l'immense gratitude des tribus envers le cheik Tel'herzud et son fils valeureux."
- "Je dois cette victoire à la bravoure de mes hommes."
- "Les hommes ne sont rien sans un meneur pour les diriger, et c'est toi qui a eu cet honneur."
Il aurait sans doute éprouvé de la colère s'il n'avait pas été évident qu'une telle démonstration aurait été vaine et stupide. Chacun avait droit et besoin de ces gratifications qui faisaient partie de ce jeu de rôle décalé. Son devoir était de faire semblant d'y croire, de rentrer dans le moule de cette société dont les ressorts intimes le laissaient de plus en plus perplexe.
"Reçois ces caisses dont l'or qu'elles contiennent te permettront de faire reforger les lames brisées. Accepte aussi l'encens et l'huile que nous ajoutons et les douze chevaux de mes écuries, un pour chaque tribu que toi - et tes hommes - avez sauvées. Et enfin, choisis, parmi toutes, celles qui te plairont et sauront te fournir à l'abri de mes murs le repos nécessaire."
A ces mots un rideau s'écarta, et une procession défila. Elles étaient sublimes, racées, parfumées, et toutes plus belles les unes que les autres. Leurs peaux parfaites accrochaient la lumière des lampes et leur quasi-nudité était rehaussée de peintures d'or et d'argent et de bijoux somptueux. Leurs coiffures savantes s'égayaient de perles, de pierres et de lacets de soies précieuses, leurs lèvres et leurs seins fardés semblaient frémir de se sentir exposés comme autant de promesses de nuits sans fin. Attentif à la réaction de ses lieutenants, le démoniste désigna pour l'un puis l'autre celle vers qui leurs regards respectifs se concentraient. Il hésita pour lui-même, puis désigna une femme, d'allure étrangère, dont la peau claire tranchait étrangement. Ses cheveux blonds brillaient comme une flamme, retenus dans un filet noir garni de perles. A ses côtés une jeune fille, à peine pubère, qui faisait partie du lot. Il les désigna en leur adressant un regard qu'il voulait doux et rassurant mais que la femme ne perçut pas.
- "Elles."
- "Qu'il en soit ainsi !" conclut le souverain en tapant dans ses mains avec un sourire enthousiaste tandis que la musique reprenait de plus belle.
Endherion
Re: La Rose et le Vent
La mère et la fille, ça ne faisait guère de doute. Si leurs chevelures contrastaient violemment, l'une blonde et l'autre noire, leurs yeux clairs à l'expression étonnamment douce et farouche, l'ovale de leurs visages... et enfin la façon dont la plus âgée se mettait en avant pour éclipser la plus jeune comme pour éviter que le démoniste s'y intéresse trop... constituaient autant de signes.
- "Sais-tu ce qui va se passer ?"
Un instant il douta qu'elle ait compris. Mais elle hocha bientôt la tête avant de prononcer un "oui seigneur" à l'accent hésitant. Il prit soin néanmoins de parler lentement et distinctement.
- "Quel est ton nom ?"
- "Valerianne."
Il répéta lentement le nom et se fit préciser la prononciation avant qu'elle ajoute un nom qui semblait être un patronyme.
- "Et toi ?" demanda-t-il en se tournant vers l'enfant, provoquant un tressaillement de la mère.
- "Aldanne."
Il sourit. Et ce sourire amusé avait des échos sincères si bien que les deux femmes s'en trouvèrent plus à l'aise tout en n'en comprenant pas l'origine.
- "Seigneur ?" interrogea la mère.
- "Tous les noms de femme finissent en -anne chez vous ? Pour mieux vous distinguer des hommes ?"
Elles n'avaient pas compris, mais était-ce si important ? Leurs airs d'incompréhension embarrassée ajoutaient d'ailleurs au comique de la situation mais néanmoins il chassa cette pensée pour ne pas les mettre plus mal à l'aise. Un souffle de vent souleva délicatement les rideaux de laine. La fillette frissonna et il nota la chair de poule sur le bras et l'épaule. Il s'assit au bord de l'immense lit et lui fit signe d'approcher.
La mère s'avança sans y être invitée, faisant cliqueter les chainettes d'or qui s'accrochaient sur sa poitrine, et s'agenouilla aux pieds du démoniste avec un regard immense, cherchant à détourner son attention de son mieux, jouant de ses formes avec un mélange de pudeur et d'audace pour le captiver un peu plus. Et alors qu'il ne semblait pas lui accorder assez d'attention, elle posa les mains sur ses genoux, un peu plus explicite. Elle avait de grands yeux clairs et les cils longs maquillés avec grâce. Il posa sur l'épaule de la femme une main apaisante avant de la repousser doucement, puis ouvrit grand le drap satiné dans lequel la jeune fille se glissa avec une appréhension évidente, révélant à l'arrière de ses cuisses et ses genoux des stries qui achevaient de se guérir mais que les soins n'avaient pu masquer entièrement. La mère sembla prononcer une prière dont les mots s'étranglaient dans sa gorge, mais se tut quand l'homme referma le drap sur l'enfant en les bordant avec soin. Ses yeux étaient liquides et le maquillage subtil menaçait d'en souffrir.
- "Viens avec moi." prononça-t-il lentement.
Il s'avança dans une antichambre où les innombrables domestiques avaient soigneusement rangé ses maigres bagages en y ajoutant d'autres parures bien plus clinquantes. A la lumière de la lampe que la femme tenait dans ses mains jointes, il se contenta de récupérer son manteau, puis l'entraîna sur la terrasse. La nuit était douce et les jardins s'étendaient en contrebas, noyés dans l'obscurité que trouaient de loin en loin les immenses vasques dans lesquelles brûlait l'huile de roche et la lumière diffuse de quelques chambres encore éclairées à cette heure très avancée de la nuit.
- "Tu n'as pas froid ?"
- "Non."
- "Elle est ta fille ?"
- "Oui."
Délicatement il prit la lampe des mains de la femme. Il la sentit trembler. Après avoir déposé la source de lumière sur la large bordure il pinça la mèche entre ses doigts. Il était homme, et n'avait plus touché le corps d'une femme depuis bien des jours. Et en réalité il en était content : Tout serait vite fait. Il n'avait pas de sentiments pour elle mais la respectait. Avec la nuit pour seule témoin de ses caresses très douces, il fit en sorte qu'elle n'eut pas à souffrir de sa condition plus qu'il n'était nécessaire. Elle ne se refusa pas, ne se donna pas non plus, étreinte sans retour d'une femme forcée par le destin qu'il honora avec autant de délicatesse que la situation le permettait. Elle se mit à pleurer en silence quand il la libéra de son emprise pour l'envelopper dans le manteau, la respiration encore courte. Alors il ne put s'empêcher de saisir délicatement le visage strié dont les yeux voilés de larmes émurent son cœur plus profondément qu'il ne l'aurait cru possible.
Par toutes les vierges du Hyazim... qu'elle était belle. Pourtant elle le repoussa et ajusta sa tenue, disparaissant sous le manteau comme pour retrouver au plus vite un semblant de dignité. Il se sentait tellement... étonnamment vulgaire, comme déplacé.
- "Aldanne ?"
- "Non, Valerianne. Valerianne ap Wingloth."
- "Pardon. Valerianne ?"
Elle acheva de remettre en place ses parures d'or et de lapis-lazuli avant de le regarder droit dans les yeux. Sa mâchoire serrée ne tremblait pas. Elle était pétrie de noblesse, il n'en doutait plus.
- "Oui seigneur ?"
- "Ta place n'est pas ici."
Elle ne comprenait pas le sens de la phrase. Son seul geste fut pour achever de chasser l'eau de ses yeux. Elle le regardait en attendant... un ordre probablement. Il était vain de lui expliquer ce qu'il cherchait à dire, alors il tendit la main et elle y glissa la sienne. Une autre femme... il l'aurait sans doute embrassée, mais pas elle. Il se contenta de récupérer la lampe et de l'inviter à s'allonger aux côtés de sa fille avant de se retirer à nouveau sur la terrasse. La nuit serait probablement longue.
- "Sais-tu ce qui va se passer ?"
Un instant il douta qu'elle ait compris. Mais elle hocha bientôt la tête avant de prononcer un "oui seigneur" à l'accent hésitant. Il prit soin néanmoins de parler lentement et distinctement.
- "Quel est ton nom ?"
- "Valerianne."
Il répéta lentement le nom et se fit préciser la prononciation avant qu'elle ajoute un nom qui semblait être un patronyme.
- "Et toi ?" demanda-t-il en se tournant vers l'enfant, provoquant un tressaillement de la mère.
- "Aldanne."
Il sourit. Et ce sourire amusé avait des échos sincères si bien que les deux femmes s'en trouvèrent plus à l'aise tout en n'en comprenant pas l'origine.
- "Seigneur ?" interrogea la mère.
- "Tous les noms de femme finissent en -anne chez vous ? Pour mieux vous distinguer des hommes ?"
Elles n'avaient pas compris, mais était-ce si important ? Leurs airs d'incompréhension embarrassée ajoutaient d'ailleurs au comique de la situation mais néanmoins il chassa cette pensée pour ne pas les mettre plus mal à l'aise. Un souffle de vent souleva délicatement les rideaux de laine. La fillette frissonna et il nota la chair de poule sur le bras et l'épaule. Il s'assit au bord de l'immense lit et lui fit signe d'approcher.
La mère s'avança sans y être invitée, faisant cliqueter les chainettes d'or qui s'accrochaient sur sa poitrine, et s'agenouilla aux pieds du démoniste avec un regard immense, cherchant à détourner son attention de son mieux, jouant de ses formes avec un mélange de pudeur et d'audace pour le captiver un peu plus. Et alors qu'il ne semblait pas lui accorder assez d'attention, elle posa les mains sur ses genoux, un peu plus explicite. Elle avait de grands yeux clairs et les cils longs maquillés avec grâce. Il posa sur l'épaule de la femme une main apaisante avant de la repousser doucement, puis ouvrit grand le drap satiné dans lequel la jeune fille se glissa avec une appréhension évidente, révélant à l'arrière de ses cuisses et ses genoux des stries qui achevaient de se guérir mais que les soins n'avaient pu masquer entièrement. La mère sembla prononcer une prière dont les mots s'étranglaient dans sa gorge, mais se tut quand l'homme referma le drap sur l'enfant en les bordant avec soin. Ses yeux étaient liquides et le maquillage subtil menaçait d'en souffrir.
