Une nuée de voix pour quelques secrets
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Une nuée de voix pour quelques secrets
En cette nuit je suis Olivia Cowderson. Dans le Rêve, je me trouve sur le territoire de la Bête. Une forêt dense de chênes noirs, caractéristiques par leur écorce sombre, leurs racines solides s'enfonçant profondément dans la tourbe riche. Bruyère, cresson, fougère et chèvrefeuille tapissent le sol, fournissant nombre de cachettes aux animaux qui peuplent ces lieux.
J'en apprécie le parfum, frais en cette atmosphère enténébrée, floral et herbacé, accueillant.
La Bête n'est pas loin, comment pourrait-il en être autrement puisque nous ne formons d'ordinaire qu'une seule conscience. J'aperçois bientôt ses pupilles de citrine qui reflètent la faible luminosité, comme deux phares dans l'obscurité. Son pelage se confond avec le reste du paysage, d'un noir d'encre, crinière hirsute, oreilles triangulaires surmontées de pinceaux de poils longs, des pattes épaisses aux muscles nerveux.
En cette nuit l'animal me prête son terrain de chasse. Si ma proie me reste inaccessible à Theramore, je me dois de l'attirer ici. Si Smogpread hante les songes d'Eyaell de ses ombres, nous traquerons l'alchimiste ici même dans le Rêve.
J'ai promis à Nath que je l'aiderai à trouver le bonheur, pour des tas de raisons, autant de bonnes que de mauvaises. J'ai été un peu surprise qu'il choisisse quelqu'un comme Eyaell mais à y repenser ce n'est pas plus étrange que le couple que nous formons Angron et moi.
Mon compagnon a bien changé depuis notre rencontre, le chevalier devenu belluaire, réconcilié avec lui même, avec son environnement. Son désir d'aider son prochain est resté indemne. L'homme peut bien dormir dans un box d'écurie, dans la paille, à demi nu enchevêtré à sa compagne, à mes yeux, la noblesse de son âme demeure celle que j'ai connue lorsqu'il me rendait visite à l'infirmerie de la caserne.
La Bête s'approche et je l'enlace. L'esprit félin me nimbe comme un manteau de fumée, robe évanescente qui dissipe mes contours. Nous sommes une ombre qui se déplace, qui glisse et danse, qui entre en chasse. Nous murmurons à mi voix, que nous connaissons les secrets de Dieter. Nous chuchotons, enjôleuses voix, que d'autres connaissances seraient à sa portée, de nouveaux poisons, plus discrets, de nouvelles morts, parfaitement orchestrées, l'anéantissement des Kelbourg et son apogée.
La frondaison épaisse transmet l'entêtante mélopée, le bruissement des feuilles formant un contrepoint destiné à attirer l'attention.
J'en apprécie le parfum, frais en cette atmosphère enténébrée, floral et herbacé, accueillant.
La Bête n'est pas loin, comment pourrait-il en être autrement puisque nous ne formons d'ordinaire qu'une seule conscience. J'aperçois bientôt ses pupilles de citrine qui reflètent la faible luminosité, comme deux phares dans l'obscurité. Son pelage se confond avec le reste du paysage, d'un noir d'encre, crinière hirsute, oreilles triangulaires surmontées de pinceaux de poils longs, des pattes épaisses aux muscles nerveux.
En cette nuit l'animal me prête son terrain de chasse. Si ma proie me reste inaccessible à Theramore, je me dois de l'attirer ici. Si Smogpread hante les songes d'Eyaell de ses ombres, nous traquerons l'alchimiste ici même dans le Rêve.
J'ai promis à Nath que je l'aiderai à trouver le bonheur, pour des tas de raisons, autant de bonnes que de mauvaises. J'ai été un peu surprise qu'il choisisse quelqu'un comme Eyaell mais à y repenser ce n'est pas plus étrange que le couple que nous formons Angron et moi.
Mon compagnon a bien changé depuis notre rencontre, le chevalier devenu belluaire, réconcilié avec lui même, avec son environnement. Son désir d'aider son prochain est resté indemne. L'homme peut bien dormir dans un box d'écurie, dans la paille, à demi nu enchevêtré à sa compagne, à mes yeux, la noblesse de son âme demeure celle que j'ai connue lorsqu'il me rendait visite à l'infirmerie de la caserne.
La Bête s'approche et je l'enlace. L'esprit félin me nimbe comme un manteau de fumée, robe évanescente qui dissipe mes contours. Nous sommes une ombre qui se déplace, qui glisse et danse, qui entre en chasse. Nous murmurons à mi voix, que nous connaissons les secrets de Dieter. Nous chuchotons, enjôleuses voix, que d'autres connaissances seraient à sa portée, de nouveaux poisons, plus discrets, de nouvelles morts, parfaitement orchestrées, l'anéantissement des Kelbourg et son apogée.
La frondaison épaisse transmet l'entêtante mélopée, le bruissement des feuilles formant un contrepoint destiné à attirer l'attention.
Heliven
Re: Une nuée de voix pour quelques secrets
Il était de ces rêves pour le vieil alchimiste qui sévissaient en tous ses sommeils, traquant ses moindres assoupissements et chassant ses moindres siestes. Aussi en avait-il délibérément abandonné tout repos quotidien, au point même où ses seules nuits étaient celles où il pouvait bien chuter dans les limbes à l'instar de s'écrouler d'épuisement, après une journée de service bien trop éreintante pour son ancien corps certes vigoureux, ou une nuit blanche de chimie à tête non reposée.
Et quand le bougre avait le malheur d'y tomber, dans ces abîmes infinies, il ne pouvait que le regretter, que le souffrir, hélas pour lui.
Il en avait fait la rencontre d'un rêve habituel. Un rêve qui lui était apparu il y a des lustres. Un rêve qui le rongeait continuellement, qui grignotait son âme petit bout par petit bout, à ne plus y laisser à la place qu'un réceptacle vide et noir de rancœur et de douleur.
Il connaissait pertinemment le déclencheur de ces cauchemardesques visions nocturnes : Stratholme, sa jeunesse. Sa période dans l'enseignement des petites têtes, comme il le disait à quiconque pouvait bien lui poser la question, en grognant, naturellement.
Cette terreur rêvée se déroulait constamment de la même façon, suivant strictement le même schéma, la même torture, à chaque nuit dormi, à chaque sieste permise, à chaque repos accordé.
"L'alchimie est née des rêves où se réfugient les espoirs des hommes avares, mais des hommes ambitieux aussi. L'alchimie est la concrétisation de ces rêves, leur atteinte, leur prise. L'alchimie, les enfants, c'est donner à l'homme le pouvoir d'imaginer l'inimaginable en réalisant l'irréalisable. Nous ferrions du plomb de l'or que nous rêverions de rendre notre jeune et belle voisine amoureuse de nous. Nous rendrions cette jolie fille amoureuse de nous que nous rêverions de vivre dans une jeunesse éternelle et inaltérable. Nous vivrions une jeunesse éternelle et inaltérable, de quoi rêverions-nous alors, mes garçons ?"
Le silence tomba sur la pièce et pas un des enfants n'osa prendre la parole. Neuf étaient-ils ce jour-là. Des descendants de nobles lignées ou des grands bourgeois des quartiers les plus favorables à l'épanouissement des populations. Encore que, pouvait-on sérieusement parler de population ici, vu le faible nombre actuel d'aisés en ville. Les tables en acajou ancien étaient toutes tournées vers le professeur qui surplombait la scène de sa lourde et épaisse estrade brune, où reposait un unique pied chaussé de cuir noir, l'autre tâtant le sol de sa pointe avec ennui. Un ennui devant ce mutisme général. Pourtant il souriait, le Professeur Smogspread. Il souriait de ses fines lèvres roses et de son large nez blanc de lait. Un visage fin, pour l'époque, rasé encore. Un vague moustache lui barrant l'épicentre de sa face entre naseaux et bouche d'un ligne châtain, virant au noir à certains points du jour ou de la nuit. Admirablement vêtu, en ce temps. Certes sa redingote était pliée et posée sur le coin de son bureau de chêne, tapissé de cuirs divers et de bouquins nombreux, et tous plus antiques les uns que les autres... mais il revêtait encore sa douce chemise verdâtre et son nœud papillon grossier et beige. Une paire de lunettes sur le bout du nez, les verres ronds, mais les verres bien trop fins pour être comparables à ceux d'aujourd'hui. A ceux de nombreuses années plus tard. Au travers pouvait-on apprécier ses yeux d'un bleu de lagon, oscillant entre l'azur cristallisé et le vert vaseux et profondément ancré en les pupilles avec la détermination d'un têtu.
