Abandonnée par la Terre
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Abandonnée par la Terre
« Au rapport, caporal Carmin ».
Déformées par la lentille de sa longue vue, les forêts de Terokkar semblaient rouler sous ses yeux. Mais même la crasse qui recouvrait son extrémité et cet effet visuel dérangeant ne gênaient pas la vision de la naine ; pas même la nuit, maintenant tombée depuis longtemps.
A la lumière, éphémère et chimérique, des météores s'embrasant dans les restes de l'atmosphère draenique, elle distinguait ce mouvement furtif mais régulier qui agitait les feuillages. Et ça venait droit sur eux.
« Peut-être quinze, commandant, je ne suis pas sûre. En revanche, ils sont bien en... »
Le mouvement avait cessé, tout était calme.
« Attendez, je crois qu'ils ont stationné leurs éclaireurs. A cinq cent mètres environ, sud-sud-ouest ».
Le commandant cracha à ses pieds, et dégaina sa hache.
« Mettez les civils à l'abri, caporal, et dites aux artilleurs de me pilonner cette position. »
Sybille avait remis son arc en bandoulière, et courait aussi vite que ses courtes jambes le permettaient jusqu'au village. En contre-bas de la butte où ils avaient établi leur poste d'observation, quelques huttes de terre, pour la plupart éventrées, formaient un cercle autour d'un feu éteint. Dans les chaumières, seules quelques lampes à huile luisaient encore.
A côté d'un fil où séchait du linge émaillé, le commandant avait fait restaurer une antique cloche d'alerte dranei, dont Sybille saisit le marteau. Par coups répétés, elle sonna le tocsin, guettant le réveil de leurs protégés. Bien vite sortirent de leurs huttes des draneis et des roués, femmes, vieillards, enfants, dans leurs vêtements de nuit, au visage épuisé de chagrin et de fatigue.
« Nous sommes assiégés ! Ceux qui le peuvent, armez-vous. Les autres, regroupez-vous dans la hutte la plus solide, et n'en bougez sous aucun prétexte. Exécution ! »
Les draneis étaient prévenus : si la naine parle, on l'écoute, et on obéit à ses ordres sans discuter et prestement. C'était là la clé de la survie. Mais dans le regard des autochtones, elle lisait une peur indicible. Elle les connaissait tous bien, pour les avoir protégé ces dernières semaines. Elle avait pansé les plaies des plus mal en point, fait accoucher une veuve de son huitième rejeton, aidé à rebâtir certains logements, chassé pour eux des animaux sauvages. Elle avait raconté Azeroth à leurs enfants, des Titans à la troisième guerre, et ils ne l'avaient pas cru. Elle avait coiffé leurs filles, et entraîné leurs fils, elle avait réparé leurs armes et dressé de nouvelles barricades.
Et il était temps, maintenant, de savoir si tout cela avait été vain.
Hubert, réveillé par le tocsin, vint rejoindre sa maîtresse d'un pas lourd. Cet ours polaire, qui faisait deux fois sa taille, n'aimait pas plus Terokkar qu'elle. Mais il n'aimait rien de plus au monde que de combattre aux côtés de sa mère adoptive. Poussant un rugissement féroce, il s'ébroua, sentant le danger. Au milieu de la cour, deux soldats faisaient tirer une batterie de canon à un elekk, pour les placer sur la butte, à la lisière de la forêt. Sybille, elle, rejoignit son poste aux côtés des gatlings, et vérifia ses munitions. Elle avait assez de flèches pour décimer la moitié de la forêt. Lorsqu'elle remonta sur le poste d'observation avec son armée, la situation n'avait pas changé.
« Ils sont toujours immobiles ? »
« Invisibles », répondit le commandant, inquiet.
Elle dégaina sa longue-vue, quand une ombre vient l'obscurcir une fraction de seconde. Le temps qu'elle dégaine, un oiseau de proie large comme trois hommes fondait sur la tour et en arrachait deux fusillers nains. Elle suivit sa trajectoire de son arc, mais ne parvint pas à le descendre avant qu'il n'ait lâché, d'une hauteur raisonnable, ses deux compagnons d'arme qui disparurent sous les arbres dans un cri.
