Naissance [à faire vivre]

Ce qui devait arriver arriva dans l'escalier de façon très classique. La maman n'était pas à son coup d'essai et ne paniqua pas du tout quand la poche des eaux se rompit. La prêtresse l'aida à s'installer aussi confortablement que possible. Le mâle, bien que tendu, ne semblait pas proche de l'affolement et s'était naturellement installé de sorte à ne pas constituer une gêne, tout se présentait bien. Le tavernier fut autorisé à déposer sa bassine et la prêtresse préleva dans le broc fumant un peu d'eau qu'elle fit couler dans une tasse en y additionnant une poudre aux vertus légèrement hypnotiques. Elle la tendit à Arlequin pour qu'il aide sa bien-aimée à l'ingurgiter.

- "Le goût n'est pas terrible, je vous préviens, mais ça va vous faire du bien."

D'une voix douce Aelwenn posa ensuite quelques questions sur les précédents enfantements que sa patiente avait pu vivre, sur la façon dont ça s'était passé, et s'assura qu'elle ne gardait pour elle aucune question, même les plus incongrues. Un linge humide humecta le visage éprouvé de la future maman qu'elle fit basculer sur le côté le temps de lui appliquer au bas du dos une feuille de cadomeïne. Urticante si elle n'était pas préparée selon des procédés précis, elle était garnie de microscopiques petites pointes reliées à des vésicules qui, sous l'effet de la chaleur de la maman, allaient diffuser dans le bas de son corps une douce chaleur au point d'endormir sa sensibilité. Elle alluma les bougies et disposa le symbole lunaire qui présiderait à la naissance et éloignerait les mauvais esprits de ce lieu qu'une prière acheva de consacrer, puis s'agenouilla sur le lit aux côtés de celle qui allait donner la vie.

Une main sur le ventre tout rond, l'autre autour du poignet, la prêtresse semblait compter. D'un doigt sur le bouche elle avait fait signe de faire silence et les deux parents avaient hoché la tête en retour. En fait de compter, elle entrait dans une transe légère, un état de conscience modifié dont elle maitrisait la lente dégradation volontaire. Sa perception des choses se modifiait, son intelligence s'altérait, sombrait pour laisser s'insinuer en elle une sensibilité intense aux émotions, aux sentiments, puis aux humeurs. Mais la "chute" continua encore. Sa pensée continua de s'altérer, de rétrograder à des niveaux de plus en plus animaux, de moins en moins conscients. Ce n'est que lorsque, moins qu'animale, elle n'était plus qu'un corps vivant s'adressant à un autre corps vivant qu'elle stabilisa enfin son nouvel état, et s'engagea dans un examen plus intime et subtil, l'instinct remplaçait l'intelligence, les sensations qu'éprouvaient la prêtresse affluaient en désordre : pulsations, chaleurs, rythmes, mouvements infimes ou plus intenses, jeux de forces, de contraintes, pressions, contractions...

Ce n'est qu'une minute ou deux plus tard que la prêtresse sembla émerger. Son visage profondément détendu s'anima d'un doux sourire qu'elle adressa à la future mère tout en se redressant pour se placer de façon plus stratégique. Elle disposa les linges, s'assurant une dernière fois que tout était prêt, et répéta les consignes : quand pousser, quand arrêter, quand respirer, s'adressant aussi au papa en lui donnant quelques conseils.

- "Ça ne saurait tarder maintenant."

Dans la salle commune, à leur tables, les cinq nains de la Ligue des Explorateurs avaient reposés leurs bières après les avoir vidées d'un trait.

- Compagnons, nous avons fauté.
- Nous n'aurions pas du nous moquer de la sorte.
- C'est indigne de notre part.

Chaque nain éprouvait maintenant une honte à s'être ainsi gaussé d'une elfe sur le point de mettre au jour son petit.

- Il faut que nous, Nains de Forgefer, fassions amende honorable. L'honneur le commande.
- Bien parlé, Mordüg!
- Bien dit! Une tournée de bière!
- Non, Barbebec, ce n'est plus le moment! Il nous faut trouver la juste réparation.
- Venez, nous allons tenir conciliabule dehors.

Les nains se levèrent, réglèrent avec un soupir le prix terrifiant que l'aubergiste demandait pour les cinq tonneaux de bière vidés, et sortirent en file taurache.

Linienya n'en revenait pas. Ce que lui avait donné Aelwenn pour la soulager des douleurs était tout bonnement formidable. Elle put affronter le reste de l'accouchement plus sereinement. Le travail avançait à bon rythme maintenant et vint le moment où le bébé voulait montrer le bout de son nez.
Elle demanda à son compagnon de s'installer derrière elle pour la soutenir lors des poussées et lui faire un cocon douillet lorsqu'elle relâchait. Un instant, l'inquiétude passa sur le visage de la sage femme et Linienya sera compulsivement la main de Caimbeul, inquiète. Mais Aelwenn était expérimenté, et quoi qu'il est put se passer, elle lui demanda de pousser une dernière fois et accueillis le bébé dans ses mains.
Le cri de la vie empli la chambre, alors qu'une petite fille s'agitait doucement. Les cheveux d'un violet tirant sur le pourpre, des yeux doux, elle portait une marque ovoïdale étrange au creux des reins.