"Eh bien, personne ?"
Derrière lui, la porte imposante et fermée de la vieille arrière-salle. Derrière lui, les éclats aigus du verre qui heurte le sol et se brise en d'innombrables morceaux. Derrière lui la mort en flamme qui viendra lui lécher la vie d'une salive corrosive, sanglante et indélébile.
"Si vous voulez bien me suivre."
Le majordome conduisait l'alchimiste et son accompagnateur, un homme trapu et gras, couvert de soieries écarlates, au travers des méandres des nombreux corridors du manoir. Des tapisseries rouges et pourpres recouvraient le sol en bois sombre et luisant, alors que les murs, hauts comme tout, était parsemés de tableaux représentant les contrées et les histoires mythiques de la jeune bourgade qu'était Brill, ancienne localisation du Manoir. Des aventures du royaume, des hauts-faits de la louveterie locale... Des portraits d'aristocrates méconnus pour le professeur-mercenaire.
_Nous y sommes presque, releva le majordome, messieurs, pardonnez la longueur des lieux, mais Messire adore ce qui est interminable et casse-tête.
_Qui sont-ils déjà, Cardinal ? interrogea l'alchimiste engoncé dans ses cuirs sombres et laids, une dague fourrée dans des écailles corneilles à sa lourde ceinture, alors qu'une grand-porte s'ouvrit des deux côtés.
La pièce semblait gigantesque. Eclairée de mille feux, par des bougies épaisses et suintantes, des chandeliers à multiples branches, des lustres étincelants. Et tout de suite en entrant la musique inondait les oreilles. Et tout de suite à gauche trônait un piano noir et luxueux où jouaient admirablement de jeunes personnages. Une jeune et malingre rouquine portant des lunettes vertes, les cheveux noués derrière son crâne rond et minimaliste, accompagnait un jeune-garçon aux cheveux noirs et à demi longs. Il avait les yeux verts perçants et le sourire facile. Un sourire charmeur.
_Cardinal Dix !
_Velenskins Magtorus. Et cela suffit à leur faire faire une accolade affectueuse, une accolade débordante de respect alors que l'alchimiste restait à l'écart, les bras croisés.
_Qu'en est-il de mon titre ? Interrogea le Magtorus, rutilant.
_Il en route, Messire, il est en route et en bonne voie. Sa main traça un long trait circulaire jusqu'à parvenir à l'épaule de Samuelson, sa manche écarlate atteignant alors sa taille avec majesté et comique à la fois. Ce jeune-homme est intéressé par ton savoir, Velenskins, il se nomme Samuelson Smogspread, il vient de Stratholme. Parents décédés. Vie oubliée, passé pour mort en tant qu'exécuté. Nombreuses besognes dans le mercenariat, à mon service. C'est un garçon sûr.
Le propriétaire aux cheveux poivres-et-sels se retira de son grassouillet ami et rejoint son riche fauteuil au plus endroit du salon, fauteuil aux allures de trône. Son poing mollasson s'écrasa sous sa joue avec mécontentement et hésitation. Une seconde main se leva fugacement.
_Aucun partage. Le savoir est notre famille. Il n'est pas de la famille : il n'aura rien, Dix, rien. Et que cela n'entache pas nos relations, car la Lumière est témoin que je désire ce titre plus que tout au monde.
L'alchimiste fit volte-face et darda une dernière fois sur les deux adolescents qui inondaient la pièce d'une musique adorable. Il prit la porte sans piper mot et bientôt le Cardinal fit de même.
"Nicel, raccompagnez nos invités à la sortie avant qu'ils se perdent. Prévenez Hurth et Bach qu'ils devront les escorter au travers des Bois."
Une voix traversa une ultime fois la pièce, teintée de miel.
"Mon Oncle, quand mère revient-elle ?..."
Mais cette fois le rêve était différent. Cette fois le rêve changeait, se fondait en autre chose. Le schéma était rompu, le schéma était saboté, et un songe pourri et gangrené prenait la tête endormie de l'alchimiste vétéran, un songe manipulateur et vicieux, un songe attirant.
Il désirait plus que tout ces savoirs sur l'Ombre que détenaient les Magtorus. Ces savoirs rédigés par Dieter. Il désirait plus que tout oublié oublier ses méfaits. Oublier ses horreurs. Il désirait plus que tout obtenir miséricorde.
Et à ce Rêve il s'abandonna, non sans tenter de se défendre...
Et quand le bougre avait le malheur d'y tomber, dans ces abîmes infinies, il ne pouvait que le regretter, que le souffrir, hélas pour lui.
Il en avait fait la rencontre d'un rêve habituel. Un rêve qui lui était apparu il y a des lustres. Un rêve qui le rongeait continuellement, qui grignotait son âme petit bout par petit bout, à ne plus y laisser à la place qu'un réceptacle vide et noir de rancœur et de douleur.
Il connaissait pertinemment le déclencheur de ces cauchemardesques visions nocturnes : Stratholme, sa jeunesse. Sa période dans l'enseignement des petites têtes, comme il le disait à quiconque pouvait bien lui poser la question, en grognant, naturellement.
Cette terreur rêvée se déroulait constamment de la même façon, suivant strictement le même schéma, la même torture, à chaque nuit dormi, à chaque sieste permise, à chaque repos accordé.
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"L'alchimie est née des rêves où se réfugient les espoirs des hommes avares, mais des hommes ambitieux aussi. L'alchimie est la concrétisation de ces rêves, leur atteinte, leur prise. L'alchimie, les enfants, c'est donner à l'homme le pouvoir d'imaginer l'inimaginable en réalisant l'irréalisable. Nous ferrions du plomb de l'or que nous rêverions de rendre notre jeune et belle voisine amoureuse de nous. Nous rendrions cette jolie fille amoureuse de nous que nous rêverions de vivre dans une jeunesse éternelle et inaltérable. Nous vivrions une jeunesse éternelle et inaltérable, de quoi rêverions-nous alors, mes garçons ?"
Le silence tomba sur la pièce et pas un des enfants n'osa prendre la parole. Neuf étaient-ils ce jour-là. Des descendants de nobles lignées ou des grands bourgeois des quartiers les plus favorables à l'épanouissement des populations. Encore que, pouvait-on sérieusement parler de population ici, vu le faible nombre actuel d'aisés en ville. Les tables en acajou ancien étaient toutes tournées vers le professeur qui surplombait la scène de sa lourde et épaisse estrade brune, où reposait un unique pied chaussé de cuir noir, l'autre tâtant le sol de sa pointe avec ennui. Un ennui devant ce mutisme général. Pourtant il souriait, le Professeur Smogspread. Il souriait de ses fines lèvres roses et de son large nez blanc de lait. Un visage fin, pour l'époque, rasé encore. Un vague moustache lui barrant l'épicentre de sa face entre naseaux et bouche d'un ligne châtain, virant au noir à certains points du jour ou de la nuit. Admirablement vêtu, en ce temps. Certes sa redingote était pliée et posée sur le coin de son bureau de chêne, tapissé de cuirs divers et de bouquins nombreux, et tous plus antiques les uns que les autres... mais il revêtait encore sa douce chemise verdâtre et son nœud papillon grossier et beige. Une paire de lunettes sur le bout du nez, les verres ronds, mais les verres bien trop fins pour être comparables à ceux d'aujourd'hui. A ceux de nombreuses années plus tard. Au travers pouvait-on apprécier ses yeux d'un bleu de lagon, oscillant entre l'azur cristallisé et le vert vaseux et profondément ancré en les pupilles avec la détermination d'un têtu.
"Eh bien, personne ?"