« FEU A VOLONTE ! »
Les batteries de canon crachèrent leur poudre, et les deux gatlings tournèrent en pétaradant. Des ombres virevoltantes obscurcissaient maintenant le ciel, immatérielles et majestueuses, laissant des traînes noires et éthérées derrière elles. Et lorsqu'elles s'immobilisaient, on voyait apparaître la grande silhouette d'un oiseau voûté, qui bombardait leur position de magie avant de disparaître à nouveau.
Les balles fusaient à ses côtés, mais faisaient plus office de tir de barrage que d'une véritable batterie antiaérienne. Ce qu'il leur fallait, c'était un demi-millier de gyrocoptères, et de fumigènes.
Pour l'heure ils n'avaient que cinq canons et deux mitrailleuses, une armada bien disproportionnée faces à leurs ennemis.
Régulièrement, l'un d'eux osait une approche plus audacieuse, et tombait sous les balles, testant leurs défenses, harcelant leurs flancs. Ils se rapprochaient, sans relâche.
Une ombre, plus grande, éclata au dessus de leur tête, et pendant une seconde, une seule seconde, les gatlings furent incapables de tirer. C'était suffisant. Les artilleurs tirèrent leurs épées au clair, alors que les ennemis fondaient sur eux en un ballet fusionnel, un tourbillon de magie noire qui frappait au cœur de leurs lignes. Un à un, les défenseurs de Tuurem tombèrent, emportés par le flot démoniaque qui les submergeait. Sybille avait les oreilles qui sifflaient, les ombres la frôlait sans la toucher, mais blessaient son âme à chaque passage. De temps en temps, des griffes surgissaient des ténèbres et venaient lui taillader les bras comme la gifle d'une branche de sapin. A ses côtés, ses alliés s'effondraient, en sang, rongés par les ténèbres, les yeux crevés et les lèvres fendues. Elle saisit du coin de l'oeil, avec effroi, la silhouette blanche de son ours disparaître dans le noir, et son rugissement s'éloigner. Le commandant et elle-même repoussaient l'assaut de leur mieux, par leurs lames ou par les flèches, mais ils savaient que c'était donner des coups d'épée dans l'eau. Un seul ennemi était derrière tout cela, toujours le même depuis des semaines. L'ennemi le plus redoutable que Sybille ait jamais eu à affronter.
Terokk.
Alors que ce nom fusait dans son esprit, quelque chose la frappa avec force à l'estomac et elle tomba à la renverse sur un des canons désarmé. Tourmentée par les ombres, elle était sur le point de succomber. Ses coups se faisaient plus espacés, plus désorganisés, et les becs et les serres invisibles de ses assaillants se faisaient plus pressantes. Protégeant ses yeux, elle chercha à tâton son arme, et saisit une dose de poudre. Dans l'énergie du désespoir, elle en jeta le contenu sur la masse d'ombre qui s'était amassée sur elle, la faisant reculer un court instant. Un instant qui suffisait largement à la naine pour se saisir de l'allumeur du canon et de le lancer sur l'oiseau noir qui venait de se matérialiser pour fondre sur elle. Dans une détonation, il se désagrégea et disparut.
« REFORMEZ LES RANGS ! ».
Sybille, ensanglantée, une oreille presque sectionnée, fit rouler un tonneau de poudre jusqu'au bord de la falaise, et enflamma la mèche, et tendit les bras pour attirer ses ennemis. Terokk ne prendra pas Tuurem. Elle en faisait le serment.
Comme elle le supposait, les ombres étaient dénuées d'esprit, et virent la proie sans voir le piège. Alors qu'elles se regroupaient pour fondre sur elle, la naine prit son élan et dégagea dans le tonneau un coup de pied extraordinaire. Le tonneau heurta le tourbillon noir qui s'apprêtait à la frapper, et l'embrasa entièrement. Avec l'inertie, la poudre en feu continua sa course à travers le nuage et retomba en pluie sur la forêt en laissant de longues trainées grises. Un instant, il fit la lumière d'un grand jour.
