Bribes de vie
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Bribes de vie
25/04/34 - 10 jours après recrutement
Lorsque Talhin se réveilla, se fut avec un mal de crâne qui lui tint compagnie jusqu'à la fin de la matinée. L'aube pointait à peine le bout de son nez et il eut le loisir de remarquer la présence du commandant dans l'infirmerie, proche de son lit. Il essaya de rassembler ses idées mais il avait du mal à se souvenir des événements de la veille. Le port, un incendie, une anguille, des tonneaux, de l'huile... Il lui fallut faire preuve de bon sens pour écarter l'idée de la grillade estivale.
Oh, il s'en voulait, et c'était peu dire. Il songea un moment à s'excuser auprès du commandant pour se maladresse mais il lui fallut reconnaître que la vieille lionne se passerait volontiers de ses balbutiements et qu'elle n'avait pas besoin d'une recrue faisant la sole à ses pieds après l'évasion presque réussit de l'homme-anguille.
Il ravala sa fierté en même temps qu'il mit sa culpabilité de côté et se glissa hors du lit en saluant sa supérieure qui de toute façon n'allait pas tarder à disparaître pour aller chercher son précieux clairon. Des actes avant les mots, pensa-t-il en regardant la rouquine quitter l'infirmerie. Et il sourit.
05/05/34 - Moins d'un moins après recrutement
- Ne me regarde pas comme ça. Je n'ai pas vraiment le choix.
Talhin renversa sa tête en arrière en poussant un grognement. Il se tenait assit dans les écuries, à côté de sa jument.
Le cheval piétina la terre meuble de sa stalle et secoua sa crinière. Visiblement, elle semblait avoir moins d'intérêt pour les propos du jeune homme que pour la carotte qu'il lui avait donné à déguster deux minutes plus tôt.
- Tu me comprends, non ? reprit Talhin. Nous ne sommes plus à la ferme. C'est différent maintenant.
Pour toute réponse, la jument fouetta l'air avec sa queue pour chasser quelques nuisibles bourdonnant. Talhin était fier de cette bête et il en prenait grand soin. C'était tout ce qu'il lui restait depuis que ses parents avaient été tué par des pillards orcs en maraude et que leur ferme avait été brûlé, un mois plus tôt. Avant d'entrer au service du roi comme son maître, la jument passait ses journées à tirer une charrue ou un chariot plein de marchandises. Elle était robuste même si elle n'avait pas l'élégance des autres chevaux du régiment.
Talhin s'étira et passa une main sur son visage. Il attrapa un brin de paille pour le coincer entre ses dents et croisa ses bras derrière sa tête, pensif. Il jeta un coup d’œil au parchemin vierge qui se trouvait à côté de lui, sur sa gauche, ainsi qu'à l'épais volume pompeusement intitulé Codex des crimes et des délits.
- D'un autre côté, si mes supérieurs m'attrapent...
Il gémit. La décision n'était pas facile. Il hésita un instant à lancer le livre contre la palissade en bois de l'écurie. La jument s'ébroua et tourna son museau vers lui en soufflant par les naseaux. Elle agita ses oreilles d'un côté, puis de l'autre, et reporta mollement son attention sur ce qu'il se passait devant la caserne.
- Tu pourrais m'aider quand même.
Talhin fixait le cheval en mâchonnant son brin de paille, comme s'il s'attendait à ce que l'animal lui réponde. Ce qui n'advint pas. Il laissa finalement retomber ses bras le long de son corps, dépité, et s'empara du parchemin et du codex pour les poser sur ses genoux. Tout en fouillant sous son tabard en quête d'un crayon, il essayait de se convaincre que cette solution était la meilleure. Du moins pour le moment.
- L'autre fois, c'était un coup de chance. Notre devise et l'article 22-bis... Ça ne marchera pas à tous les coups. Au moins, si on m'interroge sur d'autres lois, je saurais répondre.
Il déchira un bout de parchemin, ouvrit le livre et commença à recopier scrupuleusement le numéro et l'intitulé d'une loi. Lorsque ce fut fait, il roula le morceau et le glissa dans son gantelet droit. Il observa le cuir du gantelet un moment, songeur, et réitéra la manœuvre en écrivant directement sur le cuir cette fois.
Il sourit, fier de son idée.
- Je n'aurais qu'à bien les cacher, dit-il en observant ses premières anti-sèches. Aucun risque de me faire prendre avec ça.
13/05/34 - Un mois après recrutement
Il y a ceux pour qui tuer est devenue une routine, pour qui ôter la vie d'un homme est aussi facile que mordre dans le pain. Et puis il y a les autres. Ceux qui ne s'y feront jamais, qui n'en ont pas le courage, et ceux pour qui c'est la première fois. Pour Talhin, cette première fois n'avait pas un goût doux et sucré, elle n'avait pas été grisante et il n'en retirait aucune fierté. Il avait tué un homme et c'était tout ce qu'il retenait. Un violeur récidiviste qui dans un dernier élan de folie en voyant le billot auquel il avait été condamné, s'était précipité sur Kate malgré les chaînes qui lui entravaient les poignets. La guerrière n'avait eu qu'à lever l'épée qu'elle tenait pour que le mastodonte en furie s'empale sur la lame; et Talhin, de voler au secours de sa camarade, s'était jeté dans le dos de l'agresseur pour le rouer de coups avec son arme jusqu'à ce que mort sans suive.
Puis, il y eu une sans-abris, une errante armée d'un fusil qui avait tenté de tirer sur le sergent Stolen. Elle fut tué sur-le-champs par Kate, sous les yeux de Talhin. C'était la troisième exécution à laquelle assistait le jeune homme depuis le début de l'après-midi. Le bûcher n'avait pas désemplit et, alors que le manteau nocturne avait jeté son dévolu sur Hurlevent et ses toits multicolores, une odeur de chair brûlée alourdissait l'air autour de la caserne.
Lorsque Talhin mit fin à son service pour gagner les dortoirs communs, Kate Bonham et le capitaine Stolen mettait fin aux crimes d'un quatrième séditieux par le fil de l'acier. Pour la première fois depuis qu'il s'était engagé dans les rangs de la garde, le jeune homme n'éprouvait ni fierté, ni bonheur. Bien sûr, il ne doutait pas un instant du bien fondé de ces actes, de la justice solide qui ne pliait pas devant les criminels, mais il n'arrivait pas à se débarrasser de la boule qui nouait son estomac. Il avait tué, oui. Ce n'était pas un orc, ni un gnoll, mais un humain. Des humains. Les paroles de Sierra lui revinrent en mémoire : «Il y a des monstres aussi parmi les humains.»
Le reste de la nuit fut difficile. Il eut du mal à trouver le sommeil. Et quand bien même... Il revoyait encore et encore cet homme se jeter sur l'épée de Kate, sa propre épée tâchée de sang et le dos lacéré du criminel. Mais ce qu'il ne s'avait pas, ce qui était peut être bien pire que tout cela, c'est qu'un jour il finirait par ne plus être affecté.
20/06/34 - Deux mois après recrutement
Bientôt deux mois que Talhin s'était engagé à défendre Hurlevent. Deux mois et il s'en était passé des choses depuis son intégration.
Chaque événement, chaque découverte avait permis au jeune homme d'accroître son expérience. Les divers entraînements auxquels il se soumettait commençaient à porter leurs fruits. La balle du fusil atteignait plus souvent son centre, le tranchant de son épée trouvait la faille dans la garde ennemie avec plus de facilité et les rapports étaient écrit avec plus de rapidité et de clarté. Comme l'on forge un rouage pour qu'il s'imbrique parfaitement avec le reste de la mécanique, Talhin se forgeait, évoluait et changeait. Ce n'était rien de spectaculaire et lui-même ne s'en apercevait pas, mais son quotidien se muait en routine; qu'il arrivait encore à égayer de quelques bourdes. Mais pour un homme de sa simplicité, c'était dans la répétition qu'il trouvait le confort.
Sa soif de connaissance ne semblait jamais vouloir se tarir. Il apprenait dès que l'occasion se présentait. Récemment il s'était mit à l’arithmétique, arguant qu'il ne pouvait plus la fuir maintenant qu'il s'impliquait plus sérieusement dans l'intendance. Il n'excellait pas au maniement du fusil qu'il commençait déjà à lorgner sur les arcs et les arbalètes !
Et pourtant ses professeurs pouvaient en témoigner : Talhin n'était pas un rapide à l'apprentissage; mais sa rigueur et sa persévérance faisaient ses forces.
30/06/34 - Trois mois après recrutement
Quatre mois étaient passés depuis que Talhin avait intégré les rangs de la garde de Hurlevent. Quatre mois qu'il avait quitté la forêt d'Elwynn et ses campagnes pour se mêler à l'activité grouillante de la ville. Les champs fertiles avaient fait place aux boulevards pavés, le bruit des sabots foulant les rues avait remplacé le claquement des haches contre les arbres et les effluves de fumier ne pouvaient rivaliser avec la farandole d'odeurs qui pullulaient entre les bâtiments. C'étaient deux mondes différents, séparés par les remparts qui entouraient Hurlevent.
Talhin était plein de ressources ; il s'était adapté rapidement à cette nouvelle vie. Il ne se levait plus avec le chant du coq mais celui du clairon. Le matin, s'il pataugeait toujours dans la boue, ce n'était plus pour semer des choux et rassembler les chèvres mais pour entraîner son endurance et sa coordination avec les autres gardes. Il ne brandissait plus la bêche mais l'épée. Son quotidien était éprouvant mais le jeune homme était né pour s'épuiser à la tâche. Il en retirait même une nette satisfaction, celle du devoir accomplit.
Travailler pour l'intendance l'avait aidé à prendre ses repères plus facilement. Gérer les stocks d'équipements du régiment n'était guère différent de son travail à la ferme avec ses parents lorsqu'ils faisaient l'inventaire des réserves. Les tâches n'étaient pas aussi prestigieuses que celles des services d'enquête et de formation mais s'il y avait bien une chose dont se souciait peu Talhin, c'était le prestige. Du moins cette forme de prestige : il n'avait pas abandonné son rêve de sauver Hurlevent des griffes d'un dragon. Il l'avait même noté sur un bout de parchemin : 1. Tuer un dragon et sauver Hurlevent, 2. Acheter une ferme de tomates et 3. Créer son propre jus de tomate.
Mais cette envie si simpliste cachait une motivation plus profonde. C'étaient les gardes qui lui avaient sauvé la vie, quatre mois plus tôt et il n'abandonnerait pas Hurlevent tant qu'il n'aurait pas remboursé sa dette, même si pour cela il devait servir les quarante années à venir. La ferme pourrait bien attendre. Et puis son temps passé aux côtés du sergent-chef lui avait fait comprendre que les femmes appréciaient nettement plus les hommes âgés.
- Et barbus... pensa Talhin à voix haute en s'observant devant le miroir de sa chambre d'auberge.
19/08/34 - 5 mois après recrutement
- J'ai été promu caporal. Talhin marqua une pause, songeur, et poursuivit. Caporal Flytherson, ça sonne plutôt bien. J'ai un nouvel insigne, forcément. Une double barre. C'est le commandant en personne qui l'a épinglé pour l'occasion, et devant tout le régiment ! Ou presque. Le chef aussi a été promu. Désormais c'est lieutenant Shephard. Je pense que tu l'apprécierais, p'pa.
Le soleil de midi perçait à travers la ramure des chênes et des ormes qui étendaient leurs feuillages au-dessus du cimetière tels d'éternels gardiens du calme. Le mémorial de lordaeron se dressait au fond du décor, implacable; il se dégageait de lui un sentiment d'austérité comme si le sculpteur était parvenu à capturer l'âme des défunts dans son ouvrage, comme si la pierre elle-même était chargée de toute la volonté des humains et qu'elle chuchotait à ceux qui se recueillaient : Nous sommes morts, mais nous n'abandonnerons jamais. Un jour, nous aurons notre honneur. Fouler ces pavés avait toujours eu quelque chose d'étrange. Les morts étaient maîtres de l'endroit, maîtres dans leur inertie. Il était bien difficile d'ignorer ce sentiment de paix auquel se mélangeait la mélancolie, parfois l'angoisse, la tristesse, le soulagement ou la colère. Il était étrange qu'un tel lieu, pourtant mort, parvenait à faire vibrer la vie au travers de ces émotions. Le poète avait raison : c'est face à la mort que l'on se sent le plus vivant.
Talhin était assit dans l'herbe devant deux modestes pierres tombales. Il n'aurait su dire depuis combien de temps il leur faisait face. C'était toujours la même chose lorsqu'il se trouvait ici, il ne comptait pas le temps qui passe. Une fleur blanche trônait dans un vase longiforme en verre. Le jeune homme en apportait une nouvelle dès que l'ancienne perdait de sa superbe. Les pierres tombales étaient propres : pas de mousse grimpante ni de poussière ou de toiles d'araignées.
- Il est un peu comme toi, mais pas vraiment. On dirait plutôt grand-père avec sa manie des moustaches. Je crois qu'il veut que je m'en laisse pousser une. Talhin releva la tête pour observer les branches qui lui faisaient de l'ombre. En fait, il me l'a déjà demandé. Ça lui va plutôt bien à Clayton, il a presque mon âge, mais je préfère attendre. Plus tard. Lorsque j'aurais une ferme et une femme.
Une brise légère effleura l'étendue d'herbe verte et fit frémir le chêne, ramenant Talhin à la contemplation des deux pierres tombales. Le jeune homme était propre et bien mis sur lui, comme on se doit de l'être lorsqu'on visite une cathédrale ou en l'occurrence, de la famille au cimetière. Il portait une chemise à carreaux bleus, le col ouvert puisqu'il n'avait pas attaché les deux derniers boutons, et deux bretelles brunes maintenaient son pantalon en bonne place. Ce dernier n'avait pas été travaillé d'une main d'artiste, il était d'ailleurs plutôt modeste. Talhin avait préféré mettre un peu plus d'argent dans le prix de ses bottes, une paire en cuir clair bordée d'un liseret vert buisson. Il en était fier.
- Il n'y a pas que le lieutenant que vous auriez apprécié. M'man, j'aurais aimé te faire rencontrer Maryl. Un sacré brin de femme comme dirait p'pa ! On dirait qu'elle tire constamment la tronche mais moi je sais qu'au fond, elle sourit. C'est une bonne amie et je suis sûr de pouvoir compter sur elle. Bon, elle s'irrite facilement, mais elle n'est pas méchante. Je me demande à quoi ressemble son père. Elle m'a dit que c'était un vétéran et qu'il avait dû prendre sa retraite à cause d'une blessure à la jambe. Je suis sûr que c'est une brute immense, avec une grosse barbe et une jambe de bois, et des mains capables d'écraser le crâne d'un sanglier. Ce genre là. Hethis et Leosert vont bien. Je les ai vu il n'y a pas longtemps mais ils vont bientôt reprendre la mer.
Talhin continuait de parler. C'était un rituel qu'il répétait fréquemment. Au départ il venait tous les jours devant les tombes de ses parents et puis à mesure que la peine de les avoir perdu si tôt se faisant moins dure, il avait allégé ses visites. Mais il n'y allait pas moins de trois fois par semaine. Il veillait à changer l'eau du vase régulièrement et bien nettoyer les pierres tombales.
Ça n'avait pas été facile pour lui d'accepter cette absence dans sa vie. Mais il s'était découvert un but, rembourser la dette qu'il avait envers Hurlevent comme il le clamait souvent, et le labeur l'avait aidé à surmonter la douleur.
- Vous voyez, vous pouvez être fiers. Notre nom n'a pas disparu et je ne suis pas devenu un mendiant, ni un voleur. Je vais continuer à travailler durement pour protéger la ville et peut être qu'un jour j'aurais remboursé ma dette. Quand ce sera fait, je m'achèterais une ferme et je me lancerais dans la production de jus de tomate. J'ai beaucoup appris en travaillant dans l'intendance, je serais capable de tenir un commerce. J'hésite encore sur le nom mais j'ai déjà le slogan.
Talhin fut interrompu par le son des cloches qui résonnaient au loin. Il poussa un soupire et se releva en frappant son pantalon pour le débarrasser du surplus d'herbes. Il avisa les deux tombes et sourit doucement.
- Je crois que c'est l'heure de vous laisser. Je reviendrais bientôt.
Il hésita un instant puis murmura une prière avant de tourner les talons pour s'engager dans l'allée principale.
30/09/34 - Six mois après recrutement
Caserne de Hurlevent, début de soirée
Talhin était en rang avec les autres gardes dans la grand-salle de la caserne. L'ambiance était pesante, l'atmosphère lourde, le silence presque total. Seul le bâtiment gémissait sous le poids des bottes qui foulaient son plancher et bien que constant, le bruit des chaînes que les prisonniers remuent dans les geôles du sous-sol peinait à parvenir au rez-de-chaussé.
Le commandant faisait face à ses hommes. Alors que le major avait disparu dans les escaliers qui descendaient au sous-sol, le suspens atteignait des sommets. Certains redoutaient le sermon habituel qui précédait le retour aux activités du commandant, d'autres s'étaient fait une idée de la raison d'un tel rassemblement.
C'est alors que la voix de la vieille lionne coupa court aux élucubrations de chacun.
- Que ceux qui ne s'en sentent pas le courage quittent le service.
Aucun murmure n’accueillit cette phrase. Talhin lança un regard à sa droite, puis à sa gauche avant de se pencher vers son voisin, le sémillant sergent MacLane. Ce dernier ne bougea pas d'un pouce. Il écouta sans accorder un regard à son interlocuteur ; car tous ici le savaient – Clayton en tête de liste – mieux valait ne pas contrarier le commandant.
- De quoi parle-t-elle, sergent ? Murmura-t-il.
Pas de réponse. Talhin se redressa et tourna la tête en direction des escaliers alors que le major remontait, flanquée de Khaltée. Cette fois, le doute n'était plus permis. Et pourtant, volontairement drapé dans sa naïveté, Talhin se risqua à poser une nouvelle question à Cornelius.
- On va l'escorter à la prison centrale ?
