Journaux personnels de Skäli - Les morts se souviennent
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Journaux personnels de Skäli - Les morts se souviennent
Edit HRP : Ceci est un compte rendu de notre première campagne sur Hurlevent, sous la forme d'un journal intime tenu par Skäli (d'où un post différent)
Année 32 - Jour 1 : Retour à Hurlevent
Je me demande encore ce qui a bien pu me pousser à revenir ici… Pourquoi faut-il que je me torture avec ça aujourd’hui encore ? Si je n’avais pas vu leurs visages bouffis et suffisants, leurs gros culs affalés dans de confortables sièges en velours… Le papelard était là, rédigé en expressions formelles, mon nom étalé en grandes lettres. Peut être que j’aurais pu passer ma route, changer de vie, oublier cette maudite guerre… Ces salopards sont tellement prêts à tout. Ils ont pensé que ce serait facile de me faire taire. Un grade, une meilleure solde, et puis j’aurais fini par disparaître sur le champ de bataille, sans faire de vagues. Une vision de cauchemar m’est revenue brutalement, bien que j’aie les yeux parfaitement ouverts. J’ai commencé à réciter à voix basse cette petite litanie que je me répète la nuit, quand je me réveille en sueur, le coeur prêt à exploser . “Therim, Balor, Fili, Egard, Ydar, Jade, Pirion, Anor, Eliel…” La liste est longue mais je la connais par coeur. Le nom des hommes tombés ce jour là parce que nos supérieurs n’ont pas daigné lever le petit doigt pour nous envoyer du renfort… Parce qu’ils étaient trop lâches, parce que nous ne représentions rien pour eux. Je leur avais donné ma parole. Les renforts allaient arriver. Ils ont tenu bon, se raccrochant à cette promesse. Et chaque nuit, je me rappelle le visage des morts, leur expression terrifiée au moment inéluctable. J’entends le fracas métallique de mon arme tombant au sol, quand ce fut mon tour. Et l’absence de Lumière.
Il y a eu un moment de silence gêné. L’un d’eux s’est raclé la gorge, se demandant sûrement ce que je marmonnais tout bas. Me prenant pour une folle. Alors j’ai récité plus fort la liste de mes camarades et devant leur mine déconfite, j’ai ajouté : “Le nom des hommes morts ce jour là. Quelle récompense auront-ils ceux là ?” Aucun n’a répondu. J’ai tendu la main vers le bout de parchemin et l’ai déchiré avant de leur jeter à la figure.
Mais alors que je sortais du bureau au pas de charge, voilà que je fonce tête baissée dans un nain en armure. Quelle ne fût pas ma surprise en reconnaissant Bugli ! Après toutes ces années, alors qu’il était celui là même qui m’avait poussée à devenir paladin, coûte que coûte… Le destin fait parfois de drôles de blagues. Nous nous sommes retrouvés à parler de la guerre, dans une taverne, comme si nous ne nous étions jamais quittés. J’ai fini par lui raconter mon histoire. Il m’a écoutée attentivement, caressant sa barbe d’un air soucieux. A la fin de mon récit, il m’a regardée droit dans les yeux en déclarant : “Et maintenant qu’est ce que tu comptes faire, Tripes-de-Fer ? Tu les feras pas revenir, tu sais.”
Bugli a raison. Je ne ramènerai pas mes hommes à la vie. Mais il y a encore deux trois petites choses que mon épée peut accomplir... Ma décision est prise. Je retrouverai les responsables de ce massacre et je nettoierai l’Ordre des Paladins de ses pleutres. Même si c’est la dernière chose que je dois accomplir avant de fermer les yeux.
Dernière édition par Skäli le Dim 07 Aoû 2016, 18:11, édité 1 fois
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Jour 15 - Jakon Gallowglass
Cette ville est vraiment pleine de surprises. A peine quelques jours passés ici, et je me retrouve avec ma plume sans savoir par quoi commencer. Mais il faut que je me force à coucher tout ça sur le papier. Si le courage me manque, si ma résolution faiblit, ce carnet me rappellera à mon devoir. Si moi je les oublie, qui se battra pour eux, qui leur rendra leur dignité ?
Ces derniers jours, je me suis attelée à rassembler tous mes souvenirs enfouis, essayant de reconstituer chaque événement, tout en arpentant ma chambre de long en large… Malheureusement mes souvenirs sont trop parcellaires pour m’avancer dans ma quête. Il y a une semaine de ça, dépitée de ne pas avoir avancé d’un iota, et en panne d’idées, j’ai fini par sortir prendre l’air. Mes pas m’ont guidée vers la cathédrale et son ponton de pêche. Mais je n’étais pas seule à convoiter ce petit coin de quiétude. A peine m’étais-je installée qu’un worgen à la mine patibulaire débarquait non loin de mon territoire.
Je l’ai observé du coin de l’oeil, un peu curieuse. Il n’avait pas la dégaine habituelle des gens du coin. Revêtu de deux couches de maille grossière, il ne s’embarrassait pas de superflu, contrairement à la plupart des citadins d’Hurlevent. Ce gars là semblait taillé pour l’aventure et le grand air, pas pour vivre dans les rues surpeuplées de la capitale humaine. Pour en attester, ses armes parfaitement entretenues pendaient de chaque coté de son ceinturon, achevant de lui donner un air menaçant, si tant est que ses crocs ne lui suffisent pas. Sans me prêter la moindre attention, il est allé chercher une canne à pêche dans un cabanon et a jeté sa ligne à l’eau.
