[A lire] Rouge Orgueil
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[A lire] Rouge Orgueil
Rouge Orgueil
Ou le Journal d'un Grand Œuvre
Ou le Journal d'un Grand Œuvre
Table des matières
1 - Le Serment de Sève
2 - Un spiritueux spirituel
3 - L'épreuve du Tigre
4 - Mercure, Sel, et Soufre
5 - L'Ordalie
6 - Le prix de la folie
7 - Le Terrible Enfant à Gueule de Drake
8 et plus ! (A venir)
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Dernière édition par Grelot-de-Bois le Mer 14 Oct 2009, 23:47, édité 16 fois
Grelot-de-Bois- Personnages Joués : Rêveur...
Le Serment de Sève
Page 1
La Cité Violette, c'est bien connu, ne possède qu'un climat : celui des sortilèges. Par ses éclatants artifices, elle se garde à l'abri de la réalité et de ses saisons. Du printemps, elle ne caresse que la douceur ; de l'été, elle n'exalte que l'ardeur ; de l'automne, elle ne sublime que les chœurs ; de l'hiver, elle n'adoube que la hauteur. Dalaran, affranchie des cycles, hors du monde et hors du temps, est à la magie ce que la voie lactée est aux astres.
La Citadelle Pourpre s'élance vers le cosmos, accompagnée de cent flèches comme autant de comètes. Sur ses flancs, d'innombrables lucarnes, desquelles s'échappe la chaleureuse lueur d'un refuge inviolable. Combien de tours d'ivoire, en une seule d'améthyste ? Plus que le permettrait l'espace, si ses lois avaient prise sur le pouvoir glorieux de deux mille ans d'orgueil.
L'arbre qui noircit les cœurs, si son fruit est la connaissance, a pour sève, dit-on, l'orgueil et la vanité. La vanité : le désir d'être acclamé par autrui. L'orgueil : le plaisir de s'y croire supérieur. Deux amours pêcheurs, l'un, celui de l'éloge, l'autre, celui du silence. En vérité, j'ai peine à croire qu'ils puissent cohabiter en une seule âme, ces deux caractères si opposés, l'un social, l'autre solitaire.
C'est pourquoi ces lignes sont écrites. A l'abri de douze sceaux gravés, ces mots sont la confession que personne n'aura jamais. Nul en cette cité ne peut briser mes glyphes ; en gagner le pouvoir signifie en perdre le vouloir. A jamais silencieux et solitaire, cet aveu scelle mon orgueil, car il n'est destiné qu'au néant. Esprits omniscients qui observez ma plume, je vous en défie : déliez votre langue. Vous que les siècles ont laissé muets, vous ne me donnez aucune crainte. La mort elle-même n'est rien, car l'immortalité est dans le secret, et le mien est éternel.
Que les fous séniles qui dictèrent les lois de l'Homme m'entendent, s'ils le peuvent depuis leurs tombes ; l'orgueil est une noblesse ; la connaissance est une sagesse. Moi, Orcelys Afrasiabi, Archimage du Kirin Tor, membre des Fils de Lothar, disciple de Vargoth, héraut du Prophète Velen, j'en fais ici le serment : je toucherai à la Gnose, et j'en paierai le prix. Le sang coulera ; j'y tremperai ma bannière ; et alors devant leurs yeux aveugles je la brandirai. Que nul n'admire mes couleurs, car je n'ai besoin de personne.
Mes couleurs sont Rouge Orgueil.
Dernière édition par Grelot-de-Bois le Lun 12 Oct 2009, 20:42, édité 4 fois
Grelot-de-Bois- Personnages Joués : Rêveur...
Un spiritueux spirituel
Page 2
Le metheglin anisé, s'il est bien préparé, est une boisson dont je ne puis me passer, tant son parfum est subtil. Historiquement proche de l'hydromel, il n'en possède plus qu'une vague saveur, car avant sa fermentation sont aussi ajoutées des épices en grandes quantités. Cannelle, gingembre, cardamone, pétales de rose, et, bien entendu, anis étoilé, forment une harmonie aux multiples visages que j'apprécie pour sa finesse.
