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Pour quelques battements de coeur

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Message  Azelith la Calcinée Ven 05 Aoû 2016, 19:49

Il à quelques années, au nord de Hautebrande

Jakon poussa un grognement étouffé. Son corps lui faisait mal et du sang s'écoulait de sa tempe et des multiples contusions qui parsemaient son corps. L'aube était encore loin, et il avait passé plusieurs heures évanoui à moitié plongé dans un ruisseau glacial, tout en bas de l'abrupte pente qu'il avait dévalée cul par dessus tête et qui bordait la route où il avait reçu deux balles dans le dos.
Tout en étouffant les manifestations d'une douleur pénible entre ses crocs serrés, il s'appliqua à retirer sa cotte de maille. La première couche d'anneau avait rompu, mais la seconde lui avait sauvé la vie. Il ne s'était pas attendu à une embuscade, mais c'était dans la nature même des guet apens d'être imprévisible. Et il était également dans sa nature d'en sortir en vie et furieux.
Non sans mal, il enfila de nouveau sa cotte de maille et prit le temps de manger un morceau de pain de route, quelques olives grasses et du bœuf séché, mais il ne fit pas de feu pour réchauffer ses os gelés. Il réfléchissait tout en mangeant. Il avait perdu son tromblon, et quand bien même il l'aurait retrouvé, en cette saison, le chien aurait été couvert de gel, le mécanisme grippé, sans parler de la poudre, inutilisable.
Il ne pourrait compter que sur sa force seule.


***

Ses yeux luisaient d'un éclat de malice, à l'orée de la petite partie déboisée qui bordait l'entrée d'une caverne où dansait la lueur des flammes. Ses longues oreilles s'agitaient par intermittence, et il percevait des bribes de conversation par dessus le discret craquement du feu douillet. L'aube n'allait pas tarder à se lever, et ceux qu'il cherchait allaient bientôt lever le camp, mais il y avait fort à parier qu'ils commenceraient la journée par un repas copieux. Voyager en hiver exigeait qu'on ait le ventre plein.
Il n'avait plus beaucoup de temps.
Sortant de sa cachette, il entreprit de gravir la roche éventrée par la caverne, aidé par ses longues griffes et sa musculature prononcée. Il maudissait ses os vieillissants et la torture qu'ils lui infligeaient après une nuit à la belle étoile.
Le petit gros sortit en premier dans l'air gelé du petit matin, avec un bol qu'il plongea dans la neige. Il le déposa bien vite sur une pierre saillante avant de déboucler sa ceinture et de tirer sur ses braies pour souiller le blanc immaculé des restes de mauvaise vinasse ingurgitée la veille au soir.
Engourdi par un sommeil persistant, il redressa à peine la tête en entendant un tintement métallique avant d'être écrasé sous la masse d'un worgen juché à quatre mètres du sol. Le bruit de l'impact fut absorbé par les congères et son cri de stupeur étranglé par la pression d'une puissante mâchoire, qui, dans une violente torsion, eût tôt fait  de lui scier les chairs et lui briser les os. Jakon le saisit par les aisselles et le traîna sous le couvert des arbres, laissant ses empruntes se faire recouvrir par celle du corps qu'il tirait et le sang qui s'écoulant de sa gorge ouverte.
Une dizaine de minutes plus tard, un autre homme vint voir se qui lui prenait tant de temps, avant d'alerter son compagnon de route. Ils revinrent sous la clarté de l'aube naissante pour découvrir la piste sanglante s'enfoncer dans le sous-bois devenu plus menaçant.
Ils échangèrent un moment des spéculations sur la nature de cet incident :

"-Tu crois que c'est l'worgen ?
-Impossible, répondit l'autre en esquissant un sourire mauvais. Deux balles dans le dos, worgen ou pas, il est mort.
-J'aurais préféré voir le corps, quand même.
-Il est mort, Alvin. Mais la région pullule d'ours, de pumas et même d'ogres.
-T'as sans doute raison. Foutons le camp, on ne peux plus rien pour lui.
-T'oublie qu'on lui à donné un tiers.
-Mmmmh... Fit-l'autre en frottant sa barbe drue. Ca serait dommage de s'asseoir dessus.

Il retournèrent à l'intérieur chercher leur paquetage et leurs armes, étouffèrent les flammes, puis, attentifs et nerveux, s’enfoncèrent dans le sous-bois brumeux.

