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Le souffle d'une vie

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Le souffle d'une vie Empty Le souffle d'une vie

Message  Aénor Lun 07 Sep 2009, 14:01

La trollesse sort de la hutte commune où les enfants se sont endormis.
Se retournant avant de passer le seuil de la porte, elle jette un regard sur la femme qui passe entre les petits lits pour les border délicatement, un geste doux pour chacun des endormis. Celle dernière s'attarde sur l'un des berceaux, un peu en retrait dans le fond, protégé par une tenture sommaire. Un baiser maternel effleure le front du bébé. L'homme assis non loin, un livre à la main, la suit des yeux , une expression douce et apaisée sur le visage. La trollesse ferme les yeux, un soupir inaudible aux lèvres. Puis elle sort en silence.

Une brise venue du sud agite les branches de l'arbre sous lequel elle s'est arrêtée. Ce refuge en hauteur est souvent la proie des vents. Elle le sait. C'est de là que les Esprits lui parlent.

Le vent se lève. Le temps change.

La trollesse fait quelques pas sur l'herbe séchée, puis va s'assoir en tailleur sur le banc en pierre qui domine toute la vallée. Elle lisse son sarong dont les dessins sont semblables aux empreintes de doigts d'enfants puis lève son visage. Ses yeux couleur terre se plissent pour s'acclimater au soleil si lumineux de ce début d'après midi. Aussi loin que porte son regard, ce ne sont que plaines herbeuses, arbres centenaires, animaux paisibles. Et rien que le silence, à peine troublé par le bruissement des feuilles qui s'agitent sous la brise brûlante.
C'est dans ce refuge isolé qu'elle élève les enfants, tous ces enfants. De son mieux. Peu de personnes connaissent sa hutte. Elle voit bien quelques vols passer non loin mais personne ne s'arrête jamais. Personne ne s'intéresse à eux.
Pourtant eux sont venus. Un soir d'hiver alors que les derniers oiseaux quittaient l'arbre pour rejoindre les terres moins froides du sud. Lui pas très loquace. Elle les traits tirés et le regard sombre. Proches pourtant. Complices. C'est la petite dégourdie aux trois couettes qui les a fait sourire en jouant avec eux. Ils sont restés quelques jours, quelques nuits, s'amusant autant avec les plus petits, effrayant les grands avec la magie qu'ils maitrisent. Ils semblaient avoir besoin de repos, de se retrouver loin de tout. Et ils ont trouvé là ce qu'ils cherchaient. Du moins elle le pense.

Elle hoche la tête. Bien. C'est bien.

Oui, eux sont venus. Revenus. Restés même. Le nom de la femme , elle l'avait entendu lorsqu'elle avait fait le plein de potions et de bandages à l'hôpital de plus proche.
Lui, elle n'en avait pas vraiment entendu parlé. Elle a demandé aux esprits. Leur faire confiance. Alors elle l'a fait. Elle ne le regrette pas.

Ils ne sont plus revenus ensemble ensuite. Lui rarement. Elle plus souvent. A chaque fois, elle apporte un petit cadeau pour faire sourire les enfants et semble oublier la vie qui l'attend, de l'autre côté, pour une heure ou un jour. La fatigue qu'elle traine sur son visage, les blessures, les souffrances et les atrocités qu'on voit dans ses yeux se camouflent pour mieux faire rire les enfants durant le temps qu'elle passe là bas. Puis les visites se sont espacées... et l'absence a succédé depuis ces dernières semaines. La trollesse a pensé à un malheur, de ceux dont on parle à voix basse, l'air grave. C'est la petite dégourdie aux couettes qui semblait la plus triste de ce vide qui s'est formé malgré eux. L'enfant haute comme trois pommes s'est attachée, elle a peu de compagnons sur ces terres reculées. Difficile pour une enfant si jeune de comprendre les raisons et les tourments des adultes qui vont, viennent... ou ne reviennent pas.

La trollesse secoue la tête tout en remplissant avec des gestes lents un bol de terre cuite avec une étrange mixture brunâtre qui coule de l'outre en peau. Une fois rempli, elle le pose sur le banc à coté d'elle, en prenant son temps.