Je ne peux pas supporter l'hypocras : vin dans lequel on fait vulgairement infuser des épices et du miel, son effet est assommant. Quelle mesure, dans les ingrédients et dans leur choix ? J'ai peine à croire que cet alcool soit si prisé à Dalaran, tant il est rustre et brutal. C'est bien en cela que le metheglin anisé se démarque... "meddyg llyn", en langue ancienne des elfes, signifie "liqueur curative". Anisez-le, et de spiritueux et il deviendra spirituel.
C'est en sirotant une coupe de metheglin anisé que j'ai fait mon choix. Non pas que l'idée me soit venue à ce moment-là ; elle est bien trop basique pour que je puisse me vanter d'y avoir juste pensé. Mais la réflexion d'un homme raisonnable aurait sans doute enterré cette voie du projet. Néanmoins, je sais désormais que ce serait une erreur. Une dose suffisante de manipulation, si je reste vigilant, fera de cette dangereuse méthode le moyen idéal pour accomplir ce à quoi je suis destiné.
Parler de destin est certes présomptueux. Mais la présomption n'est-elle pas devenue ma bannière ? Ne serait-ce que pour affirmer que je m'oppose à l'ordre établi, j'en userai et abuserai désormais. L'orgueil est une noblesse que je ne puis me refuser. Trêve de parenthèses ; voilà ce que je vais faire.
Je vais précipiter la fondation d'un groupe de tueurs de dragons. Leur renommée sera grande, et les fils de Galakrond les craindront jusque dans leurs repaires. Moi ? Personne n'aura de doute. Il ne connaitront ni mon nom, ni l'objet de mes recherches. Je serai leur ange gardien, et jamais pourtant on ne décèlera ma présence.
Eux aussi goûteront à mon arrogance ; ils auront l'orgueil de tuer les Gardiens de ce monde. Que ce soit pour les trésors ou pour les honneurs, ils élèveront leur condition de mortel au delà de ce que les dieux ont prévu. Ne rien craindre et tout vouloir : c'est cela qui fera d'eux mes miroirs.
Mon orgueil a un nom ; je le leur donne. Ils sont le Rouge Orgueil.
Dernière édition par Grelot-de-Bois le Lun 12 Oct 2009, 20:28, édité 3 fois
Grelot-de-Bois- Personnages Joués : Rêveur...
L'épreuve du Tigre
Page 3
Un Tigre.
Il me semble la personne idéale pour jouer le rôle apparent de chef. Sa stature est celle d'un meneur ; il connaît le combat comme on connait un frère. Quelque humain qu'il soit, il est né pour la guerre. Son astuce est celle de l'action ; il ne représente aucun danger pour mon projet. Je n'aurai qu'à tenir les rênes ; si je lui donne du défi et de l'or, il sera mon serviteur. Heureux hasard, je ne manque ni de l'un, ni de l'autre.
Je me doutais que Hurlevent serait un bon choix pour chercher mon petit roi ; personne ne m'y reconnaitra, et les aventuriers y pullulent. Maintenant, il ne reste plus qu'à trouver les pions. Des fous, disait-il ; je n'ai rien répondu. Mais ce n'est pas de la folie. C'est de l'orgueil.
Azaan, voilà son nom. Rustre, brutal, bourru. Paysan d'origine, ça ne fait pas de doute. Désagréable, sans doute impulsif. Un mâle. Il ne garde de l'homme que ce qui est commun à la bête. Il demeure un bon stratège, je suppose ; les loups savent organiser leur meute. Je ne fais toutefois pas confiance en ses capacités intellectuelles. Il me faut trouver quelqu'un de complémentaire pour l'épauler. J'ai déjà ma petite idée là-dessus...
Il m'a fait sourire. Sa tentative de me déstabiliser a été totalement vaine. Me croyait-il naïf ? Je pense plutôt que c'est une réaction instinctive. Qu'y-a-t'il de réfléchi, après tout, chez ces gens-là ? Quoi qu'il en soit, il a dû s'étonner de voir ma courtoisie subsister, si ce n'est se renforcer. J'aime à jouer avec les caractères... question d'orgueil, sans doute. Une fois encore. Point d'imprudence, toutefois ; je l'ai fait épier.
Il a déjà sa première mission : tuer Varhastrasz. Cela ne m'est d'aucune sorte d'utilité. Il ne possède pas-même une once de Quintessence. Nous verrons comment il s'en sort. Ce Rouge est trop jeune pour poser problème. Qu'il ne lui laisse aucune chance... Première mission, disais-je ?
