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Des yeux clairs aveuglés de Lumière [Liucia]

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Des yeux clairs aveuglés de Lumière [Liucia] Empty Des yeux clairs aveuglés de Lumière [Liucia]

Message  Ludjana Ven 02 Avr 2010, 23:03

[HRP: Ceci est donc l'histoire de Liucia, contée d'une façon un peu spéciale puisqu'elle est écrite de façon épistolaire et comme déjà achevée, après sa mort, donc. En vous souhaitant bonne lecture.]



« Tu me demandes, fils, si j'ai des regrets dans ce monde: Oui. Tu me demandes, également, si j'ai des remords, des peines, des blessures; oui. Je ne connais que peu de personnes qui puissent répondre par la négative à cela, et je crois que ce ne sont pas les meilleurs hommes qui ne rougissent de leur passé.

Tu as l'âge où l'on change, où l'on devient adulte, je devine les interrogations que tu as derrière les questions que tu oses; il me vient à l'idée une histoire à te raconter. C'est l'histoire d'une de ces fleurs de jour auxquelles tu commences à t'intéresser, fils, fraîches et lumineuses, gorgées de rosée, que tu rêves de croquer. Ne nie pas, j'ai eu ton âge, j'ai eu tes émois et la Lumière sait qu'ils sont parfaitement normaux. Même s'ils sont souvent douloureux. Toutes les fleurs ont du poison, toutes, il s'agit de savoir choisir duquel on veut souffrir.

Laisse-moi donc te parler de cette jeune fille. De ces jeunes filles, même, mais je me pencherai davantage sur l'une d'elles. La plus vive des deux, enflammée, embrassa la discipline des mages, la plus réservée se consacra à la prière et à l'écrit. La première, aux cheveux sombres, on la nomma Tienebra, la seconde, aux cheveux presque blancs suite à son mal, on la nomma Liucia. C'étaient des surnoms, bien entendu, mais pour deux orphelines, ces surnoms prirent valeur de nom tout court, jusqu'à leur faire oublier au juste comment on les avait nommées à la sortie du ventre. J'ai écrit orphelines, excuse-moi, elles avaient été abandonnées. Nées d'une couche pauvre, elles avaient été trouvées devant la Cathédrale de Hurlevent. Malades et maigres, on a cru plus d'une fois les perdre. Pourtant elles ont été sauvées, même si l'une d'elle resta plus marquée. Élevées dans la Foi, elles ont été studieuses et sages. C'est de Liucia dont je te parlerai davantage. Car elle est morte, vois-tu, prise dans sa jeunesse, et je ne peux encore penser à elle sans ressentir une morsure amère.

J'espère que m'en ouvrir à toi pourra te faire comprendre certaines choses qui ne s'enseignent guère par les mots, mais par l'expérience. Mon garçon, pardonne-moi de ne pouvoir être à tes côtés pour te guider comme un père le ferait vraiment. La guerre, le devoir et tout ce que je peux avoir à racheter me le demandent. Aussi, je te fais ce présent, un poème qu'elle avait écrit. Elle ne se séparait jamais de son grand livre de cuir, où elle écrivait ses pensées. J'ai un peu honte de t'écrire que j'en ai arraché quelques pages, avant qu'on ne le dépose sur son lit mortuaire, entre ces petites mains aussi blanches qu'elles avaient pu l'être de son vivant. Garde-les précieusement, car c'est toute l'âme d'une morte qui s'y trouve. »




"La nuit m'apportait souvent la rêverie
Où j'étais toute baignée de Lumière
Je flottais dans les cieux, cent fois bénie
Bras étendus et tout offerte à l'air

J'avais les larmes aux yeux de ressentir
Sur ma peau, sur mon être, de nouveau
Le mouvement, la vie s'épanouir
En mes veines, le sang redevenait chaud

La cathédrale, droite, regardait
Mon bel envol, audacieux, sublimé
Au son des cloches allègres répondait
Celui de mes os, au sol fracassés."



« Comprends-tu, fils. Elle était belle, jeune, malade et condamnée, et elle le savait. On lui avait dit que la Lumière sauvait, mais elle s'affaiblissait, de jour en jour. Tu me demandais, fils, si j'avais des regrets... »


Dernière édition par Liucia le Jeu 22 Avr 2010, 15:33, édité 2 fois
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Message  Ludjana Mer 21 Avr 2010, 08:17

« Non, je n'ai pas été inquiet de ta lenteur à répondre, mon enfant, je sais que tu avais besoin de méditer ma curieuse réponse à tes questions. Je me doute bien que tu ne t'attendais pas à une confession aussi soudaine et tes remarques sont justifiées. Non, je ne suis pas mourant, même si le front est préoccupant. Nos récentes victoires ne doivent nous faire oublier le Mal et ce qu'il porte, et, oui, il y aura encore des morts et des drames. De ça je suis certain.

Tu me demandes quand, comment, pourquoi l'ai-je rencontrée, je te répondrais peut être, mais pas maintenant. Je ne veux pas que tu voies ceci par rapport à moi, mais bien par rapport à elle. Pour son souvenir. Pour ton enseignement. Si je suis le seul à me rappeler d'elle, je ne sais, je ne voudrais que nous soyons deux à porter un fardeau.

Enfin, je vais te répondre. Comment était-elle, vraiment. Hé bien, à la voir, on ne pouvait s'empêcher de la deviner fragile. Elle portait son mal comme d'autres portent leur tabard. Il était évident. A ce que j'en ai su, elle ne pouvait déjà plus courir depuis des années et, aux dires des personnes qui se sont occupées d'elle et de sa soeur dans l'Orphelinat, elle semblait s'en satisfaire. Elle n'aimait pas la violence, encore moins y être impliquée, et préférait les domaines de l'esprit. Il est des gens, fils, qui font de leur faiblesse un orgueil, elle était de ces gens-là. C'était son bouclier. Qui approchait du cocon que les jumelles s'étaient formées toutes deux tombait sur ce bouclier. Elle est malade, laissez-les en paix.

Elle s'était tant penchée sur les disciplines de l'âme qu'elle parvenait, avec l'âge de raison, à quelques prouesses rares qui avaient valu l'intérêt de certains, refoulé invariablement de cette protection dérisoire, mais efficace. A vrai dire, mon enfant, elle regardait les vivants comme si elle ne leur appartenait déjà plus.