Puis un soir l'homme est revenu. Seul. Il semblait changé. Plus sombre. Plus triste aussi. Pas plus loquace pourtant. Il avait apporté un écureuil mécanique pour les enfants et de quoi améliorer un peu le quotidien pour eux tous. Oh, pas grand chose, des couvertures neuves, si douces et si lumineuses, des parchemins pleins d'histoires pour effrayer ou faire rire les enfants et quelques épices anciennes dont elle se souvenait avoir parlé au détour d'une conversation banale. Il est resté longtemps, partant souvent dans la journée, revenant immanquablement le soir, ou restant assis sur ce même banc, à l'écart, perdu dans ses pensée pendant des heures. La compagnie des enfants semblaient lui faire autant de bien que de mal. La trollesse n'a pas posé de questions. Il n'a pas donné de réponses.

Un soir, alors que le soleil finissaient d'abreuver de chaleur les terres ocres de la montagne, la trollesse l'a vu à nouveau assis sur ce banc, isolé, ne montrant que son dos légèrement courbé. Elle l'a vu retirer avec soin les rubans qui retenaient ses cheveux, les humer puis les ranger soigneusement. Elle l'a vu se saisir d'une paire de ciseaux et se couper les cheveux, les mèches désormais sans attache volant au gré des rafales de vent. Il est resté là,longtemps, fixant les mèches comme si son passé, son présent et tout le reste partaient avec. Elle a vu tout ça. Elle n'a rien dit. Le lendemain, il était reparti.

Le vent se lève à nouveau. Le temps change.

De son petit sac qu'elle porte en permanence à la ceinture, la trollesse extrait des feuilles d'un vert jade nervuré de blanc et d'autres plus rougeâtres, qu'elle pose délicatement sur le liquide ambré qui brille sous les lueurs du soleil de l'après midi.

Puis, marquant une pause, elle fouille dans sa poche et ressort sa main, le poing serré. Dans le creux de sa paume, ces étranges fils dont elle sent bien que la puissance lui est étrangère, et ces pierres vertes qui se parent de reflets multicolores lorsque les rais du soleil miroitent dessus. Elle se souvient d'en avoir vu de semblable dans le cratère d'un Goro il y a bien longtemps et se demande quel est son pouvoir. Plusieurs fois la femme lui a demandé le Fil mais la trolesse n'a pas cédé. La femme n'a pas insisté, reprenant le cours de la vie si simple dans ce refuge, avec l'homme, les enfants et elle même.

Elle porte les yeux sur le bol et regarde les feuilles immobiles qui soudain s'animent et tourbillonnent dans le liquide avant que l'une d'entre elle ne coule à pique en quelques secondes. Puis une seconde est engloutie ... Tandis que deux autres semblent naviguer entre deux eaux.
D'un revers de la main, elle repousse le bol et relève la tête.

Le vent se lève à nouveau. Le temps change. Les temps changent.

Dans ses pensées, la trollesse entend des rires et des chuchotements qui approchent dans son dos, au loin. Elle se retourne à peine et ses yeux sombres distinguent les longs cheveux de la femme qui flottent au vent, cachant leurs deux silhouettes au gré des bourrasques.

Elle prend le bol et lance le contenu au vent qui emporte les feuilles et le liquide dans le précipice en contrebas.

Les esprits lui avaient dit. Et ils sont venus.

Les esprits lui ont dit. Ils partiront bientôt.

Mais au fond d'elle même, elle sent les âmes tourmentées même si les traits de fatigue et de lassitude semblent s'être apaisés.
Aénor
Aénor


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Message  Aénor Lun 07 Sep 2009, 14:02

Ne bouge pas mon coeur... Ne bouge pas... Dors, je suis là....

La voix est douce, presque inaudible. Puis elle entame une berceuse pour rendormir l'enfant. Pour la énième fois de la soirée, elle pose sa main sur le front du petit. Brûlant. Elle scrute les joues rougies, ses lèvres sèches, son petit front perlé de sueur... Elle tend le bras et prend dans la bassine toute proche un linge humide d'eau fraiche qu'elle essore soigneusement avant de le poser sur lui. Elle remonte le drap pour le couvrir un peu mieux. Elle soupire... et se tourne en quête d'un peu de réconfort vers les yeux qu'elle sent sur elle.