Ils avaient défait leur attaque magique, mais les skettis pouvaient toujours attaquer de front. Leurs saccageurs étaient toujours d'une efficacité redoutable, et si il était possible de planter une lame dans leur chair et de les voir mourir, ils n'étaient pas moins dangereux que les ombres qu'ils savent créer. Pour l'heure, la mort régnait dans le camp de l'Alliance. Une poignée d'entre eux était encore valide ; les autres gémissaient de douleur, atrocement mutilés, brûlés par la magie ou déchirés par les griffes, retenant leurs viscères de leurs mains impuissantes, ou gisaient déjà, la face dans la boue et l'oeil sans vie.
Sans s'en rendre compte, Sybille ne respirait pas, elle poussait des râles aigus, comme ceux d'un asthmatique, les yeux fous. La rage, c'était la rage. Elle cherchait vainement autour d'elle l'ombre d'une plume où elle pourrait enfoncer sa hache, ou planter sa flèche.
C'est un oiseau de proie, plus large que les autres, qui fondit à côté d'elle sans la toucher. Elle le suivit dans son viseur, croyant qu'il l'avait manquée, mais il avait une autre cible. Le skettis qui le montait était débout, en équilibre, et incantait un feu bleuâtre. Lorsqu'elle comprit, elle dévala la butte, trébuchant à plusieurs reprise sur des cadavres.
« Non ! NON ! NOON ! »
Quelque chose de pinçant la saisit par les épaules, et elle s'envola au dessus des arbres avant d'avoir pu être témoin de ce qu'elle redoutait. Alors que les serres s'étaient ouvertes au dessus du sol, ses propres cris couvrirent ceux des civils. L'air fouettait son visage. Elle tombait. Elle allait mourir. D'une main tatônnante et ensanglantée, elle saisit une poignée à son flanc, et un parachute s'ouvrit trop tard. Les premières branches lui brisèrent les côtes, les dernières lui brisèrent le nez et les bras, et le sol la fit, enfin, sombrer dans l'inconscience.
« Ici ! Elle est ici ! ». Elle ouvrit les yeux sur le visage, illuminé de lumière, d'une dranei. Il faisait grand jour, elle était étendue sur son parachute déchiré qui la couvrait comme un linceul. Tout son corps lui hurlait de se laisser mourir. Du sang séché scellait sa bouche où elle sentait quelques dents branler dangereusement. Mais la douce lumière draénique pénétra son corps jusqu'au plus profond de ses organes, et elle se rendormit.
Elle rouvrit les yeux à nouveau à l'orée de Tuurem. Elle était étendue sur une civière, et deux roués la portaient sur le sentier. Il y avait une odeur de grésil, cette odeur très caractéristique de la graisse animale qui brûle sur les braises quand la viande est à point. Cette odeur lui donnait faim, elle n'avait pas bu, ni mangé, depuis, qui sait, des jours. Le long des allées, des soldats de l'Alliance entassaient ce qu'elle identifia rapidement comme l'origine de ce fumet si caractéristique.
Des ossements noirs, des sabots désarticulés, des crânes cornus de tailles diverses, du nourrisson à l'adulte le plus aguerri. Cette odeur, qui lui avait donné si faim, c'était celle de ses protégés qui avaient péri dans l'incendie. Cette graisse qui avait fondu sur des braises, c'était la leur, pris aux pièges. Une douleur plus grande encore que celle qui paralysait ses muscles se planta au creux de son cœur, et elle hurla, elle hurla tout le désespoir qu'elle pouvait éprouver, et se laissa rouler au bas de la civière. La souffrance lui fit presque perdre connaissance, mais elle trouva la force de saisir le crâne d'un enfant, qu'elle hallucina encore tiède, et le posa contre le sien, les yeux fermés. Elle ne pouvait même pas pleurer, seulement grimacer dans cette posture figée, concentrée sur le contact rugueux de cet os calciné contre sa peau. Elle ne criait plus.
Quand enfin elle parvint à reprendre sa respiration, il s'échappa de sa gorge un nouveau hurlement fauve.
