Voyage en découvertes.
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Voyage en découvertes.
Prise de contact
Le voyage jusqu’au campement organisé autour de la caravane Fossard n’avait pas été aussi long qu’elle le craignait de prime abord.
En effet, bien qu’ayant une confiance toute relative dans les portails, le tout premier ayant été expérimenté le soir du bal de la Maison d’Eleos, Lysange s’était tout de même laissée convaincre : un bon portail permettrait un gain de temps qu’elle pourrait mettre à profit auprès du Grand Patron. Or ce voyage avait comme principal but d’enfin pouvoir faire la connaissance de celui pour qui elle travaillait depuis maintenant trois mois.
Aussi, plutôt que de prendre un vol par griffon au départ de la capitale tôt le lendemain du marché, elle avait donc accepté un portail de mage jusqu’aux Hautes terres d’Arathie puis de là avait loué un griffon pour passer le mur de Muradin qui restait zone occupée par la Horde et enfin c’est à dos de jument louée au griffonnier qu’elle avait fait son apparition au pied des montagnes d’Alterac en longeant la rivière.
La caravane Fossard s’était arrêtée aux abords d’un ruisseau qui serpentait depuis le haut des montagnes neigeuses et avait monté un petit campement où travaillaient une demie douzaine de personnes, autour du grand patron, Oscar Fossard, que l’on ne pouvait rater, ni de la vue, ni de l’oreille, sa stature imposante s’apercevant de loin et sa voix tonitruante interpellant le passant à plusieurs lieues à la ronde. Il y avait là aussi trois humains, deux hommes et une femme au milieu des bêtes déjà capturées, un nain à barbe rousse occupé à travailler sur des harnais en cuir, et un gnome qui s’activait devant une énorme marmite.
Si la petite troupe semblait prête à l’accueillir ou du moins s’enquérir de ce qu’elle faisait là et désirait, il n’en fut pas de même du Patron !
L’homme, imposant par sa stature et inquiétant du fait d’une allure revêche qui ne donnait nulle envie de venir s’y frotter, commença tout d’abord par la houspiller, lui intimant l’ordre de « dégager sur le champ ! », et ce avant même qu’elle ne mette pied à terre.
Pourtant certaine d’avoir atteint sa destination mais désemparée par cette attitude hostile qu’elle était bien loin d’avoir envisagée, Lysange hésita donc à repartir d’où elle était venue. Mais c’était sans compter sur son caractère tout à la fois volontaire et positif. Il l’avait rudoyée sans même savoir de quoi il retournait, elle n’allait tout de même pas repartir comme ça !
En quelques secondes d’observation du campement et des employés qui s’occupaient dans leur coin sans rien perdre de la scène, elle se fit son idée. Ce gars là avait beau être imposant et même inquiétant, d’une, elle était tout de même venue exprès de Hurlevent pour le tenir au courant de SES affaires et se démenait pour LUI depuis des semaines, et de deux, elle n’allait pas se laisser intimider par un type sous prétexte qu’il tirait la tronche.
Elle en avait vus d’autres, des bourrus de son espèce, à commencer par Ben’, et si elle ne pouvait pas être certaine d’être acceptée, sans parler d’être appréciée, elle savait par contre qu’elle n’avait rien à craindre tant qu’elle restait elle-même positive, simplement vivante et pleinement présente.
Bien sûr, en son for intérieur elle n’en menait pas large, mais elle savait aussi qu’il n’y avait rien de mieux qu’une attitude naturelle et respectueuse pour calmer toute crainte. Après tout elle venait de s’introduire en « territoire étranger » sans avoir prévenu de son arrivée ou, encore mieux, demandé l’accord du propriétaire de ce territoire, et ce au moins une heure avant. Or il se trouvait qu’elle même n’appréciait pas du tout ce genre de visite inopinée. Nul n’en savait rien, car elle prenait garde de conserver en tout instant son sourire et sa bonne humeur, mais la jeune femme luttait en permanence pour ne pas s’enfermer dans ce qu’elle appelait « sa cave » et qui n’était autre que les méandres innombrables d’une caboche débordant d’émotions trop souvent ingérables.
Elle démonta donc souplement, prenant garde de ne pas alerter sa monture par des gestes brusques, passa les rênes par dessus le licol en murmurant quelques mots de remerciement à celle qui venait de la porter pendant des heures, prit le temps de flatter l’encolure de la jument, avant d’aviser un seau d’eau fraîche qu’elle lui amena, calme, tranquille, comme si rien ne s’y opposait.