***

Jakon fit une pause et mit genou à terre. Il inspecta les traces laissées dans la neige avec une certaine satisfaction, tout en essuyant sa hache couverte d'écarlate dans un endroit encore vierge. Ce n'était pas cette arme qui avait tué Alvin, mais le coup de fusil de son comparse. Alerté par le cri de son compagnon, il c'était retourné vivement et avait tiré par réflexe, logeant une balle dans le torse du barbu tandis que le worgen arrachait son arme qui avait tranché dans l'épaule et broyé les os jusqu'à la clavicule. Maintenant il courait à en perdre haleine, seul, au beau milieu d'une forêt dense, et dans sa panique, n'offrait même pas à Jakon le plaisir d'une traque ardue. Il courait sans réfléchir, aussi droit que lui permettaient les arbres, se fatiguant plus que de raison.
Mais Jakon savait qu'une proie acculée était bien plus dangereuse.
C'est pour cette raison, qu'au bout d'une heure de course à petite foulée, il fit attention à se déplacer d'arbre en arbre, de couvert en couvert, tendant chaque fois l'oreille, guettant un souffle agité, un coeur battant, une odeur de sang.
Puis il l'entendit.
Il y avait là un tronc mort, gelé et couché sur le flanc au milieu d'un petit espace dégagé. En plissant le regard, il aperçut l’extrémité d'un canon qui en dépassait. Il eût un sourire étrange, à la fois amusé et las. Et il s'avança droit dans le piège, avec lenteur, l'échine courbée.


***

Pierce Moleson n'était pas un lâche, c'est ce qu'il aimait dire à qui voulait l'entendre. Pour lui, être lâche, c'était se plier aux règles et d'avancer sans protester vers la mort en bêchant servilement un carré de terre dont il ne pourrait même pas jouir pleinement, délesté par les taxes d'un roi qu'il méprisait. Pierce était capable de crever de faim des mois durant dans l'attente d'un coup juteux. C'était ça, la vie : prendre ce qui lui revenait de droit en écrasant ceux qui étaient trop faibles et trop stupides pour ne pas faire comme lui. Mais voilà, parfois on se faisait surprendre, et Austrivage n'était plus un endroit sûr pour lui. Il lui fallait partir avec son butin et ses compagnons. Maintenant, il avait perdu ces derniers et deux tiers de son butin, et il était furieux. Mais pas seulement.
Il observait cette bête qui s'approchait lentement de son piège finement tendu, et sa main tremblait sur la crosse de son pistolet à silex. Le plan se déroulait comme prévu, mais il savait qu'il lui faudrait être à bout portant pour être certain de le toucher. Un coup en pleine gueule suffirait. Il était sûr de s'en être débarrassé, la veille, sur la vieille route des montagnes. Mais dans la pénombre, ils avaient peut-être raté leur coup. Cette fois, il viserait juste.
Cette horreur poilue lui tournait le dos et ramassait son fusil déchargé, semblait l'étudier, jouant avec le chien. Pendant un instant, il trouva une certaine ironie dans le geste, et esquissa un sourire mauvais. Il fit un pas. Puis un autre. Et encore un, tenant en joue le worgen. Précautionneux, très précautionneux, car ses bottes faisaient légèrement crisser les congères fraîches. Le doigt sur la détente, l'instant crucial était arrivé.

Au moment où le coup de feu retentit, vomissant ses flammes et un plomb qui se ficha dans un explosion d'échardes sèches dans le tronc de bois mort, Pierce fut pris de stupeur lorsqu'il vit son fusil tomber dans la neige, le worgen évanoui dans le néant en un battement de cils. Puis l'effroi se saisit de lui tandis qu'il sentait un étau se refermer sur chacun de ses bras, juste au dessus du coude, et une douleur intense parcourir ses os. Il hurla et se débattit, cria à s'en déchirer la voix. Mais se sont ses bras qui cédèrent les premiers, les articulations disloquées et la chair arrachée. Il vomit dans la neige et tomba à genoux tandis que Jakon se débarrassait de ses membres sans la moindre considération. Le regard voilé par la douleur et la mort qui s'approchait, il remarqua que sa main tenait toujours son pistolet à silex, le poing crispé sur la crosse. Puis il entendu un sifflement, et fut délivré de ses tourments
.

***

Jakon quittait l’hôtel de ville d'Austrivage, encore souillé par la poussière de la route, un sac vide et taché de sang dans la main gauche, une bourse pleine dans la main droite. Il ouvrit cette dernière et se mit à compter les pièces. Quelques pièces pour quelques vies, quelques pièces pour quelques battements de cœur. Les battements de son cœur, la survie dans ce monde qui ne connait que ruine et où il finira un jour lui aussi par rencontrer la mort.
Mais pas aujourd'hui.


[Edit : écrit à la va-vite, je m'occupe de corriger les fautes]

Azelith la Calcinée


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