- "Viens avec moi." prononça-t-il lentement.
Il s'avança dans une antichambre où les innombrables domestiques avaient soigneusement rangé ses maigres bagages en y ajoutant d'autres parures bien plus clinquantes. A la lumière de la lampe que la femme tenait dans ses mains jointes, il se contenta de récupérer son manteau, puis l'entraîna sur la terrasse. La nuit était douce et les jardins s'étendaient en contrebas, noyés dans l'obscurité que trouaient de loin en loin les immenses vasques dans lesquelles brûlait l'huile de roche et la lumière diffuse de quelques chambres encore éclairées à cette heure très avancée de la nuit.
- "Tu n'as pas froid ?"
- "Non."
- "Elle est ta fille ?"
- "Oui."
Délicatement il prit la lampe des mains de la femme. Il la sentit trembler. Après avoir déposé la source de lumière sur la large bordure il pinça la mèche entre ses doigts. Il était homme, et n'avait plus touché le corps d'une femme depuis bien des jours. Et en réalité il en était content : Tout serait vite fait. Il n'avait pas de sentiments pour elle mais la respectait. Avec la nuit pour seule témoin de ses caresses très douces, il fit en sorte qu'elle n'eut pas à souffrir de sa condition plus qu'il n'était nécessaire. Elle ne se refusa pas, ne se donna pas non plus, étreinte sans retour d'une femme forcée par le destin qu'il honora avec autant de délicatesse que la situation le permettait. Elle se mit à pleurer en silence quand il la libéra de son emprise pour l'envelopper dans le manteau, la respiration encore courte. Alors il ne put s'empêcher de saisir délicatement le visage strié dont les yeux voilés de larmes émurent son cœur plus profondément qu'il ne l'aurait cru possible.
Par toutes les vierges du Hyazim... qu'elle était belle. Pourtant elle le repoussa et ajusta sa tenue, disparaissant sous le manteau comme pour retrouver au plus vite un semblant de dignité. Il se sentait tellement... étonnamment vulgaire, comme déplacé.
- "Aldanne ?"
- "Non, Valerianne. Valerianne ap Wingloth."
- "Pardon. Valerianne ?"
Elle acheva de remettre en place ses parures d'or et de lapis-lazuli avant de le regarder droit dans les yeux. Sa mâchoire serrée ne tremblait pas. Elle était pétrie de noblesse, il n'en doutait plus.
- "Oui seigneur ?"
- "Ta place n'est pas ici."
Elle ne comprenait pas le sens de la phrase. Son seul geste fut pour achever de chasser l'eau de ses yeux. Elle le regardait en attendant... un ordre probablement. Il était vain de lui expliquer ce qu'il cherchait à dire, alors il tendit la main et elle y glissa la sienne. Une autre femme... il l'aurait sans doute embrassée, mais pas elle. Il se contenta de récupérer la lampe et de l'inviter à s'allonger aux côtés de sa fille avant de se retirer à nouveau sur la terrasse. La nuit serait probablement longue.
Endherion
Re: La Rose et le Vent
Trois longues années étaient passées, faites de combats, de larmes, de pertes douloureuses qui, chaque fois, déchiraient le cœur. Des frères, des pères, des fils tombaient devant les monstres qui se repaissaient de leurs cadavres et trop rarement un corps était réellement présent dans la tombe face à laquelle les pleureuses vêtues de noir exprimaient le chagrin de tous. Mais tout ça était loin du quotidien doré de la captive.
Ses yeux d'esclave cillent devant l'éblouissante lumière du désert qui s'étend à perte de vue. Ses paupières lourdes de fard peinent à s'ouvrir de nouveau tandis qu'appuyée à cette balustrade à la blancheur éclatante, elle attend. Pour elle le temps passe avec une lenteur désespérante. Son pays lui manque, son époux, ses enfants, et même ses dames de compagnie. Peu de choses égayent son existence pourtant fastueuse et il lui était arrivé quelque fois d'envisager de façon prématurée la fin de tout ceci. Elle n'en peut plus de ces mains sur elle, de ces étreintes qui la laissaient souillée et de cette hypocrisie sournoise qui lui fournit à la fois le meilleur et le pire : une vie au luxe indécent mais contrainte jusqu'au plus intime. Elle ne s'appartient pas, tout simplement, et se demande parfois combien de temps elle le supportera pour elle ou son enfant.
Au milieu de cette ronde sans fin de jours tous identiques, les visites du seigneur Tsion'hebb apparaissent comme des moments d'exception. Il n'est décidément pas comme les autres hommes. Il sait se montrer aussi doux qu'exigeant. Ni l'enfant ni la mère ne sont exclues de ses marques de bonté et elle sait qu'il n'est pas pour rien dans le fait qu'Aldanne ait reçu une éducation raffinée dans les murs du harem. Au fil du temps, elles ont appris les coutumes et l'étiquette autant que la géographie, l'histoire, les sciences. La barrière de la langue n'est plus.
En secret, sa fille s'est liée d'amitié avec un des fils du Sultan. Il lui apprend le maniement des armes. Ensemble ils galopent dans les dunes du désert, riant de leur insouciance. Aldanne a soif de liberté et les quelques heures loin des murs du palais sont bien plus précieuses que le plus beau des bijoux. Elle a déjà chevauché plusieurs fois, assez pour y prendre goût, et a même manié le cimeterre loin des regards, amusant beaucoup son compagnon. Son corps est agile et son esprit vif, trop sans doute pour ne pas éveiller bientôt l'intérêt du jeune homme qui finira par poser sur elle des regards adultes... si ce n'est déjà fait. Dans l'atmosphère brûlante de la terrasse, la mère frissonne. L'esclave avait bien remarqué combien les eunuques du palais commençaient à se préoccuper de sa fille, et les regards noirs que lui lançaient les autres femmes. On avait déjà trouvé un scorpion dans son lit, une larme de sang sur son peigne de nacre, son perroquet empoisonné par un abricot ; il était de notoriété publique qu'elle adorait les fruits juteux. La favorite, première épouse du sultan, n'était pas dupe : on en voulait à la vie de l'enfant. Les concubines ne laisseraient jamais une esclave devenir une épouse et encore moins une favorite à son tour.
Instinctivement Valerianne referme sur son cœur les voiles vaporeux que le vent chaud tente d'emporter. Tsion'hebb... Elle se souvient encore de ce jour où il est venu au gynécée pour les observer, la mère et l'enfant, qui se baignaient au milieu des autres femmes. Elle s'en était sentie... étrangement gênée et fière, heureuse d'une certaine façon d'avoir retenu l'attention de ce prince du désert qui, par bien des aspects, lui rappelle son mari. Il ne l'a jamais plus touchée de nouveau. Un respect tacite les unit, qu'ils se gardent bien d'afficher. Parfois, il la choisit la nuit, pour sauver les apparences. Ils rient et jouent aux échecs. Il lui apprend sa langue et réciproquement, et il s'assombrit quand il remarque son regard voilé de souvenirs qui serrent son cœur d'exilée. Alors il se contente de la bercer doucement dans le silence de la nuit et il est arrivé parfois qu'elle parvienne à s'endormir ainsi, bercée par son odeur à laquelle elle accepte de s'abandonner le temps d'une parenthèse.
- "A quoi penses-tu femme ?"
- "A mon époux, à notre maison, à la boulangère, la cuisinière, à mes demoiselles de compagnie... à mes enfants surtout. Ils... me manquent terriblement."
- "Etiez-vous heureux ?"
- "Je crois oui. On... on peut dire ça."
- "Avait-il beaucoup de femmes ?"
- "Oh non !"
- "Non ? Mais... ne m'as-tu pas dit..."
- "... qu'il était noble ? si si. Mais chez nous un homme n'épouse qu'une femme et s'il a des maîtresses, ça n'est pas vraiment permis, c'est secret et j'aurais été la dernière à l'apprendre."
Il s'amusait de ces détails, s'étonnait des caractéristiques de la société qu'elle lui décrivait, des paysages qu'elle dépeignait avec un luxe de détails tel qu'il aurait pu s'y croire et éprouver du dépaysement.
- "J'ai l'impression qu'il fait souvent froid et humide dans ton pays."
- "Non ça va. Il fait doux. C'est plutôt ici qu'on étouffe !"
Ils avaient ri ce soir là, et partagé la même coupe de cristal, s'enivrant doucement au même rythme. Elle était bien avec lui, elle oubliait sa condition, et il avait semblé tout aussi détendu. Si parfois une caresse lui échappait, dans l'ivresse ou ailleurs, elle se permettait de le repousser délicatement et il n'insistait jamais. Un autre l'aurait probablement sévèrement battue. Elle s'y était rarement risqué et jamais sans en payer le prix... sauf avec lui.
Elle est là, sur la terrasse, et son regard scrute l'horizon. Elle ignore qu'il est là, dans l'ombre des colonnades. Mais en vérité il ne la voit pas non plus car son regard se porte sur l'enfant. Non, pas l'enfant, plus l'enfant, mais l'adolescente, la toute jeune femme qu'elle est devenue. Ses sourcils se froncent légèrement : Aldanne est aussi musculeuse qu'un jeune soldat. Mais il n'a guère le temps d'approfondir ses réflexions : une altercation avec une des concubines vient rompre la sérénité des lieux. L'enfant vient d'enfiler une longue djellaba ornée de perles de nacre d'une couleur rose, perles au combien rares et qui suscitent intérêt et envie. Mais alors qu'elle s'ajuste en se tortillant de façon délicieuse, une main anonyme s'avance vers le métier à tisser en direction de la cassette où sont rangées les perles. Vive comme l'éclair, une dague jaillit dans le prolongement du bras de la jeune femme et une pointe effilée vient chatouiller la gorge de l'impudente qui se croit trop permis. Les mots glacés et déterminés ont l'effet escompté : sans un commentaire chacune reprend ses occupations, laissant mère et fille tranquille.