Passées ces quelques minutes qui lui semblèrent comme sorties du temps, elle se tourna enfin vers son patron, lui adressa un sourire timide mais sincère et s’approcha main tendue. « Bonjour, excusez cette intrusion, je n’ai pas pu vous prévenir de l’heure de mon arrivée, Lysange Delabay, je travaille pour vous avec Monsieur Pignac, à Hurlevent. »
L’homme serra la main tendue, se penchant ostensiblement du haut de ses deux mètres et quelques, son front plissé et ses yeux froncés attestant de sa méfiance encore présente, puis se fendit d’un «Grumpfff... » avant de vaguement s’excuser, passant la main dans sa tignasse et l’arrière de son crâne, puis il reporta son attention vers la jument qui maintenant paissait tranquillement. « C’est pas une de nos bêtes ». La phrase avait été dite d’un ton bourru, apparemment sans attente particulière, sinon peut-être de faire montre d’un peu de sociabilité. C’est du moins ce qu’en décida Lysange. Elle opina donc simplement, rajoutant que la bête avait bien mérité du repos puis elle se tourna vers les autres qui n’avaient toujours pas bougé et leur lança un joyeux bonjour. Enfin elle s’en retourna vers la jument et défit enfin sacoches et selle, le coeur battant à tout rompre mais nul n’aurait pu le deviner.
Elle venait de surmonter son premier examen de passage, plutôt positivement à en juger par la mine rigolarde des autres qui semblaient habitués aux rebuffades du patron. Elle allait pouvoir s’expliquer, et elle était venue pour ça. Alors autant prendre les choses du bon côté.
Lysange
Re: Voyage en découvertes.
Un petit bout de femme
Une fois qu’il fut évident qu’elle n’allait pas repartir dans l’heure mais au contraire rester quelques jours, le patron commanda qu’on lui fasse une place quelque part et l’informa qu’elle avait une bonne demie heure pour s’installer et éventuellement se rafraîchir avant le dîner qu’elle prendrait « à ses risques et périls car il était préparé par Monsieur Miette ». Le ton était sans appel, toujours aussi rude mais finalement respectueux de la personne et teinté d’humour à l’annonce du dîner. Lysange se détendit donc et suivit Lou, une femme sans âge aux allures vaguement masculines qui lui indiqua, près du sien, le lit où elle pourrait dormir ainsi que les commodités aménagées dans le campement.
Lorsque Lysange se présenta pour le dîner, ils étaient tous assis autour d’un feu et riaient à propos du ragoût préparé par « Monsieur Miette », le cuisinier, un gnome mage, capable tout aussi bien de préparer un repas avec moins que rien, que de fabriquer des portails en tout endroit pour qu’Oscar puisse rendre visite à son intendant juste le temps d’un aller-retour. De petite taille, capable de réaliser des prodiges avec presque rien, il acceptait son surnom avec le sourire et même fierté.
Lysange s’était changée, troquant ses chausses, ses bottes et son gilet tous en cuir pour une jupe de lin et un de ses chemisiers usuels, et se tenait pieds nus, cheveux mouillés et fraîche, ayant largement profité du seau d’eau apporté par là chasseresse Lou. En la voyant arriver, tous se turent et attendirent que le patron lui indique sa place, guettant dans l’attitude de celui qu’ils connaissaient bien, l’intonation qui préfigurerait de la plus ou bonne ambiance du rassemblement.
Mais Oscar Fossard semblait avoir oublié sa première attitude, où tout du moins avait décidé de faire bonne figure devant celle dont tous avaient déjà entendu parler comme « la fille qui assiste Marcel et qui fait du bon boulot ».
Tandis que Monsieur Miette faisait passer à Lysange une assiette pleine d’un ragoût qui lui rappela ses voyages avec Ben’, le patron lui demanda tout d’abord de parler de l’affaire en cours, ceci afin « qu’on se débarrasse d’abord des conneries et des emmerdeurs avant de parler de choses plus importantes ».
Au fur et à mesure que Lysange expliquait l’affaire en omettant aucun détail, Oscar Fossard râlait, grommelait, commentait, ne mâchant pas ses mots sur ces « connards » de nains qui, et pour lui c’était une évidence incontournable, avaient purement et simplement copié son projet de façon grossière, sans aucun professionnalisme ni sensibilité, et s’en servaient pour « encu... » les hurleventois, ou disons pourrir la vie de toute une communauté qui, en plus, dans « sa connerie et sa lâcheté », en redemandait.