La nuit a maintenant obscurci le ciel et c'est le feu rougeoyant de l'âtre qui découpe sur les murs de toile les silhouettes voutées. De l'extérieur, on pourrait croire à un ballet d'ombres dansant autour des flammes. Pour celui qui pénètre à l'intérieur de la tente , l'atmosphère est pesante. Les silences et les gestes feutrés ont succédé aux rires et aux jeux. Les voix se sont éteintes, l'enthousiasme et la joie aussi. Seule reste l'inquiétude.

Elle tourne à nouveau la tête et regarde l'autre petit lit qui jouxte celui du garçonnet où une fillette frissonne à nouveau en gémissant. Quatre jours qu'ils sont malades. Et quatre jours qu'elle est impuissante. Ses remèdes, ses potions, ses baumes, sa magie, ses prières, rien n'a d'effet sur ces maux. La fièvre a succédé à la toux, l'inconscience et la somnolence à la fièvre.

Les adultes se relayent à leur chevet tentant de faire baisser la fièvre par tous les moyens : un bain d'eau fraiche, une compresse imbibées d'une potion médicale, une tisane d'herbes infusées pour les réhydrater... . Rien ne semble agir. Et, jour après jour, nuit après nuit. elle s'épuise à rester éveiller pour trouver un remède avec ce qu'elle a à sa disposition, maigres ressources dans ces terres reculées. Elle n'arrive plus à fermer l'œil de peur de manquer une de leurs respirations sifflantes ou un de leurs gémissements. Elle sait qu'elle doit se reposer, elle le voit dans le regard de l'homme et de la trollesse qui l'aident de son mieux. Ils lui disent de dormir ne serait ce qu'un peu, qu'elle aussi va finir par tomber malade ou d'épuisement mais elle ne peut s'y résoudre, n'arrive plus à manger, ne sortant plus de la tente. Elle le voit dans le regard des enfants qu'elle veille et qui se raccrochent à elle autant qu'ils peuvent.

La veille, ils ont écarté les plus petits dans une tente un peu plus loin, sous la surveillance de la plus grande qui n'est pas peu fière de cette responsabilité de maman. Ils tentent de les préserver de leur inquiétude grandissante de leur mieux. Un sourire pour l'un, un câlin pour l'autre, une sucette pour la petite gourmande, même s'ils espacent leur visite de peur de les contaminer par ce mal qu'ils ne maitrisent pas. Et ces bouts de choux ont dû mal à comprendre pourquoi ils ne peuvent plus jouer dehors, pourquoi on ne court plus tous ensemble pour attraper le chat, pourquoi y'a plus les bons gâteaux à la pulpe de courge. Comment leur dire que demain peut être, eux aussi seront malades... Son oreille se dresse à l'écoute des bruits du dehors mais tout semble maintenant calme. Le sommeil les a emportés pour quelques heures.

Et à nouveau, les respirations des deux enfants se font silencieuses, ils se sont enfin rendormis. Elle vérifie que le linge est toujours frais, elle borde encore le drap d'un geste maternel. Elle se penche pour déposer un baiser... et se ravise au dernier moment, un voile triste passant dans ses yeux. Après un dernier regard, elle se relève lentement pour aller prendre un peu d'eau dans l'outre puis s'assoit sur une chaise. Elle pose la tasse sur la table, puis pose sa tête dans ses mains, les épaules voutées. Sans un mot.
Aénor
Aénor


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Message  Aénor Mar 08 Sep 2009, 21:49

°Naèl ? Tu es par là ?°

° Bonjour Aé°


Étrangement, ce n'est pas la voix de l'humaine mais celle de la couturière la plus célèbre de tout Hurlevent qui résonne sur le Fil des Tisseurs. Après ces semaines de silence, la perception de cette voix familière lui fait chaud au cœur et savoir Jay de retour en bonne santé aussi. Mais son esprit est à peine présent pour écouter ce qui se dit, car d'un pas rapide, elle se dirige vers l'hôpital en quête d'aide.
Peut être trouvera t elle là-bas le remède qu'elle cherche désespérément depuis plusieurs jours, qui l’aidera à soulager les petits, peut être ont ils déjà eu à faire à ces symptômes ces derniers temps. Après tout, quoi de mieux que l’hôpital pour trouver des maladies ou leurs remèdes. A peine le temps de toquer à la porte que l’hospitalière vient lui ouvrir. Le lieu est en pleine effervescence, non par une armée de blessés mais des cartons un peu partout laisse à penser qu'un déménagement est proche. Rien ne semble avoir changé sinon. Toujours les mêmes étagères pleines de fioles, de baumes, de bandages et de livres en tout genre. Toujours les mêmes chaises qui semblent avoir trop connus de blessés, le même trou dans le mur, un peu au dessus de la fenêtre. A l’étage, des pas résonnants des soldats ou les déplacements feutrés des infirmières sur le parquet semblent indiquer que quelques chambres sont occupées. Comme toujours.