Le sergent resta silencieux. Un silence qui en disait long, car si il se refusait à répondre au jeune homme, celui-ci pouvait maintenant comprendre aisément de quoi il en retournait. Ils vont l'exécuter... pensa-t-il, alors que son cœur s'emballait.
Sous l'ordre de la vieille lionne il se dirigea comme un pantin articulé à l'extérieur du bâtiment, aux côtés de ses camarades.
Alignés dans la cour, sous un ciel noir d'encre, baignés par la caresse de la lune, le lieutenant Oliver Shephard commença à leur distribuer les fusils. Il s'arrêta devant Talhin, le fixant alors qu'il tendait l'arme à feu. Mais le jeune homme restait immobile. Son esprit était en proie à une bataille et son corps refusait de coopérer.
C'est à cet instant que la voix de Cornelius le tira de sa torpeur. Il lui demandait de quitter le rang. Le ton était sans appel.
C'est alors que Talhin remarqua le fusil tendu vers lui. Un rapide coup d’œil à son voisin de droite et il comprit pourquoi le sergent avait rompu son mutisme. Plutôt que d'entamer la distribution à tous les gardes, Oliver s'était immédiatement dirigé vers Talhin. Une bouffée de colère réchauffa sa poitrine.
Il croisa le regard de celui qu'il avait élevé en mentor. L'homme en qui il avait placé sa confiance. Un homme qu'il respectait et qui avait son admiration. Alors c'est ainsi ? songea-t-il, amer.
Leur relation s'était envenimée depuis le début de cette affaire. Le piédestal sur lequel il avait placé Oliver avait commencé à s'effriter, une semaine plutôt, lorsque le lieutenant l'avait accusé de prendre la défense de la traîtresse Raven pour les galbes de son corps. Et puis il s'était acharné à vouloir sa mort, plus que de raison selon le jeune homme. Dès lors Talhin avait commencé à cultiver une certaine rancœur à l'égard de son supérieur. Et maintenant, il lui faisait face, le fusil tendu. Il l'avait choisit lui avant tout autre. Il savait que Talhin ne supportait pas la décision de la cour martiale. Il savait qu'il ne pourrait pas mettre la main sur cette arme.
Ses pensées se bousculèrent dans son esprit.
- Espèce de... fut tout ce qu'il parvint à articuler alors qu'il tenta de se jeter sur Oliver.
La poigne de Cornelius se referma aussitôt sur son bras comme un étau.
- Une rébellion ?! vociféra le lieutenant.
Talhin tourna la tête vers Cornelius. Le quarantenaire avait le visage fermé. Son regard était froid, plus sombre que Talhin ne l'avait jamais vu. Ses traits ne dégageaient rien de sa bonhomie habituelle. Il arborait un masque.
Le ton monta entre les deux officiers. C'est à ce moment que le capitaine Stolen quitta la caserne et s'approcha de la troupe d'un pas lourd et vif. Il arracha Talhin du rang en le tirant par le bras, l'air contrarié. Lui qui n'avait pas voulu prendre part à cette histoire se voyait contraint de gérer les petites querelles de ses subordonnées. Ils n'avaient pas besoin de ça, surtout en ce moment.
C'est ce qu'il essaya de faire comprendre à Talhin en quelques mots. Mais le jeune homme n'écoutait plus. Face au trouble que dépeignait son visage, Karven le laissa retourner à l'intérieur du bâtiment d'un geste mou. Il n'avait pas le temps pour un tel sentimentalisme, pas ce soir. Ils avaient une lourde tâche à accomplir. Et qu'importe ce que pouvait penser le caporal Flytherson, ni lui ni le commandant ne prenaient plaisir à cela.
Talhin entra dans la caserne et se dirigea vers les vestiaires. Il passa la porte et s'appuya contre un casier, prit de vertiges. Jusqu'au bout il avait été persuadé que le commandant reviendrait sur sa décision. Il pensait que la sentence ne serait qu'une mise en scène pour faire réfléchir Khaltée et la mettre face à son erreur. Il ne comprenait pas et c'était cette incompréhension qui était la source de ses maux.
Lorsqu'il avait entendu pour la première fois le major Ventis dire qu'un officier ou sous-officier devait se porter volontaire pour défendre Khaltée, Talhin avait hésité. A ce moment, il n'était pas sûr de vouloir l'aider. Après tout elle avait trahit son serment, un serment auquel le jeune homme attachait une grande importance. Mais c'était aussi son devoir que de conserver une certaine neutralité : à l'état-major la décision d'une sentence, Talhin n'était pas là pour juger. Il était l'outil, pas la main.
Le temps était passé sans que personne ne se porte volontaire. Lorsqu'il entendait ses camarades parler de Khaltée c'était en des termes peu élogieux. Beaucoup éprouvaient de la rancœur à son égard et pour tous le verdict était sans appel : elle devait passer par les pics ou la corde. Selon Talhin, ce n'était pas juste. Non pas qu'il voulait l'exempter de toute punition, mais il avait bien du mal à concevoir le déroulement d'un procès équitable si le défenseur de l'accusée lui-même voulait sa mort.
C'est ainsi que le devoir prit le pas sur l'hésitation. Il avait décidé de défendre Khaltée afin qu'elle ait droit à un jugement aussi droit que possible en mettant de côté ses à priori. Ainsi, les valeurs en lesquels il croyait ne seraient pas bafouées.
Talhin déambula dans la pièce jusqu'à faire face à son casier. Il posa son front contre le métal froid de la porte.
Il avait échoué. Sa défense, pathétique, construite sur un sentimentalisme qui n'avait pas lieu d'être en cour martiale, n'avait pas tenue le choc face à la pugnacité du lieutenant Shephard. Khaltée ne l'avait pas non plus aidé alors qu'elle avait vanté les mérites de La Clef en plein procès, s'attirant les foudres de l'état-major et nourrissant la machine de guerre de Oliver.
Mais Talhin n'était pas de ceux qui abandonnaient facilement. Bien qu'atterré par la décision de la cour martiale, il avait continué de rendre visite à Khaltée. Il allait la voir régulièrement, jusqu'à une fois par jour. Il était persuadé, au fond de lui, qu'il pouvait lui ouvrir les yeux. Il savait en son fort intérieur qu'elle n'était qu'un pantin, un pion manipulé par la criminelle La Clef ; un pion qui s'était laissé abusé par de belles paroles.
Et puis il y était parvenu, avec l'aide de Cornelius. Il ne savait pas ce que le sergent lui avait raconté mais à eux deux ils avaient réussi. Ils avaient balayé l'emprise de La Clef sur son esprit. Il avait été fier, et heureux, de lire les deux lettres rédigées par Khaltée.
C'est ainsi que Talhin avait franchit une ligne dangereuse. Celle de la neutralité. Il avait commencé à éprouver de la sympathie pour celle qui un mois plus tôt était encore l'une des leurs. Il ne l'appréciait pas autant qu'il appréciait Maryl mais suffisamment pour ne pas avoir envie de la voir morte. Il agissait en humain avant d'agir en garde, la main sur le cœur plutôt que sur l'épais codex qui garantissait la paix de Hurlevent. Une erreur qui, s'il l'avait évité, l'aurait privé de bien des troubles qui l'agitaient en cet instant.
Soudain, le fil de ses pensées fut interrompu par le bruit de coups de feu. La salve de détonations se répercuta en écho dans le quartier. Le son résonnait aux oreilles de Talhin, à peine étouffé par les murs de la caserne. Le jeune homme fut prit d'un hoquet et écrasa violemment son poing contre la porte de son casier. Il ferma les yeux en essayant de se concentrer pour ne pas imaginer la scène qui venait de se dérouler à l'extérieur. Il ravala avec peine ses larmes.
Il avait échoué. Pire encore, il avait offert de l'espoir à une condamnée à mort. Il se revoyait encore face à sa cellule, la motivant à ne pas perdre espoir car lui, Talhin Flytherson, réussirait à convaincre le commandant. Elle y avait cru. Lui aussi.
Il aurait aimé pouvoir remonter le temps. Il aurait aimé mieux construire sa défense face à l'état-major et trouver les bons mots, plus tôt, pour lui ouvrir les yeux.
Mais c'était trop tard. Elle était morte. Elle n'avait prit aucune vie et pourtant, ils avaient décidé de prendre la sienne. Et pour couronner le tout, certains voyaient en lui un garçon naïf qui s'était laissé abusé par les charmes d'une traîtresse ; voilà tout ce qu'ils retenaient de son travail. Le caporal eut un nouveau hoquet. Un sentiment d'injustice nouait ses entrailles.
Il se laissa tomber sur une chaise. Le dos voûté, la tête baissée et les avant-bras appuyés sur ses genoux, il faisait peine à voir. C'est à ce moment que la voix du major Ventis retentit de derrière la porte des vestiaires.
- Flytherson ? Je peux entrer ?
Taverne du quartier nain, minuit
- C'est pas de bêtes ingrédients qu'on mélange, pour dire. Mais l'essence même des esprits qui les animent.
Le pandaren agitait ses mains en même temps qu'il parlait, comme le font les passionnés. Il se dégageait de sa robuste silhouette une forte odeur d'alcool. La discussion s'était enflammée depuis qu'il avait abordé le chapitre des bières, cette boisson si chère aux yeux de son peuple.
- Chaque chose à un esprit. L'eau, le feu, le vent, la terre, et tout ce qui y vit.
Il releva un peu le bord de son chapeau tressé de bambou et balaya le comptoir de son regard doré pour s'assurer que son public suivait bien ses explications. Il remarqua alors que le jeune humain à côté s'était de nouveau perdu dans ses pensées. Il empoigna sa bière et lui donna une tape dans le dos pour le rappeler à la réalité.
- La bière est l'union ultime de tout ça, gamin ! Le breuvage céleste et parfait !
Mais la voix du pandaren avait bien du mal à atteindre Talhin. Le rouquin était accoudé au comptoir, tête baissé, ailleurs. Le regard ancré dans les remous de sa bière, il ressassait les événements de la soirée. Tout autour de lui n'était qu'un brouhaha de voix informes. Le temps semblait comme suspendu, plié face aux tourments du jeune homme. Et rien n'arrivait à éloigner Talhin de sa morosité, pas même la bonhomie de Xuandian et son discours sur les bières, ni ce vieux nain qui les avait rejoint ou la plantureuse demoiselle qui s'était approchée du comptoir.
Aux grands maux les grands remèdes ! Le pandaren dégaina une gourde en argile de la manche de son gilet et fit sauter le bouchon de liège.
- Fabrication maison ! Je crois que l'eau de source vient de Dun Morogh. Viens par ici, Barlaf, viens la goûter ! Elle est faites à base de pacifique. On la sert normalement avant un repas, ou après. Vous allez voir, elle libère l'esprit. Elle vous donne des ailes. Au sens figuré bien sûr. Je n'ai pas encore trouvé la recette pour les vrais ailes, héhé.
Le vieux nain s'approcha de Talhin et Xuandian en tendant sa chope. Vaincu par l'obstination du pandaren à le tirer de sa morosité, le jeune homme accepta lui aussi le breuvage. Une fois qu'il les eut servit, Xuandian agita sa gourde au-dessus de sa langue en penchant la tête pour récupérer les dernières gouttes.
Talhin trempa ses lèvres dans la bière de pacifique et dès la première gorgée, son esprit s’apaisa. Le tourment de son cœur s'empêtra dans la chaleur de l'alcool. Des souvenirs chaleureux refaisaient surface à mesure que son esprit s'embuait. Il resta une partie de la nuit dans la taverne, flanqué du pandaren vagabond et du vieux nain vétéran, écoutant leurs conseils et leurs épopées.
Lorsqu'il se réveilla au petit matin, dans la paille de l'écurie aux côtés de sa jument, seules quelques phrases persistaient dans son esprit. De sages paroles et d'autres, un peu moins censées. Il se sentait le cœur plus léger et comme si cette nuit avait suffit à faire sauter un verrou, il laissa sa peine éclater et pleura à chaudes larmes.
Lorsque Talhin se réveilla, se fut avec un mal de crâne qui lui tint compagnie jusqu'à la fin de la matinée. L'aube pointait à peine le bout de son nez et il eut le loisir de remarquer la présence du commandant dans l'infirmerie, proche de son lit. Il essaya de rassembler ses idées mais il avait du mal à se souvenir des événements de la veille. Le port, un incendie, une anguille, des tonneaux, de l'huile... Il lui fallut faire preuve de bon sens pour écarter l'idée de la grillade estivale.
Oh, il s'en voulait, et c'était peu dire. Il songea un moment à s'excuser auprès du commandant pour se maladresse mais il lui fallut reconnaître que la vieille lionne se passerait volontiers de ses balbutiements et qu'elle n'avait pas besoin d'une recrue faisant la sole à ses pieds après l'évasion presque réussit de l'homme-anguille.
Il ravala sa fierté en même temps qu'il mit sa culpabilité de côté et se glissa hors du lit en saluant sa supérieure qui de toute façon n'allait pas tarder à disparaître pour aller chercher son précieux clairon. Des actes avant les mots, pensa-t-il en regardant la rouquine quitter l'infirmerie. Et il sourit.
05/05/34 - Moins d'un moins après recrutement
- Ne me regarde pas comme ça. Je n'ai pas vraiment le choix.
Talhin renversa sa tête en arrière en poussant un grognement. Il se tenait assit dans les écuries, à côté de sa jument.
Le cheval piétina la terre meuble de sa stalle et secoua sa crinière. Visiblement, elle semblait avoir moins d'intérêt pour les propos du jeune homme que pour la carotte qu'il lui avait donné à déguster deux minutes plus tôt.
- Tu me comprends, non ? reprit Talhin. Nous ne sommes plus à la ferme. C'est différent maintenant.
Pour toute réponse, la jument fouetta l'air avec sa queue pour chasser quelques nuisibles bourdonnant. Talhin était fier de cette bête et il en prenait grand soin. C'était tout ce qu'il lui restait depuis que ses parents avaient été tué par des pillards orcs en maraude et que leur ferme avait été brûlé, un mois plus tôt. Avant d'entrer au service du roi comme son maître, la jument passait ses journées à tirer une charrue ou un chariot plein de marchandises. Elle était robuste même si elle n'avait pas l'élégance des autres chevaux du régiment.
Talhin s'étira et passa une main sur son visage. Il attrapa un brin de paille pour le coincer entre ses dents et croisa ses bras derrière sa tête, pensif. Il jeta un coup d’œil au parchemin vierge qui se trouvait à côté de lui, sur sa gauche, ainsi qu'à l'épais volume pompeusement intitulé Codex des crimes et des délits.
- D'un autre côté, si mes supérieurs m'attrapent...
Il gémit. La décision n'était pas facile. Il hésita un instant à lancer le livre contre la palissade en bois de l'écurie. La jument s'ébroua et tourna son museau vers lui en soufflant par les naseaux. Elle agita ses oreilles d'un côté, puis de l'autre, et reporta mollement son attention sur ce qu'il se passait devant la caserne.
- Tu pourrais m'aider quand même.
Talhin fixait le cheval en mâchonnant son brin de paille, comme s'il s'attendait à ce que l'animal lui réponde. Ce qui n'advint pas. Il laissa finalement retomber ses bras le long de son corps, dépité, et s'empara du parchemin et du codex pour les poser sur ses genoux. Tout en fouillant sous son tabard en quête d'un crayon, il essayait de se convaincre que cette solution était la meilleure. Du moins pour le moment.
- L'autre fois, c'était un coup de chance. Notre devise et l'article 22-bis... Ça ne marchera pas à tous les coups. Au moins, si on m'interroge sur d'autres lois, je saurais répondre.
Il déchira un bout de parchemin, ouvrit le livre et commença à recopier scrupuleusement le numéro et l'intitulé d'une loi. Lorsque ce fut fait, il roula le morceau et le glissa dans son gantelet droit. Il observa le cuir du gantelet un moment, songeur, et réitéra la manœuvre en écrivant directement sur le cuir cette fois.
Il sourit, fier de son idée.
- Je n'aurais qu'à bien les cacher, dit-il en observant ses premières anti-sèches. Aucun risque de me faire prendre avec ça.
13/05/34 - Un mois après recrutement
Il y a ceux pour qui tuer est devenue une routine, pour qui ôter la vie d'un homme est aussi facile que mordre dans le pain. Et puis il y a les autres. Ceux qui ne s'y feront jamais, qui n'en ont pas le courage, et ceux pour qui c'est la première fois. Pour Talhin, cette première fois n'avait pas un goût doux et sucré, elle n'avait pas été grisante et il n'en retirait aucune fierté. Il avait tué un homme et c'était tout ce qu'il retenait. Un violeur récidiviste qui dans un dernier élan de folie en voyant le billot auquel il avait été condamné, s'était précipité sur Kate malgré les chaînes qui lui entravaient les poignets. La guerrière n'avait eu qu'à lever l'épée qu'elle tenait pour que le mastodonte en furie s'empale sur la lame; et Talhin, de voler au secours de sa camarade, s'était jeté dans le dos de l'agresseur pour le rouer de coups avec son arme jusqu'à ce que mort sans suive.
Puis, il y eu une sans-abris, une errante armée d'un fusil qui avait tenté de tirer sur le sergent Stolen. Elle fut tué sur-le-champs par Kate, sous les yeux de Talhin. C'était la troisième exécution à laquelle assistait le jeune homme depuis le début de l'après-midi. Le bûcher n'avait pas désemplit et, alors que le manteau nocturne avait jeté son dévolu sur Hurlevent et ses toits multicolores, une odeur de chair brûlée alourdissait l'air autour de la caserne.
Lorsque Talhin mit fin à son service pour gagner les dortoirs communs, Kate Bonham et le capitaine Stolen mettait fin aux crimes d'un quatrième séditieux par le fil de l'acier. Pour la première fois depuis qu'il s'était engagé dans les rangs de la garde, le jeune homme n'éprouvait ni fierté, ni bonheur. Bien sûr, il ne doutait pas un instant du bien fondé de ces actes, de la justice solide qui ne pliait pas devant les criminels, mais il n'arrivait pas à se débarrasser de la boule qui nouait son estomac. Il avait tué, oui. Ce n'était pas un orc, ni un gnoll, mais un humain. Des humains. Les paroles de Sierra lui revinrent en mémoire : «Il y a des monstres aussi parmi les humains.»