Sybille s'éveilla en sursaut, et en sueur, les bras serrés contre sa poitrine. Elle tremblait comme une feuille, incapable de se calmer. Dehors, la pluie pandarienne ne laissait aucun répit, et tombait encore drue. Le bruit de l'eau sur les feuilles avait quelque chose de réconfortant. Mais rien ne lui permettrait de se rendormir à présent. Elle resta là, dans le noir, les yeux grands ouverts, à écouter les ronflements paisibles de ses camarades de chambre, et à chercher en vain à rythmer sa respiration sur la leur.
Mais il lui semblait, derrière l'odeur rassurante de l'air vicié par le sommeil, sentir une imperceptible odeur de graisse fondue, et elle dut se ruer à l'air libre pour ne pas vomir.
Sybille "Carmin"- Personnages Joués : Ornithophobe
Re: Abandonnée par la Terre
Quand elle ouvrit les yeux pour la troisième fois, elle était presque devenue une congère dans le paysage. Devant elle, le feu dansait, se couchait, crachait contre le vent. De la neige s'était collée en paquet à ses cheveux, et si sa face restait encore vaguement tiède grâce au rayonnement des flammes, son dos était raide comme un cadavre. C'était une sensation nouvelle ; douloureuse, mais inédite. Ce sentiment d'être à moitié mort sur l'axe vertical ; du talon, des mollets, des reins, de la nuque, de l'arrière du crâne, et de sentir palpiter paresseusement le reste de son corps.
« Crève-pas gelée, Carmin. C'est ta relève ».
Le maître-montagnard Hulbercht avait décidé de l'appeler ainsi, depuis qu'il l'avait prise sous son aile, et rien ne le ferait changer d'avis. Droit dans ses bottes dans un blizzard mortel, les mains sur ses hanches, il la regardait se lever d'un œil presque paternel.
« C'est ça, du nerf », la nargua-t-il gentiment. « Que j'puisse me pionce un peu ». Elle se leva avec difficulté, endolorie et grelottante, s'emmitouflant comme elle le pouvait dans sa cape de fourrure. « Ca fait le cuir », disait Hulbercht.
Elle rouvrit les yeux pour la première fois, essuyant l'eau qui coulait de ses sourcils d'un revers de main. Devant elle, le feu dansait, se couchait, crachait contre la pluie. Ses cheveux collaient à ses joues crasses, elle avait le dos penché et endolori sur l'objet de sa convoitise. Entre des fougères, elle avait trouvé, à moitié rebouché par la boue, un terrier creusé par un ver-ectocherche. C'est comme ça qu'elle avait fini par les appeler, ces vers élémentaires qui bouffent le minerai pour quatre heure et le chient en lingot à minuit. Elle se sentait encore fatiguée, et sa blessure lui tirait la peau du bide, mais l'appât du gain était plus fort. Ils ne resteraient pas longtemps en Pandarie et elle ne voulait pas laisser filer une once d'ectofer autour de Sri-La.
« Crève pas noyée, Carmin, c'est pas ton heure ».
Elle se grommela cette injonction de courage, pour se décider à plonger dans le trou les bras devant. L'eau ruisselait le long de ses flancs alors qu'elle avançait en rampant dans l'antre de la bête. Régulièrement, éclairée par sa maigre torche, elle décelait la lueur d'une pépite d'ectofer qu'elle glissait, de son mieux, au fond de sa besace avant de continuer sa progression.
« C'est ça, du nerf, allez », marmonna-t-elle. Comme elle l'espérait, ce tunnel avait une fin : il rejoignait une petite grotte, où perçait la lumière du jour par on ne sait-où. De l'eau gouttait en fin ruisseau et disparaissait dans une rivière souterraine. La cave était assez large pour accueillir un tauren debout, à condition qu'il se tienne tranquille, et elle décida de s'installer ici en attendant de repartir.
A ses pieds, un rocher de glace, formé par les vents, et dessous, rien. Rien sur des centaines de mètres. En bas, tout tout en bas, si ce n'était pas un mirage, il y avait les portes de Forgefer. Elle releva vivement les yeux ; bien qu'elle ait le vent contre elle, Sybille avait l'horrible impression qu'une main pourrait la précipiter vers le sol d'une simple pichenette. Il allait faire jour. Les nuages, au loin, bleuissaient, et les étoiles nimbées de brume se fondaient dans l'aurore. L'horizon était découpé comme une fissure minérale, en pics noirs et en cols sinueux, fermant l'enclave montagneuse du Dun Morogh. Elle les voyait comme des bras, fermés sur sa cité, et les reliefs comme autant de doigts repliés vers l'intérieur, la protégeant de tout. Des bras de Titans ; au moins ! ; qui la gardaient de tout danger. Elle, et les autres.
