Des années de vie pour quelques rêves - Les Magtorus
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Des années de vie pour quelques rêves - Les Magtorus
Des années de vie pour quelques rêves :
1 - Le Pilote Premier rêve en compagnie de Traumout
2 - Le Fil Rouge Douleurs d'un jeune garçon
Divers :
La Fiancée
Ainsi aux Bois va la guerre
Cet Hiver Aux Bois
Vers le Jardin du Bâtard
Dernière édition par Aldorey Kelbourg le Dim 07 Avr 2013, 17:09, édité 4 fois
Aldorey Kelbourg- Personnages Joués : Aldoreÿ/Guilhart/Visvaldis
Re: Des années de vie pour quelques rêves - Les Magtorus
Je préfère détailler l'ensemble des personnages qui sont apparus dans les textes, pour la compréhension. Je trouve cela bien plus agréable de pouvoir savoir de qui l'on parle quand on ne RP pas avec la personne dépositaire des textes, surtout quand tout ce qui permet de clarifier les choses est présent IG et donc pas nécessairement présent dans les récits. Il est à savoir que j'écris essentiellement pour les gens qui jouent avec moi.
Personnages :
Maison Kelbourg
Personnages :
Maison Kelbourg
Aldorey Kelbourg, Baron des Bois-aux-Bruines et actuel patriarche du clan Magtorus. Détenteur des armureries Magtorus&Dillinger. Aldorey est le petit dernier des trois frères Kelbourg, jeune-homme de la vingtaine déjà brouillé par l'alcool et les responsabilités, de réputation coureur de jupons, fier et ambitieux.
Niamh Tirnan Kelbourg (ce personnage appartient à une autre personne), fille de Vastrosse Kelbourg et nièce d'Aldorey. Niamh est une jeune-femme constamment à la recherche de la liberté et de la richesse. Fière indépendante !
Attrimine Dillinger-prétendue-Magtorus, héritière Dillinger, Attrimine est la mère adoptive d'Aldorey. Femme vaniteuse. Décédée.
Velenskins Magtorus, oncle d'Aldorey. Surnommé Le Loup, La Gueule. Velenskins incarnait l'archétype du dirigeant familial chez les Magtorus. Intransigeant, froid et distant. Il fut le patriarche doué de la plus grande longévité dans la famille, et lui a donné des privilèges. Paranoïaque notable. Décédé.
Moby Gray, vieux chevalier au service d'Aldorey Kelbourg en tant que justicier. Sévère, intransigeant et doué de justesse, le vieil homme demeure à la vieille école, se rendant doucement compte qu'il est peut-être temps de léguer ses devoirs...
Saona Traumout, thérapeute d'Aldorey et Conseillère de la famille Kelbourg. Saona est une jeune noble oubliée d'éducation sage et soutenue, maniant l'esprit humain avec brio. Elle entretient au mieux la santé du jeune Baron.
Manoir Kelbourg - anciennement Magtorus :
Balthrimaz Ockwerscott, gnome revêche et intransigeant au commandement de la défense des Bois-aux-Bruines. Vieil allié des Magtorus, c'est un infatigable combattant qui tarde à tomber au champ d'honneur.
Nicel Hiddenhaus, majordome de la famille Kelbourg et bras droit du Baron. Doyen rieur et jovial, accessoirement arcaniste renégat.
Glen Hurte, dit le Veneur. Ancien louvetier de Brill et vétéran de guerre, Glen est un homme à tout faire loyal et serviable. Ronchon et réservé.
Dernière édition par Aldorey Kelbourg le Dim 07 Avr 2013, 17:26, édité 6 fois
Aldorey Kelbourg- Personnages Joués : Aldoreÿ/Guilhart/Visvaldis
Re: Des années de vie pour quelques rêves - Les Magtorus
1 - Le Pilote
Aldorey Kelbourg, Baron des Bois-aux-Bruines
Saona Traumout, Conseillère de la famille Kelbourg
Saona Traumout, Conseillère de la famille Kelbourg
« Repliez-vous ! Repliez-vous ! » J'avais beau leur hurler dessus, les sons de bataille mêlés aux crépitements des flammes voraces qui engloutissaient les Bois prenaient le pas sur la compréhension de mes hommes. Mes terres étaient enflammées, embrasées. Elles éclataient de mille feux rouges et mille feux d'or dansant au gré d'un vent terrible, un vent qui alimentait cet enfer suffoquant, et ce en plus de nous masquer toute vision et nous prendre la gorge de souffles corrosifs. Air irrespirable, ordres inaudibles, ennemis invisibles. Perdu. Perdu moi, perdue la bataille, perdues mes terres et perdu mon semblant de foi.
A deux pas de moi un de mes mercenaires souffrit un carreau aussi noir que le ciel de cette nuit terrible. Ce morceau de métal lui avait percé le plastron avec une aisance effroyable, traversant ses protections avec moquerie, le tuant sur le coup : plein cœur. Il s'étala d'un saut et ne fit qu'aider le projectile coupable à le transpercer, tombant à plein ventre dans un gémissement raccourci, écourté.
« Repliez-vous ! Repliez-vous ! » Sifflement dans les airs, étoile aux cieux. Non, flammes, flammes rouges, flammes ardentes. Un boulet chauffé s'écrasa, démontant deux cavaliers en fuite sans plus de cérémonie. Il brillait encore, là au sol, inamovible, quand je passais par-dessus d'un enjambement plus hâté que réellement vif. Je me collais à un arbre, à songer à tout ça, à essayer de réfléchir au plus vite : une décision, voilà ce qu'il me fallait prendre. Une décision avant l'effondrement complet de tout ce que ma famille avait pu construire, avait pu bâtir. Avant la mort.
Les Réprouvés agressaient quotidiennement les Bois-aux-Bruines depuis plus d'un an. Au début se contentaient-ils d'envoyer des éclaireurs, des forestiers. Ces forestiers noirs encapuchonnés, que même les hostilités sauvages de mes Bois n'arrêtaient pas. Ils outrepassaient les eaux boueuses et les flaques piégées de ronces mortelles. Esquivaient les branchages ébènes meurtriers des arbre difformes qui peuplaient cette terre sans vie, ridiculisaient mes propres hommes, et même ce vieux troll natif de Kil'Melen, à l'époque. Pas même la bruine magique donnant un nom à ce lieu inoccupé ne servait contre eux, pourtant si pesante sur l'esprit des hommes et dégradante pour l'état des armes et des armures.
« Monsieur, nous devons reculer, maintenant. »
Borgne. L'armure crasseuse et le visage déconfit comme ridé. C'était ce vieux gnome d'Ockwerscott, engoncé sous ses mailles brunes et rousses, le crâne moitié rasé, moitié chauve. Ses lèvres gercées et saignantes s'agitaient nerveusement en ma direction alors qu'il remâchait je ne sais quelle chose, tandis que son bras m'incitait à me relever, pour repartir au Manoir, pour repartir s'enfermer, pour de bon. Il grimpa derechef sur son vieux tigre moribond, aussi borgne que lui. Une masse neigeuse et pétrole hurlant à chaque pas, souffrante comme prête à mourir, mais pourtant si colossale en apparence. Une femme encapuchonnée s'avança à cheval en ma direction, tendant le bras pour m'aider à me relever. Nos regards se croisèrent.
« Monsieur, débuta-t-elle en me redressant, c'est la débandade. Fuyons au Manoir, et vite, les Réprouvés ont celle-ci, les Réprouvés l'ont, cette victoire.
_Fissa ! hurla le gnome en repoussant les derniers mercenaires encore en avant-garde de sa monture illustre.
_Le loup blanc. Tout ce qui me venait à l'esprit. Je l'ai vu. J'ai vu le loup blanc Traumout ! » L'espace d'un instant la forêt noire corneille se muta en chambre sombre mais chaleureuse. Elle était éclairée de bougies comme de chandelles longues et pâles, faisant danser les projections de la femme, dorénavant en robe beige, assise sur un confortable fauteuil face à moi. « Encore ce loup Aldorey ? Parlez-moi de ce loup... », sa voix résonna, fit écho, la chambre se brouilla, se distordit et sa fugace image se cassa en morceaux. Les Bois revinrent, la bataille revint, la cohue aussi.
« Le loup blanc, Traumout, celui de la dernière bataille !
_Votre imaginaire, andouille » ajouta le gnome en cravachant la monture où je me trouvais à présent, accompagné de la femme à capuche, elle qui conduisait d'ailleurs. Nous trois détalions alors en direction de la propriété familiale, outrepassant morts et cadavres, blessés en fin de vie. Que de mes hommes, des visages connus. Par trop connus. Une nouvelle voix fit son apparition en mon esprit, lointaine mais familière : « Et ensuite Aldorey, arrivez-vous à entrer au Manoir ? »
Oui Saona, nous y arrivons.
« Rentrons vite ! Barricadez la porte, archers aux fenêtres et arbalétriers sur la toiture ! » mes hurlements allaient à qui pouvait les entendre, alors que je tournais sur moi-même, projetant mes sons en tous sens et toutes directions. Mais tous me regardaient avec étonnement, tous semblaient me voir tel un fou, un perdu. Et Traumout comme Ockwerscott vinrent à ma rencontre.
« Mais monsieur, entrepris le gnome, nous sommes arrivés au Manoir il y a une bonne dizaine de minutes, j'ai déjà tout fait préparer, et les Réprouvés sont là. Vous sembliez dans vos esprit depuis lors.
_Messire Ockwerscott dit vrai, avança la demoiselle qui s'était défait de sa capuche pour dévoiler ses teints bronzes et beiges. Voulez-vous prendre du repos, nous pouvons assumer la charge de la défense. » Nous étions bel et bien à l'intérieur du Manoir, dans la grand-salle, à l'entrée. A mes pieds les longs tapis rouges se prolongeaient de gauche comme de droite, partant partout où il était possible d'aller. Au-dessus de ma tête effarée les lustres illuminaient nos êtres de reflets sans pareils, des éclats blancs et orangés propageant chaleur de corps comme chaleur d'esprit. Et face à moi, le reste de mes hommes, patientant mes mots.
« Faites. Je dois voir Niamh. »
Niamh ? Que fait-elle ici ?
« Oui, que fait-elle ici Aldorey, que fait votre nièce aux Bois-aux-Bruines à ce moment précis ? » Vos échos me donnent mal au crâne Saona...
Je me retournais en direction des marches, quand elle m'interpella. « Tonton. » Mes yeux se levèrent pour mirer son visage, pour scruter ses beaux yeux. Des émeraudes de Kelbourg, des émeraudes perçantes, fortes, brillantes. Des bijoux sans prix, sans valeur. Elle souriait. Elle souriait lame au poing et m'asséna un unique coup à la gorge, vif et efficace. Je sentais mes propres peaux, mes propres organes se diviser au passage de la lame, et je sentis toute ma chaleur me quitter en écoulements vermeils et rapides, interminables. Mon sang disparaissait sans fin de mon cou, aspergea ma nièce et m'aspergeant moi, mon visage en était peint, son visage en était éclaboussé, mais elle souriait. Elle souriait d'un sourire sans victoire ou sans bonheur, d'un sourire vengeur mais amer. D'un sourire de pitié. Mes jambes fléchirent sous mes tremblements, je tomba à genoux au pied des marches où elle trônait de sa hauteur et de sa fine ligne de joli brin de femme. Mes mains se refermèrent puissamment à ma gorge sectionnée et pluvieuse, retardant au mieux mon inéluctable fin.
« Pourquoi ? interrogea depuis le lointain Saona. Pourquoi ?
_Pourquoi Niamh ? sans que son ne puisse sortir de moi, comptant sur la parole de mes yeux ou du mouvement de mes lèvres devenues bleues.
_Parce que je te déteste, tonton. » Ma vue se troubla, mes yeux se fermèrent et je me sentis chuter pour de bon. Niamh se retourna et sa lame se déroba d'entre ses doigts, écarlate et suintante. Ma dernière image.
La chaleur typique des Bois-aux-Bruines s'écarta de moi. L'ambiance lumineuse qui frappait encore mes yeux clos se dissipa doucement. Pourtant autre chose vint à moi, contre moi et sur moi. Mes yeux se rouvrirent doucement. Une fois, deux fois, ils clignèrent. Plus d'escaliers au tapis rouge et maculés de mon propre sang. Plus de nièce assassine et mortelle, plus de lustres au plafond, plus de moi comme je pu l'être. Plus rien si ce n'est un Baron de la vingtaine assis sur un fauteuil luxueux, yeux levés sur une femme en robe beige, aux cheveux beiges. Elle avait la mine souriante et l'air en bonne santé. De la sérénité sur le visage et le sourire réconfortant, salvateur. Sa paume me touchait le front, un front douloureux et fiévreux. Et quand elle la retira pour se ganter, toute douleur s'écarta de moi à l'instant, et tout me revint alors.
C'était le Manoir Sombragon aux Carmines, ma chambre. Derrière le fauteuil ou s'assit alors mon Conseiller et psychologue Saona Traumout se trouvait la table-basse porteuse des plus beaux scotchs du sud. A côté brûlait dans la cheminée des bûches lourdes et noires. Je lorgnais sur mes mains un instant. Elles se faisaient tremblantes et faibles, presque inamovibles. « Ne faites plus jamais cela Saona.
_Mais c'est ce pour quoi vous rémunérez monsieur, répondit-elle avec le détachement de la normalité et de l'évidence. Pour ces thérapies. »
J'avais en effet fait mander Saona Traumout pour régler mes insomnies et mes récurrents problèmes de santé. Elle provenait d'un hobereau sans influence des Bois de la Pénombre, un parvenu tout comme moi, un noble restant bourgeois, possesseur de quelque terre fertile en bois de qualité. Un atout pour mes armureries. Un atout pour ma santé. Saona maîtrisait avec brio les arts de l'esprit, capable de sonder la moindre pensée et le moindre rêve, et de l'analyser. Elle en avait fait sa spécialité à un point même où elle avait du mal à contrôler cela. A présent partageait-elle les odeurs que sentaient les gens proches d'elle, leurs moindres paroles à venir, leurs moindres images, douleurs, envies... Mon regard se tourna vers le portrait peint de Niamh, ma nièce, qui se laissait porter contre un des murs de ma chambre, juste au-dessus de mon lit.
« Pourquoi Niamh vous a-t-elle tuée dans vos songes, Aldorey ? demanda la femme.
_ Parce qu'elle me déteste.
_ La colère suffit-elle au parricide ? Ne lui faites-vous pas confiance, monsieur ?
_Je ne sais.
_Vous ne savez.
Derrière chaque arrêt du cœur d'un Magtorus se cache la main d'une femme, Traumout.
Et sa voix résonna une ultime fois en ma tête : « J'ai entendu. »
A deux pas de moi un de mes mercenaires souffrit un carreau aussi noir que le ciel de cette nuit terrible. Ce morceau de métal lui avait percé le plastron avec une aisance effroyable, traversant ses protections avec moquerie, le tuant sur le coup : plein cœur. Il s'étala d'un saut et ne fit qu'aider le projectile coupable à le transpercer, tombant à plein ventre dans un gémissement raccourci, écourté.
« Repliez-vous ! Repliez-vous ! » Sifflement dans les airs, étoile aux cieux. Non, flammes, flammes rouges, flammes ardentes. Un boulet chauffé s'écrasa, démontant deux cavaliers en fuite sans plus de cérémonie. Il brillait encore, là au sol, inamovible, quand je passais par-dessus d'un enjambement plus hâté que réellement vif. Je me collais à un arbre, à songer à tout ça, à essayer de réfléchir au plus vite : une décision, voilà ce qu'il me fallait prendre. Une décision avant l'effondrement complet de tout ce que ma famille avait pu construire, avait pu bâtir. Avant la mort.