On peut lire la jalousie, la haine, la peur dans le regard des femmes présentes. Aldanne vient de franchir un pas de plus dans la hiérarchie du harem, peut-être un pas de trop. Elle sera très vite dénoncée car elle n'a évidemment pas le droit de détenir une arme et sera punie en conséquence, mais le pli est pris et chacune sait désormais à quoi s'en tenir si elle ne veut pas, un soir, s'endormir pour ne jamais se réveiller.
Valerianne, revenue sur ses entrefaits, en est glacée d'effroi au moment où elle croise le regard de Tsion'hebb. Lui l'ignore pour l'instant et se contente d'inviter Aldanne à s'approcher de lui pour éprouver la douceur et la qualité du vêtement. La robe est faite du plus riche des tissus. Le cadeau ne peut venir que d'un homme puissant, un des fils du sultan à n'en pas douter, sans doute celui avec lequel elle part en escapades qui sont autant de sources de ragots et de rancœurs. Pourtant Aldanne, dans l'insouciance de sa jeunesse, se joue de lui. Elle souffle le chaud et le froid, faisant peu de cas de son destin comme elle semble n'accorder d'importance à rien.
- "Qui t'offre ces soieries et ces joyaux ?"
- "Ça ne vous regarde pas."
Il n'a pas d'état d'âme à la gifler. Elle se rattrape et lui lance un regard noir sans rien faire pour masquer les traces qui apparaissent sur sa joue. Valerianne ne peut qu'observer, tendue à l'extrême.
- "Qui t'offre ces soieries et ces joyaux ?"
- "Le prince Bemnaet"
Il ne réagit pas au ton de défi qu'elle emploie, pas plus qu'il ne semble se soucier qu'il s'agisse d'un prince, nom qu'elle évoque en supposant qu'il s'adoucira, probablement. Elle se trompe lourdement.
- "Que veut-il en échange ?"
- "Me... moi."
- "Je vois."
Le rosissement est imperceptible mais n'échappe pas au démoniste, pas plus que le frisson d'effroi qui traverse l'échine de cette mère qui vacille avant de disparaître derrière les colonnes. L'heure d'agir est venue.
Ses yeux d'esclave cillent devant l'éblouissante lumière du désert qui s'étend à perte de vue. Ses paupières lourdes de fard peinent à s'ouvrir de nouveau tandis qu'appuyée à cette balustrade à la blancheur éclatante, elle attend. Pour elle le temps passe avec une lenteur désespérante. Son pays lui manque, son époux, ses enfants, et même ses dames de compagnie. Peu de choses égayent son existence pourtant fastueuse et il lui était arrivé quelque fois d'envisager de façon prématurée la fin de tout ceci. Elle n'en peut plus de ces mains sur elle, de ces étreintes qui la laissaient souillée et de cette hypocrisie sournoise qui lui fournit à la fois le meilleur et le pire : une vie au luxe indécent mais contrainte jusqu'au plus intime. Elle ne s'appartient pas, tout simplement, et se demande parfois combien de temps elle le supportera pour elle ou son enfant.
Au milieu de cette ronde sans fin de jours tous identiques, les visites du seigneur Tsion'hebb apparaissent comme des moments d'exception. Il n'est décidément pas comme les autres hommes. Il sait se montrer aussi doux qu'exigeant. Ni l'enfant ni la mère ne sont exclues de ses marques de bonté et elle sait qu'il n'est pas pour rien dans le fait qu'Aldanne ait reçu une éducation raffinée dans les murs du harem. Au fil du temps, elles ont appris les coutumes et l'étiquette autant que la géographie, l'histoire, les sciences. La barrière de la langue n'est plus.
En secret, sa fille s'est liée d'amitié avec un des fils du Sultan. Il lui apprend le maniement des armes. Ensemble ils galopent dans les dunes du désert, riant de leur insouciance. Aldanne a soif de liberté et les quelques heures loin des murs du palais sont bien plus précieuses que le plus beau des bijoux. Elle a déjà chevauché plusieurs fois, assez pour y prendre goût, et a même manié le cimeterre loin des regards, amusant beaucoup son compagnon. Son corps est agile et son esprit vif, trop sans doute pour ne pas éveiller bientôt l'intérêt du jeune homme qui finira par poser sur elle des regards adultes... si ce n'est déjà fait. Dans l'atmosphère brûlante de la terrasse, la mère frissonne. L'esclave avait bien remarqué combien les eunuques du palais commençaient à se préoccuper de sa fille, et les regards noirs que lui lançaient les autres femmes. On avait déjà trouvé un scorpion dans son lit, une larme de sang sur son peigne de nacre, son perroquet empoisonné par un abricot ; il était de notoriété publique qu'elle adorait les fruits juteux. La favorite, première épouse du sultan, n'était pas dupe : on en voulait à la vie de l'enfant. Les concubines ne laisseraient jamais une esclave devenir une épouse et encore moins une favorite à son tour.
Instinctivement Valerianne referme sur son cœur les voiles vaporeux que le vent chaud tente d'emporter. Tsion'hebb... Elle se souvient encore de ce jour où il est venu au gynécée pour les observer, la mère et l'enfant, qui se baignaient au milieu des autres femmes. Elle s'en était sentie... étrangement gênée et fière, heureuse d'une certaine façon d'avoir retenu l'attention de ce prince du désert qui, par bien des aspects, lui rappelle son mari. Il ne l'a jamais plus touchée de nouveau. Un respect tacite les unit, qu'ils se gardent bien d'afficher. Parfois, il la choisit la nuit, pour sauver les apparences. Ils rient et jouent aux échecs. Il lui apprend sa langue et réciproquement, et il s'assombrit quand il remarque son regard voilé de souvenirs qui serrent son cœur d'exilée. Alors il se contente de la bercer doucement dans le silence de la nuit et il est arrivé parfois qu'elle parvienne à s'endormir ainsi, bercée par son odeur à laquelle elle accepte de s'abandonner le temps d'une parenthèse.
- "A quoi penses-tu femme ?"
- "A mon époux, à notre maison, à la boulangère, la cuisinière, à mes demoiselles de compagnie... à mes enfants surtout. Ils... me manquent terriblement."
- "Etiez-vous heureux ?"
- "Je crois oui. On... on peut dire ça."
- "Avait-il beaucoup de femmes ?"
- "Oh non !"
- "Non ? Mais... ne m'as-tu pas dit..."
- "... qu'il était noble ? si si. Mais chez nous un homme n'épouse qu'une femme et s'il a des maîtresses, ça n'est pas vraiment permis, c'est secret et j'aurais été la dernière à l'apprendre."
Il s'amusait de ces détails, s'étonnait des caractéristiques de la société qu'elle lui décrivait, des paysages qu'elle dépeignait avec un luxe de détails tel qu'il aurait pu s'y croire et éprouver du dépaysement.
- "J'ai l'impression qu'il fait souvent froid et humide dans ton pays."
- "Non ça va. Il fait doux. C'est plutôt ici qu'on étouffe !"
Ils avaient ri ce soir là, et partagé la même coupe de cristal, s'enivrant doucement au même rythme. Elle était bien avec lui, elle oubliait sa condition, et il avait semblé tout aussi détendu. Si parfois une caresse lui échappait, dans l'ivresse ou ailleurs, elle se permettait de le repousser délicatement et il n'insistait jamais. Un autre l'aurait probablement sévèrement battue. Elle s'y était rarement risqué et jamais sans en payer le prix... sauf avec lui.
Elle est là, sur la terrasse, et son regard scrute l'horizon. Elle ignore qu'il est là, dans l'ombre des colonnades. Mais en vérité il ne la voit pas non plus car son regard se porte sur l'enfant. Non, pas l'enfant, plus l'enfant, mais l'adolescente, la toute jeune femme qu'elle est devenue. Ses sourcils se froncent légèrement : Aldanne est aussi musculeuse qu'un jeune soldat. Mais il n'a guère le temps d'approfondir ses réflexions : une altercation avec une des concubines vient rompre la sérénité des lieux. L'enfant vient d'enfiler une longue djellaba ornée de perles de nacre d'une couleur rose, perles au combien rares et qui suscitent intérêt et envie. Mais alors qu'elle s'ajuste en se tortillant de façon délicieuse, une main anonyme s'avance vers le métier à tisser en direction de la cassette où sont rangées les perles. Vive comme l'éclair, une dague jaillit dans le prolongement du bras de la jeune femme et une pointe effilée vient chatouiller la gorge de l'impudente qui se croit trop permis. Les mots glacés et déterminés ont l'effet escompté : sans un commentaire chacune reprend ses occupations, laissant mère et fille tranquille.
On peut lire la jalousie, la haine, la peur dans le regard des femmes présentes. Aldanne vient de franchir un pas de plus dans la hiérarchie du harem, peut-être un pas de trop. Elle sera très vite dénoncée car elle n'a évidemment pas le droit de détenir une arme et sera punie en conséquence, mais le pli est pris et chacune sait désormais à quoi s'en tenir si elle ne veut pas, un soir, s'endormir pour ne jamais se réveiller.
Valerianne, revenue sur ses entrefaits, en est glacée d'effroi au moment où elle croise le regard de Tsion'hebb. Lui l'ignore pour l'instant et se contente d'inviter Aldanne à s'approcher de lui pour éprouver la douceur et la qualité du vêtement. La robe est faite du plus riche des tissus. Le cadeau ne peut venir que d'un homme puissant, un des fils du sultan à n'en pas douter, sans doute celui avec lequel elle part en escapades qui sont autant de sources de ragots et de rancœurs. Pourtant Aldanne, dans l'insouciance de sa jeunesse, se joue de lui. Elle souffle le chaud et le froid, faisant peu de cas de son destin comme elle semble n'accorder d'importance à rien.
- "Qui t'offre ces soieries et ces joyaux ?"