Ils étaient neuf, coincés sur ce pic rocheux, lovés dans une alcôve de pierre granite, frappés par les rafales comme par autant de gantelets en métal.
A ses pieds, des trilobites apeurés fuyaient dans des alcôves, alors que la naine faisait flamber son alcool pour le réchauffer. A plusieurs reprises, elle avait jeté un coup d'oeil à ces ouvertures idéales pour voir sur quel paysage elles pouvaient bien donner. Mais la lumière du jour lui arrivait biaisée, et l'eau qui s'en écoulait ne l'aidait pas. Plusieurs fois, elle trébucha sur de petites miettes d'ectofer. Après avoir séjourné ici, le ver avait du creuser sa sortie par là, et il était assez large pour lui offrir un accès. Une aubaine ! Assise dans sa caverne, Sybille se mit à chantonner une comptine naine. La pluie s'était calmée, et si elle en entendait encore le crépitement clair, c'était surtout sa propre voix qui lui revenait, chargée de sons minéraux. Elle était seule, lovée dans une alcôve de pierre granite, bercée par la terre comme par une mère nourricière.
Toutes les heures, c'était la relève. Il n'y avait rien à surveiller, sinon l'horizon blanc, mais c'était là tout l'exercice. Pour pouvoir noter ses recrues, Hulbercht restait éveillé toute la nuit, lui, et parcourrait les quatre lieues de descente précaire le lendemain sans lâcher un juron. Il s'assit sur son caillou, accoudé à son fusil, et grignota pensivement un morceau de bœuf sec.
Sybille ne connaissait pas vraiment l'origine de ce sentiment, elle essayait de lui donner un nom. De la fierté ? Sans doute. Il en fallait, pour se dresser en égale face à cet océan de pierre et de glace qu'elle nommait « chez moi ». Comme elle aimait bien le faire, elle laissa sa peau se brunir, et courir de maigres marbrures blanches à la place de ses veines. Ses cheveux se figèrent dans une ondulation de bannière au vent, et tout son corps devint une pierre brute au cœur battant. Ses pieds étaient solidement ancrés dans la neige, et même au dessous ; elle sentait palpiter la roche, respirer la terre. Elle était la terre. Elle se mouvait avec une grande lenteur, doucement engourdie par la magie, et se laissait bercer par les amples souffles du vent matinal.
Lorsqu'une main ferme se posa sur son épaule, le sort s'évanouit. Le sang afflua de nouveau au creux de ses veines, et comme une source qui vomirait brutalement son eau après un orage, elle sentit leur paroi encaisser le choc. Ses tresses rousses retombèrent sur ses épaules, et à nouveau, elle fut gelée, et seule.
Elle ne ressentit pas le besoin de bouger, au contraire. Elle laissa sa peau se brunir, et courir de maigres marbrures blanches à la place de ses veines. Ses cheveux se figèrent paisiblement sur ses épaules, et tout son corps devint une pierre brute au cœur battant. Ses pieds étaient solidement ancrés dans l'eau, et même au dessous ; elle sentait palpiter la roche, respirer la terre. Elle était la terre. Elle ne se mouvait pas, assommée par la magie, et se laissait endormir par les râles du vent estival.
Et une voix surgit des ténèbres paisibles où elle s'était assoupie. Une voix de tonnerre, de père du courroux, les vibrations mâles d'un protecteur inconditionnel. Alors que lui bondissait à la face l'image d'un ours, la voix tonna sans parler ; mais elle comprit. Elle lui hurlait l'injonction de saisir sa seconde chance.
Brutalement, le sang afflua de nouveau au creux de ses veines, et comme une source qui vomirait brutalement son eau après un orage, elle sentit leur paroi encaisser le choc.
Et à nouveau, elle fut gelée, et seule.
