Melugaia - Coquille [récit à lire]

Ciel…
Ciel constellé de son visage souriant…
Ciel résonnant de son rire moqueur…
Ciel de nuit…
Pleurs sans fin…

Elle éclata de rire. Notes cristallines et pourtant sans aucune douceur, ironique. Une incantation plus tard, elle était à nouveau chez elle.

L’herbe était humide de rosée, du vert pâle et délicat, elle enlèva ses bottes de cuir, posa ses pieds nus dans l’écrin de verdure et soupira longuement. Ses orteils s’enfoncaient dans le tapis, ses sens lui rapportaient les petits cris étouffés de l’herbe, le chant du vent passant entre les branches des arbres, quelques bruits des petits animaux.

Lentement, elle descendait la pente l’amenant jusqu’au lac, juste consciente de sa propre présence dans la nature. Dérangeante, aberration, vaisseau vide lui criaient les bribes de ce qu’elle fut.

Le lac s’étendait scintillant dans la pénombre sans fin de Reflet-de-Lune. Elle se rapprocha, s’agenouilla et amèna quelques gorgés d’eau dans la coupelle de ses mains. Son reflet dans l’eau attira son regard, elle s’observa en silence, sourit, caressa les rides au coin de ses yeux vert pâle. Elle retira son gant, repassa ses doigts sur ses rides. Son sourire céda sa place à l’étonnement, l’étonnement… à la colère, la colère… au soulagement.
Elle vieillissait.
Plus de dix milles ans de vie et 4 ans passés à vadrouiller autour du monde, avaient fini par marquer son visage. Quand avait-elle commencé à vieillir ? Un an plutôt, ses rides n’étaient pas là, elle en était sûre.

Alors pour la première fois, elle se regarda vraiment. Ses traits qu’elle pensait éternellement enfantins s’étaient durcis : les pommettes marquées, la mâchoire carrée, ses rides nouvelles, la bouche figée dans un sourire en coin. Elle était toujours agréable à regarder mais sa douceur avait même fini par abandonner ses traits.

Elle se releva lestement. L’âge n’avait pas gagné sa souplesse, ni son agilité. Elle se déshabilla, s’examinait.

Dans le reflet sans fard du lac, elle détaillait ses bras aux muscles saillants, ses épaules pointues , son ventre sec, ses hanches osseuses, ses longues jambes fuselées. Elle avait indéniablement maigri. Elle n’avait plus ses formes aux galbes généreux qui attiraient le regard et poussaient les gens dans ses girons en quête de réconfort. L’enchevêtrement complexe des runes maculait encore sa peau, cicatrices bordeaux et mouvantes sur son corps. Inquiétantes bribes d’un passé révolu…

Elle vieillissait.

Elle s’étira, relèvait ses cheveux faisant tomber une mèche blanche de son abondante chevelure, entra dans l’eau, s’y allonga.

Tandis qu’elle flottait, ses pensées s’envolaient.

Winterwood, son bien-aimé depuis des âges, coincé en forme de animal pour ne pas l’avoir cru. Elle ne pouvait pas y repenser sans ce dire qu’elle devrait l’aider… mais elle savait qu’elle n’en ferait rien. Trop déçue, terriblement déçue, il ne lui avait pas fait confiance.. et maintenant elle devrait s’occuper de son problème, alors qu’elle est enfin libre.

Tyranael, sa sœur, depuis longtemps pas revu, sans doute à Hurlevent … en quête.. oh et puis, c’est égal . Elle lui avait apporté assez d’ennuis sans qu’elle aille sans chercher de nouveau en la fréquentant. Elle était libre... enfin libre.

Phalé, dont la tombe toujours fleurie se trouvait à quelques centaines de mètres de là, il était toujours là, observant, protégeant ses nuits quand elle venait ici. Il s’était laissé mourir par lassitude… est-ce qu’elle suivrait son chemin pour le rejoindre ?

Figue, petite ou grande, un rayon de soleil pour tout le monde, attachante, volontaire… Et pourtant, quand elle venait lui confier des ennuis, elle écoutait impassible, tentant ou justement non ne tentant pas vraiment de la consoler… Plus tôt elle apprendrait que la vie est injuste.. plutôt elle serait libre de faire ses choix.. Libre.. libre de ne vivre que pour elle… sans but…

Une coquille vide comme elle.
Un vaisseau sans âme…
Morte mais pourtant vivante…
Il ne vaudrait mieux qu’elle ne l’approche plus trop… oublier…

C’est sans doute pour cela qu’elle se détournait des gens de son entourage.. chacun de leur visage la ramenait à son passé… Ce qu’elle voulait… c’est être libre… oublier le passé et recommencer…

Mais c’était trop tard.. elle vieillissait…
Combien d’année lui restait-il encore ?
Ferait-elle comme dans les contes et partirait après un coup d’éclat ?
Ou trouverait-elle un humain… pour finir sa vie avec lui… et mourir quand sa vie trop courte s’achèverait ?

Alors elle sortit de l’eau, remit ses vêtements, se souvint qu’à Hurlevent, un petit druide l’attendait. Elle ne l’aimait pas, pas comme elle aimerait le faire, elle n’était plus capable de s’abandonner totalement à ce sentiment... mais peut-être pourrait-elle trouver l’oubli dans ses bras.