Première épreuve.
Dernière édition par Grelot-de-Bois le Jeu 22 Oct 2009, 09:14, édité 2 fois
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Mercure, Sel, et Soufre
Page 4
Ostanès a immédiatement saisi mes allusions. Il ne manque pas d'orgueil, aussi, je crois qu'il a trouvé sa place. Je savais déjà depuis longtemps qu'il cherchait des composants rares. Des composants interdits... à base de dragon, justement. Il est utile d'avoir des yeux partout. Je n'ai pris aucun risque ; si j'avais fait erreur, il n'aurait pas compris mes paroles. Mais il est allé rencontrer le Tigre, comme je le lui avais indiqué... au bras fort j'ai associé la tête pensante. Le projet avance à grands pas.
Alchimiste de talent exceptionnel, mage puissant et discret, érudit effacé, il possède l'intelligence et le charisme qu'il me fallait. Logisticien, stratège, chasseur de têtes ; tant de rôles qu'il assumera à la perfection... Le mieux est qu'il ne se doute de rien. Mes objectifs ne l'intéressent pas ; il ne risque pas de devenir rival.
Il est une philosophie ancienne qui considère que toute chose est composée de trois parties distinctes : le Soufre, principe actif, masculin et chaud ; le Mercure, principe passif, féminin et froid ; le Sel, principe neutre et unificateur. Une entité devient parfaite lorsque ses trois principes, après être devenus parfaits séparément, retrouvent leur unité sans retrouver leurs failles.
Séparer le Soufre du Mercure n'est pas la tâche la plus complexe ; en effet, ce qui a le pouvoir de lier a aussi celui de séparer. Retirer le Sel permet de briser l'ensemble. Cette étape est celle de la mort ; on l'appelle l'Œuvre au Noir.
La seconde étape est celle de la purification ; elle est longue et fastidieuse. Chaque principe est lavé séparément, par le feu et par la glace. On l'appelle l'Œuvre au Blanc.
La dernière étape est la plus difficile. Il s'agit de la sublimation et de l'incarnation des principes ; chacun est maintenant parfait, et il s'agit de les lier à nouveau par le Sel sans faire entrer d'impureté à leur contact. Réaliser l'Œuvre au Rouge est le but ultime du philosophe.
Moi qui cherche la perfection, je suis le Sel unificateur. Le Soufre est dans ma main gauche, et sa flamme sera ma volonté. Le Mercure est dans ma main droite, et sa glace sera ma sagesse. Le Couple Royal est prêt ; aujourd'hui, je l'ai réuni sous mon égide. Les éléments sont dans l'athanor. Bientôt, l'Œuvre au Noir pourra débuter.
Que la maturation des principes commence.
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L'Ordalie
Page 5
Le hasard est une énigme parce qu'il n'existe pas.
Dans la croyance populaire, son culte a pourtant atteint des proportions absurdes. Noyés dans leurs superstitions, les simples d'esprit se plaisent à croire en la "Chance" et en sa volonté tour à tour bénédiction et châtiment. Que leurs efforts trouvent un fruit, et ils l'encensent comme une idole ! Que des ennuis rompent la monotonie quotidienne, et le démon est pris pour responsable. Que de pleurs, que de cris, que de gémissements puérils !
Le hasard n'est pas que le refuge des faibles ; il est aussi le point convergeant des pensées les moins rationnelles. Mon expérience scientifique m'a apporté une certitude : lorsque l'on connait les circonstances exactes d'une action, quelle qu'elle soit, et les lois qui en régissent les acteurs, il est possible d'en prévoir l'issue. Si je lâche une pierre au dessus du sol, je sais exactement où elle va tomber, et, pourvu que l'on me donne le temps et les informations nécessaires, je puis de la même manière calculer la causalité et la finalité de tous les phénomènes, connus ou inconnus.
Cela est aussi valable pour la pensée humaine et pour les sentiments. Ils obéissent à leurs propres lois et fonctionnent d'une manière bien définie. Si la psychologie n'est pas considérée comme une science exacte, c'est, dit-on, parce que le psychologue est soumis aux mêmes règles que son sujet d'étude : pour comprendre un système, il faut l'observer de l'extérieur. Mais c'est surtout par pure éthique, c'est-à-dire par simple application de la politique de l'autruche, car il est difficile d'admettre qu'un manipulateur suffisamment doué est capable de maîtriser intégralement l'esprit d'un individu. Et pourtant, si nous ne disposons pas encore des moyens ni des connaissances nécessaires pour cela, il est probable que la chose soit un jour possible. Certains avancent déjà que les phénomènes dits "surnaturels" comme les manifestations de la Magie ou de la Lumière sont en fait explicables d'un point de vue matérialiste...