Le reste de la nuit fut difficile. Il eut du mal à trouver le sommeil. Et quand bien même... Il revoyait encore et encore cet homme se jeter sur l'épée de Kate, sa propre épée tâchée de sang et le dos lacéré du criminel. Mais ce qu'il ne s'avait pas, ce qui était peut être bien pire que tout cela, c'est qu'un jour il finirait par ne plus être affecté.
20/06/34 - Deux mois après recrutement
Bientôt deux mois que Talhin s'était engagé à défendre Hurlevent. Deux mois et il s'en était passé des choses depuis son intégration.
Chaque événement, chaque découverte avait permis au jeune homme d'accroître son expérience. Les divers entraînements auxquels il se soumettait commençaient à porter leurs fruits. La balle du fusil atteignait plus souvent son centre, le tranchant de son épée trouvait la faille dans la garde ennemie avec plus de facilité et les rapports étaient écrit avec plus de rapidité et de clarté. Comme l'on forge un rouage pour qu'il s'imbrique parfaitement avec le reste de la mécanique, Talhin se forgeait, évoluait et changeait. Ce n'était rien de spectaculaire et lui-même ne s'en apercevait pas, mais son quotidien se muait en routine; qu'il arrivait encore à égayer de quelques bourdes. Mais pour un homme de sa simplicité, c'était dans la répétition qu'il trouvait le confort.
Sa soif de connaissance ne semblait jamais vouloir se tarir. Il apprenait dès que l'occasion se présentait. Récemment il s'était mit à l’arithmétique, arguant qu'il ne pouvait plus la fuir maintenant qu'il s'impliquait plus sérieusement dans l'intendance. Il n'excellait pas au maniement du fusil qu'il commençait déjà à lorgner sur les arcs et les arbalètes !
Et pourtant ses professeurs pouvaient en témoigner : Talhin n'était pas un rapide à l'apprentissage; mais sa rigueur et sa persévérance faisaient ses forces.
30/06/34 - Trois mois après recrutement
Quatre mois étaient passés depuis que Talhin avait intégré les rangs de la garde de Hurlevent. Quatre mois qu'il avait quitté la forêt d'Elwynn et ses campagnes pour se mêler à l'activité grouillante de la ville. Les champs fertiles avaient fait place aux boulevards pavés, le bruit des sabots foulant les rues avait remplacé le claquement des haches contre les arbres et les effluves de fumier ne pouvaient rivaliser avec la farandole d'odeurs qui pullulaient entre les bâtiments. C'étaient deux mondes différents, séparés par les remparts qui entouraient Hurlevent.
Talhin était plein de ressources ; il s'était adapté rapidement à cette nouvelle vie. Il ne se levait plus avec le chant du coq mais celui du clairon. Le matin, s'il pataugeait toujours dans la boue, ce n'était plus pour semer des choux et rassembler les chèvres mais pour entraîner son endurance et sa coordination avec les autres gardes. Il ne brandissait plus la bêche mais l'épée. Son quotidien était éprouvant mais le jeune homme était né pour s'épuiser à la tâche. Il en retirait même une nette satisfaction, celle du devoir accomplit.
Travailler pour l'intendance l'avait aidé à prendre ses repères plus facilement. Gérer les stocks d'équipements du régiment n'était guère différent de son travail à la ferme avec ses parents lorsqu'ils faisaient l'inventaire des réserves. Les tâches n'étaient pas aussi prestigieuses que celles des services d'enquête et de formation mais s'il y avait bien une chose dont se souciait peu Talhin, c'était le prestige. Du moins cette forme de prestige : il n'avait pas abandonné son rêve de sauver Hurlevent des griffes d'un dragon. Il l'avait même noté sur un bout de parchemin : 1. Tuer un dragon et sauver Hurlevent, 2. Acheter une ferme de tomates et 3. Créer son propre jus de tomate.
Mais cette envie si simpliste cachait une motivation plus profonde. C'étaient les gardes qui lui avaient sauvé la vie, quatre mois plus tôt et il n'abandonnerait pas Hurlevent tant qu'il n'aurait pas remboursé sa dette, même si pour cela il devait servir les quarante années à venir. La ferme pourrait bien attendre. Et puis son temps passé aux côtés du sergent-chef lui avait fait comprendre que les femmes appréciaient nettement plus les hommes âgés.
- Et barbus... pensa Talhin à voix haute en s'observant devant le miroir de sa chambre d'auberge.
19/08/34 - 5 mois après recrutement
- J'ai été promu caporal. Talhin marqua une pause, songeur, et poursuivit. Caporal Flytherson, ça sonne plutôt bien. J'ai un nouvel insigne, forcément. Une double barre. C'est le commandant en personne qui l'a épinglé pour l'occasion, et devant tout le régiment ! Ou presque. Le chef aussi a été promu. Désormais c'est lieutenant Shephard. Je pense que tu l'apprécierais, p'pa.
Le soleil de midi perçait à travers la ramure des chênes et des ormes qui étendaient leurs feuillages au-dessus du cimetière tels d'éternels gardiens du calme. Le mémorial de lordaeron se dressait au fond du décor, implacable; il se dégageait de lui un sentiment d'austérité comme si le sculpteur était parvenu à capturer l'âme des défunts dans son ouvrage, comme si la pierre elle-même était chargée de toute la volonté des humains et qu'elle chuchotait à ceux qui se recueillaient : Nous sommes morts, mais nous n'abandonnerons jamais. Un jour, nous aurons notre honneur. Fouler ces pavés avait toujours eu quelque chose d'étrange. Les morts étaient maîtres de l'endroit, maîtres dans leur inertie. Il était bien difficile d'ignorer ce sentiment de paix auquel se mélangeait la mélancolie, parfois l'angoisse, la tristesse, le soulagement ou la colère. Il était étrange qu'un tel lieu, pourtant mort, parvenait à faire vibrer la vie au travers de ces émotions. Le poète avait raison : c'est face à la mort que l'on se sent le plus vivant.
Talhin était assit dans l'herbe devant deux modestes pierres tombales. Il n'aurait su dire depuis combien de temps il leur faisait face. C'était toujours la même chose lorsqu'il se trouvait ici, il ne comptait pas le temps qui passe. Une fleur blanche trônait dans un vase longiforme en verre. Le jeune homme en apportait une nouvelle dès que l'ancienne perdait de sa superbe. Les pierres tombales étaient propres : pas de mousse grimpante ni de poussière ou de toiles d'araignées.
- Il est un peu comme toi, mais pas vraiment. On dirait plutôt grand-père avec sa manie des moustaches. Je crois qu'il veut que je m'en laisse pousser une. Talhin releva la tête pour observer les branches qui lui faisaient de l'ombre. En fait, il me l'a déjà demandé. Ça lui va plutôt bien à Clayton, il a presque mon âge, mais je préfère attendre. Plus tard. Lorsque j'aurais une ferme et une femme.
Une brise légère effleura l'étendue d'herbe verte et fit frémir le chêne, ramenant Talhin à la contemplation des deux pierres tombales. Le jeune homme était propre et bien mis sur lui, comme on se doit de l'être lorsqu'on visite une cathédrale ou en l'occurrence, de la famille au cimetière. Il portait une chemise à carreaux bleus, le col ouvert puisqu'il n'avait pas attaché les deux derniers boutons, et deux bretelles brunes maintenaient son pantalon en bonne place. Ce dernier n'avait pas été travaillé d'une main d'artiste, il était d'ailleurs plutôt modeste. Talhin avait préféré mettre un peu plus d'argent dans le prix de ses bottes, une paire en cuir clair bordée d'un liseret vert buisson. Il en était fier.
- Il n'y a pas que le lieutenant que vous auriez apprécié. M'man, j'aurais aimé te faire rencontrer Maryl. Un sacré brin de femme comme dirait p'pa ! On dirait qu'elle tire constamment la tronche mais moi je sais qu'au fond, elle sourit. C'est une bonne amie et je suis sûr de pouvoir compter sur elle. Bon, elle s'irrite facilement, mais elle n'est pas méchante. Je me demande à quoi ressemble son père. Elle m'a dit que c'était un vétéran et qu'il avait dû prendre sa retraite à cause d'une blessure à la jambe. Je suis sûr que c'est une brute immense, avec une grosse barbe et une jambe de bois, et des mains capables d'écraser le crâne d'un sanglier. Ce genre là. Hethis et Leosert vont bien. Je les ai vu il n'y a pas longtemps mais ils vont bientôt reprendre la mer.
Talhin continuait de parler. C'était un rituel qu'il répétait fréquemment. Au départ il venait tous les jours devant les tombes de ses parents et puis à mesure que la peine de les avoir perdu si tôt se faisant moins dure, il avait allégé ses visites. Mais il n'y allait pas moins de trois fois par semaine. Il veillait à changer l'eau du vase régulièrement et bien nettoyer les pierres tombales.
Ça n'avait pas été facile pour lui d'accepter cette absence dans sa vie. Mais il s'était découvert un but, rembourser la dette qu'il avait envers Hurlevent comme il le clamait souvent, et le labeur l'avait aidé à surmonter la douleur.
- Vous voyez, vous pouvez être fiers. Notre nom n'a pas disparu et je ne suis pas devenu un mendiant, ni un voleur. Je vais continuer à travailler durement pour protéger la ville et peut être qu'un jour j'aurais remboursé ma dette. Quand ce sera fait, je m'achèterais une ferme et je me lancerais dans la production de jus de tomate. J'ai beaucoup appris en travaillant dans l'intendance, je serais capable de tenir un commerce. J'hésite encore sur le nom mais j'ai déjà le slogan.
Talhin fut interrompu par le son des cloches qui résonnaient au loin. Il poussa un soupire et se releva en frappant son pantalon pour le débarrasser du surplus d'herbes. Il avisa les deux tombes et sourit doucement.
- Je crois que c'est l'heure de vous laisser. Je reviendrais bientôt.
Il hésita un instant puis murmura une prière avant de tourner les talons pour s'engager dans l'allée principale.
30/09/34 - Six mois après recrutement
Caserne de Hurlevent, début de soirée
Talhin était en rang avec les autres gardes dans la grand-salle de la caserne. L'ambiance était pesante, l'atmosphère lourde, le silence presque total. Seul le bâtiment gémissait sous le poids des bottes qui foulaient son plancher et bien que constant, le bruit des chaînes que les prisonniers remuent dans les geôles du sous-sol peinait à parvenir au rez-de-chaussé.
Le commandant faisait face à ses hommes. Alors que le major avait disparu dans les escaliers qui descendaient au sous-sol, le suspens atteignait des sommets. Certains redoutaient le sermon habituel qui précédait le retour aux activités du commandant, d'autres s'étaient fait une idée de la raison d'un tel rassemblement.
C'est alors que la voix de la vieille lionne coupa court aux élucubrations de chacun.
- Que ceux qui ne s'en sentent pas le courage quittent le service.
Aucun murmure n’accueillit cette phrase. Talhin lança un regard à sa droite, puis à sa gauche avant de se pencher vers son voisin, le sémillant sergent MacLane. Ce dernier ne bougea pas d'un pouce. Il écouta sans accorder un regard à son interlocuteur ; car tous ici le savaient – Clayton en tête de liste – mieux valait ne pas contrarier le commandant.
- De quoi parle-t-elle, sergent ? Murmura-t-il.
Pas de réponse. Talhin se redressa et tourna la tête en direction des escaliers alors que le major remontait, flanquée de Khaltée. Cette fois, le doute n'était plus permis. Et pourtant, volontairement drapé dans sa naïveté, Talhin se risqua à poser une nouvelle question à Cornelius.
- On va l'escorter à la prison centrale ?
Le sergent resta silencieux. Un silence qui en disait long, car si il se refusait à répondre au jeune homme, celui-ci pouvait maintenant comprendre aisément de quoi il en retournait. Ils vont l'exécuter... pensa-t-il, alors que son cœur s'emballait.
Sous l'ordre de la vieille lionne il se dirigea comme un pantin articulé à l'extérieur du bâtiment, aux côtés de ses camarades.
Alignés dans la cour, sous un ciel noir d'encre, baignés par la caresse de la lune, le lieutenant Oliver Shephard commença à leur distribuer les fusils. Il s'arrêta devant Talhin, le fixant alors qu'il tendait l'arme à feu. Mais le jeune homme restait immobile. Son esprit était en proie à une bataille et son corps refusait de coopérer.
C'est à cet instant que la voix de Cornelius le tira de sa torpeur. Il lui demandait de quitter le rang. Le ton était sans appel.
C'est alors que Talhin remarqua le fusil tendu vers lui. Un rapide coup d’œil à son voisin de droite et il comprit pourquoi le sergent avait rompu son mutisme. Plutôt que d'entamer la distribution à tous les gardes, Oliver s'était immédiatement dirigé vers Talhin. Une bouffée de colère réchauffa sa poitrine.
Il croisa le regard de celui qu'il avait élevé en mentor. L'homme en qui il avait placé sa confiance. Un homme qu'il respectait et qui avait son admiration. Alors c'est ainsi ? songea-t-il, amer.
Leur relation s'était envenimée depuis le début de cette affaire. Le piédestal sur lequel il avait placé Oliver avait commencé à s'effriter, une semaine plutôt, lorsque le lieutenant l'avait accusé de prendre la défense de la traîtresse Raven pour les galbes de son corps. Et puis il s'était acharné à vouloir sa mort, plus que de raison selon le jeune homme. Dès lors Talhin avait commencé à cultiver une certaine rancœur à l'égard de son supérieur. Et maintenant, il lui faisait face, le fusil tendu. Il l'avait choisit lui avant tout autre. Il savait que Talhin ne supportait pas la décision de la cour martiale. Il savait qu'il ne pourrait pas mettre la main sur cette arme.
Ses pensées se bousculèrent dans son esprit.
- Espèce de... fut tout ce qu'il parvint à articuler alors qu'il tenta de se jeter sur Oliver.
La poigne de Cornelius se referma aussitôt sur son bras comme un étau.
- Une rébellion ?! vociféra le lieutenant.
Talhin tourna la tête vers Cornelius. Le quarantenaire avait le visage fermé. Son regard était froid, plus sombre que Talhin ne l'avait jamais vu. Ses traits ne dégageaient rien de sa bonhomie habituelle. Il arborait un masque.
Le ton monta entre les deux officiers. C'est à ce moment que le capitaine Stolen quitta la caserne et s'approcha de la troupe d'un pas lourd et vif. Il arracha Talhin du rang en le tirant par le bras, l'air contrarié. Lui qui n'avait pas voulu prendre part à cette histoire se voyait contraint de gérer les petites querelles de ses subordonnées. Ils n'avaient pas besoin de ça, surtout en ce moment.
C'est ce qu'il essaya de faire comprendre à Talhin en quelques mots. Mais le jeune homme n'écoutait plus. Face au trouble que dépeignait son visage, Karven le laissa retourner à l'intérieur du bâtiment d'un geste mou. Il n'avait pas le temps pour un tel sentimentalisme, pas ce soir. Ils avaient une lourde tâche à accomplir. Et qu'importe ce que pouvait penser le caporal Flytherson, ni lui ni le commandant ne prenaient plaisir à cela.
Talhin entra dans la caserne et se dirigea vers les vestiaires. Il passa la porte et s'appuya contre un casier, prit de vertiges. Jusqu'au bout il avait été persuadé que le commandant reviendrait sur sa décision. Il pensait que la sentence ne serait qu'une mise en scène pour faire réfléchir Khaltée et la mettre face à son erreur. Il ne comprenait pas et c'était cette incompréhension qui était la source de ses maux.
Lorsqu'il avait entendu pour la première fois le major Ventis dire qu'un officier ou sous-officier devait se porter volontaire pour défendre Khaltée, Talhin avait hésité. A ce moment, il n'était pas sûr de vouloir l'aider. Après tout elle avait trahit son serment, un serment auquel le jeune homme attachait une grande importance. Mais c'était aussi son devoir que de conserver une certaine neutralité : à l'état-major la décision d'une sentence, Talhin n'était pas là pour juger. Il était l'outil, pas la main.
Le temps était passé sans que personne ne se porte volontaire. Lorsqu'il entendait ses camarades parler de Khaltée c'était en des termes peu élogieux. Beaucoup éprouvaient de la rancœur à son égard et pour tous le verdict était sans appel : elle devait passer par les pics ou la corde. Selon Talhin, ce n'était pas juste. Non pas qu'il voulait l'exempter de toute punition, mais il avait bien du mal à concevoir le déroulement d'un procès équitable si le défenseur de l'accusée lui-même voulait sa mort.
C'est ainsi que le devoir prit le pas sur l'hésitation. Il avait décidé de défendre Khaltée afin qu'elle ait droit à un jugement aussi droit que possible en mettant de côté ses à priori. Ainsi, les valeurs en lesquels il croyait ne seraient pas bafouées.
Talhin déambula dans la pièce jusqu'à faire face à son casier. Il posa son front contre le métal froid de la porte.
Il avait échoué. Sa défense, pathétique, construite sur un sentimentalisme qui n'avait pas lieu d'être en cour martiale, n'avait pas tenue le choc face à la pugnacité du lieutenant Shephard. Khaltée ne l'avait pas non plus aidé alors qu'elle avait vanté les mérites de La Clef en plein procès, s'attirant les foudres de l'état-major et nourrissant la machine de guerre de Oliver.
Mais Talhin n'était pas de ceux qui abandonnaient facilement. Bien qu'atterré par la décision de la cour martiale, il avait continué de rendre visite à Khaltée. Il allait la voir régulièrement, jusqu'à une fois par jour. Il était persuadé, au fond de lui, qu'il pouvait lui ouvrir les yeux. Il savait en son fort intérieur qu'elle n'était qu'un pantin, un pion manipulé par la criminelle La Clef ; un pion qui s'était laissé abusé par de belles paroles.
Et puis il y était parvenu, avec l'aide de Cornelius. Il ne savait pas ce que le sergent lui avait raconté mais à eux deux ils avaient réussi. Ils avaient balayé l'emprise de La Clef sur son esprit. Il avait été fier, et heureux, de lire les deux lettres rédigées par Khaltée.