"T’as une sale tête Aé . Tu es malade ?"
Nael lui ouvre la porte d'une des salles attenantes, non sans crier quelques ordres à travers les murs

A peine Aénor a-t-elle exposée la situation que l'humaine fait venir les quelques spécialistes des maladies et phénomènes bizarres présents ce soir là. Un elfe, une autre humaine dont les visage lui semblent vaguement familiers. Elle baille à nouveau et choisit un des premiers fauteuils, après de l'âtre presque éteint.

Aénor répond aux questions de l’elfe, avec l’envie de lui répartir qu’elle aussi est médecin et sait tout ça : symptômes, précautions d’usage, des contacts ? des blessures ? Remèdes employés ? Résultats ? Elle respire un grand coup pour masquer un nouveau bâillement et répond encore, se pliant à l'interrogatoire de la bleusaille.
Il veut s’assurer qu’elle n’a rien et lui propose d’étudier un peu son sang. Elle remonte sa manche et lui tend. Quelques secondes plus tard, il défait le garrot et repart avec un peu de rouge sombre dans une fiole pour des analyses. Une pression à peine du bout de son index sur le petit trou dans sa peau, une légère lumière et elle refait tomber le tissu dessus, comme si rien ne s’était passé.

Les voix résonnent dans sa tête, elle se concentre pour bien écouter les différentes personnes présentes. La fatigue est là, encore, plus présente, plus lancinante, insidieuse. Elle s'avance sur son siège et redresse son buste, inspirant un grand coup.

"Bonjour, je viens pour quelques pansements antiseptiques si vous aviez. " La voix lui est familière, elle tourne la tête et aperçoit Snow en premier, son maître, Hongxathu, l'archer rouge, en second, jamais plus loin d’un pas ou deux.

"Salut Hong "
"Tiens, bonsoir Aé ! Nael. Vouas allez bien ? T'as une mine affreuse Aé. Des soucis ? Le barde qui te fait des misères ?"
"Non.. Rien qu'un peu de sommeil en retrd. Des enfants malades que je n'arrive pas à soigner... Et je manque de tout … y compris d'inspiration de médecin."
"Un retard de combien ? T'as une mine de réprouvé."


Aénor hausse les épaules pour toute réponse.

"Je peux peut être faire une potion ou deux. De quoi tu as besoin ? Dis moi."
"Je ne sais pas... Des doulourantes, en infusion, ca dissipe la fièvre et j'ai épuisé mes stocks... tu crois que tu pourrais m'en trouver ?"
"Bien sûr, je vais te chercher ça. Les enfants sont ici ? Tu as bien fait de les amener. Nael se chargera d'eux."
"Non non.. ils ne sont pas là... "
répond elle de manière évasive

L'hôpital s'agite, et on vient chercher la commandeur en chef pour quelques affaires urgents. La salle se vide et il ne reste finalement qu'eux deux.

"Ils sont où les enfants ? Tu sais, avec un mage qui s'y connait, on pourrait les faire revenir ici pour les faire soigner. Ca ne prendrait que quelques instants."
"Non, ils sont trop faibles et je ne veux pas non plus risquer de contaminer les autres tant que je ne sais pas ce que c’est. Tu comprends ?"
"Je comprends
*il esquisse un sourire* Mais toi, ca n’est pas grave si tu contamines tout le monde hein ?"
"J'ai l'habitude Hong. Ca va. Je ne vais pas m'écrouler."
"Non non c'est sûr, tu resplendis de santé. Ca se voit à ta mine superbe. Bon, dis moi où ils sont j'irais faire un tour."
"Ils étaient dans un camp d'été pour quelques semaines, ne t'en fais pas, ils sont isolés. Ca te dit un verre ? Je crois que j'en ai besoin."