- "Ça ne vous regarde pas."
Il n'a pas d'état d'âme à la gifler. Elle se rattrape et lui lance un regard noir sans rien faire pour masquer les traces qui apparaissent sur sa joue. Valerianne ne peut qu'observer, tendue à l'extrême.
- "Qui t'offre ces soieries et ces joyaux ?"
- "Le prince Bemnaet"
Il ne réagit pas au ton de défi qu'elle emploie, pas plus qu'il ne semble se soucier qu'il s'agisse d'un prince, nom qu'elle évoque en supposant qu'il s'adoucira, probablement. Elle se trompe lourdement.
- "Que veut-il en échange ?"
- "Me... moi."
- "Je vois."
Le rosissement est imperceptible mais n'échappe pas au démoniste, pas plus que le frisson d'effroi qui traverse l'échine de cette mère qui vacille avant de disparaître derrière les colonnes. L'heure d'agir est venue.
Endherion
Re: La Rose et le Vent
La réaction du sultan ne se fit guère attendre. Deux jours après les faits il débarqua personnellement, accompagné de celui de ses fils dont on disait qu'il avait goût à une certaine esclave et assisté de cinq gardes du corps et deux eunuques larges comme des kodos ainsi que le vizir. Il défilèrent dans le gynécée jusqu'à l'espace central dont les quelques femmes qui s'y prélassaient s'égayèrent immédiatement dans les froissements d'étoffe et les cliquetis précieux : il n'était clairement pas là pour faire son choix.
Le vizir s'avança jusqu'à l'alcôve ou Aldanne s'était assoupie sous le regard de sa mère qui cousait de fil d'or les fameuses perles. Valerianne pose immédiatement son ouvrage pour réveiller l'endormie qui écarquilla les yeux quelques instants ; le vizir la pressa de s'avancer. Les femmes s'étaient disposées tout autour, à la fois inquiètes et curieuses.
- "Reconnaissez-vous avoir menacé l'une des femmes de notre seigneur à l'arme blanche au risque de la blesser ?"
La toute jeune femme rougit, autant de culpabilité que de se sentir ainsi jugée devant tout le monde. Elle hocha la tête, les mots s'étranglant dans sa gorge au point de ne pas sortir du tout. Elle évitait surtout de croiser le regard du jeune prince et aurait voulu qu'il ne soit pas là à l'heure où elle allait, elle le pressentait, se prendre au minimum une méchante remontrance publique.
- "Veuillez nous remettre cette arme s'il vous plaît." enchaîna le vizir avec un ton courtois mais qui ne souffrait pas la contradiction.
Aldanne se retira un court instant dans l'alcôve avant de revenir vers l'assemblée. Le vizir prit possession de l'arme dont le fourreau précieux signait l'origine, ainsi qu'il le fit explicitement constater par le souverain avant de la remettre au jeune prince.
- "Ainsi mon fils te l'a fournie... et voici l'usage que tu en fais. Il apprendra à faire œuvre de prodigalité envers plus méritante. Quant à toi... "
- "Il m'en a fait cadeau. C'est..."
- "Père je... oui c'est moi qui..."
Le sultan fit seulement un geste de la main. Les deux mastodontes s'avancèrent pour encadrer la toute jeune femme qui paraissait terriblement frêle en comparaison. Elle frissonna lorsqu'ils la pivotèrent dos à l'assemblée et que l'un d'eux dénoua la robe qui s'affala sur ses hanches. Sans violence mais avec fermeté, ils s'emparèrent chacun d'une de ses mains qui disparut dans leurs bras musculeux, la maintenant en croix dans une prise inexpugnable.
- "C'est... c'est injuste... je me suis défendue !"
- "Si j'ai bien horreur d'une chose, c'est qu'une femme me coupe la parole... et qu'elle monte la tête de mes fils !"
L'un des hommes d'arme s'avança alors, détacha le fouet qui pendait à ses côtés et attendit l'ordre du vizir. Le prince observait, terrifié d'avance de ce qu'Aldanne ne pouvait voir, mais qu'elle avait déjà compris.
- "Dix coups pour avoir usé de cette arme. Cinq coups pour avoir trompé la confiance de notre jeune seigneur, et enfin cinq coups pour votre insolence...
- "Vingt ? Mais... père ?!!"
- ...ainsi parle notre bien-aimé souverain, Lumière des croyants et grand dispensateur de la justice sacrée."
Le vizir se recula, et sous le regard impérieux de son père, le jeune homme céda à son tour. Tous se taisaient. Valerianne tremblait plus encore que sa fille qui fermait les yeux et se raidissait avec une expression dans laquelle on lisait la hargne et la détermination la plus farouche. Le fouet claqua. Elle ouvrit grand les yeux avec un hoquet de surprise et de douleur. Puis les coups s'enchaînèrent, deux, trois, quatre...
Bientôt les larmes et les supplications, que dans sa fierté adolescente elle s'était pourtant jurée de ne pas leur offrir, ne firent rien pour apaiser son supplice qu'elle endura jusqu'au bout sous les yeux de sa mère livide. Sa volonté avait fui sous les assauts cinglants qui mordaient sa peau tendre et avant la fin du décompte elle implorait de ses cris la pitié du sultan. Néanmoins elle reçut vingt coups, pas un de plus ni de moins, avant que les deux montagnes de muscles ne la déposent, avec une étonnante douceur, sur la couche où des femmes avaient étendu à la hâte un drap à la blancheur éclatante.
Elle ne perçut rien des quelques mots de conclusion que le vizir adressa de la part de son souverain... Assommée de douleur, elle sombra dans un semi-coma qu'elle appelait de ses vœux.
Le vizir s'avança jusqu'à l'alcôve ou Aldanne s'était assoupie sous le regard de sa mère qui cousait de fil d'or les fameuses perles. Valerianne pose immédiatement son ouvrage pour réveiller l'endormie qui écarquilla les yeux quelques instants ; le vizir la pressa de s'avancer. Les femmes s'étaient disposées tout autour, à la fois inquiètes et curieuses.
- "Reconnaissez-vous avoir menacé l'une des femmes de notre seigneur à l'arme blanche au risque de la blesser ?"
La toute jeune femme rougit, autant de culpabilité que de se sentir ainsi jugée devant tout le monde. Elle hocha la tête, les mots s'étranglant dans sa gorge au point de ne pas sortir du tout. Elle évitait surtout de croiser le regard du jeune prince et aurait voulu qu'il ne soit pas là à l'heure où elle allait, elle le pressentait, se prendre au minimum une méchante remontrance publique.
- "Veuillez nous remettre cette arme s'il vous plaît." enchaîna le vizir avec un ton courtois mais qui ne souffrait pas la contradiction.
Aldanne se retira un court instant dans l'alcôve avant de revenir vers l'assemblée. Le vizir prit possession de l'arme dont le fourreau précieux signait l'origine, ainsi qu'il le fit explicitement constater par le souverain avant de la remettre au jeune prince.
- "Ainsi mon fils te l'a fournie... et voici l'usage que tu en fais. Il apprendra à faire œuvre de prodigalité envers plus méritante. Quant à toi... "
- "Il m'en a fait cadeau. C'est..."
- "Père je... oui c'est moi qui..."
Le sultan fit seulement un geste de la main. Les deux mastodontes s'avancèrent pour encadrer la toute jeune femme qui paraissait terriblement frêle en comparaison. Elle frissonna lorsqu'ils la pivotèrent dos à l'assemblée et que l'un d'eux dénoua la robe qui s'affala sur ses hanches. Sans violence mais avec fermeté, ils s'emparèrent chacun d'une de ses mains qui disparut dans leurs bras musculeux, la maintenant en croix dans une prise inexpugnable.
- "C'est... c'est injuste... je me suis défendue !"
- "Si j'ai bien horreur d'une chose, c'est qu'une femme me coupe la parole... et qu'elle monte la tête de mes fils !"
L'un des hommes d'arme s'avança alors, détacha le fouet qui pendait à ses côtés et attendit l'ordre du vizir. Le prince observait, terrifié d'avance de ce qu'Aldanne ne pouvait voir, mais qu'elle avait déjà compris.
- "Dix coups pour avoir usé de cette arme. Cinq coups pour avoir trompé la confiance de notre jeune seigneur, et enfin cinq coups pour votre insolence...
- "Vingt ? Mais... père ?!!"
- ...ainsi parle notre bien-aimé souverain, Lumière des croyants et grand dispensateur de la justice sacrée."
Le vizir se recula, et sous le regard impérieux de son père, le jeune homme céda à son tour. Tous se taisaient. Valerianne tremblait plus encore que sa fille qui fermait les yeux et se raidissait avec une expression dans laquelle on lisait la hargne et la détermination la plus farouche. Le fouet claqua. Elle ouvrit grand les yeux avec un hoquet de surprise et de douleur. Puis les coups s'enchaînèrent, deux, trois, quatre...
Bientôt les larmes et les supplications, que dans sa fierté adolescente elle s'était pourtant jurée de ne pas leur offrir, ne firent rien pour apaiser son supplice qu'elle endura jusqu'au bout sous les yeux de sa mère livide. Sa volonté avait fui sous les assauts cinglants qui mordaient sa peau tendre et avant la fin du décompte elle implorait de ses cris la pitié du sultan. Néanmoins elle reçut vingt coups, pas un de plus ni de moins, avant que les deux montagnes de muscles ne la déposent, avec une étonnante douceur, sur la couche où des femmes avaient étendu à la hâte un drap à la blancheur éclatante.
Elle ne perçut rien des quelques mots de conclusion que le vizir adressa de la part de son souverain... Assommée de douleur, elle sombra dans un semi-coma qu'elle appelait de ses vœux.