Il était évident, toujours selon lui, que ces «enfoirés », malhonnêtes et tout juste bons à cogner et surtout être cognés - « II n’y a qu’à voir comment ils nomment leurs hommes de mains ! » - non seulement cherchaient à faire main basse sur toutes les activités lucratives des marchands honnêtes mais en plus cherchaient des noises à tous ceux qui « daignaient » leur résister.
Lysange dû donc expliquer, raconter, détailler, et tout reprendre par le menu avant que le Grand Patron -qui, trouvait-elle, portait bien l’adjectif de « grand »- en ait fini avec cette « lamentable affaire » dont il imputait la faute d’abord aux nains du Fer, bien évidemment, et ensuite à son intendant. Car « le vieux aurait dû avoir plus de jugeote et mieux gérer ces empafés ! ». Pire, voyant que Lysange cherchait à minimiser la faute de l’intendant, le patron se mit à hurler qu’il en avait « assez de ce vieux fou et que s’il n’était pas capable de gérer les cons, c’est qu’il ne valait pas mieux qu’eux et méritait purement et simplement d’être renvoyé dans ses pénates ! ».
Ce n’est qu’à la fin du dîner, le vin aidant peut-être, que le patron commença à se dérider, ayant questionné la jeune femme sur son travail. Il semblait surtout surpris qu’un « petit bout de femme comme elle puisse savoir se servir de sa plume avec autant d’aisance qu’un bretteur son épée ». Lysange, pensant qu’il faisait référence à son âge, expliqua qu’elle tenait peut-être ce talent de sa mère ou de son père, puisqu’elle ne connaissait aucun de ses deux parents. Mais Oscar Fossard semblait plutôt étonné par sa vivacité d’esprit ou sa joie inébranlable et communicative, la jeune femme ne tarissant pas de détails comiques et d’anecdotes croustillantes sur la vie des personnes et des bêtes sur le domaine Fossard. C’est ainsi que tout fut passé en revue, de l’arrivée des bêtes à leur livraison aux clients, en passant par les travaux réalisés, l’intégration des deux jumelles recommandées, les soins donnés à « ses » bêtes, toutes sans exception, quelques questions sur l’attitude de Marcel ou celle des différents employés du domaine.
Tout en questionnant habilement, relançant juste de temps en temps son babillage naturel, le patron avait plusieurs fois cherché à savoir ou du moins à sentir si la jeune femme était satisfaite de ses conditions de travail, horaires, salaire et responsabilités. Il semblait inquiet de la savoir désireuse de rester mais n’en montra rien directement. C’est bien plus tard, une fois allongée dans le lit de camp qui jouxtait celui de Lou, que Lysange fut avertie de l’intérêt du patron pour sa personne. La vieille chasseresse, qui soit disant « le connaissait comme si elle l’avait mis au monde » en était persuadée : Oscar, déjà bien conscient de ce qu’il lui devait depuis l’absence de Marcel pour cause de surmenage, avait été heureusement surpris par la jeune femme qu’il craignait peut-être de voir partir à la concurrence.
C’est donc rassurée que Lysange s’endormit en écoutant, comme une ritournelle de son enfance, les différents sons d’une nuit en pleine campagne.
Lysange
Re: Voyage en découvertes.
Le cul fragile
Réveillée aux aurores, Lysange fut rapidement sur pieds, prête à se mêler aux activités du groupe, sans véritablement savoir si on la laisserait participer ou pas.
La veille au soir, la jeune femme avait bien essayé de sentir si on - ou plutôt si le grand patron - allait lui permettre de participer aux activités de chasse avec les autres, mais il n’avait été question que des affaires hurleventoises, sans aucune possibilité pour elle de questionner sur la véritable activité de la Maison Fossard, la traque et la capture d’animaux sauvages qui seraient ensuite dressés sur Hurlevent.
Elle n’avait pas donné de date de retour, la question ne s’étant pas posée, mais étant en congé pour la semaine, elle espérait tout de même pouvoir rester deux ou trois jours, le temps de faire mieux connaissance avec ses nouveaux collègues, découvrir la chasse dans ce qu’elle avait de plus tangible, écouter des histoires sur leurs captures, et peut-être même apprendre quelques « trucs » de traqueurs de bêtes, voire même s’améliorer en monte d’animaux moins usuels que la jument, comme le lui avait demandé Marcel Pignac.
