C'est dans l'ordre des choses.

Ebraite observa la brume nauséeuse des Maleterres, qui furent jadis la belle Lordaeron. Assis sur les marches de la tombe d'Uther, il contemplait, mélancolique, son passé amer.

Dans sa belle armure argentée, autrefois forgée par les hommes de cette contrée, semblait avoir perdu tout son éclat, dans ce crépuscule damné à jamais. Plus jamais il ne reverrait les champs cultivés, plus jamais il n'entendrait le son des trompettes dorées de Stratholme, plus jamais il ne penserait, plus jamais il ne retrouverait sa majesteuse Lordaeron. Chez lui.

Dans sa mélancolie, une larme perla sur sa joue, qu'il essuya rapidement d'un revers de la main. Il repensa à tout ses camarades, qui, par le passé, l'avait maintes et maintes fois sauvé d'un coup ennemi, ou d'une flèche perdu. Lui par contre, n'avait pu sauver ses amis, ironiquement. Leurs morts lui pesaient sur le coeur. C'était si lourd, qu'il manqua de tomber à la renverse.

Il jeta un regard au gardien de la tombe, le Grand Prêtre Thel'danis, qui le fixait. Ebraite se releva mollement, puis, admirant la statue de l'ancien paladin, déclara :

" Père... Qu'est ce que je fais ici ? J'aurais dû mourir il y a dix ans, lorsque le Fléau ravagea ces contrées, qui furent jadis verdoyantes, pleines de vie... Je ne trouve pas ma place dans cette époque... Le présent est si épouvantable, le passé si horrible... Je n'ose appréhender l'avenir.

Le prêtre marqua un temps, puis finit par dire :
- Vous savez Sire Feracier, l'avenir dépend de ce que nous en faisons. Tenter de trouver sa voie, c'est ce que nous essayons tous de faire. Mais, faire en sorte que les générations futures, et pour qu'elles cherchent des chemins bien plus honorables et meilleurs que nous, c'est la raison de tous les combats, de tous les sacrifices.

- Avez-vous une famille, Père ?

- Non.

Ebraite continuait de fixer la statue, esquissa un sourire en coin, puis sembla vomir ces paroles :
- J'ai autrefois eu un fils. Ce fut le seul, ça aurait été le seul. Il est mort... Il n'avait même pas vingts printemps. Comment l'expliquer ? Comment justifier une telle chose ?
J'ai combattu assez longtemps pour les mêmes raisons que vous, et cela m'a suffit pour m'apercevoir... que les choses empiraient, au lieu de s'arranger. Ce n'est pas la Horde, ni le Fléau qui a tué mon fils... Mais un paysan de Ruisselune.
Où va notre monde ? Sommes-nous destinés à vivre des millénaires de guerre sans fin ? Devons-nous continuer à nous battre ? Devrions-nous capituler ? Ce que je sais, c'est qu'à force de lever les armes, nous ne savons même plus pourquoi nous nous battons contre la Horde.
Et le Fléau ! Ces tas d'os semblent bien faibles, mais ils sont nombreux. A chaque fois que l'un de nos soldats tombe pour les principes que vous avez énoncé précédemment, il rejoint le camps adverse.
Où est la logique dans tous ces malheurs ?

- Que voudriez vous faire ? demanda l'elfe, levant les bras, impuissant. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous rendre sur tous les fronts, et vos idées ne sont pas reconnues par vos ennemis, je vous l'assure. "

Ebraite marqua un long silence tandis que le prêtre le fixait, attendant une réponse. Le nain dégaina son épée, puis sourit à son interlocuteur.

" Je pense avoir trouvé ma voie. "

Il sortit en marchant, puis, plein de rage, foudroya du regard les cadavres animés en contrebas. Il monta sur Geslad, son destrier. Ce dernier entama un petit trot, jusqu'aux portes du cimetierre.
Ebraite scruta ses ennemis, effectuant des moulinets avec son épée luisante. Toute son armure semblait reprendre de son éclat.
Dans un hénissement sauvage, le cheval s'élança dans la masse mort-vivante tandis que le nain poussaît des cris féroces.
Une fois avoir percuté le groupe de squelettes et de goules, il asséna son arme avec toute la force qu'il avait encore en lui. Bien que rapidement, il fût jeté à terre, retenu au sol par son armure de plaques. Il se défendit un maximum, se relevant tant bien que mal. Encaissant les coups de masse et d'épée, les violentes parades d'Ebraite mirent plusieurs de ses adversaires en morceaux. Mais très vite, le ponant, à travers la brume rougeâtre, reflèta bientôt les premières marques de son agonie.

Au bout de quelques minutes, son armure n'était plus qu'une large plaque rougie par le sang. Bientôt, le nain tomba, à bout de forces. Un rictus de douleur s'affichant sur son visage, les cadavres animés n'hésitèrent pas à lui donner davantage de coups, avec toute la force qu'ils possèdaient.
Un moment, Ebraite lève les yeux. Il voit... Oui il voit, Lordaeron. Il voit... Il voit tout. Haletant, ensanglanté, il susure, crachant des gerbes de sang :
"C'est dans l'ordre des choses..."

Puis il se réveilla.
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