C'est ainsi que Talhin avait franchit une ligne dangereuse. Celle de la neutralité. Il avait commencé à éprouver de la sympathie pour celle qui un mois plus tôt était encore l'une des leurs. Il ne l'appréciait pas autant qu'il appréciait Maryl mais suffisamment pour ne pas avoir envie de la voir morte. Il agissait en humain avant d'agir en garde, la main sur le cœur plutôt que sur l'épais codex qui garantissait la paix de Hurlevent. Une erreur qui, s'il l'avait évité, l'aurait privé de bien des troubles qui l'agitaient en cet instant.
Soudain, le fil de ses pensées fut interrompu par le bruit de coups de feu. La salve de détonations se répercuta en écho dans le quartier. Le son résonnait aux oreilles de Talhin, à peine étouffé par les murs de la caserne. Le jeune homme fut prit d'un hoquet et écrasa violemment son poing contre la porte de son casier. Il ferma les yeux en essayant de se concentrer pour ne pas imaginer la scène qui venait de se dérouler à l'extérieur. Il ravala avec peine ses larmes.
Il avait échoué. Pire encore, il avait offert de l'espoir à une condamnée à mort. Il se revoyait encore face à sa cellule, la motivant à ne pas perdre espoir car lui, Talhin Flytherson, réussirait à convaincre le commandant. Elle y avait cru. Lui aussi.
Il aurait aimé pouvoir remonter le temps. Il aurait aimé mieux construire sa défense face à l'état-major et trouver les bons mots, plus tôt, pour lui ouvrir les yeux.
Mais c'était trop tard. Elle était morte. Elle n'avait prit aucune vie et pourtant, ils avaient décidé de prendre la sienne. Et pour couronner le tout, certains voyaient en lui un garçon naïf qui s'était laissé abusé par les charmes d'une traîtresse ; voilà tout ce qu'ils retenaient de son travail. Le caporal eut un nouveau hoquet. Un sentiment d'injustice nouait ses entrailles.
Il se laissa tomber sur une chaise. Le dos voûté, la tête baissée et les avant-bras appuyés sur ses genoux, il faisait peine à voir. C'est à ce moment que la voix du major Ventis retentit de derrière la porte des vestiaires.
- Flytherson ? Je peux entrer ?
*
* *
* *
Taverne du quartier nain, minuit
- C'est pas de bêtes ingrédients qu'on mélange, pour dire. Mais l'essence même des esprits qui les animent.
Le pandaren agitait ses mains en même temps qu'il parlait, comme le font les passionnés. Il se dégageait de sa robuste silhouette une forte odeur d'alcool. La discussion s'était enflammée depuis qu'il avait abordé le chapitre des bières, cette boisson si chère aux yeux de son peuple.
- Chaque chose à un esprit. L'eau, le feu, le vent, la terre, et tout ce qui y vit.
Il releva un peu le bord de son chapeau tressé de bambou et balaya le comptoir de son regard doré pour s'assurer que son public suivait bien ses explications. Il remarqua alors que le jeune humain à côté s'était de nouveau perdu dans ses pensées. Il empoigna sa bière et lui donna une tape dans le dos pour le rappeler à la réalité.
- La bière est l'union ultime de tout ça, gamin ! Le breuvage céleste et parfait !
Mais la voix du pandaren avait bien du mal à atteindre Talhin. Le rouquin était accoudé au comptoir, tête baissé, ailleurs. Le regard ancré dans les remous de sa bière, il ressassait les événements de la soirée. Tout autour de lui n'était qu'un brouhaha de voix informes. Le temps semblait comme suspendu, plié face aux tourments du jeune homme. Et rien n'arrivait à éloigner Talhin de sa morosité, pas même la bonhomie de Xuandian et son discours sur les bières, ni ce vieux nain qui les avait rejoint ou la plantureuse demoiselle qui s'était approchée du comptoir.
Aux grands maux les grands remèdes ! Le pandaren dégaina une gourde en argile de la manche de son gilet et fit sauter le bouchon de liège.
- Fabrication maison ! Je crois que l'eau de source vient de Dun Morogh. Viens par ici, Barlaf, viens la goûter ! Elle est faites à base de pacifique. On la sert normalement avant un repas, ou après. Vous allez voir, elle libère l'esprit. Elle vous donne des ailes. Au sens figuré bien sûr. Je n'ai pas encore trouvé la recette pour les vrais ailes, héhé.
Le vieux nain s'approcha de Talhin et Xuandian en tendant sa chope. Vaincu par l'obstination du pandaren à le tirer de sa morosité, le jeune homme accepta lui aussi le breuvage. Une fois qu'il les eut servit, Xuandian agita sa gourde au-dessus de sa langue en penchant la tête pour récupérer les dernières gouttes.
Talhin trempa ses lèvres dans la bière de pacifique et dès la première gorgée, son esprit s’apaisa. Le tourment de son cœur s'empêtra dans la chaleur de l'alcool. Des souvenirs chaleureux refaisaient surface à mesure que son esprit s'embuait. Il resta une partie de la nuit dans la taverne, flanqué du pandaren vagabond et du vieux nain vétéran, écoutant leurs conseils et leurs épopées.
Lorsqu'il se réveilla au petit matin, dans la paille de l'écurie aux côtés de sa jument, seules quelques phrases persistaient dans son esprit. De sages paroles et d'autres, un peu moins censées. Il se sentait le cœur plus léger et comme si cette nuit avait suffit à faire sauter un verrou, il laissa sa peine éclater et pleura à chaudes larmes.
« - Vous ne tuez jamais ? Même les orcs ? Pourtant ce sont des monstres !
- Oui, mais nous vallons mieux qu'eux. N'oublie jamais ça. »
- Oui, mais nous vallons mieux qu'eux. N'oublie jamais ça. »
« T'as la tête du gars qui a mit ses tripes dans la balance. Et ça, ça compte. »
« Boaf, gamin. Tu verras quand tu auras cent-vingt ans ! »
« Inexpérimenté, voilà tout. Je pourrais te montrer deux-trois choses, si tu veux.»
Invité- Invité
Re: Bribes de vie
De Talhin Flytherson,
A la Caserne de la Garde de Hurlevent, 1 Place des Armes, HurleventLundi 3 novembre de l'an 34,
A toute la caserne, bonjour !
D'accord, ce n'est pas la meilleure phrase d'accroche, c'est même plutôt protocolaire, mais j'ai beaucoup hésité sur comment débuter cette lettre et Zoemi m'a conseillé de faire simple. Je voulais au départ tous vous saluer un par un mais ça prenait trop de place et ici l'utilisation des parchemins est normalement limitée aux rapports.
Je profite de devoir rester sous la tente des blessés pour écrire cette lettre. On a tenté de reprendre les ruines de Rempart-du-Néant. Je crois que c'est la sixième tentative depuis le début de l'invasion. Les orcs bruns n'ont pas voulu les céder facilement et j'ai été blessé durant l'assaut. Ne vous inquiétez pas, ce n'est rien de grave. La gnome qui est à la tête des soins - j'oublie son nom à chaque fois, un truc avec boulon je crois, de toute façon ici tout le monde l'appelle Soudure - m'a déjà donné plusieurs potions. Je devrais pouvoir repartir au combat d'ici demain. Elle vous plairait, sergent Lestepattes. Elle n'arrête pas de surveiller ses stocks de bandages et les compte méticuleusement. Je l'ai même surprise à piocher dans un sachet de noisettes entre deux interventions.
J'espère que tout le monde va bien à Hurlevent. La ville est plus calme ? Et à la caserne ? Pour être honnête, le son du clairon à l'aube me manque. Ici, la seule musique qui résonne est le fracas de nos canons et celui des boulets ennemis. Le front est stable : nous contenons les envahisseurs et ils n'arrivent pas à prendre le dessus. On devrait pouvoir tenir jusqu'à l'arrivée de l'armée.
Commandant, vous serez sûrement contente de savoir que monsieur Kelbourg est passé un soir à la tête-de-pont. Je ne sais plus trop quand. Il était venu marchander ses armes. En tout cas il se portait bien et il a pu repartir sans être blessé.
J'ai oublié de vous le dire avant de partir mais il y a une bouteille de whisky gilnéen dans mon casier. Je l'avais gagné à un jeu de hasard - je ne sais pas si c'est judicieux de préciser ça - mais je ne la boirais sûrement jamais, je n'aime pas ça, alors je vous l'offre. Vous pourrez la partager avec le capitaine ! Ou qui vous plaira en fait puisqu'elle est à vous maintenant.
Lieutenant Shephard, vous serez sûrement content de savoir que certains soldats se sont moqués de monsieur Kelbourg.
Je me demande s'il y a eu beaucoup de nouvelles candidatures depuis ma réaffectation et surtout combien ont réussit à passer l'entretien avec vous. Votre entraînement au fusil m'a sauvé la mise plus d'une fois et même si la marine privilégie l'arbalète, les gars sont plutôt contents des conseils que je leur donne en votre nom.
Capitaine Stolen, vos astuces sur les ogres m'ont été très utiles ! J'en ai affronté à plusieurs reprises. Viser le ventre et sous le pagne, riche idée ! L'Institut Ebonlocke partage avec nous la vie du camp mais je n'ai pas eu de nouvelles de mademoiselle Alrun. J'espère qu'elle va bien et que vous aussi.
Sergent MacLane, je passe beaucoup de temps avec votre nièce. Enfin, pas dans le sens où vous l'imaginez, hein. Sérieusement, je ne l'ai pas touché d'un pouce, sauf pour l'aider à se relever en plein combat. Zoemi va bien. Vous seriez fier d'elle car plus d'un orc a goûté à ses sorts. Même les ogres ! Elle en a transformé certains en cochon et d'autres en mouton. Je veille sur elle aussi souvent que possible. J'ai l'impression que plus elle passe de temps sur ce champ de bataille et plus elle devient forte. En parlant de trucs forts, il doit me rester du saucisson aux épices dans mon casier. Prenez le.
Je me demande si vous vous êtes enfin décidé à prendre la tête du service d'instruction. Je crois que ça fait un moment que ça vous démange. Ah et bon courage pour vos mots croisés !
Maryl, je vais certainement avoir droit à une taloche pour ça mais tu me manques. La vie militaire est différente sans toi. Ils n'ont pas de Maryl dans la marine. Tu vas rire mais je me suis fait capturer le deuxième jour après être arrivé aux Terres Foudroyées. C'est dingue comme on repense à certains trucs quant on est dans une cage. Je m'étais demandé ce que tu ferais à ma place alors j'ai traité le surveillant orc de con. Heureusement qu'ils ne comprennent pas notre langue. Sans Zoemi, Xuandian et Cathlin - une nouvelle amie un peu comme toi mais pas trop non plus, je crois qu'elle est dépressive - mon unité et moi n'aurions pas pu nous en sortir. Ce sont eux qui sont venus nous libérer. Comme quoi, on peut avoir de la chance même en étant enfoncé dans la merde jusqu'au cou !
J'espère que tu vas bien. Paline doit être contente avec toi. J'ai beaucoup de choses à te raconter mais je commence à manquer de parchemin. Il y a des rumeurs selon lesquelles l'armée serait bientôt prête à nous rejoindre. Peut être que tout sera bientôt terminé et avec un peu de chance je serais de retour avant la fin du mois.
Je dois vous laisser. C'est difficile de trouver un peu de calme avec le tumulte des combats. Je fais partie des soldats les moins blessés sous cette tente, je ferais mieux de retourner surveiller les autres. Je dois rester sur mes gardes à tout moment : des éclaireurs ennemis essaient d'infiltrer le camp plusieurs fois par jour.
Je suis certain qu'on se reverra bientôt. On viendra à bout de ces maudits orcs et peut être même que le Brise-Ciel détruira ce fichu portail des ténèbres une bonne fois pour toutes !
Portez vous bien, tous. Je pense à vous.
Garde ou crève !
Invité- Invité
Re: Bribes de vie
Terres Foudroyées, l'assaut.
Terres Foudroyées, quelques heures plus tard.
Le vacarme des canons accompagnait la progression des soldats. L'armée de l'Alliance et celle de la Horde montaient à l'assaut de la Porte des Ténèbres à l'unisson. Des nuages noirs s'accumulaient au-dessus du champs de bataille. Ils semblaient prêt à cracher une pluie de cendres, roulant et se tortillant dans un ciel déchiré par la tourmente. Il n'y avait ni lune ni étoiles. Un vent sec soufflait sur les rares arbres calcinés qui dressaient leurs branches déformés vers le ciel embrasé.
La vague bleue et or à l'écume rouge avalait les collines ocres, infaillible malgré les ravages des engins de siège ennemi; comme si l'océan lui-même, chargé du sang des innombrables valeureux tombés au combat, venait réclamer justice.
C'est au milieu de ce tumulte que combattait Talhin Flytherson. Cela faisait un mois qu'il bataillait dans les Terres Foudroyées mais c'était la première fois qu'il se retrouvait mêlé à un assaut d'une telle envergure. Quelques mois plus tôt il lui aurait été impensable de faire front aux côtés de peuplades aux origines si variées. Et que dire des orcs, des trolls et des taurens ? Il aurait refusé de combattre avec eux si la nécessité et sa peur de la Horde de Fer n'avaient pas été plus forte que la crainte et la colère qu'il éprouvait envers la Horde.
Khadgar, Thrall et Maraad menaient l'assaut. Talhin ne connaissait pas leurs visages bien qu'il ait aperçu quelques fois l'imposante silhouette du redresseur de tort draeneï. Plusieurs rangées de combattants les séparaient du jeune homme et le tumulte des combats l'empêchait de distinguer leurs voix qui, heureusement, étaient reliées par les officiers lorsqu'ils donnaient des ordres. De nombreux aventuriers, d'horizons différents, se mêlaient aux deux armées.
Soudain, un ogre arracha le visage d'un soldat voisin de Talhin d'un coup de masse, rappelant brusquement au jeune homme qu'il n'avait pas le temps de penser plus loin que le fil de son épée. L'ogre arborait des tatouages claniques sur sa peau grise et d'énormes bagues entouraient ses doigts potelés. Plusieurs flèches s'étaient enfoncées dans sa chair grasse - dont il avait brisé lui même la hampe pour certaines - mais il continuait de se battre avec fureur.
Talhin roula sur le côté pour éviter un coup de masse. L'ogre hurla alors qu'un peu de sang suintait d'une plaie à son crâne, à quelques centimètres de la corne qui sortait du sommet de sa tête, et souleva un soldat en l'attrapant par son tabard. Un rictus mauvais déforma ses lèvres lorsque la peur voila le regard de sa victime. Il cracha quelques mots en postillonnant au visage de l'humain et leva sa masse.
Talhin se précipita vers lui accompagné d'une sentinelle elfe, mais tous deux n'eurent pas l'occasion de s'en prendre à l'ogre. Au moment où celui-ci fit mine de frapper le soldat, un éclair dorée déchira le ciel et s'abattit sur lui, le tuant sur le coup. Le druide tauren qui venait de sauver le soldat l'aida à se relever.
Au même moment un orc percuta Talhin avant d'être écarté par la sentinelle. L'ancien caporal ramassa son épée et barra la route d'un autre orc qui venait soutenir le premier contre l'elfe. En quelques passes d'arme l'affrontement était terminé et le mag'har gisait dans la poussière. Il en allait de même pour la sentinelle et son adversaire.
Le ciel grondait. La bataille faisait rage dans les Terres Foudroyées et les forces d'Azeroth avançaient lentement mais inexorablement vers leur objectif. Le sang des combattants imprégnait la terre ocre et les soldats étaient parfois obligés d'enjamber les cadavres de leurs camarades.
Talhin progressait au milieu des rangs ennemis, l'épée à la main. Il acheva un autre orc et leva la tête pour apercevoir le cratère dans lequel se dressait la Porte des Ténèbres. Encore quelques centaines de mètres et la victoire serait à eux.
Une légère brise caressa son visage tâché de sang et de sueur. Quelques mèches rousses étaient collées à son front. Il ne put s'empêcher de sourire, haletant. Bientôt. Bientôt cette bataille sera derrière lui et il sera de nouveau à Hurlevent entrain de patrouiller dans les rues.
Une vague de chaleur envahit son corps à cette simple pensée et il brandit son épée en poussant des cris d'encouragement pour ses camarades. C'était clair, désormais. La victoire était à eux. Il ne pouvait en être autrement.
Tout à coup, un énorme poing s'écrasa contre son visage. Il chancela. Un orc avait profité de son soudain regain d'enthousiasme pour se frayer un chemin jusqu'à lui. Talhin bloqua la hache qui arrivait vers son visage avec son épée mais ne pu rien faire lorsqu'une seconde vint déchirer son armure pour mordre son flanc. Il grogna de douleur alors qu'un flot acide chatouillait sa langue. La poigne épaisse de l'orc se referma sur sa gorge et Talhin sentit le souffle chaud de la brute s'écraser contre son visage. Il essaya de le frapper avec son épée mais l'orc avait l'avantage et le désarma en lui brisant le poignet. Cette fois Talhin hurla de douleur.
Son regard croisa celui de l'orc. Il pu lire dans ses yeux la même détermination que la sienne. Lui aussi voulait vaincre et si la Horde de Fer devait perdre, il était décidé à emmener autant de morpions comme cet humain avec lui dans la mort. Il était né pour se battre et il mourrait l'arme à la main. Mais avant que cela n'arrive il devait se débarrasser de celui-ci.
Talhin sentit la peur nouer son estomac. Il essaya de se débattre mais l'orc lui asséna un brusque coup de tête. Il toussa. Il commençait à manquer d'air.
L'orc referma son autre main sur le col de son tabard et il sentit ses doigts crasseux et abîmés sur les plaques militaires qui pendaient autour de son cou. Avec toute l'énergie du désespoir Talhin tenta de se dégager de la prise de son ennemi, en vain. Du sang s'écoulait de la plaie à son flanc et il sentait quelques gouttes perler sur son front. L'orc le frappa à nouveau, lui arrachant une autre quinte de toux. Cette fois la salive était teintée de rouge carmin.
Je vais... Ses pensées s'affolaient dans son esprit. Sa vue se brouilla. Il n'arrivait même plus à déglutir.