Aussi se présenta-t-elle l’air de rien devant le patron, essayant de capter rapidement comment intégrer la mission dont il supervisait les préparatifs, donnant ses ordres sans affect, de simples phrases lâchées au fur et à mesure que les uns et les autres réalisaient les gestes maintes fois répétés et qui n’attendaient que leur exécution, dans une danse bien rodée qui paraissait immuable.
Bien qu’il l’ait vue arriver et ait pris le temps de la jauger d’un œil averti, Oscar ne marqua aucune volonté, ni de l’intégrer, ni de la dégager, semblant attendre qu’elle décide par elle-même, ce qu’elle était bien incapable de faire, osant à peine le regarder. Voyant qu’il ne comptait pas lui faciliter la tâche, elle chercha donc du regard une aide quelconque parmi les employés qui, eux, semblaient presque s’amuser de la situation, comme habitués aux goujateries du « Chef ».
C’est le nain, surnommé Le Rouge pour sa superbe barbe tressée de couleur brun rouille, qui le premier lui fit signe d’un clin d’œil appuyé. « Dites voir ma p’tite Dame, j’aurais bien besoin de p’tits doigts agiles pour me démêler toutes ces pelotes de noeuds, sauriez sûrement y faire, vous, non ? ».
Lysange acquiesça d’un grand sourire. Voilà qui était à sa portée et allait lui permettre de s’intégrer sans peine. Elle coula un regard vers le patron pour s’assurer qu’il n’en prenait pas ombrage mais, réelle ou feinte, son indifférence laissait entendre qu’il donnait son autorisation. Elle s’avança donc vers Le Rouge pour démêler les lassos qui avaient été probablement mal rangés, à moins que le nain ait volontairement donné un coup dans la pile pour donner à la jeune femme une tâche à sa mesure.
Le temps qu’elle les ait tous remis en boucles et posés dans la grande caisse, Monsieur Miette, Le Rouge, Lou et les deux traqueurs, Gaston et Gustave, surnommés GG comme s’ils étaient indissociables, avaient fini de seller les chevaux, attelé l’un d’entre eux à une petite carriole et installé à l’arrière plusieurs petites cages, quelques caisses remplies de lassos et de matériel de chasse à fléchettes, ainsi que plusieurs sacs dont Lysange ne devinait pas la contenance.
Sur un signal muet du patron, tous se mirent en selle, et c’est seulement là qu’Oscar se tourna vers Lysange et lui montra de la main un cheval préparé, le sourire en coin. « Je suppose que vous n’êtes pas venue jusqu’ici pour nous regarder faire. Alors en selle, et j’espère que vous n’avez pas le cul fragile parce qu’on est partis pour la journée ! ».
Sans attendre sa réaction, il siffla dans ses doigts, faisant apparaître de derrière un fourré un énorme ours noir, cuirassé et harnaché, qui le rejoignit en grognant. Estomaquée, Lysange eut à peine le temps de sauter sur le cheval préparé pour elle, que déjà le patron prenait la tête de la petite troupe. Prenant sur elle pour ne pas se laisser déborder par un trop-plein d’émotions qui en temps normal l’aurait déjà tourneboulée, la jeune femme piqua des talons le flanc de sa monture, flatta son encolure en tirant très légèrement sur les rênes et vint se glisser près de Lou au petit trot.
A quelques pas devant, hissé sur son ours tel un personnage de légende, le port droit et le regard lointain, le « Chef » ressemblait à un Capitaine paré pour le tour du monde, impérial à la proue de son navire.
Lysange
Re: Voyage en découvertes.
L’ours
Une fois la troupe en route, le patron bien en avant et non plus à portée de voix, Lysange commença à se détendre.
Au sein de l’équipe, une nouvelle organisation s’était mise en place. Gaston et Gustave restaient toujours entre eux, allant et venant entre la fin de la caravane et le début, laissant parfois le patron loin derrière, faisant des incursions dans les fourrés alentour, en quête de petit gibier, comme s’ils étaient seuls. Lou était en grande discussion avec Monsieur Miette qui racontait avec force détails comiques comment « Le chef » s’était retrouvé coincé entre deux portails, quelque part dans le Néant distordu, sans en avoir aucun souvenir et ce pendant plus d’une heure. Et Le Rouge avait pris place à côté du patron, tous deux riant à gorge déployée. Le rire du chef couvrait largement celui du nain en termes de volume sonore mais aussi d’une joie de vivre qui semblait libre de se laisser aller sans retenue.
Trottinant seule au milieu de cette troupe disparate qui n’attendait plus rien d’elle, Lysange en profitait pour vibrer à l’unisson de la campagne environnante.