Peut être avais-je besoin de me distraire ? Sans réfléchir j’ai engagé la conversation sur un “Ça mord ?” qui se voulait un brin tendancieux, considérant l’énergumène. Je ne sais pas s’il a relevé le double sens. Jakon Gallowglass n’est pas du genre à se lancer dans les jeux d’esprit, ni dans les conversations philosophiques. Enfin, c’est tout du moins ce qu’il prétend, sous ses dehors de brute épaisse. Ses airs bravaches et son parler abrupt n’étaient pas pour me déplaire. Peut être qu’une vie passée dans l’armée redéfinit les règles d’une conversation intéressante… Il s'interrompait parfois longuement, pour réfléchir, les yeux fixés sur sa ligne. Les blancs et les silences ne me gênent pas. J’apprécie ces moments qui se passent de commentaires. La nuit tombée, on a fini dans une taverne du quartier nain. On a parlé de nos souvenirs, de Draenor où il avait été aussi… Il buvait peu, me vrillant de ses yeux inquisiteurs. Il semblait dire que son humanité l’avait déserté quelque part dans le passé, laissant de lui cet être au sang maudit qui ne vivait que pour survivre et voir le jour suivant se lever. Pourquoi est-ce que Jakon me touche tant ? Peut être parce qu’il me renvoie à ma propre malédiction, aux abîmes de mes nuits sans aurore. Parce qu’il semble aussi déplacé que moi dans cette ville trop insouciante.
Il a choisi de s’établir là un moment, pour gagner sa croûte en raccourcissant quelques malfaiteurs des environs. Le boulot ne manque pas et il espère un jour pouvoir bâtir sa maison quelque part. Il insiste pour dire qu’il ne fait qu'exécuter des contrats officiels, légaux. Code d’honneur ou besoin de se justifier ? J’en suis à un point où la frontière du bien et du mal me parait bien ténue… Je me garderai bien de le juger. Quand nous nous sommes séparés, vers le milieu de la nuit, il avait un contrat à exécuter le lendemain.
Il n’est revenu que trois jours plus tard, blessé. Il avait pris un vilain coup de poignard dans le bras et paraissait épuisé, ce qui n’arrangeait pas son humeur habituelle. Après avoir bataillé ferme, je l’ai finalement convaincu d’aller trouver Bugli, dont les remèdes sont toujours efficaces. Je savais qu’il pourrait le rafistoler correctement. Ses talents d’aumônier militaire sont inégalables. Ce fut vite désinfecté, recousu, bandé. J’ai éprouvé un certain soulagement au retour du chasseur de primes. Voilà longtemps que je ne m’étais plus fait de soucis pour quelqu’un d’autre. Ma vie a été bien solitaire ces dernières années. Il dit qu’il m’accompagnera, s’il ne peut pas me dissuader d’aller au bout de ma vengeance. Bugli a un contact en ville, une vieille connaissance, qui devrait pouvoir obtenir des informations sur les officiers qui dirigeaient les opérations en Draenor. Thérun Fortblason, c’est l’homme que je dois interroger en premier, l’homme qui a sonné la retraite, déclarant que nous étions tous morts. Jakon dit qu’on ne peut pas faire taire les voix la nuit, même après avoir accompli sa vengeance. Il a l’air d’en avoir suffisamment bavé pour savoir de quoi il parle. Mais il y a longtemps que je ne me pose plus toutes ces questions. Je suis comme ces blocs de glace qui se décrochent de la montagne au printemps. Peu importe pourquoi elle arrive, on n’arrête pas une avalanche dans sa course.
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Re: Journaux personnels de Skäli - Les morts se souviennent
Jour 21 : Thérun Fortblason
Je me sens vide, ce soir. C’est comme si je sombrais progressivement dans un puits sans fond. Ma chute est lente, mais je sens la Lumière me déserter à chaque jour qui passe… Il ne me reste que ma rage, qui brûle comme une braise ardente au fond de cet abîme sans fin. Est-ce mon purgatoire ? Jakon m’a traitée de tous les noms, ce soir, avant de retourner dans sa piaule vétuste près du port. Je crois qu’il n’est pas prêt de m’approcher à nouveau… A croire qu’il n’est pas le plus bestial de nous deux. Cette pensée me fait sourire, mais ça n’a rien de drôle.