Les Réprouvés agressaient quotidiennement les Bois-aux-Bruines depuis plus d'un an. Au début se contentaient-ils d'envoyer des éclaireurs, des forestiers. Ces forestiers noirs encapuchonnés, que même les hostilités sauvages de mes Bois n'arrêtaient pas. Ils outrepassaient les eaux boueuses et les flaques piégées de ronces mortelles. Esquivaient les branchages ébènes meurtriers des arbre difformes qui peuplaient cette terre sans vie, ridiculisaient mes propres hommes, et même ce vieux troll natif de Kil'Melen, à l'époque. Pas même la bruine magique donnant un nom à ce lieu inoccupé ne servait contre eux, pourtant si pesante sur l'esprit des hommes et dégradante pour l'état des armes et des armures.
« Monsieur, nous devons reculer, maintenant. »
Borgne. L'armure crasseuse et le visage déconfit comme ridé. C'était ce vieux gnome d'Ockwerscott, engoncé sous ses mailles brunes et rousses, le crâne moitié rasé, moitié chauve. Ses lèvres gercées et saignantes s'agitaient nerveusement en ma direction alors qu'il remâchait je ne sais quelle chose, tandis que son bras m'incitait à me relever, pour repartir au Manoir, pour repartir s'enfermer, pour de bon. Il grimpa derechef sur son vieux tigre moribond, aussi borgne que lui. Une masse neigeuse et pétrole hurlant à chaque pas, souffrante comme prête à mourir, mais pourtant si colossale en apparence. Une femme encapuchonnée s'avança à cheval en ma direction, tendant le bras pour m'aider à me relever. Nos regards se croisèrent.
« Monsieur, débuta-t-elle en me redressant, c'est la débandade. Fuyons au Manoir, et vite, les Réprouvés ont celle-ci, les Réprouvés l'ont, cette victoire.
_Fissa ! hurla le gnome en repoussant les derniers mercenaires encore en avant-garde de sa monture illustre.
_Le loup blanc. Tout ce qui me venait à l'esprit. Je l'ai vu. J'ai vu le loup blanc Traumout ! » L'espace d'un instant la forêt noire corneille se muta en chambre sombre mais chaleureuse. Elle était éclairée de bougies comme de chandelles longues et pâles, faisant danser les projections de la femme, dorénavant en robe beige, assise sur un confortable fauteuil face à moi. « Encore ce loup Aldorey ? Parlez-moi de ce loup... », sa voix résonna, fit écho, la chambre se brouilla, se distordit et sa fugace image se cassa en morceaux. Les Bois revinrent, la bataille revint, la cohue aussi.
« Le loup blanc, Traumout, celui de la dernière bataille !
_Votre imaginaire, andouille » ajouta le gnome en cravachant la monture où je me trouvais à présent, accompagné de la femme à capuche, elle qui conduisait d'ailleurs. Nous trois détalions alors en direction de la propriété familiale, outrepassant morts et cadavres, blessés en fin de vie. Que de mes hommes, des visages connus. Par trop connus. Une nouvelle voix fit son apparition en mon esprit, lointaine mais familière : « Et ensuite Aldorey, arrivez-vous à entrer au Manoir ? »
Oui Saona, nous y arrivons.
« Rentrons vite ! Barricadez la porte, archers aux fenêtres et arbalétriers sur la toiture ! » mes hurlements allaient à qui pouvait les entendre, alors que je tournais sur moi-même, projetant mes sons en tous sens et toutes directions. Mais tous me regardaient avec étonnement, tous semblaient me voir tel un fou, un perdu. Et Traumout comme Ockwerscott vinrent à ma rencontre.
« Mais monsieur, entrepris le gnome, nous sommes arrivés au Manoir il y a une bonne dizaine de minutes, j'ai déjà tout fait préparer, et les Réprouvés sont là. Vous sembliez dans vos esprit depuis lors.
_Messire Ockwerscott dit vrai, avança la demoiselle qui s'était défait de sa capuche pour dévoiler ses teints bronzes et beiges. Voulez-vous prendre du repos, nous pouvons assumer la charge de la défense. » Nous étions bel et bien à l'intérieur du Manoir, dans la grand-salle, à l'entrée. A mes pieds les longs tapis rouges se prolongeaient de gauche comme de droite, partant partout où il était possible d'aller. Au-dessus de ma tête effarée les lustres illuminaient nos êtres de reflets sans pareils, des éclats blancs et orangés propageant chaleur de corps comme chaleur d'esprit. Et face à moi, le reste de mes hommes, patientant mes mots.
« Faites. Je dois voir Niamh. »
Niamh ? Que fait-elle ici ?
« Oui, que fait-elle ici Aldorey, que fait votre nièce aux Bois-aux-Bruines à ce moment précis ? » Vos échos me donnent mal au crâne Saona...
Je me retournais en direction des marches, quand elle m'interpella. « Tonton. » Mes yeux se levèrent pour mirer son visage, pour scruter ses beaux yeux. Des émeraudes de Kelbourg, des émeraudes perçantes, fortes, brillantes. Des bijoux sans prix, sans valeur. Elle souriait. Elle souriait lame au poing et m'asséna un unique coup à la gorge, vif et efficace. Je sentais mes propres peaux, mes propres organes se diviser au passage de la lame, et je sentis toute ma chaleur me quitter en écoulements vermeils et rapides, interminables. Mon sang disparaissait sans fin de mon cou, aspergea ma nièce et m'aspergeant moi, mon visage en était peint, son visage en était éclaboussé, mais elle souriait. Elle souriait d'un sourire sans victoire ou sans bonheur, d'un sourire vengeur mais amer. D'un sourire de pitié. Mes jambes fléchirent sous mes tremblements, je tomba à genoux au pied des marches où elle trônait de sa hauteur et de sa fine ligne de joli brin de femme. Mes mains se refermèrent puissamment à ma gorge sectionnée et pluvieuse, retardant au mieux mon inéluctable fin.
« Pourquoi ? interrogea depuis le lointain Saona. Pourquoi ?
_Pourquoi Niamh ? sans que son ne puisse sortir de moi, comptant sur la parole de mes yeux ou du mouvement de mes lèvres devenues bleues.
_Parce que je te déteste, tonton. » Ma vue se troubla, mes yeux se fermèrent et je me sentis chuter pour de bon. Niamh se retourna et sa lame se déroba d'entre ses doigts, écarlate et suintante. Ma dernière image.
La chaleur typique des Bois-aux-Bruines s'écarta de moi. L'ambiance lumineuse qui frappait encore mes yeux clos se dissipa doucement. Pourtant autre chose vint à moi, contre moi et sur moi. Mes yeux se rouvrirent doucement. Une fois, deux fois, ils clignèrent. Plus d'escaliers au tapis rouge et maculés de mon propre sang. Plus de nièce assassine et mortelle, plus de lustres au plafond, plus de moi comme je pu l'être. Plus rien si ce n'est un Baron de la vingtaine assis sur un fauteuil luxueux, yeux levés sur une femme en robe beige, aux cheveux beiges. Elle avait la mine souriante et l'air en bonne santé. De la sérénité sur le visage et le sourire réconfortant, salvateur. Sa paume me touchait le front, un front douloureux et fiévreux. Et quand elle la retira pour se ganter, toute douleur s'écarta de moi à l'instant, et tout me revint alors.
C'était le Manoir Sombragon aux Carmines, ma chambre. Derrière le fauteuil ou s'assit alors mon Conseiller et psychologue Saona Traumout se trouvait la table-basse porteuse des plus beaux scotchs du sud. A côté brûlait dans la cheminée des bûches lourdes et noires. Je lorgnais sur mes mains un instant. Elles se faisaient tremblantes et faibles, presque inamovibles. « Ne faites plus jamais cela Saona.
_Mais c'est ce pour quoi vous rémunérez monsieur, répondit-elle avec le détachement de la normalité et de l'évidence. Pour ces thérapies. »
J'avais en effet fait mander Saona Traumout pour régler mes insomnies et mes récurrents problèmes de santé. Elle provenait d'un hobereau sans influence des Bois de la Pénombre, un parvenu tout comme moi, un noble restant bourgeois, possesseur de quelque terre fertile en bois de qualité. Un atout pour mes armureries. Un atout pour ma santé. Saona maîtrisait avec brio les arts de l'esprit, capable de sonder la moindre pensée et le moindre rêve, et de l'analyser. Elle en avait fait sa spécialité à un point même où elle avait du mal à contrôler cela. A présent partageait-elle les odeurs que sentaient les gens proches d'elle, leurs moindres paroles à venir, leurs moindres images, douleurs, envies... Mon regard se tourna vers le portrait peint de Niamh, ma nièce, qui se laissait porter contre un des murs de ma chambre, juste au-dessus de mon lit.
« Pourquoi Niamh vous a-t-elle tuée dans vos songes, Aldorey ? demanda la femme.
_ Parce qu'elle me déteste.
_ La colère suffit-elle au parricide ? Ne lui faites-vous pas confiance, monsieur ?
_Je ne sais.
_Vous ne savez.
Derrière chaque arrêt du cœur d'un Magtorus se cache la main d'une femme, Traumout.
Et sa voix résonna une ultime fois en ma tête : « J'ai entendu. »
Dernière édition par Aldorey Kelbourg le Sam 02 Fév 2013, 16:01, édité 2 fois
Aldorey Kelbourg- Personnages Joués : Aldoreÿ/Guilhart/Visvaldis
Re: Des années de vie pour quelques rêves - Les Magtorus
2 - Le Fil Rouge
Aldorey Kelbourg, Baron des Bois-aux-Bruines
Je subissais des tremblements intempestifs depuis ma tendre jeunesse auprès de ma mère adoptive Attrimine Dillinger. Tout jeune, mes mains m'abandonnaient pour détaler en spasmes nerveux des nuits entières, alors juste que je venais de m'effrayer d'un cauchemar quelconque, imbibant mes couvertures d'un liquide désagréable autant pour moi que pour les serviteurs qui s'en occupaient.
Outre la honte qui m'accompagnait à travers les ans, j'avais fini par accepter cette maladie dont tout le monde semblait dire qu'elle était uniquement d'enfance. « Ma Dame, votre fils cauchemarde la nuit ce qui provoque ces tremblements et ces petits oublis intimes. Non, il n'y a guère à s'inquiéter ma Dame, ces légers troubles sont des plus habituels à leur âge, cela lui passera avec le temps. » Mais cela ne passa pas. Pire, cela s'aggrava, encore et encore, et à la perte de ma virginité comme à ma majorité, le souci ne faisait qu'empirer, me renvoyant alors à ma honte de m'y confronter les nuits, me renvoyant alors aux cauchemars et aux troubles eux-mêmes. Un cycle sans fin, perpétuel et trop vicieux pour l'innocence que j'incarnais en ce temps.
Les tremblements s'accentuaient donc, et à mes quinze ans, c'était parfois mes jambes qui ne se pliaient plus à ma volonté lorsque Attrimine grondait mes piètres résultats en escrime, contre le maître d'armes, Kasaque. Cela me faisait fléchir les jambes de manière ridicule, et tel un vieillard incapable et incapacité, je chutais lamentablement et inéluctablement au sol sans pouvoir me relever seul. Telle une tortue minable je m'agitais sur le dos en piaillant, et l'on venait m'aider. J'avais tellement de frustration, tellement de honte, qu'en plus de ne plus retenir mes jambes et mes mains, je ne retenais plus mes larmes alors. Et j'avais ouïe dire que cela faisait rire certains. Attrimine manda à nouveau le médecin, et le médecin n'aida pas davantage que la fois précédente : « Votre fils a la bougeotte, c'est de son âge. Les entraînements sont trop rudes pour son corps malingre, j'ai peut-être le regret de vous annoncer qu'il n'est pas fait pour la bataille ou la joute, mais pour compter et converser. » Il affronta le regard noir d'Attrimine et ne revint jamais. Depuis je su que j'étais réellement malade de quelque chose qu'on ne traitait pas car trop risible et trop digne des plébéiens pour moi. Moi, on disait que j'étais fatigué, surmené. « Une vilaine crampe. »
Mais en mal pour un bien, je reçu la protection continuelle d'Attrimine, et son amour. Comprenant mon trouble, elle fit son possible pour que je ne subisse plus de cauchemars et plus de contrariété la journée. Mes devoirs se divisèrent comme le monde présent à l'heure de mon repas dans la grand-salle, et bientôt je finis par presque oublier que j'avais été un jour malade.
Mais en vérité, cela n'était que coïncidence, car j'avais trouvé mon propre remède dans les cuisines et dans la cave. Un souillon, une bouteille... Je dormais comme un bébé, je m'entraînais avec contentement, et la nuit venue, cela reprenait. Une routine salvatrice...
Attrimine entendit rapidement parler de mes débauches nocturnes, et aussi désemparée que moi, elle fut contrainte de me punir et de m'infliger à nouveau les dégâts de ma maladie. Les années passèrent ainsi, entre les protections d'Attrimine et mes débauches, plus discrètes. Je dominais mes troubles mais ne me doutais pas que d'autres soucis allaient apparaître, plus dangereux encore pour moi que de vulgaires tremblements enfantins...
A présent qu'Attrimine n'était plus et que j'étais Baron, je possédais Saona Traumount que j'avais fait mander à son père, hobereau parvenu, de Sombre-Comté. Une jeune cadette aux enseignements purs et sages, une femme sagace. Une véritable magicienne aux habilités particulières pour moi. Saona maniait les esprits avec une aisance folle. Il lui suffisait en effet de me toucher le front pour me donner le sommeil et parcourir à mes côtés mes songes, les vivant tel un réel palpable. Assise en face de moi, elle pouvait prédire mes propos à venir et farfouiller mes pensées présentes comme on fouinerait dans un classeur, entre les intercalaires, du bout des doigts et avec un flegme effrayant.
Elle ne contrôlait cependant plus son habilité depuis quelques années. Accoutumée à sa capacité, elle parcourait les esprits sans s'en rendre compte et intervenait trop souvent dans les conversations en parlant à la place des protagonistes. Sa magie était si précise qu'elle arrivait aussi à partager les émotions et les envies, si bien que tout comme moi, elle devenait une grande amatrice de scotch et de femme... Il m'arrivait de la voir siroter une bouteille alors qu'elle ne supportait guère les alcools forts, et de la voir courtiser une servante des Sombragon alors que son orientation était bien plus noble que cela. Très vite elle arrivait à se ressaisir, mais très vite elle rechutait aussi, si bien qu'il m'arrivait de me demander si c'était la bonne solution à mes problèmes.
C'était elle qui très vite avait eu l'idée de me faire une thérapie à base d'exploration de mes songes.
« Monsieur, débuta-t-elle, si vous voulez sérieusement vous séparer de vos tremblements, il faudra vous séparer de cette gangrène qui assombrie votre cœur et vos songes.
_J'y compte bien.
_Alors en ce cas, monsieur, laissez-moi pénétrer vos rêveries et laissez-moi trouver la source de vos soucis. »
J'avais opiné après une interminable hésitation. Partager mes rêves, c'était partager mon esprit. Et partager mon esprit c'était partager tous les secrets de notre famille, une décision donc aussi folle que dangereuse, mais que je pris tout compte fait. Et ainsi commença notre thérapie, avec une première exploration, initiatrice : le cauchemar que je me remémorais plus tôt, la perte des Bois-aux-Bruines, la perte de ma famille, la perte de Niamh ; tout ce qui me troublait ces derniers temps, tout ce qui me faisait trembler, chuter, m'évanouir. Tout ce qui me tuait. « Ce cauchemar, conclut-elle après la thérapie, ce cauchemar, monsieur, est votre fil rouge. C'est à partir de lui que nous ferons nos séances, et à partir de lui que nous découvrirons ce qui vous arrive, à vous, à votre famille. Ce qui vous menace. »
Elle prenait ses notes, une plume noire et ombreuse ente les doigts.
« Monsieur, reprit-elle, et si nous parlions de votre famille ?
_Et que voulez-vous en savoir, vous qui pouvez connaître la moindre de mes pensées ?
_Pas la moindre, répondit-elle comme si cela l'amusait, non, mais celle que vous songez dans le présent. Il me faut donc nécessairement vous pousser à vous remémorer les pensées qui m'intéressent, qui nous intéressent, monsieur.