Malgré tout, vint la rumeur un jour qu'elles avaient eu l'intention d'un noble éloigné, pour une raison qui lui appartenait seul. Elles n'avaient aucune fortune, aucune raison de se refuser à qui se proposait, malgré leur âge presque de devenir femmes, de devenir ses enfants, aussi, on les prépara. Ni l'une ni l'autre ne commenta, mais Liucia se referma davantage dans son silence. Et si sa soeur se devait de la quitter, elle n'avait que la compagnie des livres, renvoyant un mutisme intact à qui venait l'approcher. Ca laissa un souvenir ambigu aux autres enfants et adolescents qui les avaient connus. Les adieux à l'orphelinat et à ceux qui avaient accompagné leur enfance ayant, par le fait, été plus que froids.

Une personne réussit toutefois à les approcher. Cette femme, puisque c'en était une, était l'une de ces Elfes de la Nuit qu'on voit parfois auprès du Parc de Hurlevent, et c'est là qu'elles se rencontrèrent. Ce qu'elles se dirent, je l'ignore, comment cette femme a-t-elle pu les amadouer, j'en sais encore moins, toujours est-il qu'elle y parvint, et que c'est cette femme qui leur confirma la destinée qui allait être la leur. La souffrance, et la mort.

Après ce verdict, Liucia retrouva le sourire, un sourire étrange et lointain, comme si rien de tout ce qui pouvait advenir n'avait plus d'importance. Et elles partirent de Hurlevent. Elles laissèrent derrière elles leurs jouets et effets d'enfants, pour affirmer qu'elles devenaient grandes ou différentes, aux dires de celle qui les avait éduquées jusque là. Je ne saurais dire si c'est un jugement exact. Je te joins une autre des pages, j'en serai encore avare. »



[...]depuis le jour dernier. Je n'en conçois pas grande impatience, puisqu'il n'y aura bientôt plus qu'en rêve que je reverrai ma chère Cathédrale. J'ose espérer que mes songes sauront m'en rendre justice.

Je n'avais besoin de davantage, aussi suivrais-je les conseils avisés de mes maîtres et n'emporterai que le plus mince, à savoir toi ma mémoire et de quoi rendre honneur à celui qui nous appelle. On nous a porté des toilettes simples, mais bien coupées, nous les avons arrangées ensemble, Âme et moi. Je n'ai de cesse que de garder les yeux rivés sur mes chers toits d'or, pour les graver en moi, mais l'Humanité est faite de faiblesse et je crains d'oublier les reflets de la Lumière jouant sur nos pavés, venant nous éblouir. J'ai tenté de peindre, je ne rends hommage à rien, j'ai tout fait brûler.

Les cloches sonnent, je t'abandonne, quand je te rouvrirai ce sera sous un autre ciel. Je te confie une herbe du parc, garde-la, car elle est précieuse.

Coeur, le 6 mars de la quinzième année. »


« Prends ton temps pour tout bien lire, mais n'en oublie pas de me donner de tes nouvelles à toi. Mon soin est vers les vivants, avant les morts, mon devoir l'exige. Sois heureux, fils, et presse-toi de l'être, on ne vit jamais trop. »
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Message  Ludjana Jeu 29 Avr 2010, 05:15

« Mon enfant, j'espère que l'épaisseur de ma lettre ne t'aura effrayé. Je cède à l'une de tes demandes, la dernière, mais à ta première question je ne répondrai rien. Ta mère serait peinée d'entendre des propos pareils. Et j'aurais pu m'en taire, si je ne m'étais pas douté qu'elle viendrait un jour. Pas si vite, mais tu deviens audacieux, ce qui est bien, manquant de retenue, ce qui l'est moins. Je ne t'en tiendrai nulle rigueur ni tu t'en tiens, toi, à en rester là sur ce sujet.

Si elle avait pu être sauvée ? Sans doute, fils, sans doute, je ne serais pas si amer dans le cas contraire. Quand je me figure qui elle était, sa tournure d'esprit, ses façons, je ne peux m'empêcher de penser à une fleur de Norfendre. Une fleur à deux têtes, l'une blanche et diaphane, l'autre faite de feu. L'hiver, le Fléau, la froideur du monde ont eu raison de la première, qui s'est changée en statue de givre, toujours aussi délicat; l'autre tête a consumé ses pétales pour survivre, entrainant sa perte à son tour. Liucia et sa soeur étaient liées, bien plus liées que d'autres qui le sont déjà par le sang, puisqu'elles l'étaient dans le mal et la solitude.

Si on avait pu la sauver, sans doute, peut être aurait-il fallu la convaincre que c'était chose faisable. Elle considérait la mort comme ces Je m'avance et je juge, je vais te laisser forger ton avis toi-même. Je t'ai laissé une part à laquelle je suis attaché, pour tout ce qu'elle révèle à qui sait lire, tu me diras ce que tu en as retiré.

A l'aube du voyage, l'une de deux soeurs s'est permise une audace, celle d'adresser quelques mots à qui allait devenir leur père, et de lui demander une faveur qu'il accorda. Elles purent assister à la Veillée des Conteurs, qui siégeait cette fois-là sous les voûtes de Forgefer. Cette Veillée-là, de souvenir de nain, est sortie de l'ordinaire pour être la première à être interrompue. Une attaque dont on se souvient peu, si ce n'est ça. Je te laisse découvrir, à présent. Lis bien, sois attentif. C'est précieux, je ne le répèterai pas assez. »



« Je leur ai conté l'histoire que j'avais inventée, un soir, et que chacun a changé lorsqu'il a repris pour lui. C'était l'orage, j'étais inspirée, on m'avait laissé les livres et j'avais écrit tout le jour. La nuit venue, ils avaient peur, j'ai récité. C'était devenu une habitude. Je me demande s'ils s'en rappelleront encore, s'ils réciteront encore. C'est un baume étrange que de penser à ce que font les gens de nos oeuvres, lorsqu'on n'est plus là pour les garder. Je vais au moins la coucher sur papier. Elle pourra rester endormie, le temps de trouver un oeil et des lèvres pour la faire revivre un temps.

Voilà ce que j'ai dit, à peu près. C'était il y a longtemps et c'était un été, il faisait chaud, en vrai, de cette chaleur étouffante qui oppresse, comme si l'air s'était changé en mélasse et se défendait pour ne pas être brassé par les poitrines battantes. Des gens, une assemblée, à vrai dire à peu près comme la nôtre ce soir, marchaient. Ils devisaient, presque avec légèreté, allant vers un but commun, tentant d'ignorer le temps et la sueur, l'étrange et lourde odeur qui les précédait.
(C'était si bruyant et j'étais si intimidée. Je crois que j'aurai pu faire bien mieux, mais j'avais peur de lasser. Tous ces gens riaient, se parlaient, avaient l'air de se connaître et même d'avoir le luxe de se haïr.)