Tout à commencé il y a trois jours, alors que Jakon et moi nous étions retrouvés sous un arbre, près de notre ponton habituel. Bugli m’avait prévenue que son indic’ risquait de me contacter sous peu. Le message est parvenu sous la forme d’un caillou que j’ai reçu en pleine poire. Pas la meilleure manière d’entrer en matière avec moi. La note attachée au projectile indiquait seulement le port. Après tous ces jours passés dans l’attente, à tourner en rond, mon sang n’a fait qu’un tour. Enfin du nouveau ! Jakon, toujours aussi mal embouché, s’est alors décidé à m’accompagner. Je crois qu’il veille sur moi à la manière d’un cerbère, prêt à me ramener par la peau du cul à la première incartade. Une fois sur place, notre indic’ s’est révélée être une gnomette à couettes, particulièrement agaçante, plus connue sous le nom de Prym Tourneboulon. Un peu canaille, un peu contrebandière, on ne sait pas trop ce qu’elle trafique. Par dessus tout, elle a cette fâcheuse tendance à ne révéler les informations cruciales que lorsqu’elle est vraiment décidée à le faire… Et à faire tourner en bourrique ceux qui les attendent, bien consciente de son avantage. Mais je n’étais pas vraiment d’humeur à jouer. J’étais si proche du but ! Et cette gamine semblait prendre un malin plaisir à faire durer le suspense, babillant à tort et à travers, éludant les questions, sautant de sujet toutes les deux minutes… N’y tenant plus, j’ai tiré mon épée, lui collant la pointe sous le menton, afin d’en finir avec ces jeux puérils. Jakon m’a mise en garde d’un regard mauvais, achevant de me mettre en pétard. Heureusement, la gnomette s’est décidée à cracher le morceau, ainsi que l’adresse où le vieux Fortblason se terrait pour sa retraite. Elle lui avait revendu un vil bâtard au prix d’un chien de race et semblait bien informée sur ses habitudes. J’ai rengainé mon épée, enfin satisfaite. Une fois éloignés du port, Jakon s’est mis à jouer les preux chevaliers, me reprochant ma brutalité, et mes accès d’humeur. Comme s’il était bien placé pour me faire la leçon ! A vrai dire, je ne comprends toujours pas cet excès de scrupules. Peut être l’ai-je mal évalué dès le départ. Comme si cette affaire pouvait se régler sans faire appel à la force !
Ces pleutres se cachent bien à l’abri des regards, profitant d’une retraite dorée. Ils n’ont rien de gentils papys innocents. Et je n’en tirerai rien avec de jolis sourires et des courbettes. Mais Jakon a au moins raison sur un point : il ne faut pas que je perde la boule. Si je veux mener cette affaire jusqu’au bout, j’ai besoin de tout mon sang-froid. Et de ce côté là, je dois bien admettre qu’il en a plus que moi. Seulement, s’il pouvait arrêter de se jeter sur moi dès qu’il estime que je dépasse un peu les bornes, ce serait quand même pas mal. J’ai beau lui expliquer qu’on ne traite pas ses amis de la sorte, il continue de me malmener comme une fillette. Quoiqu’il en soit, notre dispute a duré un moment, et puis j’ai perçu cette petite pointe de tristesse dans ses yeux fatigués. Ça m’a fait l’effet d’une douche froide. Je me suis demandé ce que ça ferait, s’il partait là, maintenant. S’il tournait les talons et me laissait sur le carreau. Alors j’aurais perdu l’un des seuls amis qui me restent et qui me supportent encore. Pour ce soir là au moins, on a finalement trouvé un terrain d’entente.
Le lendemain, à la nuit tombée, on a retrouvé Bugli à l’orée de la forêt d’Elwynn pour les dernières recommandations. Il avait la mine soucieuse de ceux qui ont vu trop de gars fauchés sur le champ de bataille. Il a serré la main de Jakon, lui intimant de me ramener en un seul morceau, comme si je n’étais pas en mesure de me défendre par mes propres moyens. Ravalant ma fierté, j’ai décidé que c’était sa manière à lui de me souhaiter bonne chance. Une fois les adieux faits, on s’est lancés à travers la forêt, évitant les grandes routes, en direction des Carmines. Le trajet se déroula sans encombres, jusqu’à Comté du Lac. Le jour pointait à peine à l’horizon quand nous avons débarqué dans le petit village encore endormi.
Il ne nous a pas fallu longtemps pour trouver la maison de notre homme. Comme tout bon militaire, il était déjà levé et attelé à son jardin, son petit chien traînant dans les plantations. Cette image bucolique a presque eu raison de mes résolutions. Je me suis ressaisie. Ce n’était pas le moment de flancher. Jakon fit le tour de la propriété et vint se placer discrètement vers la sortie du terrain, contrôlant de ce fait l’une des issues. Fortblason s’est dirigé vers le lac, son arrosoir et sa pelle à la main, le chien sur les talons. J’ai profité de cette occasion pour l’aborder, sortant de ma cachette. Il ne m’a pas reconnue. Pourtant c’était lui qui était venu me voir, sur ma couchette de convalescente pour me proposer une jolie somme en échange de mon silence. La colère a refait surface, intacte. Sa faiblesse apparente ne me faisait que le haïr d’avantage. Jakon déboula dans son dos, lui retirant sa pelle des mains avec une facilité enfantine. Le vieillard commença à s’affoler, risquant de nous faire repérer. Avec une vitesse exemplaire, mon acolyte assomma l’homme et son chien d’un coup de pelle bien placé.