Derrière lui, la porte imposante et fermée de la vieille arrière-salle. Derrière lui, les éclats aigus du verre qui heurte le sol et se brise en d'innombrables morceaux. Derrière lui la mort en flamme qui viendra lui lécher la vie d'une salive corrosive, sanglante et indélébile.
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"Si vous voulez bien me suivre."
Le majordome conduisait l'alchimiste et son accompagnateur, un homme trapu et gras, couvert de soieries écarlates, au travers des méandres des nombreux corridors du manoir. Des tapisseries rouges et pourpres recouvraient le sol en bois sombre et luisant, alors que les murs, hauts comme tout, était parsemés de tableaux représentant les contrées et les histoires mythiques de la jeune bourgade qu'était Brill, ancienne localisation du Manoir. Des aventures du royaume, des hauts-faits de la louveterie locale... Des portraits d'aristocrates méconnus pour le professeur-mercenaire.
_Nous y sommes presque, releva le majordome, messieurs, pardonnez la longueur des lieux, mais Messire adore ce qui est interminable et casse-tête.
_Qui sont-ils déjà, Cardinal ? interrogea l'alchimiste engoncé dans ses cuirs sombres et laids, une dague fourrée dans des écailles corneilles à sa lourde ceinture, alors qu'une grand-porte s'ouvrit des deux côtés.
La pièce semblait gigantesque. Eclairée de mille feux, par des bougies épaisses et suintantes, des chandeliers à multiples branches, des lustres étincelants. Et tout de suite en entrant la musique inondait les oreilles. Et tout de suite à gauche trônait un piano noir et luxueux où jouaient admirablement de jeunes personnages. Une jeune et malingre rouquine portant des lunettes vertes, les cheveux noués derrière son crâne rond et minimaliste, accompagnait un jeune-garçon aux cheveux noirs et à demi longs. Il avait les yeux verts perçants et le sourire facile. Un sourire charmeur.
_Cardinal Dix !
_Velenskins Magtorus. Et cela suffit à leur faire faire une accolade affectueuse, une accolade débordante de respect alors que l'alchimiste restait à l'écart, les bras croisés.
_Qu'en est-il de mon titre ? Interrogea le Magtorus, rutilant.
_Il en route, Messire, il est en route et en bonne voie. Sa main traça un long trait circulaire jusqu'à parvenir à l'épaule de Samuelson, sa manche écarlate atteignant alors sa taille avec majesté et comique à la fois. Ce jeune-homme est intéressé par ton savoir, Velenskins, il se nomme Samuelson Smogspread, il vient de Stratholme. Parents décédés. Vie oubliée, passé pour mort en tant qu'exécuté. Nombreuses besognes dans le mercenariat, à mon service. C'est un garçon sûr.
Le propriétaire aux cheveux poivres-et-sels se retira de son grassouillet ami et rejoint son riche fauteuil au plus endroit du salon, fauteuil aux allures de trône. Son poing mollasson s'écrasa sous sa joue avec mécontentement et hésitation. Une seconde main se leva fugacement.
_Aucun partage. Le savoir est notre famille. Il n'est pas de la famille : il n'aura rien, Dix, rien. Et que cela n'entache pas nos relations, car la Lumière est témoin que je désire ce titre plus que tout au monde.
L'alchimiste fit volte-face et darda une dernière fois sur les deux adolescents qui inondaient la pièce d'une musique adorable. Il prit la porte sans piper mot et bientôt le Cardinal fit de même.
"Nicel, raccompagnez nos invités à la sortie avant qu'ils se perdent. Prévenez Hurth et Bach qu'ils devront les escorter au travers des Bois."
Une voix traversa une ultime fois la pièce, teintée de miel.
"Mon Oncle, quand mère revient-elle ?..."
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Mais cette fois le rêve était différent. Cette fois le rêve changeait, se fondait en autre chose. Le schéma était rompu, le schéma était saboté, et un songe pourri et gangrené prenait la tête endormie de l'alchimiste vétéran, un songe manipulateur et vicieux, un songe attirant.
Il désirait plus que tout ces savoirs sur l'Ombre que détenaient les Magtorus. Ces savoirs rédigés par Dieter. Il désirait plus que tout oublié oublier ses méfaits. Oublier ses horreurs. Il désirait plus que tout obtenir miséricorde.
Et à ce Rêve il s'abandonna, non sans tenter de se défendre...
Aldorey Kelbourg- Personnages Joués : Aldoreÿ/Guilhart/Visvaldis
Re: Une nuée de voix pour quelques secrets
La forêt frémit de concert, charmilles et frondaisons hautes, jusqu’aux buissons et tapis de brindilles. Le sol de tourbe en devient lisse, accueillant notre « invité » avec la souplesse d’une terre aérée par quelque main bienveillante. Je rôde, folâtre parmis les troncs rugueux, je hume les songes qui ont menés l’homme ici.
Il sent les meubles de bois régulièrement patinés et cirés, à laquelle se mêlent les parfums de papier, de cuir, de vernis de térébenthine. Des fragrances bien différentes de celles des herbes et des substances plus acres et acides qui le marquent d’une aura olfactive bien spécifique dans l’autre monde.
Il porte sur lui les relents amers des remords, effluves que je n’aurais pas soupçonnés. Je m’immobilise entre deux chênes pour goûter cette émotion indéniablement humaine. Je connais cette sensation, étouffante et autodestructrice, si puissante qu’elle avait, des années auparavant, appelé la Bête pour mettre fin à mon existence.
Je penche légèrement le visage sur le côté, dans une mimique qui m’est caractéristique. J’ai tellement de questions à lui poser... ces informations qu’il possèdent pourraient sauver une vie, plusieurs même.
A distance, je laisse la Bête œuvrer, l’esprit abandonne son emprise sur notre environnement pour se concentrer sur l’homme. Le décor devient moins tangible alors que les voulûtes satinées qui me nimbent s’étirent, se dissolvent pour exalter les souvenirs enfouis, je ne suis qu’une silhouette rappelant un être cher, un être aimé ou un être désiré, je cherche à devenir la personne en qui Smogspread avait le plus confiance, sans même savoir quel visage j’aurais, quelle voix, quelle attitude.
Une illusion, un mensonge de plus, un piège que l’esprit félin m’accorde sans me soutenir pour autant. Sa chasse à elle se compose de longues courses effrénées, d’une mise à mort rapide et simple.
Je tends la main devant moi, paume vers le sol, cherchant à apaiser l’animal. Nous ne sommes pas venus pour tuer, mais pour trouver les réponses que nous n’obtiendrions pas autrement. Le menacer ne fera que le braquer. Elle gronde. Moi non plus je n’aime pas cela.
Quelle apparence ai-je, quelle voix, comment dois-je m’adresser à lui ? Cherche ma Bête, exhume les souvenirs enfouis, retrouve l’homme sous l’assassin…
Que vais-je être pour lui ? Une relation familiale, amoureuse, un confident ou son meilleur ami disparu peut être ? Je frémis d’anticipation, l’homme est plein de mystères, plus complexe que l’assassin qu’il paraissait être.
Et le groupe pour lequel il travaille, à quel dessein œuvre t-il ?
Heliven
Re: Une nuée de voix pour quelques secrets
Aussi les songes perdurèrent...
Des songes qui datent, des songes de lustres et de lustres durant, d'antan...
Des songes qui datent, des songes de lustres et de lustres durant, d'antan...
***
Ses bras enlacèrent l'ancien professeur de manches de tissus mauves et écarlates aux allures grotesques. Tellement pendaient-elles à en toucher le sol et y trainer de leur bout en pointe risible, pointe surmontée de dorures rutilantes pompeuses et si négligemment portées, que ça donnait au porteur des airs de clown ou de pacha démesurés, caricaturaux. L'Ecarlate grassouillet compressait horriblement l'alchimiste de la trentaine entre ses épais bras mollassons et flasques. Son menton ignoble mais surmonté de joues odorantes et poudrées était collé contre l'épaule armurée de cuirs solides et cloutés de Samuelson tandis qu'il pouvait lui susurrer des bienvenues extravagantes aux oreilles.
Aucun des deux hommes ne rechignait à se saluer avec politesse et humilité. D'un côté avec théâtre, de l'autre avec retrait.