Le ciel, soudain, se fendit, et il grogna, grogna, comme si des fauves allaient surgir, des fauves à la fourrure noire-nuage. Prudents, ils cherchèrent un couvert et le trouvèrent, finalement, sous un large rocher à l'avancée prononcée, appuyé sur deux plus fins, comme un homme pensif qui observerait la terre à ses pieds. Ils n'étaient pas de ceux qui s'effrayaient aisément, mais il y avait quelque chose de pesant qui parlait à l'instinct, qui faisait dire des mots confus à cette voix en nous qui veut vivre un jour de plus.

L'un s'avança dans les tréfonds, curieux, tout autant qu'inquiet. Ils étaient sombres, mais plus tièdes que l'air encore, chargés de quelque chose qui ne se disait pas. L'un d'eux resta avancé, sous le lourd rideau de pluie si battante qu'elle pouvait blesser, à force de coups répétés, veillant aux dangers que les trombes pouvaient dissimuler. Un autre éleva la voix, et lança, vous, restez ensemble, ne nous séparons pas. Lui, renchérit, murmurant bas mais d'une façon si prenante que tous entendirent: Je sens quelque chose à l'oeuvre. Je le sens, et ça nous regarde. Ils sont nombreux.
(J'avais leur attention. J'étais à la fois plus raffermie et plus effrayée encore. Non, en toute franchise, j'étais horrifiée d'avoir osé parler.)

Tous sentaient cette chose; sans pouvoir la nommer. Tous sentaient sur leurs peau ramper les regards d'une abomination ou d'une fée. Tous cherchaient, les sourires disparus, les yeux enfiévrés. L'air, davantage, s'était fait épais. Les secondes s'étaient changées en minutes, les mains s'étaient jointes, le ciel menaçait. Plus personne n'osait parler, on entendait presque les coeurs battre comme autant de tambours, entre les éclats de voix célestes. Soudain ! Un cri, là, en arrière, lui ! Un cri de surprise, de douleur, d'horreur confondues, ce sont des Démons que voilà ! Il en arrive un, trois, dix; bientôt trop pour qu'on les compte, donnant des contours à la menace des ombres. Des contours cruels, vicieux. Tous crurent le dernier souffle venu, certains sortirent lames, décidés à faire payer le prix de leur sang d'un autre plus sombre versé. Ils rôdaient et ils auraient pu rire, tant victoire était acquise. Une voix s'éleva, basse et grondante, une voix qui répondait à l'orage comme un écho inversé, une voix qui venait de nulle part, une voix qui parlait aux entrailles avant d'être connue de l'oreille. Ils dirent, de cette seule voix : »

« Nous vous tenons, Profanateurs.
Vous avez couru dans nos bras;
Elle est nôtre, cet' pierre-là
Et vous serez pareils dans l'heure

Offrez vous ou nous allons prendre
Faites choix, le genou en terre
D'être déchiquetés ou frères
Comme vos âmes nous sont tendres.
(Je ne suis toujours pas alerte en poésie, et celle-ci est si vieille...)

L'un d'eux s'écria, jamais ! Et l'instant d'après, son sang chaud éclaboussait les visages torturés de frayeur, l'un d'eux supplia, pitié ! La seconde suivante lui fut bien cruelle, un troisième s'effondra en pleurs, on dit qu'au soir venu, en tendant l'oreille, on les entend encore. Ouvrant les bras, l'un d'entre eux s'offrit, soufflant, prenez-moi ! Mais laissez ma tendre amie. Un démon prit, et souriant, répondit: Non, vous deux, à la fois, ce disant dévora.
Chaude et moite, la terre déjà gorgée rendait ce parfum qui se distinguait enfin, c'était l'odeur du sang et des charniers, des guerres et des atrocités. Leurs destins étaient scellés.

Un par un, ils agonisaient, sans pouvoir succomber, piégés dans une torture répétée, alors que, plus fort que jamais, l'orage hurlait. Au centre, l'un des derniers, petit, maigre, insignifiant presque, priait. Il priait la Lumière, il priait pour son âme, il priait pour eux tous, sans espoir.

Déchirant le ciel, une lame lumineuse fraya chemin jusqu'à la pierre, fracassa un arbre, rebondit sur une paroi, et frappa le prieur qui s'enflamma. Foudroyé, il n'en resta que cendres, bien amères au palais des noirs esprits qui les avaient piégés.

Lorsque la pluie cessa, l'arbre, encore brûlait. Et tout comme on entend les sanglots, cet arbre, lui, brûle encore, et dans les flammes danse l'âme de celui qui a été sauvé, le seul à avoir succombé.

N'ayez peur ni du trépas, ni de l'orage. La Lumière, parfois, prend des chemins violents, mais la vie peut être perdition, et la mort, libération. En chaque épreuve, gardez Foi.
(J'ai été applaudie, félicitée, quand bien même je me suis morigénée de ma sottise à vouloir présenter une fantaisie d'enfant à tel parterre de belles gens.)

Les compliments paraissaient sincères, je les ai acceptés. Dame Nolmë, comme cette femme, cette Draeneï -J'ai rêvé d'elle- avaient l'air satisfaites. Ensuite, nous sommes allées sur la côte, cette côte grise et pâle qui sera notre maison, maintenant. Elle me convient, parce qu'elle est aussi grise et pâle que moi. J'aurais voulu plus de couleurs pour Âme. Je peux m'accommoder de me déliter dans la brume, elle va souffrir de la pesanteur des murs qui la soutiennent.

Je te laisse, on rentre les caisses et valises. Bientôt nous allons rencontrer notre père.
Ludjana
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Message  Ludjana Dim 16 Mai 2010, 12:11

« Fils, parmi les jeunes gens beaucoup se rient du destin, pensent naître et pouvoir croître et devenir, sans contraintes, sans prix, sans frontières. Ils pensent pouvoir grandir sans avoir à pousser quiconque, sans avoir à blesser, sans avoir de remords. C'est une belle chose que de penser ceci, mais c'est faux. Même à se tenir loin des drames, même à rester le plus éloigné qu'il soit possible des guerres, des heurts et même des autres, la fatalité viendra toujours rattraper qui vit. J'use ce mot, c'est volontaire. Nous sommes humains et c'est plus franc chez nous que chez ces Kal'Doreï, mais même eux savent qu'un jour sera leur dernier, même s'ils n'ont pas le spectre de la vieillesse à peine ont-ils gouté au nectar de la fleur de l'âge. Si je te dis ceci, c'est parce que malgré son âge, malgré son retrait, celle qui me hante a été happée par les engrenages du destin. Une fois pris, on n'en ressort qu'en tant que légende, injure ou note presque oubliée, mais toujours dans la tombe.