_Et que voulez-vous en savoir, donc ? répétais-je.
_D'après vous, quand tout commença pour votre famille ? »
Quand tout commença pour ma famille...
Et la réponse émana de nos deux bouches en cœur « Fanghog Magtorus ».
Outre la honte qui m'accompagnait à travers les ans, j'avais fini par accepter cette maladie dont tout le monde semblait dire qu'elle était uniquement d'enfance. « Ma Dame, votre fils cauchemarde la nuit ce qui provoque ces tremblements et ces petits oublis intimes. Non, il n'y a guère à s'inquiéter ma Dame, ces légers troubles sont des plus habituels à leur âge, cela lui passera avec le temps. » Mais cela ne passa pas. Pire, cela s'aggrava, encore et encore, et à la perte de ma virginité comme à ma majorité, le souci ne faisait qu'empirer, me renvoyant alors à ma honte de m'y confronter les nuits, me renvoyant alors aux cauchemars et aux troubles eux-mêmes. Un cycle sans fin, perpétuel et trop vicieux pour l'innocence que j'incarnais en ce temps.
Les tremblements s'accentuaient donc, et à mes quinze ans, c'était parfois mes jambes qui ne se pliaient plus à ma volonté lorsque Attrimine grondait mes piètres résultats en escrime, contre le maître d'armes, Kasaque. Cela me faisait fléchir les jambes de manière ridicule, et tel un vieillard incapable et incapacité, je chutais lamentablement et inéluctablement au sol sans pouvoir me relever seul. Telle une tortue minable je m'agitais sur le dos en piaillant, et l'on venait m'aider. J'avais tellement de frustration, tellement de honte, qu'en plus de ne plus retenir mes jambes et mes mains, je ne retenais plus mes larmes alors. Et j'avais ouïe dire que cela faisait rire certains. Attrimine manda à nouveau le médecin, et le médecin n'aida pas davantage que la fois précédente : « Votre fils a la bougeotte, c'est de son âge. Les entraînements sont trop rudes pour son corps malingre, j'ai peut-être le regret de vous annoncer qu'il n'est pas fait pour la bataille ou la joute, mais pour compter et converser. » Il affronta le regard noir d'Attrimine et ne revint jamais. Depuis je su que j'étais réellement malade de quelque chose qu'on ne traitait pas car trop risible et trop digne des plébéiens pour moi. Moi, on disait que j'étais fatigué, surmené. « Une vilaine crampe. »
Mais en mal pour un bien, je reçu la protection continuelle d'Attrimine, et son amour. Comprenant mon trouble, elle fit son possible pour que je ne subisse plus de cauchemars et plus de contrariété la journée. Mes devoirs se divisèrent comme le monde présent à l'heure de mon repas dans la grand-salle, et bientôt je finis par presque oublier que j'avais été un jour malade.
Mais en vérité, cela n'était que coïncidence, car j'avais trouvé mon propre remède dans les cuisines et dans la cave. Un souillon, une bouteille... Je dormais comme un bébé, je m'entraînais avec contentement, et la nuit venue, cela reprenait. Une routine salvatrice...
Attrimine entendit rapidement parler de mes débauches nocturnes, et aussi désemparée que moi, elle fut contrainte de me punir et de m'infliger à nouveau les dégâts de ma maladie. Les années passèrent ainsi, entre les protections d'Attrimine et mes débauches, plus discrètes. Je dominais mes troubles mais ne me doutais pas que d'autres soucis allaient apparaître, plus dangereux encore pour moi que de vulgaires tremblements enfantins...
A présent qu'Attrimine n'était plus et que j'étais Baron, je possédais Saona Traumount que j'avais fait mander à son père, hobereau parvenu, de Sombre-Comté. Une jeune cadette aux enseignements purs et sages, une femme sagace. Une véritable magicienne aux habilités particulières pour moi. Saona maniait les esprits avec une aisance folle. Il lui suffisait en effet de me toucher le front pour me donner le sommeil et parcourir à mes côtés mes songes, les vivant tel un réel palpable. Assise en face de moi, elle pouvait prédire mes propos à venir et farfouiller mes pensées présentes comme on fouinerait dans un classeur, entre les intercalaires, du bout des doigts et avec un flegme effrayant.
Elle ne contrôlait cependant plus son habilité depuis quelques années. Accoutumée à sa capacité, elle parcourait les esprits sans s'en rendre compte et intervenait trop souvent dans les conversations en parlant à la place des protagonistes. Sa magie était si précise qu'elle arrivait aussi à partager les émotions et les envies, si bien que tout comme moi, elle devenait une grande amatrice de scotch et de femme... Il m'arrivait de la voir siroter une bouteille alors qu'elle ne supportait guère les alcools forts, et de la voir courtiser une servante des Sombragon alors que son orientation était bien plus noble que cela. Très vite elle arrivait à se ressaisir, mais très vite elle rechutait aussi, si bien qu'il m'arrivait de me demander si c'était la bonne solution à mes problèmes.
C'était elle qui très vite avait eu l'idée de me faire une thérapie à base d'exploration de mes songes.
« Monsieur, débuta-t-elle, si vous voulez sérieusement vous séparer de vos tremblements, il faudra vous séparer de cette gangrène qui assombrie votre cœur et vos songes.
_J'y compte bien.
_Alors en ce cas, monsieur, laissez-moi pénétrer vos rêveries et laissez-moi trouver la source de vos soucis. »
J'avais opiné après une interminable hésitation. Partager mes rêves, c'était partager mon esprit. Et partager mon esprit c'était partager tous les secrets de notre famille, une décision donc aussi folle que dangereuse, mais que je pris tout compte fait. Et ainsi commença notre thérapie, avec une première exploration, initiatrice : le cauchemar que je me remémorais plus tôt, la perte des Bois-aux-Bruines, la perte de ma famille, la perte de Niamh ; tout ce qui me troublait ces derniers temps, tout ce qui me faisait trembler, chuter, m'évanouir. Tout ce qui me tuait. « Ce cauchemar, conclut-elle après la thérapie, ce cauchemar, monsieur, est votre fil rouge. C'est à partir de lui que nous ferons nos séances, et à partir de lui que nous découvrirons ce qui vous arrive, à vous, à votre famille. Ce qui vous menace. »
Elle prenait ses notes, une plume noire et ombreuse ente les doigts.
« Monsieur, reprit-elle, et si nous parlions de votre famille ?
_Et que voulez-vous en savoir, vous qui pouvez connaître la moindre de mes pensées ?
_Pas la moindre, répondit-elle comme si cela l'amusait, non, mais celle que vous songez dans le présent. Il me faut donc nécessairement vous pousser à vous remémorer les pensées qui m'intéressent, qui nous intéressent, monsieur.
_Et que voulez-vous en savoir, donc ? répétais-je.
_D'après vous, quand tout commença pour votre famille ? »
Quand tout commença pour ma famille...
Et la réponse émana de nos deux bouches en cœur « Fanghog Magtorus ».
Aldorey Kelbourg- Personnages Joués : Aldoreÿ/Guilhart/Visvaldis
Re: Des années de vie pour quelques rêves - Les Magtorus
Divers - La Fiancée
A Etherea
Aldorey Kelbourg, Baron des Bois-aux-Bruines
Saona Traumout, Conseillère de la famille Kelbourg
Etherea Lilac, fiancée du Baron et ex-soldat
Saona Traumout, Conseillère de la famille Kelbourg
Etherea Lilac, fiancée du Baron et ex-soldat
Ce matin et comme chaque matin le Baron s'était levé à l'arrivée de Traumout, sa Conseillère. Venue de Sombre-Comté, celle-ci apparaissait toujours et ponctuellement à l'orient de la matinée, au plus froid d'entre chien et loup, et passait l'entrée du Manoir pour le réveiller alors. Non pas qu'elle venait toquer à la porte de sa chambre comme pouvait-elle le faire à ses débuts, non plus que le jeune Kelbourg avait pris comme un simulacre d'habitude le fait de se lever à cette heure précise, non. C'était sa présence à elle, à cette espèce de magicienne, de prêtresse ou quoi qu'est-ce. A force de thérapie, à force d'union de nos esprits, se disait-il, c'est comme ressentir sa présence, comme ne faire plus qu'un. Ainsi donc il se sortait tant bien que mal du lit quasi nuptial, cahin-caha enfila quelques vêtements et déjà partait à tâtons à la recherche de sa canne noire comme tout.
Un chef-d'œuvre que celle-ci qu'il chérissait tout autant que son illustre canne or-et-argent. Cette noirceur se constituait d'une accumulation de racines nouées entre elles pour ne former qu'une seule branche unique et droite. Un assemblage morbide d'horreurs corneilles repoussant et glauque. Mais ce matériau provenait de ses propres terres, et c'est la raison pour laquelle il s'en enorgueillissait et paradait constamment avec chez les Sombragon ou au-dehors de leur Manoir.
Il gagna avec lenteur la porte de la chambre, ses jambes étaient douloureuses aujourd'hui. L'anxiété. Le départ à venir pour le nord, oui. C'est ce dont il s'était persuadé. De sa main d'arme il ouvrit la porte et se recula. Traumout pénétra la pièce avec douceur et discrétion, son tas de plis dans les mains. Il ne lui fallu pas grand temps pour déposer le tout avec douceur sur le bureau où déjà s'entassait une myriade de lettres diverses et variées, certaines d'ailleurs, d'autres ici. Tantôt blanches ou pâles, tantôt jaunes ou sombres. Elle réorganisa l'espace de travail de son Seigneur dans un petit soupir, de ses soupirs d'agacement mais d'habitude, du geste que l'on répète inlassablement, pour ce jour et les jours à venir, à jamais sans doute. En tous cas, elle devait s'en être convaincue depuis le temps qu'elle le répétait. Le Baron la laissa faire, c'était coutumier, et tandis qu'elle arrangeait le fatras du jeune-homme, lui la mirait et la détaillait. Car le Kelbourg savait pertinemment que bien qu'elle était le médecin ici, elle était aussi la plus souffrante des deux. Et force était de constater que la multiplication des déplacements de la jeune-femme pour servir le nobliau qu'il était, eh bien tout ceci n'était pas pour favoriser son état de santé précaire.
En ce jour elle revêtait du vert émeraude en une robe simple et sobre, cousue de fils argentés. L'ambiance noirâtre de la chambre rehaussait sa peau de bronze. « Je ne veux pas réveiller votre fiancée, entama-t-elle, cela ira. Soyez plus soigneux à l'avenir. » La thérapeute repassa rapidement la porte et Aldorey referma derrière elle. « Vous savez que ça n'arrivera pas. »
Il se tourna vers son bureau où maintenant trônait une montagne de plis. Ce travail était interminable. Epuisant et interminable. Tous les matins le même nombre de papiers gagnait son bureau. Des missives, des plis, des lettres et autres feuilles où dansait le verbe, parfois pour demander des canons, parfois pour au contraire les rendre, parfois une bataille au nord, une perte, deux, les mauvais jours trois. Il arrivait qu'on lui écrive à lui personnellement pour de ses nouvelles, et c'était bien là les seuls mots qu'il avait vraiment envie de parcourir de ses prunelles perçantes et lasses. Il y en aurait jusqu'au midi, il le savait par avance.
Sa tête se dégagea bien vite des méandres du bureau pour lentement se tourner en direction du lit. Les draps étaient à moitié sans dessus dessous du côté où il s'était reposé, mais restaient paisible ceux de sa fiancée. Elle arrivait qu'elle ne soit plus là, certains matins. Etherea était bien plus motivée à se lever que lui la plupart du temps, et celle-ci devait sûrement partir à la conquête des cuisines alors que Seneth Riddle, le factotum des Sombragon, besognait ailleurs, ce qui permettait de dérober du chocolat à volonté pendant ce laps de temps. Après quoi, supposait le Baron, elle devait s'en aller quelque part. Où ? Prendre des cours en ville, peut-être, ou jouer du nouveau piano récemment installé dans la Villa. Il était bien possible aussi qu'elle aille simplement dehors bien que cela ne lui était pas conseillé, pour se promener près des bosquets alentours en compagnie de son animal. Mais en ce jour elle demeurait dans ce lit, tenue par le sommeil.
Elle dormait sur le ventre, remarqua-t-il. Ses bras enlaçaient un des grands coussins soyeux de la couche pour le serrer contre son corps et son visage. Une femme innocente. Cela ne doit pas changer.Aldorey se releva avec l'aide de son odieuse canne sinistre. Clopin-clopant il atteignit le rebord et s'y posa, sans oser la sortir de ses songes et la renvoyer auprès du réel. La canne se retrouva sous son bras droit et de sa main gauche il se mit à chouchouter patiemment la chevelure ébène de la nièce Lilac.
Rares étaient les moments où il pouvait la retrouver calme et sereine à la fois. La timidité la rendait circonspecte lors des rencontres, et la faire voyager était pour le moment difficile, ou alors fallait-il l'embarquer pour la guerre au nord, ce qui n'était pas sans lui déplaire évidemment. Quel époux pourrait envoyer sa femme se battre sous son commandement ? Quel époux pourrait risquer la vie de celle qui porte son enfant, sa graine, son sang, sa descendance, celle qui perpétuera l'histoire de nombreuses Maisons ? Quel époux ? Pas lui, assurément. Et quand elle n'était pas altérée par sa timidité, c'était ses petites colères qui prenaient le dessus, ce qui arrivait assez souvent avec un homme tel qu'Aldorey. Un homme égoïste, têtu et violent. Un homme qui n'arrivait pas à se calmer sur la bouteille et dont la moitié des histoires de sa vie concernait les putes, et l'autre moitié les catiminis familiales.
« Tu ressembles à ta tante. » prononça-t-il bassement, penché sur son oreille. Son minois doux et ses sourires juvéniles tranchaient terriblement avec Anne Lilac, tante tantôt austère tantôt toquée, mais elle portait en elle tous les attributs nécessaires à la rapprocher de l'extravagante maîtresse de maison.
Kelbourg tira nonchalamment les draps pour la découvrir avec préciosité. Elle était de jour d'un blanc de lait ou de crème, si pâle qu'on le savait fragile et sensible. Les faibles lumières tamisées de la pièce participaient à la luisance de sa peau, rehaussant son teint d'un ou deux tons plus sombres et dramatiques. Le mariage de l'orangé des flammes et de sa fraîche pâleur luminescente contribuaient à lui argenter le corps d'une teinte unique et envoûtante. Elle incarnait son bien le plus précieux. Sa conquête la plus glorifiante. Son trésor de la plus grande valeur. La plus tenace vigueur de sa volonté d'advenir l'homme bon et bienfaiteur qu'il désirait être au plus profond de lui. Elle était tout ça, et elle était en vie et aimante, sous ses yeux, dévêtue et rêveuse. Ses yeux clos étaient tenus par la sérénité d'un repos salvateur, le corps mouvant au rythme de ses aventures oniriques de gestes placides et inoffensifs.
Il posa une main sur elle, la parcourut de sa paume et de ses doigts, oscillant entre protection et désir, et se détourna du fruit interdit à cette seule caresse. Le Baron se redresse d'une poussée sur ses jambes et aborda le siège de son bureau, dos au lit. Il se saisit du coupe-papier, trancha avec flegme les premières entrées et commença ses lectures. Il y en a jusqu'au midi, oui... Celle-ci provenait de Balthrimaz Ockwerscott, le Commandant des défenses des Bois-aux-Bruines, et était vraisemblablement rédigée par Nicel Hiddenhaus, l'homme à la plus belle plume, et accessoirement le majordome de la famille Kelbourg.
Des mots qui cachant trop de douleur se trouvaient dans cette lettre, Aldorey en était conscient. C'était la guerre au nord, et il partirait demain avec les Sombragon en cette direction, pour livrer bataille. Ses yeux se posèrent douloureusement sur les premiers paragraphes du pli tenu entre ses mains. Combien de pertes encore avaient été estimées... ? Cela le peinait. Cela le troublait. Un coup au cœur. Mais une main se posa sur son épaule avant de glisser sur son torse pour se l'approprier en gardienne, fine et blanche comme le plus beau des marbres.