Sybille "Carmin"- Personnages Joués : Ornithophobe
Re: Abandonnée par la Terre
Elle commençait à avoir froid. Depuis quelques temps, elle avait froid. Mais rien ne la ferait bouger. Assise sur une congère, dans le domaine du gardien de Givre, dans le rayon pâle d'un artefact, elle le regardait parler avec un autre membre de l'équipage. Elle entendait sa voix forte sans l'écouter, elle se nourrissait de son écho sur les fresques de bronze.
Puis le géant se tourna, il en avait visiblement terminé. Il paraissait fatigué, même assez faible – ses bras portaient encore les stigmates du combat, et le rayonnement glacial de ses yeux d'opales faiblissait. Alors il s'avança, en colosse, vers un trône de glace et de fer et il s'assit lourdement, échappant brusquement à toute lumière. Dans la pénombre de son alcôve, Sybille vit encore briller ses yeux quelques secondes ; curieusement, elle était sûre qu'il la fixait.
Puis il les ferma. Et elle resta encore là, de très longues minutes, à s'engourdir, à se raidir sur sa congère, à attendre...
A attendre quoi ?
A attendre que le géant se lève à nouveau, qu'il se penche vers elle, la prenne au creux de sa main – fermement, mais délicatement. Puis qu'il déchire la voute céleste d'un geste ample, d'un geste si simple et si fort qu'il déferait la civilisation. Là, le géant lui montrerait, derrière les nébuleuses, les comètes, le ballet des portails du grand Néant, la demeure sacrée des Titans. Elle serait mortifiée d'humilité, mais rien ne l'empêcherait de poser la question, qui l'obsédait, qui la rongeait.
Pourquoi suis-je là ?
RIEN NE JUSTIFIE TA VIE ! Les murs tremblaient. Le colosse ne rouvrait pas les yeux, et pourtant c'était sa voix qui tonnait. Sybille se leva d'un bond, frigorifiée, et courut vers son trône. Il était endormi, et pourtant, l'écho de son cri résonnait encore. Il se mêlait maintenant aux grondements de la glace, et aux vibrations de la magie, comme si mille voix torturées l'avait prononcé.
RIEN, PETIT ETRE. LES TITANS SE SONT JOUES DE TOI !
Un battement d'aile, au dessus de sa tête. Elle hallucinait ? Ses joues la piquaient, tout son corps s'irriguait de nouveau, sous le coup de la panique, et elle serra les pieds de fer du titanide, avec la vaine illusion de pouvoir le faire bouger.
« Réveille-toi, réveille-toi ! REVEILLE-TOI ! ». Les murs tremblaient à nouveau, et le givre se détacha des fresques, éclatant en grandes plaques sur le sol, qui se craquelait de fissures noires. De ses fentes abyssales s'élevaient, en fumées éthérées, la silhouette de tentacules idéaux. Sybille tomba à genou, le visage tourné vers la terre, et il pria son élément aussi fort qu'elle le pouvait. Elle surveilla, sur ses mains, que sa peau brunisse, et qu'elle se marbre de blanc. L'espace d'un instant, il lui sembla que la pulpe de ses doigts s'était figée, mais elle se rendit compte – trop tard – qu'il ne s'agissait que du froid. Alors, elle rouvrit les yeux, et la fissure s'ouvrit grand sous ses pieds.
Elle tombait dans le noir. Le vent ne sifflait pas dans ses oreilles ; en réalité, elle avait le sentiment de planer, alors que le plafond s'éloignait à grande vitesse.
REGARDE LES ABYSSES.
Elle sentait une haleine froide sur sa nuque, et eut presque le réflexe de se tourner pour obéir à la voix. Peut-être était-ce la Terre qui avait entendu son appel ? Peut-être était-elle finalement venue la sauver ?
Du plafond, une forme me blanche sembla se détacher, sans doute une stalactite. Il paraissait lointain, maintenant, comme au fond d'un puits. Elle commença à fermer les yeux.
« Berce-moi, Terre, en ton sein. Berce-moi comme ta fille, que je trouve le repos, que cessent mes maux ». Elle s'était spontanément mise à prier, mais ne lui répondait qu'un écho de chuchotements moqueurs.