Adoptées par les Alrun, mais surtout par Ewald à ce qu'en dirent les rumeurs, j'ai su qu'au soir où elles devaient arriver chez elles, leur mère fut enlevée. Tu vas sans doute me croire un peu gâteux ou superstitieux, mais parmi les choses mauvaises et affamées qui rôdaient en ces temps-là, il y en avait une qui s'était fait appeler Mauvais Présage. Elle n'en a rien écrit, sans doute parce qu'elle croyait en la force des livres et qu'elle ne voulait pas laisser à certains êtres une chance de perdurer par les siens. Je sais que je brise en partie un voeu à te conter ceci, mais ça t'est, je crois, nécessaire pour comprendre le premier mouvement de l'engrenage. Et pour continuer à la voir au travers de ce qu'elle a laissé. Tu ne m'as que peu posé de questions, cette fois, peut être ça viendra ensuite. Peut être n'en as-tu pas davantage besoin, après tout.

Sache, donc, que la première fois qu'elle rencontra son père, ce fut pour le voir en un jour de faiblesse. La première fois qu'elle rencontra sa soeur ainée, ce fut pour chevaucher avec elle et des inconnus à l'assaut d'une force si peu compréhensible. La première fois qu'elle rencontra sa mère, ce fut pour la trouver aux portes de la mort, mutilée ou peu s'en faut. Un esprit fort y aurait déjà trouvé son compte.

Sur ce, je la laisse parler, je ne lui ai déjà que trop pris sa voix.

PS: Pour ta question, je n'en serai jamais certain. Mais je crois que oui, sa Foi était réelle. Doit-elle être naïve et dénuée de critiques pour être vraie ? Une foi qui ne se questionne pas n'est qu'une coutume. »



« [...]opportunité inestimable. S'il y a la moindre chance que ceci leur apporte un mois, deux, de quiétude et de santé, je veux bien laisser l'année qu'il me reste...

La sentence est rude pour ce qui est de moi, mais, en moi même je la connaissais déjà. De savoir Âme affectée elle aussi... Ô Lumière, je ne veux pas qu'elle souffre et se flétrisse comme je le fais, elle est si vive, elle a toute notre beauté, elle a toute notre joie; suis-je donc si bancale pour ne suffire en sacrifice ? Ce n'est qu'un fragment de réponse, une tentative pour comprendre, mais entre ça et l'absence je préfère saisir le peu d'espoir que je puisse offrir. Qu'importe, je vais mourir, qu'au moins ma chétive existence soit utile à celles que j'aime et chéris.

Notes transmises à Dame Nolmë;

Dame, mes confuses si je n'ai pas usé de ma plus belle plume pour ces écrits, ou s'il y a choses inconvenantes; je ne voudrais pas souiller par pudeur la vérité et la sapience que vous cherchez à travers mes émois et impressions. Pardonnez ma jeunesse, puisse tout ceci vous être utile.

10 mai.

J'ai chaud, principalement. Je suis fiévreuse, comme si j'avais quelque grippe. Âme ne semble pas trop aimer. J'ai dormi longtemps, cette fois. Âme était réveillée avant moi. Elle m'a dit que j'avais rêvé, je ne m'en souviens pas, mais je me suis sentie épuisée. J'ai prié la Lumière, et m'en suis trouvée apaisée. Ce sera mon refuge. Je dois endurer.

Le lendemain, 11 mai.

J'ai été assez fébrile toute la journée. J'ai une sensation d'impatience. Je frémis au moindre vent. Je ne me sens pas vraiment mal, ceci dit. Je suis juste... Comme sur des braises. J'ai prié autant que j'ai pu, mais la fatigue m'a retenue de le faire autant que j'aurais voulu pour apaiser mon âme. J'enrage contre moi-même de cette faiblesse.

12 mai.

J'ai chaud, j'ai chaud, j'ai terriblement chaud. Je me terre auprès des embruns, le vent et l'écume seuls apaisant ce feu. Je prie, et mes prières résonnent. C'est une sensation étrange, comme s'il y avait de l'écho en moi-même. Je dois endurer encore. Je n'ai parfois qu'une envie, arracher cette chose...

13 mai.

J'ai rêvé encore. Cette fois-ci, je m'en souviens par bribes, surtout parce que j'ai couché par écrit mes songes dès le levé. J'ai rêvé que je chutais -C'est un rêve qui m'est assez commun- mais que je chutais en dedans de moi. Je me suis éveillée avec une frayeur peu commune, et me suis rendormie vite. J'ai rêvé d'une fontaine, par la suite, une grande fontaine de sang. J'avais bien moins peur auprès de la statue versant les flots, et il y faisait très frais. Dans mon rêve, quelqu'un m'a parlé, mais je ne me souviens plus de ses mots.

14 mai.

La chaleur semble s'estomper, ou alors ce n'est que l'accoutumance. Je me trouve, peut être à tort de par mon état des jours derniers, légèrement plus vigoureuse. Âme a fait remarquer que j'ai rougi. Ca ne m'était plus arrivé depuis quelques années. Certaines de mes pensées m'échappent, et avec eux quelques parcelles de la Lumière qui vient de moi. J'espère ne blesser ni n'offusquer personne... Si c'était le cas, j'irais m'enfermer jusqu'à la fin de cette épreuve, et de mes jours avec elle. Âme, pardonne-moi, mais je refuse que ce qui me ronge vienne à toi.

15 mai.

Auprès de la cathédrale je suis bien, Âme et moi nous y sommes reposées une bonne part de la journée. La fatigue me revient avec l'apaisement, j'ai l'impression que me laisser aller me revigorerait, mais de ceci il est hors de question. Ce soir, nous irons à un banquet organisé. Je prie, incessamment, pour tenir. Je dois faire bonne figure. Je suis ressourcée. J'y parviendrai.

[Griffonné]

Je ne veux pas oublier ces instants, alors j'écris, tant pis pour l'ordre et la décence.
Attaquées. Attaquées pour ce collier. Elles disent que c'est pour notre bien -Au nom de quel bien met-on une lame sous la gorge de ma chère Âme ? Je pensais les présages mauvais, cette ville l'est tout autant. L'amie de Leizen, touchée au ventre alors qu'elle porte la vie, ces Hospitaliers qui emploient un Non-Mort, ces gens qui ne veulent que toucher sans même penser à demander ni prévenir; sont-ils tous fous ?
Nous devrons la revoir, je n'ai rien laissé paraître, puisque ça semblait tenir à coeur de mon Âme -et donc à moi- et faire tant plaisir à Leizen, mais il n'aurait tenu qu'à moi qu'elle serait déjà pendue -Pourquoi parler de pitié alors qu'elle aurait pu tuer ma jumelle ?
Je n'avais jamais été aussi en colère. Il faut que je fasse bonne figure, il le faut, mais la chaleur de ces derniers jours était un brasier noir. Cendres amères. Pourquoi ces mots me reviennent, scandés par une voix que je ne reconnais pas ? Cendres amères. Je ne sais pas. J'ai dû savoir. Mais je ne sais pas. J'ai tenu bon longtemps. Je vais prier. Je ne veux pas me noircir de suie face au feu de l'épreuve.