L'orc leva sa hache. Soudain, un sifflement s'éleva dans les airs et une ombre grandissante les recouvrit tous les deux quelques secondes avant qu'un boulet de canon ne s'écrase avec fracas sur leur position, masquant un instant la vue des autres combattants qui les entouraient en soulevant un nuage de poussière et des morceaux de chair.
La vague bleue et or à l'écume rouge avalait les collines ocres, infaillible malgré les ravages des engins de siège ennemi; comme si l'océan lui-même, chargé du sang des innombrables valeureux tombés au combat, venait réclamer justice.
C'est au milieu de ce tumulte que combattait Talhin Flytherson. Cela faisait un mois qu'il bataillait dans les Terres Foudroyées mais c'était la première fois qu'il se retrouvait mêlé à un assaut d'une telle envergure. Quelques mois plus tôt il lui aurait été impensable de faire front aux côtés de peuplades aux origines si variées. Et que dire des orcs, des trolls et des taurens ? Il aurait refusé de combattre avec eux si la nécessité et sa peur de la Horde de Fer n'avaient pas été plus forte que la crainte et la colère qu'il éprouvait envers la Horde.
Khadgar, Thrall et Maraad menaient l'assaut. Talhin ne connaissait pas leurs visages bien qu'il ait aperçu quelques fois l'imposante silhouette du redresseur de tort draeneï. Plusieurs rangées de combattants les séparaient du jeune homme et le tumulte des combats l'empêchait de distinguer leurs voix qui, heureusement, étaient reliées par les officiers lorsqu'ils donnaient des ordres. De nombreux aventuriers, d'horizons différents, se mêlaient aux deux armées.
Soudain, un ogre arracha le visage d'un soldat voisin de Talhin d'un coup de masse, rappelant brusquement au jeune homme qu'il n'avait pas le temps de penser plus loin que le fil de son épée. L'ogre arborait des tatouages claniques sur sa peau grise et d'énormes bagues entouraient ses doigts potelés. Plusieurs flèches s'étaient enfoncées dans sa chair grasse - dont il avait brisé lui même la hampe pour certaines - mais il continuait de se battre avec fureur.
Talhin roula sur le côté pour éviter un coup de masse. L'ogre hurla alors qu'un peu de sang suintait d'une plaie à son crâne, à quelques centimètres de la corne qui sortait du sommet de sa tête, et souleva un soldat en l'attrapant par son tabard. Un rictus mauvais déforma ses lèvres lorsque la peur voila le regard de sa victime. Il cracha quelques mots en postillonnant au visage de l'humain et leva sa masse.
Talhin se précipita vers lui accompagné d'une sentinelle elfe, mais tous deux n'eurent pas l'occasion de s'en prendre à l'ogre. Au moment où celui-ci fit mine de frapper le soldat, un éclair dorée déchira le ciel et s'abattit sur lui, le tuant sur le coup. Le druide tauren qui venait de sauver le soldat l'aida à se relever.
Au même moment un orc percuta Talhin avant d'être écarté par la sentinelle. L'ancien caporal ramassa son épée et barra la route d'un autre orc qui venait soutenir le premier contre l'elfe. En quelques passes d'arme l'affrontement était terminé et le mag'har gisait dans la poussière. Il en allait de même pour la sentinelle et son adversaire.
Le ciel grondait. La bataille faisait rage dans les Terres Foudroyées et les forces d'Azeroth avançaient lentement mais inexorablement vers leur objectif. Le sang des combattants imprégnait la terre ocre et les soldats étaient parfois obligés d'enjamber les cadavres de leurs camarades.
Talhin progressait au milieu des rangs ennemis, l'épée à la main. Il acheva un autre orc et leva la tête pour apercevoir le cratère dans lequel se dressait la Porte des Ténèbres. Encore quelques centaines de mètres et la victoire serait à eux.
Une légère brise caressa son visage tâché de sang et de sueur. Quelques mèches rousses étaient collées à son front. Il ne put s'empêcher de sourire, haletant. Bientôt. Bientôt cette bataille sera derrière lui et il sera de nouveau à Hurlevent entrain de patrouiller dans les rues.
Une vague de chaleur envahit son corps à cette simple pensée et il brandit son épée en poussant des cris d'encouragement pour ses camarades. C'était clair, désormais. La victoire était à eux. Il ne pouvait en être autrement.
Tout à coup, un énorme poing s'écrasa contre son visage. Il chancela. Un orc avait profité de son soudain regain d'enthousiasme pour se frayer un chemin jusqu'à lui. Talhin bloqua la hache qui arrivait vers son visage avec son épée mais ne pu rien faire lorsqu'une seconde vint déchirer son armure pour mordre son flanc. Il grogna de douleur alors qu'un flot acide chatouillait sa langue. La poigne épaisse de l'orc se referma sur sa gorge et Talhin sentit le souffle chaud de la brute s'écraser contre son visage. Il essaya de le frapper avec son épée mais l'orc avait l'avantage et le désarma en lui brisant le poignet. Cette fois Talhin hurla de douleur.
Son regard croisa celui de l'orc. Il pu lire dans ses yeux la même détermination que la sienne. Lui aussi voulait vaincre et si la Horde de Fer devait perdre, il était décidé à emmener autant de morpions comme cet humain avec lui dans la mort. Il était né pour se battre et il mourrait l'arme à la main. Mais avant que cela n'arrive il devait se débarrasser de celui-ci.
Talhin sentit la peur nouer son estomac. Il essaya de se débattre mais l'orc lui asséna un brusque coup de tête. Il toussa. Il commençait à manquer d'air.
L'orc referma son autre main sur le col de son tabard et il sentit ses doigts crasseux et abîmés sur les plaques militaires qui pendaient autour de son cou. Avec toute l'énergie du désespoir Talhin tenta de se dégager de la prise de son ennemi, en vain. Du sang s'écoulait de la plaie à son flanc et il sentait quelques gouttes perler sur son front. L'orc le frappa à nouveau, lui arrachant une autre quinte de toux. Cette fois la salive était teintée de rouge carmin.
Je vais... Ses pensées s'affolaient dans son esprit. Sa vue se brouilla. Il n'arrivait même plus à déglutir.
L'orc leva sa hache. Soudain, un sifflement s'éleva dans les airs et une ombre grandissante les recouvrit tous les deux quelques secondes avant qu'un boulet de canon ne s'écrase avec fracas sur leur position, masquant un instant la vue des autres combattants qui les entouraient en soulevant un nuage de poussière et des morceaux de chair.
*
* *
* *
Terres Foudroyées, quelques heures plus tard.
- D'autres blessés, Chester ? Combien ? demanda l'infirmier, laconique.
- Plus de morts que de blessés.
- Ils ont échoué ?
Dahle se détourna un instant de la paillasse d'un soldat mourant pour croiser le regard du sous-officier Chester. Il ne pouvait envisager une réponse négative. Si les deux armées combinées n'avaient pas pu traverser la Porte des Ténèbres alors rien ne pouvait plus les sauver et Hurlevent tomberait.
La fatigue se lisait sur le visage de son interlocuteur. Il secoua la tête négativement.
- Ils sont de l'autre côté, répondit Chester. Il ne reste plus qu'à attendre.
- Beaucoup de morts ?
- Trop. Il y a toujours trop de morts, répondit le sous-officier en poussant un soupire, les mots peinant à s'échapper de sa bouche pâteuse. Il lui semblait sentir sur sa langue le goût de la poussière ocre des Terres Foudroyées à chaque fois qu'il déglutissait. C'était désagréable, mais pas autant que ce sentiment d'impuissance qui l'envahissait. Lui et beaucoup d'autres avaient été laissé sur Azeroth pour sécuriser la Porte des Ténèbres. Il n'avait pourtant pas discuté les ordres ni même pensé à le faire. Peut être était-ce mieux ainsi; en suivant cet ordre il laissait ses doutes de côté. Une part de lui était soulagée.
- Ce n'est pas une réponse, Chester. Combien ?
- On a pas terminé le compte. Harry et son unité s'en occupent.
L'infirmier prit le parchemin que lui tendait Chester et le consulta. La liste était longue. Herl Eorn, Rangan Greve, Oser Yrus, Pear Drake, Dallan Tusert, Talhin Flytherson, Atais Losen, Runte Lomote, Nath Daon, Erold Brem... Dahle continua d'observer la liste plusieurs minutes. Il y avait une trentaine de noms, à vue d’œil, et Harry devait en ramener d'autres. Il soupira à son tour et releva les yeux pour croiser le regard du sous-officier. Il était épuisé. Vidé.
- Va te reposer, Brand.
- Je... Ce n'est pas encore terminé, bafouilla l'homme.
- Hé, coupa Dahle. Va te reposer. Ils sont bien assez pour continuer. Ils peuvent se passer de toi une demi-heure.
Brand Chester hocha mollement la tête et se dirigea vers une paillasse de fortune installée à côté d'une tente. L'infirmier regarda une dernière fois la liste qu'il tenait dans sa main. Il cru entendre l'espace d'un instant, alors que le tonnerre grondait au-dessus de leurs têtes, les pleurs lointains des familles qui ne reverraient plus jamais ceux qui étaient tombés au combat.
- Plus de morts que de blessés.
- Ils ont échoué ?
Dahle se détourna un instant de la paillasse d'un soldat mourant pour croiser le regard du sous-officier Chester. Il ne pouvait envisager une réponse négative. Si les deux armées combinées n'avaient pas pu traverser la Porte des Ténèbres alors rien ne pouvait plus les sauver et Hurlevent tomberait.
La fatigue se lisait sur le visage de son interlocuteur. Il secoua la tête négativement.
- Ils sont de l'autre côté, répondit Chester. Il ne reste plus qu'à attendre.
- Beaucoup de morts ?
- Trop. Il y a toujours trop de morts, répondit le sous-officier en poussant un soupire, les mots peinant à s'échapper de sa bouche pâteuse. Il lui semblait sentir sur sa langue le goût de la poussière ocre des Terres Foudroyées à chaque fois qu'il déglutissait. C'était désagréable, mais pas autant que ce sentiment d'impuissance qui l'envahissait. Lui et beaucoup d'autres avaient été laissé sur Azeroth pour sécuriser la Porte des Ténèbres. Il n'avait pourtant pas discuté les ordres ni même pensé à le faire. Peut être était-ce mieux ainsi; en suivant cet ordre il laissait ses doutes de côté. Une part de lui était soulagée.
- Ce n'est pas une réponse, Chester. Combien ?
- On a pas terminé le compte. Harry et son unité s'en occupent.
L'infirmier prit le parchemin que lui tendait Chester et le consulta. La liste était longue. Herl Eorn, Rangan Greve, Oser Yrus, Pear Drake, Dallan Tusert, Talhin Flytherson, Atais Losen, Runte Lomote, Nath Daon, Erold Brem... Dahle continua d'observer la liste plusieurs minutes. Il y avait une trentaine de noms, à vue d’œil, et Harry devait en ramener d'autres. Il soupira à son tour et releva les yeux pour croiser le regard du sous-officier. Il était épuisé. Vidé.
- Va te reposer, Brand.
- Je... Ce n'est pas encore terminé, bafouilla l'homme.
- Hé, coupa Dahle. Va te reposer. Ils sont bien assez pour continuer. Ils peuvent se passer de toi une demi-heure.
Brand Chester hocha mollement la tête et se dirigea vers une paillasse de fortune installée à côté d'une tente. L'infirmier regarda une dernière fois la liste qu'il tenait dans sa main. Il cru entendre l'espace d'un instant, alors que le tonnerre grondait au-dessus de leurs têtes, les pleurs lointains des familles qui ne reverraient plus jamais ceux qui étaient tombés au combat.
Invité- Invité
Re: Bribes de vie
29 novembre de l'an 34 - Mine de la Masse-sanglante, Crête de Givrefeu.
- Répète le une nouvelle fois, Grobok.
Kor'esh se tenait assis sur un imposant fauteuil de pierre. Il était vêtu d'une toge pourpre bordée d'un liseré doré, maintenue attachée à hauteur de son épaule gauche par une broche ronde en métal, laquelle était décorée d'un poing de bronze fermé zébré d'un éclair. Les doigts potelés de l'ogre esclavagiste pianotaient mollement sur la surface dur de l'accoudoir en pierre. Kor'esh observait son interlocuteur sous sa capuche.
Grobok était face à lui, un genou à terre. Il pressait dans sa main droite son moignon de poignet couvert de bandages ensanglantés. Il était plus massif et moins gras que Kor'esh mais le sang-froid et l'aura de suffisance que dégageait l'ogre en toge suffisaient à lui faire baisser l’œil. Un simple claquement de doigts de l'esclavagiste serait suffisant pour qu'il soit jeté en pâture aux vers de lave.
- Il y a eu une révolte, maître. Des esclaves se sont échappés.
- Combien ?
Cette nonchalance n'était qu'une façade. Kor'esh était furieux. Si le quota de minerais faiblissait, il devrait rendre des comptes au seigneur de guerre rochenoir. Même si la mine ne désemplissait pas avec les arrivages fréquents de nouveaux esclaves, il n'aimait pas que des races inférieures se jouent de lui.
- Ils ont profité du chaos engendré par les élémentaires, tenta de justifier Grobok. Kor'esh releva légèrement la tête et l'ogre à la main tranchée comprit que l'esclavagiste n'avait que faire de ses justifications.
- Combien, répéta Kor'esh d'un ton sec.
- Vingt-quatre esclaves se sont rebellés. Nous avons été obligé d'en tuer plus de la moitié. Les autres ont été ramené. Cinq sont parvenus à fuir la mine. Des humains.
Kor'esh se redressa dans son fauteuil de pierre. Il fit un signe en direction du fond de la pièce. Une draeneï vêtue de haillons quitta la pénombre des lourds rideaux de soie rouge et s'avança avec un plateau dans les mains. Elle était maigre, sale et épuisée et portait des chaînes aux chevilles et aux poignets. Elle leva le plateau et Kor'esh s'empara de la coupe de vin qui y était posée. L'esclave eut un mouvement de recul lorsqu'il lui fit signe de rester à ses côtés mais elle s'exécuta, terrifiée.
- Ce n'est pas la première fois que ce genre d'incident arrive sous ta surveillance, Grobok.
Kor'esh avala une gorgée de vin. Quelques gouttes du liquide s'échappèrent de ses lèvres épaisses et roulèrent sur sa peau couleur parchemin avant de se perdre entre les plis de graisse de son cou.
Le visage de Grobok se déforma un instant lorsqu'il grimaça. Cette fois, il n'osait plus relever l’œil. Il pouvait bien rejeter la faute sur les autres surveillants et sa malchance, dans les faits Kor'esh était dans le vrai. Grobok maudit intérieurement les élémentaires de feu. Si les brise-terres n'avaient pas perdus leur contrôle, la forge ne serait pas devenue une fournaise chaotique et les esclaves n'auraient pas tentés de s'évader. Cet incident coûtait cher à l'esclavagiste et Gug'rokk, le marchand d'esclaves, allait sans doute le lui rappeler.
- Ça n'arrivera plus, maître, assura Grobok.
- J'en suis certain. Ton temps comme surveillant en chef est terminé.
Grobok se raidit. Il releva la tête et Kor'esh étira un sourire satisfait en lisant la peur dans l'unique œil de l'ogre. Ses riches étoffes bruissèrent contre la pierre lorsqu'il souleva la draeneï apeurée pour l'installer sur ses genoux. L'esclave chétive n'osait plus bouger. Elle serrait son plateau cabossé contre sa poitrine, la lèvre tremblante. Kor'esh passa un doigt potelé sur sa joue bleue.
- Maître... souffla Grobok.
- Silence, asséna l'ogre. J'ai parlé. Tu n'as plus rien à faire dans cette mine.
Les pensées se bousculèrent dans l'esprit de Grobok. Allait-il être tué ? Banni ? Que lui réservait Kor'esh ? Son sort dépendait de l'humeur de son interlocuteur et pour l'heure, elle ne lui était pas favorable. L'ex-surveillant serra un peu plus fort son moignon. L'espace d'un instant il oublia la douleur du membre fantôme.
- Je ne vais pas te tuer, Grobok. Pas encore.
Kor'esh observait le vin qu'il faisait tourner lentement dans sa coupe crasseuse. Il passa une main dans le dos de la draeneï avant de poursuivre.
- Si tu tiens à ton travail dans cette mine, ou mieux, à ta tête creuse, retrouve les. Retrouve les esclaves que tu as laissé s'échapper. Ramène les ici. Je les veux vivants, tu m'entends ? Ma clémence à ton égard dépendra de leur état. Mais si tu échoues, Grobok...
Kor'esh avança le buste pour mieux toiser l'ogre agenouillé. Il ourla ses lèvres d'un sourire carnassier. A cet instant Grobok sut que tout ceci n'était qu'un jeu malsain. Kor'esh n'était ni seigneur, ni champion, et souffrait de ne pas arriver à s'élever de la plus basse caste des esclavagistes. Sa générosité n'en était pas une. Ce n'était qu'un moyen pour lui de se divertir et colorer son quotidien terne dans cette mine. Un jeu qui lui donnerait l'illusion d'être un grand seigneur, le maître de l'arène.
- Si tu échoues, sois certain que tu en payeras le prix fort. Cette main qu'ils t'ont tranché ne sera rien en comparaison de la souffrance que je réserve à ton échec. Maintenant, va. Tu sais ce qu'il te reste à faire. Ces mauvaises nouvelles dont tu me rabat les narines me mettent de mauvaises humeurs. J'ai besoin de me divertir.
A ces mots, Kor'esh caressa l'épaule de la draeneï qui lâcha son plateau, désormais incapable de le tenir avec les tremblements qui agitaient ses mains. Grobok se releva et inclina sa bedaine avant de tourner les talons. Le feu qui crépitait dans l'âtre projetait son ombre contre les murs. Il écarta les rideaux et quitta la pièce d'un pas lourd, laissant l'esclavagiste à son divertissement.
- Répète le une nouvelle fois, Grobok.