« Tu aurais pu me couvrir, Kelbourg. » dit-elle.
Lui se contenta de baiser la main qui se présentait sur sa tunique, cette main qui appartenait à la vigueur de sa volonté. Au courage nécessaire pour lire cette lettre et y répondre. « J'avais besoin de toi, Etherea. »
Un chef-d'œuvre que celle-ci qu'il chérissait tout autant que son illustre canne or-et-argent. Cette noirceur se constituait d'une accumulation de racines nouées entre elles pour ne former qu'une seule branche unique et droite. Un assemblage morbide d'horreurs corneilles repoussant et glauque. Mais ce matériau provenait de ses propres terres, et c'est la raison pour laquelle il s'en enorgueillissait et paradait constamment avec chez les Sombragon ou au-dehors de leur Manoir.
Il gagna avec lenteur la porte de la chambre, ses jambes étaient douloureuses aujourd'hui. L'anxiété. Le départ à venir pour le nord, oui. C'est ce dont il s'était persuadé. De sa main d'arme il ouvrit la porte et se recula. Traumout pénétra la pièce avec douceur et discrétion, son tas de plis dans les mains. Il ne lui fallu pas grand temps pour déposer le tout avec douceur sur le bureau où déjà s'entassait une myriade de lettres diverses et variées, certaines d'ailleurs, d'autres ici. Tantôt blanches ou pâles, tantôt jaunes ou sombres. Elle réorganisa l'espace de travail de son Seigneur dans un petit soupir, de ses soupirs d'agacement mais d'habitude, du geste que l'on répète inlassablement, pour ce jour et les jours à venir, à jamais sans doute. En tous cas, elle devait s'en être convaincue depuis le temps qu'elle le répétait. Le Baron la laissa faire, c'était coutumier, et tandis qu'elle arrangeait le fatras du jeune-homme, lui la mirait et la détaillait. Car le Kelbourg savait pertinemment que bien qu'elle était le médecin ici, elle était aussi la plus souffrante des deux. Et force était de constater que la multiplication des déplacements de la jeune-femme pour servir le nobliau qu'il était, eh bien tout ceci n'était pas pour favoriser son état de santé précaire.
En ce jour elle revêtait du vert émeraude en une robe simple et sobre, cousue de fils argentés. L'ambiance noirâtre de la chambre rehaussait sa peau de bronze. « Je ne veux pas réveiller votre fiancée, entama-t-elle, cela ira. Soyez plus soigneux à l'avenir. » La thérapeute repassa rapidement la porte et Aldorey referma derrière elle. « Vous savez que ça n'arrivera pas. »
Il se tourna vers son bureau où maintenant trônait une montagne de plis. Ce travail était interminable. Epuisant et interminable. Tous les matins le même nombre de papiers gagnait son bureau. Des missives, des plis, des lettres et autres feuilles où dansait le verbe, parfois pour demander des canons, parfois pour au contraire les rendre, parfois une bataille au nord, une perte, deux, les mauvais jours trois. Il arrivait qu'on lui écrive à lui personnellement pour de ses nouvelles, et c'était bien là les seuls mots qu'il avait vraiment envie de parcourir de ses prunelles perçantes et lasses. Il y en aurait jusqu'au midi, il le savait par avance.
Sa tête se dégagea bien vite des méandres du bureau pour lentement se tourner en direction du lit. Les draps étaient à moitié sans dessus dessous du côté où il s'était reposé, mais restaient paisible ceux de sa fiancée. Elle arrivait qu'elle ne soit plus là, certains matins. Etherea était bien plus motivée à se lever que lui la plupart du temps, et celle-ci devait sûrement partir à la conquête des cuisines alors que Seneth Riddle, le factotum des Sombragon, besognait ailleurs, ce qui permettait de dérober du chocolat à volonté pendant ce laps de temps. Après quoi, supposait le Baron, elle devait s'en aller quelque part. Où ? Prendre des cours en ville, peut-être, ou jouer du nouveau piano récemment installé dans la Villa. Il était bien possible aussi qu'elle aille simplement dehors bien que cela ne lui était pas conseillé, pour se promener près des bosquets alentours en compagnie de son animal. Mais en ce jour elle demeurait dans ce lit, tenue par le sommeil.
Elle dormait sur le ventre, remarqua-t-il. Ses bras enlaçaient un des grands coussins soyeux de la couche pour le serrer contre son corps et son visage. Une femme innocente. Cela ne doit pas changer.Aldorey se releva avec l'aide de son odieuse canne sinistre. Clopin-clopant il atteignit le rebord et s'y posa, sans oser la sortir de ses songes et la renvoyer auprès du réel. La canne se retrouva sous son bras droit et de sa main gauche il se mit à chouchouter patiemment la chevelure ébène de la nièce Lilac.
Rares étaient les moments où il pouvait la retrouver calme et sereine à la fois. La timidité la rendait circonspecte lors des rencontres, et la faire voyager était pour le moment difficile, ou alors fallait-il l'embarquer pour la guerre au nord, ce qui n'était pas sans lui déplaire évidemment. Quel époux pourrait envoyer sa femme se battre sous son commandement ? Quel époux pourrait risquer la vie de celle qui porte son enfant, sa graine, son sang, sa descendance, celle qui perpétuera l'histoire de nombreuses Maisons ? Quel époux ? Pas lui, assurément. Et quand elle n'était pas altérée par sa timidité, c'était ses petites colères qui prenaient le dessus, ce qui arrivait assez souvent avec un homme tel qu'Aldorey. Un homme égoïste, têtu et violent. Un homme qui n'arrivait pas à se calmer sur la bouteille et dont la moitié des histoires de sa vie concernait les putes, et l'autre moitié les catiminis familiales.
« Tu ressembles à ta tante. » prononça-t-il bassement, penché sur son oreille. Son minois doux et ses sourires juvéniles tranchaient terriblement avec Anne Lilac, tante tantôt austère tantôt toquée, mais elle portait en elle tous les attributs nécessaires à la rapprocher de l'extravagante maîtresse de maison.
Kelbourg tira nonchalamment les draps pour la découvrir avec préciosité. Elle était de jour d'un blanc de lait ou de crème, si pâle qu'on le savait fragile et sensible. Les faibles lumières tamisées de la pièce participaient à la luisance de sa peau, rehaussant son teint d'un ou deux tons plus sombres et dramatiques. Le mariage de l'orangé des flammes et de sa fraîche pâleur luminescente contribuaient à lui argenter le corps d'une teinte unique et envoûtante. Elle incarnait son bien le plus précieux. Sa conquête la plus glorifiante. Son trésor de la plus grande valeur. La plus tenace vigueur de sa volonté d'advenir l'homme bon et bienfaiteur qu'il désirait être au plus profond de lui. Elle était tout ça, et elle était en vie et aimante, sous ses yeux, dévêtue et rêveuse. Ses yeux clos étaient tenus par la sérénité d'un repos salvateur, le corps mouvant au rythme de ses aventures oniriques de gestes placides et inoffensifs.
Il posa une main sur elle, la parcourut de sa paume et de ses doigts, oscillant entre protection et désir, et se détourna du fruit interdit à cette seule caresse. Le Baron se redresse d'une poussée sur ses jambes et aborda le siège de son bureau, dos au lit. Il se saisit du coupe-papier, trancha avec flegme les premières entrées et commença ses lectures. Il y en a jusqu'au midi, oui... Celle-ci provenait de Balthrimaz Ockwerscott, le Commandant des défenses des Bois-aux-Bruines, et était vraisemblablement rédigée par Nicel Hiddenhaus, l'homme à la plus belle plume, et accessoirement le majordome de la famille Kelbourg.
Des mots qui cachant trop de douleur se trouvaient dans cette lettre, Aldorey en était conscient. C'était la guerre au nord, et il partirait demain avec les Sombragon en cette direction, pour livrer bataille. Ses yeux se posèrent douloureusement sur les premiers paragraphes du pli tenu entre ses mains. Combien de pertes encore avaient été estimées... ? Cela le peinait. Cela le troublait. Un coup au cœur. Mais une main se posa sur son épaule avant de glisser sur son torse pour se l'approprier en gardienne, fine et blanche comme le plus beau des marbres.
« Tu aurais pu me couvrir, Kelbourg. » dit-elle.
Lui se contenta de baiser la main qui se présentait sur sa tunique, cette main qui appartenait à la vigueur de sa volonté. Au courage nécessaire pour lire cette lettre et y répondre. « J'avais besoin de toi, Etherea. »
Aldorey Kelbourg- Personnages Joués : Aldoreÿ/Guilhart/Visvaldis
Re: Des années de vie pour quelques rêves - Les Magtorus
Divers - Ainsi aux Bois va la guerre
A Etherea, Asélryn,
Caodh et Niamh.
A Doloris
Les mercenaires
Allez debout les gaillards,
Car ce matin y'a pas le temps !
Fissa vos armes à la main,
Car ce matin y'a pas le temps !
Et la bruine aux vents de l'hiver,
Glace plus d'un poltron.
Ainsi aux Bois va la guerre,
Contée dans la chanson.
Se battre pour des racines,
Et pas un seul bastion.
Défendre des tas d'épines,
Et pas un seul bation.
Toujours supporter la bruine,
Et pas un seul bastion.
Au final si on s'aligne,
C'est pour aucun bastion.
Le Baron, est un brave gars,
D'honneur et de passion.
On dit ça, c'est par égard,
A la main de femme dans son caleçon.
L'hobereau, vit sans tracas,
Tandis qu'on gèle en mission.
Après tout, on est là pour ça,
Des hectares et deux trois habitants.
Allez debout les gaillards,
Car ce matin y'a pas le temps !
Fissa vos armes à la main,
Car ce matin y'a pas le temps !
Et la bruine aux vents de l'hiver,
Glace plus d'un poltron.
Ainsi aux Bois va la guerre,
Contée dans la chanson.
On nous dit que les Réprouvés,
Tarderons pas à nous faire clamser.
Que pour ça faudrait se bouger,
Au fusil et à pointe d'épée.
Mais c'est noir et mal retranché,
Dans les Bois de cet héritier.
Bast ! Qu'il paye c'est décidé,
Jusqu'à la mort, fidélité !
Et puis moi, quand je vois sa douce,
J'en ai des sacrées idées.
Il paraît qu'elle file en douce,
Pour seule partir cavaler.
Alors Kelbourg la voit aigre-douce,
Sire ! On part la protéger !
Quand reverrons tous nos douces ?
Espérons à l'orient de l'été !
Allez debout les gaillards,
Car ce matin y'a pas le temps !
Fissa vos armes à la main,
Car ce matin y'a pas le temps !
Et la bruine aux vents de l'hiver,
Glace plus d'un poltron.
Ainsi aux Bois va la guerre,
Contée dans la chanson.
Car ce matin y'a pas le temps !
Fissa vos armes à la main,
Car ce matin y'a pas le temps !
Et la bruine aux vents de l'hiver,
Glace plus d'un poltron.
Ainsi aux Bois va la guerre,
Contée dans la chanson.
Se battre pour des racines,
Et pas un seul bastion.
Défendre des tas d'épines,
Et pas un seul bation.
Toujours supporter la bruine,
Et pas un seul bastion.
Au final si on s'aligne,
C'est pour aucun bastion.
Le Baron, est un brave gars,
D'honneur et de passion.
On dit ça, c'est par égard,
A la main de femme dans son caleçon.
L'hobereau, vit sans tracas,
Tandis qu'on gèle en mission.
Après tout, on est là pour ça,
Des hectares et deux trois habitants.
Allez debout les gaillards,
Car ce matin y'a pas le temps !
Fissa vos armes à la main,
Car ce matin y'a pas le temps !
Et la bruine aux vents de l'hiver,
Glace plus d'un poltron.
Ainsi aux Bois va la guerre,
Contée dans la chanson.
On nous dit que les Réprouvés,
Tarderons pas à nous faire clamser.
Que pour ça faudrait se bouger,
Au fusil et à pointe d'épée.
Mais c'est noir et mal retranché,
Dans les Bois de cet héritier.
Bast ! Qu'il paye c'est décidé,
Jusqu'à la mort, fidélité !
Et puis moi, quand je vois sa douce,
J'en ai des sacrées idées.
Il paraît qu'elle file en douce,
Pour seule partir cavaler.
Alors Kelbourg la voit aigre-douce,
Sire ! On part la protéger !
Quand reverrons tous nos douces ?
Espérons à l'orient de l'été !
Allez debout les gaillards,
Car ce matin y'a pas le temps !
Fissa vos armes à la main,
Car ce matin y'a pas le temps !
Et la bruine aux vents de l'hiver,
Glace plus d'un poltron.
Ainsi aux Bois va la guerre,
Contée dans la chanson.
Aldorey Kelbourg- Personnages Joués : Aldoreÿ/Guilhart/Visvaldis
Re: Des années de vie pour quelques rêves - Les Magtorus
Divers - Cet Hiver Aux Bois
A Etherea, Asélryn,
Caodh et Niamh.
A Doloris
Les mercenaires
« J'crois qu'ils nous suivent plus, Grenouille...!», s'essouffla le petiot. Il portait le sobriquet de Merle. Je ne savais plus exactement pourquoi, mais il me semblait que ça provenait de l'expression faute de grives, on mange des merles, car ce garçon était carrément un poids, mais comme il fallait s'en contenter... On avait fait avec. « On reste pas là, lui dis-je alors, souff'ton coup deux s'condes et on est d'jà sur le départ. » Les réprouvés nous talonnaient depuis des lieux. Impossible de les semer, même dans les méandres sinueux des Bois. « Et l'vioc' ? » demanda-t-il. Je me contentais d'un signe négatif de la tête en reprenant la route, il fut bien obligé de faire idem.
Tout avait commencé il y a un jour, au retour d'une escapade du grand chef, comme on disait. Le Commandant Balthrimaz Ockwerscott venait tout juste de rentrer qu'il nous désignait déjà pour prendre le relais de ses aventures profondes au grand froid. « GRENOUILLE, MERLE ET GODSPELL ! » Et voilà qu'on avait préparé trois hongres, trois armures, trois lames et trois torches en cas de secours. Sitôt fait qu'on avait traversé un mile vers l'Est des Bois-au-Bruines, bravant les blancheurs glaciales de l'endroit, une couleur tranchant radicalement avec le noir habituel de cette forêt maudite. Un putain de bordel pour se déplacer dans cette horreur. Les racines vous faisaient trébucher vous et vos montures, les épines énormes de la flore vous écorchaient à la moindre déconcentration, et pire que tout, les réprouvés et leurs forestiers guettaient eux aussi.
L'objectif était simple : localiser le chariot à peste ainsi que les diverses positions ennemies non loin. C'était tout con, et surtout essentiel à la bataille à venir contre eux. Car c'était bien ça le problème, là où les Bois étaient les meilleurs du genre à présent échouaient. Se cacher. Depuis le cataclysme c'était toute une histoire, de rester planquer. Parfois on croisait des bandits paumés qui se perdaient entre deux troncs noirs et lugubres, on les crevait aux flèches, ceux-ci. Parfois des loups qui venaient vivre en paix, loin des races pensantes. On les baisait aux flèches aussi. Mais un jour c'est un forestier qu'est venu. On l'a niqué avec une flèche. Et puis la semaine d'après, ils étaient deux, et encore après trois. Aujourd'hui ils crament la terre en avançant vers le Manoir, de quoi dégager la route pour faire passer leur chariot à peste.
C'est pour cela qu'au tout départ le Baron Kelbourg avait pour l'occasion fait condamner le Manoir pour tous nous installer dans un camp au plus près de l'avancée réprouvée. Voilà des semaines qu'on se les gelait au milieu du domaine de sa famille de nobliaux, avec un seul feu pour nous tenir chaud, des tours de guet permanents et l'interdiction de gueuler. Il se plaisait bien avec sa petite fiancée, la chasseresse à jolie poitrine. Un petit minois tout doux dont on tirerait bien les joues entre deux pintes.