"Mais je m'égare, s'enjouait l'homme de foi, mais je m'égare ! Nous nous égarons en politesses Samuelson. Venez, marchons, et discutons de ce qui vous amène ici. Discutons du devenir du pourquoi j'avais provoqué votre départ et ordonné votre probable incessamment sous peu retour."
Et ils marchèrent côte à côte, à petits pas lents et monotones, en des lignes de corridors et d'arcades en extérieur, où bon semblait vouloir flâner l'esprit du lumineux et bon vivant Ecarlate.
Une demi-lune planait au-dessus des deux visages qui déambulaient sur l'extérieur. Une demi-lune soutenue de pétillantes étoiles, un pléthore, une tapisserie et un étalage étincelant de blanchisseries éclairantes et lumineuses jalonnant leurs pas accordés sur les dalles de la terrasse. Une terrasse en carré où les rectangles de pierre carrelés au sol formaient des corridors aux quatre côtés, sous de vastes et larges arcades en pierre grise ancienne. En dehors de ces quatre couloirs, segmentés d'un muret solide et orné de tuiles brunes, vivait au rythme des éclaircis de la lune un jardin richement fourni de plantes tantôt légères tantôt boursouflées. S'y épanouissaient une myriade de couleurs chaudes comme froides qui semblaient chaque fois se tourner en direction des visiteurs, de quoi les zieuter impoliment alors que ceux-ci, franchissant un passage ouvert du muret en direction de l'épicentre fleuri du jardin, se gardaient de s'approcher davantage pour simplement s'assoir sur un court et long banc allongé à même la verdure des lieux.
Lourdement se posa l'Ecarlate, de ses larges cuisses et fesses. De quoi lui rougir les bajoues, lui tirer un souffle las. Ses bras se planquaient alors en ses manches, jointes, et se masquaient leur main sous les étalages de tissu. Samuelson l'accompagna. L'un souriait avec la distraction inhérente à une joie de vivre, l'autre se contentait de regarder la flore avec absence.
_Spilett n'est plus, ébranla le silence Samuelson.
_Et comment vous y êtes-vous pris mon bon ?
_Notre homme, débuta l'alchimiste, n'était pas si ascète qu'il pouvait en faire montre dans vos salles à manger, Cardinal. Outre un gourmand c'était aussi un sac. Amateur de viande salée, je l'ai constaté dès les premiers arrêts qu'il a fait ici. J'ai mouillé son sel de grains maisons. Et chaque jour en versait-il un peu plus, de cette vilaine eau, dans son assiette. Trois campements suffirent à lui couper la vie. Au premier tomba-t-il malade et passa sa nuit aux toilettes de fortune. Au deuxième s'étouffait-il avec la moindre miche de pain et crachait. Au troisième il tomba la tête dans sa soupe et y libéra ses dernières bulles d'oxygène.
_Ses hommes ? Interrogea le Cardinal.
_Tous envolés après son départ, je fis comme eux pour ensuite vous rejoindre.
_Ils ont la leçon en tête, se rassura l'homme gras d'un sourire au bout des bajoues. Spilett était un homme bon, mais un homme bête. Assez pour espérer que ma maladie de cœur me prenne et me traine dans l'outre-monde sans que la Lumière y fit quelque chose. Son dernier geste de respect fut de vous sortir des entrailles de la ville. Il vous libéra par erreur des prisons de Stratholme, à la place d'un de mes collaborateurs. Cette erreur vous transforma en mon débiteur, Smogspread. J'avais foi en ce qu'il arrive des imprévus bardés d'opportunités. Je n'avais pas tort de le faire. Ca ne lui porta pas bonheur, à lui.
_Il semblerait.
_Passons... J'ai un présent pour vous, mon garçon.
Les deux manches de l'homme de Lumière s'écartèrent l'une de l'autre et dévoilèrent deux mains aux doigts boudinés et bagués de joyeux de taille folle. Deux mains exerçant une emprise sur un coffret long, d'acajou disait-il en couleur.
"Vous avez toujours obtempéré, Samuelson, toujours été docile à mes demandes et ouvert à mes doléances. A présent m'est avis que vous méritez d'être aussi ouvert à mes remerciements et mes éloges les plus sincères et les plus concrètes. Voici pour vous."
L'alchimiste ne pipait pas un mot dès lors que s'approchait le coffret de ses propres mains. Le Cardinal lui déposa, lui donna, et sitôt se renfermèrent ses mains et ses bras en ses vêtements fastidieux et exubérants. L'ancien professeur ouvrit.
_Une dague, s'étonna-t-il, Cardinal Dix ?
_De véritable argent et de sombrefer, d'un manche de bois de Gilnéas. Cette arme a traversé tous les royaumes et toutes les cultures pour se façonner et devenir ce qu'elle est à présent, une œuvre.
L'alchimiste releva ses binocles sur le porteur de soieries aux couleurs et coupures invraisemblables.
"Miséricorde est son nom, Samuelson, elle est ce que vous guettez, elle est ce que vous convoitez. Elle est ce pourquoi vous devez continuer de me suivre et de m'obéir, car elle est maintenant une part de vous qui brûle de rendre service à un personnage honorable."
Aucun des deux hommes ne rechignait à se saluer avec politesse et humilité. D'un côté avec théâtre, de l'autre avec retrait.
"Mais je m'égare, s'enjouait l'homme de foi, mais je m'égare ! Nous nous égarons en politesses Samuelson. Venez, marchons, et discutons de ce qui vous amène ici. Discutons du devenir du pourquoi j'avais provoqué votre départ et ordonné votre probable incessamment sous peu retour."
Et ils marchèrent côte à côte, à petits pas lents et monotones, en des lignes de corridors et d'arcades en extérieur, où bon semblait vouloir flâner l'esprit du lumineux et bon vivant Ecarlate.
Une demi-lune planait au-dessus des deux visages qui déambulaient sur l'extérieur. Une demi-lune soutenue de pétillantes étoiles, un pléthore, une tapisserie et un étalage étincelant de blanchisseries éclairantes et lumineuses jalonnant leurs pas accordés sur les dalles de la terrasse. Une terrasse en carré où les rectangles de pierre carrelés au sol formaient des corridors aux quatre côtés, sous de vastes et larges arcades en pierre grise ancienne. En dehors de ces quatre couloirs, segmentés d'un muret solide et orné de tuiles brunes, vivait au rythme des éclaircis de la lune un jardin richement fourni de plantes tantôt légères tantôt boursouflées. S'y épanouissaient une myriade de couleurs chaudes comme froides qui semblaient chaque fois se tourner en direction des visiteurs, de quoi les zieuter impoliment alors que ceux-ci, franchissant un passage ouvert du muret en direction de l'épicentre fleuri du jardin, se gardaient de s'approcher davantage pour simplement s'assoir sur un court et long banc allongé à même la verdure des lieux.
Lourdement se posa l'Ecarlate, de ses larges cuisses et fesses. De quoi lui rougir les bajoues, lui tirer un souffle las. Ses bras se planquaient alors en ses manches, jointes, et se masquaient leur main sous les étalages de tissu. Samuelson l'accompagna. L'un souriait avec la distraction inhérente à une joie de vivre, l'autre se contentait de regarder la flore avec absence.
_Spilett n'est plus, ébranla le silence Samuelson.
_Et comment vous y êtes-vous pris mon bon ?
_Notre homme, débuta l'alchimiste, n'était pas si ascète qu'il pouvait en faire montre dans vos salles à manger, Cardinal. Outre un gourmand c'était aussi un sac. Amateur de viande salée, je l'ai constaté dès les premiers arrêts qu'il a fait ici. J'ai mouillé son sel de grains maisons. Et chaque jour en versait-il un peu plus, de cette vilaine eau, dans son assiette. Trois campements suffirent à lui couper la vie. Au premier tomba-t-il malade et passa sa nuit aux toilettes de fortune. Au deuxième s'étouffait-il avec la moindre miche de pain et crachait. Au troisième il tomba la tête dans sa soupe et y libéra ses dernières bulles d'oxygène.
_Ses hommes ? Interrogea le Cardinal.