Kor'esh se tenait assis sur un imposant fauteuil de pierre. Il était vêtu d'une toge pourpre bordée d'un liseré doré, maintenue attachée à hauteur de son épaule gauche par une broche ronde en métal, laquelle était décorée d'un poing de bronze fermé zébré d'un éclair. Les doigts potelés de l'ogre esclavagiste pianotaient mollement sur la surface dur de l'accoudoir en pierre. Kor'esh observait son interlocuteur sous sa capuche.
Grobok était face à lui, un genou à terre. Il pressait dans sa main droite son moignon de poignet couvert de bandages ensanglantés. Il était plus massif et moins gras que Kor'esh mais le sang-froid et l'aura de suffisance que dégageait l'ogre en toge suffisaient à lui faire baisser l’œil. Un simple claquement de doigts de l'esclavagiste serait suffisant pour qu'il soit jeté en pâture aux vers de lave.
- Il y a eu une révolte, maître. Des esclaves se sont échappés.
- Combien ?
Cette nonchalance n'était qu'une façade. Kor'esh était furieux. Si le quota de minerais faiblissait, il devrait rendre des comptes au seigneur de guerre rochenoir. Même si la mine ne désemplissait pas avec les arrivages fréquents de nouveaux esclaves, il n'aimait pas que des races inférieures se jouent de lui.
- Ils ont profité du chaos engendré par les élémentaires, tenta de justifier Grobok. Kor'esh releva légèrement la tête et l'ogre à la main tranchée comprit que l'esclavagiste n'avait que faire de ses justifications.
- Combien, répéta Kor'esh d'un ton sec.
- Vingt-quatre esclaves se sont rebellés. Nous avons été obligé d'en tuer plus de la moitié. Les autres ont été ramené. Cinq sont parvenus à fuir la mine. Des humains.
Kor'esh se redressa dans son fauteuil de pierre. Il fit un signe en direction du fond de la pièce. Une draeneï vêtue de haillons quitta la pénombre des lourds rideaux de soie rouge et s'avança avec un plateau dans les mains. Elle était maigre, sale et épuisée et portait des chaînes aux chevilles et aux poignets. Elle leva le plateau et Kor'esh s'empara de la coupe de vin qui y était posée. L'esclave eut un mouvement de recul lorsqu'il lui fit signe de rester à ses côtés mais elle s'exécuta, terrifiée.
- Ce n'est pas la première fois que ce genre d'incident arrive sous ta surveillance, Grobok.
Kor'esh avala une gorgée de vin. Quelques gouttes du liquide s'échappèrent de ses lèvres épaisses et roulèrent sur sa peau couleur parchemin avant de se perdre entre les plis de graisse de son cou.
Le visage de Grobok se déforma un instant lorsqu'il grimaça. Cette fois, il n'osait plus relever l’œil. Il pouvait bien rejeter la faute sur les autres surveillants et sa malchance, dans les faits Kor'esh était dans le vrai. Grobok maudit intérieurement les élémentaires de feu. Si les brise-terres n'avaient pas perdus leur contrôle, la forge ne serait pas devenue une fournaise chaotique et les esclaves n'auraient pas tentés de s'évader. Cet incident coûtait cher à l'esclavagiste et Gug'rokk, le marchand d'esclaves, allait sans doute le lui rappeler.
- Ça n'arrivera plus, maître, assura Grobok.
- J'en suis certain. Ton temps comme surveillant en chef est terminé.
Grobok se raidit. Il releva la tête et Kor'esh étira un sourire satisfait en lisant la peur dans l'unique œil de l'ogre. Ses riches étoffes bruissèrent contre la pierre lorsqu'il souleva la draeneï apeurée pour l'installer sur ses genoux. L'esclave chétive n'osait plus bouger. Elle serrait son plateau cabossé contre sa poitrine, la lèvre tremblante. Kor'esh passa un doigt potelé sur sa joue bleue.
- Maître... souffla Grobok.
- Silence, asséna l'ogre. J'ai parlé. Tu n'as plus rien à faire dans cette mine.
Les pensées se bousculèrent dans l'esprit de Grobok. Allait-il être tué ? Banni ? Que lui réservait Kor'esh ? Son sort dépendait de l'humeur de son interlocuteur et pour l'heure, elle ne lui était pas favorable. L'ex-surveillant serra un peu plus fort son moignon. L'espace d'un instant il oublia la douleur du membre fantôme.
- Je ne vais pas te tuer, Grobok. Pas encore.
Kor'esh observait le vin qu'il faisait tourner lentement dans sa coupe crasseuse. Il passa une main dans le dos de la draeneï avant de poursuivre.
- Si tu tiens à ton travail dans cette mine, ou mieux, à ta tête creuse, retrouve les. Retrouve les esclaves que tu as laissé s'échapper. Ramène les ici. Je les veux vivants, tu m'entends ? Ma clémence à ton égard dépendra de leur état. Mais si tu échoues, Grobok...
Kor'esh avança le buste pour mieux toiser l'ogre agenouillé. Il ourla ses lèvres d'un sourire carnassier. A cet instant Grobok sut que tout ceci n'était qu'un jeu malsain. Kor'esh n'était ni seigneur, ni champion, et souffrait de ne pas arriver à s'élever de la plus basse caste des esclavagistes. Sa générosité n'en était pas une. Ce n'était qu'un moyen pour lui de se divertir et colorer son quotidien terne dans cette mine. Un jeu qui lui donnerait l'illusion d'être un grand seigneur, le maître de l'arène.
- Si tu échoues, sois certain que tu en payeras le prix fort. Cette main qu'ils t'ont tranché ne sera rien en comparaison de la souffrance que je réserve à ton échec. Maintenant, va. Tu sais ce qu'il te reste à faire. Ces mauvaises nouvelles dont tu me rabat les narines me mettent de mauvaises humeurs. J'ai besoin de me divertir.
A ces mots, Kor'esh caressa l'épaule de la draeneï qui lâcha son plateau, désormais incapable de le tenir avec les tremblements qui agitaient ses mains. Grobok se releva et inclina sa bedaine avant de tourner les talons. Le feu qui crépitait dans l'âtre projetait son ombre contre les murs. Il écarta les rideaux et quitta la pièce d'un pas lourd, laissant l'esclavagiste à son divertissement.
Invité- Invité
Re: Bribes de vie
23 avril de l'an 35 - Quelque part à Nagrand
- Vous allez voir. Vous allez a-do-rer.
L’extrémité du cigare de Gridix rougeoya dans la pénombre de l'aube naissante. Ses lèvres se retroussèrent et il dévoila ses dents pour offrir une mimique commerciale aux aventuriers. Malgré quelques prothèses en or, le sourire conservait quelque chose de carnassier, comme si le gobelin venait de conclure une affaire qui lui était profitable à lui plus qu'à ses clients. Ce qui n'était pas totalement faux au regard des efforts que le groupe d'humains avait dû fournir en échange de la location des planeurs; affronter un gronn fut un défi de taille pendant lequel ils étaient passés à peu de chose de perdre l'un des leurs.
Mais ils avaient besoin de ces engins. En les utilisant, ils gagnaient au bas mot trois jours de marche et évitaient de nombreux dangers mortels. Gridix le savait. Il le savait et il le leur avait fait payer. Les affaires sont les affaires, pensa le gobelin en mâchonnant le bout de son cigare, sur Azeroth comme ailleurs.
Talhin contemplait les planeurs avec émerveillement. Lui qui rêvait de pourfendre un dragon, voilà qu'il s'apprêtait à voler comme eux. Il n'était pas question de chevaucher un griffon cette fois mais bel et bien d'affronter le vide par ses propres moyens. Décidément, l'ingénierie était exceptionnelle.
S'il en avait su un peu plus sur la technologie des gobelins et son taux relatif de réussite lorsqu'il ne s'agissait pas d'explosifs, Talhin n'aurait peut être pas été aussi enthousiaste à l'idée de se lancer du haut de l’a-pic rocheux avec un planeur fait à partir de morceaux de toile cousus grossièrement entre eux et d'un châssis conçu à partir de pièces de métal de récupération et renforcé par de la rustine. Pauline avait pleine conscience de tous ces détails et c'est peut être pour cette raison qu'elle restait le dos collé à l'arbre qui surplombait le poste d'observation des gobelins.
Nous en avons besoin, oui, mais il est hors de question que je les utilise, pensa-t-elle en ravalant sa salive.
Catlhin éprouvait toujours des difficultés à se déplacer. Comme elle avait catégoriquement refusée d'être transformée en écureuil ou en lapin pour être transportée dans un sac, ils lui avaient conçu un gilet grossier rembourré avec de la fourrure et une protection du même acabit pour sa cheville cassée afin de limiter les risques de lésions supplémentaires à l'atterrissage.
Le soleil se levait lentement sur Draenor tandis que Zoemi et Gaspard se préparaient à réaliser une longue incantation. Il avait été convenu la veille de voiler leur descente en planeur par un sort d'invisibilité afin de ne pas devenir des cibles de choix pour les archers de l'avant-poste chanteguerre. Wor'var se trouvait au bord d'un petit lac en contrebas et il ne faisait aucun doute que la présence de six planeurs chutant du haut des collines ne passerait par inaperçue.
Kofford avait été exclu de la préparation du sort. «Pour des raisons évidentes.» avait déclaré Gaspard.
Carl et Bod s'afféraient dans leur coin à préparer leur propre planeur. Ils avaient mis temporairement leurs différents de côté pour construire un petit engin capable de les transporter jusqu'en bas. La machine et le petit lutin feuillu avaient trop de fierté pour être transportés comme de vulgaires sacoches. Ils avaient travaillé pendant deux bonnes heures pour confectionner leur planeur et ils n'en étaient pas peu fier. L'engin était composé de morceaux de tissu, de feuilles larges et d'une armature en bois renforcée par des racines souples. Ils s'écartèrent pour observer le résultat et se tapèrent dans la main pour se féliciter en y allant chacun de leurs propres commentaires.
- C'est une victoire du petit monde sur les géants ! s'exclama Carl d'un ton professoral.
- Bod aimer couleurs. Planeur mieux que les autres. Voler plus haut ! affirma Bod avant de ricaner d'un air machiavélique en espérant rapidement faire oublier à ses camarades son penchant pour les jolies couleurs. S'il avait eu des lunettes, Carl les aurait remontées sur son petit boulon de nez d'un air satisfait et supérieur.
Gridix coula un regard méprisant aux deux petites choses, tout en essayant de déterminer la valeur du robot, puis il écarta les bras en inspirant et fit signe aux humains de se disposer les un derrière les autres sur la piste de décollage - qui n'avait de piste que le nom compte tenu du fait qu'elle n'était composée que d'une grosse planche fixée par des étais en métal au bord du vide - en vue du grand saut.
Zoemi et Gaspard hochèrent la tête à l'unisson pour signifier à Talhin qu'ils étaient prêt à lancer leur sort puis chacun prit place devant les planeurs.
L’extrémité du cigare de Gridix rougeoya dans la pénombre de l'aube naissante. Ses lèvres se retroussèrent et il dévoila ses dents pour offrir une mimique commerciale aux aventuriers. Malgré quelques prothèses en or, le sourire conservait quelque chose de carnassier, comme si le gobelin venait de conclure une affaire qui lui était profitable à lui plus qu'à ses clients. Ce qui n'était pas totalement faux au regard des efforts que le groupe d'humains avait dû fournir en échange de la location des planeurs; affronter un gronn fut un défi de taille pendant lequel ils étaient passés à peu de chose de perdre l'un des leurs.
Mais ils avaient besoin de ces engins. En les utilisant, ils gagnaient au bas mot trois jours de marche et évitaient de nombreux dangers mortels. Gridix le savait. Il le savait et il le leur avait fait payer. Les affaires sont les affaires, pensa le gobelin en mâchonnant le bout de son cigare, sur Azeroth comme ailleurs.
Talhin contemplait les planeurs avec émerveillement. Lui qui rêvait de pourfendre un dragon, voilà qu'il s'apprêtait à voler comme eux. Il n'était pas question de chevaucher un griffon cette fois mais bel et bien d'affronter le vide par ses propres moyens. Décidément, l'ingénierie était exceptionnelle.
S'il en avait su un peu plus sur la technologie des gobelins et son taux relatif de réussite lorsqu'il ne s'agissait pas d'explosifs, Talhin n'aurait peut être pas été aussi enthousiaste à l'idée de se lancer du haut de l’a-pic rocheux avec un planeur fait à partir de morceaux de toile cousus grossièrement entre eux et d'un châssis conçu à partir de pièces de métal de récupération et renforcé par de la rustine. Pauline avait pleine conscience de tous ces détails et c'est peut être pour cette raison qu'elle restait le dos collé à l'arbre qui surplombait le poste d'observation des gobelins.
Nous en avons besoin, oui, mais il est hors de question que je les utilise, pensa-t-elle en ravalant sa salive.
Catlhin éprouvait toujours des difficultés à se déplacer. Comme elle avait catégoriquement refusée d'être transformée en écureuil ou en lapin pour être transportée dans un sac, ils lui avaient conçu un gilet grossier rembourré avec de la fourrure et une protection du même acabit pour sa cheville cassée afin de limiter les risques de lésions supplémentaires à l'atterrissage.
Le soleil se levait lentement sur Draenor tandis que Zoemi et Gaspard se préparaient à réaliser une longue incantation. Il avait été convenu la veille de voiler leur descente en planeur par un sort d'invisibilité afin de ne pas devenir des cibles de choix pour les archers de l'avant-poste chanteguerre. Wor'var se trouvait au bord d'un petit lac en contrebas et il ne faisait aucun doute que la présence de six planeurs chutant du haut des collines ne passerait par inaperçue.
Kofford avait été exclu de la préparation du sort. «Pour des raisons évidentes.» avait déclaré Gaspard.
Carl et Bod s'afféraient dans leur coin à préparer leur propre planeur. Ils avaient mis temporairement leurs différents de côté pour construire un petit engin capable de les transporter jusqu'en bas. La machine et le petit lutin feuillu avaient trop de fierté pour être transportés comme de vulgaires sacoches. Ils avaient travaillé pendant deux bonnes heures pour confectionner leur planeur et ils n'en étaient pas peu fier. L'engin était composé de morceaux de tissu, de feuilles larges et d'une armature en bois renforcée par des racines souples. Ils s'écartèrent pour observer le résultat et se tapèrent dans la main pour se féliciter en y allant chacun de leurs propres commentaires.
- C'est une victoire du petit monde sur les géants ! s'exclama Carl d'un ton professoral.
- Bod aimer couleurs. Planeur mieux que les autres. Voler plus haut ! affirma Bod avant de ricaner d'un air machiavélique en espérant rapidement faire oublier à ses camarades son penchant pour les jolies couleurs. S'il avait eu des lunettes, Carl les aurait remontées sur son petit boulon de nez d'un air satisfait et supérieur.
Gridix coula un regard méprisant aux deux petites choses, tout en essayant de déterminer la valeur du robot, puis il écarta les bras en inspirant et fit signe aux humains de se disposer les un derrière les autres sur la piste de décollage - qui n'avait de piste que le nom compte tenu du fait qu'elle n'était composée que d'une grosse planche fixée par des étais en métal au bord du vide - en vue du grand saut.
Zoemi et Gaspard hochèrent la tête à l'unisson pour signifier à Talhin qu'ils étaient prêt à lancer leur sort puis chacun prit place devant les planeurs.
*
* *
* *
Na'kee observait les six humains discuter avec un gobelin. Elle était dissimulée derrière un buisson, sur un promontoire rocheux qui surplombait d'une dizaine de mètres la colline où se trouvaient les aventuriers. Elle portait une paire de lunettes d'ingénieur aux verres bleus légèrement bombés en plus de sa tenue de chasseresse ; elle en avait modifié certaines parties pour pouvoir y fixer de l'équipement technologique naaru de pointe. Les rangaris, un groupe de draeneis surnommé les Yeux du Prophète en raison de leur fonction d'éclaireurs au sein de leur peuple, évitaient d'arpenter les plaines de Nagrand depuis que la Horde de Fer avait rallié les ogres de Cognefort à sa cause.
La forêt se détachait derrière elle, manteau de pénombre vert sur lequel seuls les morceaux de sa peau bleue que son équipement ne couvrait pas ressortaient. Le pouce plié contre ses lèvres, elle mordillait l'articulation du milieu, une fâcheuse manie qu'elle avait hérité de sa mère et qui s'emparait d'elle chaque fois qu'elle réfléchissait intensément. Aucun doute, c'est bien eux, se dit-elle en observant le groupe d'humains qui s'apprêtaient à sauter dans le vide avec des planeurs.
- Tu les as trouvé ?
La voix gutturale de son frère la fit presque sursauter. Elle se retourna en poussant un soupire et hocha la tête en faisant danser les deux couettes brunes qui surplombaient sa chevelure. O'rek s'approcha lentement du bord du promontoire et écarta un pan du buisson d'une main massive. Son buste et ses épaules étaient larges, ses sabots épais et ses cuisses taillées pour la course. Sa chevelure sombre tombait autour de son cou et des excroissances osseuses de son front. Il portait le même équipement que sa sœur. Des crânes d'animaux et de monstres étaient suspendus à la maille de son torse à la place des rajouts d'ingénieur. A côté de son grand frère, Na'kee paraissait frêle et fragile.
- Des humains ? questionna O'rek, masquant avec peine sa surprise et son scepticisme.
- Oui. Pourquoi ? Tu ne les penses pas capables de...
- Tuer un gronn ? coupa le draenei. Il était peut être jeune, mais comment veux-tu qu'ils soient venus à bout de lui ? Regarde les, ils ne sont même pas armés correctement.
- Ils sont peut être ingénieux ! s'exclama Na'kee qui ne dissimulait pas son intérêt pour les humains. Elle sourit à son frère.
O'rek soupira, partagé entre confiance et dépit. Les draeneis étaient connus pour leur longévité hors norme ; certaines légendes circulaient à propos de leur possible immortalité. Bien que frère et sœur, l'écart d'années qui séparait Na'kee et son frère était important. Il avait acquis la sagesse de ses trois milles sept ans tandis que sa sœur entrait à peine dans sa cent-quarantième année. Elle tenait plus de la batterie survoltée que du cristal placide auquel certains peuples comparaient les draeneis. Cependant, tout comme lui, elle était une rangari d'exception et O'rek espérait que la fin de sa formation lui apporte un peu plus de maturité. Il avait parfois l'impression qu'elle ne saisissait pas l'importance de la tâche des rangaris.