Bref, la mission avait pas été un succès monumental. Voire pas un succès du tout. Moi j'étais éclaireur et guide. J'étais au service du clan depuis bien avant la récupération du pouvoir par les Kelbourg. Je servais Velenskins Magtorus, La Gueule. Personne connaissait les Bois mieux que moi et Ockwerscott. Autant dire que la bagatelle réprouvée allait pas m'échapper. Le problème avait été autre. Le problème avait été Merle et son incapacité à se défendre et Godspell et son orgueil de vieillard. Il s'était contenté de faire sa tête de cochon, ce con, et à présent il était sûrement décapité, la tête au bout d'une ignoble pique mort-vivante.
Je crois que les choses se sont gâtées ainsi...
« Psssssssccht, Grenouille ! Grenouille ! Eh, Grenouille ?
_ Putain, Merle, quoi ?
_Mais qu'est-ce qu'il branle Godspell, il s'est taillé sur la droite et t'avais d'mandé la gauche.
_Hein ?
_L'a taillé la droite, t'as d'mandé la gauche.»
On s'était arrêté aux premiers signes de présence réprouvée. Ce n'était pas bien compliqué, quand on appliquait la politique de la terre brûlée, même en hiver, fallait s'attendre à apercevoir d'assez loin d'épaisses fumées âcres s'envoler par-dessus la cime des arbres morbides des lieux. Etant chef d'équipe, j'avais désigné un petit renfoncement tapissé de broussailles glacées pour se planquer. On avait méticuleusement surveillé l'endroit, patienté qu'aucune patrouille ne passe par intermittence, et on s'était séparé selon mes ordres et mes conseils. Le vieux Godspell était un mercenaire vétéran de plusieurs guerres, le gars avait terminé dans des armées privées et savait quoi faire. Enfin, ça, c'est ce que je pensais. Ce type était une sale tête mule qui ne voulait pas entendre parler des ordres d'un type plus jeune que lui, c'est-à-dire ici moi. Il devait contourner les troupes remarquées et depuis un autre angle de vue faire des comptes. Car ouais, il était le seul à savoir compter correctement dans le groupe en plus de moi, mais moi, je me devais d'éviter de perdre de vue et la direction du camp, et le point réunion de l'équipage. Merle était pas foutu de compter sans ses doigts, et comme il lui manquait déjà pour son jeune âge les deux auriculaires, ça n'aidait en rien à améliorer ses facultés. Bête comme choux mais pas méchant pour deux sous, il était naïf et obéissant. Lui devait prendre l'ouest et grimper sur un magnifique tronc mort pour zieuter si aucune patrouille risquait de manger Godspell. Malingre qu'il était, pâle et glacé jusqu'aux os, on le confondait aisément avec un branchage noueux.
« Mais alors on fout quoi ? demanda le Merle dans des murmures. Je jurais, sans trop savoir quoi répondre.
_Qu'est-ce tu veux foutre, bordel ? On patiente son retour à c'con, j'doute qu'il soit derrière un arbre en train d'démouler un putain d'cake. Tu r'tournes surveiller. »
Evidemment, si le Merle s'était exécuté docilement, l'autre trou du cul de Godspell n'en avait absolument rien à carrer et s'était autorisé à s'avancer seul au plus près des lignes. Rampant comme une merde, il avait dû tomber nez à nez avec une des araignées de forestier, de celles qui grimpent aux arbres et surveillent tout pour eux. Je ne sais trop comment il s'y est pris, mais il a fait hurler son cor. Nos regards à Merle et moi se sont croisés. On a tiré le fer de concert. Godspell était pourchassé par la bête aux multiples pattes. Si je dois bien concéder quelque chose au troufion qu'il était, ça devait être sa vivacité. Le gaillard a détaché son épée bâtarde, s'est retourné d'un coup et l'a coupé en deux. C'était prompt, efficace. Il s'est mis à rigoler en revenant vers nous, j'ai sourit. Il a mangé une flèche noire en pleine cuisse, c'était guère beau à voir. « GRENOUILLE CASSONS-NOUS ! » a fait dans un hurlement strident le jeune Merle. Je ne sais plus pourquoi, mais j'ai jugé sa trouille bien placée. On s'est cassé en abandonnant Godspell qui ne pouvait plus se déplacer. Mon dernier souvenir de lui fut de le voir se manger au sol, tête la première en implorant d'un geste de bras de nous arrêter.
Bah, j'suis désolé mon gars, mais on avait pas trop l'choix. Plutôt toi qu'moi.
Et nous voilà là. Depuis un jour qu'on fuyait ces bâtards. Impossibles à tracer. D'ailleurs, j'étais un brin vexé. Moi, le guide des Bois, moi Grenouille, le sauteur de racines, de troncs et d'épines, me faire baiser par des salopes à capuche qui tirent des bouts de bois... des trucs dégueulasses, je ne saurais dire quoi. Enfin. Merle commençait a perdre patience, il sanglotait par moment, et surtout on crevait la dalle. Sans nos hongres, pas d'affaires, pas nos torches, pas nos provisions. Et le seul cor m'avait été raflé par Godspell qui jugeait être le plus à même d'en prendre soin. Bah voyons.
« J'en peux plus... » finit par me prévenir le petit Merle. Le pauvre gosse avait à peine la majorité. Il suivait son père, si je me souviens bien. Un bon gars qui était tombé lors du soulèvement des Dillinger sur les Magtorus. Il avait résisté et défendu La Gueule. La sienne il se l'est cassée, et plutôt sévèrement, pour le coup. Et voilà que le petiot Merle était orphelin au service d'une cause qui n'était pas la sienne. Avec le temps il se l'est appropriée. Il a fait de son mieux pour, dans tous les cas. Ca le rendait déjà courageux. Brave, en quelque sorte.
« On va s'arrêter deux minutes. Pas plus p'tit.
_Merci, répondit-il un bras à le tenir contre un arbre morne, t'es un brave.
_Ouais... Si tu l'dis. »
Et puis quelque chose craqua non loin. Et encore autre chose à l'opposé. L'espace d'un instant j'ai cru que mon esprit me jouait des tours, que j'avais la peur aux tripes, faute au ventre vide, à l'épuisement, à ces putains de déplacements dans les Bois. Parfois j'avais cru nous perdre, mais tout me revenait bien vite, mais parfois... Non. Ca se brisa encore, non loin. Des choses approchaient. Merle avait déjà l'épée au clair, je fis signe de la fermer d'une main, il opina et se baissa en me voyant faire la même.
Et puis il étaient là. Une dizaine de réprouvés, des fantassins pour la plupart, aucun forestier avec eux. Dans l'coin, pour sûr. « Grenouille... ? - J'suis désolé, Merle. Mais là on est mort, p'tit. » Parmi eux se trouvait un Chevalier de la Mort. Il avait des orbites qui luisaient d'un bleu terrible. Glacial. Son armure titanesque pendait à moitié sur ses membres en charpie. Il s'avança comme un dirigeant le ferait et gargouilla quelque chose de sa bouche pourrie et désaxée. Il posa ses prunelles lumineuses de mal sur Merle, puis sur moi, il recommença et gargouilla de nouveau.
« J'suis l'chef. » lui dis-je à haute et intelligible voix.
Une flèche fusa de derrière la troupe qui nous encerclait. Son sifflement s'interrompit quand elle faucha Merle en plein torse. Le garçon chiala en me priant de l'aider mais un fantassin l'acheva immédiatement d'une pique. Moi ça me fit rire. Franchement, ça me fit rire. Voilà que c'était terminé pour moi aussi. Une mission à la con, des collègues à la con. Un âne bâté et un trou du cul soutenant mordicus qu'il avait chaque fois raison. Un idiot et un buté. Deux butés, en fait. Bientôt trois.
« Alors j'vais caner comme ça. »
Le Chevalier me détailla en silence, j'ai bien cru qu'il ne me comprenait pas. Et c'était normal. Mais pour autant son simulacre de bouche se tordit dans une fanfare sonore à me faire gerber. Elle se tordit en un sourire.
Je ne sais pas comment, mais j'ai pris la fuite. Plutôt Godspell que moi. Plutôt Merle que moi. Je ne sais pas comment, mais j'ai enduré une flèche au flanc. J'ai couru, couru tant que j'ai pu. Quelque chose se ficha dans mon dos ensuite, mais j'ai continué, continué. J'ai sauté des racines, j'ai sauté des épines et j'ai sauté des troncs. J'étais Grenouille, le guide des Bois. Celui qui les connaissait mieux que quiconque, mieux qu'Ockwerscott, mieux que le Baron des Bois.
J'étais Grenouille, trois flèches dans le corps, une au flanc, une autre dans le dos, et enfin une dernière à la gorge. J'étais Grenouille, rattrapé par un fantassin que je repoussa aux dernières forces d'un coup ultime coup d'épée.
J'étais Grenouille, surplombé par l'ombre du Chevalier. Et tous les deux on gargouilla. Mais lui plus que moi.
Tout avait commencé il y a un jour, au retour d'une escapade du grand chef, comme on disait. Le Commandant Balthrimaz Ockwerscott venait tout juste de rentrer qu'il nous désignait déjà pour prendre le relais de ses aventures profondes au grand froid. « GRENOUILLE, MERLE ET GODSPELL ! » Et voilà qu'on avait préparé trois hongres, trois armures, trois lames et trois torches en cas de secours. Sitôt fait qu'on avait traversé un mile vers l'Est des Bois-au-Bruines, bravant les blancheurs glaciales de l'endroit, une couleur tranchant radicalement avec le noir habituel de cette forêt maudite. Un putain de bordel pour se déplacer dans cette horreur. Les racines vous faisaient trébucher vous et vos montures, les épines énormes de la flore vous écorchaient à la moindre déconcentration, et pire que tout, les réprouvés et leurs forestiers guettaient eux aussi.
L'objectif était simple : localiser le chariot à peste ainsi que les diverses positions ennemies non loin. C'était tout con, et surtout essentiel à la bataille à venir contre eux. Car c'était bien ça le problème, là où les Bois étaient les meilleurs du genre à présent échouaient. Se cacher. Depuis le cataclysme c'était toute une histoire, de rester planquer. Parfois on croisait des bandits paumés qui se perdaient entre deux troncs noirs et lugubres, on les crevait aux flèches, ceux-ci. Parfois des loups qui venaient vivre en paix, loin des races pensantes. On les baisait aux flèches aussi. Mais un jour c'est un forestier qu'est venu. On l'a niqué avec une flèche. Et puis la semaine d'après, ils étaient deux, et encore après trois. Aujourd'hui ils crament la terre en avançant vers le Manoir, de quoi dégager la route pour faire passer leur chariot à peste.
C'est pour cela qu'au tout départ le Baron Kelbourg avait pour l'occasion fait condamner le Manoir pour tous nous installer dans un camp au plus près de l'avancée réprouvée. Voilà des semaines qu'on se les gelait au milieu du domaine de sa famille de nobliaux, avec un seul feu pour nous tenir chaud, des tours de guet permanents et l'interdiction de gueuler. Il se plaisait bien avec sa petite fiancée, la chasseresse à jolie poitrine. Un petit minois tout doux dont on tirerait bien les joues entre deux pintes.
Bref, la mission avait pas été un succès monumental. Voire pas un succès du tout. Moi j'étais éclaireur et guide. J'étais au service du clan depuis bien avant la récupération du pouvoir par les Kelbourg. Je servais Velenskins Magtorus, La Gueule. Personne connaissait les Bois mieux que moi et Ockwerscott. Autant dire que la bagatelle réprouvée allait pas m'échapper. Le problème avait été autre. Le problème avait été Merle et son incapacité à se défendre et Godspell et son orgueil de vieillard. Il s'était contenté de faire sa tête de cochon, ce con, et à présent il était sûrement décapité, la tête au bout d'une ignoble pique mort-vivante.
Je crois que les choses se sont gâtées ainsi...
« Psssssssccht, Grenouille ! Grenouille ! Eh, Grenouille ?
_ Putain, Merle, quoi ?
_Mais qu'est-ce qu'il branle Godspell, il s'est taillé sur la droite et t'avais d'mandé la gauche.
_Hein ?
_L'a taillé la droite, t'as d'mandé la gauche.»
On s'était arrêté aux premiers signes de présence réprouvée. Ce n'était pas bien compliqué, quand on appliquait la politique de la terre brûlée, même en hiver, fallait s'attendre à apercevoir d'assez loin d'épaisses fumées âcres s'envoler par-dessus la cime des arbres morbides des lieux. Etant chef d'équipe, j'avais désigné un petit renfoncement tapissé de broussailles glacées pour se planquer. On avait méticuleusement surveillé l'endroit, patienté qu'aucune patrouille ne passe par intermittence, et on s'était séparé selon mes ordres et mes conseils. Le vieux Godspell était un mercenaire vétéran de plusieurs guerres, le gars avait terminé dans des armées privées et savait quoi faire. Enfin, ça, c'est ce que je pensais. Ce type était une sale tête mule qui ne voulait pas entendre parler des ordres d'un type plus jeune que lui, c'est-à-dire ici moi. Il devait contourner les troupes remarquées et depuis un autre angle de vue faire des comptes. Car ouais, il était le seul à savoir compter correctement dans le groupe en plus de moi, mais moi, je me devais d'éviter de perdre de vue et la direction du camp, et le point réunion de l'équipage. Merle était pas foutu de compter sans ses doigts, et comme il lui manquait déjà pour son jeune âge les deux auriculaires, ça n'aidait en rien à améliorer ses facultés. Bête comme choux mais pas méchant pour deux sous, il était naïf et obéissant. Lui devait prendre l'ouest et grimper sur un magnifique tronc mort pour zieuter si aucune patrouille risquait de manger Godspell. Malingre qu'il était, pâle et glacé jusqu'aux os, on le confondait aisément avec un branchage noueux.
« Mais alors on fout quoi ? demanda le Merle dans des murmures. Je jurais, sans trop savoir quoi répondre.
_Qu'est-ce tu veux foutre, bordel ? On patiente son retour à c'con, j'doute qu'il soit derrière un arbre en train d'démouler un putain d'cake. Tu r'tournes surveiller. »
Evidemment, si le Merle s'était exécuté docilement, l'autre trou du cul de Godspell n'en avait absolument rien à carrer et s'était autorisé à s'avancer seul au plus près des lignes. Rampant comme une merde, il avait dû tomber nez à nez avec une des araignées de forestier, de celles qui grimpent aux arbres et surveillent tout pour eux. Je ne sais trop comment il s'y est pris, mais il a fait hurler son cor. Nos regards à Merle et moi se sont croisés. On a tiré le fer de concert. Godspell était pourchassé par la bête aux multiples pattes. Si je dois bien concéder quelque chose au troufion qu'il était, ça devait être sa vivacité. Le gaillard a détaché son épée bâtarde, s'est retourné d'un coup et l'a coupé en deux. C'était prompt, efficace. Il s'est mis à rigoler en revenant vers nous, j'ai sourit. Il a mangé une flèche noire en pleine cuisse, c'était guère beau à voir. « GRENOUILLE CASSONS-NOUS ! » a fait dans un hurlement strident le jeune Merle. Je ne sais plus pourquoi, mais j'ai jugé sa trouille bien placée. On s'est cassé en abandonnant Godspell qui ne pouvait plus se déplacer. Mon dernier souvenir de lui fut de le voir se manger au sol, tête la première en implorant d'un geste de bras de nous arrêter.
Bah, j'suis désolé mon gars, mais on avait pas trop l'choix. Plutôt toi qu'moi.
Et nous voilà là. Depuis un jour qu'on fuyait ces bâtards. Impossibles à tracer. D'ailleurs, j'étais un brin vexé. Moi, le guide des Bois, moi Grenouille, le sauteur de racines, de troncs et d'épines, me faire baiser par des salopes à capuche qui tirent des bouts de bois... des trucs dégueulasses, je ne saurais dire quoi. Enfin. Merle commençait a perdre patience, il sanglotait par moment, et surtout on crevait la dalle. Sans nos hongres, pas d'affaires, pas nos torches, pas nos provisions. Et le seul cor m'avait été raflé par Godspell qui jugeait être le plus à même d'en prendre soin. Bah voyons.