_Tous envolés après son départ, je fis comme eux pour ensuite vous rejoindre.
_Ils ont la leçon en tête, se rassura l'homme gras d'un sourire au bout des bajoues. Spilett était un homme bon, mais un homme bête. Assez pour espérer que ma maladie de cœur me prenne et me traine dans l'outre-monde sans que la Lumière y fit quelque chose. Son dernier geste de respect fut de vous sortir des entrailles de la ville. Il vous libéra par erreur des prisons de Stratholme, à la place d'un de mes collaborateurs. Cette erreur vous transforma en mon débiteur, Smogspread. J'avais foi en ce qu'il arrive des imprévus bardés d'opportunités. Je n'avais pas tort de le faire. Ca ne lui porta pas bonheur, à lui.
_Il semblerait.
_Passons... J'ai un présent pour vous, mon garçon.
Les deux manches de l'homme de Lumière s'écartèrent l'une de l'autre et dévoilèrent deux mains aux doigts boudinés et bagués de joyeux de taille folle. Deux mains exerçant une emprise sur un coffret long, d'acajou disait-il en couleur.
"Vous avez toujours obtempéré, Samuelson, toujours été docile à mes demandes et ouvert à mes doléances. A présent m'est avis que vous méritez d'être aussi ouvert à mes remerciements et mes éloges les plus sincères et les plus concrètes. Voici pour vous."
L'alchimiste ne pipait pas un mot dès lors que s'approchait le coffret de ses propres mains. Le Cardinal lui déposa, lui donna, et sitôt se renfermèrent ses mains et ses bras en ses vêtements fastidieux et exubérants. L'ancien professeur ouvrit.
_Une dague, s'étonna-t-il, Cardinal Dix ?
_De véritable argent et de sombrefer, d'un manche de bois de Gilnéas. Cette arme a traversé tous les royaumes et toutes les cultures pour se façonner et devenir ce qu'elle est à présent, une œuvre.
L'alchimiste releva ses binocles sur le porteur de soieries aux couleurs et coupures invraisemblables.
"Miséricorde est son nom, Samuelson, elle est ce que vous guettez, elle est ce que vous convoitez. Elle est ce pourquoi vous devez continuer de me suivre et de m'obéir, car elle est maintenant une part de vous qui brûle de rendre service à un personnage honorable."
Aldorey Kelbourg- Personnages Joués : Aldoreÿ/Guilhart/Visvaldis
Re: Une nuée de voix pour quelques secrets
Les images fusent avec acuité, si précises qu'elles en sont aveuglantes… au point que mon avant bras vient masquer mon visage sans réussir à en atténuer les effets. Trop de couleurs, trop de rouges, le carmin des fleurs, le cardinal des étoffes précieuses, l'andrinople des peintures, le vermillon du sang.
Je réalise enfin que ma manche est blanche, serrée au niveau du poignet avant de former une corolle contre ma main large et calleuse, une main à la peau d'une pâleur crayeuse, une main de mort.
Je ris. D'une voix de stentor, amplifiée par les frondaisons denses dont les échos se répercutent à l'infini alors même que je reprends la parole, sur un ton plus ironique.
« Quelle mort stupide n'est-ce pas ? Peut-on imaginer fin moins glorieuse... »
Je lève la main pour l'interrompre « Non ne me dis rien, je suis certains que tu as tes idées sur la question Sam »
Je ferme les yeux à demi, le visage reflétant une expression pensive. Que suis-je entrain de faire ?
***
« Tient prend ça, au moins t'auras mérité ton surnom de Gros Pif ! »
Mon poing s'abat sur son nez, brisant l'arête dans une gerbe de sang. C'est qu'il me crache au visage le bougre alors que mes genoux bloquent ses bras au sol, et qu'assise sur son thorax je lui refais le portrait. La pluie n'a pas cessé de tomber depuis plus d'une semaine, nous rendant tous aussi crottés et plein de boue que les chiens galeux avec lesquels nous nous disputons les abris. Les enfants se sont rassemblés autour de nous, les adultes aussi bien que de manière moins évidente, ils font toujours plus ou moins semblant de ne pas remarquer la bande d'orphelins intenables que nous sommes. La future lie de la région, la mauvaise graine qui finira pendue au bout d'une corde dans le meilleur des cas.
Je ne m'arrête que lorsque mes bras auront été trop engourdis pour se lever, les poings tremblants d'une douleur sourde. C'est qu'il a le visage solide ce Gros Pif. Personne n'est intervenu, autant laisser les morveux s'entre tuer n’est-ce pas ?
Plus tard Nath me trempait les mains dans la boue.
« T'es crade... » le rabrouais-je
« C'est ça ou avoir les mains enflées comme le nez de Roth alors choisis Olivia »
Il soupire « Tu étais vraiment obligée de le battre comme plâtre ? »
« Il s'en était pris à l'un des petits, fallait faire un exemple avant que d'autres n'aient la même idée »
C'est ça ou lui avouer que j'avais pété un câble. De toute manière il nous aurait fallut ensuiteregagner le respect des plus durs, et la confiance des plus petits, c'est ça ou laisser le groupe se dissoudre et les marchands d'enfants nous mettre la patte dessus les uns après les autres.
« Dis Nath, tu l'as soigné aussi Gros Pif ? »
« Je l'aurais fait si j'avais su, mais on a du le traîner chez l'apothicaire. »
« Va falloir se trouver un abri pour la nuit avant d'attraper une vilaine crève » quoique je soupçonne déjà un ou deux petits à avoir la morve au nez. Des mauvaises nuits en perspective…
L'adolescent efflanqué est déjà debout, tendant la main pour m'aider à me relever. Je me dis qu'il a encore du donner sa part de bouffe pour être squelettique comme ça.
« Déjà trouvé fillette. Tu crois qu'on faisait quoi pendant que tu te donnais en spectacle hein ? » me répond t-il avec le sourire. Sacré Nath…
C'est vrai qu'on était comme ça. Des petits durs. Sauf Nath parce qu'il était Nath et les petits parce qu'ils étaient trop petits pour se faire respecter...
***
Réagir. Et vite. L’appâter.
« L’Ombre… ou les Ombres ? » un mince sourire se dessine sur mon visage.
« Quelle ironie vois tu… ce que tu cherches dans les notes de Dieter, tu l’as toi-même crée. Nous sommes l’Ombre, ton Ombre. La mort que tu as dispensé avec tant de générosité. Tu penses ajouter la petite Valorians à la troupe ? Oh qu’importe après tout, tu ne saurais nous convaincre ni nous contrôler. Tu resteras un outil, pour toujours et à jamais. Dix t’a toujours à sa botte ? Cet homme est peut être à vomir, il est brillant. Avide aussi, mais tu le sais déjà n’est-ce pas ? Il prendra tout. Ce qu’il n’aura pas prit, tu l’auras déjà détruit de ton propre fait… »
Heliven
Re: Une nuée de voix pour quelques secrets
Et dans les profondeurs bleues pétroles de la voute céleste, en cette nuit, se propageaient les éclats jaunes et orangés des flammes de la guerre.
Une gifle sur mon visage pâle et perdu dans les méandres étoilés des cieux.
« Smogspread ? Réveilles-toi. Nous partons, fissa ; relève ce qu'il reste. »
J'obtempère. Je me grouille à me redresser, quitte à démarrer à quatre pattes, les mains plongées dans les tapisseries bousillées de la nature. L'herbe n'est plus verte, maintenant. Elle est brune, elle est grise, elle est ambre ou vermillon, tacheté de sangs nombreux. Mes jambes molles se dépêchent, d'ailleurs, elles ont beau se dépêcher, j'avance à peine, j'entends peu, je vois peu. J'ai été brûlé ? Sonné, en tout cas. Qu'est-ce que je dois relever, comme reste ? Les morts de quel côté ? Les morts, c'est bien ça au moins ? Ou les vivants... Quels vivants, aussi. Un cadavre, non loin, un Réprouvé. La gueule en vrac, décrochée, à mieux regarder. Je ne veux pas y toucher.
Ca hurle. Mais ça hurlait déjà avant, déjà avant l'assaut...