- On devrait aller leur parler ! s'exclama-t-elle. Ils ont peut être des renseignements !
- A en juger par leur équipement, ils ont plutôt l'air perdu. Je ne crois pas que ce soit nécessaire de...
- Allez ! S'il te plaît ! Dis toi que c'est... pour la science ! surenchérit Na'kee. Ils ont peut être des artefacts humains ! Dit oui, dit oui, dit oui, dit oui !
O'rek tourna le dos au buisson et retourna s'enfoncer sous l'ombre des arbres. Il avisa les trois autres rangaris qui les accompagnaient et leur fit signe qu'ils allaient reprendre la route.
- Nous avons une mission, Na'kee. Notre prochaine étape est l'arène des Épreuves. Si c'est leur destination alors nous les recroiserons peut être.
La draenei fit une mou peu satisfaite en rajustant ses lunettes d'ingénieur sur son nez et ramassa son arc et son carquois de flèches barbelées. Elle siffla et un petit dragon féerique vint voleter autour d'elle. La peau bleue et les ailes multicolores, la créature semblaient douée d'intelligence et tournoyait autour de Na'kee avec légèreté et détachement. Elle s'exclama alors d'une voix fluette :
- Je les aime bien moi aussi ! Ils ont l'air amusant !
Nak'ee sourit aux paroles de son amie et s'empressa de trottiner pour rattraper les autres rangaris.
La forêt se détachait derrière elle, manteau de pénombre vert sur lequel seuls les morceaux de sa peau bleue que son équipement ne couvrait pas ressortaient. Le pouce plié contre ses lèvres, elle mordillait l'articulation du milieu, une fâcheuse manie qu'elle avait hérité de sa mère et qui s'emparait d'elle chaque fois qu'elle réfléchissait intensément. Aucun doute, c'est bien eux, se dit-elle en observant le groupe d'humains qui s'apprêtaient à sauter dans le vide avec des planeurs.
- Tu les as trouvé ?
La voix gutturale de son frère la fit presque sursauter. Elle se retourna en poussant un soupire et hocha la tête en faisant danser les deux couettes brunes qui surplombaient sa chevelure. O'rek s'approcha lentement du bord du promontoire et écarta un pan du buisson d'une main massive. Son buste et ses épaules étaient larges, ses sabots épais et ses cuisses taillées pour la course. Sa chevelure sombre tombait autour de son cou et des excroissances osseuses de son front. Il portait le même équipement que sa sœur. Des crânes d'animaux et de monstres étaient suspendus à la maille de son torse à la place des rajouts d'ingénieur. A côté de son grand frère, Na'kee paraissait frêle et fragile.
- Des humains ? questionna O'rek, masquant avec peine sa surprise et son scepticisme.
- Oui. Pourquoi ? Tu ne les penses pas capables de...
- Tuer un gronn ? coupa le draenei. Il était peut être jeune, mais comment veux-tu qu'ils soient venus à bout de lui ? Regarde les, ils ne sont même pas armés correctement.
- Ils sont peut être ingénieux ! s'exclama Na'kee qui ne dissimulait pas son intérêt pour les humains. Elle sourit à son frère.
O'rek soupira, partagé entre confiance et dépit. Les draeneis étaient connus pour leur longévité hors norme ; certaines légendes circulaient à propos de leur possible immortalité. Bien que frère et sœur, l'écart d'années qui séparait Na'kee et son frère était important. Il avait acquis la sagesse de ses trois milles sept ans tandis que sa sœur entrait à peine dans sa cent-quarantième année. Elle tenait plus de la batterie survoltée que du cristal placide auquel certains peuples comparaient les draeneis. Cependant, tout comme lui, elle était une rangari d'exception et O'rek espérait que la fin de sa formation lui apporte un peu plus de maturité. Il avait parfois l'impression qu'elle ne saisissait pas l'importance de la tâche des rangaris.
- On devrait aller leur parler ! s'exclama-t-elle. Ils ont peut être des renseignements !
- A en juger par leur équipement, ils ont plutôt l'air perdu. Je ne crois pas que ce soit nécessaire de...
- Allez ! S'il te plaît ! Dis toi que c'est... pour la science ! surenchérit Na'kee. Ils ont peut être des artefacts humains ! Dit oui, dit oui, dit oui, dit oui !
O'rek tourna le dos au buisson et retourna s'enfoncer sous l'ombre des arbres. Il avisa les trois autres rangaris qui les accompagnaient et leur fit signe qu'ils allaient reprendre la route.
- Nous avons une mission, Na'kee. Notre prochaine étape est l'arène des Épreuves. Si c'est leur destination alors nous les recroiserons peut être.
La draenei fit une mou peu satisfaite en rajustant ses lunettes d'ingénieur sur son nez et ramassa son arc et son carquois de flèches barbelées. Elle siffla et un petit dragon féerique vint voleter autour d'elle. La peau bleue et les ailes multicolores, la créature semblaient douée d'intelligence et tournoyait autour de Na'kee avec légèreté et détachement. Elle s'exclama alors d'une voix fluette :
- Je les aime bien moi aussi ! Ils ont l'air amusant !
Nak'ee sourit aux paroles de son amie et s'empressa de trottiner pour rattraper les autres rangaris.
*
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* *
La descente en planeur se déroula sans encombre. Bien qu'elle pensa plus d'une fois que son cœur allait décrocher, Pauline parvint à ne pas hurler. Cathlin avait atterri dans un buisson et fit contre mauvaise fortune bon cœur; au moins le feuillage avait amorti la chute. Le planeur en revanche était inutilisable. Elle put renforcer sa béquille en bois avec les restes du châssis en métal.
Le groupe approchait maintenant de l'arène des Épreuves. Le cirque de pierres sombres se dressait, imposant, au milieu de la plaine. Une multitude de tentes, aux couleurs vives et variées, et d'écuries de fortune grouillaient tout autour. La clameur du public et le brouhaha des échanges se perdaient dans les vastes étendues d'herbes de Nagrand.
Des représentants de toutes les races de draenor et même d'ailleurs venaient se presser autour de l'arène dans l'espoir d'assister aux combats. Bien que situé en plein territoire chanteguerre, les ogres dirigeaient l'endroit d'une main de fer, si bien que chacun oubliait les problèmes qui secouaient draenor. Ici, le profit était roi; depuis la chute de Cognefort, certains ogres s'étaient tournés vers les arènes, le seul investissement sûr en ces temps sombres, et ils entendaient bien en faire leur commerce principal. Une décision qui reflétait pleinement cette nation adepte de jeux, d'alcool et de gloutonnerie, aujourd'hui décadente.
Gridix avaient assuré aux aventuriers que les ogres de l'arène assumaient leur neutralité dans les conflits de draenor. Ils étaient à des milliers de kilomètres de la Crête de Givrefeu, il y avait peu de chance qu'ils se retrouvent nez à nez avec Grobok, l'ogre à la main tranchée.
Si la présence des draeneis et des quelques représentants de l'Alliance leur inspirait confiance, ils se sentaient moins à l'aise au milieu des orcs chanteguerre et des races de la Horde. Ils oublièrent cependant rapidement ce mal être, satisfaits de retrouver la civilisation au milieu de ces terres sauvages, et les quelques semaines passés comme esclaves dans les mines de la Masse-Sanglante les avaient rendu plus tolérant vis à vis des peuples opposés à l'Alliance.
Curieux et surexcités, le boguelin et le petit robot partirent en duo d'éclaireurs tandis que leurs amis s'approchaient de l'arène et pénétraient sous les tentes bariolées.
La foule se pressait et se bousculait dans les allées. Des gobelins se tenaient debout sur des tonneaux, devant une échoppe, en vantant les mérites de leurs épices importées d'Azeroth. Un jeune orc, le nez décoré par trois anneaux en bronze, essayait d'attirer l'attention de la foule sur son stand de souvenirs pendant que son père triait dans des caisses des figurines en terre cuite et en bois à l'effigie des favoris de l'arène. Un trio d'ogres vendait de l'alcool et de la viande qu'ils faisaient mariner dans un immense chaudron gavé de piment. Des visages étaient cousus sur leur toge; l'un d'eux représentait un troll avec une crête violette et un sourire carnassier. Une phrase accrocheuse était brodée dans le dos, en orc.
Le groupe continua d'avancer entre les échoppes. Ils dépassèrent une tente de soins pour se retrouver face à ce qui semblait être une écurie. Un tauren avec un chapeau de paille passait le balai devant les deux piquets de bois reliés par une corde qui tenaient lieu d'entrée. Pendant ce temps, des ogres en armure patrouillaient pour assurer la sécurité de l'arène et de ses environs.
Le tauren leva son museau et jaugea les humains d'un regard placide. Il portait un pagne large et son torse était partiellement couvert par des tablettes de bois et d'os suspendues à son cou massif et rattachées entre elles au niveau de ses larges épaules. Ses cornes étaient recourbées vers le haut et trouaient son chapeau. Son pelage était brun tacheté de blanc. A moins que ce ne soit l'inverse, se demanda Gaspard avant de lancer le débat à voix basse avec Kofford. Un anneau épais décorait sa lèvre inférieur.
- Que voulez-vous ? demanda le tauren dans un commun parfait qui fit ciller Zoemi. Il s'approcha d'un pas lourd et calme.
- Nous venons d'arriver ici, s'empressa de répondre Talhin tandis que Pauline s'était glissée discrètement derrière Cathlin. Nous sommes à la recherche...
Le tauren leva une main imposante pour interrompre l'humain. Il prit une inspiration et cracha dans le seau troué qui se trouvait à quelques mètres d'eux.
- Ici, tout ce que vous cherchez est payant.
- Nous avons des vivres et un peu de matériel. Nous pouvons les échanger.
- De l'or et des services. C'est tout ce que vous pourrez monnayer, humains. Je ne sais pas d'où vous venez ni ce que vous venez faire ici, mais n'espérez pas trouver quoi que ce soit en troquant vos babioles.
Il retroussa ses lèvres de bovin en souriant, amusé de la naïveté du groupe. Un talbuk renâcla dans son parc.
Alors que la discussion entre les humains et le tauren se poursuivait, un petit dragon faërique venait de se poser sur un piquet de bois, à l'ombre d'un arbre, et observait l'échange d'un regard rieur.
Le groupe approchait maintenant de l'arène des Épreuves. Le cirque de pierres sombres se dressait, imposant, au milieu de la plaine. Une multitude de tentes, aux couleurs vives et variées, et d'écuries de fortune grouillaient tout autour. La clameur du public et le brouhaha des échanges se perdaient dans les vastes étendues d'herbes de Nagrand.
Des représentants de toutes les races de draenor et même d'ailleurs venaient se presser autour de l'arène dans l'espoir d'assister aux combats. Bien que situé en plein territoire chanteguerre, les ogres dirigeaient l'endroit d'une main de fer, si bien que chacun oubliait les problèmes qui secouaient draenor. Ici, le profit était roi; depuis la chute de Cognefort, certains ogres s'étaient tournés vers les arènes, le seul investissement sûr en ces temps sombres, et ils entendaient bien en faire leur commerce principal. Une décision qui reflétait pleinement cette nation adepte de jeux, d'alcool et de gloutonnerie, aujourd'hui décadente.
Gridix avaient assuré aux aventuriers que les ogres de l'arène assumaient leur neutralité dans les conflits de draenor. Ils étaient à des milliers de kilomètres de la Crête de Givrefeu, il y avait peu de chance qu'ils se retrouvent nez à nez avec Grobok, l'ogre à la main tranchée.
Si la présence des draeneis et des quelques représentants de l'Alliance leur inspirait confiance, ils se sentaient moins à l'aise au milieu des orcs chanteguerre et des races de la Horde. Ils oublièrent cependant rapidement ce mal être, satisfaits de retrouver la civilisation au milieu de ces terres sauvages, et les quelques semaines passés comme esclaves dans les mines de la Masse-Sanglante les avaient rendu plus tolérant vis à vis des peuples opposés à l'Alliance.
Curieux et surexcités, le boguelin et le petit robot partirent en duo d'éclaireurs tandis que leurs amis s'approchaient de l'arène et pénétraient sous les tentes bariolées.
La foule se pressait et se bousculait dans les allées. Des gobelins se tenaient debout sur des tonneaux, devant une échoppe, en vantant les mérites de leurs épices importées d'Azeroth. Un jeune orc, le nez décoré par trois anneaux en bronze, essayait d'attirer l'attention de la foule sur son stand de souvenirs pendant que son père triait dans des caisses des figurines en terre cuite et en bois à l'effigie des favoris de l'arène. Un trio d'ogres vendait de l'alcool et de la viande qu'ils faisaient mariner dans un immense chaudron gavé de piment. Des visages étaient cousus sur leur toge; l'un d'eux représentait un troll avec une crête violette et un sourire carnassier. Une phrase accrocheuse était brodée dans le dos, en orc.
Le groupe continua d'avancer entre les échoppes. Ils dépassèrent une tente de soins pour se retrouver face à ce qui semblait être une écurie. Un tauren avec un chapeau de paille passait le balai devant les deux piquets de bois reliés par une corde qui tenaient lieu d'entrée. Pendant ce temps, des ogres en armure patrouillaient pour assurer la sécurité de l'arène et de ses environs.
Le tauren leva son museau et jaugea les humains d'un regard placide. Il portait un pagne large et son torse était partiellement couvert par des tablettes de bois et d'os suspendues à son cou massif et rattachées entre elles au niveau de ses larges épaules. Ses cornes étaient recourbées vers le haut et trouaient son chapeau. Son pelage était brun tacheté de blanc. A moins que ce ne soit l'inverse, se demanda Gaspard avant de lancer le débat à voix basse avec Kofford. Un anneau épais décorait sa lèvre inférieur.
- Que voulez-vous ? demanda le tauren dans un commun parfait qui fit ciller Zoemi. Il s'approcha d'un pas lourd et calme.
- Nous venons d'arriver ici, s'empressa de répondre Talhin tandis que Pauline s'était glissée discrètement derrière Cathlin. Nous sommes à la recherche...
Le tauren leva une main imposante pour interrompre l'humain. Il prit une inspiration et cracha dans le seau troué qui se trouvait à quelques mètres d'eux.
- Ici, tout ce que vous cherchez est payant.
- Nous avons des vivres et un peu de matériel. Nous pouvons les échanger.
- De l'or et des services. C'est tout ce que vous pourrez monnayer, humains. Je ne sais pas d'où vous venez ni ce que vous venez faire ici, mais n'espérez pas trouver quoi que ce soit en troquant vos babioles.
Il retroussa ses lèvres de bovin en souriant, amusé de la naïveté du groupe. Un talbuk renâcla dans son parc.
Alors que la discussion entre les humains et le tauren se poursuivait, un petit dragon faërique venait de se poser sur un piquet de bois, à l'ombre d'un arbre, et observait l'échange d'un regard rieur.
Invité- Invité
Re: Bribes de vie
Souvenirs, il y a quelques mois - Rivage de Zangard
- Des surnoms ? Mais... Pourquoi faire ?
Zoemi dévisageait Talhin, surprise et perplexe. Ils étaient assis tous les deux sur le sable, au bord de l'eau. Les immenses champignons du rivage de Zangar se dressaient autour d'eux, morcelant le ciel étoilé de leurs larges chapeaux. Leurs spores flottaient dans l'air, diffusant une lueur bleue qui soulignait le calme du décor et donnait à l'étouffant voile nocturne une allure plus apaisante.
Le rouquin haussa les épaules.
- Je ne sais pas trop, répondit-il. Tous les héros ont un surnom. Tu te souviens du nain qu'on avait rencontré sur...
Talhin ne termina pas sa phrase. Il n'aimait pas évoquer Azeroth depuis qu'ils étaient prisonnier de ce monde sauvage. Trop de souvenirs y étaient attachés et aucun d'eux ne savaient quand ils parviendraient à y retourner. Ils étaient peut être bloqués pour toujours.
La jeune mage qui accompagnait sa discussion ramena une mèche de ses cheveux châtains derrière son oreille gauche et plia ses jambes pour enlacer ses genoux contre sa poitrine. Talhin souffla pour écarter quelques cheveux de devant son visage et ramassa un petit caillou pour essayer de faire un ricocher sur l'eau.
- Bref, reprit-il. Tous les héros ont un surnom. C'est comme ça qu'on les reconnaît. Je suis sûr que Gaspard approuverait l'idée.
Il écarta les bras d'un geste théâtrale en agitant les mains et d'une voix cérémonielle déclara :
- Zoemi, la reine des glaces. Zoemi, Peau-gelée. Zoemi Souffle-glacée !
- Peau-gelée... Ça fait un peu orc, non ?
- Zoemi Boule-de-neige ?
La jeune femme sourit légèrement en secouant la tête puis tourna son regard vers l'immense étendue d'eau qui se trouvait devant eux.
Traverser le bras de mer de Zangar était le seul moyen qu'ils avaient trouvé pour fuir la Crête-de-Givrefeu. Alors que eux y étaient parvenus avec un radeau et une bonne dose de magie, d'autres n'avaient pas eu leur chance. Un navire de l'Alliance envoyé pour cartographier les côtes du continent avait été attaqué par un cuirassier de la Horde de Fer. Même si le capitaine de la Griffe du Lion avait tiré le meilleur de son bâtiment, le navire avait finit disloqué par l'énorme puissance de feu du monstre de métal. Il n'était resté de l'équipage qu'une survivante, Pauline. C'est comme ça qu'elle avait rejoint le groupe, avec Lyzander, un vieux prêtre qui l'avait trouvé à moitié morte échouée sur une plage. Talhin et le reste du groupe avaient été attiré par le vacarme du combat naval et le panache de fumée noire. Lorsqu'ils s'étaient rendu sur la plage dans l'espoir de secourir des survivants et trouver du matériel, le prêtre s'occupait déjà de la naufragée. D'un commun d'accord ils les invitèrent à se joindre à eux. Draenor ne leur avait fait aucun cadeau et malgré le scepticisme de Cathlin, Talhin avait finit par la convaincre que plus ils étaient nombreux et mieux ils s'en sortiraient.