Je n'irai cependant pas jusque là. Les craintifs admirateurs de l'éthique peuvent sortir la tête du sable : bien que l'âme soit cent fois inférieure à ce qu'on l'imagine être, elle existe bel et bien, et son importance est primordiale. Je peux facilement la définir en termes philosophiques : elle est la faille infime qui permet à l'Homme de dépasser les lois de son univers et de les vaincre s'il en a la volonté. Or c'est justement la taille ridicule de cette faille qui la rend admirable : comment quelque chose de si puissant peut-il être imperceptible au point que l'on n'en remarque la présence qu'indirectement, par l'observation d'anomalies ponctuelles dans le déroulement prévu des choses ? Ce paradoxe serait sans doute inconcevable pour nos esprits limités, s'il n'était justement pas réel.
Et c'est ainsi que mon esprit réfute à la fois l'existence du hasard et celle du destin. N'est-il pas énigmatique que tous se croient devoir choisir entre l'un et l'autre ?
Que mon lecteur inexistant ne prenne toutefois pas le texte qui précède pour une démonstration, ni même pour une thèse ; il ne s'agit que d'un descriptif de ma pensée. Néanmoins, cette pensée peut être défendue aussi bien que toutes les autres, et seule ma misanthropie me permet d'accepter que si peu nombreux en soient les adeptes.
Aujourd'hui, le hasard a été mis à l'épreuve. Ögwwsh Ur'vuul, apprentie du Maître-Lame Lantresor, croyait combattre pour sa place en demi-finale du tournoi de l'Arène de Cendres. Elle l'ignorait, mais l'enjeu était en fait bien plus grand. Face à elle : un colossal chaman Totem-Sinistre, révéré par les foules, j'ai nommé Mog'hog Crin-de-Granit. La vie de cette Rouée s'est jouée sur la précision d'une seule attaque : si elle touchait, elle tuait ; dans le cas contraire, elle était tuée. Elle est douée, certainement ; si tel n'était pas le cas, Ostanès n'aurait pas convié Azaan au spectacle. Mais eux-même sont forcés de l'admettre : sa tentative était très risquée.
Certains invoquent la chance ; d'autres invoquent le destin. Mais si elle a vaincu, et si elle est maintenant de ceux que le Rouge Orgueil sublimera, ce n'est pas par hasard. C'est par volonté.
L'enjeu était en fait bien plus grand. L'enjeu est la place du Démiurge.
Ce combat était une ordalie.
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Le prix de la folie
Page 6
Le Tigre avait dit qu'il chercherait des fous. Ce sont eux qui l'ont trouvé.
Le dernier arrivant au sein du groupe de chasse est sans doute ce que l'on appelle communément un fou. Imprévisible, il se révèle dans ses paroles comme dans ses actes incompréhensible aux yeux de la société. Est-il bien nécessaire d'énoncer l'évidence ? Un fou est quelqu'un d'anormal, ni plus, ni moins. Quelqu'un que les gens "normaux" ne peuvent plus comprendre, ni accepter, à cause de ses différences devenues trop gênantes. Or nous savons tous ce qu'est cette exécrable "normalité" : un carcan imaginaire que la société veut nous imposer. Cela ne signifie bien sûr pas qu'elle le peut. N'est-il pas troublant, lorsque l'on est un enfant capricieux et stupide, de constater que notre volonté n'est pas toute puissante ? Le concept de folie n'est qu'une création insensée de la masse monstrueuse.
Lorsqu'il décide de s'unir à ses congénères pour former une masse, l'être doué d'une conscience la perd, et avec elle toutes les qualités sans exception qui le différencient de la bête sommaire. Le nationalisme, le fanatisme politique (en particulier révolutionnaire, puisque les prolétaires sont les plus nombreux), le culte de la personnalité (le mot "populaire" parlant de lui-même...), les modes, vestimentaires ou non, et, de manière générale, tous les regroupements ayant pour moteur une admiration dénuée de mesure comme de profondeur, sont les pires fléaux que la créature pensante ait jamais eus à subir - et, bien que les subissant depuis toujours, elle ne s'en est toujours pas débarrassée. Ils crient tous qu'Arthas va mourir, mais savent-ils seulement de quoi ils parlent ? Le danger le plus préoccupant réside en eux-même.