Hongxathu fouille dans sa besace et en sort une outre et deux petites tasses en métal cabossé, signe d’une longue utilisation.
Elle ne peut s’empêcher de sourire malgré l’inquiétude et la fatigue… décidément, ils sont bien tous pareils, toujours un petit remontant à portée de main au cas où !
Elle tourne le dos et va s’installer à nouveau dans un des fauteuils libres de la salle. L’hôpital s'est vidé de ses occupants depuis un bon moment, on n'entend plus rien à part le bruissement de la ville qui ne semble pas vouloir dormir.

"Tiens, je suis sûr que ça t’aidera à dormir" répond l’elfe, un demi sourire aux lèvres, en lui tendant une des tasses à demie remplie.

Une gorgée. Puis une autre. Elune que c’est agréable finalement….
Puis sournoisement, la vue se brouille… ses sens s’égarent… ses paupières se ferment. Elle lutte, mais c’est peine perdue. Le salaud…

"Hong… T'as… foutu quoi… dans la ta…sse.. ?"
"Où sont les enfants Aé ? "
"T'as... J'ai.. bu.. quo..oi ?"
"Où sont les enfants Aé ?"

°Ho..ng... j'..te... dé..tes... t...°

Elle ne s'entend pas penser les derniers mots, pas plus qu'elle ne prend conscience qu'il récupère doucement la chope de grog avant qu'elle ne se brise sur le sol de la pièce ni que les voix s'agitent sur le Fil pour tenter de trouver le camp d'été. Elle s'enfonce un peu plus dans le fauteuil, l'esprit embrumé dans un sommeil forcé.
Aénor
Aénor


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Message  Aénor Jeu 10 Sep 2009, 21:18

Aénor s'étire comme une panthère, dénouant tous les muscles les uns après les autres.... se rendant compte aussi sec qu'elle est nue dans ce grand lit vide et elle serre d'un coup le drap sur elle. Les paupières clignent frénétiquement plusieurs fois pour faire la mise au point son son environnement et elle tente de reconnaître la chambre... qu'elle ne reconnaît pas. Des fioles un peu partout, des blouses d'infirmières alignées sur un portique de bois, et des voix qui viennent de derrière la porte... L'hôpital, l'une des chambres de repos dédiées aux soignants. Les oreilles se dressent pour écouter... pas de doute possible.

Mais qu'est ce que je fiche ici.... Et depuis combien de temps...

A trop y réfléchir, elle se rend compte qu'un mal de crâne latant se rappelle à son bon souvenir. L'hôpital. Nael. Hong. Son fichu remontant... Elle tend le bras pour récupérer au pied du lit ses affaires et se tortille sous le drap pour les enfiler rapidement.

°Hong, j'espère pour ton matricule que c'est Nael qui m'a déshabillée° *gronde-t-elle énervée sur le Fil*

A peine sortie de l’hôpital, son esprit est attiré par des voix venues de derrière le haut mur de pierre de la vieille ville. Étonnant car le quartier est habituellement bien calme. Quelques maisons sont maintenant closes, les habitants étant partis pour le nord depuis bien des semaines. Elle s’approche et ses oreilles se dressent en passant devant la cour d’une belle demeure aux murs de pierre blanche. Toute une troupe est assemblée, et elle croit même reconnaître quelques visages familiers parmi la foule. Bientôt, son regard est attiré par une affiche "Tournoi du bel esprit" placardé sur la grille en fer forgé de la demeure et prend le temps de parcourir les mots alignés sur le parchemin joliment écrit.

Depuis combien de temps n’a-t-elle pas entendu un peu de poésie ? Elle a l’impression que cela fait des siècles à force de parcourir les terres ravagées par le Fléau. Elle s’avance un peu dans le jardin, discrètement, puis se cale contre un arbre, reculée dans l’ombre en écoutant les présentations du maître des lieux qui finit par s’avancer devant elle.

"Voulez vous bien être juré à nos cotés Dame ?"