Nous nous sommes dirigés vers la forêt, Jakon chargeant Fortblason sur son épaule. On l’attacha à une souche et je me suis chargée de le réveiller, lui jetant un peu d’eau de ma gourde sur le visage. Une fois revenu à lui, il semblait désemparé, son visage implorant ma pitié. Ce n’était plus le fier officier, venu me soudoyer d’un air condescendant. Il n’a pas fallu longtemps avant qu’il n’accepte de parler de Draenor. Il disait avoir fait son devoir d’officier. Avoir obéi aux ordres. Suivi le protocole. Qu’on envoyait pas de renforts pour une unité piégée. Il parlait d’une voix calme, sûr de lui. J’ai remarqué rapidement qu’il s’adressait surtout à Jakon, espérant sans doute plus de merci de sa part. Il ne cessait de répéter qu’il ne pouvait désobéir, et je voulais savoir à qui, mais en vain. Il semblait pétrifié à l’idée de révéler l’identité de ses supérieurs. Quand il s’est évanoui à nouveau, Jakon s’est retourné contre moi, remettant en question mes motivations. C’est pour ça que tu m’as fait venir ici ? a-il-tonné. Je me suis sentie trahie, l’espace d’un instant. Mais je me suis maîtrisée. Bien sûr qu’il ne pouvait pas comprendre. Mais la justice n’épargne personne, pas même les vieillards. Pour moi, le moment crucial était arrivé, et Jakon pouvait bien se carrer ses scrupules où je pense. Je suis retournée auprès de Fortblason et j’ai fini par lui faire cracher le nom tant redouté. La Vigie. Personne ne le voyait jamais, mais il contrôlait tout d’une main de fer. Son aura planait sur les plus hautes sphères du pouvoir militaire. Fortblason semblait se recroqueviller à vue d’oeil à son évocation. Après ces révélations faites, il m’a donné le nom d’un autre homme : Bodul Tristepierre. Le nain faisait partie de la garde rapprochée de La Vigie. Lui pourrait peut être m’en dire plus sur cette affaire.
Thérun Fortblason semblait avoir tout dit. Il m’a alors demandé de le tuer. Il ne pensait pas survivre de toute façon. La Vigie le retrouverait quoiqu’il arrive, après ces révélations. J’ai entraîné Jakon à l’écart. Il était temps de prendre une décision, et j’avais besoin de son aval plein et entier. Fortblason risquait de parler après notre départ. S’il nous avait fait ces révélations sans trop de difficultés, qu’en serait-il de gens qu’il redoutait vraiment ? Tout cela pouvait fortement nuire au reste de cette affaire. Tout en soulageant sa vessie derrière un arbre, Jakon rétorqua d’un ton sans appel : “Si tu fais ça, c’est moi que tu perds. Définitivement.” La colère est retombée. J’avais eu ce que je voulais. Le vieil homme avait parlé, et il ressemblait à un pantin désarticulé, attaché à son arbre. Quelle satisfaction aurais-je à le tuer maintenant ? Ma véritable cible est La Vigie. Un sous-fifre comme Fortblason peut bien passer le reste de sa vie à fuir ses propres démons. Quant à ma sécurité, c’est une autre histoire… Mais à ce moment là, l’envie de fuir cet endroit a été le plus fort. Un goût métallique avait envahi ma bouche. Je me sentais vaguement nauséeuse. Nous avons libéré Fortblason, jurant que nous ne toucherions pas à sa famille, ni à lui, tant qu’il se tiendrait à l’écart de cette affaire. Il nous écoutait à peine, le regard vide.
Le chemin du retour s’est fait en silence. Le jour était haut à présent, et le besoin de discrétion était moins grand. Jakon marchait à grandes enjambées, les dents serrées. J’attendais calmement que l’orage éclate. Il est arrivé à l’approche d’Hurlevent. Jakon a fait brutalement volte face et m’a jeté un regard de dégoût :
- Ne m’embarque plus dans tes histoires, tu m’entends ? Je ne veux plus en entendre parler.
Il m’aurait giflée que ça m’aurait fait moins mal. J’aurais préféré qu’on se tape dessus plutôt que d’entendre ça. Quand je lui ai demandé des explications, il a déballé une liste interminable de mes défauts… Impulsive, puérile, rongée par la haine, prête à tuer un pauvre vieillard sans défense, mais aussi incroyablement naïve dans le même temps… Ça fusait dans tous les sens. Je lui ai fait remarquer avec une pointe de cynisme qu’il était pourtant toujours là à jouer les nounous. Il a grogné quelque chose dans sa barbe et m’a plantée à l’entrée de la ville.
Bugli était heureux de me revoir en un seul morceau. Mais ça c’est bien la seule chose qui soit restée intacte, je crois.
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Jour 30 : Ulfran Natte-Ardente
J'ai du quitter Hurlevent en urgence. Je me dépêche d'écrire car je ne sais pas si je serais en mesure de le faire encore. La peur me tenaille le ventre mais bizarrement ce n'est pas l'approche de la mort qui m'inquiète. Je n'arrête pas de penser à l'échec que ce serait de ne pas aller au bout. Tout cela aura été bien vain...
Je me terre chez mon parrain à Thelsamar. Oncle Thyrgrim y tient une auberge depuis qu'il est en retraite. C'est le seul en qui je puisse avoir entièrement confiance à présent. Il a accepté de me planquer là le temps que les choses se tassent à Hurlevent. C'est un ancien militaire qui ne pose pas de questions, et le plus vieil ami de mon père. Il m'a vue débarquer en pleine nuit le visage caché sous une large capuche, et il m'a fait entrer sans discuter, le regard soucieux. Ils ne viendront pas me chercher ici, du moins pas encore.