« J'en peux plus... » finit par me prévenir le petit Merle. Le pauvre gosse avait à peine la majorité. Il suivait son père, si je me souviens bien. Un bon gars qui était tombé lors du soulèvement des Dillinger sur les Magtorus. Il avait résisté et défendu La Gueule. La sienne il se l'est cassée, et plutôt sévèrement, pour le coup. Et voilà que le petiot Merle était orphelin au service d'une cause qui n'était pas la sienne. Avec le temps il se l'est appropriée. Il a fait de son mieux pour, dans tous les cas. Ca le rendait déjà courageux. Brave, en quelque sorte.
« On va s'arrêter deux minutes. Pas plus p'tit.
_Merci, répondit-il un bras à le tenir contre un arbre morne, t'es un brave.
_Ouais... Si tu l'dis. »
Et puis quelque chose craqua non loin. Et encore autre chose à l'opposé. L'espace d'un instant j'ai cru que mon esprit me jouait des tours, que j'avais la peur aux tripes, faute au ventre vide, à l'épuisement, à ces putains de déplacements dans les Bois. Parfois j'avais cru nous perdre, mais tout me revenait bien vite, mais parfois... Non. Ca se brisa encore, non loin. Des choses approchaient. Merle avait déjà l'épée au clair, je fis signe de la fermer d'une main, il opina et se baissa en me voyant faire la même.
Et puis il étaient là. Une dizaine de réprouvés, des fantassins pour la plupart, aucun forestier avec eux. Dans l'coin, pour sûr. « Grenouille... ? - J'suis désolé, Merle. Mais là on est mort, p'tit. » Parmi eux se trouvait un Chevalier de la Mort. Il avait des orbites qui luisaient d'un bleu terrible. Glacial. Son armure titanesque pendait à moitié sur ses membres en charpie. Il s'avança comme un dirigeant le ferait et gargouilla quelque chose de sa bouche pourrie et désaxée. Il posa ses prunelles lumineuses de mal sur Merle, puis sur moi, il recommença et gargouilla de nouveau.
« J'suis l'chef. » lui dis-je à haute et intelligible voix.
Une flèche fusa de derrière la troupe qui nous encerclait. Son sifflement s'interrompit quand elle faucha Merle en plein torse. Le garçon chiala en me priant de l'aider mais un fantassin l'acheva immédiatement d'une pique. Moi ça me fit rire. Franchement, ça me fit rire. Voilà que c'était terminé pour moi aussi. Une mission à la con, des collègues à la con. Un âne bâté et un trou du cul soutenant mordicus qu'il avait chaque fois raison. Un idiot et un buté. Deux butés, en fait. Bientôt trois.
« Alors j'vais caner comme ça. »
Le Chevalier me détailla en silence, j'ai bien cru qu'il ne me comprenait pas. Et c'était normal. Mais pour autant son simulacre de bouche se tordit dans une fanfare sonore à me faire gerber. Elle se tordit en un sourire.
Je ne sais pas comment, mais j'ai pris la fuite. Plutôt Godspell que moi. Plutôt Merle que moi. Je ne sais pas comment, mais j'ai enduré une flèche au flanc. J'ai couru, couru tant que j'ai pu. Quelque chose se ficha dans mon dos ensuite, mais j'ai continué, continué. J'ai sauté des racines, j'ai sauté des épines et j'ai sauté des troncs. J'étais Grenouille, le guide des Bois. Celui qui les connaissait mieux que quiconque, mieux qu'Ockwerscott, mieux que le Baron des Bois.
J'étais Grenouille, trois flèches dans le corps, une au flanc, une autre dans le dos, et enfin une dernière à la gorge. J'étais Grenouille, rattrapé par un fantassin que je repoussa aux dernières forces d'un coup ultime coup d'épée.
J'étais Grenouille, surplombé par l'ombre du Chevalier. Et tous les deux on gargouilla. Mais lui plus que moi.
Aldorey Kelbourg- Personnages Joués : Aldoreÿ/Guilhart/Visvaldis
Re: Des années de vie pour quelques rêves - Les Magtorus
Divers - Vers le Jardin du Bâtard
A Etherea
Aldorey Kelbourg, Baron des Bois-aux-Bruines
Etherea Lilac-Kerrington, fiancée du Baron et ex-soldat
Moby Gray, Justice des Bois et chevalier d'âge
Glen Hurte, homme à tout faire et vieux louvetier
Etherea Lilac-Kerrington, fiancée du Baron et ex-soldat
Moby Gray, Justice des Bois et chevalier d'âge
Glen Hurte, homme à tout faire et vieux louvetier
L'imposant chevalier avait atteint la chambre du Baron en bougonnant. Il revêtait en ce jour son armure anthracite qui lui valait son surnom. Sir Anthracite ; Le Chevalier Anthracite. L'armure n'avait rien de belle en soit, elle était bonnement épaisse, toute cabossée, surtout aux épaules. Si le vieil homme avait de l'âge, alors ses protections en avaient deux fois plus, au moins. Il dégageait ainsi un air menaçant, auguste et fier. On le connaissait ici moins comme chevalier que comme Justice du Baron. Il arborait d'ailleurs son interminable espadon en son dos, fourré dans un cuir solide et écailleux, noir et gris, usé. Moult fois retravaillé.
Il toqua d'une main gantée d'ancienne maille et de cuir brunâtre et mal cousu. « Dame Etherea. Dame Etherea, le Baron vous demande dehors, à l'entrée du Manoir. Il désire se promener avec vous, alors préparez-vous chaudement en conséquence, et saisissez-vous de votre arbalète. » Il grogna de sa voix sévère, un tonnerre grondant mais serein, comme retenu ou enchaîné, prêt à se libérer à la première occasion. Il ajouta un remerciement et s'en alla rejoindre le jeune Kelbourg derechef.
Ce matin là le Baron avait tôt fait de mettre le pied à l'étrier dans une promenade. L'aube perçait tout juste au travers de la sinuosité des arbres des Bois-aux-Bruines, donnant au noir constant des lieux un brin de gris dont personne ne pouvait se plaindre. L'hiver était une période rude ici pour le moral des hommes, et pour le moral du Baron lui-même. Le jeune Kelbourg n'appréciait pas autant les traques nocturnes en ces moments froids et dangereux, surtout que la chasse s'y soldait souvent par un retour bredouille, ou alors la mort d'un ou deux loups dont on ne ferait rien, par tradition hélas.
Les hommes du Manoir étaient très clairs à ce sujet, surtout les anciens, les lieutenants des lieux. Ses lieutenants. « Ni peau ni viande de loup, Aldorey, sinon quand l'urgence se fera. » Voilà quels étaient les mots du domestique Nicel, le plus ancien des habitants du Manoir, lui qui avait fréquenté Velenskins Magtorus, oncle du jeune-homme, et Petter Magtorus, grand-père de ce dernier. Nicel était en quelque sorte autant le gardien de la propreté des lieux que de l'histoire qu'ils véhiculaient. Ses mots faisaient loi, le jeune garçon en était pleinement conscient. Ainsi donc rares étaient les loups morts. Les dangereux uniquement, les assaillants. Le reste fuyait vite, tout maigre et squelettique en ces terres pauvres en gibier.
Quand Moby Gray, l'Anthracite, retrouva Aldorey, ce dernier était déjà armuré sur monture, torche flamboyante dans une main, l'autre à mordre les brides. Une carabine trônait contre lui en bandoulière alors que le brunâtre Glen Hurte, Veneur des lieux, lui fourrait un sabre à la ceinture. Le chasseur voûté était un homme consciencieux et boiteux, rien que pour pivoter sur lui-même lui était nécessaire de faire bon nombre de petits pas. Cela le fit d'ailleurs sourire un maigre instant. Ce Manoir est un hospice, finit-il par se convaincre.
Le Kelbourg fit tourner sa monture droit devant le Gray qui leva la tête, tout ouïe de ce qui allait être dit. « Vient-elle ? » demanda le fier jeune coq, lui se contenta d'opiner de son chef rond et dénudé de bonne part de ses cheveux. Les prunelles sinoples de l'héritier se tournèrent sur Hurte, l'avisant avec une froideur cinglante. « Glen, préparez une monture pour ma fiancée. Une des miennes, ou une des vôtres, je ne veux pas que ce soit un hongre qui irait se casser une patte à la première congère traîtresse. » Le Veneur s'en alla obéir et clopiner plus loin, silencieux derrière son épais fouillis de barbe marron. Gray le suivit un moment du regard, pensif. Et cet homme dirigeait, fut un temps. A quand mon tour ? Lui-même craignait les méfaits de l'âge. Il sentait déjà que son espadon commençait à lui peser, à présent. Il n'appréciait pas cela, déjà qu'il s'était fait une raison et avait cessé de soulever sa hache, arme symbole de sa famille...
« Gray. Ne vous endormez pas. » Le Baron sourit avec sympathie, sa fiancée était avec lui. Dans la lune, je ne me suis même pas aperçu de son arrivée... Pour changer, celle-ci s'était à moitié travestie. Elle arborait des allures masculines ainsi vêtue, mais après tout elle avait été soldat un temps. Elle avait probablement tué des hommes, elle aussi, souffert comme les autres, enduré le camp et la nuit, le froid et la peur. Les ordres, à recevoir ou à donner d'ailleurs. « Vous devriez rentrer, à présent, Sir Anthracite. Prévenez Miss Traumout qu'elle est en charge du Manoir pour la matinée et allez vous reposer, vous me sembler bien ensommeillé. »
Le justicier s'inclina faiblement et pivota pour retourner vers la grand-porte. Il concéda un dernier regard au trio : Hurte n'aida pas la femme à monter, qui s'en occupa seule, comme désireuse de prouver ses talents, ou n'appréciant tout bonnement pas de se faire aider juste parce qu'elle était une femme. Mais c'est son cas, elle ne devrait pas l'oublier. Tu ne devrais pas non plus, petit. Aldorey devenait un véritable enfant en sa présence. Cela se voyait rien qu'à son regard. Ses émeraudes se mettaient à pétiller d'une malice candide et rieuse, son sourire devenait goguenard et son ton perdait toute sa majesté pour se faire chant matois de jouvenceau. Moby Gray passa la grand-porte en la repoussant de ses deux épaisses mains, et le couple lui passa la sortie du Manoir, pénétrant les Bois-aux-Bruines et leur aspect dantesque. Un cirque glauque et sinueux, où le rire se faisait noir et parfois pleurs. Un cirque dangereux. Mon pauvre Nicel, mon pauvre Glen. Tous les trois nous ne sommes plus bons qu'à gueuler, rire ou harnacher...
Le Baron faisait avancer sa monture au sein des Bois, laissant Etherea prendre son propre rythme. Il savait pertinemment que la jeune-femme adorait s'écarter de lui pour zieuter quelque part ou simplement pour faire montre d'indépendance. Aussi il ne daignait pas lancer un seul regard à ce qu'elle pouvait bien faire, soucieux, toutefois, mais quelque part confiant de sa fiancée soldat. Que quelqu'un ou quelque chose pointe son nez, elle fichera un carreau d'arbalète là-dedans fissa, il en était convaincu. L'hiver abandonnait calmement le domaine du Baron. La lumière réchauffait finement les branchages, de quoi les dénuder de leur glace. Au sol, les congères étaient moins nombreuses, et donc moins dangereuses. Il n'était pas rare de rencontrer une racine en plein milieu du chemin, parfois un piège oublié aussi... Mais cette période de l'année avait son charme. Des petits ruisseaux d'eau se formaient au nid de troncs d'arbre morts, de légères flaques bleues tapissaient la forêt, tranchant avec le noir continuel des lieux, brisant la routine avec un brin de douceur froide. Les lieux gagnaient en luminosité, et donc ils gagnaient ainsi en beauté.
« J'ai quelque chose à te montrer, Etherea. Ca va te plaîre. » Le duo se dirigeait vers l'Est du domaine. Si près du Manoir et donc du premier flanc de montagne, les arbres étaient encore peu nombreux, ce qui facilitait terriblement la traversée. Là, des chemins existaient au travers des Bois. Serrés mais praticables, ces maigres voies consistaient en un abattage de certains conifères ébènes des lieux, et à la section de nombreuses racines, ensuite brûlées pour en éviter une sempiternelle réincarnation. Le tout donnait une espèce de passage sinusoïdal et tout droit venu de cauchemars d'enfants. Les troncs s'y trouvaient calcinés, repoussés ou complètement défaits, la glace était brune, sale, et le soupçon de chaleur du moment la rendait boue pâteuse, épaisse et profonde. Ici, on sentait clairement le bois brûlé, la fumée froide, vieille comme emprisonnée. Un air qui ne se renouvellerait pas, embaumant l'endroit pour toujours, au grand damne des narines.
Au moins la traversée, bien que longue, se fit sans aucun souci. L'endroit où donnait le passage était clairsemé, baigné par la lumière du jour, rafraîchit par la bruine légère. Des larmes d'eau froides mais éparses caressant la joue, comme une rosée matinale.
Une colline s'était établie ici, délimitant clairement la zone libre d'arbres d'un cercle droit et trop parfait pour être tout à fait naturel. La rondeur des lieux donnait un charme folklorique au tout, un surnaturel de conte et de mystère. Tout était si silencieux, ici, et surtout si peu sombre. D'un geste de pied le Baron fit avancer sa monture jusqu'au pied de la colline. Elle était peu élevée, mais droite, si bien qu'on ne pouvait l'arpenter en monture, ou même à pied, à moins de vouloir faire de l'escalade. Il sourit à son aimée après un regard pour elle, et il disparu autour de l'édifice moussu et pierreux, si bien qu'Etherea était obligée de le suivre à la trace.
Si l'entrée de la clairière présentait une colline dont le toit semblait inaccessible sans effort, c'est en faisant le tour qu'on découvrait cependant un passage que les montures pouvaient emprunter à moindre effort. Court et toutefois sévère, les deux montures peinèrent à démarrer l'ascension, mais le premier pas fait, le reste alla à la perfection, et il fallu à peine une minute pour atteindre le sommet plat comme tout de l'endroit.
D'un diamètre d'une bonne quarantaine de mètres, la colline ne présentait aucune spécificité. Faite de mousse, de quelques pierres dures espacées à quatre coins et de neige plus ou moins fondue, la zone semblait bien vierge ainsi et sans but. On dépassait d'ici à peine la moitié de la hauteur des arbres moyens des Bois, aussi il était même depuis là impossible de projeter son regard plus loin que le rebord de ce toit herbeux et froid. On en gardait une sensation d'étouffement à moins lever les yeux vers le ciel ce jour vierge de nuage et luisant d'un soleil blanc, dès lors tout le folklore réapparaissait.
Aldorey lâcha brides et abandonna étriers pour poser ses pieds sur la terre. Du pied il souleva une plaque de givre et de sa torche éclaira au mieux ses observations du sol, genou plié. Sa main caressa l'herbe haute et trempée, fléchie sous le poids de la vitre neigeuse qui la retenait jusqu'alors. « Nous sommes ici au Dorgne'Minion. » débuta-t-il en relevant ses prunelles pleines de grâce mais incisives sur Etherea. « Avec cette neige le petit jardin de Candile paraît bien anodin et vierge, mais quand il aura retrouvé son mysticisme d'antan cela redeviendra l'espace d'entraînement d'autrefois. » Sur ces mots il se redressa et fit signe à la jolie jeune femme d'approcher. Lorsqu'elle fut à sa porté il la conduisit calmement sur ses genoux, et saisissant avec la délicatesse nécessaire une de ses mains, lui fit rencontrer le tapis d'herbe trempée. Tous les deux se regardèrent un moment et lui sourit, car sous leurs doigts ils ressentirent exactement la même chose, des gravures déchirant la terre en fines notes fantastiques, aussi profondes et éternelles que le seraient des sortilèges psalmodiés.
