Rumeurs en ville...

- Le Bar-Tabasse a fermé, t'sais. On n'a plus nulle part où aller...
Le vieil homme soupira et prit une nouvelle gorgée dans sa flasque de whisky. Ce dernier avait un goût horrible, entre l'eau de mer croupie et le sirop pour la toux trop amer. Mais il l'avala quand même, persuadé qu'une heure de plus sans un peu d'alcool dans le sang le rendrait fou.
- Nulle part..., répéta son ami, presque aussi délabré que lui.
Ils sentaient mauvais et les passants s'écartaient de leur chemin pour ne pas avoir à supporter les terribles effluves qui se dégageaient d'eux. Leurs propres odorats ne fonctionnaient plus depuis longtemps.
- Entre la Sirène et le Bar-Tabasse, tout meurt dans c'te foutue ville...
- Ouais...
- Tu vas voir, on va nous dire bientôt que l'alcool est interdit faute de lieux où l'vendre !
- Elle s'rait bien bonne !
Ils haussèrent les épaules de concert, et la flasque circula entre eux. Une vie de misère sans alcool, cela frôlait le pathétique. La chute serait longue...
- Si seulement l'Cochon était 'core ouvert !
- Et l'Solitaire !
- Ah attends, mais... l'est ouvert lui ! Viens, on s'bouge !
Il se levèrent aussi sûrement qu'un colosse d'argile, tremblants et prêts de s'effondrer, attirant des regards désespérés de la part des passants. Claudiquant, ils s'éloignèrent, non sans que l'un d'eux ronchonne :
- Ouais, mais l'Cochon, c'tait queq'chose.
- Pour sûr l'ami !

Jean Bon, messager de son état, livrait comme chaque matin depuis des années courriers et missives à différentes adresses du vieux quartier. Et comme chaque matin depuis des années, il s'arrêtait boire un coup à chaque adresse, habitué des lieux qu'il était. Alors qu'il venait remettre à Gerik Koen une lettre de son beau-frère lieutenant dans la marine, il apprit une nouvelle intéressante.

- "Tiens, tu sais pas ce que j'ai vu, le matin dernier !" lui dit le commerçant tenant l'échoppe "Armes Lourdes" en lui tendant un gobelet en corne remplis de vin. "Y avait cette bonne femme qui est venue faire le tour du Cochon plusieurs fois comme si elle inspectait l'bâtiment. J'avais pas d'clients alors je me suis occupé à l'observer ... et son petit manège me rappelle drôlement celui de Monsieur Calderi à l'époque où il a racheté la taverne."

Le facteur, le nez déjà rouge malgré l'heure matinale après ses arrêts à chaque adresse, se contenta de pousser un grognement interrogatif à l'intention du marchand.

- "Ca m'étonn'rai pas que le Cochon Siffleur change encore de propriétaire, si tu vois c'que j'veux dire." continua Gerik en observant à travers la vitre l'établissement qui faisait face à son échoppe.  "Enfin ça f'ra pas de mal au vieux Reese. Ses rhumatismes l'empêchent de porter les commandes et depuis qu'Calderi et sa clique se sont fait la malle, y a plus tellement de clients ... Ca ne peut qu'être bon pour les affaires du quartier ! Les aventuriers éméchés n'auront qu'à faire quelques pas tout droit pour venir m'acheter quelques articles." finit-il pour lui même en jetant un regard vers les râteliers qui garnissaient son échoppe. Il y avait là claymores, flamberges, marteaux de guerre et autres armes de destruction massive, et le vieux commerçant espérait bien profiter du rachat potentiel du Cochon pour renflouer ses caisses.