Depuis ma dispute avec Jakon, je traînais mes guêtres à Hurlevent, écumant les tavernes, ne cherchant même plus de bonnes raisons pour me bourrer la gueule. Le ponton de pêche désert me donnait de furieuses envies de taper dans quelque chose. Je suis de meilleure humeur quand je suis ronde comme une queue de pelle. Et puis il fallait bien prendre mon mal en patience en attendant des nouvelles de Prym. Au moins je m'étais réconciliée avec elle. Elle avait fait du bon boulot avec Fortblason, je devais lui reconnaître ça. Elle était maintenant à la recherche de Tristepierre et il n'y avait rien que je puisse faire pour accélérer les choses.
Je ne me rappelle plus très bien comment j'ai rencontré Ulfran Natte-Ardente. Sûrement au détour d'une énième soirée dans une taverne des environs. Je ne devais pas être très fraîche ce soir là mais ça n'a pas semblé le rebuter. C'est le genre de personnage qui n'a l'air de rien si vous n'y prêtez pas trop d'attention. Un nain roux comme on en voit souvent, au visage buriné, marqué des cicatrices d'anciennes batailles. Mais je perçus rapidement que c'était plus que ça. Ses yeux pétillants, son rire franc, son infinie gentillesse m'ont enveloppée comme une vague de réconfort inattendue. J'ai retrouvé le sourire sans m'en apercevoir. Comme un petit feu de camp qui vous réchauffe dans la nuit. Ulfran fait cet effet là sur les gens qu'il croise. Il prenait du bon temps à Hurlevent avant de retourner vadrouiller aux quatre coins du monde. Il disait ne jamais rester bien longtemps au même endroit mais souffrir de sa solitude, quelquefois.
On se mit rapidement à discuter comme de vieux amis. C'était comme si je l'avais toujours connu. Mais sous son apparente bonhomie, Ulfran est aussi très doué pour percer les autres à jour. Sans connaître mon histoire, il a rapidement deviné que je me trouvais mêlée à une sale affaire. Il proposa spontanément de m'aider. Venant de tout autre, je me serais méfiée.
Mais aujourd'hui... Je ne vois pas à qui d'autre je pourrais m'adresser. Bugli n'est pas un combattant. Et d'ailleurs, il en a assez vu pour une vie entière. Je ne veux plus le mêler à cette affaire sordide si je peux l'éviter. Hier soir, en revenant vers ma pénates, j'ai remarqué que les abords de l'auberge étaient étonnamment calmes pour une fois. Une fois entrée, un silence de mort m'a accueillie. Les lieux étaient plongés dans une obscurité épaisse. J'ai tiré mon poignard de ma botte, une vieille habitude du temps où je traînais à Baie du Butin. J'ai monté les escaliers en évitant de faire craquer les marches. La porte de ma chambre était entrouverte. En la poussant j'ai découvert un vaste capharnaüm. Tout avait été retourné, mes affaires saccagées. Sans y prêter plus d'attention je me suis précipitée vers la latte du plancher sous laquelle je planquais mes notes personnelles.
Elle aussi avait été retournée. Il savait désormais que je savais. J'ai attrapé quelques affaires dans tout ce foutoir que j'ai fourrées dans un sac et j'ai dévalé les escaliers dans le sens inverse. C'est là que j'ai remarqué les traces de sang.
Le tavernier était dans la cave, attaché à une chaise. Son corps n'était plus qu'une plaie béante. Ils l'avaient massacré pour lui tirer quelques informations. J'ai tâté ses tempes à la recherche d'un pouls, en vain. Il n'y avait plus rien que je puisse faire pour cet homme. Une première victime de ma quête de justice...
Justice, vengeance, tout est confus désormais. Tout ce que je sais c'est qu'il n'y a plus de retour en arrière possible. Alors en désespoir de cause, j'ai envoyé un message discret à Ulfran le priant de venir me rejoindre au plus vite... La question est maintenant de savoir s'il viendra.
Bodul Tristepierre travaille au barrage du Loch Modan, non loin d'ici. Apparemment, tout le monde le connaît dans le coin, même mon parrain. Oncle Grim dit qu'il le voit souvent à l'auberge, bourré comme un coing à longueur de temps, divaguant sur sa vie passée dans l'armée. Il faut que je le trouve et vite.
On frappe à ma porte. Une voix familière, un peu inquiète, chuchote derrière le panneau de bois : "Skäli, c'est moi, Ulfran. J'ai fait aussi vite que j'ai pu." Malgré tout, je ressens un immense soulagement. Il est venu ! Les affaires reprennent.
Dernière édition par Skäli le Jeu 04 Aoû 2016, 01:07, édité 1 fois
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Re: Journaux personnels de Skäli - Les morts se souviennent
Jour 31 : Bodul Tristepierre
Je viens de me réveiller. Je ne me rappelle plus de la dernière fois où j'ai aussi bien dormi. Je me sens étonnamment sereine, les idées claires. Ulfran a monté la garde pour que je puisse me reposer dans cette petite ferme isolée au milieu des montagnes. Au moment où j'écris ces mots, le nain dort en ronflant doucement, encore adossé à la porte, la main sur son arc.