Note ultérieure: Malgré tous mes émois, mon corps semble avoir été bien moins capricieux que d'ordinaire. Une amélioration physique au détriment de la psyché ?

[...] cauchemars ont repris. Nous ne sommes guère ménagées ces jours derniers, je ne m'étonne que mes nuits en soient le reflet, mais aux dires d'Âme, cette nuit a été l'une des pires. A mon sens, la plus regrettable, puisqu'il y a eu témoins... Faut-il que je meure de honte. Je ne me souviens que d'avoir été éveillée par une main sur le front et la saveur du sang sur ma langue meurtrie. J'inquiète. J'effraye. Ah, peu m'importe, s'il me faut porter toute l'opprobre du monde pour offrir cette chance à Âme et à Mère d'être libérées.

Lorsque me viendra la force et que la bienséance me le permettra, j'irai questionner au propos de ces mauvais songes que j'ai eus. Âme ne s'en souviendra pas, et je préfère qu'il en soit ainsi, mais peut être que d'autres en sauront davantage. On me regarde si singulièrement depuis que je ne peux m'empêcher de voir, dans le reflet de ces regards, un monstre. Un monstre que je suis. Une enfant difforme et impotente...

Ah, voilà que je me lamente, alors que je devrais me repentir. Mes prières ont été exaucées, puisque, toute la soirée, j'ai tenu et souri, il n'y a qu'entre mes draps et abandonnée que j'ai failli. Je me dois de mériter cette force que la Lumière me donne. J'irai voir cette femme, je tâcherai de lui venir en aide, quand bien même elle nous a fait du mal. Je tâcherai de réparer les frayeurs et inquiétudes causées. Je ferai de mon mieux. La discipline et la rigueur sont mes plus grandes alliées.

Voici ce dont j'ai rêvé, et dont j'ai mémoire:

J'étais auprès d'une grande demeure à la grille effondrée, j'étais en retard et attendue pour un banquet. Je suis entrée, on m'a signifié que j'avais bien trop tardé, et que l'impatience avait saisi celui qui m'avait invité au point qu'il mangea seul, y compris ma part qu'il avait empoisonnée. J'étais désolée de le savoir malade, et me précipitais à son chevet. Le mourant était une statue de fer qui parlait d'une voix rauque. Mais je ne me souviens plus de ses paroles.

J'ai rêvé d'un grand champ fleuri, magnifique, accueillant, lorsque j'y marchais pieds nus je le fis flétrir. Une fée vint me demander réparation, voulut me gifler, et mourut en me touchant. Je l'enterrais.

J'ai rêvé d'une grande réunion ensuite, de personnes très importantes qui devaient traiter d'un sujet fort pesant. Je n'en ai plus aucune mémoire, si ce n'est que le sujet paraissait dérisoire, mais qu'ils en faisaient leur monde. J'en garde une impression mitigée.

J'ai rêvé de cordes, enfin. Mais je ne puis préciser.

Je ne suis pas tant épuisée, malgré ma nuit.
Coeur, au matin du 16 mai de la quinzième année.
Ludjana
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Message  Ludjana Mar 01 Juin 2010, 01:36

« Fils,
Je comprends ta colère et ton empressement. Non, je ne t'ai pas menti, non, je ne me joue pas de toi: Elle est morte, elle est bel et bien morte. Je n'aurais pas eu la cruauté de mentir à ce propos. Quant à sa soeur... Je préfère la laisser parler. Mes commentaires te perturbent. »





Dame Nolmë,
Voici les notes promises. Elles sont celles de mon journal, je n'ai pu retrouver l'autre feuillet. Mes confuses. Ces jours derniers ont été éprouvants, comme vous le savez, même si ça n'excuse en rien ma terrible négligence. Sitôt retrouvés, je vous ferai parvenir ce qui est manquant, si toutefois la chose existe.


19 mai.

Dame Nolmë a, dit-elle, rectifié quelques détails au propos de mon remède, l'adaptant à moi. Elle m'a enseigné que ce monde comportait des dessins sous-jacents, comme une trame guidant la peinture de réalité par dessus elle. Elle m'a évoqué les runes, elle m'a parlé des langages antiques et des pouvoirs de certains mots et tracés. Oh comme j'ai été enchantée ! Tant d'années de vie, tant d'années de savoir qui se sont ouvertes à nous deux; je n'ai pu assez exprimer ma reconnaissance.
Elle m'a enseigné quelques uns de ces savoirs, notamment le nom de Hurlevent et ses origines.
J'étais si heureuse ! Si ce remède arrange encore mieux, peut être pourrais-je courir. Courir ! J'ai cru en avoir le coeur éclaté de joie tant il battait fort.
Fi de palabres, je me dois d'être précise: Pour ce soir-là, j'ai été un peu nauséeuse, sans que ça n'aille bien loin. Du reste, j'ai tant d'appétit ces derniers temps que je mange peut être trop, ça n'est pas obligatoirement lié. J'ai dormi, d'un sommeil lisse et sans rêves.

20 mai.

J'ai fait passer une nuit horrible à Âme. Je me suis encore levée pour raconter des horreurs. Elle n'a rien voulu m'en dire. L'oreiller était plein de sang, je m'étais mordu la langue. Ceci mis à part, j'ai été dans la même forme que les jours précédents. J'ai pu accomplir mes dévotions sans faillir.

21 mai.

Une pièce sans fenêtres, avec un grand mobile pendant du plafond, suffisamment grand pour que je puisse m'y tenir. Je m'y balançais, alors que les ombres qui se projetaient sur les murs se déformaient et prenaient corps. Voilà ce dont j'ai rêvé. Je me suis beaucoup reposée. J'étais d'humeur étrange, comme avant un orage. J'espère que ce n'était qu'un peu de fièvre.

22 mai.

Une belle journée. La fièvre est presque entièrement passée, j'ai été de la meilleure des compositions, j'en ai profité pour me pencher sur mes ouvrages en retard. J'ai négligé mes études et mes compositions ces derniers temps.

23 mai.

Une ombre à ma journée sans nuage ni autre fait remarquable: J'ai eu un instant d'absence. Pas de faiblesse, je ne me suis pas évanouie. Mais mon esprit a vagabondé un temps, et n'est revenu que plus tard, à force d'appels. Je n'ai souvenir de ce à quoi mes pensées étaient occupées durant ce temps.

24 mai.