Le temps était clair et en ces temps de chaleur, les odeurs de la végétation, encore humide de la rosée du matin et se réchauffant aux premiers rayons de soleil, inondaient son champ olfactif. Des bandes d’oiseaux, qu’elle ne savait pas reconnaître mais qui pépiaient joyeusement en tournoyant dans le ciel, agrémentaient le fond sonore des rires venus de la tête de file. Une petite brise claire faisait ondoyer les herbes et frémir les feuillages, transformant un simple paysage de verdure fleurie en palette colorée aux reflets changeants. Le petit trot du cheval la faisait onduler souplement, imprimant à son corps un rythme doux et sensuel. Toutes ces sensations, mélangées au goût acidulé du morceau de racine de bois sucré, offert par Sacha, qu’elle mâchonnait tranquillement, la transportaient quelques dix années en arrière, dans un camaïeu émotionnel rafraîchissant.
Elle rêvassait, les heures passaient tranquillement, et c’est donc avec une grande surprise teintée de terreur qu’elle sursauta au son d’un énorme « STOOOOOOOOPPPP ! » qui la fit réagir brusquement, tirant sur les rênes du cheval et l’arrêtant net, tandis que les autres, restés une bonne vingtaine de mètres en arrière, avaient déjà tous démonté, sauf le patron. D’un coup sec elle fit demi tour et revint vers Oscar, aux aguets, le souffle court.
Il la regardait froidement, le visage froncé, l’air dur et fermé, comme pour lui passer un savon. « Et vous comptiez aller où comme ça ? ». Lysange s’apprêtait à s’excuser, donner une explication, mais il n’était manifestement pas là pour lui faire la conversation car il enchaîna sans attendre de réponse. « Laissez Lou s’occuper du cheval et venez par ici que je vois ce que vous valez, puisqu’il paraît qu’on peut compter sur vous pour monter autre chose qu’un poney ! ».
Piquée au vif elle le regarda, interdite, prête à rétorquer qu’elle venait de passer toute une longue matinée sur un cheval inconnu sans moufter, et qu’elle ne méritait pas ce type de sous-entendus. Mais une ébauche de sourire moqueur stoppa la réplique au fond de sa gorge. Il la cherchait, la poussait à la faute, ou peut-être tout simplement la charriait pour la faire réagir, comme l’un de ses amis qui s’en était tellement amusé qu’il ne savait plus faire autrement et qu’elle n’arrivait plus, elle, à fréquenter sans crainte de devoir s’en défendre. Or elle ne voulait pas, ou ne voulait plus, de ce type de relation, qui plus est avec son patron.
Elle le regarda donc avec détachement, essayant de ne rien laisser l’atteindre d’autre que l’étonnement, réel, de l’entendre évoquer ses compétences en matière de monte. Puis elle se souvint qu’effectivement Monsieur Pignac souhaitait qu’elle puisse monter toutes sortes de bêtes, lui ayant même proposé de se faire aider des jumelles. La demande devait donc venir de plus haut.
L’ayant regardé dans les yeux quelques secondes, le temps d’avoir ressenti en elle la double envie, contradictoire, de siffler quelque remarque bien sentie et en même temps de s’enfuir tout au fond d’elle, elle se contenta donc de glisser à terre puis de passer les rênes du cheval à Lou qui s’était avancée. Oscar, lui, n’avait pas bougé, assis lourdement sur la selle cuirassée de son ours, la toisant de toute la puissance que dégageait le duo. Il semblait tout autant qu’elle vivre la scène doublement, en présence et en absence, animé d’un désir d’interaction, doublé d’un plus profond désir de repli.
Tout à coup, sans en avoir reçu les signes précurseurs, une certitude et une déflagration émotionnelle lui vrillèrent l’estomac, il allait la mettre à l’épreuve. Par jeu, peut-être, ou par besoin plus intime de la tester, voir qui elle était, la cerner et s’en faire une idée. Tout au fond de son être un signal d’alerte se mit en route. Elle guetta alors dans le regard de Lou une réponse, un conseil, une aide quelconque, mais la chasseresse était déjà plus loin avec le cheval.
L’homme, lui, avait sauté à terre, sans même qu’elle l’ait vu faire tellement la panique la gagnait. A pas lourds il s’approchait doucement d’elle. La jeune femme sursauta et fit un léger bond en arrière, involontaire, se tendant ostensiblement dans une posture de défense. Elle se sentait tout à coup en danger intime et la crainte d’être submergée par ses émotions la gagna.