Hier soir, il a fait toute la preuve de sa valeur, s'il en avait encore besoin... Nous avons trouvé Bodul Tristepierre au barrage, comme Prym me l'avait indiqué. Il travaillait en service de nuit et à ce moment là, il était seul sur le chantier. Ce qui nous laissait un peu de temps pour l'aborder avant que les autres travailleurs n'arrivent. M'est avis qu'il n’avait nulle part ailleurs où aller de toute façon. Couvert de poussière, il était torse nu, portant seulement un pantalon qui avait connu des jours meilleurs. Rien qu'à en juger par l'odeur, ça faisait longtemps que le bonhomme n'avait pas vu la couleur de l'eau. En nous voyant débarquer ensemble, Tristepierre s’est tout de suite méfié. J'avais décidé de l'aborder en douceur, mais il se braqua aussitôt. Il avait le regard brillant de ceux qui sont déjà bien imbibés. Même le sourire et la bonhomie d'Ulfran ne suffirent pas à le mettre en confiance. Il s’est vraiment affolé quand nous avons évoqué le nom de La Vigie. Ce type doit être un sacré monstre pour susciter autant d’angoisse chez ceux qui bossent pour lui. Il scrutait les alentours, les yeux paniqués, puis il s’est mis à courir dans tous les sens. Tout en le pourchassant, j’ai tenté de le rassurer au mieux, lui promettant que je ne travaillais pas pour La Vigie, bien au contraire. Ulfran a pris un peu de recul et a bandé son arc, menaçant Tristepierre de l'abattre s'il ne se calmait pas. Le nain a finalement décidé de s’arrêter, voyant qu’il ne pourrait pas nous échapper. En pleurant, il nous a expliqué ce que La Vigie l’obligeait à faire… Il a parlé d’enfants, qu’il devait lui amener. Je me suis raidie. J’ai l’impression d’aller d’horreur en horreur, ces dernières semaines… La suite était décousue, c’était difficile de comprendre Tristepierre tant il était bouleversé. Puis, sans crier gare, il s’est élancé vers le bord du barrage et s’est précipité dans le vide.
C’est étrange comme la vie ne représente rien. Un instant nous lui parlions et puis il était mort, écrasé sur les rochers des dizaines de mètres plus bas. Il ne me restait plus qu’une chose à faire, si je voulais tirer quelque chose de Bodul Tristepierre. Nous nous sommes mis à la recherche d’une longue corde de chantier dans les caisses entreposées là. Une fois trouvée, nous l’avons arrimée à un bloc de pierre du barrage et je suis descendue en rappel le long de la façade démolie. Il ne restait plus grand chose du pauvre bougre. Délicatement, j’ai fouillé ses poches, et déniché un portefeuille usé. Ensuite, j’ai entrepris de rapatrier le corps du nain, en l’attachant à la corde. C’est à ce moment là que Prym a décidé de surgir sur les hauteurs du barrage. Aidant Ulfran, ils ont entrepris de remonter tous les deux le cadavre de Tristepierre. Une fois remontée à mon tour, j’ai confié le portefeuille à Prym, qui y a trouvé une lettre d’une certaine Madelyn Gordon. La femme mentionnait toute sa reconnaissance au nom de La Vigie pour le silence exemplaire de Tristepierre et y ajoutait une somme rondelette de dix mille pièces d’or, qu’il trouverait sur son compte en banque. Le sceau de la lettre m’était familier. Il venait de l’hospice d’Hurlevent.
C’était difficile de calmer la frénésie de Prym concernant les dix milles pièces d’or disparues. Mais une bien triste tâche nous attendait désormais. Nous avons accroché Tristepierre sur la selle de mon bélier, le recouvrant d’une couverture et nous nous sommes dirigés vers Thelsamar, aussi discrètement que possible. A couvert des arbres, nous avons creusé une fosse et l’avons enterré là, sans une parole. Quand nous en avons eu terminé, il faisait nuit noire. Nous avons ensuite suivi Ulfran qui connaissait une ferme où passer la nuit. Le réconfort du lieu, la chaleur d’un feu, ajoutés aux quelques vivres que mon parrain m’avait laissées me firent oublier tout le reste pendant un instant. J’ai chargé une nouvelle fois Prym de trouver des informations sur cette Madelyn Gordon et sur l’hospice d’Hurlevent. Et puis je me suis endormie sur ma chaise, le nez sur la table.
Mais désormais, le soleil est bien haut dans le ciel. J'ai presque trop dormi. Il est temps de retourner à la capitale, afin de me tenir prête à affronter un nouveau sbire de La Vigie.
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Re: Journaux personnels de Skäli - Les morts se souviennent
Jour 36 : Jon Rambald
Oncle Thyrgrim est mort. J’écris ces mots pour en réaliser l’horreur. La Vigie a fait assassiner mon parrain, ce militaire à la retraite, qui ne rêvait que de mourir paisiblement dans son lit. Quelque soit cet homme ou cette organisation, il s’applique désormais à éliminer toutes les personnes qui m’approchent. C’est Prym qui m’a annoncé la nouvelle, il y a deux jours. Depuis, je m’accroche comme je peux pour ne pas sombrer dans le vide béant de mon existence. Malgré tous les efforts d’Ulfran pour me soutenir, je suis envahie par les dernières paroles de Jakon. “Pourquoi je te ferais confiance, hein ? Tu prends toujours les mauvaises décisions. Tu es puérile, égoïste, dévorée par ta haine, et parfois... si incroyablement naïve.” Et chaque mot est comme un poignard qui s’enfonce dans ma chair, et je ne peux rien faire pour l’empêcher. A ce stade, seule ma rage me permet encore de me lever chaque jour et de continuer, au lieu de rester recroquevillée dans mon lit à gémir comme une bestiole à l’agonie. Naïve, naïve… Et tellement égoïste. En proie au doute le plus total, je ne sais plus dans quelle direction me diriger. Je pense aux vivants… A Bugli, à Ulfran, à Prym… Et même à ce salopard de Jakon. Bugli est resté fidèle à lui-même en apprenant la nouvelle. Ses yeux se sont teintés d’une tristesse infinie. De ceux qui ont déjà vécu cette tragédie et qui aurait espéré se tromper sur le déroulement de celle-ci. Quelque part, ça n’a fait que renforcer les paroles assassines de Jakon. J’étais donc la seule à avoir été aveugle, depuis le début ! Ulfran, n’a rien dit, lui. Il m’a pressé l’épaule de sa main réconfortante, ami loyal quelles que soient les tempêtes. Quant à Prym… Elle a déguerpi, craignant pour sa vie.