Endherion
Re: La Rose et le Vent
L'attirance qu'il éprouvait immanquablement pour les femmes à la peau claire n'avait pas d'origine qu'il aurait su identifier aisément. Pour autant, qu'on ne se méprenne pas : le démoniste n'éprouvait pas pour elles plus de désir que pour les autres. Elles exerçaient sur lui une sorte de fascination qui aiguisait sa curiosité. Il se souvenait avec une extrême acuité de ce soir où il avait désigné Valérianne, attiré certes par le doré de sa coiffure, son port noble et l'étonnante simplicité qui émanait de cette femme. Certes il l'avait prise et n'en éprouvait aucun remord particulier mais il avait aussi appris à l'apprécier au delà de ce qu'elle lui avait accordé sans envie et n'avait d'ailleurs jamais récidivé même s'il en faisait régulièrement sa compagne d'une nuit quand il avait l'occasion de séjourner chez le sultan.
Voir cette femme malheureuse ne le laissait pas indifférent. Il aurait eu toute facilité à écarter ce sentiment en se persuadant qu'elle disposait de facilités et de bienfaits que d'innombrables femmes des tribus lui auraient envié, mais une chose lui manquait à laquelle elle accordait un grand prix : sa liberté. Au contraire de bien des filles qui étaient arrivées ici pré-pubères ou à peine femmes, elle avait été faite captive, échangée contre on ne sait quel avantage commercial, militaire ou politique, à un âge plus avancée, mère de quatre enfants dont la petite Aldanne qu'elle adorait. L'enfant avait alors dix ans.
Aujourd'hui elle fêtait son treizième anniversaire, déjà remise du supplice infligé quelques semaines auparavant. Au sein du harem sa position s'était renforcée et les autres femmes ne lui cherchaient pas d'histoires. Mais ces avantages ne lui procuraient aucun réconfort : son jeune prince, à peine plus âgé qu'elle, ne venait plus lui rendre visite et son coeur saignait douloureusement malgré la tendresse de sa mère qui s'épuisait à vouloir lui redonner le sourire. S'épuiser était vraiment le mot et Tsion'hebb en découvrit toute l'ampleur lorsqu'il revint vers elle un soir et qu'elle refusa une partie d'échecs qu'habituellement elle affectionnait.
- "Je n'en peux plus mon doux seigneur. Vous êtes bon avec moi mais vos rares visites ne suffisent pas, et n'ont sans doute jamais suffi, à me faire oublier mon époux, mes fils, mes gens et mes terres. Je me languis de tout ceci, je me désseche dans ce pays. Je suis certaine que mes fils prennent des risques insensés pour me retrouver et je ne peux pas vivre avec ce poids. Je veux partir d'ici... je... j'en ai assez."
- "Je vous comprends Valerianne. Croyez-moi. Ecoutez... tenez-vous prête demain soir avec votre fille sur cette même terrasse, et je vous ferai sortir d'ici."
- "Mais ! Pourquoi courreriez-vous un tel risque pour moi ?"
- "Je ne supporte plus l'idée de savoir cette plante en train de se fâner."
- "Je ne peux vous aimer, vous le savez."
- "Je n'ai jamais rien formulé de tel."
Elle baissa les yeux, coupable peut-être en son for intérieur de l'idée qu'elle avait supposée. Non, il n'était pas amoureux d'elle. Bien entendu elle s'en serait trouvée flattée et peut-être même y aurait-elle trouvé un réconfort provisoire, mais elle était lasse de cette vie, réellement lasse de ne pas s'appartenir, d'être donnée à des hommes dont elle ne connaissait rien et ne reverrai jamais, d'assouvir des passions dont elle n'était pas responsable et de n'être jamais elle-même, autre chose qu'un objet précieux dont on dispose ou qu'on prête en guise de flatterie. Elle ne devait de n'être pas appelée prostituée qu'au fait qu'elle ne recevait rien en retour de ses grâces sinon le droit à prolonger une vie toujours plus fade qui n'était pas la sienne et d'assurer à sa fille un confort tout relatif. Bientôt d’ailleurs, cette dernière serait femme et Valerianne redoutait l'heure où, à son tour, elle pourrait se voir choisie par des hommes qui la souilleraient à son tour.
Tout ceci devait cesser. Ses yeux doux se relevèrent vers cet homme qu'elle appréciait, pratiquement le seul qui revint régulièrement vers elle, et le seul, en tous cas, à apprécier d'elle autre chose que son corps pâle; ses seins blancs et ses cheveux flamboyants.
- "Que comptez-vous faire ?"
- "Moins vous en saurez, moins vous en direz. Ne faites aucun préparatif, nous aurons tout loisir de voir ça plus tard. Assurez-vous simplement d'être ici à la même heure demain soir."
- "Si... si c'était un échec ?"
- "Le sultan me ferait probablement décapiter, vous seriez empalée et exposée aux portes de la maison des femmes, et Aldanne continuerait de mener l'existence à laquelle elle semble trouver un certain attrait."
- "Parce qu'elle n'a pas encore été jetée en pâture."
Il n'avait aucun besoin qu'elle explicite sa pensée et se contenta d'un hochement de tête. Leurs regards se croisèrent à l'instant où leurs mains se joignirent en une seule prise. Il y avait tant d'émotions dans le regard de cette femme, tant d'espoir et de peine, de chagrins, de déchirements et de nostalgie. Il s'en sentit ému en retour et ne sut qu'afficher un sourire gêné avant de se dégager délicatement de l'étreinte et de s'éloigner d'un pas bien plus assuré qu'il ne s'en serait cru capable.
- "Demain soir à la même heure."
Voir cette femme malheureuse ne le laissait pas indifférent. Il aurait eu toute facilité à écarter ce sentiment en se persuadant qu'elle disposait de facilités et de bienfaits que d'innombrables femmes des tribus lui auraient envié, mais une chose lui manquait à laquelle elle accordait un grand prix : sa liberté. Au contraire de bien des filles qui étaient arrivées ici pré-pubères ou à peine femmes, elle avait été faite captive, échangée contre on ne sait quel avantage commercial, militaire ou politique, à un âge plus avancée, mère de quatre enfants dont la petite Aldanne qu'elle adorait. L'enfant avait alors dix ans.
Aujourd'hui elle fêtait son treizième anniversaire, déjà remise du supplice infligé quelques semaines auparavant. Au sein du harem sa position s'était renforcée et les autres femmes ne lui cherchaient pas d'histoires. Mais ces avantages ne lui procuraient aucun réconfort : son jeune prince, à peine plus âgé qu'elle, ne venait plus lui rendre visite et son coeur saignait douloureusement malgré la tendresse de sa mère qui s'épuisait à vouloir lui redonner le sourire. S'épuiser était vraiment le mot et Tsion'hebb en découvrit toute l'ampleur lorsqu'il revint vers elle un soir et qu'elle refusa une partie d'échecs qu'habituellement elle affectionnait.
- "Je n'en peux plus mon doux seigneur. Vous êtes bon avec moi mais vos rares visites ne suffisent pas, et n'ont sans doute jamais suffi, à me faire oublier mon époux, mes fils, mes gens et mes terres. Je me languis de tout ceci, je me désseche dans ce pays. Je suis certaine que mes fils prennent des risques insensés pour me retrouver et je ne peux pas vivre avec ce poids. Je veux partir d'ici... je... j'en ai assez."
- "Je vous comprends Valerianne. Croyez-moi. Ecoutez... tenez-vous prête demain soir avec votre fille sur cette même terrasse, et je vous ferai sortir d'ici."
- "Mais ! Pourquoi courreriez-vous un tel risque pour moi ?"
- "Je ne supporte plus l'idée de savoir cette plante en train de se fâner."
- "Je ne peux vous aimer, vous le savez."
- "Je n'ai jamais rien formulé de tel."
Elle baissa les yeux, coupable peut-être en son for intérieur de l'idée qu'elle avait supposée. Non, il n'était pas amoureux d'elle. Bien entendu elle s'en serait trouvée flattée et peut-être même y aurait-elle trouvé un réconfort provisoire, mais elle était lasse de cette vie, réellement lasse de ne pas s'appartenir, d'être donnée à des hommes dont elle ne connaissait rien et ne reverrai jamais, d'assouvir des passions dont elle n'était pas responsable et de n'être jamais elle-même, autre chose qu'un objet précieux dont on dispose ou qu'on prête en guise de flatterie. Elle ne devait de n'être pas appelée prostituée qu'au fait qu'elle ne recevait rien en retour de ses grâces sinon le droit à prolonger une vie toujours plus fade qui n'était pas la sienne et d'assurer à sa fille un confort tout relatif. Bientôt d’ailleurs, cette dernière serait femme et Valerianne redoutait l'heure où, à son tour, elle pourrait se voir choisie par des hommes qui la souilleraient à son tour.
Tout ceci devait cesser. Ses yeux doux se relevèrent vers cet homme qu'elle appréciait, pratiquement le seul qui revint régulièrement vers elle, et le seul, en tous cas, à apprécier d'elle autre chose que son corps pâle; ses seins blancs et ses cheveux flamboyants.
- "Que comptez-vous faire ?"
- "Moins vous en saurez, moins vous en direz. Ne faites aucun préparatif, nous aurons tout loisir de voir ça plus tard. Assurez-vous simplement d'être ici à la même heure demain soir."
- "Si... si c'était un échec ?"
- "Le sultan me ferait probablement décapiter, vous seriez empalée et exposée aux portes de la maison des femmes, et Aldanne continuerait de mener l'existence à laquelle elle semble trouver un certain attrait."
- "Parce qu'elle n'a pas encore été jetée en pâture."
Il n'avait aucun besoin qu'elle explicite sa pensée et se contenta d'un hochement de tête. Leurs regards se croisèrent à l'instant où leurs mains se joignirent en une seule prise. Il y avait tant d'émotions dans le regard de cette femme, tant d'espoir et de peine, de chagrins, de déchirements et de nostalgie. Il s'en sentit ému en retour et ne sut qu'afficher un sourire gêné avant de se dégager délicatement de l'étreinte et de s'éloigner d'un pas bien plus assuré qu'il ne s'en serait cru capable.
- "Demain soir à la même heure."
Endherion
Re: La Rose et le Vent
- "Aldanne ? Viens avec moi ma fille, rejoins moi sur la terrasse, je voudrais te parler."