- Des héros... C'est comme ça que tu nous vois ? questionna Zoemi en posant ses pupilles bleus sur son ami. Nous sommes perdu, nous arrivons tout juste à survivre et nous ne savons même pas si... si l'Alliance est encore ici. Tu l'as entendu comme moi, Lyzander était à un avant-poste et ils ont tous été tué. Je ne crois pas qu'on puisse vraiment nous qualifier de héros ou... d'aventuriers. De survivants peut être.
Elle sourit doucement, l'air désolé. Même si elle n'avait pas pour habiter de céder au désespoir, il lui arrivait de faire preuve de pragmatisme, ce qui étonnait toujours Talhin et contrebalançait son optimisme permanent. Il ramassa un autre caillou et tourna son regard vers l'horizon.
- Je pense que tu as tort ! Hé, on a survécu jusqu'à maintenant. Bon, d'accord, nous ne sommes toujours pas arrivés à la Vallée d'Ombrelune, mais nous y serons bientôt ! Si on avait du temps à perdre on pourrait même écrire nos aventures. Tu te souviens du livre que tu m'avais prêté ? On est un peu comme les héros des Chroniques de Havrepluie. Fais moi confiance. Bientôt, c'est nous qui sauverons les autres.
Zoemi dévisageait Talhin, surprise et perplexe. Ils étaient assis tous les deux sur le sable, au bord de l'eau. Les immenses champignons du rivage de Zangar se dressaient autour d'eux, morcelant le ciel étoilé de leurs larges chapeaux. Leurs spores flottaient dans l'air, diffusant une lueur bleue qui soulignait le calme du décor et donnait à l'étouffant voile nocturne une allure plus apaisante.
Le rouquin haussa les épaules.
- Je ne sais pas trop, répondit-il. Tous les héros ont un surnom. Tu te souviens du nain qu'on avait rencontré sur...
Talhin ne termina pas sa phrase. Il n'aimait pas évoquer Azeroth depuis qu'ils étaient prisonnier de ce monde sauvage. Trop de souvenirs y étaient attachés et aucun d'eux ne savaient quand ils parviendraient à y retourner. Ils étaient peut être bloqués pour toujours.
La jeune mage qui accompagnait sa discussion ramena une mèche de ses cheveux châtains derrière son oreille gauche et plia ses jambes pour enlacer ses genoux contre sa poitrine. Talhin souffla pour écarter quelques cheveux de devant son visage et ramassa un petit caillou pour essayer de faire un ricocher sur l'eau.
- Bref, reprit-il. Tous les héros ont un surnom. C'est comme ça qu'on les reconnaît. Je suis sûr que Gaspard approuverait l'idée.
Il écarta les bras d'un geste théâtrale en agitant les mains et d'une voix cérémonielle déclara :
- Zoemi, la reine des glaces. Zoemi, Peau-gelée. Zoemi Souffle-glacée !
- Peau-gelée... Ça fait un peu orc, non ?
- Zoemi Boule-de-neige ?
La jeune femme sourit légèrement en secouant la tête puis tourna son regard vers l'immense étendue d'eau qui se trouvait devant eux.
Traverser le bras de mer de Zangar était le seul moyen qu'ils avaient trouvé pour fuir la Crête-de-Givrefeu. Alors que eux y étaient parvenus avec un radeau et une bonne dose de magie, d'autres n'avaient pas eu leur chance. Un navire de l'Alliance envoyé pour cartographier les côtes du continent avait été attaqué par un cuirassier de la Horde de Fer. Même si le capitaine de la Griffe du Lion avait tiré le meilleur de son bâtiment, le navire avait finit disloqué par l'énorme puissance de feu du monstre de métal. Il n'était resté de l'équipage qu'une survivante, Pauline. C'est comme ça qu'elle avait rejoint le groupe, avec Lyzander, un vieux prêtre qui l'avait trouvé à moitié morte échouée sur une plage. Talhin et le reste du groupe avaient été attiré par le vacarme du combat naval et le panache de fumée noire. Lorsqu'ils s'étaient rendu sur la plage dans l'espoir de secourir des survivants et trouver du matériel, le prêtre s'occupait déjà de la naufragée. D'un commun d'accord ils les invitèrent à se joindre à eux. Draenor ne leur avait fait aucun cadeau et malgré le scepticisme de Cathlin, Talhin avait finit par la convaincre que plus ils étaient nombreux et mieux ils s'en sortiraient.
- Des héros... C'est comme ça que tu nous vois ? questionna Zoemi en posant ses pupilles bleus sur son ami. Nous sommes perdu, nous arrivons tout juste à survivre et nous ne savons même pas si... si l'Alliance est encore ici. Tu l'as entendu comme moi, Lyzander était à un avant-poste et ils ont tous été tué. Je ne crois pas qu'on puisse vraiment nous qualifier de héros ou... d'aventuriers. De survivants peut être.
Elle sourit doucement, l'air désolé. Même si elle n'avait pas pour habiter de céder au désespoir, il lui arrivait de faire preuve de pragmatisme, ce qui étonnait toujours Talhin et contrebalançait son optimisme permanent. Il ramassa un autre caillou et tourna son regard vers l'horizon.
- Je pense que tu as tort ! Hé, on a survécu jusqu'à maintenant. Bon, d'accord, nous ne sommes toujours pas arrivés à la Vallée d'Ombrelune, mais nous y serons bientôt ! Si on avait du temps à perdre on pourrait même écrire nos aventures. Tu te souviens du livre que tu m'avais prêté ? On est un peu comme les héros des Chroniques de Havrepluie. Fais moi confiance. Bientôt, c'est nous qui sauverons les autres.
Dernière édition par Talhin Flytherson le Mer 02 Mar 2016, 10:27, édité 1 fois
Invité- Invité
Re: Bribes de vie
2 mars de l'an 36, à l'approche du printemps - Pic de la Sérénité, Sommet de Kun-Lai.
- Tout ce temps...
Talhin fixait ses mains abîmées par les entraînements. Les parties qui n'étaient pas couvertes par les bandages révélaient des contusions et des écorchures. Ses doigts tremblaient légèrement à cause de l'épuisement et d'avoir passé la journée à se contracter pour tenter en vain de dégager de son corps le pouvoir nécessaire pour façonner une sphère d'énergie. Il les referma sur ses paumes et serra les poings. Cela faisait presque un an maintenant qu'il avait quitté les royaumes de l'est pour suivre la voie des moines en pandarie et malgré les entraînements il était toujours incapable d'extraire le chi hors de son corps pour le matérialiser.
- Tout ce temps... répéta-t-il tandis qu'un sentiment d'impuissance l'envahissait.
- … n'est pas perdu, termina Tsugu.
Talhin tourna la tête vers elle et la pandarène sentit son cœur se serrer en voyant l'incompréhension et le chagrin qui noyaient le regard de son ami. Elle se mordit la lèvre. Il était sur le point d'abandonner et maintenant plus que jamais elle devait le soutenir. Ses épaules devinrent subitement plus lourdes, comme si elle partageait la culpabilité du jeune humain. Elle prit une inspiration et poursuivit :
- Tu as dis que tu étais venu au monastère pour apprendre, non ? L'enseignement n'est jamais une perte de temps. Bien sûr, il y a parfois de mauvais professeurs et de mauvais élèves. Mais ce n'est pas ton cas. Tu es venu chercher ici quelque chose que tu ne trouvais pas chez toi. Tu as mis de côté tes préjugés. Tu as vu plus loin que la plupart des tiens. Tu dis toujours que tu cherches à t'améliorer et je sais que ce n'est pas pour toi mais pour les autres. Tu n'as pas perdu ton temps. Et tant que tu chercheras à apprendre, tu ne le perdras jamais.
Tsugu poussa un léger soupir tandis qu'elle sentait la pression se dissiper à mesure qu'elle trouvait les mots justes pour le réconforter. Elle posa une patte sur son épaule et sourit, douce.
- Ce n'est pas parce que tu passes du temps avec un mage que tu seras capable de lancer des sorts. Mais à ses côtés, tu apprendras la rigueur. Si tu accompagnes un chasseur durant ses longues traques d'été, ça ne signifie pas que tu deviendras à ton tour un maître de l'arc. Mais, à ses côtés, tu apprendras la patience. Accompagne un prêtre durant ses longs pèlerinages et tu comprendras ce qu'est la volonté. Où que tu ailles, quoi que tu fasses, tu pourras toujours en tirer un enseignement. Parce que nous sommes mortels nous ne cessons d'apprendre. Tu vois, moi, j'amasse des connaissances parce que j'aime ça, l'apprentissage. Mais toi, tu as quelque chose en plus.
Elle décala sa patte pour la poser sur la poitrine de Talhin.
- Tout ce que tu fais, tu le fais avec ton cœur. C'est ça ta véritable force Talhin. Et tant que tu continueras dans cette voie, rien ne te sera impossible. Je sais que tu deviendras très fort.
Elle ajouta d'un ton malicieux.
- Tu sais, un jour, tu pourrais même tous nous sauver.
Talhin avait écouté Tsugu en silence. Il frotta ses yeux avec le revers de son poignet et ravala ses larmes. Il lui sourit. Ce fut comme une détonation de chaleur au creux de la poitrine de la pandarène. Elle réalisa alors à quel point elle s'était attachée à lui ainsi qu'aux autres membres du groupe. Kobe, Katoc, Jushan, Pauline, Vivaile... Elle s'était sentie seule lorsqu'elle avait franchit les portes du monastère pour la première fois, perdue. Mais en se liant à eux, c'est comme si elle avait trouvé une seconde famille. Elle se demanda un instant si tout ceci aurait été possible sans la présence du jeune rouquin.
- Toi aussi tu es forte Tsugu. Bon, peut être pas autant que Kobe. Mais lui, c'est différent. Il a tout dans les muscles et l'estomac. Sans toi il aurait déjà avalé une chenille venimeuse ou un mauvais champignon.
Tsugu gloussa.
- Tu es peut être même la plus forte d'entre nous, poursuivit Talhin. Je ne compte même plus les fois où tes connaissances nous ont tiré d'affaire ! Et puis grâce à toi Pauline s'est améliorée en dessin et en calligraphie.
Talhin donna un petit coup de poing sur l'épaule de son amie.
- Merci, dit-il, le regard reconnaissant.
- Oh, ce n'est rien, répondit la pandarène innocemment. Si tu n'avais pas été en forme, tu ne serais pas allé à l'exercice de demain et on l'aurait tous raté. Je l'ai fais pour le groupe.
Talhin sourit puis s'étira. Le soleil avait bientôt entièrement disparu derrière les pics enneigés de Kun-Lai. L'air se rafraîchissait et il ne tarderait pas à devenir glacial. Tsugu dressa ses oreilles et se redressa comme si elle venait de se souvenir de quelque chose de très important. Elle se pencha un peu vers le jeune homme.
- En parlant de Pauline. Est-ce que tu as déjà pensé à...
C'est ce moment que choisit Vivaile pour se retourner dans son sommeil, agitant la branche sur laquelle elle faisait sa sieste. Les vibrations du bois se répandirent comme une traînée de poudre jusqu'à l'extrémité. Ainsi secouée, la ramure fut délestée d'une épaisse couche de neige qui chuta sur Talhin. Il poussa un cri de surprise et s'agita dans tous les sens pour se débarrasser du contact piquant de la neige. Tsugu s'écroula en arrière, riant aux éclats.
Talhin se releva en pestant mais ses protestations ne réveillèrent même pas le petit dragon féerique qui agitait une patte dans son sommeil à la manière de certains chiens. Il ramassa une boule de neige et visa Vivaile. Tsugu, voyant là l'origine de nouvelles chamailleries, déclara qu'il était temps pour eux de retourner dans l'enceinte du monastère et que Vivaile les rejoindrait certainement plus tard. La boule de neige s'échoua mollement par terre lorsque Talhin la laissa tomber et il emboîta le pas à la pandarène qui s'éloignait déjà sur le chemin du retour.
- Tout ce temps...
Talhin fixait ses mains abîmées par les entraînements. Les parties qui n'étaient pas couvertes par les bandages révélaient des contusions et des écorchures. Ses doigts tremblaient légèrement à cause de l'épuisement et d'avoir passé la journée à se contracter pour tenter en vain de dégager de son corps le pouvoir nécessaire pour façonner une sphère d'énergie. Il les referma sur ses paumes et serra les poings. Cela faisait presque un an maintenant qu'il avait quitté les royaumes de l'est pour suivre la voie des moines en pandarie et malgré les entraînements il était toujours incapable d'extraire le chi hors de son corps pour le matérialiser.
- Tout ce temps... répéta-t-il tandis qu'un sentiment d'impuissance l'envahissait.
- … n'est pas perdu, termina Tsugu.
Talhin tourna la tête vers elle et la pandarène sentit son cœur se serrer en voyant l'incompréhension et le chagrin qui noyaient le regard de son ami. Elle se mordit la lèvre. Il était sur le point d'abandonner et maintenant plus que jamais elle devait le soutenir. Ses épaules devinrent subitement plus lourdes, comme si elle partageait la culpabilité du jeune humain. Elle prit une inspiration et poursuivit :
- Tu as dis que tu étais venu au monastère pour apprendre, non ? L'enseignement n'est jamais une perte de temps. Bien sûr, il y a parfois de mauvais professeurs et de mauvais élèves. Mais ce n'est pas ton cas. Tu es venu chercher ici quelque chose que tu ne trouvais pas chez toi. Tu as mis de côté tes préjugés. Tu as vu plus loin que la plupart des tiens. Tu dis toujours que tu cherches à t'améliorer et je sais que ce n'est pas pour toi mais pour les autres. Tu n'as pas perdu ton temps. Et tant que tu chercheras à apprendre, tu ne le perdras jamais.
Tsugu poussa un léger soupir tandis qu'elle sentait la pression se dissiper à mesure qu'elle trouvait les mots justes pour le réconforter. Elle posa une patte sur son épaule et sourit, douce.
- Ce n'est pas parce que tu passes du temps avec un mage que tu seras capable de lancer des sorts. Mais à ses côtés, tu apprendras la rigueur. Si tu accompagnes un chasseur durant ses longues traques d'été, ça ne signifie pas que tu deviendras à ton tour un maître de l'arc. Mais, à ses côtés, tu apprendras la patience. Accompagne un prêtre durant ses longs pèlerinages et tu comprendras ce qu'est la volonté. Où que tu ailles, quoi que tu fasses, tu pourras toujours en tirer un enseignement. Parce que nous sommes mortels nous ne cessons d'apprendre. Tu vois, moi, j'amasse des connaissances parce que j'aime ça, l'apprentissage. Mais toi, tu as quelque chose en plus.
Elle décala sa patte pour la poser sur la poitrine de Talhin.
- Tout ce que tu fais, tu le fais avec ton cœur. C'est ça ta véritable force Talhin. Et tant que tu continueras dans cette voie, rien ne te sera impossible. Je sais que tu deviendras très fort.
Elle ajouta d'un ton malicieux.
- Tu sais, un jour, tu pourrais même tous nous sauver.
Talhin avait écouté Tsugu en silence. Il frotta ses yeux avec le revers de son poignet et ravala ses larmes. Il lui sourit. Ce fut comme une détonation de chaleur au creux de la poitrine de la pandarène. Elle réalisa alors à quel point elle s'était attachée à lui ainsi qu'aux autres membres du groupe. Kobe, Katoc, Jushan, Pauline, Vivaile... Elle s'était sentie seule lorsqu'elle avait franchit les portes du monastère pour la première fois, perdue. Mais en se liant à eux, c'est comme si elle avait trouvé une seconde famille. Elle se demanda un instant si tout ceci aurait été possible sans la présence du jeune rouquin.
- Toi aussi tu es forte Tsugu. Bon, peut être pas autant que Kobe. Mais lui, c'est différent. Il a tout dans les muscles et l'estomac. Sans toi il aurait déjà avalé une chenille venimeuse ou un mauvais champignon.
Tsugu gloussa.
- Tu es peut être même la plus forte d'entre nous, poursuivit Talhin. Je ne compte même plus les fois où tes connaissances nous ont tiré d'affaire ! Et puis grâce à toi Pauline s'est améliorée en dessin et en calligraphie.
Talhin donna un petit coup de poing sur l'épaule de son amie.
- Merci, dit-il, le regard reconnaissant.
- Oh, ce n'est rien, répondit la pandarène innocemment. Si tu n'avais pas été en forme, tu ne serais pas allé à l'exercice de demain et on l'aurait tous raté. Je l'ai fais pour le groupe.
Talhin sourit puis s'étira. Le soleil avait bientôt entièrement disparu derrière les pics enneigés de Kun-Lai. L'air se rafraîchissait et il ne tarderait pas à devenir glacial. Tsugu dressa ses oreilles et se redressa comme si elle venait de se souvenir de quelque chose de très important. Elle se pencha un peu vers le jeune homme.
- En parlant de Pauline. Est-ce que tu as déjà pensé à...
C'est ce moment que choisit Vivaile pour se retourner dans son sommeil, agitant la branche sur laquelle elle faisait sa sieste. Les vibrations du bois se répandirent comme une traînée de poudre jusqu'à l'extrémité. Ainsi secouée, la ramure fut délestée d'une épaisse couche de neige qui chuta sur Talhin. Il poussa un cri de surprise et s'agita dans tous les sens pour se débarrasser du contact piquant de la neige. Tsugu s'écroula en arrière, riant aux éclats.
Talhin se releva en pestant mais ses protestations ne réveillèrent même pas le petit dragon féerique qui agitait une patte dans son sommeil à la manière de certains chiens. Il ramassa une boule de neige et visa Vivaile. Tsugu, voyant là l'origine de nouvelles chamailleries, déclara qu'il était temps pour eux de retourner dans l'enceinte du monastère et que Vivaile les rejoindrait certainement plus tard. La boule de neige s'échoua mollement par terre lorsque Talhin la laissa tomber et il emboîta le pas à la pandarène qui s'éloignait déjà sur le chemin du retour.
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