Toute cette matinée passée à simplement être présente à elle-même et ses ressentis l’avait fragilisée. L’homme lui apparut soudain comme le pire danger qu’elle puisse avoir à affronter. Un danger connu, non pas identique dans le risque réel qu’elle en éprouvait, mais dans la similarité avec des ressentis vieux de trois ou quatre ans.
Elle prit tout à coup conscience qu’elle ne connaissait rien de cet homme, ou si peu, que tout ce qu’elle avait pu en capter, directement ou pas, laissait supposer qu’il pouvait la fracasser d’un simple mot, envoyé comme une baffe dans sa carapace étrangement ramollie depuis qu’elle travaillait pour lui. De plus, depuis qu’elle était arrivée la veille, rien ne lui permettait de penser qu’elle était la bienvenue, bien au contraire. Et pire que tout, il affichait une sorte de défiance qui ressemblait vaguement à du mépris, même si intellectuellement elle essayait de se convaincre du contraire.
Lorsqu’elle releva la tête, elle se força à regarder son patron avec neutralité, sans montrer son inquiétude grandissante. Elle était aux aguets, comme un animal traqué se tient prêt à mordre ou fuir. En elle le niveau d’alerte était passé à l’échelon supérieur et tout fut rapidement mis en œuvre pour ne pas souffrir. C’était un instinct de survie, aussi intense que si quelqu’un avait cherché à s’en prendre à son intégrité physique, bien qu’elle sache pertinemment que dans le cas présent, elle ne craignait rien physiquement. Il s’agissait de toute autre chose qu’elle identifia alors dans un éclair de lucidité quasi mystique.
Cet homme-là dégageait une sensibilité qui pouvait tout aussi bien la sublimer que la détruire, peut-être à jamais. Par on ne sait quel tour de passe-passe, il avait accès à son être intime, probablement même sans le comprendre car il réagissait en miroir. Deux éclats d’âme se répondaient par delà les êtres réels et cette rencontre pouvait potentiellement entraîner leur destruction immédiate, pour peu que l’un ou l’autre réagisse trop violemment.
Lysange connaissait ce genre de sensation, et d’expérience elle le savait, s’il devait y avoir blessure d’âme, peut-être même irréversible, il y avait de fortes chances que ce soit la sienne.
Tout son être intérieur se re-configura donc et il eut fallu bien la connaître pour comprendre et accepter ce qui se passa. Il y eut comme une scission de son être, une sorte de dédoublement de sa personnalité, une forme d’occultation du monde, une dissociation entre la personne qui se laissait voir et surtout toucher et celle qui était vraiment là.
Elle se ferma à l’environnement social, tout en se focalisant sur la perception qu’elle en avait. Extérieurement, son sourire disparut, et c’est un visage vide, fermé, comme mort, qui se donnait à voir. Son être se tendit comme un arc, paré à contrer les coups, mais sembla se vider en même temps de tout fluide vital. Le corps de Lysange Delabay était présent, capable d’agir comme si de rien n’était et sans doute même mieux qu’en temps normal, en osmose parfaite avec ses ressentis, mais sa vraie personne s’était enfermée tout au fond d’elle, loin dans les tréfonds de son âme, dans son antre intime, ce qu’elle appelait sa « cave ».
Le choc fut pour elle si violent, après toutes ces heures de communion avec la nature, qu’elle fut incapable d’en cerner et d’en freiner l’évolution. Elle agissait par pur réflexe animal.
Quand l’homme qui lui faisait face lui tendit les rênes de l’ours avec un sourire narquois, la jeune femme n’était plus qu’une étincelle de vie capable de tout pour survivre. Elle s’avança, quasi mécaniquement, prit les rênes de l’ours comme s’il s’agissait de ceux de sa jument, avisa d’un coup d’œil rapide le moyen de grimper sur l’ours sans se ramasser et donner cours à une éventuelle moquerie, posa sa main au niveau du flanc de l’animal, empoigna une bonne touffe de poils pour assurer sa prise, et d’un mouvement de rein souple se hissa sur cette monture qu’en temps normal elle n’aurait pas osé aborder.
Une fois encore le temps sembla s’être arrêté. Assise sur la selle bien trop large pour elle, Lysange claqua la langue sur son palais, tira doucement sur les rênes comme elle l’aurait fait d’un cheval et d’un «On y va mon gros, c’est quand tu veux » entreprit de faire le tour du petit campement formé par la carriole et un feu que Monsieur Miette avait déjà commencé à lancer.