La jeune fille se redressa, surprise, et faillit se piquer de son aiguille alors qu'elle ajustait le bustier de sa robe de perles. Il s'agissait de la même robe pour laquelle la jalousie des autres femmes l'avait faite durement châtiée quand elle avait dû défendre le don que le fils du sultan lui avait offert. Seule son amie Ishma avait le droit d'y toucher pour l'aider aux essayages et, parfois, pour la revêtir elle-même avec mille précautions et un plaisir immense. Depuis les dernières retouches, la saison des pluies touchait à sa fin et la jeune fille avait forci de la poitrine, à sa grande fierté, et devait reprendre son vêtement en conséquence.
- "Pourquoi pas ici ?"
Ca n'était pas dans leurs habitudes de faire ce genre de manières. Mère et fille étaient très complices habituellement et cette façon de procéder était totalement inhabituelle. Néanmoins Aldanne posa son ouvrage en mettant l'aiguille en sûreté dans un coussinet et s'approcha en abandonnant le vêtement précieux à son amie. Peut-être sa mère voulait-elle l'informer d'une surprise un peu particulière pour son anniversaire ? Elle s'avança non sans une certaine fébrilité.
- "Nous partons ce soir. Je veux qu'après le repas tu me rejoignes ici sans tarder et nous attendrons qu'on vienne nous chercher."
- "Hein ?!"
- "Tu m'as bien comprise, c'est très important Aldanne. Nous allons avoir enfin l'occasion de nous enfuir d'ici."
- "Et... et revoir Papa ? et Endhy ? et Gaewen ?"
- "Oui mon coeur mais chut ! surtout pas un mot à qui que ce soit. C'est très important !"
- "Evidemment mais... et mes perles ? mon peigne ? On laisse tout ?"
- "Chuuut ! Parle donc moins fort je t'en prie. Oui, nous devons tout laisser car si le sultan ou qui que ce soit avait vent de notre projet, tu peux être bien certaine que nous le payerions très très cher alors surtout tu ne prends aucun risque d'accord ? Je n'aurais même pas dû te le dire si tôt mais je ne veux pas prendre le risque de devoir courir après toi après l'heure du bain."
- "Mais... mais maman..."
La mère ne pouvait ignorer dans le regard de sa fille le déchirement que représentait pour elle le fait de quitter cette vie où certes elle était esclave mais pour laquelle, dans l'insouciance de sa jeunesse, elle n'avait pas encore trop ressenti les insupportables contreparties. D'une main tendre elle caressa la joue encore douce du velours de l'enfance.
- "Mon coeur, je sais ce que ça représente pour toi, mais pense à papa, pense à tes frères qui doivent nous chercher partout et comme ils doivent se désespérer de notre absence..."
- "Même pas vrai !"
- "Que veux-tu dire ma puce ?" interrogea Valerianne avec une voix dans laquelle elle s'efforçait d'effacer toute autorité.
- "Ils s'en fichent bien de nous ! Tu dis qu'ils nous cherchent mais qu'est-ce que tu en sais ? Tu dis ça parce que tu es jalouse de moi, c'est tout ! Parce que moi je me plais bien ici et que personne ne me fait du mal parce que Bemnet m'aime et moi aussi. Et c'est mon anniversaire ce soir !"
D'un geste brutal elle repoussa la main de sa mère, le regard effronté. Valerianne en était stupéfaite, incapable de réagir devant tant d'insolence. Elle s'en trouvait tellement démunie qu'elle ne savait pas comment réagir face à cette enfant qui devenait adulte sous ses yeux et lui opposait un mur d'incompréhension auquel elle se heurtait brutalement. Comment un tel fossé a-t-il pu se creuser entre elles ? A-t-elle bien fait de lui masquer ses peines, la dureté de sa condition ? Aldanne en avait bien entendu conscience à travers les propos de ses amies qui ne lui avaient rien caché, parfois non sans une certaine cruauté, des sordides habitudes de certains nobles et de ce à quoi les femmes s’adonnent en compagnie des hommes et parfois entre elles. Comment ne peut-elle pas comprendre ?
L'enfant s'assit sur le rebord d'une vasque, le regard un peu perdu. La réaction de sa mère la surprenait, la choquait presque d’être aussi secouée par ses mots d’adolescente. Elle s'attendait à une gifle, à des propos véhéments, à être rudement remise en place. Au lieu de ça, face à elle, sa mère semblait simplement défaite, anéantie. Elle se radoucit et se glissa dans ses bras sans se faire repousser, bien au contraire.
- "Tu... tu pourrais peut-être partir toute seule ?"
- "Et que crois-tu qu'il t'arriverait en ce cas ?"
- "Je... je ne sais pas. Bemnet me... m'aidera ?"
- "Tu le sais aussi bien que moi Aldanne. Tu serais réduite à une forme d'esclavage bien pire que celle que tu vis ici. Tu n'as pas mes cheveux blonds, tu as presque la couleur des femmes de ce pays à force de soleil. Tu vas vivre un enfer et l'amour de ton jeune prince ne te protègera pas de la fureur de son père."
Aldanne ne répondit pas. Son esprit ne lui obéissait plus, partagé en trop de sentiments contradictoires, tiraillé douloureusement entre des considérations qui la blessaient de toutes parts. Sa mère glissa un baiser dans ses cheveux rendus auburns à force de soleil.
- "Je comprends ce que ça représente pour toi ma chérie, mais notre vie n'est pas ici."
Aldanne se blottit un peu plus dans les bras de sa mère, encore un peu plus grande qu'elle, et soupira en hochant la tête.
La jeune fille se redressa, surprise, et faillit se piquer de son aiguille alors qu'elle ajustait le bustier de sa robe de perles. Il s'agissait de la même robe pour laquelle la jalousie des autres femmes l'avait faite durement châtiée quand elle avait dû défendre le don que le fils du sultan lui avait offert. Seule son amie Ishma avait le droit d'y toucher pour l'aider aux essayages et, parfois, pour la revêtir elle-même avec mille précautions et un plaisir immense. Depuis les dernières retouches, la saison des pluies touchait à sa fin et la jeune fille avait forci de la poitrine, à sa grande fierté, et devait reprendre son vêtement en conséquence.
- "Pourquoi pas ici ?"
Ca n'était pas dans leurs habitudes de faire ce genre de manières. Mère et fille étaient très complices habituellement et cette façon de procéder était totalement inhabituelle. Néanmoins Aldanne posa son ouvrage en mettant l'aiguille en sûreté dans un coussinet et s'approcha en abandonnant le vêtement précieux à son amie. Peut-être sa mère voulait-elle l'informer d'une surprise un peu particulière pour son anniversaire ? Elle s'avança non sans une certaine fébrilité.
- "Nous partons ce soir. Je veux qu'après le repas tu me rejoignes ici sans tarder et nous attendrons qu'on vienne nous chercher."
- "Hein ?!"
- "Tu m'as bien comprise, c'est très important Aldanne. Nous allons avoir enfin l'occasion de nous enfuir d'ici."
- "Et... et revoir Papa ? et Endhy ? et Gaewen ?"
- "Oui mon coeur mais chut ! surtout pas un mot à qui que ce soit. C'est très important !"
- "Evidemment mais... et mes perles ? mon peigne ? On laisse tout ?"
- "Chuuut ! Parle donc moins fort je t'en prie. Oui, nous devons tout laisser car si le sultan ou qui que ce soit avait vent de notre projet, tu peux être bien certaine que nous le payerions très très cher alors surtout tu ne prends aucun risque d'accord ? Je n'aurais même pas dû te le dire si tôt mais je ne veux pas prendre le risque de devoir courir après toi après l'heure du bain."
- "Mais... mais maman..."
La mère ne pouvait ignorer dans le regard de sa fille le déchirement que représentait pour elle le fait de quitter cette vie où certes elle était esclave mais pour laquelle, dans l'insouciance de sa jeunesse, elle n'avait pas encore trop ressenti les insupportables contreparties. D'une main tendre elle caressa la joue encore douce du velours de l'enfance.
- "Mon coeur, je sais ce que ça représente pour toi, mais pense à papa, pense à tes frères qui doivent nous chercher partout et comme ils doivent se désespérer de notre absence..."
- "Même pas vrai !"
- "Que veux-tu dire ma puce ?" interrogea Valerianne avec une voix dans laquelle elle s'efforçait d'effacer toute autorité.
- "Ils s'en fichent bien de nous ! Tu dis qu'ils nous cherchent mais qu'est-ce que tu en sais ? Tu dis ça parce que tu es jalouse de moi, c'est tout ! Parce que moi je me plais bien ici et que personne ne me fait du mal parce que Bemnet m'aime et moi aussi. Et c'est mon anniversaire ce soir !"
D'un geste brutal elle repoussa la main de sa mère, le regard effronté. Valerianne en était stupéfaite, incapable de réagir devant tant d'insolence. Elle s'en trouvait tellement démunie qu'elle ne savait pas comment réagir face à cette enfant qui devenait adulte sous ses yeux et lui opposait un mur d'incompréhension auquel elle se heurtait brutalement. Comment un tel fossé a-t-il pu se creuser entre elles ? A-t-elle bien fait de lui masquer ses peines, la dureté de sa condition ? Aldanne en avait bien entendu conscience à travers les propos de ses amies qui ne lui avaient rien caché, parfois non sans une certaine cruauté, des sordides habitudes de certains nobles et de ce à quoi les femmes s’adonnent en compagnie des hommes et parfois entre elles. Comment ne peut-elle pas comprendre ?
L'enfant s'assit sur le rebord d'une vasque, le regard un peu perdu. La réaction de sa mère la surprenait, la choquait presque d’être aussi secouée par ses mots d’adolescente. Elle s'attendait à une gifle, à des propos véhéments, à être rudement remise en place. Au lieu de ça, face à elle, sa mère semblait simplement défaite, anéantie. Elle se radoucit et se glissa dans ses bras sans se faire repousser, bien au contraire.
- "Tu... tu pourrais peut-être partir toute seule ?"
- "Et que crois-tu qu'il t'arriverait en ce cas ?"
- "Je... je ne sais pas. Bemnet me... m'aidera ?"