C'est pourquoi la folie est à mes yeux une fierté et un bien précieux. Les gens s'amusent à dire, hypocrites qu'ils sont, que le génie lui est souvent associé. Je suis au regret de rétorquer que c'est totalement faux. En revanche, il est vrai qu'un fou, au sens habituel du terme, est quelqu'un qui a su se détacher des lois abjectes de la "normalité", et il est sans doute impossible d'être génie sans cela.
Le nom de cet homme est Ducci ; il s'agit d'un tueur à gages connu dans la pègre. Rien chez lui n'attise ma curiosité ni n'éveille mon intérêt. Rien, si ce n'est son regard insensé et son langage décousu. Il est du genre à charger sur un léviathan, avec pour seule arme un couteau entre les dents. Si ce n'est sur la tête, on peut dire qu'il est bien tombé : des léviathans, je vais lui en servir. J'ai hâte de voir son inconscience à l'œuvre ; son génie. Ce génie, c'est celui de la folie.
Mes fous seront bientôt sur l'échiquier. Je ne connais pas encore leurs visages ; mais nous allons y remédier. Se renseigner ne coûte jamais rien...
Car le savoir n'a pas de prix.
Grelot-de-Bois- Personnages Joués : Rêveur...
Le Terrible Enfant à Gueule de Drake
Page 7
Texte tiré de l'Almanach Magistral Gnostique et Profane de Woether et Erringan.
Il y a bien longtemps, non loin d'un village paisible de Lordaeron, vivait à l'écart de ses semblables un vieil homme que les rumeurs disaient sorcier. Acariâtre et solitaire, il n'appréciait nulle compagnie hormis celle de son chien, qu'il traitait comme un fils. L'ancien, en effet, n'avait jamais eu d'enfant, et de sa famille il ne restait qu'une nièce, par ailleurs l'unique personne à se préoccuper de son existence ; en dehors de la jeune femme, qu'il daignait faire l'effort de supporter, il détestait tout le monde et on le lui rendait bien.
Malgré l'aigreur perpétuelle de son oncle, l'aimante demoiselle le visitait fréquemment pour veiller sur sa santé et son bien être : au soir de l'existence, l'Homme tend à redevenir ce qu'il était à l'aube, perdant ses dents, sa faculté de marcher, et son indépendance. Aussi, elle prenait soin du vieillard reclus presque comme d'un père, sans tenir compte de son caractère désagréable, et elle ne bronchait pas lorsqu'il fallait se rendre sur la sombre colline où se dressait sa chaumière.
Or le jour vint où l'aïeul sentit la fin approcher. Tous les efforts de la villageoise ne purent rien faire pour le sauver ; son temps était venu. C'est pourquoi, sur son lit de mort, il lui confia son bien le plus précieux, et en guise de dernière volonté lui demanda de s'occuper de son animal tant chéri. Bien sûr, elle accepta ; elle ignorait encore où ce choix la mènerait...
La jeune femme était alors fiancée, et son mariage approchait. Son amant n'était guère riche, mais son travail de bûcheron suffisait à subvenir à leurs besoins. Aussi le couple s'occupa-t'il correctement de la bête, dans un premier temps. Cependant, il apparut rapidement que celle-ci, capricieuse et dotée de longues dents, avait hérité du caractère de son ancien maître ; agressive, elle ne se laissait pas faire et exigeait le même traitement que jadis. Le bûcheron suggéra que l'on musèle l'animal, faute de l'abandonner, mais sa fiancée, plus tolérante, et, surtout, s'en sentant le devoir vis à vis de son défunt oncle, parvint à le convaincre que l'on cède aux désirs du loup bâtard.
Bientôt, la bête fut reine en leur foyer, et ils en vinrent à la gâter comme une fille. La situation dura un temps sans que ne survienne aucun incident ; les jouvenceaux s'épousèrent, et ils vécurent heureux sans se soucier des racontars au sujet du cerbère que personne n'osait approcher.
