Nuit atypique.

An vingt-huit. Deux heures et demi du matin. La ville est tombée dans un calme terrifiant. La subite rupture entre les nuits mouvementées de Silvermoon, là où l'alcool, la dépravation et la Haute sont au rendez-vous ; et ces rues vides d'âmes. De simples sentinelles arcaniques en guise de compagnie. Quelques gardes aussi.

« C'est l'heure. »
Les pas étaient silencieux, la démarche gracieuse. Ils pénétrèrent dans le bâtiment. Les sentinelles ne s'aperçurent de rien.
« J'espère qu'ils sont en place. Ca risque de dépoter. »
« Ta gueule, tu n'avais qu'à pas venir si tu n'as pas confiance en eux. Soit tu te casses, soit tu la fermes et nous continuons. »
Les voix étaient inaudibles. Les chuchotements les plus étouffés ne pouvaient rivaliser.
Dispersion. Certains filaient à gauche, d'autres à droite. Un trio s'avançait finalement vers l'avant. Les couloirs étaient longs et vides de meubles. Nul échappatoire.
Le premier magistère venait d'être neutralisé. Impossible de faire marche-arrière, désormais. Le second suivit son confrère dans l'obscurité.
Le trio daigna finalement les rejoindre. L'on pouvait les apercevoir au centre de la pièce, depuis les deux balcons. Un bref signe de tête ; pas le temps pour plus.
Ils se mirent à observer les prisonniers, tous enchaînés aux murs. Pas lui. Pas lui. Non plus. Toujours pas.
« Il est là. Venez. »
Le pauvre était enchaîné comme un animal. Les poignets en sang, la mine blanchâtre. Il était faible.
« Vous êtes bien le Capitaine Ertol Sanfet ? De la 7e ? »
« C'est bien moi. Vous êtes venu m'achever ? »
« Si l'on ne s'en sort pas ? Oui. »
La plus jeune s'approcha, et commença à trifouiller les menottes du malheureux.
« Je... Et mes hommes ?! » Il désigna d'un bref mouvement de tête les autres prisonniers. Il étaient une quinzaine.
« On a pas le temps pour ça. C'est vous ou rien. »
« Je ne partirai jamais sans mes ho-- ! »
La botte droite du leader venait de percuter la tête. Il tomba dans les pommes.
« Silence, vous n'êtes pas en position de négocier. Les autres, magnez-vous. »
Le crochetage prenait du temps. Trop de temps. Certains s'impatientaient. La goûte de sueur exprimant la peur, la pression ; coulait à présent sur chacune des joues.
Enfin, il était libéré. Deux prirent la peine de le soulever par les bras.
Tous ressortirent en trombe. Le temps était un luxe qu'ils n'avaient pas, et ils savaient tous qu'ils ne tarderaient pas à en payer les conséquences.
À présent à l'extérieur, seulement quelques dizaines de mètres les séparaient de la liberté. Ce régime, ce Seigneur-Régent ; ils n'en pouvaient plus. La chute fut difficile quand les espoirs qu'ils donnèrent au Prince s'envolèrent suite à sa corruption. Mais elle fut d'autant plus difficile quand ils virent la nouvelle tête de la nation. S'allier à la Horde ? Aux réprouvés ? Ils avaient la rancune tenace. Qu'importe la bannière sous laquelle ils guerroyaient, les morts-vivants demeuraient à leurs yeux un cauchemar.
Les gardiens arcaniques se tournèrent vers le groupuscule. Les gardes, quant à eux, prenaient les armes en main.
« Qu'Elle nous garde. »
Les machines levèrent leurs bras. L'arcane faisait preuve d'efficacité, et les lasers bleutés commençaient à frapper la troupe. L'on dénombrait déjà deux pertes.
Les soldats donnèrent l'alerte. Derrière, plusieurs chevaliers de sang fièrement dressés sur leurs destriers, accompagnés de gardes sur leurs faucons-pérégrins ; poursuivaient les fuyards.
Ils étaient sortis de la capitale. Des montures les attendaient. Les pertes s'élevaient à présent à six, et ne comptaient pas s'arrêter.
Ils grimpèrent hâtivement dessus, et soulevèrent l'humain afin de l’assoir sur une selle. Adenn qui tenait le fier étalon, s'efforçait de le maintenir en place.
Mais les poursuivants n'étaient pas naïfs, et ne comptaient pas les laisser faire ainsi. La moitié du groupe n'était pas encore sur leurs montures que les lasers faisaient de nouveau rage. Adenn se retourna brièvement pour évaluer la distance qui la séparait de ses agresseurs. Quarante mètres, tout au plus. Elle se tourna ensuite vers Lefal, qui lui sourit brièvement. Le temps s'arrêta. Adenn ouvrit la bouche, prête à hurler. La feu ardent d'un gardien arcanique fonçait sans retenue vers le crâne de Lefal. Une vitesse si impressionnante qu'elle se souvint d'une des nombreuses raisons pour lesquelles elle barrait en rouge cette vie. De la puissance, toujours plus de puissance. Là était la voie de la corruption, et elle ne faisait que naître.
La lumière bleuâtre percuta sa cible. Sa tête prit feu en une fraction de seconde, comme si cet élément était animé d'une entité dévorante, cherchant à grignoter la moindre parcelle de peau. Son visage, auparavant réconfortant, étant à présent horrifiant. La peau se déchirait, fondait, se décomposait. Une mort atroce, pour sûr.
Alors, elle lança son destrier au galop. Le reste du groupe, décimé à plus de sa moitié, partit en même temps.
Ils chevauchèrent durant des heures interminables. La fatigue se faisait lourd, la peur et le stress ne faisant qu'aggraver cette dernière. Le Capitaine manqua de tomber à une dizaine de reprises de son moyen de transport, exténué.

Le Capitaine et Adenn attendirent. Une heure, plusieurs. L'aube et la rosée offraient à l'elfe une sensation de renouveau. La démence de ses frères égarés si bien symbolisée par la nuit, s'évaporait lentement pour laisser place à sa vie d'antan.
Aucune silhouette à l'horizon. Il fallait se rendre à l'évidence, personne ne viendrait les rejoindre. Les lieux, bien qu'éloignés, n'étaient pas sûrs.
« Il faut partir, maintenant. » dit l'humain. Elle n'avait qu'une envie, lui faire payer pour toutes les âmes déchirées en cette triste nuit. Elle ne pouvait, cependant. Il était son sauve-conduit.
« Allons-y. Quittons ce maudit royaume. »