On avait remarqué ce campement égaré deux jours plus tôt, avec l'attroupement de mercenaires que nous formions. Sept gars engagés par le Cardinal Dix, cet homme de lourdes bajoues pourpres qui tremblotaient à chaque syllabe, maniéré au possible et constamment à pouffer dans ses manches interminables au moindre trait d'humour : « Vous reprendrez ces terres, décida-t-il, elles appartiennent à un vieil ami. En échange de la reconquête, vous récupérerez ce que judicieux vous semble sur tout le périmètre, sur tous les ennemis boutés ou éliminés. Sur vos collègues, aussi, si jamais ils ont la bêtise de crever plus tôt que vous. » Et il rit avant de retourner à son jardin. Papotant frugalement avec un vieillard, fomentant astucieusement avec un noble quelconque.
Protections minimes, une dizaines de morts-vivants qui y trainaillaient. Bref, c'était prenable avec la surprise de la nuit et l'astuce de nos cervelles encore composées. Circulaire, le campement comprenait deux tentes mauves et aux soieries délabrées par le temps et le peu d'entretien. Des fossés étaient formés de part et d'autre de l'installation provisoire et un feu de camp aux danses verdâtres crépitait jour et nuit à l'épicentre de cette horreur. Chacun leur tour les Réprouvés prenaient un tour de garde. Il y en avait toujours un pour surveiller les lieux. Ironiquement certains n'avaient plus d'yeux.
« Armés jusqu'à ce qu'ils leur restent comme dents, détailla David O'Cleim, le plus jeune d'entre nous mais un éclaireur dévoué. Dix monstres, un chimiste, j'ai vu, pour toi Smog. On utilisera deux chevaux, je chargerais avec l'Ainé, on défonce les boiseries qui délimitent le tout, on taille, on sème, vous suivez vite fait et ce sera la débandade pour eux.
_ Tu l'as dit, Cadet, répondit l'Ainé. Paul O'Cleim, chasseur émérite qu'il se disait, en fait, il avait été condamné à mort pour braconnage sur forêt royale. Mais j'préviens, pas de conneries. Personne pique, vole, emprunte avant qu'ils soient tous niqués. Compris ? »
Toute l'assemblée opina dans un « Compris » entendu. Et puis les chevaux s'élancèrent en silence.
Il suffit d'une poignée de secondes pour que les cavaliers atteignent leur cible. Les montures sautèrent les rambardes de fortune, non sans en renverser un bon mètre au passage, et puis la lance de l'Ainé transperça le Réprouvé de garde qui chancela pour s'écraser dans les flammes. Aux éclats de lumières et aux hennissements des cavaliers, le reste des cadavres ambulants déboulèrent lame au clair à côté du feu. Et la danse, là-bas, débuta. Les chevaux et les deux cavaliers tournoyaient aux tentes et au feu pour échapper aux coureurs qui taillaient le vide ou glissaient sur les protections de maille des assaillants fougueux. Une tente s'effondra lorsque le Cadet buta sa monture contre ce qui devait la soutenir, et à sa chute au sol, nous, les cinq à pied, se mirent en route à cris et à rires, lames tirées, fusil chargés, arc bandés. Nous avions deux torches qui sillonnaient notre course folle par-delà les herbes hautes et trempées du terrain. Un filet de feu interminable et agité qui suffisait à peine à avertir notre chemin. Si bien que l'une des torches s'étouffa au sol à mi-distance du campement chargé.
« Qu'est-ce tu branles Seb ? hurla un.
_ Tombé sur un pieu, s'emporta un deuxième, c'est piégé, ducon, et pas un O'Cleim pour caler ça.
_On se bouge ! leur dis-je. »
Ca se battait diablement déjà. Les deux O'Cleim avaient abandonné monture -mortes et tripes à l'air- pour batailler au sol en attendant les renforts. Les deux filaient à chaque passe, et se contentaient d'esquiver au mieux la concentration de morts qui faisaient en sorte de les prendre en coin. Lents, ceux là, vivaces, nos deux frères d'arme. On enjamba les rambardes et la dernière torche fut jetée sur la dernière tente, qui s'embrasa en un clin d'œil, de quoi vous cramer les yeux à la regarder. Un dernier Réprouvé s'en extirpa en urgence -chapeauté en pointe et précisons-le, enflammé- que le Freyjus, notre masse à nous, cueillit à la sortie d'un coup de hache au genou. L'alchimiste s'effondra, embrasa les herbes et chauffa l'acier de la lourde arme affutée du mercenaire qui venait tout juste de lui sectionner moitié la nuque, moitié le tronc. Le sang fusa dans un sifflement d'ébullition et Freyjus geint d'un ou deux jurons. Il me regarda ensuite d'un air sincèrement désolé d'avoir raccourcit un de mes semblables puis s'en alla, tout haletant déjà, vers les O'Cleim qui se faisaient tenailler dans un coin barricadé du camp de fortune par ses habitants.
Des hurlements, des lames qui s'entrechoquaient, des tires, des agonis. Et les flammes. C'était un théâtre moribond. Un théâtre étrange. Des Réprouvés se déplaçaient parfois avec des mercenaires d'un point à un autre sans même se remarquer, parfois des Réprouvés frappaient un autre, parfois les mercenaires aussi. Et puis Freyjus encaissa une dague en os d'un coriace Reprouvé qui avait avalé sa hache en plein gosier. Le gros essayait tant bien que mal de la retirer de ce tronc qui pissait le sang et les moisissures, mais l'autre n'en avait cure et le plantait une fois, deux fois, et puis ils tombèrent tous les deux ce qui arracha au mort-vivant un craquement osseux à donner des frissons. J'enfourchais le planté pour l'exécuter quand il me cracha son sang à la tronche. J'ai bien cru lui vomir dessus, ou même en succomber tellement c'était ignoble. Mais je lui détachais seulement la tête du tronc d'un coup de dague avant de me relever et de torcher mes verres d'un revers de main gantée, recouverts d'un fluide collant et épais, indescriptible en couleur.
« Freyjus est mort ! que je cria » Mais pas de réponse, juste du combat. Au cri, deux adversaires me cernèrent, lame au poing. L'un avait un moignon dégoûtant. M'approchant, il se firent happer par l'estramaçon dentelé du frère O'Cleim, le troisième. J'aurai pu le remercier, mais une plainte stridente nous perça tous les oreilles.
« Forestier ! Forestier ! Forestier N- » Une flèche fusa, transperça une tente en proie aux flammes, me sépara du frère O'Cleim qui venait de me sauver et continua son chemin pour étouffer le hurlement et surtout son initiateur. Sitôt un calme de mort s'installa. Même les reprouvés s'arrêtèrent de combattre. Les flammes, j'ai bien cru, cessèrent de crépiter, le vent, de souffler, et alors, le temps de s'écouler. Et puis une ombre vivace se trémoussa derrière les fumées anthracites des brasiers de bataille. Et puis elle bondit sur moi et O'Cleim. Je ne vis qu'une femme encapuchonnée, des yeux de rubis animés d'un instinct revêche et discipliné, un instinct assassin et radical. Ses genoux se plièrent, elle se fléchit devant O'Cleim, et, tout juste arrivée, tout juste réceptionnée de son bond inhumain et à couper l'ensemble des souffles, arracha au frère d'arme son imposante lame d'une taille à l'épée grise et sans reflet, et son gémissement plaintif et souffrant. Il tituba, manqua de s'écraser parmi les feux et tomba finalement la tête contre un reste de tente. Il semblait encore en vie, guère le temps de m'en assurer.
Le silence en fut raccourcie. Et la guerre qui faisait rage, le fit d'autant plus à présent.
Le Forestier s'élança agilement à m'en encontre, et en toute hâte je fis de mon mieux pour bloquer son premier assaut. Il n'avait cure de me blesser, mais visait de ce fait mon cœur ou mon cou. Par deux fois j'échouais à parer, par deux fois mes cuirs amortirent la mort forgée qui mordait mon corps et léchait ma peau d'une langue assassine et mortellement efficace.