Linienya accueillis sa fille au creux de sa poitrine, peau contre peau, les larmes aux yeux de bonheur. De tous ses enfants, c'était sa première fille et elle la couva d'office un regard doux et tendre et de tout l'amour qu'elle avait pour elle.
Elle attrapa la main du père et le regarda, plus qu'heureuse.
"Tu as vu ses cheveux? Qui croirait que c'est notre fille?"
Amusée, elle lui fit un clin d'œil complice, sachant très bien d'où provenait cette étrange couleur.

Aelwenn souriait. Tout s'était passé vite et bien. La petite avait pris sa première respiration sans faire de difficultés, le papa avait coupé le cordon avec une émotion visible et une fois les soins apportés, le bébé se montrait sous son plus beau jour : belle comme un cœur avec ses cheveux presque pourpres.

Elle félicita les deux parents, acheva ses soins auprès de la maman qui n'avait plus d'yeux que pour sa fille et tria le linge rapidement. Elle posa quelques questions pour s'assurer que l'allaitement ne poserait pas de problèmes, que la petite et sa maman seraient revues d'ici quelques jours, déposa trois petits sachets de poudre antalgique, puis s'éclipsa discrètement, non sans faire un bisou à la petite puce adorable, s'assurant encore que tout allait bien.

"Que la Lumière d'Elune veille sur vous trois." prononça-t-elle de sa voix douce.

Caimbeul remercia la prêtresse d'un signe de tête, trop ému pour parler. D'ailleurs sa louve put le surprendre en train d'essuyer une larme d'émotion. Sa fille était là....ça faisait si longtemps qu'il n'avait pas connu un tel moment, un tel bonheur. Il souffla doucement son nom en regardant le petit être qui se reposait sur le sein de sa mère après cette épreuve:
"- Eïryn...", il releva les yeux vers Linienya et vint l'embrasser doucement.
"- quel bonheur ma louve..."

Le petit bout bougea, frottant son nez contre sa mère, cherchant le sein. Avec un sourire de plénitude de mère ravie, Linienya l'installa à la tétée, lui caressant tendrement les cheveux.
"Oui un vrai bonheur... dont je compte profiter pleinement"
Doucement, elle vint se blottir contre Caimbeul, leur fille à son premier repas, tétant plutôt goulument, sa petite main s'agitant autant que ses mignonnes oreilles pointues.

Barbebec prit une longue inspiration.
Ils s'étaient rangés en ligne, devant l'auberge. Chacun avait pris sa trompe.

Il entama une longue note, lente et basse, sur laquelle chacun de ses quatres compagnons s'alignèrent.
Quand l'unisson fut réalisé, la Comté-de-l'Or résonna doucement, bercée par ces notes basses et apaisantes.

Les nains soufflèrent d'une seule note "L'Aube Nouvelle sur la Forge", de tout leur cœurs, en signe de bienvenue à ce nouvel être.

Ainsi les nains réparent leur erreurs, par l'insuffle d'une symphonie de cornes, un des meilleurs augures pour une nouvelle existence.

A la porte de l'auberge, prête à reprendre la route, la prêtresse s'était arrêtée, intriguée.

- "C'est une petite fille. Je laisse les parents vous annoncer son prén..."

Le son éclata en couvrant une bonne partie de ses mots. Elle rit puis se joignit à la foule, émue, pour manifester joie et bonne humeur en tapant dans ses mains dès que la dernière note mourut.

Intrigué Caimbeul se leva après un nouveau baiser tendre et amoureux à sa louve. Il sortit de la chambre dont il ferma doucement la porte et descendit les marches pour trouver la foule en train d'observer les nains qui jouaient de la corne.Quand ils eurent fini, l'elfe s'approcha d'eux et les salua en s'inclinant fort bas.
"- maîtres nains, je vous remercie d'avoir célébré ainsi la naissance de ma fille, Eïryn. Je n'oublierai pas cet hommage et je vous invite ainsi que les gens présents à célébrer ce moment par une tournée générale! Farley, servez aux gens ce qu'ils souhaitent!"
Caimbeul prit un peu de temps pour discuter avec les nains, puis Farley et tout un chacun avant de remonter retrouver sa compagne. Il avait fait attention à ne pas boire trop d'alcool et il fut soulagé de retrouver femme et fille dans la chambre. Le brouhaha de l'auberge s'estompa quand il ferma la porte et juste un peu de musique et de bruit traversait le plancher épais. La chambre était calme et il s'assit à côté de Linenya pour les regarder longuement toutes les deux.