Si le patron attendait qu’elle se viande et se mette en difficultés, il en fut pour ses frais, car la jeune femme faisait corps avec l’animal, son animal, son ours, son compagnon, comme si elle en était devenue la maîtresse. Sans se presser, elle refit même deux fois le tour du petit campement, puis, mue par le désir de sentir l’animal se laisser aller, elle imprima d’un nouveau coup de rein l’ordre d’aller au trot, sans un coup d’oeil pour les employés qui tous la couvaient du regard.
Quand elle revint et sauta de l’ours à portée de main du patron, elle lui tendit les rênes sans un mot et à peine un regard. Elle était passée en mode dissocié et ne paraissait pas désireuse d’en sortir, surtout sans personne pour l’accueillir en face.
Lysange
Re: Voyage en découvertes.
Une jument blanche
Après l’épisode de l’ours, l’ambiance fut flottante un bon moment.
Comme si elle venait tout juste de descendre de son propre cheval, Lysange était allée le retrouver, paissant près de celui de Lou, et s’était tranquillement occupée de le desseller, le brosser d’herbe sèche, et le panser tout en lui parlant, tâchant de retrouver en elle un peu de sérénité.
De son côté, Oscar avait emmené son ours un peu plus loin et s’en était occupé, tandis que tous les autres faisaient mine de n’avoir rien remarqué, discutant et riant.
Chacun s’activait à préparer le matériel qui servirait à l’enclos en entonnoir qui devait permettre de capturer la harde repérée. Les employés parlaient entre eux, mais toute la scène sonnait faux, car tous semblaient attendre une explosion sonore qui ne venait pas. Les blagues de Monsieur Miette avaient beau entraîner les rires tonitruants du Rouge, tous guettaient les réactions du Chef, dans un brouhaha qui remplissait très mal le silence pesant du patron.
Enfin le gibier fut cuit et Monsieur Miette héla l’assemblée dans son ensemble, d’un ton qui se voulait léger, cherchant à recréer l’ambiance tranquille de la matinée. Mais Lysange estimait en avoir été exclue et elle attendit que tous furent assis près du feu, morceaux de viande en main, pour se joindre à la troupe, prenant place légèrement à l’écart, et surtout à l’opposé d’Oscar.
Une fois le patron mis en appétit par le gibier cuit à point les conversations reprirent, mais sans que Lysange y participe autrement que par des « Mmh » ou des sourires crispés si l’un ou l’autre essayait d’entrer en contact avec elle.
Ils avaient quitté le campement pour capturer des chevaux sauvages repérés quelques jours plus tôt par GG et le chef détailla les différentes prises qu’il espérait faire. Comme si rien ne s’était passé une demie heure avant, il demanda alors à Lysange si elle pensait pouvoir ramener la jument blanche demandée par Marcel pour un client, s’ils capturaient bien celle que GG avaient repérée.
Lysange, voyant qu’il lui parlait mais sans l’écouter vraiment, murmura « entendu» tout en baissant le nez sur sa viande, mais le patron haussa le ton et répéta sèchement. « A la question : Est-ce que vous pensez pouvoir ramener une bête pour votre client, la réponse ne peut pas être, Entendu, jeune fille».
Dans une tension palpable pour tout le groupe, elle releva alors lentement la tête, planta son regard dans celui d’Oscar et répondit sur le même ton, le visage fermé, « Comme vous avez déjà pu le remarquer, je ferai ce qui est demandé. Ceci dit c’est à vous de voir », puis avec un haussement d’épaule signifiant qu’il pouvait bien lui ordonner ce qu’il voulait, elle n’en avait plus rien à battre, elle se tourna vers Monsieur Miette à qui elle adressa un sourire courtois. « Délicieuse cette viande, cuite à point, merci ». Puis elle tendit son gobelet vers Le Rouge et avec le même sourire lui demanda un peu de vin clairet. Pour tous c’était maintenant une évidence, à cause du chef, la jeune femme absolument charmante arrivée la veille, n’était plus parmi eux, et ils avaient maintenant affaire à une étrangère de passage, courtoise mais indifférente. Plus personne ne lui adressa donc la parole avant qu’ils lèvent le camp, aucun des employés ne voulant s’immiscer entre ces deux-là qui semblaient brûler au contact l’un de l’autre et s’avéraient pires que chien et chat mis dans le même panier.
Une fois la troupe remise en route, le début d’après-midi se déroula sans encombres. La harde repérée paissait non loin de la rivière et il fallut rapidement aménager un enclos entre deux collines rocheuses pour les attirer et les y regrouper.