LA TERRE... terre... terre... NE TE REPONDRA PLUS... plus... plus...
Au dessus d'elle, le cri d'un oiseau de proie. Sa langueur la quitta, et la panique vint frapper son cœur à nouveau. Elle rouvrit les yeux sur la forme blanche d'un immense aigle blanc, fait de neige et de glace, aux yeux d'opale, qui ferma ses serres sur ses épaules, alors que claquaient autour d'elle des tentacules noirs.
« Le vent », murmura-t-elle. Elle sentait le vent. Un vent doux, et parfumé. Un vent qui la libérait des chaînes de la Terre. Un vent qui l'amenait vers les hauteurs.
Elle regardait, d'un œil absent, le ballet de ces ailes qui battaient avec force, et bruissaient contre son visage. L'animal la fit s'envoler au-dessus de la salle du Givre ; elle prit conscience de sa vitesse, elle eut à peine le temps d'entrevoir le géant, qui la regardait passer, et le fissures de la Terre qui se refermaient comme des cicatrices. L'aigle perça le plafond comme on traverse un nuage, et continua sa course dans les airs. Il criait, parfois, mais jamais ne changeait le cap.
Il finit par s'immobiliser en l'air, et regarda Sybille. Ses pupilles minérales grossissaient et se contractaient. Il cligna deux fois. Elle comprit. Il ouvrit ses serres.
Elle ne se souvint pas de Draenor. Ces serres n'étaient pas les mêmes. Ces serres lui voulaient du bien. Elle ne tombait pas. Elle était la l'horizontale, au dessus d'une surface d'eau, brumeuse et sans horizon. Sous elle, son reflet la regardait d'un air apaisé. Il fallait le rejoindre. Doucement, son corps descendit à la rencontre de la surface.
Et brutalement, Sybille rouvrit les yeux. Sa vision était teintée de rouge, elle se promena le long des fresques titanides. Il lui semblait capter des explosions, de l'agitation, à sa droite. Un tentacule noir éthéré se retira vivement de son crâne, en fumant et en sifflant comme une goutte de graisse sur des braises, et se rétracta autour de l'être qui mourrait au cœur de la pièce.
Sybille se laissa tomber à genou. La sha était mort.
La Terre l'avait trahie.
Puis le géant se tourna, il en avait visiblement terminé. Il paraissait fatigué, même assez faible – ses bras portaient encore les stigmates du combat, et le rayonnement glacial de ses yeux d'opales faiblissait. Alors il s'avança, en colosse, vers un trône de glace et de fer et il s'assit lourdement, échappant brusquement à toute lumière. Dans la pénombre de son alcôve, Sybille vit encore briller ses yeux quelques secondes ; curieusement, elle était sûre qu'il la fixait.
Puis il les ferma. Et elle resta encore là, de très longues minutes, à s'engourdir, à se raidir sur sa congère, à attendre...
A attendre quoi ?
A attendre que le géant se lève à nouveau, qu'il se penche vers elle, la prenne au creux de sa main – fermement, mais délicatement. Puis qu'il déchire la voute céleste d'un geste ample, d'un geste si simple et si fort qu'il déferait la civilisation. Là, le géant lui montrerait, derrière les nébuleuses, les comètes, le ballet des portails du grand Néant, la demeure sacrée des Titans. Elle serait mortifiée d'humilité, mais rien ne l'empêcherait de poser la question, qui l'obsédait, qui la rongeait.
Pourquoi suis-je là ?
RIEN NE JUSTIFIE TA VIE ! Les murs tremblaient. Le colosse ne rouvrait pas les yeux, et pourtant c'était sa voix qui tonnait. Sybille se leva d'un bond, frigorifiée, et courut vers son trône. Il était endormi, et pourtant, l'écho de son cri résonnait encore. Il se mêlait maintenant aux grondements de la glace, et aux vibrations de la magie, comme si mille voix torturées l'avait prononcé.
RIEN, PETIT ETRE. LES TITANS SE SONT JOUES DE TOI !