C'est une nouvelle heureuse, paradoxalement, qui initia la lente agonie de l'espoir. La jeune épouse, en effet, se trouva enceinte, et le couple commença à pressentir que, faute d'argent, il faudrait choisir entre l'enfant et le chien. Le mari fut le premier à aborder le sujet de manière sérieuse ; mais sa dulcinée ne parvenait pas à admettre l'évidence, et cherchait encore et toujours un moyen de concilier les choses. La bête, parallèlement, devint plus jalouse, animée sans doute par un instinct prémonitoire.
A cause du loup, qui demeurait intouchable, des tensions naquirent entre les deux villageois. Leurs discussions au sujet de l'avenir devinrent bientôt des disputes, et une angoisse irrépressible finit par les étreindre tous les deux, car aucun n'ignorait qu'il fallait agir ; mais la jeune femme refusait de trahir la mémoire de son oncle, aussi acide se soit-il montré de son vivant.
Alors que le ventre de la future mère enflait, la bête inflexible, elle, interrompait tyranniquement les débats par ses aboiements. Un soir où le travailleur harassé avait bu un peu trop d'alcool, le molosse fut pris de rage et somma par ses morsures que le silence se fasse. L'homme blessé saisit sa hache et trancha définitivement le dilemme, d'un coup sec.
D'abord hagard d'avoir fait couler le sang, il regretta vraiment son acte un instant, puis il laissa un puissant sentiment de libération l'envahir. Cette explosion soudaine d'émotions fut cependant interrompue par une autre, plus froide et insidieuse : blême et au bord de l'évanouissement, sa femme pointait de l'index le ventre sanguinolent de la dépouille, sous lequel était visible en évidence un symbole cabalistique peu rassurant gravé à même la chair. Le tatouage n'avait rien de surnaturel, et se trouvait sûrement là depuis toujours ; mais, malgré lui, le bûcheron éprouva une peur glacée, et le couple n'échangea pas le moindre mot pendant un jour et une nuit.
Les semaines suivantes passèrent vite et ne laissèrent aucune marque dans la mémoire des parents imminents. Ils étaient indubitablement soulagés de la fin de ce chien désespérément immortel, quel que soit son âge. Mais ils étaient aussi tous les deux profondément inquiets, pour une raison indéfinissable. Évitant le sujet tous les deux, ils n'en discutèrent jamais et maintinrent la fragile illusion que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Enfin, l'heure de l'accouchement arriva. Au comble de l'excitation, les deux époux retrouvaient leur amour, oubliant l'angoisse qui les rongeait secrètement depuis tant de temps. Hélas pour eux, cette heure se termina de manière tragique. Leur enfant était difforme. Sa hideuse bouche était distordue dans des proportions inhumaines, et elle offrait le spectacle de dents déjà présentes à la naissance, rangées de manière chaotique et toutes pointues comme des canines. Ses minuscules yeux plissés, d'un noir de jais, étaient placés sur les côtés de son visage, conférant au nourrisson l'apparence horrible de n'être qu'une poupée au masque monstrueux.
Cet enfant avait une gueule de chien.
La mère perdit connaissance, et elle ne rouvrit les yeux que pour assister, impuissante, à une chute vertigineuse vers sa fin et celle de son tendre amant. Accusée d'être une sorcière comme son oncle et d'avoir forniqué avec des démons, elle fut condamnée à être brûlée vive avec son mari, jugé entièrement complice de l'innommable blasphème.
Quant au Terrible Enfant à Gueule de Chien, nul ne sait ce qu'il est advenu de lui. Mais aujourd'hui encore, les villageois les plus superstitieux disent entendre les nuits où la lune est rousse de terrifiants hurlements venant de la masure abandonnée du vieux sorcier de la colline...
...
Aujourd'hui, je suis passé à Austrivage pour la partie "personnelle" de mon projet. J'y ai discuté avec un couple de paysans. Ils se disputaient. La femme est enceinte. Ils possèdent un dragonnet rouge. Cela m'a amusé, au point que, lorsqu'ils ont été sur le point d'en venir aux armes, je leur ai narré ce vieux conte d'avant la Première Guerre.
Un dragon à Austrivage ? J'en ai bien pris note. Il n'est sans doute pas le seul. Rouge Orgueil passera.
(Remerciements au Cirque des Mirages ainsi qu'à divers contes médiévaux pour m'avoir inspiré ce texte.)
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