Lysange put observer le travail des rabatteurs sans vraiment y participer, n’ayant aucune compétence en la matière. Mais elle suivait néanmoins le groupe de près, se tenant prête à aider au besoin. En effet, même si elle semblait surtout désireuse de rester à l’écart, il était tout aussi évident qu’elle souhaitait apprendre et aurait aimé participer.
C’est en fin d’après-midi qu’elle eut enfin l’occasion de se montrer utile.
Les rabatteurs finissaient de regrouper les chevaux de la harde avant de leur mettre une longe pour les ramener au campement de base lorsque de derrière un gros rocher qui abritait une grotte, apparut un ours en rage, prêt à foncer sur les premiers chevaux munis d’une longe qui avançaient au pas pour sortir de l’enclos temporaire.
Lysange suivait le travail du groupe, à cheval près de Lou, lorsqu’elle aperçut l’ours une cinquantaine de mètres plus loin. Agissant par instinct, elle se pencha vers la selle de Lou, attrapa le fusil à fléchettes qui se trouvait dans un étui fixé à sa selle, prit le fusil en mains, mit en joue tout en reprenant son assise, visa, inspira, tira et fit mouche. La scène n’avait pas duré plus de quelques secondes. L’ours, piqué au flanc gauche, continua sa course sur plusieurs foulées avant de s’effondrer aux pieds du cheval du Rouge qui s’était précipité pour faire barrage.
Aucun des membres de l’équipe n’avait eu la présence d’esprit de la jeune femme, et tous la regardèrent avec étonnement avant de la féliciter de « Youhou !!! » qu’elle accueillit d’un sourire sincère, le premier de la demie journée. Tous, sauf un, qui ne laissa rien paraître sinon la satisfaction de n’avoir perdu aucun des chevaux.
Lorsque la petite troupe arriva très tard le soir au campement de base, avec une quinzaine de chevaux dont une superbe jument à la robe blanche, Lysange n’avait pas desserré les dents depuis la fin de mâtinée, sans qu’il eut été possible de lui faire un quelconque reproche.
Elle avait participé à la capture en sauvant les chevaux de l’ours, avait suivi tous les ordres donnés sans jamais rechigner, ne s’était pas départie d’un sourire certes plaqué mais suffisamment agréable pour qu’un observateur lambda n’en perçoive rien d’autre qu’une présence vaguement lunatique.
Lorsqu’enfin assis autour du feu il fut question de la jument à ramener, elle se contenta d’un regard au patron en lâchant d’un ton froid. «Je n’ai plus rien à faire ici, le mieux est que je reparte demain matin avec la bête. En ne traînant pas je devrais pouvoir attraper le bateau pour Hurlevent au départ de Menethil. Si ça vous convient, bien évidemment. »
Plus personne ne disait rien, la jeune femme ne pouvait cacher sa déception, son visage fermé laissant tout de même apparaitre la tension émotionnelle qui l’animait, mais, bien que tous avaient conscience que sans elle, l’ours aurait probablement fait des ravages importants, aucun des membres de l’équipe n’aurait osé émettre un avis contraire au chef.
Dans un silence dense Oscar prit le temps de finir la boisson chaude qu’il tenait en mains, puis se tourna vers Lou. « Vous partirez toutes les deux en fin de nuit, il vous faudra la journée pour accéder à Menethil en passant par le chemin de côte. Vous ferez gaffe, par endroits le chemin est escarpé, mais vous ne risquez pas d’y faire de mauvaises rencontres, les ogres ne s’aventurent pas jusque là. Une fois à Menethil vous camperez à l’extérieur pour la nuit, vous vous relayerez pour monter la garde, qu’on ne vous pique pas la jument, vous la mettrez dans le premier bateau du lendemain et vous revenez avec la monture qu’on va lui prêter jusque là. Je m’occupe de faire ramener celle qu’elle a prise au départ». Puis il se tourna vers Lysange et sur le même ton, simplement professionnel, rajouta. « Vous demanderez à Marcel de m’envoyer un message pour m’avertir de l’arrivée de la jument dans son enclos là-bas. Je vous laisse lui raconter vos exploits, je suis sûr que ça l’intéressera. Sur ce, si vous voulez être d’attaque pour demain, je ne vous retiens pas, la journée a été longue et riche en émotions, vous devez avoir besoin de sommeil ».
Six heures plus tard, Lysange Delabay se mettait en route pour Hurlevent, soulagée de s’éloigner de ce Grand Patron qu’elle avait pourtant tellement souhaité rencontrer.
Lysange
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