- "Tu le sais aussi bien que moi Aldanne. Tu serais réduite à une forme d'esclavage bien pire que celle que tu vis ici. Tu n'as pas mes cheveux blonds, tu as presque la couleur des femmes de ce pays à force de soleil. Tu vas vivre un enfer et l'amour de ton jeune prince ne te protègera pas de la fureur de son père."
Aldanne ne répondit pas. Son esprit ne lui obéissait plus, partagé en trop de sentiments contradictoires, tiraillé douloureusement entre des considérations qui la blessaient de toutes parts. Sa mère glissa un baiser dans ses cheveux rendus auburns à force de soleil.
- "Je comprends ce que ça représente pour toi ma chérie, mais notre vie n'est pas ici."
Aldanne se blottit un peu plus dans les bras de sa mère, encore un peu plus grande qu'elle, et soupira en hochant la tête.
Endherion
Re: La Rose et le Vent
Le chuchotis était infime, mais l'oreille fine de la jeune fille le perçut tout de même.
- "Aldanne ?"
Elle leva les yeux de cette robe qu'elle n'avait plus vraiment le coeur à coudre. Son amie était là et l'observait silencieusement depuis sans doute quelques instants.
- "Ishma ? Pourquoi tu te caches ?"
- "Euh... je ne sais pas... c'est... Aldanne... c'est vrai que tu vas partir ?"
- "Mais qui t'a dit ça ?"
La jeune fille fit une moue contrariée pour éluder la question. Aldanne soupira. Elle n'avait aucune envie de mentir à sa compagne, et pas plus envie d'entrer dans les détails. Ishma se laissa tomber sur la couche moelleuse dans un doux tintement de bijoux.Trois ans qu'elle avait été admise au harem, encore enfant elle aussi à l'époque, offerte ainsi que trois autres jeunes vierges en gage de paix. L'une était morte de fièvres à peine deux mois plus tard, l'autre avait été donnée à son tour à quelque seigneur méritant un an plus tôt. Elle et Aldanne s'étaient naturellement rapprochées, pas immédiatement mais au fil du temps et Ishma avait plaisir à lui conter son enfance de fille de Dard-de-Scorpion ou d'un de ses lieutenants ou proches, Aldanne n'avait jamais trop pu faire la différence entre la vérité et le reste, ce qui n'altérait en rien leur amitié. Ishma était d'un naturel exubérant, savait se mettre en valeur et connaissait les règles et usages d'un gynécée car, malgré son jeune âge, Aldanne la soupçonnait d'avoir toujours vécu dans ce genre de milieu bien qu'en qualité de jeune fille, elle ait été relativement épargnée par le quotidien des plus mûres.
- "Tu m'emmènes ?"
- "Ca ne va pas non !? Pourquoi tu veux partir d'ici ?"
- "Bah... tu sais... ça fait quelques semaines déjà que... "
- "Et tu as peur d'être choisie ?"
Ishma approuva d'un hochement de tête, jetant un regard plein de détresse à la jeune Aldanne qui s'assit à ses côtés avant de glisser la main dans la sienne. Ishma serra fort cette main sans quitter Aldanne des yeux, comme si elle voulait lui dire toute son angoisse, tout son désir de quitter cette prison dorée au coeur de laquelle la condition féminine n'avait pas beaucoup de valeur sinon plus le plaisir des hommes et qu'elle était au seuil d'affronter dans toute sa dureté.
- "Tu... tu voudrais venir avec nous ?"
Une fois de plus Ishma hocha la tête sans se départir de son expression angoissée.
- "S'il te plaît... je t'en supplie, je te donnerai mes robes et mes bijoux, tout ce que tu voudras."
- "Non, non on ne pourra rien emporter, et puis je m'en fiche de tout ça."
- "Alors... je serai ta dévouée, ta fidèle servante, je ferai ce que tu voudras."
Aldanne soupira sans détourner le regard.
- "Tiens toi prête, je viendrai te chercher."
- "Oh merci, merci Aldanne, merci !"
- "Ishi ?"
- "O.Oui ?"
- "Pas à mot à qui que ce soit, tu me promets ?"
- "Juré."
Les deux jeunes filles s'étreignent avec toute l'énergie d'un espoir un peu fou. En partant avec son amie, Aldanne emportait avec elle un peu de ces heures merveilleuses et de son enfance au harem. Sainte Lumière, si tout ceci pouvait être vrai ! Elle peinait à y croire. Ce qui était certain en tous cas c'est que les heures qui allaient venir seraient les plus longues de sa vie et qu'elle ferait bien de les passer en prières si elle voulait que ça reste de l'ordre du supportable.
- "Aldanne ?"
Elle leva les yeux de cette robe qu'elle n'avait plus vraiment le coeur à coudre. Son amie était là et l'observait silencieusement depuis sans doute quelques instants.
- "Ishma ? Pourquoi tu te caches ?"
- "Euh... je ne sais pas... c'est... Aldanne... c'est vrai que tu vas partir ?"
- "Mais qui t'a dit ça ?"
La jeune fille fit une moue contrariée pour éluder la question. Aldanne soupira. Elle n'avait aucune envie de mentir à sa compagne, et pas plus envie d'entrer dans les détails. Ishma se laissa tomber sur la couche moelleuse dans un doux tintement de bijoux.Trois ans qu'elle avait été admise au harem, encore enfant elle aussi à l'époque, offerte ainsi que trois autres jeunes vierges en gage de paix. L'une était morte de fièvres à peine deux mois plus tard, l'autre avait été donnée à son tour à quelque seigneur méritant un an plus tôt. Elle et Aldanne s'étaient naturellement rapprochées, pas immédiatement mais au fil du temps et Ishma avait plaisir à lui conter son enfance de fille de Dard-de-Scorpion ou d'un de ses lieutenants ou proches, Aldanne n'avait jamais trop pu faire la différence entre la vérité et le reste, ce qui n'altérait en rien leur amitié. Ishma était d'un naturel exubérant, savait se mettre en valeur et connaissait les règles et usages d'un gynécée car, malgré son jeune âge, Aldanne la soupçonnait d'avoir toujours vécu dans ce genre de milieu bien qu'en qualité de jeune fille, elle ait été relativement épargnée par le quotidien des plus mûres.
- "Tu m'emmènes ?"
- "Ca ne va pas non !? Pourquoi tu veux partir d'ici ?"
- "Bah... tu sais... ça fait quelques semaines déjà que... "
- "Et tu as peur d'être choisie ?"
Ishma approuva d'un hochement de tête, jetant un regard plein de détresse à la jeune Aldanne qui s'assit à ses côtés avant de glisser la main dans la sienne. Ishma serra fort cette main sans quitter Aldanne des yeux, comme si elle voulait lui dire toute son angoisse, tout son désir de quitter cette prison dorée au coeur de laquelle la condition féminine n'avait pas beaucoup de valeur sinon plus le plaisir des hommes et qu'elle était au seuil d'affronter dans toute sa dureté.
- "Tu... tu voudrais venir avec nous ?"
Une fois de plus Ishma hocha la tête sans se départir de son expression angoissée.
- "S'il te plaît... je t'en supplie, je te donnerai mes robes et mes bijoux, tout ce que tu voudras."
- "Non, non on ne pourra rien emporter, et puis je m'en fiche de tout ça."
- "Alors... je serai ta dévouée, ta fidèle servante, je ferai ce que tu voudras."
Aldanne soupira sans détourner le regard.
- "Tiens toi prête, je viendrai te chercher."
- "Oh merci, merci Aldanne, merci !"
- "Ishi ?"
- "O.Oui ?"
- "Pas à mot à qui que ce soit, tu me promets ?"
- "Juré."
Les deux jeunes filles s'étreignent avec toute l'énergie d'un espoir un peu fou. En partant avec son amie, Aldanne emportait avec elle un peu de ces heures merveilleuses et de son enfance au harem. Sainte Lumière, si tout ceci pouvait être vrai ! Elle peinait à y croire. Ce qui était certain en tous cas c'est que les heures qui allaient venir seraient les plus longues de sa vie et qu'elle ferait bien de les passer en prières si elle voulait que ça reste de l'ordre du supportable.
Endherion
Re: La Rose et le Vent
La boutique était obscure mais sentait fort la peau de chèvre, la tannerie et les colorants. D'un pas décidé le démoniste ne s'arrêta pas avant d'avoir pénétré l'arrière-boutique et agita son ample manteau pour occuper encore un peu plus l'espace. Le but avoué était d'impressionner l'artisan qui, de fait, sursauta et manqua de renverser une bouteille d'encre.
- "Que... que puis-je pour vous seigneur ?"
- "Je sais que tu livres le sultan ce soir, qu'il attend une cargaison de peaux de la meilleure qualité parmi lesquelles il choisira un cuir pour les vestes de ses maîtres chameliers."
- "C'est... qui... qui vous a dit ça ?"
- "La question n'est pas là. Ne me retarde pas Natar, tu n'as pas envie de savoir ce que je réserve à ceux qui me déçoivent. Mais tu es un homme sage et avisé, ce qui présente à la fois un avantage et un inconvénient. L'avantage, c'est qu'une démonstration te convaincra. L'inconvénient, c'est qu'il faut procéder à une démonstration."
- "Seigneur, même si vos suppositions étaient exactes, que puis-je donc pour vous ?"
Le démoniste, qui s'était penché pour parler d'une voix douce, se redressa avec un rire sonore.
- "Natar, mon brave Natar... comment te faire confiance si je ne t'ai pas convaincu au préalable ?"
- "Ça sera inutile seigneur, dites moi plutôt comment vous servir et je m'efforcerai de vous donner entière satisfaction, je le jure sur mes ancêtres."
- "Ils sont morts et enterrés de longue date, il ne te reste qu'une nièce bien lointaine dont tu n'as pas daigné assister aux noces."
- "Ça ne m'empêche pas d'être votre serviteur, ô puissant seigneur."
- "Comme tu es rusé mon bon Natar, je ne m'étonne plus que tu aies la grâce du sultan. Je suis même persuadé que tu as un moyen de lui faire savoir si tu n'agis pas de ton plein gré, qu'il s'agisse d'un artifice de matière ou de magie."