Quelle journée magnifique ! Je n'avais pas été si bien depuis des années, âme et moi avons marché sur la plage tout le jour durant, à s'inventer histoires et chansons, je vais m'empresser de les coucher sur mon carnet. Oh, comme j'aurais aimé courir avec elle. Il me faut être patiente !

28 mai.

Je ne me souviens pas. Je ne me souviens pas. Par la Lumière, je ne me souviens de rien. J'ai dû me relire pour me souvenir des jours précédents... Je ne me souviens de rien. Je ne me souviens de rien... Âme dit que j'étais ailleurs. Je ne me souviens pas...

29 mai.

Il est venu l'heure, quatre fois
Tic, tac, l'aiguille s'avance
Grande épée qui frappe en cadence
Au dessus de quel cou cette fois ?

Clac ! Clac ! Le Temps tue
Tranche la jeunesse
Déchire l'ivresse
Tic ! Tac ! Attends-tu ?

Tu entends ? Ces sifflements pointus...

Je n'ai pas la suite. Oublié. Oublié. Idiote. Oublié.


30 mai.

Pourquoi ais-je écrit ceci hier ? Je ne me souviens de rien. Mais il faisait beau. J'ai aimé regarder le jour passer au dessus de moi. Âme est inquiète. Je suis si lasse... Je prie et m'endors aussitôt. Mes rêves sont si lourd à présent. Je sais qu'Âme a peur que je ne me réveille pas. Je prie pour me réveiller. Qu'importent mes souffrances, que mon agonie soit assez longue pour l'épargner à d'autres...
Je suis épuisée, fiévreuse, bien qu'Âme me dise glacée. Seul un glacier pourrait me soulager tant j'ai l'impression de me consumer, et je ne parviens pas à trouver le sommeil...

1er juin.

Je me dois de le noter, même si je ne puis écrire rien de plus. Créées ?
Cette mémoire...


« L'espoir est une arme parmi les plus mortelles lorsqu'il est brisé. Prends soin de toi, et de ta jeune soeur. A ce qu'elle m'a écrit vous allez bientôt vous rejoindre. Que la Lumière vous garde, vous êtes mes deux trésors les plus précieux et toute ma force pour combattre encore à la défense d'Azeroth. Mourir si jeune, à la fleur à peine éclose de la vie, est quelque chose que je ne supporterai pas pour vous. Prends soin de vous. »
Ludjana
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Message  Ludjana Sam 26 Juin 2010, 09:11

« Mon cher enfant,

Je ne pourrai pas rentrer, ta mère te l'a peut être dit. La situation au front est mauvaise, je ne peux pas me retirer, ni moi ni mes hommes. Qui serais-je pour leur dire de rester si moi même je recule ? Je sais à quel point ça comptait pour toi, et je sais que tu comprendras, tout comme je sais que je te blesse. Je t'en demande pardon. Embrasse bien ta soeur et ta mère pour moi. Quant à ce que tu m'as demandé, puisque tu souhaites que je ne t'épargne rien, voici. »



« Âme, c'est moi. Je vais bien, ne t'en fais pas. »




« Âme, quel jour sommes-nous ? »




« Tout ce temps, vraiment... Oui, je vais bien. Je suis auprès de toi, comme je te l'ai promis. Je ne te mens pas, je t'assure, je ne souffre pas un seul instant... Sauf à te voir souffrir. Je t'en prie, apaise-toi, tu te consumes. Je le vois. Et tu sais que je le vois. »




« Âme, j'ai entendu tout comme toi, accepte. Accepte, je t'en conjure, fais-le pour toi, pour notre soeur, pour cette famille qui nous a accordé l'honneur d'être des leurs. Je ne veux plus risquer d'être à nouveau ce poids qui erre dans les rues de Hurlevent, d'être cette honte sur notre famille. Sais-tu, je n'ai pas menti à cet homme, ni à Nolmë: Je vais bien. C'est étrange, mais je vais bien. Je ne ressens aucun mal, et à choisir je me préfère inerte et calme plutôt qu'à proférer ces choses dont tu n'as pas souhaité te décharger. Je t'en conjure, Âme, encore une fois... Il me pèse d'user de ton bras pour écrire alors que tu sommeilles, je ne veux pas te dérober la vie que tu as, à veiller celle qu'il me reste. Vis pour nous, vis pour toi, tu le mérites, tu le dois. La Lumière t'a offerte d'être en vie, en santé, vis. La Lumière m'a offerte d'être soulagée, laisse-les donc envelopper mon corps de glace. Nolmë a eu des mots durs, mais ses mots sont justes et francs. »




« Âme ! Dois-je te contraindre ? Oh, Âme j'ai tant pensé, j'ai eu tant de temps pour le faire, et je vais tout te confier: Je crains d'avoir péché face à la Lumière. J'ai eu l'orgueil de penser que je pourrais te sauver, sauver notre mère, et j'ai péché devant la Compassion et le Respect en vous imposant ma souffrance sans un instant songer à la vôtre, puisque vous m'aimez. Je vous en remercie, je vous en remercie de tout ce que j'ai, et je me dois de réparer ce que j'ai fait. Grande est la Lumière de m'avoir permis l'espoir de le faire, tant que je vis encore !

Je ne suis pas morte, puisque mon corps vit, même s'il vit mal, et je me rappelle nettement ce qu'on m'avait enseigné, au propos de me projeter, de voir au travers d'autrui, d'aller parfois jusqu'à lui parler même, voire de le contrôler. Je me souviens avoir été effrayée, et avoir prétendu ne pouvoir, car ne voulant pas. Je le peux, c'est manifeste, et à nier cela je l'ai fait malgré moi, malgré toi à présent, Âme pardonne-moi. J'ai péché devant la Ténacité. Et je me repens. Sache que je t'aime, que je t'aimerai toujours, quoique tu décides, tu peux me haïr pour tout ce que je t'ai fait subir. Mais la haine te serait mauvaise, et je te souhaite tant d'être heureuse.