Un battement d'aile, au dessus de sa tête. Elle hallucinait ? Ses joues la piquaient, tout son corps s'irriguait de nouveau, sous le coup de la panique, et elle serra les pieds de fer du titanide, avec la vaine illusion de pouvoir le faire bouger.
« Réveille-toi, réveille-toi ! REVEILLE-TOI ! ». Les murs tremblaient à nouveau, et le givre se détacha des fresques, éclatant en grandes plaques sur le sol, qui se craquelait de fissures noires. De ses fentes abyssales s'élevaient, en fumées éthérées, la silhouette de tentacules idéaux. Sybille tomba à genou, le visage tourné vers la terre, et il pria son élément aussi fort qu'elle le pouvait. Elle surveilla, sur ses mains, que sa peau brunisse, et qu'elle se marbre de blanc. L'espace d'un instant, il lui sembla que la pulpe de ses doigts s'était figée, mais elle se rendit compte – trop tard – qu'il ne s'agissait que du froid. Alors, elle rouvrit les yeux, et la fissure s'ouvrit grand sous ses pieds.
Elle tombait dans le noir. Le vent ne sifflait pas dans ses oreilles ; en réalité, elle avait le sentiment de planer, alors que le plafond s'éloignait à grande vitesse.
REGARDE LES ABYSSES.
Elle sentait une haleine froide sur sa nuque, et eut presque le réflexe de se tourner pour obéir à la voix. Peut-être était-ce la Terre qui avait entendu son appel ? Peut-être était-elle finalement venue la sauver ?
Du plafond, une forme me blanche sembla se détacher, sans doute une stalactite. Il paraissait lointain, maintenant, comme au fond d'un puits. Elle commença à fermer les yeux.
« Berce-moi, Terre, en ton sein. Berce-moi comme ta fille, que je trouve le repos, que cessent mes maux ». Elle s'était spontanément mise à prier, mais ne lui répondait qu'un écho de chuchotements moqueurs.
LA TERRE... terre... terre... NE TE REPONDRA PLUS... plus... plus...
Au dessus d'elle, le cri d'un oiseau de proie. Sa langueur la quitta, et la panique vint frapper son cœur à nouveau. Elle rouvrit les yeux sur la forme blanche d'un immense aigle blanc, fait de neige et de glace, aux yeux d'opale, qui ferma ses serres sur ses épaules, alors que claquaient autour d'elle des tentacules noirs.
« Le vent », murmura-t-elle. Elle sentait le vent. Un vent doux, et parfumé. Un vent qui la libérait des chaînes de la Terre. Un vent qui l'amenait vers les hauteurs.
Elle regardait, d'un œil absent, le ballet de ces ailes qui battaient avec force, et bruissaient contre son visage. L'animal la fit s'envoler au-dessus de la salle du Givre ; elle prit conscience de sa vitesse, elle eut à peine le temps d'entrevoir le géant, qui la regardait passer, et le fissures de la Terre qui se refermaient comme des cicatrices. L'aigle perça le plafond comme on traverse un nuage, et continua sa course dans les airs. Il criait, parfois, mais jamais ne changeait le cap.
Il finit par s'immobiliser en l'air, et regarda Sybille. Ses pupilles minérales grossissaient et se contractaient. Il cligna deux fois. Elle comprit. Il ouvrit ses serres.
Elle ne se souvint pas de Draenor. Ces serres n'étaient pas les mêmes. Ces serres lui voulaient du bien. Elle ne tombait pas. Elle était la l'horizontale, au dessus d'une surface d'eau, brumeuse et sans horizon. Sous elle, son reflet la regardait d'un air apaisé. Il fallait le rejoindre. Doucement, son corps descendit à la rencontre de la surface.
Et brutalement, Sybille rouvrit les yeux. Sa vision était teintée de rouge, elle se promena le long des fresques titanides. Il lui semblait capter des explosions, de l'agitation, à sa droite. Un tentacule noir éthéré se retira vivement de son crâne, en fumant et en sifflant comme une goutte de graisse sur des braises, et se rétracta autour de l'être qui mourrait au cœur de la pièce.
Sybille se laissa tomber à genou. La sha était mort.
La Terre l'avait trahie.
Sybille "Carmin"- Personnages Joués : Ornithophobe
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