Une seconde pour réaliser qu’il s’adresse à elle puis une autre pour réfléchir. Elle n'a pas de nouvelles des enfants, rien ne doit avoir changer, elle soupire et finalement, opte pour une heure de repos de plus. Elle sourit à l'humain et accepte la proposition, se dirigeant avec lui vers les autres jurés improvisés.
La règle de la soirée est simple : un quatrain avec quatre mots imposés par le maître de cérémonie. Le concurrent décide de la longueur des ses pieds. Et tout le monde se tait pour profiter des belles inspirations ou des envolées lyriques.

Dans le public, appuyé contre un mur de pierre, presque tapi dans une semi ombre, elle aperçoit la silhouette d'un chasseur et de son félin. Et bien synchronisée avec sa vision, la voix retentit sur le Fil des Tisseurs.

° Je traîne dans le coin Aé. Dis moi quand tu finis, j'ai quelque chose pour toi°

Hongxathu.. le traitre qui l'a droguée avec une de potions dont il a le secret et à cause de laquelle elle a dormi plus de 30 heures d'affilées... elle serre le poing, n'écoutant plus que d'une oreille distraite le premier courageux à venir déclamer les mots rimés.

°Dès que mon travail ici est fini, je te retrouve sur les canaux de la ville. Ne te noie pas... je préfère que tu me réserves ce privilège...° réplique t elle.

C'est un sourire narquois et amusé qu'elle devine sur les lèvres du chasseur quand il tourne le dos pour repartir, la féline sur ses talons... ce qui a le don de l'agacer un peu plus encore.

Les poètes se succèdent, les rimes aussi. Autant de talents insoupçonnés chez ces concurrents improvisés... Ils jouent avec les mots comme d'autres font la guerre. Le temps de quelques heures, la cour de la belle demeure est un havre où l'émotion succède à l'humour. Qui une histoire de maman, qui une poème amoureux. Certains candidats s'en sortent avec brio lorsque le maître de cérémonie pioche les mots au hasard à insérer dans les rimes. Chacun compte les pieds, essayant de ne pas chuter pour un de trop tandis que les membres du jury notent discrètement quelques commentaires sur tous.
Elle ne peut s'empêcher de sourire en écoutant Dame Bayle parler avec maestria de Caducité ingénieuse ou Cymbeline faire fi de la fécondité.
Après quelques minutes de délibération, le jury finit par se mettre d'accord et récompense ceux qui ont enchantés la soirée de leur mieux. Seule Dame Bayle refuse son prix, voyant en l'un des autres gagnants un ancien ennemi et repart aussi sec dans un mouvement de jupons avec ses dames. A bout de quelques secondes de stupeur, les bravos reprennent et des couronnes de fleurs sont remis aux trois premiers qui sont chaudement applaudis. La foule se presse autour des vainqueurs pour les féliciter et elle en profite pour s'éclipser, non sans avoir remercier le maitre des lieux pour cette pause tellement appréciée et appréciable.

Au bout de quelques mètres à déambuler sur les canaux, elle aperçoit la grande silhouette du chasseur appuyée sur un des poteaux de bois du grand ponton près de la vieille ville. Elle respire un bon coup, bien décidée à lui faire savoir le fond de sa pensée. A peine l'a t elle rejoint qu'il lui tend un petit paquet fait d'un linge de lin qui entoure des plantes. Elle reconnaît la forme si particulière des doulourantes.

"Tu ne m'as pas facilité la tâche... mais j'ai trouvé le camp. Nhiou et moi y avions été une fois... et puis, la directrice de l'orphelinat me connait un peu depuis ma blessure au poumon..... et elle ne peut rien me refuser" * le coin de ses lèvres se hisse dans un sourire amusé* "La fièvre est un peu tombée. Ils semblent aller mieux. J'ai apporté quelques potions. Ca a l'air de fonctionner ou au moins de les soulager. Va les retrouver, ils ont besoin de quelqu'un près d'eux pour les materner tendrement. "La voix s'est adoucie.

Il lui tend le paquet qu'elle prend dans ses bras, presque idiote devant son geste.

"Merci. Merci Hong." Elle lui pose un baiser sur la joue avant de repartir rapidement, dans un bruissement de tissu, n'oubliant pas au passage de flatter l'encolure du félin qui s'était couchée à ses pieds.

Un vieux proverbe humain dit que la musique adoucit les mœurs. La poésie peut être aussi en fin de compte. Elle n'a finalement plus vraiment envie de tuer Hong...
Aénor
Aénor


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