J'ai pensé, oui, beaucoup, et j'ignore encore ce que nous sommes, puisque nous avons été faites et non conçues, mais laisse-toi être humaine, laisse-toi être une jeune fille, ne te cheville pas à moi. Nous sommes nées deux, sois une pour toi, je ne te laisserai pas être seule. Si je pouvais te dire de m'oublier, Âme, si je ne savais que trop que tu n'y parviendrais pas ! Cesse, au moins, je t'en prie, de t'accabler: Je vais bien, je ne souffre pas, et je suis tellement heureuse d'avoir le droit de te l'écrire, même à travers ton bras. C'est une faveur immense... Moi qui étais devenue aveugle, je vois, je sais. Je crois. Crois-moi, ne le vois plus comme une malédiction, mais comme ce qui sauvera les choses que nous sommes en nous permettant d'être des personnes. La Lumière offre, nous devenons débiteurs, et nous avons le devoir de vivre, et de vivre bien, je n'ai que trop tardé à la comprendre. Dis à Leizen que je l'aime, dis à Mère que je pense à elle, et dis à Père que je le remercie. Dis, enfin, à Nolmë qu'elle peut disposer, tant qu'elle respecte; je me fie à vous, vous saurez, si vous avez Foi. »




« Âme... Ne pleure plus, je t'en supplie, ne pleure plus, je verse chaque larme avec toi. Je ne t'abandonne pas, tout au contraire, je t'écrirai des histoires puisque tu veux bien me prêter ton bras, je resterai avec toi, tout le temps que tu le voudras. Tout, tout ce que tu voudras. Bien sûr, que j'ai eu peur, bien sûr que j'ai craint, je ne suis pas une statue de marbre, tu le sais bien. Bien sûr, que je suis triste, bien sûr que j'aurais aimé vivre à tes côtés comme tant d'autres jeunes filles le font, et bien quoi ? Je ne le puis, j'ai la chance extraordinaire de pouvoir être encore un peu et de pouvoir te l'écrire... Bien sûr, je vois ceux qui se gâchent, et j'ai envie de leur hurler combien ils blasphèment, combien ils saccagent ce don merveilleux que la Lumière leur a fait, mais qui suis-je, que suis-je pour juger ? Juste une part de poussière, un être passant, quelques années de moins qui m'auraient peut être aveuglée davantage que ce mal que j'ai porté... Vis, s'il te plait, vis, je crains pour toi, de ce que je rêve, de ce que je ressens, ces horloges... Vis. Je sais combien tu te le refuses, puisque tu vois ce corps accablé. Alors, je l'écris encore.

Je vais bien, Âme, ne t'en fais pas. »


« Tu m'avais demandé, Fils, si j'avais des regrets... J'ai même des hontes, surtout à relire ces passages, à me savoir les avoir pris. Lis, apprends, parles-en à ta soeur si elle le veut. Et soyez heureux.
Je m'en retourne à la guerre. »
Ludjana
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Message  Ludjana Lun 26 Juil 2010, 02:38

« Monsieur,

Votre père m'a demandé de vous faire transmettre ceci, à vous et votre soeur. Mes condoléances encore. Sachez qu'il est mort en héros. »



[Les écrits sont des tests d'écriture, un peu hasardeuse. Certaines lettres se chevauchent, certaines lignes ne sont pas droites.]


« Je me suis enfin réveillée. J'ai fait un rêve où il y avait une immense araignée que je nommais Maman et qui avait pris mes jambes, et il y avait des morts partout. On m'a recousu mes jambes pour que je puisse courir à nouveau, et on m'a dit de m'endormir afin que je me réveille. Un rêve étrange, depuis le temps que je flottais autour d'Âme... Du moins, je crois que je le faisais.

Mon corps ne va pas mieux, mais je me sais ne devoir plus tant le quitter, car il est toujours plus faible lorsque je m'en échappe. D'après ce que j'ai cru entendre dire, c'est normal de ma part. J'ai été créée pour être un outil dont on chasserait aisément l'esprit pour en mettre un autre à ma place. Mais l'esprit a été dédaigneux de ce présent. Comment ne pas comprendre, quand on voit le réceptacle que j'étais sensée être ? Qu'il m'était plaisant de ne plus y être. Enfin, puisqu'on m'a dit que je pesais trop sur Âme, je m'abstiendrai. J'ai pu retrouver le chemin. Puis, j'ai fait ce rêve.

Je ne peux toujours pas courir. Ah, quelle importance. Ca n'était qu'un rêve.

Leizen et Âme ont retrouvé notre famille de sang. Ce sont des dépravés qui accueillent les non-morts comme s'ils étaient encore des personnes. Je ne veux pas les connaître, mais je n'interdirai pas à Âme de le faire...

J'ai été créée. Ma soeur et moi avons été créées. Je suis un objet inutile. Mais je sais quoi faire.

Coeur, au soir du 19 juillet de la quinzième année. »


« Je ne suis rien. Je ne suis rien. Je ne suis rien. Je ne suis rien. Je ne suis rien. Je ne suis rien. Je ne suis rien. »


« Il traine une odeur fétide, ici. Mais nous devrions bientôt partir. Deux soirs, déjà, que je dors sans Âme à mes côtés. J'ai la curieuse impression d'aller mieux, du moins, d'endurer davantage. Cette odeur m'incommode, mais nous devrions partir, aux dires de Monsieur Aubren. Le chemin sera long, alors je ne le serai pas davantage.

Coeur, au soir du 20 juillet de la quinzième année. »


« Je ne suis rien. Plus que de la Lumière, bientôt. Puisqu'il en faut pour purifier l'affliction qui touche ces terres et qu'ils refusent de voir. Puisqu'ils aiment leur propre corruption. Il faut des sacrifices pour ce faire, puisqu'ils les haïront. Autant sacrifier les monstres. Qu'il ne reste que ceux qui le méritent. Je ne suis rien. Je n'ai rien à perdre, je ne puis rien gagner. Je n'ai pas peur. Je ne suis rien. »


« On me demande avec régularité si j'ai bien saisi ce qu'impliquait ma décision. Ma jeunesse, sans doute. Oui, ma jeunesse. J'ai eu tout le temps de songer au lieu de jouer, il n'est rien de trop étonnant à ce que je me sois déjà penchée sur ce qui se présentait à moi. J'y entends peu en politique, mais j'en entends bien davantage en coeur, si je puis l'écrire ainsi. J'ai eu le temps de soupeser ce qu'impliquait d'avoir été créée, d'être ce que je suis. Un monstre.

J'ai compris combien le monde était noir et corrompu, et combien je n'y changerai rien, de la même façon qu'un chiffon sale n'essuie aucune souillure. J'ai compris combien la Foi était bafouée, servie de guingois, servait de prétexte à des instincts bas qu'on maquille bien pour changer des prostituées en demoiselles. Si nous servions tous, nous n'aurions pas de camps, puisque nous nous comprendrions, puisque nous serions heureux. Mais, même dans notre seule race, nous en sommes incapables. Même dans une seule famille, nous en sommes incapables. Alors quand les Rouges, comme dit Leizen, sont venus me chercher, je n'ai pas opposé de résistance. Alors, quand Monsieur Aubren m'a fait la proposition de servir à ses côtés, j'ai accepté. Qu'aurais-je pu faire d'autre ?