Je me délestais de ma dague et entrepris de me défendre aux poings, ma prédilection. D'une roulade je me dérobais à un nouvel assaut puissant et d'estocade porté à ma vitalité. D'un bond, je me relevais, assénais à sa face voilée un coup de coude fort maîtrisé et réussis à lui défaire le capuchon, déroulant sa chevelure d'un bleu sombre et sans vie ni sensibilité le long de son dos armuré de cuirs noirs et cramoisis. La femme recula, expectora. Ce fut mon tour d'avancer, d'un pas, de deux, de pivoter et d'envoyer un pied balayer les herbes hautes et faucher ses jambes malingres. Un bon la soustrait avec simplicité. Un autre m'envoya à terre du fait d'un pied botté au visage qui me sépara de mes binocles. Au sol elle tenta de m'enfourcher, je roula, roula encore, manqua de m'envoyer aux flammes et retourna de l'autre côté. J'étais trempé, sali, à demi aveuglé mais j'esquivais ce qui semblait être son pied ou sa lame qui plantait le sol ou écrasait les herbes molles et maintenant affaissées. Le fer anthracite siffla mon oreille droite en se fichant dans la terre. Je sentis mon sang ne faire qu'un tour, ma vue se flouter, mes oreilles se ramollir, mes mains devenir flasques et sans aucun doigt. Pourtant, oui pourtant, il restait mes jambes, mes deux jambes, et d'une seconde à l'autre, elles se saisirent brillamment d'une de celles du Forestier, elles empoignèrent la prolongation, le mollet, ou la cuisse, et d'un pliage insistant obligèrent l'assaillant à s'abandonner au sol. Tout me revint si vite. Mon sang fit un ultime tour de moi, me redonna l'ensemble de mon acuité, de mes capacités. Je roulais, j'avançais, longeais et j'arrivais à auteur du crâne de l'elfe aux yeux de sang. Un coup de poing, un deuxième, un troisième. Une dent noire tomba, un œil se referma sous une peau décousue. Le menton se déplaça, encore, encore. Se décolla. Et puis finalement je ne frappais plus dans du solide mais dans de la bouillie noire et rouge. Un mélange de mon sang et du sien. Un mélange de mes os, de mes mains, et de ses organes il y a de cela une minute encore enfouies derrière un crâne à l'allure impénétrable.
Je regarda autour de moi. Mort et désolation. Plus de combat. Tout était terminé, tous morts. Je vis trois de mes alliés s'approcher et dans un dialecte qui me semblait étranger, me prévenir de ce qui devait être un : « Smog, t'as une lame dans le dos... »
Un O'Cleim, mais lequel ? Tout se brouilla. Noir complet.
Oui, tout me reviens maintenant. Ce crâne décroché et en pâté, c'est celui du Forestier que j'ai tabassé. Le ciel en feu, le ciel qui éclate, la guerre est proche, toute proche.
« Combien on est, encore, les O'Cleim ? que je demande au plus proche, David ce me semble.
_ Toi et nous trois. Nous quatre. Les Réprouvés font la guerre à deux lieux d'ici. On dégage, faudra te bouger seul les chevaux sont partis. »
Je m'approche une dernière fois du cadavre que j'ai tabassé. Je regarde son arc, et son carquois. Ses flèches noires, sombres, pas droites mais courbées. Des espèces de ronces pointues qui ne veulent pas d'honneur, qui ne veulent pas de justice, qui ont juste soif de cette peinture vermeille que l'on nomme sang.
« Vous récupérerez ce que judicieux vous semble, hein. »
Je prends l'arc, le carquois. Pourquoi ? Je ne saurai le dire. Je ne suis qu'une ombre qui s'étend.
Une gifle sur mon visage pâle et perdu dans les méandres étoilés des cieux.
« Smogspread ? Réveilles-toi. Nous partons, fissa ; relève ce qu'il reste. »
J'obtempère. Je me grouille à me redresser, quitte à démarrer à quatre pattes, les mains plongées dans les tapisseries bousillées de la nature. L'herbe n'est plus verte, maintenant. Elle est brune, elle est grise, elle est ambre ou vermillon, tacheté de sangs nombreux. Mes jambes molles se dépêchent, d'ailleurs, elles ont beau se dépêcher, j'avance à peine, j'entends peu, je vois peu. J'ai été brûlé ? Sonné, en tout cas. Qu'est-ce que je dois relever, comme reste ? Les morts de quel côté ? Les morts, c'est bien ça au moins ? Ou les vivants... Quels vivants, aussi. Un cadavre, non loin, un Réprouvé. La gueule en vrac, décrochée, à mieux regarder. Je ne veux pas y toucher.
Ca hurle. Mais ça hurlait déjà avant, déjà avant l'assaut...
On avait remarqué ce campement égaré deux jours plus tôt, avec l'attroupement de mercenaires que nous formions. Sept gars engagés par le Cardinal Dix, cet homme de lourdes bajoues pourpres qui tremblotaient à chaque syllabe, maniéré au possible et constamment à pouffer dans ses manches interminables au moindre trait d'humour : « Vous reprendrez ces terres, décida-t-il, elles appartiennent à un vieil ami. En échange de la reconquête, vous récupérerez ce que judicieux vous semble sur tout le périmètre, sur tous les ennemis boutés ou éliminés. Sur vos collègues, aussi, si jamais ils ont la bêtise de crever plus tôt que vous. » Et il rit avant de retourner à son jardin. Papotant frugalement avec un vieillard, fomentant astucieusement avec un noble quelconque.
Protections minimes, une dizaines de morts-vivants qui y trainaillaient. Bref, c'était prenable avec la surprise de la nuit et l'astuce de nos cervelles encore composées. Circulaire, le campement comprenait deux tentes mauves et aux soieries délabrées par le temps et le peu d'entretien. Des fossés étaient formés de part et d'autre de l'installation provisoire et un feu de camp aux danses verdâtres crépitait jour et nuit à l'épicentre de cette horreur. Chacun leur tour les Réprouvés prenaient un tour de garde. Il y en avait toujours un pour surveiller les lieux. Ironiquement certains n'avaient plus d'yeux.
« Armés jusqu'à ce qu'ils leur restent comme dents, détailla David O'Cleim, le plus jeune d'entre nous mais un éclaireur dévoué. Dix monstres, un chimiste, j'ai vu, pour toi Smog. On utilisera deux chevaux, je chargerais avec l'Ainé, on défonce les boiseries qui délimitent le tout, on taille, on sème, vous suivez vite fait et ce sera la débandade pour eux.
_ Tu l'as dit, Cadet, répondit l'Ainé. Paul O'Cleim, chasseur émérite qu'il se disait, en fait, il avait été condamné à mort pour braconnage sur forêt royale. Mais j'préviens, pas de conneries. Personne pique, vole, emprunte avant qu'ils soient tous niqués. Compris ? »
Toute l'assemblée opina dans un « Compris » entendu. Et puis les chevaux s'élancèrent en silence.
Il suffit d'une poignée de secondes pour que les cavaliers atteignent leur cible. Les montures sautèrent les rambardes de fortune, non sans en renverser un bon mètre au passage, et puis la lance de l'Ainé transperça le Réprouvé de garde qui chancela pour s'écraser dans les flammes. Aux éclats de lumières et aux hennissements des cavaliers, le reste des cadavres ambulants déboulèrent lame au clair à côté du feu. Et la danse, là-bas, débuta. Les chevaux et les deux cavaliers tournoyaient aux tentes et au feu pour échapper aux coureurs qui taillaient le vide ou glissaient sur les protections de maille des assaillants fougueux. Une tente s'effondra lorsque le Cadet buta sa monture contre ce qui devait la soutenir, et à sa chute au sol, nous, les cinq à pied, se mirent en route à cris et à rires, lames tirées, fusil chargés, arc bandés. Nous avions deux torches qui sillonnaient notre course folle par-delà les herbes hautes et trempées du terrain. Un filet de feu interminable et agité qui suffisait à peine à avertir notre chemin. Si bien que l'une des torches s'étouffa au sol à mi-distance du campement chargé.
« Qu'est-ce tu branles Seb ? hurla un.
_ Tombé sur un pieu, s'emporta un deuxième, c'est piégé, ducon, et pas un O'Cleim pour caler ça.