Notre expédition avait pourtant bien commencé, ce jour là… J’avais reçu une note de Prym me pressant de la rejoindre à Hurlevent, au bar de Bizmo. Ulfran avait reçu la même, et nous nous sommes retrouvés dans les souterrains étouffants de la capitale. Le bar clandestin était caché dans les entrailles du tram, et l’endroit n’avait pas changé depuis ma dernière visite, des années auparavant. Le bruit des trains passant sur les rails se mêlait au rythme des basses lourdes chargées d’ambiancer la faune hétéroclite du lieu. Le bar de Bizmo possède aussi sa propre odeur, reconnaissable entre mille. Un savant mélange d’alcool fort, de fumée, et de relents des combats clandestins qui se déroulent toujours au centre du bar, dans une arène. C’est dans l’une des alcôves que l’on a découvert Prym, fumant un cigare énorme, les pieds sur la table. Pour une fois, j’ai fait mine d’être patiente quand elle a fait semblant de ne pas me reconnaître. Je crois que j’ai fini par accepter ses sautes d’humeur imprévisibles et ses petits caprices… On se fait à tout, je suppose. On en a profité pour boire un verre, avec Ulfran, attendant patiemment que Prym se décide à nous dire pourquoi elle nous avait fait venir ici. La gnomette était surexcitée, beuglant et se dandinant sur la musique qui passait… Après nous avoir donné ce spectacle inédit, elle a fini par nous parler d’un certain Jon Rambald, un ancien camarade de Tristepierre, qui avait eu l’ingénieuse idée de se tirer vite fait pour échapper à la Vigie. Il vivait désormais dans un camp de bûcheron sous un nom d’emprunt, non loin d’Hurlevent. Nous aurions peut-être plus de chance avec lui si nous voulions obtenir des informations sur Madelyn Gordon. Une fois qu’elle a dit tout ce qu’elle savait, Prym nous a congédiés sèchement. Elle attendait la visite d’une draeneï fort peu vêtue, qui s’avançait déjà jusqu’à la table pour lui offrir une danse très privée. J’ai du tirer Ulfran de sa chaise, qui semblait souffrir de quelques difficultés pour retrouver ses esprits, les yeux fixées sur les courbes de la charmante créature. J’ai secoué la tête amusée. En l'entrainant hors du bar, j’entendais encore une Prym déchainée vociférer “Montre moi ta croûuuuuupe, tu seras ma monture épiqueeeeeeuh…!!!”
Une fois dehors, on s’est rapidement mis en route. Il n’y avait pas de temps à perdre si nous voulions garder notre avantage sur la Vigie. Ulfran était étrangement silencieux pendant le trajet. D’habitude, on avait toujours des discussions à bâton rompu sur tout et n’importe quoi, et là je peinais à lui tirer deux mots. Finalement, il a arrêté son bélier au milieu du chemin, et m’a regardée avec un air plus grave que jamais.
- Skäli, il faut que je te dise un truc… Cette Madelyn Gordon, elle m’a écrit. Hier, j’ai reçu ça…
Il a fouillé dans sa poche et en a tiré une lettre froissée. En fronçant les sourcils, toute ma bonne humeur envolée, j’ai lu les quelques mots rédigés dans une écriture délicate :
“A l’attention d’Ulfran Natte-Ardente,
Nous avons eu vent de vos récents faits d’armes dans la région du Loch Modan. Sachez que La Vigie est toujours généreuse envers ses amis les plus loyaux. Aussi, je vous prie d’accepter en son nom ce petit quelque chose en échange de votre dévouement et discrétion.
Ce n’est pas dans votre intérêt de refuser la main qui vous est si obligeamment tendue.
Madelyn Gordon”
Ulfran a ajouté d’un air penaud qu’elle avait joint une récompense de dix mille pièces d’or à sa missive. On savait désormais où était passé l’argent de Bodul Tristepierre. Mon ami s’est empressé de préciser qu’il avait renvoyé l’or, comme si je pouvais douter un instant de sa loyauté. L’avantage que nous croyions avoir, s’est avéré totalement illusoire. Nous sommes surveillés, et de très près. Pire que ça, Madelyn menace directement Ulfran afin de m’atteindre. La Vigie ne nous laissera donc aucun répit et le duel est déjà engagée. Je croyais encore à ce moment là que je pouvais en dicter les règles. La mort de mon parrain m’a appris que je me trompais lourdement. En tout cas, la nouvelle de cette tentative de corruption d’Ulfran nous a fait presser le pas, plus déterminés que jamais à atteindre Jon Rambald avant la Vigie.