« Qu'est-ce que c'est, demanda-t-elle, où sommes-nous exactement ?
_Un peu de magie, rétorqua-t-il avec sourire, nous foulons le labeur de Candile Na'Diel, son terrain d'entraînement. Le nôtre. Tantôt ce lieu retrouvera ce qui faisait de lui une zone d'importance des Bois, et ici tu pourras t'entraîner autant que tu veux.
_Mais c'est juste un plateau... » la jeune fiancée se redressa en faisant couiner ses cuirs d'homme. Elle parcourue l'endroit et rencontra une haute pierre moussue non loin du rebord de la colline. Aldorey éleva un peu la voix pour se faire entendre : « Tu verras, Seneth redonnera un peu de vigueur à l'endroit, tu verras, ce n'est pas seulement un plateau. »
Il toqua d'une main gantée d'ancienne maille et de cuir brunâtre et mal cousu. « Dame Etherea. Dame Etherea, le Baron vous demande dehors, à l'entrée du Manoir. Il désire se promener avec vous, alors préparez-vous chaudement en conséquence, et saisissez-vous de votre arbalète. » Il grogna de sa voix sévère, un tonnerre grondant mais serein, comme retenu ou enchaîné, prêt à se libérer à la première occasion. Il ajouta un remerciement et s'en alla rejoindre le jeune Kelbourg derechef.
Ce matin là le Baron avait tôt fait de mettre le pied à l'étrier dans une promenade. L'aube perçait tout juste au travers de la sinuosité des arbres des Bois-aux-Bruines, donnant au noir constant des lieux un brin de gris dont personne ne pouvait se plaindre. L'hiver était une période rude ici pour le moral des hommes, et pour le moral du Baron lui-même. Le jeune Kelbourg n'appréciait pas autant les traques nocturnes en ces moments froids et dangereux, surtout que la chasse s'y soldait souvent par un retour bredouille, ou alors la mort d'un ou deux loups dont on ne ferait rien, par tradition hélas.
Les hommes du Manoir étaient très clairs à ce sujet, surtout les anciens, les lieutenants des lieux. Ses lieutenants. « Ni peau ni viande de loup, Aldorey, sinon quand l'urgence se fera. » Voilà quels étaient les mots du domestique Nicel, le plus ancien des habitants du Manoir, lui qui avait fréquenté Velenskins Magtorus, oncle du jeune-homme, et Petter Magtorus, grand-père de ce dernier. Nicel était en quelque sorte autant le gardien de la propreté des lieux que de l'histoire qu'ils véhiculaient. Ses mots faisaient loi, le jeune garçon en était pleinement conscient. Ainsi donc rares étaient les loups morts. Les dangereux uniquement, les assaillants. Le reste fuyait vite, tout maigre et squelettique en ces terres pauvres en gibier.
Quand Moby Gray, l'Anthracite, retrouva Aldorey, ce dernier était déjà armuré sur monture, torche flamboyante dans une main, l'autre à mordre les brides. Une carabine trônait contre lui en bandoulière alors que le brunâtre Glen Hurte, Veneur des lieux, lui fourrait un sabre à la ceinture. Le chasseur voûté était un homme consciencieux et boiteux, rien que pour pivoter sur lui-même lui était nécessaire de faire bon nombre de petits pas. Cela le fit d'ailleurs sourire un maigre instant. Ce Manoir est un hospice, finit-il par se convaincre.
Le Kelbourg fit tourner sa monture droit devant le Gray qui leva la tête, tout ouïe de ce qui allait être dit. « Vient-elle ? » demanda le fier jeune coq, lui se contenta d'opiner de son chef rond et dénudé de bonne part de ses cheveux. Les prunelles sinoples de l'héritier se tournèrent sur Hurte, l'avisant avec une froideur cinglante. « Glen, préparez une monture pour ma fiancée. Une des miennes, ou une des vôtres, je ne veux pas que ce soit un hongre qui irait se casser une patte à la première congère traîtresse. » Le Veneur s'en alla obéir et clopiner plus loin, silencieux derrière son épais fouillis de barbe marron. Gray le suivit un moment du regard, pensif. Et cet homme dirigeait, fut un temps. A quand mon tour ? Lui-même craignait les méfaits de l'âge. Il sentait déjà que son espadon commençait à lui peser, à présent. Il n'appréciait pas cela, déjà qu'il s'était fait une raison et avait cessé de soulever sa hache, arme symbole de sa famille...
« Gray. Ne vous endormez pas. » Le Baron sourit avec sympathie, sa fiancée était avec lui. Dans la lune, je ne me suis même pas aperçu de son arrivée... Pour changer, celle-ci s'était à moitié travestie. Elle arborait des allures masculines ainsi vêtue, mais après tout elle avait été soldat un temps. Elle avait probablement tué des hommes, elle aussi, souffert comme les autres, enduré le camp et la nuit, le froid et la peur. Les ordres, à recevoir ou à donner d'ailleurs. « Vous devriez rentrer, à présent, Sir Anthracite. Prévenez Miss Traumout qu'elle est en charge du Manoir pour la matinée et allez vous reposer, vous me sembler bien ensommeillé. »
Le justicier s'inclina faiblement et pivota pour retourner vers la grand-porte. Il concéda un dernier regard au trio : Hurte n'aida pas la femme à monter, qui s'en occupa seule, comme désireuse de prouver ses talents, ou n'appréciant tout bonnement pas de se faire aider juste parce qu'elle était une femme. Mais c'est son cas, elle ne devrait pas l'oublier. Tu ne devrais pas non plus, petit. Aldorey devenait un véritable enfant en sa présence. Cela se voyait rien qu'à son regard. Ses émeraudes se mettaient à pétiller d'une malice candide et rieuse, son sourire devenait goguenard et son ton perdait toute sa majesté pour se faire chant matois de jouvenceau. Moby Gray passa la grand-porte en la repoussant de ses deux épaisses mains, et le couple lui passa la sortie du Manoir, pénétrant les Bois-aux-Bruines et leur aspect dantesque. Un cirque glauque et sinueux, où le rire se faisait noir et parfois pleurs. Un cirque dangereux. Mon pauvre Nicel, mon pauvre Glen. Tous les trois nous ne sommes plus bons qu'à gueuler, rire ou harnacher...
Le Baron faisait avancer sa monture au sein des Bois, laissant Etherea prendre son propre rythme. Il savait pertinemment que la jeune-femme adorait s'écarter de lui pour zieuter quelque part ou simplement pour faire montre d'indépendance. Aussi il ne daignait pas lancer un seul regard à ce qu'elle pouvait bien faire, soucieux, toutefois, mais quelque part confiant de sa fiancée soldat. Que quelqu'un ou quelque chose pointe son nez, elle fichera un carreau d'arbalète là-dedans fissa, il en était convaincu. L'hiver abandonnait calmement le domaine du Baron. La lumière réchauffait finement les branchages, de quoi les dénuder de leur glace. Au sol, les congères étaient moins nombreuses, et donc moins dangereuses. Il n'était pas rare de rencontrer une racine en plein milieu du chemin, parfois un piège oublié aussi... Mais cette période de l'année avait son charme. Des petits ruisseaux d'eau se formaient au nid de troncs d'arbre morts, de légères flaques bleues tapissaient la forêt, tranchant avec le noir continuel des lieux, brisant la routine avec un brin de douceur froide. Les lieux gagnaient en luminosité, et donc ils gagnaient ainsi en beauté.
« J'ai quelque chose à te montrer, Etherea. Ca va te plaîre. » Le duo se dirigeait vers l'Est du domaine. Si près du Manoir et donc du premier flanc de montagne, les arbres étaient encore peu nombreux, ce qui facilitait terriblement la traversée. Là, des chemins existaient au travers des Bois. Serrés mais praticables, ces maigres voies consistaient en un abattage de certains conifères ébènes des lieux, et à la section de nombreuses racines, ensuite brûlées pour en éviter une sempiternelle réincarnation. Le tout donnait une espèce de passage sinusoïdal et tout droit venu de cauchemars d'enfants. Les troncs s'y trouvaient calcinés, repoussés ou complètement défaits, la glace était brune, sale, et le soupçon de chaleur du moment la rendait boue pâteuse, épaisse et profonde. Ici, on sentait clairement le bois brûlé, la fumée froide, vieille comme emprisonnée. Un air qui ne se renouvellerait pas, embaumant l'endroit pour toujours, au grand damne des narines.
Au moins la traversée, bien que longue, se fit sans aucun souci. L'endroit où donnait le passage était clairsemé, baigné par la lumière du jour, rafraîchit par la bruine légère. Des larmes d'eau froides mais éparses caressant la joue, comme une rosée matinale.
Une colline s'était établie ici, délimitant clairement la zone libre d'arbres d'un cercle droit et trop parfait pour être tout à fait naturel. La rondeur des lieux donnait un charme folklorique au tout, un surnaturel de conte et de mystère. Tout était si silencieux, ici, et surtout si peu sombre. D'un geste de pied le Baron fit avancer sa monture jusqu'au pied de la colline. Elle était peu élevée, mais droite, si bien qu'on ne pouvait l'arpenter en monture, ou même à pied, à moins de vouloir faire de l'escalade. Il sourit à son aimée après un regard pour elle, et il disparu autour de l'édifice moussu et pierreux, si bien qu'Etherea était obligée de le suivre à la trace.
Si l'entrée de la clairière présentait une colline dont le toit semblait inaccessible sans effort, c'est en faisant le tour qu'on découvrait cependant un passage que les montures pouvaient emprunter à moindre effort. Court et toutefois sévère, les deux montures peinèrent à démarrer l'ascension, mais le premier pas fait, le reste alla à la perfection, et il fallu à peine une minute pour atteindre le sommet plat comme tout de l'endroit.
D'un diamètre d'une bonne quarantaine de mètres, la colline ne présentait aucune spécificité. Faite de mousse, de quelques pierres dures espacées à quatre coins et de neige plus ou moins fondue, la zone semblait bien vierge ainsi et sans but. On dépassait d'ici à peine la moitié de la hauteur des arbres moyens des Bois, aussi il était même depuis là impossible de projeter son regard plus loin que le rebord de ce toit herbeux et froid. On en gardait une sensation d'étouffement à moins lever les yeux vers le ciel ce jour vierge de nuage et luisant d'un soleil blanc, dès lors tout le folklore réapparaissait.
Aldorey lâcha brides et abandonna étriers pour poser ses pieds sur la terre. Du pied il souleva une plaque de givre et de sa torche éclaira au mieux ses observations du sol, genou plié. Sa main caressa l'herbe haute et trempée, fléchie sous le poids de la vitre neigeuse qui la retenait jusqu'alors. « Nous sommes ici au Dorgne'Minion. » débuta-t-il en relevant ses prunelles pleines de grâce mais incisives sur Etherea. « Avec cette neige le petit jardin de Candile paraît bien anodin et vierge, mais quand il aura retrouvé son mysticisme d'antan cela redeviendra l'espace d'entraînement d'autrefois. » Sur ces mots il se redressa et fit signe à la jolie jeune femme d'approcher. Lorsqu'elle fut à sa porté il la conduisit calmement sur ses genoux, et saisissant avec la délicatesse nécessaire une de ses mains, lui fit rencontrer le tapis d'herbe trempée. Tous les deux se regardèrent un moment et lui sourit, car sous leurs doigts ils ressentirent exactement la même chose, des gravures déchirant la terre en fines notes fantastiques, aussi profondes et éternelles que le seraient des sortilèges psalmodiés.
« Qu'est-ce que c'est, demanda-t-elle, où sommes-nous exactement ?
_Un peu de magie, rétorqua-t-il avec sourire, nous foulons le labeur de Candile Na'Diel, son terrain d'entraînement. Le nôtre. Tantôt ce lieu retrouvera ce qui faisait de lui une zone d'importance des Bois, et ici tu pourras t'entraîner autant que tu veux.
_Mais c'est juste un plateau... » la jeune fiancée se redressa en faisant couiner ses cuirs d'homme. Elle parcourue l'endroit et rencontra une haute pierre moussue non loin du rebord de la colline. Aldorey éleva un peu la voix pour se faire entendre : « Tu verras, Seneth redonnera un peu de vigueur à l'endroit, tu verras, ce n'est pas seulement un plateau. »
Aldorey Kelbourg- Personnages Joués : Aldoreÿ/Guilhart/Visvaldis
Re: Des années de vie pour quelques rêves - Les Magtorus
Divers - L'Introspection du Jeune Loup
A Niamh, Aselryn,
Au Talandra
Aldorey Kelbourg, Baron des Bois-aux-Bruines
Nicel avait avec gentillesse nourrit l'âtre de la chambre suffisamment pour qu'un grand feu en réchauffe les quatre épais et larges murs. Durant les nuits dans les Bois-aux-Bruines, à l'intérieur du Manoir, on entendait plus que le crépitement de l'ensemble des feux et on ne voyait plus que le rougeoiement des flammes. Des danses ardentes levant des jupes de braise, dont chaque pas contribuait à la chaleur des lieux, en nuances d'ambre et de rubis. Les lieux demeuraient chaque fois tamisés, mystérieux, une ombre dantesque planant perpétuellement dans les coins, que même le plus éclairé soleil ne pourrait étouffer.
Le Baron était posé sur un riche fauteuil de cuir verdâtre, de ces œuvres confortables et pompeuses sur lesquelles l'on pourrait vivre et mourir sans ne jamais perdre en classe ou en austérité. L'âtre couvrait d'une cape ardente son dos. Il mirait devant lui, faisant face à ses songes et à ses rêveries avec la morne expression de la nostalgie ou du regret, sa pilosité renfrognée taillée avec précision, sa chevelure gominée avec la dextérité du plus élitiste des tireurs, et c'est au scotch et au cigare qu'il s'alimentait alors, combattant la fatigue et les noirceurs à coup de quilles et de quintes. A combien de verres en était-il ? Aucune idée. Assez, assez...
Une voix repoussa d'un souffle aisé les volutes anthracites qui planaient, calmes, dans les hauteurs de la pièce. Elle était rude mais calme, masculine, rugueuse. Pourtant dans ses profondeurs caverneuses, elle avait cette douceur sibylline, à l'instar des plus doux mystères. « Vous buvez beaucoup, mais parlez peu, Aldorey. Serait-ce de la peur ? »
L'individu lorgnait sur le Baron avec l'avidité du connaisseur, le regard de celui à qui on ne cache jamais rien. De celui qui sait toujours, qui attend, dans sa longueur d'avance, de vous emboîter le pas avec allégresse. L'ombre du Kelbourg se faisait son voile, le recouvrant tel un linceul noir et tangible, le masquant de toute lumière. Seules ses prunelles buvaient encore le feu de l'âtre dansant, présentant deux yeux rieurs noyés dans le savoir et la félicité, félins. Parfois on pouvait le voir sourire, d'un long et interminable. Un sourire... un sourire sans fin, donnant de la littéralité à l'expression de l'avoir jusqu'aux oreilles. Bien qu'il était impossible de pouvoir lire quoi que ce soit en lui, de ne pas pouvoir dire quelle couleur il portait, quel vêtement, s'il était beau ou laid, grand ou court, maigre ou imposant... il était possible de voir qu'il ne restait pas en place sur son siège, bougeant doucement, gigotant. Il s'y tenait bizarrement, sur son siège, cet homme. Affalé contre un accotoir, laissant ses jambes se promener sur celui d'en face. Siéger n'avait aucun sens, pour cet inconnu, il se couchait à l'horizontale plus volontiers qu'à la verticale.
Le Baron reposa son verre après une nouvelle gorgée. « Je ne suis pas vous, mon Oncle. Je n'ai ni votre froideur, ni votre implacable pragmatisme. Et je ne suis pas fou, pas paranoïaque. Ce n'est pas de la peur, non, c'est autre chose, Velenskins. » Le protagoniste avança sa tête, elle était celle d'un vieillard aux cheveux blancs et courts, la face plutôt qualifiable de gueule, celle d'un vieux loup fatigué et vénérable, où trônaient en maîtres deux yeux d'un givre à glacer le sang. La tête mira Aldorey un temps et retourna dans son antre, invisible et illisible.