- "Par les esprits, le grand Lumineux et les Prophètes, je vous jure que non !"
- "Tiens ? Tu ne me sers plus de "seigneur" ? Aurais-je démérité ?"
- "Ah non non non !!! Certainement pas seigneur ! Parlez et j'obéirai."
- "Soit."
Sans paraître hésiter, le démoniste s'engouffra dans le magasin de peaux avant de se diriger vers le patio où il tira un peu d'eau au puits. Puis, sans un mot d'explication, il grimpa à l'échelle qui menait aux appartements privés de l'artisan. Ce dernier le suivait avec une inquiétude grandissante.
- "Que... que faites-vous seigneur ?"
- "Je t'offre à boire mon ami." répondit Tsion'hebb en saisissant deux timbales dans lesquelles il versa l'eau fraîche. Là il fouilla un instant dans les profondeurs de son vêtement et, ostensiblement, versa deux gouttes d'une fiole minuscule dans le verre de son hôte et lui tendit. "A notre accord !"
- "N.Notre accord ?"
Le démoniste vida d'un trait sa timbale de fer et, d'un hochement de tête, encourageant l'artisan à boire à son tour. Comme, évidemment, l'autre s'y refusait, il sembla porter la main à son coutelas ouvragé avant de se raviser et de montrer dans sa main la pierre couverte de runes noires envahie d'ombre et dont les ténèbres semblaient s'échapper en volutes malsaines. Dans la petite pièce, la lumière sembla vaciller, absorbée, les ombres grandies comme si la nuit était tombée au dehors. Un terrible malaise oppressa le cœur du pauvre homme dont la main se mit à trembler si fort que la timbale en perdit une fraction de son contenu.
- "Tu ne mourras pas. Sers-moi fidèlement et je te promets que notre rencontre sera très vite un mauvais souvenir."
- "Que voulez-vous de moi ?" glapit l'homme terrorisé tandis qu'autour le Néant rampait dans chaque angle de la pièce. Il jeta un œil vers le volet tiré, envisageant un instant de sauter par la fenêtre.
- "N'espère même pas t'en tirer de cette façon mon brave, tu aurais bien plus à perdre qu'à gagner, crois-moi. Voici pour achever de te convaincre."
Un sachet de pièces d'électrum frappées des armes du sultan lui-même s'écrasa aux pieds du pauvre Natar qui était lentement tombé à genoux. Il n'y jeta pas un oeil, se contentant de regarder le fond de cette timbale dont l'eau noire dans la pièce enténébrée scellerait peut-être son destin.
- "Tu ne vas pas mourir ici Natar, crois-moi. Il te suffit de boire."
- "Et... et que vas-tu me faire ensuite ?"
- "Rien. Mais en vérité tu ne me croiras pas sans quelques explications que je vais te donner. Tu vas boire et tu mourras empoisonné d'ici à la pleine lune sauf si tu exécutes soigneusement mes ordres. Si tel est le cas je te fournirai l'antidote et la vie te restera. Le sultan ne saura jamais rien de notre accord et tu ne me reverras jamais plus."
- "Le... le binerat !? Je ne te crois pas ! Son secret est perdu depuis plus de trois ans !"
- "Précisément depuis que celui qui en avait le secret est mort de ma main. Et puisque tu es si bien informé, tu dois savoir aussi bien que moi qu'il ne s'agissait pas d'un saint homme aux yeux du sultan. Tu n'ignoreras pas non plus dans quel état son corps a été récupéré. Je te conseille de ne plus tarder. Ma patience est limitée."
- "P.Par le Grand Lumineux tu... tu es le diable !"
- "Le diable ? Ah ! ah ! ah ! Tu crois donc à cette hérésie ?"
La main du démoniste se referma sur celle du pauvre artisan terrorisé qui n'opposa qu'une résistance de principe avant d'avaler le contenu de la timbale. Le récipient rejoignit avec un bruit métallique les pièces de monnaie qui jonchaient le sol et l'homme lui-même s'affala dans les coussins sans prendre conscience des ombres qui semblaient refluer, absorbées par la pierre runique. L’artefact disparut dans les profondeurs de la djellaba du tortionnaire qui se pencha vers l'homme pour lui murmurer à l'oreille ses consignes.
- "Que... que puis-je pour vous seigneur ?"
- "Je sais que tu livres le sultan ce soir, qu'il attend une cargaison de peaux de la meilleure qualité parmi lesquelles il choisira un cuir pour les vestes de ses maîtres chameliers."
- "C'est... qui... qui vous a dit ça ?"
- "La question n'est pas là. Ne me retarde pas Natar, tu n'as pas envie de savoir ce que je réserve à ceux qui me déçoivent. Mais tu es un homme sage et avisé, ce qui présente à la fois un avantage et un inconvénient. L'avantage, c'est qu'une démonstration te convaincra. L'inconvénient, c'est qu'il faut procéder à une démonstration."
- "Seigneur, même si vos suppositions étaient exactes, que puis-je donc pour vous ?"
Le démoniste, qui s'était penché pour parler d'une voix douce, se redressa avec un rire sonore.
- "Natar, mon brave Natar... comment te faire confiance si je ne t'ai pas convaincu au préalable ?"
- "Ça sera inutile seigneur, dites moi plutôt comment vous servir et je m'efforcerai de vous donner entière satisfaction, je le jure sur mes ancêtres."
- "Ils sont morts et enterrés de longue date, il ne te reste qu'une nièce bien lointaine dont tu n'as pas daigné assister aux noces."
- "Ça ne m'empêche pas d'être votre serviteur, ô puissant seigneur."
- "Comme tu es rusé mon bon Natar, je ne m'étonne plus que tu aies la grâce du sultan. Je suis même persuadé que tu as un moyen de lui faire savoir si tu n'agis pas de ton plein gré, qu'il s'agisse d'un artifice de matière ou de magie."
- "Par les esprits, le grand Lumineux et les Prophètes, je vous jure que non !"
- "Tiens ? Tu ne me sers plus de "seigneur" ? Aurais-je démérité ?"
- "Ah non non non !!! Certainement pas seigneur ! Parlez et j'obéirai."
- "Soit."
Sans paraître hésiter, le démoniste s'engouffra dans le magasin de peaux avant de se diriger vers le patio où il tira un peu d'eau au puits. Puis, sans un mot d'explication, il grimpa à l'échelle qui menait aux appartements privés de l'artisan. Ce dernier le suivait avec une inquiétude grandissante.
- "Que... que faites-vous seigneur ?"
- "Je t'offre à boire mon ami." répondit Tsion'hebb en saisissant deux timbales dans lesquelles il versa l'eau fraîche. Là il fouilla un instant dans les profondeurs de son vêtement et, ostensiblement, versa deux gouttes d'une fiole minuscule dans le verre de son hôte et lui tendit. "A notre accord !"
- "N.Notre accord ?"
Le démoniste vida d'un trait sa timbale de fer et, d'un hochement de tête, encourageant l'artisan à boire à son tour. Comme, évidemment, l'autre s'y refusait, il sembla porter la main à son coutelas ouvragé avant de se raviser et de montrer dans sa main la pierre couverte de runes noires envahie d'ombre et dont les ténèbres semblaient s'échapper en volutes malsaines. Dans la petite pièce, la lumière sembla vaciller, absorbée, les ombres grandies comme si la nuit était tombée au dehors. Un terrible malaise oppressa le cœur du pauvre homme dont la main se mit à trembler si fort que la timbale en perdit une fraction de son contenu.
- "Tu ne mourras pas. Sers-moi fidèlement et je te promets que notre rencontre sera très vite un mauvais souvenir."
- "Que voulez-vous de moi ?" glapit l'homme terrorisé tandis qu'autour le Néant rampait dans chaque angle de la pièce. Il jeta un œil vers le volet tiré, envisageant un instant de sauter par la fenêtre.
- "N'espère même pas t'en tirer de cette façon mon brave, tu aurais bien plus à perdre qu'à gagner, crois-moi. Voici pour achever de te convaincre."
Un sachet de pièces d'électrum frappées des armes du sultan lui-même s'écrasa aux pieds du pauvre Natar qui était lentement tombé à genoux. Il n'y jeta pas un oeil, se contentant de regarder le fond de cette timbale dont l'eau noire dans la pièce enténébrée scellerait peut-être son destin.
- "Tu ne vas pas mourir ici Natar, crois-moi. Il te suffit de boire."
- "Et... et que vas-tu me faire ensuite ?"
- "Rien. Mais en vérité tu ne me croiras pas sans quelques explications que je vais te donner. Tu vas boire et tu mourras empoisonné d'ici à la pleine lune sauf si tu exécutes soigneusement mes ordres. Si tel est le cas je te fournirai l'antidote et la vie te restera. Le sultan ne saura jamais rien de notre accord et tu ne me reverras jamais plus."
- "Le... le binerat !? Je ne te crois pas ! Son secret est perdu depuis plus de trois ans !"
- "Précisément depuis que celui qui en avait le secret est mort de ma main. Et puisque tu es si bien informé, tu dois savoir aussi bien que moi qu'il ne s'agissait pas d'un saint homme aux yeux du sultan. Tu n'ignoreras pas non plus dans quel état son corps a été récupéré. Je te conseille de ne plus tarder. Ma patience est limitée."
- "P.Par le Grand Lumineux tu... tu es le diable !"
- "Le diable ? Ah ! ah ! ah ! Tu crois donc à cette hérésie ?"
La main du démoniste se referma sur celle du pauvre artisan terrorisé qui n'opposa qu'une résistance de principe avant d'avaler le contenu de la timbale. Le récipient rejoignit avec un bruit métallique les pièces de monnaie qui jonchaient le sol et l'homme lui-même s'affala dans les coussins sans prendre conscience des ombres qui semblaient refluer, absorbées par la pierre runique. L’artefact disparut dans les profondeurs de la djellaba du tortionnaire qui se pencha vers l'homme pour lui murmurer à l'oreille ses consignes.
Endherion
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