On a fini par le trouver près d’une scierie, occupé à couper du bois, torse nu. Le bonhomme était un solide gaillard et on devinait à sa stature imposante et à ses nombreuses cicatrices qu’il n’avait pas toujours été un banal bûcheron. Tout d’abord méfiant à notre approche, j’ai décidé de miser sur la plus totale des franchises pour m’attirer sa coopération. J’ai l’habitude de ce genre de gus. Ca ne sert à rien d’essayer de les entourlouper avec de vaines paroles. L’approche la plus directe est encore le meilleur moyen de se faire bien voir. Sur ce coup là en tout cas, il s’est avéré que j’avais raison et Rambald nous a entraînés chez lui, dans une petite bicoque en bordure de forêt. Il s’exprimait avec les intonations de l’ancien soldat, un phrasé que j’aurais reconnu entre tous. Il nous a installés autour d’une table miteuse, sur des fauteuils usés jusqu’à la corde. Tout en parlant, il est allé chercher de quoi nous servir son whisky artisanal, un infâme tord-boyau à vous réveiller les morts. Je me suis forcée à avaler le contenu de mon verre en grimaçant. Ulfran a reniflé le breuvage d’un air suspicieux puis s’est décidé courageusement à m’imiter. Virant au rouge brique, à l’unisson avec son poil roux, il s’est retenu de recracher son whisky devant notre hôte. Rambald faisait les cent pas dans la maison, suivant un schéma précis, l’air préoccupé.
Il s’est montré pleinement coopératif, nous demandant d’abord de raconter nos péripéties. Il était sensible à mon histoire, après tout, nous étions tous les deux des soldats. Quand j’ai eu terminé mon récit, il a froncé les sourcils et m’a demandé de but en blanc “Vous avez été suivis en venant ici ?”. Ulfran m’a lancé un regard inquiet, et j’ai haussé les épaules “Pas que je sache”. On s’était montrés aussi prudents que possible, mais les yeux de La Vigie sont partout, impossible de dire s’il savait ce que nous faisions ou pas. Le vétéran scrutait les alentours, écartant légèrement les rideaux de la maison. Sans cesser de surveiller, il s’est décidé à nous parler de La Vigie. Il avait été engagé comme troufion à son service, avant de découvrir des faits suspects. Les dires de Tristepierre s’avéraient justes. La Vigie ne se montrait jamais mais on voyait souvent des jeunes enfants passer sa porte. Les soldats qui causaient un peu trop disparaissaient du jour au lendemain, si bien que les rumeurs ne duraient jamais longtemps. Au sein de l’armée, il semblait inatteignable, tirant les ficelles dans les plus hautes sphères, organisant des galas en grande pompe dans différents châteaux et domaines sans jamais y assister lui-même. De plus en plus mal à l’aise par rapport à sa hiérarchie et aux missions qui lui étaient confiées, Rambald a déserté le service, pour ne plus jamais revenir. Mais quand on a évoqué le nom de Madelyn Gordon, l’ancien soldat s’est exclamé : “Ah cette vieille harpie ! On disait souvent qu’elle était amoureuse de La Vigie !” Il n’y avait pas plus fidèle et dévouée lieutenant qu’elle. Elle avait dirigé l’hospice d’Hurlevent avant de finir conseillère consultante au sein de l’armée. Elle était la voix et le bras droit de La Vigie, et elle était bien gardée.
Jon n’a aucune idée d’où elle se trouve à l’heure actuelle. Il ne pouvait pas nous en dire plus, mais il a juré de nous prêter main forte si nous avions besoin de ses compétences. Il a posé un genou à terre devant moi, répétant son serment de servir Azeroth et l’Alliance, ce qui n’était pas sans me mettre mal à l’aise. Nous avons pris congé rapidement, tendus à l’idée qu’on nous ait suivis et de tomber dans un piège de La Vigie. Mais il n’y avait que Prym, pour nous attendre au détour d’un chemin. Je ne l’avais jamais vue dans cet état, le visage sombre et grave, balançant tristement ses jambes au dessus d’une barrière. En guise de préambule, elle a demandé : “Bonne ou mauvaise nouvelle ?”. La bonne était que Thérun Forblason avait été assassiné, ce qui n’avait rien de réjouissant en soi. Elle avait appris la nouvelle par une offre de contrat officiel envoyé à Jakon et qu’elle avait intercepté, surveillant le courrier du worgen. Celui-ci était expressément invité à mener les investigations sur la mort de l’officier. Concours de circonstances ou nouvelle embuscade ? J’ai appris à ne plus croire au hasard, avec La Vigie. Mais Jakon reste introuvable pour l’heure. Et quant à la mauvaise nouvelle de Prym, il s’agissait de la mort d’Oncle Grim, m’éloignant ainsi d’Hurlevent pour un ou deux jours.
Il était hors de question que je rate ses funérailles, même si j’ai du y assister de loin, sur une colline. Je ne voulais pas mettre en danger le peu de famille qu’il me reste en m’affichant auprès d’eux. En observant le cortège funèbre passer au loin, pas une larme ne s’est échappée de mes yeux. Je ne pourrai pleurer mes morts que lorsque j’en aurai fini avec La Vigie.
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