J'ai de l'amour pour mes soeurs, et je me dois de les soulager de ma présence. Pour qu'Âme puisse-t-être la jeune fille épanouie qu'elle serait sans moi. Pour que Leizen puisse faire son devoir comme il se doit. La Lumière n'exige pas, Elle se dépose, et c'est à nous de venir à Elle, pas l'inverse. C'est mon devoir. Et je l'accomplirai. J'en saigne. Mais la souffrance purifie. Et j'ai toute une nature à purifier.

Coeur, au soir du 23 juillet de la quinzième année. »


« J'ai rêvé d'un grand miroir dont j'étais prisonnière, Âme s'y mirait au devant. Elle me souriait, dansait. J'étais son reflet. Ca n'a plus d'importance. »


« Si tout pouvait être simple...

Mais rien ne l'est. La Lumière a ses opposants, et il est triste de penser qu'ils auraient pu être nos amis, s'ils n'avaient pas choisi d'être des hérétiques. Et je suis triste à penser que ma Leizen s'est liée à certains d'entre eux, et s'est laissée corrompre l'esprit à songer qu'Elle pouvait être servie partiellement, tandis qu'on rend des dévotions à d'autres. J'en suis triste, mais j'en suis résolue.

Je sais qu'à agir ainsi, je me pose définitivement en ennemie des deux seules personnes que j'aime. Ma Leizen, mon Âme, puissiez-vous comprendre. Puissiez-vous ouvrir les yeux, voir ce que je vois, maintenant que je suis aveugle.

Un garde est venu chasser l'une de celles que j'ai rejoint, ce soir. Et j'ai pu faire. J'ai pu le sentir, alors que nul ne le voyait, j'ai pu le chasser à son tour. Je voulais seulement le faire partir, et il s'est effondré. Dame Nolme avait raison, je pèse sur ceux que j'approche ainsi, je les bois, je les vide. Je suis un monstre, mais il est un païen. Il n'a pas su partir. Ils s'occupent de lui à présent. Puissent ses souffrances être courtes, et sa nuisance terminée.

On m'a parlé d'Âtreval, et je crois me souvenir qu'on m'a dit que d'autres, pour porter la bannière sous laquelle je suis maintenant, ont été pendus devant la Cathédrale. J'ai souri à cette pensée. Devant la Lumière je veux bien me balancer.

Nous sommes le 25 juillet au soir, et je n'écrirai plus, puisque Âme n'est plus à mes côtés pour me lire. Bientôt je serai morte. Pas de la façon à laquelle je m'attendais, mais qui sommes-nous pour juger de notre fin ? Je suis peut être déjà chassée. L'un des gardes m'a déjà juré de me tuer. Je suis heureuse, à présent. Je fais ce que je dois.

Si vous trouvez ces écrits, dites à mes soeurs combien j'ai pu les aimer. »
Ludjana
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Message  Ludjana Mer 15 Sep 2010, 21:00


Elle ouvre les yeux, surprise à nouveau d'y voir.

Combien de temps depuis que des ennemis l'ont trainée hors d'un caveau, prétendant l'avoir sauvée, guérie, rachetée à quelque chose de mauvais ? Difficile de savoir. Si son corps a été « réparé », son esprit tout comme sa mémoire sont toujours aussi fuyants. Quelques pensées fugaces lui échappent, comme toujours au réveil. Ces rêves qu'on laisse filer sans pouvoir les retenir, avec la certitude étrange qu'il y avait en eux une vérité qui ne reviendra pas. Elle laisse retomber sa tête sur l'herbe molle, tournant le visage vers sa jumelle. Elle s'est éveillée, elle aussi, elle lui prend la main comme elles le font toujours.

Front contre front, pensées entremêlées, leur délicate symbiose se fait. En miroir de son être, les frôlements et hésitations de sa soeur. Elles se rejoignent jusque dans leurs errances. Dans leur félonie. Alliées d'ennemis du Roi, bannies de cette cité qui les a vues naître dans un temps troublé. Certains d'en eux dorment encore. D'autres montent la garde. Ils sont en fuite. Encore.

« Ils ont abimé les petites oeuvres. »

Cette nuit, les rêves n'ont pas été doux. Elle en a l'habitude, mais la chose s'était estompée depuis le temps. Et surtout, elle avait été la seule d'entre elles deux à rêver de cette manière. Ceux qui s'étaient penchés sur leur « cas » avaient déclaré que c'était peut être parce qu'elle avait été la seule touchée par les choses les ayant... Créées. Deux demoiselles sculptées pour de mauvais projets.

« Ils ne sont pas dignes de les contempler. »

Elles partageaient ceci toutes deux, à présent. Elle ne se souvient pas -Elles ne se souviennent pas- de ces rêves, de ces cauchemars qui les ramènent inlassablement en bas des cryptes. Seule traine une voix, tout aussi inoffensive que ces restes d'onirisme qui laissent une impression de froid, de peur, mais qui ne mordent pas davantage qu'une peinture de loup. Elles ne craignent rien, dévouées qu'elles sont à la Lumière, auprès des dernières personnes à La servir coûte que coûte.

« Regarde, enfant, regarde, élève: S'ils ne respectent pas les petites choses, que feront-ils de notre grand'oeuvre ? »

Elle cille, regarde le ciel encore, presse sa main libre contre son poitrail. Les derniers restes de la peur refusent de la quitter. Elles qui ne craignent jamais, qui ne courbent pas l'échine devant la mort ou l'infamie, leur simple sommeil est la seule chose qui, toujours, les terrifie. Le regard des deux demoiselles se croise. Se lie. Elles font un pas de plus dans la crainte. Ce soir, le rêve ne les laissera pas.

« Oeuvre au noir, oeuvre au blanc. »

Elle se relève, tirant sa jumelle, ou peut être est-ce elle qui est levée, peu importe. Elles sont debout, épaule contre épaule, à guetter alentours, avant de se regarder. De comprendre sans savoir. De deviner sans preuve. Ce n'est pas que le rêve reste. C'est que ce n'est pas un rêve. Elles sont parties une fois de ces cryptes, mais c'était une erreur. On est venu les chercher.

« Il reste la rouge. »

Cette voix qui n'en est pas une, qui ne leur parle pas, qui déclame ce discours à des absentes, cette voix est celle du glas. Elles avaient su sans y croire, elles avaient espéré sans véritable ferveur, et peut être même sans envie. Elles pressent leurs mains plus fort. La dernière pensée de celle des deux qui avait été aveugle est pour ces gens. Ces humains qui ont le temps de vivre, eux, qui ne sont pas, eux, des jouets. Elle se dit qu'elle avait de la peine pour eux, et implore la Lumière de les guider malgré leur médiocrité certaine.

Au petit jour, quand on vient les chercher, il n'y a à leur place que quelques bris de porcelaine au milieu d'un livre entamé, et un peu de sang déjà séché sur le coin de ses pages.
Ludjana
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