_On se bouge ! leur dis-je. »
Ca se battait diablement déjà. Les deux O'Cleim avaient abandonné monture -mortes et tripes à l'air- pour batailler au sol en attendant les renforts. Les deux filaient à chaque passe, et se contentaient d'esquiver au mieux la concentration de morts qui faisaient en sorte de les prendre en coin. Lents, ceux là, vivaces, nos deux frères d'arme. On enjamba les rambardes et la dernière torche fut jetée sur la dernière tente, qui s'embrasa en un clin d'œil, de quoi vous cramer les yeux à la regarder. Un dernier Réprouvé s'en extirpa en urgence -chapeauté en pointe et précisons-le, enflammé- que le Freyjus, notre masse à nous, cueillit à la sortie d'un coup de hache au genou. L'alchimiste s'effondra, embrasa les herbes et chauffa l'acier de la lourde arme affutée du mercenaire qui venait tout juste de lui sectionner moitié la nuque, moitié le tronc. Le sang fusa dans un sifflement d'ébullition et Freyjus geint d'un ou deux jurons. Il me regarda ensuite d'un air sincèrement désolé d'avoir raccourcit un de mes semblables puis s'en alla, tout haletant déjà, vers les O'Cleim qui se faisaient tenailler dans un coin barricadé du camp de fortune par ses habitants.
Des hurlements, des lames qui s'entrechoquaient, des tires, des agonis. Et les flammes. C'était un théâtre moribond. Un théâtre étrange. Des Réprouvés se déplaçaient parfois avec des mercenaires d'un point à un autre sans même se remarquer, parfois des Réprouvés frappaient un autre, parfois les mercenaires aussi. Et puis Freyjus encaissa une dague en os d'un coriace Reprouvé qui avait avalé sa hache en plein gosier. Le gros essayait tant bien que mal de la retirer de ce tronc qui pissait le sang et les moisissures, mais l'autre n'en avait cure et le plantait une fois, deux fois, et puis ils tombèrent tous les deux ce qui arracha au mort-vivant un craquement osseux à donner des frissons. J'enfourchais le planté pour l'exécuter quand il me cracha son sang à la tronche. J'ai bien cru lui vomir dessus, ou même en succomber tellement c'était ignoble. Mais je lui détachais seulement la tête du tronc d'un coup de dague avant de me relever et de torcher mes verres d'un revers de main gantée, recouverts d'un fluide collant et épais, indescriptible en couleur.
« Freyjus est mort ! que je cria » Mais pas de réponse, juste du combat. Au cri, deux adversaires me cernèrent, lame au poing. L'un avait un moignon dégoûtant. M'approchant, il se firent happer par l'estramaçon dentelé du frère O'Cleim, le troisième. J'aurai pu le remercier, mais une plainte stridente nous perça tous les oreilles.
« Forestier ! Forestier ! Forestier N- » Une flèche fusa, transperça une tente en proie aux flammes, me sépara du frère O'Cleim qui venait de me sauver et continua son chemin pour étouffer le hurlement et surtout son initiateur. Sitôt un calme de mort s'installa. Même les reprouvés s'arrêtèrent de combattre. Les flammes, j'ai bien cru, cessèrent de crépiter, le vent, de souffler, et alors, le temps de s'écouler. Et puis une ombre vivace se trémoussa derrière les fumées anthracites des brasiers de bataille. Et puis elle bondit sur moi et O'Cleim. Je ne vis qu'une femme encapuchonnée, des yeux de rubis animés d'un instinct revêche et discipliné, un instinct assassin et radical. Ses genoux se plièrent, elle se fléchit devant O'Cleim, et, tout juste arrivée, tout juste réceptionnée de son bond inhumain et à couper l'ensemble des souffles, arracha au frère d'arme son imposante lame d'une taille à l'épée grise et sans reflet, et son gémissement plaintif et souffrant. Il tituba, manqua de s'écraser parmi les feux et tomba finalement la tête contre un reste de tente. Il semblait encore en vie, guère le temps de m'en assurer.
Le silence en fut raccourcie. Et la guerre qui faisait rage, le fit d'autant plus à présent.
Le Forestier s'élança agilement à m'en encontre, et en toute hâte je fis de mon mieux pour bloquer son premier assaut. Il n'avait cure de me blesser, mais visait de ce fait mon cœur ou mon cou. Par deux fois j'échouais à parer, par deux fois mes cuirs amortirent la mort forgée qui mordait mon corps et léchait ma peau d'une langue assassine et mortellement efficace.
Je me délestais de ma dague et entrepris de me défendre aux poings, ma prédilection. D'une roulade je me dérobais à un nouvel assaut puissant et d'estocade porté à ma vitalité. D'un bond, je me relevais, assénais à sa face voilée un coup de coude fort maîtrisé et réussis à lui défaire le capuchon, déroulant sa chevelure d'un bleu sombre et sans vie ni sensibilité le long de son dos armuré de cuirs noirs et cramoisis. La femme recula, expectora. Ce fut mon tour d'avancer, d'un pas, de deux, de pivoter et d'envoyer un pied balayer les herbes hautes et faucher ses jambes malingres. Un bon la soustrait avec simplicité. Un autre m'envoya à terre du fait d'un pied botté au visage qui me sépara de mes binocles. Au sol elle tenta de m'enfourcher, je roula, roula encore, manqua de m'envoyer aux flammes et retourna de l'autre côté. J'étais trempé, sali, à demi aveuglé mais j'esquivais ce qui semblait être son pied ou sa lame qui plantait le sol ou écrasait les herbes molles et maintenant affaissées. Le fer anthracite siffla mon oreille droite en se fichant dans la terre. Je sentis mon sang ne faire qu'un tour, ma vue se flouter, mes oreilles se ramollir, mes mains devenir flasques et sans aucun doigt. Pourtant, oui pourtant, il restait mes jambes, mes deux jambes, et d'une seconde à l'autre, elles se saisirent brillamment d'une de celles du Forestier, elles empoignèrent la prolongation, le mollet, ou la cuisse, et d'un pliage insistant obligèrent l'assaillant à s'abandonner au sol. Tout me revint si vite. Mon sang fit un ultime tour de moi, me redonna l'ensemble de mon acuité, de mes capacités. Je roulais, j'avançais, longeais et j'arrivais à auteur du crâne de l'elfe aux yeux de sang. Un coup de poing, un deuxième, un troisième. Une dent noire tomba, un œil se referma sous une peau décousue. Le menton se déplaça, encore, encore. Se décolla. Et puis finalement je ne frappais plus dans du solide mais dans de la bouillie noire et rouge. Un mélange de mon sang et du sien. Un mélange de mes os, de mes mains, et de ses organes il y a de cela une minute encore enfouies derrière un crâne à l'allure impénétrable.
Je regarda autour de moi. Mort et désolation. Plus de combat. Tout était terminé, tous morts. Je vis trois de mes alliés s'approcher et dans un dialecte qui me semblait étranger, me prévenir de ce qui devait être un : « Smog, t'as une lame dans le dos... »
Un O'Cleim, mais lequel ? Tout se brouilla. Noir complet.
Oui, tout me reviens maintenant. Ce crâne décroché et en pâté, c'est celui du Forestier que j'ai tabassé. Le ciel en feu, le ciel qui éclate, la guerre est proche, toute proche.
« Combien on est, encore, les O'Cleim ? que je demande au plus proche, David ce me semble.
_ Toi et nous trois. Nous quatre. Les Réprouvés font la guerre à deux lieux d'ici. On dégage, faudra te bouger seul les chevaux sont partis. »
Je m'approche une dernière fois du cadavre que j'ai tabassé. Je regarde son arc, et son carquois. Ses flèches noires, sombres, pas droites mais courbées. Des espèces de ronces pointues qui ne veulent pas d'honneur, qui ne veulent pas de justice, qui ont juste soif de cette peinture vermeille que l'on nomme sang.
« Vous récupérerez ce que judicieux vous semble, hein. »
Je prends l'arc, le carquois. Pourquoi ? Je ne saurai le dire. Je ne suis qu'une ombre qui s'étend.
Aldorey Kelbourg- Personnages Joués : Aldoreÿ/Guilhart/Visvaldis
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