« Serait-ce ce fouineur, dont on entend parler depuis des mois ? Serait-ce ce curieux, qui instaure un climat de crainte au sein de notre fraternité, de notre groupe, de notre ensemble ? Aldorey... serait-ce de l'inquiétude ?
_ Il est des plaies, répliqua le jeune Baron, qui ne méritent pas d'être rouvertes. Des plaies qui demandent bien du temps pour se refermer, pour se résorber en roseur sur la peau de la tranquillité.
_ Inquiet, ria l'autre.
_ Nous y étions presque. Morgan Dix y était presque. Nous avions notre savoir à porté de main, il ne fallait plus que le saisir, plus que le mettre en commun et l'assembler. Greenhall, Dillinger, Kelbourg et Magtorus, nous avions fait en sorte de perpétuer les travaux de ceux qui n'étaient plus. Nous avions déposé les armes au profit de la connaissance et des sciences. Mais tu es revenue, belle-mère, et au lieu de profiter de ta part, tu as convoité l'assemblée.
_ Inquiet.
_ Je ne suis pas inquiet, Attrimine, car tu n'es plus. » Le jeune loup cracha une peine mélancolique dans une vague grisonnante de fumée. Une nappe épaisse et orangée au croisement de la lueur des flammes.
La tête revint, transperçant le mur en volutes de ses courbes et de ses formes. Elle s'en nimba, l'inspira et le souffla. Elle était celle d'une femme sans âge, entre vieillesse et jeunesse, un étrange mélange de rides difficilement masquées et d'exquises beautés juvéniles, les yeux vairons, entre le vert et le bleu. Elle mira Aldorey un temps, et retourna dans son antre, invisible et illisible.
« Il a ouvert la porte des Bois de la Pénombre, avec un ami, ai-je entendu. L'ami est mort, mais lui enfuit. Envolé. Disparu. A l'instar de nos lettres et de nos proses. Dégagé. Volatilisé. A l'instar de nos livres et de nos matériaux. Nous n'avons point son nom, nous n'avons point son visage. Serait-ce du doute, Aldorey ?
_ Quelle ironie de voir s'accaparer la connaissance, répondit avec amertume Aldorey, dans la méconnaissance. Peut-on dire qu'il nous enlève une épine, ou peut-en dire qu'il nous en enfonce une ? Ce n'est pas du pouvoir, pas du savoir ou de la sagesse que cet individu s'est adjugé, c'est un de nos pas vers un monde plus sain.
_ Vous doutez.
_ Notre cause n'est pas mauvaise, notre cause est bonne. Notre cause a toujours été bonne, je n'étais pas né qu'elle l'était. Nous voulions savoir, nous voulions connaître et contrôler. Pas de mal, pas de malheur. Je ne doute pas, Van, mais il a fallu que tu t'écartes, il a fallu que tu cherches ailleurs, que tu te dispenses de ton travail au profit de maints autres. Sans ton regard sage papa, tous dansèrent au pied du trône, une main dans la main de l'autre, le couteau serré dans le dos.
_ Vous doutez, rit-il.
_ Je ne doute pas, Van, car tu étais bon de ton vivant. »
Une tête dégingandée s'engouffra là où la lumière la rendait visible, dodelinant avec une mécanique psychédélique. Un tapis broussailleux de cheveux bruns en recouvrait le crâne, sur deux yeux d'un vert d'émeraude, à scintiller de malice. C'était une face rude et souriante, une brutalité douce et tranquille. Elle mira Aldorey un temps, et retourna dans son antre, invisible et illisible.
L'être lugubre se mit à rire, à taper dans ses mains tout en restant avachi sur le siège avec une impolitesse totale. « Je sais, commença-t-il à crier, Aldorey, je sais ! » Le Baron restait de marbre, terminant son verre en tordant ses lèvres, dégoûté du spectacle, dégoûté de lui-même sinon, l'ivresse prenant le dessus avec une aisance totale. Une gratuité irrationnelle.
« C'est de l'envie, Aldorey ! C'est de l'envie.
_ De l'envie, tu dis ? Le Baron reposa son verre, le regard fatigué et épuisé.
_ Non, ce qui te brise, ce qui te concerne, oh mon petit, toi que Morgan Dix a si gentiment déposé sur le trône à la mort de ta belle-mère, toi qui n'a jamais été confronté au vieux loup, à ses détresses, ses peurs et ses folies, toi qui n'a vu d'un père que ses fuites et ses intérêts. Toi, ce qui te brise, ce qui te concerne, c'est ta future famille. Son avenir. Son devenir. Tu as enviiiiiie, enviiiiiie ! Haha ! » L'inconnu des ombres se laissa hoqueter un temps, à rire au point de ne plus pouvoir respirer. Ses mains brisèrent un temps le sombre de l'ambiance pour montrer qu'elles s'apposaient sur son visage, pour le cacher et l'aider à contenir son fou rire. « C'en est peut-être, reprit avec calme Aldorey, mon ami »
« C'en est. Tu es rusé. Tu es... astucieux, brave petit loup. Tu te moques des plaies, tu les laisses au passé, tu les laisses à Morgan Dix. Si tu l'aides encore, si tu participes à tout cela, c'est pour lui donner cette histoire, ce passé, et garder pour toi seul ta famille. C'est ainsi que tu crois faire fonctionner cela ? En lui laissant les dettes, et en prenant tout le crédit ? Astucieux, mais audacieux. Une femme et des enfants pour monsieur, mais quoi pour Morgan, sinon le bon vieux démoniste et ses travaux ? »
En faisant grincer avec l'aigu strident des boiseries le siège, la tête revint se projeter face au Baron. Plus proche que les dernières fois, plus naturelle et plus effrayante. Elle était celle d'un homme aux cheveux mi-longs et noirs, sans coiffe et sans artifice, laissée à elle-même, tempétueuse et lisse, propre. Ses yeux étaient entourés d'un khôl épais et large, fondant et allongeant son regard d'un épais noir mat, tout comme son sourire, ses lèvres noires et étirées par ce même khôl jusqu'aux oreilles. « De l'envie, dit l'homme » Elle mira Aldorey un temps, et lui s'en détourna pour écraser son cigare.
« Oui, Flesh. J'ai envie de ça. » Quand il revint à son interlocuteur, le siège était vide. Aldorey se releva, se massa les yeux et le visage, plus fatigué que jamais. Les vapeurs d'alcool embrumaient sa perception, il tituba avec douleur sur sa jambe meurtrie jusqu'à son lit, pour s'y effondrer, s'endormant net.
Le Baron était posé sur un riche fauteuil de cuir verdâtre, de ces œuvres confortables et pompeuses sur lesquelles l'on pourrait vivre et mourir sans ne jamais perdre en classe ou en austérité. L'âtre couvrait d'une cape ardente son dos. Il mirait devant lui, faisant face à ses songes et à ses rêveries avec la morne expression de la nostalgie ou du regret, sa pilosité renfrognée taillée avec précision, sa chevelure gominée avec la dextérité du plus élitiste des tireurs, et c'est au scotch et au cigare qu'il s'alimentait alors, combattant la fatigue et les noirceurs à coup de quilles et de quintes. A combien de verres en était-il ? Aucune idée. Assez, assez...
Une voix repoussa d'un souffle aisé les volutes anthracites qui planaient, calmes, dans les hauteurs de la pièce. Elle était rude mais calme, masculine, rugueuse. Pourtant dans ses profondeurs caverneuses, elle avait cette douceur sibylline, à l'instar des plus doux mystères. « Vous buvez beaucoup, mais parlez peu, Aldorey. Serait-ce de la peur ? »
L'individu lorgnait sur le Baron avec l'avidité du connaisseur, le regard de celui à qui on ne cache jamais rien. De celui qui sait toujours, qui attend, dans sa longueur d'avance, de vous emboîter le pas avec allégresse. L'ombre du Kelbourg se faisait son voile, le recouvrant tel un linceul noir et tangible, le masquant de toute lumière. Seules ses prunelles buvaient encore le feu de l'âtre dansant, présentant deux yeux rieurs noyés dans le savoir et la félicité, félins. Parfois on pouvait le voir sourire, d'un long et interminable. Un sourire... un sourire sans fin, donnant de la littéralité à l'expression de l'avoir jusqu'aux oreilles. Bien qu'il était impossible de pouvoir lire quoi que ce soit en lui, de ne pas pouvoir dire quelle couleur il portait, quel vêtement, s'il était beau ou laid, grand ou court, maigre ou imposant... il était possible de voir qu'il ne restait pas en place sur son siège, bougeant doucement, gigotant. Il s'y tenait bizarrement, sur son siège, cet homme. Affalé contre un accotoir, laissant ses jambes se promener sur celui d'en face. Siéger n'avait aucun sens, pour cet inconnu, il se couchait à l'horizontale plus volontiers qu'à la verticale.
Le Baron reposa son verre après une nouvelle gorgée. « Je ne suis pas vous, mon Oncle. Je n'ai ni votre froideur, ni votre implacable pragmatisme. Et je ne suis pas fou, pas paranoïaque. Ce n'est pas de la peur, non, c'est autre chose, Velenskins. » Le protagoniste avança sa tête, elle était celle d'un vieillard aux cheveux blancs et courts, la face plutôt qualifiable de gueule, celle d'un vieux loup fatigué et vénérable, où trônaient en maîtres deux yeux d'un givre à glacer le sang. La tête mira Aldorey un temps et retourna dans son antre, invisible et illisible.
« Serait-ce ce fouineur, dont on entend parler depuis des mois ? Serait-ce ce curieux, qui instaure un climat de crainte au sein de notre fraternité, de notre groupe, de notre ensemble ? Aldorey... serait-ce de l'inquiétude ?
_ Il est des plaies, répliqua le jeune Baron, qui ne méritent pas d'être rouvertes. Des plaies qui demandent bien du temps pour se refermer, pour se résorber en roseur sur la peau de la tranquillité.
_ Inquiet, ria l'autre.
_ Nous y étions presque. Morgan Dix y était presque. Nous avions notre savoir à porté de main, il ne fallait plus que le saisir, plus que le mettre en commun et l'assembler. Greenhall, Dillinger, Kelbourg et Magtorus, nous avions fait en sorte de perpétuer les travaux de ceux qui n'étaient plus. Nous avions déposé les armes au profit de la connaissance et des sciences. Mais tu es revenue, belle-mère, et au lieu de profiter de ta part, tu as convoité l'assemblée.
_ Inquiet.
_ Je ne suis pas inquiet, Attrimine, car tu n'es plus. » Le jeune loup cracha une peine mélancolique dans une vague grisonnante de fumée. Une nappe épaisse et orangée au croisement de la lueur des flammes.
La tête revint, transperçant le mur en volutes de ses courbes et de ses formes. Elle s'en nimba, l'inspira et le souffla. Elle était celle d'une femme sans âge, entre vieillesse et jeunesse, un étrange mélange de rides difficilement masquées et d'exquises beautés juvéniles, les yeux vairons, entre le vert et le bleu. Elle mira Aldorey un temps, et retourna dans son antre, invisible et illisible.
« Il a ouvert la porte des Bois de la Pénombre, avec un ami, ai-je entendu. L'ami est mort, mais lui enfuit. Envolé. Disparu. A l'instar de nos lettres et de nos proses. Dégagé. Volatilisé. A l'instar de nos livres et de nos matériaux. Nous n'avons point son nom, nous n'avons point son visage. Serait-ce du doute, Aldorey ?
_ Quelle ironie de voir s'accaparer la connaissance, répondit avec amertume Aldorey, dans la méconnaissance. Peut-on dire qu'il nous enlève une épine, ou peut-en dire qu'il nous en enfonce une ? Ce n'est pas du pouvoir, pas du savoir ou de la sagesse que cet individu s'est adjugé, c'est un de nos pas vers un monde plus sain.
_ Vous doutez.
_ Notre cause n'est pas mauvaise, notre cause est bonne. Notre cause a toujours été bonne, je n'étais pas né qu'elle l'était. Nous voulions savoir, nous voulions connaître et contrôler. Pas de mal, pas de malheur. Je ne doute pas, Van, mais il a fallu que tu t'écartes, il a fallu que tu cherches ailleurs, que tu te dispenses de ton travail au profit de maints autres. Sans ton regard sage papa, tous dansèrent au pied du trône, une main dans la main de l'autre, le couteau serré dans le dos.
_ Vous doutez, rit-il.
_ Je ne doute pas, Van, car tu étais bon de ton vivant. »
Une tête dégingandée s'engouffra là où la lumière la rendait visible, dodelinant avec une mécanique psychédélique. Un tapis broussailleux de cheveux bruns en recouvrait le crâne, sur deux yeux d'un vert d'émeraude, à scintiller de malice. C'était une face rude et souriante, une brutalité douce et tranquille. Elle mira Aldorey un temps, et retourna dans son antre, invisible et illisible.
L'être lugubre se mit à rire, à taper dans ses mains tout en restant avachi sur le siège avec une impolitesse totale. « Je sais, commença-t-il à crier, Aldorey, je sais ! » Le Baron restait de marbre, terminant son verre en tordant ses lèvres, dégoûté du spectacle, dégoûté de lui-même sinon, l'ivresse prenant le dessus avec une aisance totale. Une gratuité irrationnelle.
« C'est de l'envie, Aldorey ! C'est de l'envie.
_ De l'envie, tu dis ? Le Baron reposa son verre, le regard fatigué et épuisé.
_ Non, ce qui te brise, ce qui te concerne, oh mon petit, toi que Morgan Dix a si gentiment déposé sur le trône à la mort de ta belle-mère, toi qui n'a jamais été confronté au vieux loup, à ses détresses, ses peurs et ses folies, toi qui n'a vu d'un père que ses fuites et ses intérêts. Toi, ce qui te brise, ce qui te concerne, c'est ta future famille. Son avenir. Son devenir. Tu as enviiiiiie, enviiiiiie ! Haha ! » L'inconnu des ombres se laissa hoqueter un temps, à rire au point de ne plus pouvoir respirer. Ses mains brisèrent un temps le sombre de l'ambiance pour montrer qu'elles s'apposaient sur son visage, pour le cacher et l'aider à contenir son fou rire. « C'en est peut-être, reprit avec calme Aldorey, mon ami »
« C'en est. Tu es rusé. Tu es... astucieux, brave petit loup. Tu te moques des plaies, tu les laisses au passé, tu les laisses à Morgan Dix. Si tu l'aides encore, si tu participes à tout cela, c'est pour lui donner cette histoire, ce passé, et garder pour toi seul ta famille. C'est ainsi que tu crois faire fonctionner cela ? En lui laissant les dettes, et en prenant tout le crédit ? Astucieux, mais audacieux. Une femme et des enfants pour monsieur, mais quoi pour Morgan, sinon le bon vieux démoniste et ses travaux ? »
En faisant grincer avec l'aigu strident des boiseries le siège, la tête revint se projeter face au Baron. Plus proche que les dernières fois, plus naturelle et plus effrayante. Elle était celle d'un homme aux cheveux mi-longs et noirs, sans coiffe et sans artifice, laissée à elle-même, tempétueuse et lisse, propre. Ses yeux étaient entourés d'un khôl épais et large, fondant et allongeant son regard d'un épais noir mat, tout comme son sourire, ses lèvres noires et étirées par ce même khôl jusqu'aux oreilles. « De l'envie, dit l'homme » Elle mira Aldorey un temps, et lui s'en détourna pour écraser son cigare.
« Oui, Flesh. J'ai envie de ça. » Quand il revint à son interlocuteur, le siège était vide. Aldorey se releva, se massa les yeux et le visage, plus fatigué que jamais. Les vapeurs d'alcool embrumaient sa perception, il tituba avec douleur sur sa jambe meurtrie jusqu'à son lit, pour s'y effondrer, s'endormant net.
Aldorey Kelbourg- Personnages Joués : Aldoreÿ/Guilhart/Visvaldis
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